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Baptême de feu

Jour 4. Surveiller ce qui se passe au large depuis les quais. Toujours rien à signaler. Jamais rien à signaler, de toute façon. Je prends sur moi. Je dépéris un peu. Je me néglige. Encore plus que d'habitude, je veux dire. J'ai pas encore squatté une seule fois les douches de la base. C'est crado il paraît de toute façon.

On est un certain nombre de larbins à glander sur les docks. J'connais pas trop mes collègues. Y en a beaucoup qui doivent être dans le même état d'esprit que moi, mais... J'sais pas, j'ai un blocage. Seul homme-poisson de mon régiment, ça doit jouer. Puis j'ai pas de conversation avec les inconnus. J'ai juste un peu parlé à une rouquine qui zone dans mon coin, un peu sympa. Elle tourne encore dans mon secteur aujourd'hui, là elle est derrière moi je crois. J'ose pas me retourner pour vérifier, pas envie de croiser un regard. J'me sens vraiment concerné par ce qui se passe plus loin dans l'île, mais j'me sens obligé de la fermer. Comme s'ils allaient me coller du mauvais côté de l'île si je rouspétais. Je suis sûr que c'est ce qu'ils feraient ces enfoirés. J'évite les regards des esclaves quand je suis forcé d'aller dans leurs secteurs. Y a pas mal d'hommes-poissons parmi eux en plus. Eux je les évite carrément. Lâche. Sale lâche. Âme d'amiral mon cul. Je m'invente mille excuses à la seconde, mais j'en trouve pas de valable.

Protéger des esclavagistes, c'était pas dans le contrat de base. Le boss prétend qu'on protège aussi les esclaves, mais j'pense surtout qu'il cherche à faire taire sa bonne conscience comme il peut. Notre rôle c'est d'être neutres, mais même être neutre ici, c'est pas défendable. Je m'emmerde à mort, et je ressasse sans arrêt la raison de ma présence ici. Je me suis enrôlé pour défendre la veuve et l'orphelin, moi. En l'occurrence la veuve et l'orphelin on les fouette ici. Putain. Y a des gens à protéger dehors. On s'en branle des matons. C'est ça, la force de la justice de la surface ? Une garnison pour protéger les pires enculés de la planète ? Conneries.

Et dire que Tark m'enviait. Tout en débouchant les chiottes du patron, il doit penser à moi, et croire que je vis de grandes aventures à l'autre bout des mers. Bah pour le coup j'aurais préféré les chiottes. J'aurais préféré mettre les mains dans ce genre de merde plutôt que dans celle de cette île. Je sais pas ce que je raconterai au frangin quand je rentrerai au bercail. S'il sait que j'ai coopéré à un business pareil, il va péter un plomb. Il comprendrait pas que j'y peux rien...

Je compte les navires au loin pour me réconforter. Zéro. Zéro. Encore zéro. Un... De nouveau zéro. Y avait un navire qui a ramené une nouvelle fournée d'esclaves hier, mais il a l'air d'être parti pendant que j'avais le dos tourné. Le coquin. Ils m'ont affecté à la surveillance des côtes mais en ce moment j'ai la vigilance d'un poisson rouge sous morphine. Au début, j'errais sur les quais. Maintenant j'bouge plus. Je reste planté à regarder le ciel et la mer sans vraiment les regarder. Un genre de poète. Ils font ça les poètes j'crois.

Je compte les oiseaux. Trois mouettes au dessus de moi. Beaucoup plus au large. Une, deux, trois, qua... Flemme en fait. Le piaf emblème de la marine... Il me nargue en riant au-dessus de moi. J'pourrais presque penser que c'est un signe, une genre de... métaphore. J'crois que c'est le mot. Sacrée faune aérienne, on avait pas ça dans les fonds marins... Quoique les poissons ont un peu le même comportement. Ils semblent virevolter au hasard sans en avoir quoique ce soit à foutre de ce qui se passe autour d'eux. Un peu comme moi d'habitude. J'ai l'impression d'être un extraterrestre. La moitié des enjeux de la surface m'échappe, l'autre me dégoûte. Hum.

Je me tourne vers la rouquine. Elle a un air pensif. On l'est tous, je suppose. Je crois que si personne n'ouvre une parlote, l'un de nous va finir par se tirer une balle. Dommage, parce qu'entre détendre ou plomber une atmosphère, ça a toujours été le second que je savais faire de mieux. Allez, enclenche ton générateur de banalité... Une belle connerie sans intérêt.

'fait frisquet, hein ?

Oooh oui, ça c'est de la bonne platitude. Et c'était timide en plus. J'suis timide parfois. Et je cause avec un ton à déprimer une hyène. Pas doué pour cacher mes émotions. Je sens ma foi s'ébranler à vue d'oeil.
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-Vous êtes sûr qu'il n'y a pas moyen de négocier une mutation sur un autre secteur ?
-Aucune chance, soldat. Vous avez déjà été promue plus rapidement que la moyenne, il est normal que vous terminiez vos classes dans une base relativement tranquille. Soyez-en heureuse, même.
-Je suis prête à me rendre dans un autre QG pour être de mission de plomberie s'il le faut.
-Arrêtez, soldat. Personne n'est à l'aise, ici, qu'est-ce que vous croyez ? Que c'est bandant de jouer les gardes-matons, pour certains ? D'ailleurs, en-dehors du commandant qui fédère un peu tout ça, on ne reste jamais plus de quelques mois ici. Prenez votre mal en patience, et entraînez-vous en attendant. Vous serez vite en première ligne s'il arrive un malheur, et ça sera votre chance de prendre du galon.
-... Bien, sergent.

J'me détourne, mon balai à la main. S'entraîner, hein ? Ouais, on suit la même discipline qu'au QG d'South Blue, c'est sûr. Mêmes heures de lever, de coucher, même bouffe à la cantine, même rituel, mêmes exercices. J'continue à apprendre le métier, mais y'a comme un truc qui a changé dans l'air. C'est comme si tout était silencieux en permanence, et pourtant, ça l'est pas plus qu'un autre endroit. L'air est juste plus épais, plus lourd. On se fatigue vite, on s'énerve, on se bat un peu entre nous pour chasser l'ennui, gagner des punitions pour briser la routine. Ouais, en fait, c'est ça.

On se sent inutiles, profondément inutiles. Et on s'épuise à remuer nos idées vides dans l'éponge molle qu'écrasent nos deux oreilles. On est bien sapés, en uniformes repassés, plus ou moins propres sur nous ; mais intérieurement, on est des loques. Les plus enragés et les plus convaincus se traînent toute la journée. Pas possible de voir à long terme quand on s'emmerde, pas possible d'œuvrer quand on en est à mesurer à quel point on est impuissant.

J'en suis à couler ma paresse sur les murs d'enceinte, en surveillant une mer qu'a l'air d'être là que pour nourrir l'île en esclaves et en soldats (la putain d'ogresse), quand y'a une odeur salée façon mauvais restes de poissonnerie qui s'amène, et une voix qui se pose. J'tourne la tête, j'souris, un peu blasée. C'est l'homme-poisson, le seul de la base. En même temps, c'est aussi le premier que j'vois dans la marine, même si j'savais que ça existait. Toji Arashibourei, pour parler que de lui, il est connu comme le loup blanc. Des mers, plutôt. Héhé.

-Ouais, ça caille sévère.

J'ai pas l'verbe long, mais j'sors un thermos de dessous ma veste blanche. J'dévisse le gobelet, j'le remplis. Y'a une bonne odeur de café qui se diffuse, vite emportée par le vent. Un peu de vie qui rappelle les troquets des villes et l'activité de ceux qui viennent prendre leur petit noir avant d'aller bosser, le matin. J'lui tends la potion magique.

-Fauché dans les cuisines en échange d'un coup de main aux patates.

Et c'est tout. On fait tourner le verre, et on boit en silence. Rien à l'horizon. Pas parler, ça m'pèse pas, c'est déjà plus sympa de s'faire chier à deux. Mais j'sens qu'on s'agite à ma gauche. Alors j'resserre du café.

-Tu le vis pas trop mal, par-rapport aux esclaves ?

Mon art de toujours aller au cœur du sujet au lieu de m'arrêter à des banalités confortables, le tout sans m'en rendre compte tout de suite. Mais pas que. Rien que d'en parler, j'ai l'œil qui se rallume en furtif, mon serpent nommé Colère qui s'agite dans mon ventre, du fond de son coma. Qu'on nous impose ça à nous, encore, pourquoi pas. Mais à une recrue dont le peuple a été salement foulé au pied, c'est plus que pas cool. C'est carrément dégueulasse. C'est comme pousser la victime à aller se faire avocat du diable, et même garde du corps de Satan.

Hum. Non, j'arriverai pas à m'énerver, en fait. J'suis encore trop dans le gaz pour ça. Et pour une fois, j'dois admettre que du fond du cœur, j'préfèrerais. J'me sens pas vivante en-dehors de cette tasse de café qui fait jaillir le sang un peu plus vite dans mes veines. Ça doit être un effet secondaire de la marine, ou de la condition humaine.

J'ai besoin d'agir pour pas dormir.
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Elle tire un thermos de sa veste. C'est du café. Noir. Son odeur se répand et écrase mon propre fumet. Hu, je connais peu de choses capables de faire ça. Elle me tend le gobelet, m'explique d'où elle sort ça. J'lui adresse un "Sympa." furtif par automatisme. Je bois une gorgée du fluide amer, c'est toujours aussi dégueulasse. Mais rapidement ça me fait du bien. Pendant un instant j'me sens repartir et j'oublie un peu ce qui me tracasse. Ça va vite me revenir de toute façon. Je lui retend le gobelet pour qu'elle en profite aussi, autant avoir quelque chose à partager en ces sales heures.

On fait tourner le café plusieurs fois comme ça, le temps semble avoir ralenti pour l'occasion. Le silence s'installe mais à l'intérieur ma conscience me hurle d'agir, d'essayer d'organiser une évasion, d'aller bousiller les contremaîtres et enfermer et fouetter les esclavagistes pour qu'ils goûtent un peu à leurs propres méthodes, de foutre en vrac cette île. Mais ma conscience est une conne naïve, car j'y peux rien, c'est tout. J'ai jamais été plus méfiant que ces derniers jours. Pas envers les pauvres types qui partagent mon sort mais... bah, envers ceux qui ont décidé de notre sort, voilà. Ceux qui ont le pouvoir, et qui pourraient me faire un coup tordu, je suis sûr. Ça vaut cher y paraît, un jeune homme-poisson, dans leur marché de dégénérés.

J'ai honte de moi. J'suis pas patriote, j'ai toujours trouvé mes confrères poiscailles trop bornés et trop fiers, mais ça m'empêche pas de me sentir crade de participer à la tambouille de cette île. L'avait l'air un peu gêné, le commandant, quand il m'a vu dans ses rangs de chair fraîche, le premier jour. Il m'a p'tet pris pour un esclave évadé ou quoi. Surtout vu ma gueule. C'est ce que ça tient à peu de choses tout ça... Juste un uniforme.

L'impression d'avoir l'esprit en bouillie. J'pense à trop de trucs en même temps, alors que je suis lassé et fatigué. Faudrait que j'arrive à me détendre avant que ma cervelle n'explose. Le café fait repartir mon coeur, et me file un peu le vertige. Mais il tient chaud. Rapidement, on le descend.

Elle sert un autre verre, sans que j'aie à lui demander. Et se remet à causer, en attaquant directement là où ça nous fait mal, à tous.

Je grimace, pour le coup j'sais pas quoi lui répondre. Pas envie de passer pour un pleurnicheur, ni pour un dépressif. Pas envie de lui laisser penser que j'en ai rien à foutre quand même. Je crois qu'encore une fois, je réfléchis trop.

Bah, c'est dur. Comme pour tout le monde...

Non non non, ça c'est le genre de réponse toute faite que nos bien aimés supérieurs seraient capables de nous pondre. Faut que je rattrape le coup de suite.

Je croyais que la marine libérait les esclaves. J'me suis pas enrôlé pour... faire ça.

J'me sens trahi. Par la marine, par le monde aussi. Et j'ai l'impression d'être moi-même devenu un traître aussi, envers mes principes, envers mes rêves, puis forcément envers Tark, puis aussi envers ma... race. Ouais, c'est ça, je me sens comme le traître des traîtres au pays des traîtres. "Craig le traître", ce s'ra mon nom de scène quand j'serai amiral. Ouah... J'pense toujours à devenir amiral. Il est toujours là alors, mon rêve stupide. Super.
Une autre gorgée de café. Je crois que cet endroit va me rendre accro à ce truc. Je tends le gobelet à la fille. J'en profite pour l'observer un peu. Elle semble moins agitée que moi, la rouquine, mais je me doute qu'elle bout de l'intérieur. Enfin, je suppose. Elle m'a pas paru être un exemple de self-control ces derniers temps. Mais bon, même si j'sais toujours pas trop pourquoi, ce cirque anesthésie la volonté de tout le monde, c'est comme ça. On y peut rien.
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J'sais pas pourquoi, mais j'l'aime bien, le puant. P'têtre parce qu'il me rappelle subtilement qu'on est pas plus propres que du temps où on portait autre chose que du blanc, peut-être parce qu'il a l'air aussi bien dans ses bottes que des sardines dans leur boite. A l'étroit, pas à sa place, sans honneur. J'le ressens aussi, au fond de moi, sauf que j'attendais rien de la marine.

-C'est pas parce qu'on porte une arme et qu'on est bien fringué qu'on est tout puissant.

Y'a des royaumes indépendants, des gens qui font ce qu'ils veulent et qui ont leur propre armée. On y peut rien. Dur de pas avoir l'impression d'être de gentils bouffons aux yeux plein d'étoiles quand on sait que les puissants, c'est eux. Mais faut prendre les choses pour ce qu'elles sont. La marine, ça fait vivre et ça donne un cadre qui aide à se tenir droit. Ça occupe les mains, et généralement, c'est pour le bien commun. On est dans une situation limite. C'est ce que me dit la colombe Raison de sa bonne petite voix tranquille qui danse sur mes ventricules, et qui réveille un peu plus le serpent Colère. J'réprime un frisson. J'pose le thermos, posée sur les murailles, jambes pendantes, dos tourné vers la mer. J'veux plus la voir. Le silence de son espace infini m'effraie. Et m'attire, surtout, comme le vide face au vertige.

-Sers-toi.

J'ai posé ma blague à tabac, je roule en protégeant ma feuille du vent avec mon corps. J'me concentre sur mes gestes comme j'me concentre sur les règles de l'armée pour pas partir en vrille. Rouler me rassure. Mon geste est sûr, j'suis dans une journée calme, mais trop. J'l'ai lu y'a pas longtemps, et c'est vrai. La vertu, c'est un juste milieu, pas un tout ou un rien. J'allume au briquet, que j'referme d'un mouvement de poignet. Une bouffée, la fumée se barre derrière moi, des deux côtés.

-Déjà, on m'a pas encore demandé de tuer des innocents. C'est pas si mal.

J'ai dit ça à voix basse, en essayant de m'en convaincre. Ça marche pas. Au contraire, l'idée même d'une telle possibilité à ravivé définitivement ma colère et ma culpabilité. Peut-être le café qui joue aussi. Ma main se fait moins sûre. Un doute me traverse l'esprit, comme un coup de vent ou un bras d'honneur adressé à Raison. Prends ça dans ta gueule, salope qui ne domine pas mon cœur, alors qu'il paraît que tu devrais. J'respire fort à-travers ma clope. Je tousse un peu, du coup. Les larmes aux yeux, ça a le mérite de me calmer. Sans me faire retourner à l'esprit embrumé que j'avais tout à l'heure.

-On peut rien y faire, y'a juste à espérer que ça se termine vite. Qu'on sera muté quelque part où les gens auront vraiment besoin de nous.

Okay, j'y crois moyennement. C'est plus histoire de canaliser la rage que j'sens monter, et de pas être complètement hermétique à ce que dégage le collègue. Il a un truc qui me touche. C'est con, hein ? Ouais, mais ça arrive. Pas question de sensiblerie ou d'apitoiement, juste une envie de lui causer à lui plutôt qu'aux autres. Et puis, y'a que ça à faire.

-Puis on sait jamais. Y'aura peut-être une opportunité... une manière de faire quelque chose...

Si jamais un autre genre de navire se pointait à l'horizon.
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Pendant que je me ressers, elle se prépare une clope. J'suis pas fan de la fumée, mais ce serait bien con de lui faire la remarque alors qu'elle est devenue en même pas cinq minutes la présence la plus amicale que j'ai côtoyé sur cette île de fous. Elle parle bien, puis on dirait qu'elle a réussi à garder un peu de raison... Enfin, suffisamment pour dire des trucs un peu sensés. C'est déjà beaucoup. C'est déjà trop pour moi, là.
Gavé de caféine. Ça arrange pas mon état, finalement... Je suis toujours blasé et anxieux, et maintenant je suis tout tendu. J'ai du boire que l'équivalent de deux ou trois verres, mais ça doit être un effet secondaire du mélange de café avec des idées noires, p'tet.

Pendant que je repose le thermos, elle expire sa première bouffée, tout en parlant d'une voix basse qui tente de se rassurer. Tuer des innocents... On le fait déjà, un peu. Indirectement. Par notre inactivité. Alors qu'on se tourne les pouces ici, y a sûrement... j'sais pas... plein d'esclaves qui meurent, plein de tragédies qui se déroulent ici et aussi dans le reste du monde. J'sais qu'on peut pas être partout à la fois, mais le truc c'est surtout qu'on devrait pas être ici.

Elle tousse. Ça m'a fait sursauter. Avec tout ce café et la situation, j'dois avoir les nerfs à vif. J'aimerais bien crier, hurler et jurer mais ça attirerait un peu trop l'attention sur moi. Et putain, attirer l'attention sur moi dans ce coin de tordus c'est bien la dernière chose dont j'ai envie. La peur de jamais pouvoir repartir d'ici libre me quitte pas.
A croire qu'elle lit dans mes pensées. Moi aussi, j'voudrais que ça se termine de suite. A chaque seconde, j'espère voir débarquer l'chef pour nous adresser un gentil et intentionné "allez c'est terminé les gars, rentrez chez vous on en parlera plus, vous pouvez prendre des amnésiques si vous voulez et on vous fera aussi des câlins". J'ose pas penser à l'état dans lequel je ressortirai s'ils me gardent ici plusieurs semaines... Et s'ils décident de me laisser ressortir évidemment, hein... J'espère que j'me fais des films là-dessus, mais ça me tourmente. Une fois que je tombe l'uniforme, j'ai le profil, le physique et l'odeur du parfait serviteur, c'est comme ça. Ça me travaille assez pour que j'puisse avoir envie d'en parler un peu à la rouquine, mais j'aurais trop peur de passer pour un parano. C'est con sûrement... Elle va pas me manger, elle a pas l'air de s'arrêter aux apparences, sinon elle serait pas venu me causer.

Et la voilà qui me parle d'opportunités... Bah, tant qu'à faire. Faut que je sorte un peu de mon mutisme. C'tout moi ça, laisser les autres parler à ma place.

J'espère plus grand chose maintenant. Juste que ça se finisse vite, évidemment, comme toi...

J'ai plus foi en grand chose. Ces quatre derniers jours m'ont violemment balancé la vérité du monde à la tronche, moi gentil requinou naïf qui sort de l'eau pour répandre la paix et l'amour.

Des opportunités... Je jure de devenir croyant si quelque chose de bien arrive ici, tiens. De devenir un... homme-poisson de Dieu... si ça existe. Et si Dieu les accepte, haha...

Promesse en l'air. A moitié. Si quelque chose se passe sur cette île morte, j'serais bien forcé de croire aux miracles de toute façon. J'arrête un peu le café. Je revisse le gobelet. Mon corps est tout excité, mais dans ma tête c'est le formol...
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Oh. Ça sortait tout droit de nulle part ou du ciel, ça. J'en oublie la présence du mégot à demi consumé entre mes doigts, que le vent emporte dans une bourrasque, sur le sillage d'une mouette. Faut croire qu'on est sur la même montagne, toi et moi, c'est bien, ça me change. J'exagère. J'ai fait de belles rencontres dans ma vie, et une en particulier qui m'a donné le goût du soleil et de la marche en position droite.

Celle de Dieu, comme tu dis. Je me demande si t'as vraiment parlé de ça par hasard.

-Il accepte tout le monde, Dieu. Faut pas croire les connards qui te disent l'inverse, ils ont rien pigé.

J'ai encore les formules de prédication de ma récente carrière de none itinérante qui me reviennent, sauf que c'est pas question que je les utilise. Je parle en mon nom, et au nom de celui dont j'ai éprouvé la présence. Pas au nom d'une Église, Juste Violence ou pas. D'ailleurs, j'ai jamais trop fait le lien entre mon expérience et la brutalité de leurs méthodes. J'crois que ça allait juste bien à mon petit égo bien belliqueux, de penser qu'il pouvait être dans la bonne voie tout en refusant de se transformer radicalement. Ça m'a pas fait trouver la paix. Bon, okay, je la cherche encore aujourd'hui, mais la marine me force à  la faire, cette transformation. J'suis ici parce que je suis une itinérante, et j'laisserai personne derrière. Enfin, dans l'idéal, hein. J'suis encore loin d'être une sainte, et les trois quarts des gens que j'croise, j'arrive même pas à leur parler sans avoir envie de leur enfoncer leur orgueil et leur connerie dans les tempes à coups de botte.

-Je prierai pour toi, à l'occas'. Si t'as rien contre.

Ça vient du cœur. Que ça serve à quelque chose ou pas, ça compte pas. Ce qui vaut, c'est qu'en faisant ce genre de gestes, on pense plus aux autres et moins à soi. On se rapproche de la source, on apprend à rester du côté de ce qui compte vraiment. Regarder le monde d'un œil neuf, avoir envie de vivre, être remplie d'insolence face au tragique du monde. Quoique. J'sais pas si j'invente pas un peu, là. Je crois pas que j'arriverai à abandonner mon feu et ma rage, j'y tiens trop, dans le fond. A ma petite bête nommée Colère qui me ronge les circuits depuis les tripes jusqu'aux neurones. Sinon, j'l'aurais pas si bien nourrie aussi longtemps. J'y peux rien.

Je vis parce que je suis une boule de cendres chaudes.

J'laisse le collègue gamberger, ça se respecte. J'retourne mon regard sur la mer. Le ciel qu'a l'air sphérique à force de s'étendre vers le rien, et d'être comme limité par la terre oppressante de l'île. Mais mon regard perdu dans le vague converge d'un coup vers un point à l'horizon. Un point qui s'avance sacrément vite. J'chope la longue vue qui traine par terre, je braque. Un drôle de pavillon pas franchement identifiable, la coque a l'air minable. Il y a un homme qui agite quelque chose qui ressemble à une torche. Ou à un drapeau blanc ? Des naufragés ? Le miracle qu'attendait le collègue ? Eh. Dans tous les cas, un imprévu. J'fais tourner la lunette. A ton expression, j'vois bien que je me plante pas. On va faire quelque chose pendant au moins les heures qui viennent. On rendra peut-être même un peu service. Alors on descend du mur d'enceinte en évitant plus ou moins les escaliers, et on court annoncer la nouvelle au commandant.

Les joies du métier.
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Elle prend ma remarque sur Dieu vachement à coeur. C'était juste une mauvaise blague pour détendre l'atmosphère, un peu. Marrant, même quand j'essaye d'apaiser l'ambiance, je la plombe un peu plus sans le vouloir. J'ai pas de chance. On dirait qu'elle est croyante. Je sais pas trop quoi en penser, j'ai jamais vraiment rencontré de gens qui pensaient à ça. A Dieu. Normal, dans les fonds marins, y a pas de ciel. Pas de nuages et pas d'étoiles qu'on peut regarder en s'imaginant des trucs. Même si moi-même je me demandais parfois. S'il y avait un destin, si on était guidés. Mais depuis que je suis sorti de ma bulle d'homme-poisson et que j'ai découvert la surface et tout ses travers, c'est clair que non. J'vois pas pourquoi on m'aurait guidé i... Ah. Une épreuve divine, peut-être. Pour tester mon... ma... j'sais pas, pour me tester. Ce serait un peu arrogant et salaud de Sa part, quand même.

Et la rouquine dit des trucs bizarres, maintenant. Un peu comme si j'avais touché un point sensible sans faire exprès et que ça la faisait disjoncter. Prier pour moi ? Bizarre. On se connaît pas depuis très longtemps, alors que c'est quand même une sacrée faveur. Je suppose.

Euh, non. Y a pas de souci. Merci.

J'me retrouve un peu gêné. Pas le genre de gêne qui fait rougir, plus celle qui malaxe encore un peu plus la bouillie qu'on a dans la tête. Elle est cool, mais j'ai strictement aucune idée de ce à quoi elle peut penser, maintenant, tout de suite, avec ses histoires de Dieu. Ça me fait toujours un drôle d'effet de me retrouver face à quelqu'un que j'aime bien mais qui m'échappe, cette impression d'être... largué. C'est vrai que j'suis souvent à côté de la plaque ces jours-ci. Puis encore une fois, j'la connais que depuis dix minutes... Tout ce que j'sais, c'est qu'en me faisant penser à Dieu, elle a réussi à me sortir de mes idées noires pendant quelques secondes. Rien que pour ça, ça valait la peine.

Elle se retourne vers la mer... Faudrait que j'lui demande son nom un jour quand même. Mais ça suppose de lui donner le mien en retour. Putain, si même ce genre de pauvre échange me dérange maintenant, j'suis bon pour sortir d'ici névrosé et définitivement parano. Beuh, la voilà qui s'excite. J'ai raté quelque chose ?

Oh... Quelque chose, à l'horizon. Je plisse les yeux pour essayer de voir ce que c'est, mais ça sert à rien. La fille me tend la longue-vue. Ouais, ça va être plus facile avec ça... Un bateau, assez triste. Et sobre. Ils ont un pavillon, mais il est encore trop loin pour en tirer des conclusions. Je me sentirais con si juste au moment où on parle de Dieu, il descende me faire un petit coucou. Ça me déciderait à penser pour de bon que toute ma vie est juste une grosse, gigantesque ironie. D'un autre côté, si c'est vraiment le cas... Enfin, rien de bien excitant pour l'instant. Juste une coquille de noix qui arrive. Si ça se peut, juste encore un navire esclavagiste... Mais dans le doute, je suis instinctivement le mouvement de la rouquine qui se précipite en bas de la muraille. Si ça peut nous occuper un peu, quoique ce soit, je dis pas non. J'espère que c'est le salut que j'croyais pas voir se pointer, mais je m'emballe pas car j'ai déjà eu plus que ma dose en désillusions ces jours-ci.

On file dans la base. Je fais semblant de connaître le chemin vers le bureau du commandant, mais en fait je la suis comme un clebs. Les quelques soldats qui traînent dans les couloirs ont l'air surpris de nous voir débouler à bonne allure. C'est qu'ici on apprend vite à ne plus marcher qu'en traînant les pieds, et qu'on trouve ça dingue quand quelqu'un a un sursaut d'énergie.

Monter les escaliers. Ah ? Non. J'pensais pas que le bureau du commandant était au rez-de-chaussée... Je l'imaginais peut-être perché au dernier étage, ou dans une tour d'ivoire. Mais non, rez-de-chaussée, à côté du secrétariat. Casser un mythe. Toc toc. J'suis pas super à l'aise. Je sais pas comment je suis censé me présenter à un commandant. "Soldat de première classe Kamina" ? Ça fait super pompeux. Mais la marine est pompeuse, en plus d'être une salope. Alors je crois que ça va. Maintenant que j'y pense... Ça servait peut-être à rien de frapper à la porte. J'me tourne rapido vers Rouquine.

'paraît qu'il est sourd au fait, il a p'tet pas entend...
Entrez !

Bon, cette fois, j'aimerais qu'il m'ait pas entendu. On pénètre dans le bureau. Au rapport. Ce bateau... J'espère de tout mon coeur que le boss l'avait pas prévu.
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-Un navire non identifié en vue, commandant !
-Du calme, prenez le temps d'entrer, soldats. Vous dites ?

Il est calme, il a ses habitudes. En même temps, on raconte qu'il est là depuis des années. Ça fait froid dans le dos. Et pourtant, il a l'air d'être resté droit dans ses bottes. Barbe blanche bien taillée, cheveux peignés, odeur de savon, uniforme brossé et repassé. La routine exaspérante de la base ne l'a pas tué. Pourtant, on voit qu'il a vécu. Il a des cicatrices sur les mains et celles de sa gorge se perdent dans sa barbe. Un fin de carrière, ça confirme plus ou moins l'impression que j'avais eu en le voyant de loin. Réflexe, j'me mets au garde à vous pour faire mon rapport. Le collègue m'imite.

-Nous venons d'apercevoir un petit bateau à l'horizon. Il n'a pas l'air d'appartenir aux esclavagistes, vu sa taille, on croirait plus à un navire de pêche en dérive. A bord, quelqu'un avait l'air d'agiter des torches ou des drapeaux, comme s'il cherchait de l'aide. Il avançait rapidement, mais sur une trajectoire incertaine.
-Fort bien. Aucune arrivée n'était prévue aujourd'hui, ce doit bel et bien être un navire en perdition. Attendez.

Il trempe sa plume dans l'encrier, rédige une missive d'une écriture fine et rapide. La plie en deux, me la tend.

-Tous les deux, allez trouver le sergent Dharm. Vous l'accompagnerez à bord du navire de secours qu'il choisira d'affréter. Assurez-vous qu'il songe à emmener un médecin, il pourrait y avoir des blessés. Je suis désolé de ne pas pouvoir vous rejoindre immédiatement, il faut absolument que je termine ce rapport pour aujourd'hui. Mais en cas de problème, venez me trouver. Rompez.

Sur un « bien commandant ! », on se met en mouvement, presque en courant. Le requin est un peu moins vif que moi, mais j'ai quand même l'impression qu'un peu de nouveauté lui fait pas de mal. A moi non plus. J'y crois pas trop, à cette histoire de naufragé, pas plus que ça, mais si c'était vrai, faudra bien admettre qu'on aura eu une utilité. Sans nous, peut-être que les survivants auraient été récupérés par les matons et réduits en esclavage ? Ouais, pas impossible qu'on soit un peu comme un grain de poussière jeté dans les rouages de leur toute-puissance à peine contestable. Une menace. « On approuve pas vos conneries, à la première autorisation venue d'en haut, on se fera une joie de tous vous planter ». L'assurance que ces enfoirés dorment pas sur leurs deux oreilles. Mais aussi la clef de leur sécurité à tous face aux dangers des mers.

De quoi donner à haïr les positions intermédiaires.

On trouve le sergent en train de glander sur une chaise dans la cour, à faire semblant de passer les armes de ses hommes en revue. Il est pas mal bricoleur, il a l'air de s'amuser à s'occuper les mains comme ça. Tant mieux pour lui. On le salue, j'lui tends la missive. Il se lève tout d'un bloc.

-Qu'est-ce que vous attendez, soldats ? C'est une urgence, préparez le petit patrouilleur ! Exécution !

Il s'en va rassembler les hommes et ses idées, on s'en va vers le quai. Ma première mission au large, y'a de quoi être enthousiaste, même quand on est de caractère prudent. Ça va me changer des égoûts et des chiottes du QG... [/b]
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On ressort du bureau. Sourde oreille semble... sympa. Ça va. Je l'avais jamais vraiment vu ni entendu en dehors de ses discours de "bienvenue", alors je l'imaginais comme les autres gradés, un peu coincé du cul. Mais en fait non.
La rouquine pense que ce sont des naufragés, apparemment. Ça me plairait bien. Les recueillir, les aider, leur faire un chocolat chaud, les laisser nous raconter leur histoire. Une occasion de montrer un peu de bonté et d'écoute dans un monde d'enculés sourds aux souffrances et aux doutes des autres, en somme... Une lumière dans les ténèbres. Ouais, ça sonne bien ça. Toute petite bougie qui s'allume subitement et qui fait fuir tout l'obscurité, le drame de notre situation. Un espoir. J'savais que j'étais poète.
En route pour l'aventure donc, j'espère.

Dharm est dans la cour, avec les armes de ses gars. Encore à faire semblant d'être occupé. Un petit salut réglementaire, puis on lui adresse notre nouvelle, qui le fait bondir. C'est bien ce que j'pensais, on est tous dans le même état ici. Tellement blasés qu'on veut des problèmes, des anomalies, de l'action. Des trucs funs. Qui nous font un peu oublier ce qui se passe au centre de l'île.

Qu'est-ce que vous attendez, soldats ? C'est une urgence, préparez le petit patrouilleur ! Exécution !

Go. Le quai, je sais où c'est. J'suis pas complétement incompétent et paumé. On file. Moi devant pour une fois. J'ai hâte de prendre la mer. Même si au final, on se dérange pour rien, ce sera cool de faire comme si on repartait d'ici. Puis, plus loin j'me tiens de cette muraille, mieux j'me porte, même si c'est que temporaire. Loin des matons, je me sens plus en sécurité, et mon âme se sent moins sale. Une autre illusion, mais elle me fait du bien, celle-là. Ça faisait quelques jours que je m'étais pas senti un peu moins pensif, et plus actif. Dans mes veines, cette sensation qu'on aura p'tet l'occasion d'aider quelqu'un ou quelque chose contre toute attente... Elle a pas de prix. Pas de valeur marchande. Contrairement aux gens. Hu.

On grimpe sur le petit navire de patrouille affilié à notre régiment, on commence les manoeuvres. J'vais hisser la voile. J'devrais pas m'emballer, mais je me sens un peu mieux. Je suis... excité. Plus dure sera la chute, si c'est une fausse alerte. Mais m'en tape. J'suis tellement désespéré que je cède volontiers aux faux espoirs, là.

Cette impression d'adresser un doigt d'honneur à un destin qui se foutait de nous... Génial. Oh, c'est vrai... que ça pourrait être lui qui nous envoie le réconfort que l'on cherchait. Désolé, destin. Ou Dieu, je sais pas trop comment tu veux qu'on t'appelle. Tiens d'ailleurs, j'en profite...

On s'est pas dit nos noms. Moi c'est Craig.

J'ai engagé, pour une fois. C'est moi qu'ait délivré mon prénom le premier. Rapidement, le sergent débarque, accompagné d'une poignée de soldats, comme nous. Dans le sens que ce sont sûrement des pauvres types aussi, j'veux dire.

Tout le monde à son poste. On appareille !

Ça s'active. J'reste à côté du mât, tourné en direction de la mer, je mate la chose au loin, qui grossit maintenant à vue d'oeil.

Et restez vigilants !
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-Moi c'est Serena.

Un détail que j'oublie pratiquement tout le temps, ça, les présentations. C'est pas essentiel. C'est pas quelque chose qui parle de ce dont on a vraiment envie de parler. Mon prénom, il me renvoie direct à la connerie profonde des parents que j'ai pas vraiment connus, au cynisme du monde qui aime bien se foutre de nous, et à la formulation implicite d'un idéal qui me nargue du coin de l'œil et que je suis pas prête d'atteindre. La sérénité. Je l'atteindrai pas parce qu'il me parle pas, et je saurais pas dire pourquoi. Le sentiment est mille fois plus dense que les mots, sauf qu'il libère pas si on arrive pas à le dire à un autre. Encore une couche d'ironie étalée sur la tartine, qu'est ragoutante mais salement dure à avaler.

Mais bon, c'est pratique, hein, j'dis pas.

Bref, on s'active à bord, on gère les voiles, on progresse aussi vite que le vent le permet vers le navire en galère. Lapsus, oui. A la dérive, plutôt. Certains des naufragés se sont plaqués contre le bastingage et tentent de dire quelque chose, mais ils ont le vent de face, leurs voix sont balayées en sens contraire. Mais on tarde pas d'être à leur hauteur, d'arrimer notre bateau au leur, de placer des pontons en bois pour faire liaison. On est motivé, alors on est efficace. Et le sergent a pas tout à fait le temps d'en placer une qu'une grande clameur s'élève, dominant les pêcheurs soulagés. Parce que c'est bien ce qu'ils ont l'air d'être. J'cherche Craig du regard, histoire de partager mon sourire avec quelqu'un. Je l'aime bien, le requin. Il parle pas pour rien dire.

-Merci les gars !
-Filez nous un coup de main par ici s'il vous plait, on a deux blessés !
-Pute borgne de bonne mère...

On se précipite avec la civière, Craig et moi, trop contents de faire quelque chose d'un peu louable. Nos bottes cognent sur le pont, on récupère un grand bonhomme qui se tient le ventre en râlant. J'frémis. Il est couvert de sang, ça dégouline jusque par-dessus ses bras serrés. J'ai envie de savoir, mais j'aime mieux me taire. C'est malsain. Ça grouille pas de monstres marins, et c'est pas une zone de pêche. Il leur est arrivé un truc. L'équipage est trop joyeux pour être honnête, c'est bizarre. Comme s'ils allaient se mettre à pleurer si jamais ils arrêtaient de rire et de crier hourra. J'vois pas tout en noir, c'est pas vrai. Ou alors, c'est mon intuition qui me guide vers la voie de l'ombre. Mais ça reste. J'peux pas tout à fait partager l'énergie ambiante, parce que je la sens pas tout à fait positive. Et puis même, j'ai toujours été un peu en retrait des fêtes depuis la mort du frangin, même si c'est qu'en pensée et pas dans les actes.

Parce qu'on court presque avec la civière chargée, qu'on dépose délicatement à notre bord. Opération terminée, reste plus qu'à traîner le navire endommagé jusqu'au port. En attendant, tout le monde fraternise un peu sans lâcher les voiles. A côté de nous, y'a celui qu'j'avais entendu jurer. Il marmonne dans sa barbe poivre-sel tâchée de tabac jaune. J'le regarde mieux. C'est bizarre, il a pas l'air d'un dément. Il a pas l'âge pour être sénile, je pense pas. Mais j'sais qu'il y a souvent au moins un mec qui sait pas faire semblant, dans un groupe. Le Grey T. tuait ces types là. Les moins propres au mensonge, les moins propices à la survie.

J'dis rien, mais j'remarque juste un truc. Quand Craig s'est approché de lui pour manipuler la grand voile en vue des manœuvres d'appareillage, il a sursauté, et s'est décalé d'un bon mètre. J'flaire une embrouille, vraiment.
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Serena. Ça me fait penser à sérénité. Mais ça lui va pas. Ça irait à personne, personne connaît la vraie paix intérieure, c'est pas possible. Hmm, on choisit pas son prénom de toute façon. Si c'était le cas, je m'en serais donné un encore plus bref. Genre C, juste C. Viser au plus facile et rapide à prononcer. J'fais le difficile là...
On approche du bateau. On dirait que ce sont bien des naufragés. A leur hauteur, on les aborde. Ils semblent soulagés. Et joyeux... J'pousse un soupir et m'autorise à amorcer un sourire. J'vois Serena qui cherche à m'en adresser un. Alors, je la regarde et j'achève le mien en réponse. Mes sourires sont pas des plus agréables. J'espère qu'elle l'interprétera pas mal.

On s'empare de la civière, Serena et moi, et on déboule sur le navire accompagné des collègues et du sergent, sous un torrent de cris de joie. Ce moment... C'est lui que je raconterai à Tark. Un modeste jour où tout allait mal, mais qui a finalement décidé de faire de moi un héros le temps de quelques minutes, comme si... Comme s'il voulait se faire pardonner. C'est ok, destin. T'es tout excusé. On s'approche d'un des gars qui semble le plus touché. On le voit de loin, il est tout rouge.

J'regarde un peu sa blessure et je réprime un haut-de-coeur. Maudite soit ma sensibilité... Autant les mauvaises idées que les mauvaises images, j'peux pas. Faudra que j'm'y fasse, si je veux finir ma formation de médecin un jour. Y a un gars plus compétent que moi qui va les prendre en charge, pour l'instant... Comme d'hab, je fais rien moi-même. Je peux juste savourer l'instant présent... Aujourd'hui, on a pu sauver des vies. Mais un truc me froisse... Foutue parano. Tais-toi.

Je m'approche de la grande voile. J'me débrouille en manoeuvres. C'est que j'avais hésité entre une carrière de navigateur et une de toubib quand ils nous ont proposé les apprentissages. J'ai vite pris le second sans plus hésiter... Les bateaux, j'm'en fous. J'sais nager. Normal. Par contre, avoir le pouvoir de faire des pieds-de-nez à la mort, c'est juste génial, et pas donné à tout le monde. Protéger et sauver, c'est une des raisons qui m'ont poussé à enfiler cet uniforme tâché de sauce. Mais aussi de trucs plus crades désormais, comme du sang. Le sang de ces pauvres types... Puis le sang des esclaves qui meurent à chaque seconde pendant qu'on couvre leurs matons, métaphoriquement parlant. J'vais finir par plus penser que par métaphores ou quoi ? Peut-être que la none déteint sur moi.

Pardon.

J'ai effrayé le barbu... Il était assis par terre, il a fait un sacré bond. Ma tête a pas du lui revenir. Ces types sont en état de choc, j'comprends qu'ils aient pas besoin de ça... Je suis sûr qu'il ferait une crise cardiaque si je lui souriais, alors j'pense même pas à tenter de le rassurer avec ça. Je l'observe encore un instant. Lui s'est tourné à l'opposé. Il doit savoir que j'le mate mais évite mon regard. J'aime pas faire peur aux gens. J'ai pas encore eu le temps d'intégrer qu'ici requin = méchant, danger, mal absolu. Faut que ça rentre... Chiant de devoir penser à ça alors que de base, en tant que marine j'suis censé être considéré comme une... présence rassurante...
...Non, c'est pas vrai. Sur l'île des esclaves, les marines sont les chiens de garde de l'enfer. Alors finalement, ouais, on peut dire que j'ai le physique de l'emploi. Tout en gardant, bien sûr, celui du parfait esclave... J'aurais jamais cru avoir une apparence aussi passe-partout, merde. Ça, ça prouve définitivement que c'est un monde de fous.

Les autres ont fini d'installer le bazar de remorquage, alors on fait demi-tour. On va moins vite, le vent est plus en notre faveur. Fais chier. J'ai hâte de savoir ce qui leur est arrivé. J'crois pas que ça me changera les idées positivement. C'est sûr qu'ils cachent quelque chose mais je sais pas trop quoi. Un gros traumatisme ? On les a attaqué ? J'appréhende un peu, puis je peste contre mon esprit qui me laisse jamais au repos, et j'en viens à me souvenir qu'on revient... sur cette île merdique. Mon entrain se dissipe en quelques secondes. Je zyeute du côté de la rouquine pour voir ce qu'elle fait et essayer de deviner ce qu'elle pense, même si je sais bien que c'est peine perdue.

On trace. Et moi, je me pose un instant sur la balustrade pour me forcer à voir le bon côté des choses. J'voulais de l'action, quelque chose de surprenant, d'inconnu. Et, même si ça me paraît toujours aussi dingue, aussitôt dit, aussitôt fait. Monsieur est servi. Monsieur est satisfait ? Non, putain. Je suis sûr que quelque chose cloche, mais j'sais que ma névrose naissante doit jouer sur ma perception...

J'écoute plus les bavardages autour de moi. Je tourne la tête, pour voir si on est encore loin des quais. Puis je reste dans ma position. Fixe. Pas totalement, comme ça tangue. Avec ces secousses, j'vais terminer avec un torticolis, moi. Il m'occupera p'tete un peu. Foutu jeune blasé que je suis... Me collerait bien une baffe pour m'obliger à me souvenir de mes rêves naïfs mais tellement beaux, mais comme ça devant tout le monde, ça ferait un peu fou.

On arrive. Je saute de la barrière, en tentant de feindre l'énergie et la motivation. Et je file aux civières, le boulot est pas terminé, faut que je me regonfle. Ces types ont besoin de moi... De nous.
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Une fois l'ancre jetée, tout le monde à terre et le sergent parti en tête en compagnie des maîtres d'équipage des pêcheurs, on se retrouve un peu livrés à nous-même avec les hommes valides. On a bien fini le travail en emmenant les blessés à l'infirmerie, mais les médecins ont pris le relais. Vu la gravité de certaines blessures, normal de pas confier la vie des gens à des soudards forcément un peu maladroits et brutaux. J'comprends ça ; c'est c'qu'on a fait de nous, pour le meilleur et pour le pire. Craig tire un peu la tronche, il a l'air déçu. Pour nous, on dirait que c'est fini.
Mais du coup, c'est aussi le bon moment pour se faire raconter l'histoire. On en meurt tous d'envie. J'suis même pas la première à faire le pas, c'est un autre première classe qui s'y colle. De toutes façons, il y a un jeune dans le lot, le genre trois poils au menton et un sourire qu'a jamais connu la pluie accroché aux oreilles. Il en crève d'impatience, de raconter son aventure.

-C'était dément ! On pêchait la sardine au large d'Hinu Town, pour en faire des conserves. Une pêche au filet, c'est facile, et ça permet de remonter gros ! Faut juste prendre le temps de bien réparer les trous avant... enfin ! On en a remonté un qui s'agitait bizarrement, c'est un truc qui arrive quand un prédateur se prend dedans, il faut réagir vite, sinon on abîme le matériel et on perd la journée de pêche. Parce qu'en plus, il fait fuir les sardines de la zone pour un moment ! Enfin, on a pas remonté ce qu'on croyait. Le filet était tout déchiré, et il y avait... un homme écrevisse suspendu au bout ! Promis que je vous raconte pas des crasses ! Il avait une seule grosse pince, un corps tout recouvert d'une coquille rouge, et des petits yeux méchants !

D'un coup, tout s'éclaire. Ils se sont faits attaquer par ce qu'ils ont d'abord pris pour un gros poisson, jusqu'à ce qu'il bondisse sur leur pont et se matérialise devant leurs yeux sous la forme d'un crustacé géant, marchant sur deux pattes. Craig encaisse la révélation comme il peut, j'résiste à l'envie de lui coller ma main sur l'épaule en matière de soutien. Pas envie de paraître condescendante, encore moins envie de marquer le clivage entre sa race et la mienne. Y'en a pas, d'ailleurs, c'est juste du délire tout juste bon à argumenter en faveur de l'esclavage. Du coup, je le regarde même pas, par respect pour son orgueil. Rien de pire que les orgueils blessés. Y'a des fois où je me demande si c'est pas par peur de briser un orgueil que l'on évite au maximum le contact avec les gens, dans les rues des grandes villes. Ou alors, c'est juste moi, avec ma tête de paria et mes yeux trop cernés pour être ceux d'une fille de bonne famille. Bonne blague.

-Après, il a blessé Fred et Terry, parce qu'ils cherchaient à protéger le navire, et il a commencé à s'attaquer à la coque. Il a cassé notre gouvernail et nous a poussé dans un courant qui nous a fait dériver à toute vitesse, jusqu'ici ! On ne l'a pas revu, on ne sait même pas pourquoi il a fait ça.
-Une race de sauvages, il n'y a rien à expliquer ! Ils détruisent pour le plaisir !
-Du calme, grand-père !
-Grmmb.

Le vieux regarde Craig, salement circonspect. J'me sentirais mal de m'laisser lorgner comme ça, comme un bout de bidoche encore un peu trop vif pour ne plus présenter le moindre danger. J'remarque que d'un autre côté, le môme a collé sur tout le monde l'étiquette « ami du peuple des hommes-poissons », alors même que j'doute fortement que ce soit vraiment le cas. Moi-même, je m'en tape un peu en fait. Poisson, borgne ou chauve, tant qu'il y a homme dedans...

-Y'a toujours des exceptions pour confirmer la règle.

C'était peut-être sensé calmer le jeu, mais c'est encore pire, comme réponse. On le sent tous plus ou moins, alors, on se décide à conduire tout le monde à la cantine. Manière de reposer un peu les esprits et de boire un coup. Pour une fois, on aura un prétexte pour taper dans la réserve de rhum, réservée à la cuisine et à la médecine.
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J'écoute l'histoire du jeunot. Il est excité et joyeux. C'est le moment qu'on attendait le plus. Le plus excitant dans un sauvetage de naufragé, c'est quand on découvre comment ils en sont arrivés là. Hmm, mais comme j'm'y attendais, ça aurait de quoi foutre un peu plus le cafard. Encore une histoire d'homme-poisson qui a pété un plomb. A force j'ai l'impression que ça arrive tout le temps, et à entendre parler les humains j'ai la sensation d'être le plus correct des compatriotes. C'qui est faux, c'est certain. La violence, les réactions exacerbées, ça me connaît.

Le vieux craintif de tout à l'heure s'excite, maudit ma race de sauvages. Ça m'explique mieux sa réaction, au moins. J'suis un peu trop blasé pour en penser quoique ce soit d'autre. Même si ça me fait un peu mal de toujours en revenir là, ce qui me gène le plus, pour l'instant, c'est d'attirer les regards sur moi. Quelques coups d'oeil furtifs des copains, qui détournent vite leur regard quand je leur rend, et bien sûr les naufragés qui me fixent plus ou moins. Des regards de tout types, alors je sais pas trop comment les interpréter. J'essaye même pas. Je remarque que Serena se tourne pas, et reste concentrée sur les pauvres gars. J'pense pas que ce soit parce qu'elle est trop gênée pour le faire. J'imagine qu'elle croit préférable de m'épargner ça. C'est cool. J'suis habitué aux quolibets et aux préjugés, mais les regards ça blesse toujours autant. Si elle a compris ça, c'est que j'suis définitivement tombé sur la bonne personne. Je tente de faire celui qui en a rien à foutre mais j'suis trop expressif pour ça, la grimace est déjà partie toute seule.

Le même barbu qui tente maintenant de se rattraper comme il peut. J'aimerais bien lâcher que c'est pas grave mais j'sais pas comment formuler l'affaire. Puis ça m'étonnerait qu'il soit complètement sincère. L'est encore sous le choc. La merde là-dedans, c'est surtout qu'ils doivent tous penser que j'me sens honteux, ou au contraire que je bous et que j'ai envie de tous les bouffer. Plutôt le second, j'imagine, vu la réputation de ma race. On est tous violents, tiens. Par curiosité, j'aimerais bien voir quel tronche tirerait le vieux si je lui disais que j'vais devenir toubib. Mais les collègues ont décidé de partir se poser un peu à la cantine, alors ce sera pour plus tard. Et c'est volontiers que j'croquerais un truc. Je suis le mouvement. On bouge vers la cantine. Rapidement l'atmosphère s'apaise un peu, et certains soldats recommencent à parler aux naufragés comme si de rien n'était. J'ai peur de me faire de nouveau remarquer maintenant. Ceci dit, c'est pas comme si j'avais moi-même quelque chose à leur dire. Je reste près de la rouquine, vu que c'est maintenant celle que j'connais le mieux. Puis sa mentalité... Elle est rare. Genre, le premier humain qui me considère pas tout à fait comme un prédateur endormi. Mais de mon côté, j'sais pas encore trop comment la voir... Elle est croyante, elle cause pas beaucoup, elle semble dotée d'un respect sélectif, qui reste la meilleure forme de respect à mon goût. Pour une simple soldate, ça fait beaucoup. Elle doit avoir un vécu, je suppose.

On débarque dans la cantine, donc. Tout le monde part se servir dans la cuisine, accompagné des naufragés. Les quelques cuistots qui campent ici voient notre troupe débouler, sont surpris et font d'abord quelques réticences, mais capitulent rapidement une fois qu'on leur a expliqué d'où viennent nos invités. Tournée générale. Du rhum. Et des gâteaux secs. Je me sers moi-même, je prends des biscuits que j'envoie dans ma bouche et que j'pulvérise avec mes dents. J'suis p'tete de mauvaise race, mais au moins je mâche vite, eh. J'prends pas de rhum, je sais pas si ça fait bon ménage avec une overdose de café. Le malaise a pas duré trop longtemps. Bien vite, ils cèdent à l'ambiance festive. J'reste quand même dans mon coin et m'approche pas trop. Le môme s'approche de moi et me prend de court.

Eh ! Désolé pour tout à l'heure, gars-poisson. Papy pensait pas ce qu'il disait, il a bien failli plomber l'ambiance.
C'est pas grave, j'comprends.
Génial, ce rhum à volonté ! On a eu de la chance de tomber sur ce coin !
Hmmm.

J'm'attendais pas à ce qu'il vienne demander pardon pour son papy. Comme c'est mignon. J'acquiesce nonchalamment et complètement hypocritement, pour pas faire retomber la joie ambiante. Le gamin retourne à la picole. S'ils pensent être tombés sur un endroit chaleureux, autant que ça dure, jusqu'à ce qu'un des collègues leur parlent du lieu ils ont échoué, un endroit où on trouve des esclavagistes, une espèce encore plus impitoyable que celle des hommes-poisson. Ça me ferait mal de gâcher cette ambiance là. Je m'approche de Serena.

Faudra aller faire notre rapport au commandant... mais ça doit pouvoir attendre un peu si tu veux. Ou j'peux aller le faire seul.

J'sais pas trop si elle s'amuse, alors je lui laisse le choix. De toute façon, tout le monde a le choix ici, huhu. Pour une fois. C'est rare dans le coin. Voilà, c'est déjà fini... Un peu déçu. Mais excepté le p'tit incident qui a du leur paraître gros, c'était cool. J'dois arrêter de réfléchir et essayer d'apprécier les souvenirs du moment.
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Quand je disais qu'on allait taper dans les réserves de rhum, je m'incluais pas des masses dedans. J'fume parce que ça m'aide à me poser et que ça me coupe pas trop du monde et des autres. Mais je gère mal l'alcool. M'arrive encore de boire en permission, quelques bières quand c'est par plaisir, mais surtout de la gnôle dans les moments où je lâche tout et où je perds le sens de ce qui me donne envie de me lever le matin. Les moments où je suis ramenée à la terre, où j'ai plus de moi-même l'image d'un arbre qui plonge ses racines dans le ciel. Ça s'termine toujours mal, mais j'y peux rien. J'ai un fond alcoolique, j'crois qu'on peut appeler ça comme ça. Y'a des soirs où j'ai besoin, viscéralement besoin de me mettre bien, puis mal, puis très très mal. Comme si j'avais quelque chose à me faire payer. C'est con. Ça va à l'encontre de toutes mes certitudes, qui font pas légion. Mais c'est comme ça, j'peux pas discuter avec des faits.

Puis bon. J'peux pas dire que j'goûte vraiment l'ambiance. Les soldats ont vite fait copain-copain entre eux en arrivant, j'me suis pas trop intégrée. J'le sentais pas, et faut pas croire. J'suis pas une nature très sociable. J'arrive à faire des efforts, j'essaye d'en faire, j'pense que les autres, c'est important et tout. Mais là aussi, c'est plus fort que moi. Je blaire pas les foules. Pour ça que je me plante pas  souvent quand j'sens bien quelqu'un.

C'est presque toujours un marginal, plus rarement un timide.

Enfin, tout ça pour dire que j'te suis, Craig. J'serais mieux à causer avec toi plutôt qu'à écouter jacter le poulailler. L'attraction est terminée, elle a eu le mérite de nous faire du bien. Même à toi, non ? J'dirais bien « vivement la prochaine perm', qu'on aille refaire le monde autour d'une bière ». Sauf que j'ai aucune envie d'aller zoner dans le bled de l'île, aucune envie de trinquer au milieu de mecs qui prennent leur kiff à piétiner leurs semblables. Ouais, j'pense bien qu'il y a une majorité de types transparents, limite sans âme et sans saveur de par le monde ; mais n'empêche que j'crois aussi qu'il y a toujours une possibilité pour s'extraire de la masse, même si ça fait mal d'être libre, et que c'est plus dur de se tenir debout, tout seul, comme un homme.

-Non, ça ira, on peut y aller ensemble.

On prend la porte de derrière pour directement aboutir sur le couloir qui mène au bureau du commandant, sans passer par l'extérieur. Il caille un peu, c'est vrai, mais on a surtout gardé les réflexes de la théorie du moindre effort en vigueur dans la zone. On est vautré dans notre confort léthargique comme des mômes dans les jupes de leur mère. Ça fait peur, même si un rien peut encore nous mettre en mouvement, ça fait que quelques jours qu'on est là et qu'on goûte aux joies de la passivité inactive. Qu'on a la flemme de tout. J'sais pas comment on sera si ça continue. Pour ça aussi que j'suis contente d'aller faire un rapport, ça donne un semblant d'adrénaline, une toute petite illusion de défi à relever, un vestige d'audace pour s'arracher au grand rien. Quelque chose de cet ordre là. Je crois.

Je laisse Craig parler, pour une fois. Il avait l'air inspiré, puis il a plus besoin que moi de se concentrer sur un truc en particulier. J'pense pas revenir sur l'événement, même pas plus tard. J'me sens pas habilitée à en parler, même si le rejet au nom de l'appartenance à un truc qui ressemblait un peu à la race, j'ai plus ou moins connu. Au mieux, j'parlerais en moralisatrice, et je me trahirais toute seule. Ça fait du bien d'avoir quelqu'un à côtoyer, même si on est pas des exemples de prodigalité niveau parlotte. En fait, j'crois même que c'est une valeur secrète qu'on partage sans trop y penser. Pas trop de mots, mais ça empêche pas de faire attention à l'autre. Ou peut-être que je me plante et que j'ai juste fini par intérioriser toutes les habitudes des rares personnes avec lesquelles j'ai réussi à construire un lien réel d'amour ou d'amitié. Comme cette habitude d'aller droit au but. Tout a toujours été fugace. Alors je parle plus comme si on était éternel. Pas en ayant conscience qu'on va se tourner le dos et partir, chacun de notre côté, dans la minute qui suit. Faut que tout se passe avant que ça arrive. Y'a pas de temps à perdre en palabres. Faut tirer et boire ensemble l'essence des choses aussi vite qu'on peut, mais faire quand même comme si on avait le temps. On fait rien de bon si on se pose pas avec un truc à partager au milieu. La leçon de Rik.

-Hum...
-... ?

Craig a terminé notre rapport. On se tient au garde-à-vous, le commandant a les sourcils froncés, le menton posé contre le poing.

-Vous n'avez pas vu rentrer la patrouille, par hasard ?
-Non, mon commandant.
-Elle est en retard. C'est inquiétant.
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On part faire le rapport. J'le prépare dans ma tête. J'sais pas trop si le commandant est un maniaque du protocole. Le protocole. C'est un truc que j'connais pas encore bien. C'est que Tark et moi on a jamais vécu avec un réglement, personne a réussi à nous inculquer des règles de conduites durables, un schéma tout prêt qui raconte comment faire les choses bien. Même pas nos parents, même pas l'école. Alors j'pense pas que la marine réussira. Ça nous va parfaitement comme ça. On a notre code d'honneur, nos méthodes, notre vision de la justice, et tout ça c'est personnel, implicite et libre d'interprétation. Et aujourd'hui, j'ai constaté que tout ça c'était bien plus précieux que la foutue vision du monde des puissants qui se tiennent entre nous et Dieu. Alors j'vais faire un truc neutre, et sans bafouiller. Un truc... qui serait digne de moi pour une fois. C'était bien un navire de pêcheurs naufragés, qui a subi une attaque... d'homme-poisson. On a pris en charge leurs blessés, remorqué leur navire. On est rentré, on les a invité à venir croquer un bout. Puis c'est tout. C'est tout simple.

On revient au bureau de Sourde oreille. Toc toc. Entrez. Blabla. Il dit rien, nous balaye juste tous les deux des yeux. Il attend le rapport sans un mot. C'pas un communiquant non plus, lui. Une seconde plus tard, j'y vais.

Il s'agissait bien d'un navire de naufragés, mon commandant. Des pêcheurs qui ont été attaqué et qui se sont retrouvés à la dérive. Ils avaient plusieurs blessés. L'équipe les a pris en charge, puis remorqué leur navire. Pour l'instant, on les a regroupé dans la cantine, pour qu'ils se restaurent et... se réconfortent un peu.
...
Hum...

Hum ? J'me redresse comme un piquet, au garde à vous. Le commandant change d'expression, mais c'est pas à cause de moi.

Vous n'avez pas vu rentrer la patrouille, par hasard ?
Non, mon commandant.
Elle est en retard. C'est inquiétant.

La collègue et moi restons silencieux. Mon rapport l'a pas dérangé au moins.

Peu avant votre premier rapport, un autre navire inconnu a été repéré au large, de l'autre côté de l'île. J'y ai envoyé une patrouille. Je n'ai pas encore reçu d'écho de leur part. Dans quelles circonstances ces pêcheurs vous ont-ils dit avoir été attaqués ?
Euh... Un homme-poisson, mon commandant. D'après eux, il est parti.
Je vois. Ça a peut-être un lien. Dans tous les cas, c'est anormal. Allez donc sur la côte Nord et revenez vite me signaler si vous voyez quelque chose.
Oui, mon commandant.

On ressort. L'adrénaline est de retour. Toute cette caféine était pas de trop, finalement. On file, à travers la base, puis sur le chemin de garde, on fait le tour. J'ai complètement aucune idée de ce qu'on va découvrir. Ça devrait avoir quelque chose d'inquiétant. Pourtant ça m'excite... L'imprévu et le risque m'excitent. J'y place ce qui me reste d'espoir. Aujourd'hui, deux presque-aventures, et une rencontre qui vaut le coup. Si le béton et l'acier me rappelaient pas sans cesse où je suis, je pourrais penser être dans un bon jour. Tout ce gris... Avec ma gueule grise et ma veste blanche qui ne l'est plus vraiment, je fais un super caméléon des bagnes, c'est vexant. Le frangin, un peu plus bleuté, il se fond dans la mer et le ciel. C'est p'tete un signe. Il aurait quelque chose de plus que moi, pour se sentir mieux, pour ambitionner mieux, pour mener la danse. J'sais pas. Faudrait que j'me teigne en bleu pour voir... Hmm, si j'arrive encore à penser à des conneries, ça doit être signe que j'suis encore loin de passer en totale léthargie. Cet enfer d'ennui a encore des choses à me prendre... mis à part ma liberté.

Après quelques minutes de course, on arrive en vue du front Nord, on perçoit un boucan lointain. J'devrais être essoufflé, mais j'ai du café à l'adrénaline plein les veines, et penser pendant la course ça distrait ma petit cervelle de requin. Pendant que je m'imagine peint en bleu, elle doit oublier que son corps est fatigué, puant et lassé.
Rapidement un bâtiment qui nous cache la vue dégage de nos champs de vision, et nous laisse admirer le spectacle. Un grand navire. Pas de pavillon. Ils sont hyper proches... Ils foncent sur le port. J'aperçois mal la foule dessus, mais ils semblent nombreux et agités. Ok, ça c'est louche. La plupart des soldats sur la muraille ont décampé, sûrement pour aller hurler à leurs supérieurs que quelque chose craint. Le reste nous lance des regards ahuris en nous apercevant, comme s'ils pensaient qu'on savait ce qui se tramait.

Bah non, j'en sais foutrement rien. J'prie pour que ce soit quelque chose de bon. L'intervention divine ultime. Notre salut, et l'moyen de quitter l'île l'âme fière et apaisée. J'en appelle à Dieu, au destin, au père Noël. Et j'espère que dans le même temps Serena fait de même, car ça fait plus de chances d'être entendu par notre Papa à tous. Même si vu... le bordel, disons, d'aujourd'hui, c'est évident qu'il a les yeux braqués sur nous.
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-Alors ?
-J'ai fait ce que vous m'aviez demandé. Les pêcheurs ont été récupérés, les médics et les soldats doivent avoir les mains occupées.
-Et puis ? D'autres choses à signaler ?
-Euh, oui. Deux soldats sont partis en direction de la côte, ils ont du être prévenus.
-Très bien. Nous allons pouvoir passer à la phase des négociations. Ma préférée.
-Dites, je peux rentrer chez moi ?

Un sourire sur un visage de cire. Un mouvement du poignet en direction d'une casquette verte à plume, les deux mains sur le col pour réajuster l'ensemble aux couleurs des bois. Une petite dague assujettie à la ceinture, un carquois et un arc derrière le dos. L'homme se retourne en pleine lumière, poings sur les hanches, bottes en gros cuir bien chaussées.

-Ce costume est paaarfait ! N'est-ce pas, Helmut ?
-Oui boss ! Ça vous va bien !
-Je suis certain qu'ils adoreront ! Robin des mers qui vole au secours des pauvres esclaves... je compte sur toi pour bien te conduire, Helmut. Un parfait petit révolutionnaire, tu as bien compris, n'est-ce pas ?
-Ou... oui, bien sûr ! Le gouvernement est pas bon ! Nous sommes les... les sauveurs ! Les vrais ! C'est bien comme ça ?
-C'est très bien, oui.
-Eh, vous m'oubliez pas un peu, dans tout ça ? J'ai plus rien à voir avec vos histoires !

La lueur des lanternes semble se braquer sur la carapace rouge brillante de sel, le visage monstrueux de l'homme poisson. Son unique pince tremble, ses yeux ne cessent de pivoter à droite et à gauche, en quête d'une sortie invisible.

-C'est embêtant.
-De quoi ?
-Tu es le dernier esclave présent à bord, il faut que tu partes, c'est vrai. Mais qu'est-ce qui t'empêcherait d'aller faire une bêtise ? De vouloir jouer aux héros ?
-Ne... ne soyez pas ridicules ! J'ai ma famille à retrouver ! Je me moque de ce que vous allez... gyaaarrh !

Le colosse s'est dressé, il n'a frappé qu'une fois. Son couteau a traversé la carapace comme du glaçage au sucre. Lorsque l'homme-poisson s'affaisse sur lui, il ne se courbe même pas un peu sous son poids.

-Accroche un boulet aux pieds de notre ami, et jette le à la mer. Il ne faut pas qu'il puisse décoller du fond, compris ?
-Oui, boss !

* * *

Le navire est arrivé vite, mais l'île est cernée par les courants marins. Il a ralenti, une fois sur la côte, et a jeté l'ancre à l'abri des tirs potentiels, derrière une barrière de rochers qui avait l'air d'être prévue pour ça. Le bateau tient pile poil dedans. On ose pas trop bouger. Du côté des quelques collègues de corvée de guet, ça s'agite sévère, ça brandit des armes, ça les rengaine. J'vois bien un caporal qu'essaye de mettre de l'ordre, mais c'est peine perdue. Trop rare qu'il se passe quelque chose.

Et puis, d'un coup, il y a une voix puissante qui s'élève. Le vent la porte sans mal. De loin, il a l'air de parler dans un genre de méga-escargophone. Un truc pour amplifier. Même les esclaves qui bossent au baraquement derrière nous, ils doivent pouvoir entendre. Les seuls baraquements de l'île qui ne sont pas constamment surveillés par les matons... ça sent la complicité.

-Mes amis ! Baissez vos armes, nous avons les nôtres pointées sur vous depuis le refuge des rochers ! Nous ne vous voulons aucun mal, nous sommes simplement là pour porter secours à nos frères et sœurs retenus sur l'île contre leur gré ! Personne ne sera blessé, si vous nous laissez accomplir notre mission. Baissez vos armes ! Nous ne sommes pas vos ennemis, mais ceux de la servitude et de l'ignominie !

Les gars sont figés, nous aussi. Bien sûr que j'suis pas favorable à ce qui se passe sur l'île, mais je pense aussi au commandant. Si jamais je trahis ses ordres, ça sera considéré comme une faute grave, j'devrais quitter la marine. Retourner à la rue, faute de pouvoir retourner chez les sœurs. J'ai tourné le dos à cette vie, c'est plus possible de faire marche arrière. Et puis, à condition qu'il y ait un lien avec les pêcheurs, ils auraient quand même des manières particulièrement brutales. Tout ça juste pour réduire notre attention, le nombre de gars à gérer ? Bon, c'est vrai qu'ils ont tué personne, et peut-être que la vie en marge, ça rend violent. C'est même pas un peut-être, en fait, j'suis assez renseignée pour le savoir.

Et si c'était vraiment des libérateurs, qu'est-ce qui se passerait si on allait le dire au commandant ? C'est peut-être pas un mauvais sujet, mais il est fidèle à la mouette au dernier degré. Est-ce qu'il serait prêt à écouter ce qu'on a à dire? S'il s'oppose, il risquerait peut-être une mutinerie générale... encore que, je sais pas. J'ai pas vraiment d'idée sur ce que pensent les autres, en-dehors de Craig.
Et s'il choisit la répression, on devrait prendre les armes et défiler au milieu des esclaves, soutenir leurs regards après ça ? Comment est-ce qu'on y croirait encore, à la justice ? Bon, okay, j'y crois pas des masses, moi. J'suis là pour d'autres raisons. Mais ça change pas le problème.

Faut prendre une décision.

-Si on rentre pas, ils vont finir par nous voir.
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Alors, l'homme-écrevisse devait être avec eux... Ça paraît logique maintenant, d'une certaine façon. Il était là pour faire diversion... Une diversion un peu saignante mais pas trop. Y a pas eu de mort. C'est pour ça que son attaque a semblé si absurde, les pêcheurs étaient juste là au mauvais endroit et au mauvais moment. Puis paf, le poiscaille se taille sans demander son reste quand il a fini son boulot. Logique... J'aperçois de loin un type maigrelet habillé en vert. Des pirates sans pavillon... J'serais plutôt partisan pour des révolutionnaires. J'en ai pas beaucoup entendu parler, j'en ai jamais vu avant. J'les prenais pour les mauvais de l'histoire, les terroristes anarchistes rivaux de toujours de la justice. Ce que j'ai vu aujourd'hui sur cette île, ça remet encore tout ça en cause...

J'me persuade que ce sont bien les révolutionnaires que j'attends. Que ça peut être que ça. La suite d'évènements est trop parfaite ouais. Une éclaircie en pleine nuit. Qu'est-ce qui pourrait clocher ? J'en sans rien, j'y pense pas. Pour une fois, j'demande gentiment à ma raison de la fermer, je lui ordonne de me laisser rêver, comme je savais encore si bien le faire il y a moins d'une semaine.

Pour l'instant on a pas vraiment le choix... Il faut aller en parler au commandant. J'sais pas bien quelle va être sa réaction. J'ai peur de le regretter, mais j'ai pas la sensation d'avoir le choix... J'suis marine, c'est comme ça maintenant. J'peux pas retourner ma veste à la moindre turbulence. D'un autre côté, mes convictions ont été trop fragilisées pour tenir face à quelque chose d'aussi énorme. Au moment où je me tourne vers Serena pour chercher son avis, elle me renvoie la question verbalement.

J'crois... pas qu'on ait le choix.

De fil en aiguille, j'pense à l'autre patrouille. La première, celle qu'est pas revenue. C'est p'tete parce qu'elle-même, elle a su faire un choix. Si c'est le cas, j'me sentirais bien cul de saboter leur courage pour mon p'tit avancement personnel... Je lis sur la mine de Serena que c'est pas vraiment l'option qu'elle préférait... mais qu'elle sait que j'ai raison... On peut pas faire autrement. J'fais confiance à Sourde oreille pour savoir faire la part des choses, mais je sais que je suis trop naïf pour ce monde. Alors, dans le doute... S'il se montrait trop zélé, on pourrait essayer de monter une mutinerie...

Il compatira peut-être.

Ouais, j'crois que si tout ça loupe, et qu'on finit par nous ordonner d'attaquer ces types, j'hésiterais plus à me joindre aux rebelles. Le temps qu'on soit de retour, ils auront sûrement déjà débarqué. Avec un peu de chance, ils se seront même déjà enfoncés dans les terres, si nos collègues font pas de résistance. On fait demi-tour. J'suis tendu. J'ai vraiment peur d'me voiler la face. Peur d'avoir le choix. D'après Tark, on a toujours le choix. Moi j'pense surtout qu'il faut savoir attendre le bon moment... mais maintenant que j'y pense c'est complètement con, les bons moments arrivent pas d'eux-mêmes. Tout le long du trajet, le doute me tord le coeur. J'cherche régulièrement l'appui de la rouquine pour me rassurer, mais elle doit elle-même être trop absorbée pour penser à moi. A chaque seconde j'hésite à proposer de refaire un demi-tour. Mais j'me lance pas. Depuis que j'suis sur cette île, je sens bien en moi l'indécis, l'insatisfait, le blasé, le traître, le monstre. Aujourd'hui, ça pourrait changer.

Et quelques minutes de course et de pensées vaines plus tard... On en revient au bureau du commandant. Tout commence et finit ici, décidemment.

Des libérateurs, mon commandant. Ils ont l'air... pacifiques.

Pendant une fraction de seconde, le commandant baisse les yeux. Puis se remet vite de la révélation.

Vous en êtes sûrs ?
Pas totalement.
Il va falloir que je fasse un déplacement. Retournez là-bas. Que tout le monde attende mes ordres avant de tirer des conclusions.

C'est reparti... On court, on court, on fait que ça. Mais on est toujours aussi ignorants. Y a quelque chose de dingue qui se prépare. J'ai hâte de savoir quoi.


***

Immobiles sur le quai, les jeunes soldats sont paralysés. Ils laissent débarquer les envahisseurs comme s'ils étaient de vieux amis. Et ce n'est pas seulement parce qu'ils s'attendent à être pilonnés s'ils tentent quelque chose. Un étrange personnage vert et blanc descend sur le quai, escorté par un colosse et de nombreux hommes. Le climat ambiant a quelque chose d'irréel. Une île bondée de pauvre gars qui attendent un messie. Et sans crier gare, le voilà qui se pointe ? Ce serait aussi facile ? Le sergent de garde s'avance timidement.

Vous... Vous voulez qu'on vous montre où c'est ?
Inutile, mon brave ! Nous trouverons tout seuls.

Le fier convoi progresse vers les baraquements les plus proches. Leur leader jubile intérieurement. Ils sont suivis de loin par quelques marines. D'autres ont sorti les armes, mais ne savent pas s'ils doivent s'en servir. La marche commence silencieusement, mais rapidement des voix commencent à s'élever.
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Pas totalement... on en est pas totalement sûr. C'est ce que je tourne et retourne dans le jeu de mes deux hémisphères, en courant reprendre mon poste d'observation. Notre post. J'suis pas seule sur ce coup. J'sens bien que mes doutes sont partagés. P'têtre pas dans le même sens. Je dis pas que je suis à l'aise, mais au fond, j'ai déjà fait mon choix. J'suivrais la marine. Pas par conviction, mais parce qu'au stade où j'en suis, je peux pas me permettre de laisser ma vie partir à la vau-l'eau. Peut-être que si je m'engage avec la révolution, je retrouverais un cadre ; mais ce qui est plus certain, c'est que je serais traitée comme une déserteuse, que j'aurais une prime sur ma tête, que je serais chassée, que toutes mes préoccupations se borneraient à la survie. La marine me donne le confort d'avoir un idéal à atteindre et les moyens de me bâtir une forteresse intérieure, petit bout par petit bout. J'suis trop instable pour prendre un bateau qui coule en pleine marche ; j'serais la nitroglycérine qui pèterait au premier soubresaut. Un sous-produit du savon, un truc qui a vocation à la propreté, mais qui peut tout aussi bien aller défigurer la création au nom de la pureté.

Non, merci, j'passe mon tour.

Par contre, l'idée de me retrouver face à Craig, si on devait en arriver là, ça me dérange. Pas qu'on soit amis pour la vie juste parce qu'on zone ensemble depuis quelques heures, et parce qu'on a l'air de piétiner le sol du même genre de pensée. Faut pas déconner. Juste, ça m'emmerderait de m'identifier à la foule plutôt qu'à notre duo. J'sais pas comment le dire autrement. Y'a plus de moi dans une tasse de café partagée avec deux mots assortis que dans une camaraderie évanescente dans laquelle j'crois pas une seconde. L'armée, c'est ça : on se retrouve ensemble parce que d'autres ont pris rendez-vous pour nous. Être affecté à une base comme celle là, c'est comme se retrouver forcé de cohabiter dans une salle d'attente. Y'a pas beaucoup de place pour tisser des liens dans la spirale de l'ennui. Alors quand ça arrive, même rien qu'un peu...

-Attention.

Habitude de la marche nocturne dans les quartiers mal famés. Je les ai entendu venir. Ma main posée sur l'épaule du copain à ailerons l'attire vers un fossé, où on se blottit en retirant nos casquettes. J'risque un œil. J'crois halluciner. Ils ont... cédé si vite ? Il y a une chaîne d'esclaves qui s'étire, derrière des inconnus que j'devine être les libérateurs. Ils ont encore leurs chaines aux pieds et aux mains. J'remarque que les nouveaux venus sont lourdement armés. Plus que les matons, à ma connaissance. Ils dominent en contrôlant les stocks de bouffe et en infligeant des humiliations régulières, pas besoin de se fatiguer à être fort.

Et en plus, on les protège...

-Putain, ils ont pas traîné...

Mais d'un coup, j'repense à un truc. Quand Craig a dit qu'il s'agissait de libérateurs, le commandant s'est pas braqué ; il a pas ordonné qu'on les repousse. Il a pas donné l'alarme.
Il a demandé si on en était bien sûr. Pour lui, ça a aussi une importance. Plutôt contente de ma conclusion, j'la donne aussi à Craig, mais faut avouer que ça nous dit pas quoi faire. On peut pas rester là comme ça, en attendant que le commandant nous retrouve. Et puis, il nous a dit d'y retourner, c'est pas pour rien. Faut qu'on trouve un moyen d'avoir de vraies infos.

On tombe vite d'accord là-dessus, et on monte un plan rapidement. Ce qu'il faut faire, c'est accéder à leur navire, voir si on trouve des indices à l'intérieur. Des rapports montrant un lien avec la révolution, un pavillon noir caché quelque part, n'importe quoi. C'est le taff de Craig. Il peut passer les guetteurs en allant sous l'eau. Moi, j'vais rester en retrait, et j'vais faire le guet. Pour ça, on a sacrifié nos chaussettes et tout ce qui ressemblait de près ou de loin à du tricot que l'on pouvait porter sur nous. Plus nos lacets. Histoire d'avoir moyen de prévenir si quelqu'un s'approchait. Cordelette à la ceinture, faudra faire gaffe à pas la déchirer. Deux coups pour un danger. Trois rapides pour l'arrivée du commandant, si jamais j'le voyais. Un seul pour un truc étrange qui puisse justifier un retour anticipé.

J'suis calée dans les récifs, à l'abri des regards et du vent, cachée dans un buisson dont les épines me ruinent généreusement l'uniforme. Invisible.

A toi de jouer, Craig.
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Ma pote écclesiastique a un meilleur instinct que moi. Si elle m'avait pas tiré dans le fossé, j'aurais même pas calculé les pleupleus qui pointaient devant nous. L'habitude, ici. A force de me réfugier dans mes pensées et mes rêves tristounets, j'en finissais par laisser la réalité aux autres. Les autres soldats ont fait leur choix, faut croire... Les libérateurs embarquent derrière eux une longue file d'esclaves. C'est ce que j'espérais. Qu'ils aient commencé leur boulot quand on reviendrait. J'vois qu'ils sont toujours enchaînés, par contre. C'est zarb. J'imaginais que la première chose qu'un révolutionnaire ferait s'il croisait un esclave, ce serait de lui casser ses liens. Mais non. Est-ce que j'me pose trop de questions ou y a vraiment un problème ?

Serena me parle du commandant. C'est vrai qu'il a plutôt bien réagi. Il aurait pu nous insulter et nous demander de partir faire sonner l'alerte générale au pas de course, mais, non. Ça me plaît. Donc les matons seraient bien seuls contre le monde maintenant. 'sont fichus. Génial. On va renverser ceux qui jouent les dieux. On va leur montrer que les gentils, ça gagne toujours, que c'est pas seulement dans les bédés et les jeux de rôles. Que ça serve de leçon à toutes les enflures de l'univers. Ma naïveté. P'tete qu'ils feraient mieux de s'en inspirer. Un monde gentil, naïf mais juste plutôt qu'un... pâté horrible et coulant de cruauté qui se fait passer pour un monde nuancé. Serena me ramène à la réalité. Sourde oreille nous a pas renvoyé ici pour se faire de la philo de comptoir. On pense à un truc.

La rouquine reste ici, à l'abri dans les récifs, pour faire le guet. Moi j'pars explorer le navire des révo', pour en savoir plus sur eux. Très bonne idée, ça me permettra d'être fixé sur mes derniers doutes, et de pouvoir partir fracasser ce qui reste des matons le coeur léger. Je sacrifie mes chaussettes et mon tricot d'hiver sur notre autel de la vérité. Et mes lacets. Tant qu'à faire je largue les godasses pour me mettre pieds nus, elles vont plus tenir sans lacets. J'veux rien perdre dans la mer. J'confirme le code que me propose Serena, puis je m'éloigne d'elle.

Je m'avance dans l'eau, en courant, puis je plonge quand ça devient assez profond. Veine, j'suis habillé léger, aujourd'hui. Et encore plus léger maintenant que j'suis débarrassé de mes godasses. L'eau est glaciale. C'est dix fois plus efficace pour maintenant éveillé que quelques verres de café, ça. J'suis à bloc. Toujours excité. Stressé aussi, pour sûr. L'infiltration, ça a jamais été mon truc. D'mandez à un bestiau comme moi d'être discret, tiens. Heureusement, leur navire semble très évidé maintenant. Deux guets dehors. P'tete encore du monde à l'intérieur. Je reste le plus profond possible, pour que personne puisse distinguer ma silhouette. J'espère que c'est superflu. C'est pas vraiment profond près des côtes de toute façon. J'suis à quelques mètres de la coque, j'en fais le tour pour débarquer par derrière.

J'aperçois un truc étrange sous l'eau, à quelques dizaines de mètres derrière le navire. J'vais me permettre un détour... rapide.
C'est pas que ce soit étrange en fait, c'est... Merde. MERDE. Cette espèce de fumée rouge, là-bas. Du sang, du sang frais. J'm'approche. Au milieu, je commence à distinguer nettement un homme-écrevisse... Horrible. Et tout récent. J'comprends pas. J'ai juste peur, là. Et j'ai aussi les biscuits qui remontent. J'ai les mauvaises idées, j'ai les mauvaises images, j'ai le stress. Voilà, j'ai rendu. J'ajoute un peu de marron-brun au rouge vif. Je jure sous l'eau. Ça fait des glouglous, et ça me soulage un tantinet. Pas suffisamment.
J'dois faire quoi ? Je me risque quand même à grimper là-dessus ? Si j'fuis après avoir vu ça, c'est pas vraiment de la lâcheté, hein ? C'est de l'instinct de conservation... Putain. Je retourne en direction du navire de ces types, je nage toujours en profondeur, tout en cogitant à cent à l'heure. Les scénarios qui peuvent justifier qu'un homme-poisson se retrouve sous l'eau éventré et attaché à un boulet. J'ai beau réfléchir, j'en vois aucun qui se tient tout en me faisant pas trop flipper. Bah. J'ai besoin de savoir. Est-ce que c'est vraiment eux. Pourquoi ils lui auraient fait ça. Et qu'est-ce qu'ils comptent vraiment foutre là-bas...

Je refais surface... J'sais pas trop comment je vais grimper là-dedans sans me faire repérer. En forçant, j'arrive à me hisser par une fenêtre. J'suis dingue. Dingue. Mission kamikaze... J'pense à Serena, restée au chaud dans ses ronces et ses rochers pointus. Ils me paraissent si doux à côté de ça. J'me repasse en boucle les images du corps sous l'eau, plongé dans une espèce de fumée de sang. Et quoique je tente de m'imaginer pour me rassurer, ça marche pas.
J'suis dans une cabine. Je fixe la porte. Fermée. Verrouillée. Bien. Le bureau, nickel. Quelques tas de papelards, compilés sans débordements. Un crâne d'humain. Y a des choses écrites et dessinées dessus. Du style bloc-note fantaisie glauque. Ouch. Y a aussi un tas de miroirs sur les murs, partout. Celui qui loge là-dedans aime se regarder ou quoi ? Rien par terre. Pas de poussière. C'est presque le contraire de ce qu'était ma chambre. Ma chambre chaotique, crade, mais tant chaleureuse. Ici c'est propre, ordonné, mais putain de malsain. J'suis attiré par un avis de recherche, placardé sur une garde-robe. J'y vois une gueule de déterré, primée à 80 millions. J'avance un peu, sur la pointe des pieds, et... Ce foutu plancher grince. J'ouvre la garde-robe, doucement, trèèès doucement. Elle est immense et remplie de déguisements. Je crois q...

...moi avoir p'tits mollets pas laids... et beaux p'tits macarons tout ronds... ♫

Quelqu'un dans le couloir. J'me précipite vers la fenêtre dans un foutu vacarme, je saute, je plonge. Réaction à la con. Au moins ils m'auront pas... Ils m'ont sûrement entendu mais ils m'auront pas... Merde. J'me laisse couler, jusqu'à tomber sur l'sol océanique. Ou j'y reste plaqué, pendant quelques secondes. Le temps de "souffler" un peu, de faire quelques bulles. Faut que j'me bouge, et que je parte parler de ça à Serena. J'espère qu'elle s'est pas fait chopper elle non plus...
Bon, j'me bouge le cul, enfin. C'est que j'ai déjà trop tardé, là.
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J'suis posée dans mon buisson, à mater les environs comme je peux, sans trop bouger. Si j'me fais repérer, j'pourrais toujours prévenir Craig, mais franchement, je préfèrerais éviter. J'la sens de moins en moins, cette affaire, et puis, j'espère de tout cœur que le collègue trouvera quelque chose de compromettant. Pas que j'ai pas envie de libérer quelques esclaves, hein. Au contraire. Mais j'sais pas, j'ai un pressentiment. Ou plutôt un relent d'égoïsme qui fait que j'ai vraiment pas envie d'avoir à déserter, bonne cause ou pas. J'soupire en silence. J'reste concentrée.

Y'a les premiers esclaves qui déboulent sur le port, bien encadrés par les libérateurs. Ils ont toujours leurs fers. J'arrive pas à voir pourquoi. Ils sont tous lourdement armés ; un coup de crosse avec une pierre dessous, et j'suis sûre la chaîne saute. Encore, qu'ils le fassent pas au baraquement, d'accord, y'a quand même un mec qui passe surveiller de temps en temps ; mais là... ils ont même le mur de guet pour faire barrage sonore.
Et puis, pourquoi est-ce qu'ils parlent qu'entre eux ? Les collègues sont là, dans leur coin. De là où j'suis, j'distingue pas leurs visages dans le détail. Mais je les devine gênés. Pas une clope échangée, pas un mot, rien. Ils ont bien du montrer patte blanche, pourtant ! Et ils risquent d'avoir de gros problèmes avec la hiérarchie... j'aurais pensé qu'on chercherait à les enrôler. Mais queud. Chacun fait sa vie de son côté.

J'reporte mon regard sur le haut de la falaise. Personne, à part ce drôle de mec avec sa veste verte et son arc dans le dos. Ou un truc qui y ressemble. Hors de propos ? J'sais pas trop. Y'a bien des originaux de ce genre dans la marine. Pourquoi pas dans la révolution ? Si ça se trouve, il a un pouvoir qui lui permet de rendre ses flèches plus performantes qu'un tir de canon. Faut s'attendre à tout.

J'divague un peu, j'crois. J'me recentre sur le navire. J'vois un espèce de grand dockers torse poil, un peu l'inverse de Peter Pan qui prend l'air sur la colline. Il a l'air de sortir des cabines. Merde, j'espère que Craig est pas tombé sur lui. Mais c'est au moment où j'me dis ça que j'sens la ficelle m'échapper des mains. Et une main humide se poser sur mon épaule.

-On se planque.

J'essaye d'ignorer le regard chargé que m'lance le collègue. Faut rester concentrés, s'en aller en longeant le bord de falaise, remonter par un petit sentier qui remonte d'une crique, et retourner à la base. En espérant que le commandant soit rentré.

En chemin, j'ai toute l'histoire. L'homme écrevisse assigné à résidence avec un petit souvenir calé dans la chitine, les objets bizarres dans le bureau, l'arrivée du gorille que j'ai vu sortir. J'desserre pas les dents, j'écoute juste du mieux que je peux. J'sens bien qu'il espérait mieux que ça, le Craig. De quoi être certain qu'on pouvait les laisser agir l'esprit tranquille, et baiser les matons. Mais on baise pas les matons. J'suis pas super renseignée, mais j'pense pas que des révolutionnaires auraient tellement intérêt à s'en prendre à cette île. Y'a les tenryuu' derrière, loin derrière, mais derrière quand même. Ils sont pas assez puissants. C'est un coup à provoquer trois buster calls, au moins. Ou un truc du genre. J'ai pas encore compris à quel point on était lié à ces types là. Ça peut paraître bizarre, parce que dans le fond, c'est eux qui ont buté mon frangin et qui ont créé le bidonville où j'ai grandi. Mais vraiment, j'm'en fous. J'ai pas besoin de regarder les choses jusqu'au bout. Juste de faire avec ce qui me tombe sous la main. Sinon, avec tout ce qui m'est arrivé, je ferais jamais rien.

Ça reviendrait à dire qu'il faut pas que je respire, parce que le monde m'a foutue dans la merde depuis que j'suis née. Ça rime à rien, c'est des conneries. On vaut mieux que ça.

-Oh, vous revoilà soldats. Bon timing.
-Commandant !

On s'arrête, juste devant la base. Mais il nous empoigne de sa seule main valide (et subsistante), et nous pousse devant lui. Il est pressé, et j'remarque qu'il tire un peu la gueule.

-Je reviens tout juste du secteur ouest. Il y a un autre navire qui s'est occupé de rafler des esclaves. Les hommes de la patrouille ont achevé leur tour par là-bas, ils ont été tués. Rien du côté des matons, c'est comme s'ils étaient parfaitement au courant des zones les moins surveillées et de leurs heures de roulement. Vous comprendrez que quelques louables puissent être les intentions de ces hommes, je ne pourrais pas ne pas réagir.
-Nous sommes avec vous, commandant.

J'regarde Craig. C'est encore à lui d'faire son rapport, façon sans les procédures. Späre court presque devant nous, en direction de la cloche d'alarme. Et ses rangers cognent plus vite, au fil du récit.

J'serre les poings. J'sais qu'on doit tous s'y attendre un jour à vivre une situation de ce type, quand on s'engage dans la marine. Mais on a beau se l'imaginer, ça remplace pas le moment vécu. La perspective bien réelle d'aller chercher les armes, de se ruer sur l'ennemi épaules contre épaules, avec les cris et l'odeur de la hargne mêlée de peur. On est pas prêt. Est-ce qu'on peut vraiment l'être ?

Aujourd'hui, le temps est clair et glacé. On s'en va risquer nos vies.
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