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Le Salaire de la Haine


Le Salaire de la Haine


La proie était bien plus intéressante que prévu. Elle venait de tuer une douzaine d'hommes dans un élan de démence incontrôlable. Aslan frissonnait d'excitation. Elle venait à lui. Elle venait au boss, fonçant droit sur le domaine. Plus besoin de la traquer. La Chasse allait prendre fin. Ce soir, tout allait se terminer. Oui. Cet individu était de loin la plus dangereuse des personnes qu'il avait chassé. Il l'avait lu dans ses yeux. Une détermination inébranlable. Une force incommensurable. Il en avait eu la chair de poule. Et maintenant la proie venait à lui. Forte, fière, grande, puissante. L'Alpha.
...
Le domaine était là, face à lui, comme quand il l'avait fui. Et il était seul, expirant à pleins poumons toute cette rage accumulée en lui depuis toutes ces années. Sa cage thoracique se soulevait et descendait comme une bouée agitée par les marées. Il était un Monstre et sa soif de sang était sans limite. Pas une simple idée qui vous passe par la tête non. Pas comme si, d'un jour, vous vous demandiez ce qui se passerait si jamais vous aviez envie de tuer quelqu'un. Non. Là on était passé au chapitre suivant. L'envie de tuer était là, plus que présente. Pourquoi? Parce que trop longtemps le monde l'avait privé de vivre. Il avait été oppressé trop longtemps. Oui. Et le temps était venu. Venu d'ôter des vies. De montrer ce qu'il en coûte de s'acharner sur la même chose trop longtemps. A force, on ouvre la boîte de Pandore. On créée un Monstre. On le façonne au long des années. On le modèle à coups de brimades. Et quand le temps est venu, il se libère. Il se libère de toutes ces illusions merdiques dont le monde est fait, se libère de toutes ces insultes endurées depuis le début de son existence, se libère de toutes les choses qu'on lui a imposé. Il est libre. Le Monstre est libre et prêt à refaçonner le monde. A le marquer au fer rouge. A l'user, à le saigner comme bon l'entend. Ce monde lui a tout pris. A lui de faire ce monde sien.
L'aube sera rouge.
Même la douce et fraîche brise du soir ne le fait pas autant frissonner que tout ce qu'il vient de vivre. Kanbei n'est plus Kanbei. Il est le Khan. Le Monstre. Libre. Fier d'être ce qu'il est. Ses mains tremblent. De la peur? Non. De l'excitation. Il est comme le Nouveau-né découvrant l'extérieur, comme le premier regard de Dieu sur le Néant. Sûr et terriblement excité. Rien ne pourra plus le détourner de sa voie. Ses jambes bougent toutes seules, faisant jaillir de part et d'autre des ombres informes. Des geôliers potentiels. Des façonneurs de Monstre. Dès lors, il les remercie. Tranchant gorge sur gorge comme un boulanger cuirait son pain. Embrochant vivement comme l'on fait griller de la viande. L'antre du mal se rapproche. Petit à petit. Mètre après mètre, gravier après gravier. Goutte à goutte... de sang. Et le sol se voit petit à petit jonché de cadavres ou d'êtres en passe de le devenir. Le Monstre se joue bien de tous ces pions. Il veut en finir. Modeler cette parcelle du monde à son image. Laisser son empreinte. Les portes craquent. Cèdent sous les coups. Les façonneurs se font de moins en moins nombreux. Ils sont de moins en moins déterminés à le corriger, à le remettre en cage. Les échanges se poursuivent sans discontinuer. Jusqu'à ce qu'il la trouve. L'antre. La pièce ultime. Il est là. Le Chasseur. Lames au flanc. A lui discourir dans une langue qu'il ne comprend désormais plus. Son maître est dans la pièce blindée derrière lui, verrouillé comme une ultime porte de donjon.



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17 ans. Cela faisait 17 ans qu'Aslan Breader exerçait sa profession et jamais il n'avait été confronté à un tel phénomène de foire. L'être qu'il avait en face de lui semblait plongé dans un profond abîme de colère. Un abîme tel qu'il semblait dément. Il était face à lui, le torse nu ruisselant de sang, le regard brillant, une lame émoussée et recouverte de sang elle aussi en main droite. Et une pierre en main gauche. Etrange. De toutes les proies qu'il avait eu, il était fasciné par celle-ci. Il émanait d'elle une aura étrange. Au fond de lui, le tueur eût la sensation qu'il ne vaincrait jamais ce monstre. Et pourtant, il ne s'en rendit même pas compte. Il dégaina ses lames comme il le faisait depuis ses plus jeunes années. Un bras replié, le dos de la lame sur l'arrière de sa nuque. Le bras droit. Une lame pointée sur l'ennemi. Le bras gauche. La position du Peintre funambule, telle qu'on lui avait enseigné dans le dojo de son enfance. Un digne préambule à ce combat qui se solderait par la mort de l'un deux.
La lame fendit l'air dans un bruissement froid et silencieux.
Un coup mortel. Bien placé et ayant pour trajectoire une nuque un peu trop tendre. Un amuse-gueule pour jauger les réflexes de sa proie. Et les voici. Une parade avec l'objet minéral tenu en main gauche. Plutôt osé. Surtout vu le crissement de la lame sur la pierre. Qu'importe, le tueur frappe de nouveau. Coup d'estoc appuyé d'un pas chassé suivi d'un tranchant en lame opposée. Sûr de lui, il s'attend à voir la proie se replier sur elle même. Et il enchaîne les combos du même style. Frappant jusqu'à atteindre ce qu'il veut. Ca y est. La pierre se brise et la lame entaille la main qui la tient. La proie est blessée. Un quelconque signe de reddition? Une quelconque faille dans son armure?
Non.
Rien de cela. Seul un rire froid, glaçant. Un rire qui vous tord les tripes. C'est pas à ça que tu t'attendais le Chasseur hein? La lame qui lacère ma main OK. Mais pas le rire. Et là tu sens qu'il y a quelque chose qui cloche. Non pas que t'aies mis un coup de pied dans la fourmilière mais presque. Tu es un de ceux qui créent les Monstres. Un Faiseur. Et pour cela tu dois mourir. Et, si je le veux bien, comprendre pourquoi. Parce que tu es de ceux par qui le Mal vient. Par qui le Mal persiste. Et dans ton regard, on sent désormais une lueur de crainte. Le regard d'un homme qui vacille, qui doute. Et pendant ce temps mon sang tombe par goutte au sol. L'entaille est peu profonde mais le sang qui en coule est abondant. Chaud. Mon sang est chaud. Bouillant. Plein de colère. Pour mieux modeler mon monde à mon image. Et alors tu ne comprends pas. Ma lame se soulève au dessus de toi à une vitesse qui ferait pâlir de jalousie un faucon pèlerin en piqué. Et elle s'abat tel le châtiment divin sur toi. Comme tout bon Faiseur tu résistes. Encore et encore. Mais la lame frappe sur les deux tiennes. Elle frappe de plus en plus fort. Jusqu'à ce que tes armes cèdent et cassent. Tu ne comprends pas comment cela s'est produit? Ma lame était pourtant de plus mauvais facture non? Qu'importe. C'est mon monde. Et cette histoire est mienne. Tu veux savoir la fin? C'est alors que ma lame désolidarise ta tête de ton corps dans un bruit de choc au sol. Voilà la fin telle que je l'aie écrite. Voilà la fin d'Aslan Breader.


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Mais l'histoire n'est pas finie. Non. Il reste toute la partie barbante. La partie ingrate. Celle qui m'ennuie déjà avant même que mes mains ne l'écrivent. L'épilogue de cette part là. La fin de ma vie d'homme. La naissance du Monstre? Non. Il était là bien avant Kanbei. Il l'a vu naître. Il est le Khan. Fort, fier, puissant et terrible parmi les hommes bien que différent d'eux. La voix de l'homme derrière la porte blindée se fait interrogatrice. L'intrus est-il mort? Non. Au contraire. Et c'est ce qu'il va découvrir. Très vite en fait. Trop sûr de l'efficacité de son tueur, Jaysui ouvre la grille de sécurité un instant. Et il comprend trop tard son erreur. La main du Khan écrase sa trachée trop faible pour résister. Une minute. Voilà le temps que le monstre accorda à ce pauvre hère avant de le hisser sur son dos avant de prendre le chemin de la maison de son employeur.
Le Monstre est.
Et il se rend chez son supposé employeur. Sa maison a aussi été attaquée. Et a tenu bon vu que des gardes du corps de son employeur sont encore là, amochés mais vivants. Ils n'osent même pas s'interposer sur la trajectoire du Khan quand celui-ci franchit la porte d'entrée. L'ont-ils reconnu? Personne n'en saura jamais rien mais au vu du regard qu'il a, ils le craignent. L'employeur le sent aussi mais il commence à chaleureusement féliciter l'homme de son travail. Homme? Le Khan n'est pas un homme. Il est, c'est tout. Et ce monde le dégoûte. Tous ces êtres le dégoûtent. Il aurait peut-être du remodeler cette partie là du monde après tout. Car ce monde est sien. Mais non. Il est las. Las de continuer sur cette voie. Sa fureur s'apaise. La colère reste présente certes mais se fait plus ténue. Elle entre en hibernation tandis qu'il prend sa récompense. De l'argent. Est-ce tout ce que valaient les vies qu'il a pris et le travail qu'il a fait? Il n'en sait rien. Il ne veut rien en savoir. Mieux vaut partir loin. S'isoler de cette part gangrenée du monde. La part sale. Voilà son salaire. Le Salaire de la Haine. Des millions de berrys pour avoir tué.
Jusqu'à quel point ce monde est-il souillé?
Sa soif de sang s'est tue. Il est déjà loin. Il fait froid. Très froid. Où est-il? Il ne saurait le dire. Kanbei a refait surface. Les illusions de ce monde ont repris le dessus, dissimulant le Monstre aux yeux de celui-ci. La mort est présente partout. Mais elle se terre, elle aussi. Ce monde est déjà mort pour lui. Tous sont morts. Des carcasses vides pleines de souffrances à libérer sur les autres. La corruption a déjà envahi le monde. Tout le monde? Qui sait...

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