L'Echappée



Je sais pas comment j'ai atterri ici. J'ai la main détruite. J'ai le cerveau qui fonctionne au ralenti. J'ai une bouteille vide qui a roulé jusqu'à cette pierre. Une grosse pierre noire. Dressée au milieu de dizaines d'autres. C'est le tintement du verre contre la pierre qui m'a éveillé. Je suis assis. J'ai les jambes lourdes. Non. Je sens plus mes jambes. Les fourmis dans mes genoux ont déjà tout bouffé. Plus aucuns nerfs. Juste ceux, à vifs, incurables, qui s'embrasent à mon encontre. J'ai les nerfs. Contre moi. J'ai la main détruite. Y'a une espèce de brume qui avance, mais elle reste cantonnée aux rangées de tombes que mon regard inspecte comme si je sortais d'un mauvais rêve. J'y vois flou. J'ai mal. Un peu partout, mais surtout au cœur. Une putain de gueule de bois. J'y vois flou, mais mes souvenirs sont nets. Et le craquement du bois quand sa tête s'y enfonce me fait encore frisonner. Je m'en veux. Mon regard erre. Je ne vois rien de neuf. Seule cette inscription sur cette stèle.

Cette inscription qui porte mon nom.


*****


Je n'espère plus le salut depuis bien longtemps.

Du moins, ça fait depuis quelques heures perdues que je n'entrevois plus aucun salut du tout. Du moins pas celui que l'on réserve habituellement aux belles filles de bonne maison et aux pauvres gosses pas encore baptisés. Et surtout pas celui des prêtres. C'est peut-être le seul côté qui me réjouisse, rater cette partie là du paradis. Non pas que j'aime pas les pédophiles, hein, mais m'est avis que si les prisonniers ne les apprécient guère pas, ce n'est pas pour rien ; et qu'ils doivent avoir un plus mauvais fond que la plupart des autres -sans mauvais jeux de mots. Juste que je ne me compte pas dans le sac de la plupart des autres. Dans mon sac, j'y mettrai des boules de pétanque, des tessons de bouteilles et au moins mon poids en punaises.  Mon propre paradis. Déjà que faire cramer ma famille et laisser ma fille se faire percer la cervelles par de belles paroles vaines ne doit pas avoir mis mon nom en tête de la liste des invités au bal de saint pierre, mais t'avoir déglingué, pauvre nana aux aspects aussi lisses que pouvaient l'être tes cheveux, aux pensées au moins aussi noire que les miennes et à l'âme plus acérée encore... Hé. Doit y'avoir une belle rature au nom de Timberwhite sur le registre. Et si il fut un temps ça me rendait malade de me dire que même là-haut je n'y retrouverai pas ma femme ou ma gosse dont j'ai même pas eu le temps de restreindre son intérêt pour les garçons de son âge, maintenant, je me suis fait à l'idée. Et je me vois déjà marcher sur des petits nuages de braises pour arriver devant un pupitre de la taille d'une maison et me faire passer par une porte dérobée et constellée de clous rouillés.
Mais je m'égare.

Le pardon. Même combat. Perdu d'avance. Y'en a bien qui pardonnent. Qui pardonnent aux mendiants d'êtres nés sans le sou ou aux politiciens d'être nés sans intellect. Je suis certain que dans un monde idéal, on m'aurait pardonné. J'ai des collègues qui l'affirment.

Mais moi, à la différence d'eux, je n'ai personne qui puisse me pardonner. Du moins, personne dont l'avis compte vraiment. Y'aurait bien Dieu... mais si la marine existe c'est bien qu'Il s'est endormi sur sa table de travail avec le boulot à moitié achevé. Alors je m'en contrefous de Son pardon. Même si je dois foutre des majuscules dés que je parle de Lui.

Perdu d'avance.

Et pourtant elle me ronge, cette culpabilité. Elle me ronge plus que le cercueil que je me suis fait hier. Et même si ça fait un beau rappel du début de post avec le cimetière, je parle bien de ce mélange d'alcool que j'ai acheté à Lolyd le barman. Et cette fois, j'ai beau essayer de me persuader que j'en ai rien à foutre, j'y arrive pas. J'ai croisé mon regard dans l'eau claire d'une fontaine ce matin. Et celui que l'image me renvoyait était, certes rempli d'autant de pitié et de dégout que d'ordinaire, mais emprunt de cette étincelle qu'ont les pères qui encouragent leur fils à franchir le pas de la porte de leur première copine. Ou celui qu'a le copain bourré qui pousse dans le dos un collègue coincé à travers le seuil d'une prostituée. Hin. L'eau tremble encore du poing que je lui ai envoyé pour me faire taire. Et même ça a échoué. Alors avec une liasse de billets en poche, la dernière, pour avoir vendu le peu de toiture qu'il restait de cette maison carbonisée qui fut la notre, je visage bas et le Cormoran sur les talons -aussi joyeux qu'à son ordinaire- j'ai percé la foule des badauds et suis allé au port. Parce que oui, je savais où trouver mon salut. J'ai pas pu m'arrêter de te surveiller.

La main emballée comme à Noël, les lunettes plus hautes sur mon nez qu'elles ne l'ont jamais été, le pas au moins aussi assuré qu'au lever d'une douche froide et un Cormoran zigzaguant entre les enfants qu'il croise, je parcours une ville fourmillante pour laquelle je n'ai plus aucune considération. Je ne suis qu'un fantôme. Une âme errante et qui ne peut trouver le repos. Je n'ai que faire des gens et ils n'ont que faire de moi tant que je ne leur marche pas sur les talons. Ce qui arrive trop fréquemment à leur gout. On me regarde en coin, parfois. Je suis un alcoolique à tendances violentes. Normal que la garde veille au grain. Et quel meilleur grain, insignifiant et insipide, que celui qui porte des tuniques amples et des chapeaux contre le soleil. Je crois que j'ai rarement été aussi heureux de mesurer mes deux mètres cinquante.

Et même si heureux est un mot trop peu approprié, si j'en crois mon pas, ça fait bien longtemps que je ne l'ai pas été à ce point.
Je ne vois pas bien mon regard en cet instant, mais les gens ne me croisent plus avec l'impression de passer près d'un égorgeur de porcs. Alors je déboule sur ce qui sert de port. Ce qui sert ouais. Parce que dans le patelin d'Hinu, les caisses, on les décharge pendant la nuit pour pas chopper une insolation. Parce que cette saleté est plutôt virulente en journée et du genre insomniaque. Même à l'ombre tu peux chopper une insolation sur les quais ; alors la seule heure viable pour tout décharger, c'est celle entre minuit et trois heures de la nuit, quand on ne peut pas lire les cadrans solaires avec la précision qu'ont d'ordinaire les suisses. Une histoire à base de sabliers. Alors du coup, en pleine journée, le port est quasiment désert. Y'a trois gonzes qui arrosent leurs navires avec l'eau de mer pour pas que les planches ne se craquèlent sous la chaleur, deux gamins qui font cramer des cafards avec des loupes et une garce aux cheveux si clairs qu'ils semblent s'être liquéfiés sous les rayons dardant d'un soleil si lourd que le plomb en serait jaloux. Une garce à la voix qui porte et qui résonne. Tu t'adresses à un type dans une sorte de cabine téléphonique et qui est payé à passer l'heure de la sieste à surveiller des quais déserts. Seule une vitre le sépare de ta fureur qui s'évertue à acheter un billet pour se casser de cette île au plus vite. Je m'approche un peu.
L'homme a rempli son enclos de tellement de glace qu'il avait dû s'y encastrer plutôt qu'y entrer. Et le regard mi peiné mi effrayé qu'il te lance lui donne l'air d'un merlan au milieu de l'étale d'un poissonnier. La bedaine et le double menton en supplément.

Je ravale mon rictus. Le Cormoran m'ouvre la voie, comme s'il savait où on va ; ou comme s'il avait juste pas eu assez de câlins auprès des gosses perdus qu'il a croisé pour venir jusqu'ici.
Je me dresse dans ton dos et si tu ne repères pas le Cormoran tout de suite, tu peux voir mon ombre grandir au-dessus de ta tête. Comme une sombre promesse qui n'est pourtant pas aussi dramatique qu'à notre première rencontre. Ma main tremble. Je serre les dents et la planque dans ma poche. Tu ne pourras pas voir le bandage tout de suite. J'attends juste que tu te retournes ; que tu me jettes un regard qui me fait bien comprendre qu'en plus de m'avoir reconnu, tu n'es pas du tout heureuse de me voir. De toute façon, il ne m'était pas de tout venu à l'esprit que tu aie pu l'être. Chaque matin je suis déçu de voir que je suis moi. Ça doit pas être simple de se retourner pour se retrouver face à mon torse. Trop grand pour la plupart des gens. Lever la tête ne les arrange pas, et si ils doivent hausser le regard sur un visage aussi engageant qu'un panneau danger sur en haut d'une falaise escarpée, d'ordinaire, ils ont pas envie de rester dans mes environs. Mais toi, je ne te laisse pas le choix. De ma main gauche, je te prends par l'épaule, pas vraiment méchamment, juste avec fermeté et t'attire un peu plus loin, à l'ombre d'un bâtiment où se ressourcent seize chats, quatre chiens fainéants, un vingtaine de pigeons pré-cuits et un cuisinier qui surveille ses œufs dans la poêle laissée en plein soleil.



Je ne dis rien encore. Tu ne dis rien non plus. Je pense que tu ne sais pas du tout à quoi t'attendre. Ça nous fait un point commun. Parce que je sais pas du tout ce que je vais m'apprêter à dire. Ou plutôt, je ne sais pas du tout comment tourner les mots qui me brûlent la langue pour ne pas en faire une phrase stupide. Tout ce que je sais, c'est que je m'efforce de ne pas te regarder. Tu le vois, ça, tu sais ce que je veux faire, je pense. Je laisse le Cormoran te distraire une seconde, le temps de passer sur mes yeux des doigts rêches et sur mon visage une paume calleuse. Je cherche mon souffle, je cherche mes mots, je cherche mon courage. J'expire bruyamment, me torture une énième fois l'esprit avec des questions ou des piques acérées, écoute le petit ange qui m'invite à continuer et regarde le démon rester de marbre. Mon poing droit sort de ma poche comme je me retourne vers toi, tendant le bras comme un vieil homme tendrait un journal roulé vers une mouche. Tu y vois la liasse de billets. Tu y vois mon poing bandé. Tu vois mes lèvres trembler une seconde et tu entends ma voix.

Pardonne moi.


Parce que bordel, c'est dur de se dire qu'il y a enfin une personne qui serait à même de me pardonner.

Même si ce n'est très certainement pas toi qui m'ouvriras les portes du paradis.
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    Fidèle à son climat d’île du sud, la chaleur sur Hinu Town est écrasante. Sur les quais, guère d’abri pour échapper au soleil accusateur. Insensible, l’astre flamboyant darde de ses rayons quiconque se risque à passer sous son regard. Le vent chaud de l’océan ne rafraichit en rien l’atmosphère et les quelques imbéciles qui se risquent dehors à cette heure de la journée ont bientôt l’impression d’étouffer. Louise est une imbécile.

    Bien que native de South Blue, la chaleur lui est à peine tolérable. Elle envie la glace de l’employé des quais à qui elle s’adresse et aurait donné n’importe quoi pour une averse rafraichissante. Pourtant, lorsqu’elle aperçoit un cormoran idiot, reconnaissable entre mille, lorsqu’elle sent grandir une ombre de son dos, elle ne peut réprimer un frisson. Bien vite, elle oublie l’idiot à qui elle essaye de soutirer un ticket de bateau, ignore son regard amorphe et irritant, son air rogue.

    Lorsqu’elle se retourne, elle sait pertinemment sur qui elle va tomber. Elle ne l’a vu qu’une fois et malgré la torpeur, la misère et les coups, elle n’a rien oublié des yeux mordorés et de la culpabilité de l’homme qui lui fait face. Il ne dit rien, pose simplement sa large main sur l’épaule de la jeune femme pour la conduire à l’ombre d’un entrepôt quelconque. Cette fois, il n’y a aucun menace, alors Louise suit, docile. Si elle ne dit mot, elle laisse son regard exprimer sa pensée.

    Minable. Lâche. Salaud.

    Cependant, il ne la regarde pas. Il n’ose pas poser les yeux sur ce visage qui porte encore les marques de ses coups. Dégonflé. Finalement, une liasse de billets et deux mots sortent de la bouche de Diele.

    Pardonne-moi.

    Louise en aurait éclaté de rire. Sérieusement, il a été la retrouver pour lui demander pardon ? La situation est si risible qu’elle aurait tiré un rire à Lou Trovahechnik. Mais Louise ne rit pas. Au contraire, elle sere le poing, se retient de l’envoyer une nouvelle fois cueillir l’homme dans le bas-ventre. S’il n’avait pas été si grand, peut-être lui aurait-elle cassé le nez.

    « Pauvre type. »

    Louise se saisit de la liasse, sans compassion pour le poing abimé ou pour la voix tremblante. Plus assurée qu’elle ne l’a été depuis longtemps, elle ne laisse pas la colère primer.

    Contrôle-toi.

    Avec un temps mesuré, calculé, elle compte la somme offerte par Diele. Elle n’a pas eu besoin de payer sa chambre, pas plus que les réparations du bar ou les frais médicaux. Elle n’a toutefois pas assez pour prendre le bateau, pour se tirer de cette île où elle ne remettra jamais les pieds. Alors l’argent est bienvenu, contrairement à l’homme. Peut-elle soutirer plus en attendant de ramasser une nouvelle prime ? Lentement, elle range les billets dans le petit sac qu’elle transporte, celui qui contient toutes ses affaires, trois fois rien. Puis elle redresse la tête vers l’homme, qui attend, là, comme un idiot. Le crétin avec sa poêle aurait eu aussi bien fait de laisser cuire ses œufs sur le crâne de ce grand imbécile.

    « Comment tu m’as retrouvée, tu m’as suivie jusqu’ici ? »

    La blonde ne peut supprimer la pointe d’agressivité qui perce dans sa voix. Ce n’est pas important. Elle calcule. Que peut-elle soutirer de cet homme brisé ? Jusqu’à quel point peut-elle le manipuler, le dominer ? Il n’est pas question de pardon, comme il l’a laissé entendre. Elle ne veut pas non plus en faire un compagnon, comme Wakajini l’a été. Elle veut lui extorquer la moindre de ses possessions, lui enlever jusqu’à la dernière miette de sa dignité, lui faire payer le sang versé dans cette auberge lugubre de la Ville des Sables. Elle n’est plus reconnaissante de ces coups qui lui ont remis les idées en place. Elle veut redevenir elle-même, souveraine implacable qui écrase ceux qui osent se mettre sur sa route. Et cet homme, en face d’elle, ce type rongé par la culpabilité, c’est un pion.


Dernière édition par Louise Mizuno le Lun 27 Jan 2014 - 2:37, édité 1 fois
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Cette île, j'en ai fait le tour de nombreuses fois depuis mon arrivée il y a près de vingt années. Et au vu du temps d'ensoleillement de ce climat désertique, je pense que vingt ans ici équivaudrait à vingt-cinq ans de soleil sur une île normale. Probablement trente sur une île comme Drum. Et passer trente années de soleil théoriques sur une même île ça laisse généralement le temps de la visiter. Je l'ai arpentée de long en large. Ai visité les déserts dont les cavernes creusées dans un sable trop dense m'ont toujours semblé construites par magie ou par le pouvoir d'un quelconque fruit perdu.
J'ai vu des gens se suicider et me suis surpris à les envier. J'ai vu des mariages, de loin, et me suis surpris à les jalouser en pleurant. J'ai entendu des gens rire dans des maisons que je frôlais chaque jour et me suis cru plusieurs fois à leur place en m'arrêtant devant leurs portes.

Ouais, tous mes souvenirs sont sur cette île ; et elle n'a plus rien à m'offrir.

Alors je suis presque heureux que tu ne me pardonnes pas.
Parce que non, tu ne me pardonnes pas. Ce regard qui aurait pu conserver du poisson pendant deux mois et que tu me réserves, je le vois me sonder. Minable, qu'il me dit. Qu'il me crache. J'ten prie, je vaux pas mieux qu'un urinoir de toute façon. En pas beaucoup plus propre. En à peine moins odorant. Quoiqu'aujourd'hui j'ai fait un effort. J'suis rasé, sobre et je me suis même lavé les cheveux. À l'eau froide certes -y'a plus d'eau courante dans ma maison en ruine depuis des lustres- mais lavés tout de même.
Parce que non, tu ne me pardonnes pas. Ce ton que tu emploies avec détachement, il est sec comme une forêt méditerranéenne ; et on pourrait trancher une pomme avec ton intonation. Lâche. Une insulte supplémentaire qui, une fois n'est pas coutume, glisse sur ma chemise froissée comme le postillon du poivrot sur le plumage du Cormoran. Faut dire que j'ai expié la haine et la colère la dernière fois que je t'ai vu. La cruche qui fait déborder le vase. C'est toi la cruche. Navré, mais faut avouer que t'as été tout sauf maline la dernière fois. Vaut toujours mieux préférer le poing d'un charpentier dans sa poche. Peut-être que tu t'en souviendras à l'avenir. L'Avenir...
Parce que non, tu ne me pardonnes pas. Cette posture qui traduit plus d'animosités à mon encontre qu'un enfant n'en éprouve pour un moustique ; le dos raide, la tête haute pour me toiser comme tu le peux malgré mon mètre de plus que toi, ton buste désaxé pour ne pas complètement me faire face. Salaud qu'il m'inspire. Encore un truc pour lequel je ne peux pas t'en vouloir. On fait comme on peut avec ce qu'on a. T'as des yeux vairons, t'as peut-être pas des penchants pour les nonnes, t'as le visage dur et l'insulte facile. Moi j'ai un Cormoran et un front large où j'ai moi-même écrit Fils de Pute en lettres capitales.

Non, tu ne me pardonnes pas.

Et ça me réjouit.

Je savais où tu étais. Pas besoin de te suivre.

Ça me réjouit, parce que si ils sont nombreux les gens à m'exécrer, à changer de trottoir devant moi, à me plaindre comme on le ferait d'une gamine qui se fait assassiner pour défendre ses droits, toi -si ce n'est de la haine- tu me méprises. Peut-être presque autant que moi. Et je peux t'assurer sans trop m'avancer, de peur que tu me refasses le coup du chat que l'on emmène chez le véto, que retrouver ce regard dans des yeux vairons -qui surtout ne sont pas mes petits yeux jaunes que j'abhorre- a des vertus apaisantes.

Et cette pensée me désole.

Je baisse la tête et sors une clope de ma poche pour me la caler au coin du bec. Je sors lentement un briquet, laissant un instant le soin à mon esprit d'aller bêcher un peu dans ces pensées semées là quelques années auparavant. Machinalement, je t'en tends une. Tu la prends avec cette hésitation qui caractérise les hérissons au moment de traverser une deux-fois-quatre voies, puis remettant les mains dans mes poches je coule au cormoran un long regard qu'il comprend. Ma jambe se tend sans que je n'en ai réellement donné l'ordre et par un habile jeu de déséquilibres, je jaillis de l'ombre pour traverser les quais ensoleillés. Lui ne fait rien. Il se contente d'observer les alentours, avise une caisse et y plonge la tête jusqu'à ses ailes dont la seule fonction viable est la décorative. Dieu seul sait ce qu'il y aura vu. Ou cru voir. Ou voulu voir. La postérité se rappellera juste qu'il y resta coincé comme un bleu, incapable de se redresser, et qu'il poussa un glapissement proche de celui d'un lièvre auquel on aurait présenté une petite voiture et qui aurait été rattrapé par les gênes de la préservation. Je n'y prête pas attention. J'avale les mètres d'un pas décidé. Puis d'une voix lasse.

On veut tous les deux se barrer. J'ai de quoi naviguer gratuitement.

Et j'ai du feu pour ta clope.
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    Il a du feu.

    Comme Waka.

    Seul un froncement de sourcil trahit la faiblesse d’esprit de Louise. Encore une fois, elle s’est laissée à penser à sa compagne abandonnée. Mauvaise habitude. Clope entre les lèvres, elle ne demande qu’à aspirer une taffe. Elle a besoin de feu.

    Encore.

    Tss. Ta gueule, Louise. Le feu ça brûle, l’eau ça mouille et pendant que les oiseaux volent dans le ciel, un cri apeuré du cormoran coincé interpelle la blonde. Elle dégage la cigarette éteinte de sa bouche, la coince sur une oreille avant de s’approcher de l’animal pour le décoincer. Elle ne sait même pas pourquoi elle lui vient en aide. Peut-être parce qu’il est tout aussi misérable qu’elle et l’autre grand con. Grand Con. Voilà qui convient parfaitement pour l’apostropher. Peu importe qu’il ait un nom, elle n’a pas envie de le connaître.

    Elle abandonne le cormoran sonné à l’ombre du bâtiment avant de rejoindre à son tour la lumière. Si le type a de quoi voyager gratuitement, elle ne va pas cracher dessus. Du moins, pas sur le moyen de transport. Malgré les longues enjambées de Diele, elle parvient à le rattraper sans difficulté. Il n’a pas pressé le pas, convaincu qu’elle allait le suivre. Agaçant.

    Sans un mot, il lui tend son briquet, elle allume la clope et tire une bouffée de fumée. Curieusement, le volute lui rappelle Rafaelo, son fruit, cette nuit où elle a failli l’attraper. Putain de révo. Avec une pointe d’irritation, Louise balaye la fumée d’un revers de main avant de rendre son briquet à Diele. Derrière eux, un glapissement leur apprend que le cormoran a entreprit de les suivre, déjà remis de sa mésaventure avec la caisse. Une seconde, la chasseuse de prime songe à interroger l’heureux propriétaire de la bête sur les raisons qui le poussent à se balader avec une bestiole pareille. Elle se ravise, elle s’en fout.

    Les deux protagonistes dépassent le cabanon de l’employé des quais. Bien à l’abri derrière sa vitre, il détaille l’étrange couple avec curiosité. Ils n’ont rien en commun sinon une certaine morgue dans leur expression, leur attitude, leur regard. Bien heureusement, ils ne semblent plus s’intéresser à lui. A coup sûr, ils auraient fini par le frapper s’il ne leur avait pas procuré le billet d’embarquement désiré. Comme s’il était assez payé pour traiter avec des individus pareils. Marmonnant contre les dangers de son métier, les primes de risque et autres conditions de travail déplorables, l’homme laisse les deux silhouettes s’éloigner avant de reprendre la lecture d’un vieux numéro du Panda Déchaîné. Avec un ricanement, il lit l’interview d’un célèbre marine qui révèle des secrets bien sordides. Vraiment, le gouvernement emploie vraiment n’importe qui aujourd’hui.

    Ayant déjà oublié l’employé, Louise marche donc en compagnie de Diele. Ils avancent sur les quais, dépassant les imposants navires de croisière ainsi que les quelques bateaux de la Marine. Ces derniers ne sont pas nombreux, Hinu Town est une île tranquille – merci le désert. Lorsque le duo passe un petit navire de pêche, Louise se décide à reprendre la parole.

    « Tu me files du fric, une clope, un voyage gratuit… Je dois m’attendre à quoi maintenant ? »

    Le ton de la blonde n’est pas particulièrement agressif, mais elle ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine méfiance à l’égard de Diele. Elle n’a aucun mal à deviner qu’il est rongé par la culpabilité, mais elle n’arrive pas pour autant à deviner ce qui se passe dans la tête de l’homme. Pourquoi lui proposer de l’accompagner ? Tient-il tant à avoir sa faute sous les yeux pour ne pas oublier ses torts ?

    « Pourquoi tu fais tout ça ? »

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Si tu n'en veux pas, tu peux me les rendre.

Je trouve pas mieux à répondre. Et tandis que tu chasses cette fumée que tu exhales comme à contrecœur, je me demande avec quel ton je viens de dire cette phrase. Est-ce que c'était de l'ironie mesquine ou celle avec ce demi-sourire complice que l'on réserve à certains ? Hé. J'ai pas du lever un mot plus haut que l'autre, comme d'ordinaire. Pas besoin d'en faire tout un plat. Je crois que j'ai jamais été capable de placer un mot plus haut que l'autre de toute façon. J'ai oublié ce que crier veut dire et j'ai souvent du mal à différencier mes pensées de mes paroles. Et certains mots que je crois répéter plusieurs fois n'ont jamais franchis mes lèvres. Les tons de voix m'ont depuis longtemps abandonnés et je n'ai pas pris d'abonnement à l'émotivité vocale depuis quelques années. Qu'est-ce que ça peut bien me foutre que j'ai balancé ces mots comme le millier qui les a précédé ou si j'y ai foutu un putain de sourire en coin ? Hé. Je respire à grandes goulées cette fumée qui causera ma perte pour ne plus trop y penser. Et du coup, je me mure dans une silence de plomb. En accord avec le soleil ; mon lectorat l'aura compris. Toi aussi. Toi aussi tu remarques à mon visage vide et à mon regard fixe que je ne dirai rien de plus.

Et je dois avouer que je suis finalement fier de ces quelques mots balancés, plus haut. Parce que ça répond à tes questions d'une manière détournée. Sans que je n'ai à admettre que je ne sais pas pourquoi je fais tout ça.
Pour t'avoir sous les yeux ? Hé. Peut-être. T'as l'air d'être le genre de gonzesse à attirer les ennuis comme moi les Conneries -te sens pas visé le Cormoran surtout. Et je me dis peut-être que c'est ça qui me pousse vers toi. Toi, tête brûlée qui risquerait de finir calcinée vive si tu ne fais pas attention. Comme ma femme ? Hé. Ce serait trop facile. Tu m'y fais penser, ouais. Mais tout le monde m'y fait penser. Te crois pas unique ma grande. Pas encore. T'as juste le regard un peu plus violent que la plupart et donc semblable au sien, en quelque sorte ; mais t'as aussi cette même tristesse que celle qui pave mon regard de bonnes intentions. Encore faut-il que la tristesse soit de bon aloi. Permets-moi d'en douter. Ou alors... Ou alors oui, c'est juste pour t'avoir sous les yeux. Pour me rappeler que de m'être enfoncé dans cette déchéance m'a amené à commettre la pire atrocité à mes yeux. T'avoir frappé. Je veux pas ma faute sous mes yeux. Je veux juste me racheter. Mais pas t'acheter, si tu saisis la nuance.

J'avance sans rien dire. Quelque part dans ma tête, y'a des projets qui germent et mes fantasmes arrêtent de bêcher ce terreau qu'ils ont si souvent foulé aux pieds sans jamais y mettre les doigts. Ils se frottent les mains, fiers d'eux, et se donnent des accolades heureuses. Je les chasse, agacé. Manquerait plus que ça, tiens. Que je sois satisfait de quitter ces plages et ces toits plats. J'écrase mon mégot dans ma main sans y faire attention et allonge le pas en le laissant tomber par terre. Tu dois peut-être presser le tien, je ne m'en rends pas bien compte. Non loin, y'a un dock qui se découpe contre le ciel bleu. Quelques navires y sont stationnés, mais on devine qu'ils ne peuvent pas prendre la mer. Par ici, il y a plus de monde. On se met à croiser des porteurs de bois, des mecs torse-nus, luisants d'une sueur qu'ils auraient préféré garder pour eux, quelques filles aussi, dont une que j'ai toujours connue travaillant ici et qu'a fini par devenir contremaître. Il n'est pas rare de voir passer une serveuse enjouée dans les rangs pour apporter de l'eau fraiche aux ardents travailleurs. Personne n'a jamais bien su si elle était payée à faire ça, mais en tout cas, il fallait avouer que ça redonnait du courage aux hommes de voir passer cette femme, heureuse comme un pinson, dans une tenue simple à cause des grandes chaleurs. Et tout le monde était à peu près sûr qu'elle y trouvait également son compte à déambuler librement au milieu de tous ces hommes à demi-nus. Elle me salue d'un hochement de tête bref que je lui rends, mais elle s'arrête tout de même tous sourires pour caresser le Cormoran qui ronronnerait presque. S'il l'avait pu. Je continue mon chemin, toi sur mes talons. Tu es observée aussi. Parce que si moi on me connait pour avoir bossé de nombreuses années dans le coin, toi tu es nouvelle. Et je pense que me voir en compagnie d'autre chose que de mon amertume doit les surprendre un peu. Tous sauf un qui vient à ma rencontre en s'essuyant tout ce qui dégoulinait avec une serviette aussi trempée que si la machine à laver avait cassé avant le cycle essorage. Il vient sur nous en me hélant ; je ne vous présente pas. Tu m'excuseras, hein.

-Diele ! Bordel Diele, je pensais vraiment pas que c'était sérieux.
Tu pensais que j'avais ressorti le marteau pour des prunes ?
-Non, Dieu non. J'avais espéré que tu reviendrais bosser avec nous, Diele « frappe qu'une fois ». Simplement.
Je t'ai déjà dit. Je décampe. Pour votre bien à tous.
-Arrête de dire des conneries. Bordel Diele !

Je crois que c'est un sourire que j'ai coulé à cette tête blonde et carrée. Il avait des trapèzes comme les miens. Et je faisais bien cinquante centimètres de plus que lui. Il avait à la ceinture une scie, un marteau, une ponceuse, une boite à outils, sept planches, une cargaison de rivets et de quoi fournir tout l'atelier en vis dans un sac si gros qu'il devait bien faire le double de son poids. Rectification. Le double de mon poids. Une putain de force de la nature qui n'avait jamais accepté de devenir contremaître.
Je le dépasse alors qu'il prend quelques secondes pour te détailler de la tête aux pieds. T'as beau être moins engageante que la petite serveuse dont j'ai jamais connu le nom, y'a des regards d'homme qui ne trompent pas. Et si son visage entier n'était pas déjà baigné de sueur, il aurait humecté ses lèvres rien qu'à croiser ton regard. Il a beau être une putain de force de la nature, tu comprends vite que sa nature est sa faiblesse. Et que sa femme a de quoi s'inquiéter le soir. Il te sourit mais tu fais bien de l'ignorer et de me suivre. C'est pas un mauvais bougre, mais quand il part, l'arrêter est assez chiant. Je lui laisse pas le soin d'embrayer.

T'es mignon. Le navire est prêt ?

A peine une question. Je le sais, je l'ai fini hier avec lui. Je lui ai juste demandé de passer les couches d'huile pour le bois et d'y mettre des draps propres dans la coque pendant que je finissais mes courses. Histoire qu'on puisse y dormir et que les planches ne nous cassent pas entre les pattes.
Je me retourne vers toi. Juste sur ta droite, y'a une petit navire. Pas plus de huit mètres de long, peut-être trois de large, au milieu duquel trône deux mâts simples. L'artimon et la misaine sont affublés chacun d'une voile au tiers. Et si tu sais un peu ce qu'elles représentent, tu te doutes que je n'ai que de maigres connaissances en navigation car elles sont la base en haute mer et les plus simples d'utilisation. Et puis le Foc qui relie le mât de misaine au Beaupré complète ce tableau simpliste. J'aurais pu mettre une figure de proue, mais tu me connais maintenant, du moins je pense. Assez pour savoir que ce n'est pas mon truc.

Et voilà un navire gratuit. Fais tes emplettes, on décampe quand tu le sens.
-Comment ça gratuit ?
La ferme, je t'ai filé presque tout le pognon de l’hypothèque de ma maison.
-Elle valait pas triplette ta baraque mec. Et bordel c'est qui cette fille là ?

Je laisse la question en suspens et m'en vais vers le navire. Le Cormoran reste près de toi, mais ça m'est égal. Quelque part dans le coin, je ramasse ma ceinture de charpentier et me l'attache autour des hanches. Diele « frappe qu'une fois ». Bordel, ça va faire bizarre de partir. Le Cormoran est de nouveau près de moi. Je me demande s'il ne saurait pas se dupliquer parfois. Je le regarde.

Sans regrets... ?

J'ai pas trouvé mieux...
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Louise ne sait pas à quoi elle pensait en interrogeant son nouveau compagnon sur ses motivations. Attend-elle une véritable réponse ? Voilà un espoir aussi vain que la réponse apportée. Elle ne prend pas la peine de répliquer au sarcasme – en est-ce réellement un ? – et continuer à avancer, fumant en silence. Elle ignore le port, n’accorde pas un regard aux charpentiers et détourne les yeux de la rouquine qui vient apporter un peu de fraicheur sur les chantiers. Elle n’a aucune attache à Hinu Town et n’a pas envie d’en créer. Les bleus et les coups de soleil seront les seuls vestiges de son passage ici.

Pourtant, malgré l’indifférence de la blonde, le duo ne passe pas inaperçu. Si la taille de Diele ne suffit pas à attirer l’attention, les pitreries du cormoran prennent le relai, provoquant rires et sourires. L’animal est familier ici, tout comme son maître à qui de fréquents signes sont adressés jusqu’à ce qu’il s’arrête, interpellé par une armoire à glace. L’homme a une carrure qui force le respect et Louise se demande si le poing de Diele n’avait pas été préférable à celui de ce charpentier. Cependant, ce dernier dégage une aura d’écœurante sympathie. Louise ne lui prête pas de réelle attention avant qu’il ne mentionne le surnom du dénommé Diele. Prénom à la con.

‘Frappe qu’une fois’.
Si tu savais…

La jeune femme ne peut réprimer un rictus. Mépris pour un sourire, il vaut à Louise un regard intéressé du charpentier. Sans mal, elle reconnait la lueur de convoitise dans son regard alors que Diele s’écarte pour inspecter son bateau.

« Même pas en rêve. »

La phrase est soufflée calmement, ponctuée par la cigarette qui s’écrase aux pieds de l’homme. Toutefois, sa déception disparait rapidement lorsque Diele revient vers lui pour d’autres détails. Louise n’attend pas la fin de la conversation pour gagner la petite embarcation. Elle n’a que faire des détails et des histoires d’hypothèque.

Le bateau est simple et de bonne facture. La blonde n’est pas une experte en navigation, mais elle doit reconnaitre que le travail de Diele est soigné. Derrière son regard coupable et son poing ravageur, l’homme est un bon artisan. A se demander quand il trouve le temps de dessaouler pour travailler. La pensée tire un nouveau rictus à Louise. Derrière elle, les hommes semblent avoir terminé leurs palabres et Diele et le cormoran rejoignent la blonde. Alors que celle-ci s’écarte, elle se sent légèrement vaciller, pris d’un soudain vertige.

Avec une grimace, elle se détourne, ignorant la question idiote de Diele, et s’assoit un instant. La chaleur et l’odeur entêtante de l’huile qui revêt le bateau lui font tourner la tête. Elle n’y a pas prêté attention jusqu’à présent mais, traitre, son corps s’est rappelé à elle. Stupide faiblesse. Tendant la main, elle attrape l’un des sacs apportés plus tôt par Diele et déniche une bouteille d’eau dont elle avale la moitié en quelques gorgées. Le liquide est tiède et mauvais mais la soulage un instant. Non, vraiment, elle n’aura aucun regret à quitter cette île.

« Qu’est-ce que t’attends pour lever l’ancre ? »

Cette fois-ci, la question est rhétorique. Louise n’a pas l’intention d’aider Diele à lancer les amarres. L’embarcation a visiblement été prévue pour une personne, il peut se débrouiller pour naviguer. La blonde prend une nouvelle gorgée d’eau, renverse une partie de la bouteille sur sa tête et la termine sur le cormoran. Cette imbécile de bestiole serait capable de mourir de déshydratation. L’eau rendrait presque le vent chaud agréable, mais la sensation est trop fugace, le soleil reprenant bien vite ses droits.

N’étant visiblement pas enclin à débattre avec la blonde sur la répartition des tâches, Diele s’occupe de lever l’ancre et, quelques minutes plus tard, les trois protagonistes peuvent voir le port d’Hinu Town s’éloigner. Si Louise en éprouve un certain soulagement, ce soulagement temporaire que la fuite lui a toujours apporté, elle n’est pas certaine qu’il en soit de même pour Diele. Mais ça, elle n’en a rien à foutre.
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