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Le goût de vivre ?

My Garden by Yosebu on Grooveshark

Odeur de poudre. De pisse, de merde, de tout ce qui se fait en terme de crasse humaine. Les corps emmêlés dans les hamacs, ça ronfle, ça pète, ça cause, ça claque des dents en plein sommeil. J'essaye de le trouver, moi.

Une des nuits où j'échappe à la cabine du capitaine. Les autres ont pas l'droit de me toucher. J'sais pas ce qui serait le pire, entre le vieux porc tout seul, ou tous ses copains à sales tronches qui puent la gnôle du matin au soir. Pas comme si j'étais pas comme eux. J'bois autant. J'ai encore le rhum qui m'fait tourner la tête, la bouche sèche. Mais trop lasse pour avoir envie de bouger.

Et puis, j'ai peur. Ça doit faire deux mois que j'ai laissé le Grey T. pour ce bateau de malheur. Plus rien me retenait là-bas. J'étais toute seule, j'en souffrais. Joe était parti. Mes frangins aussi. J'étais toute seule, j'avais pas l'habitude. Y'avait toujours eu quelqu'un pour me défendre. J'ai tenu trois ans. Au début, ça allait... les anciens potes de Joe avaient pris le relai. Mais petit à petit, ils ont pigé que sans lui pour les gérer, ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient de moi.

C'était l'enfer, putain. J'en chialerai encore si ça pouvait m'aider à mieux dormir. C'est devenu le but de ma vie, ça. Dormir. M'échapper, être légère, à l'abri, inatteignable, là sans être là. Mes journées ressemblent à rien. Je branle rien. Des fois, j'épluche des patates et je fais frire du lard sur la vieille cuisinière à pétrole de bord. J'fais semblant de jouer le rôle pour lequel j'ai été prise à bord. J'sais bien que c'était qu'une façade. J'joue les catins plus que les marmitons. De toutes façons, pourquoi faire ? On se nourrit de viande séchée, de biscuits et de patates les grands jours. Y'a que le rhum qui soit bon, et on vide tellement de tonneaux qu'on pourrait nous suivre à la trace au fur et à mesure qu'on les balance à la mer.

C'était ça ou rester à faire les fonds de poubelle et à attendre le coup de surin final au Grey T. Là, j'risque rien. J'suis même pas tombée sur des fous de l'abordage. On fait rien que trafiquer. On transporte de la marchandise illégale qu'on refourgue au plus offrant. On se frotte plus à des mecs comme nous qu'à la marine ou aux chasseurs. C'est même arrivé qu'on paye des gens pour des voyages plus dangereux que d'autres. On a un étranger à bord, là, d'ailleurs. Un homme poisson, une grosse part de barbaque causante comme un tas de planches. J'le comprends. Il a besoin de thunes, mais pas envie d'se salir les mains à les tremper dans la même gamelle que nous.

J'me retourne. Le hamac bouge en suivant le tangage. J'étais tout le temps malade, au début. J'ai même encore un seau à portée de main. Mais c'est passé. La terre m'est devenue hostile, même. Quand je pose le pied au sol, c'est là que ça bouge le plus. L'océan, j'en rêvais depuis qu'j'étais môme et qu'on parlait d'aller vivre comme des gens comme il faut avec les frangins. Il m'a vite adoptée. J'vais pas m'plaindre.

J'ai toujours mes souvenirs. C'est eux qui m'font exister. Quand j'en ai marre d'avoir personne à qui parler, j'cause au frangin dans ma tête. On a jeté ses cendres dans la mer. Il est partout, du coup. J'pense moins à Aimé, plus du tout à Joe. Ce connard est parti sans rien dire à personne. Jusque là, j'croyais qu'il pourrait presque prendre la place du frangin qu'il avait fait partir... c'est horrible. Tu vois, j'suis restée une princesse, Vaillant. J'fais toujours comme si les gens vivaient pour moi.

Mais ça fait des années qu'j'ai appris la vérité à la dure. Qu'j'étais toute seule, vraiment seule. Que personne pouvait intégrer c'que j'avais dans le cœur, à part un mort et un disparu.

J'ai jamais accepté ça. J'le sens parce que je désaoule. L'alcool descend pour que l'angoisse monte. J'ai du mal à respirer, à trouver une position, j'écrase mes larmes contre mes poings. J'les déteste. J'déteste cette foutue vie que j'perds à m'perdre, qu'j'ai perdue à les avoir tous perdus.
J'ai même pas envie de crever. Juste de dormir, de plus penser, d'arrêter d'avoir peur comme ça, de tout prendre à cœur alors que depuis le temps, ça devrait plus rien me faire.

La brutalité de Bren Grasse-Pogne, les yeux vicelards de son connard de mousse, les regards vides d'un peu tout le monde, mes mains fatiguées de rien faire, la ligne d'horizon qui tire toujours la même gueule à l'horizon, la succession des chargements, ma dignité qu'est plus qu'un mot depuis trop longtemps. C'est dur, quand t'as commencé par apprendre ce que ça voulait dire et par t'en construire une. L'impression d'avoir tout perdu, tout gâché, tout laissé couler dans la vase.

Le temps est lourd, il prend son temps pour passer. J'me retourne encore une fois. Les mains crispées. J'sens que c'est monté. J'respire saccadé, j'ai le sang qui pulse trop vite, j'tremble comme une merde. J'me sens fragile. Mes pensées sont toujours là, de plus en plus présentes, salement menaçantes. Mon corps s'est fait la malle. Et j'angoisse, putain, c'que j'angoisse !

Je hais ce monde. Il me laissera jamais m'en sortir.
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C'est drôle comme la vie est une morfale, une gloutonne. Elle bouffe tout. Elle bouffe les rêves, les espoirs et les larmes pour recracher d'autres sentiments qu'on ne comprend jamais. Et il aimerait pourtant, oh qu'il aimerait comprendre toutes ces choses que les hommes crachent et recrachent. Ces billes là, qui sortent des gueules en même temps que les verves incompréhensibles. Ces choses qui tachent les corps comme les cœurs et qui ne s’effacent pas. Celles là auront beau être frottés, récurées, elles resteront toujours comme si elles le voulaient, comme si elles voulaient nous rappeler l'erreur à chaque fois qu'elles ré-apparaissaient.

Et puis... Il y a des taches, et d'autres taches. Parce qu'il y en a aussi de belles, qui laissent des traces qu'on ne voudrait pas effacer, de celles que l'on voudrait garder au creux de la main pour ne plus les lâcher. Mais celles là se rient encore de nous et finissent, au gré des lavages, au gré des temps, par disparaître.

Celle qui apparaît sur le veston du Monstre, au moment où la soupe immonde gicle bien de trop fort, il ne sait si c'en est une de belle ou de laide. Assis sur le pont, à se faire tanguer par les vagues, à se faire narguer par les mots, il hume l'air marin, les algues, les ragoûts, le sel, le poisson. Il y a ces odeurs qui volent et les mots, aussi. Les moqueries, encore elles.

-Ahah qu'il est laid !

-Plus moche que toi, je pensais pas ! Mais y'a Môsh en fait !

Mais lui, il sourit, il sourit devant ces drôleries dont il a l'habitude, auxquelles il ne réagit plus. Cet équipage de lurons, ils se débauchent dans leurs rires, leurs jacasseries et leurs alcool. Et qu'importe le mal, qu'importe les larmes ! Tant qu'ils sont d'autres, parce que le seul bonheur qu'ils veulent, c'est le leur.

Cet égoïsme là, ce seul bonheur qu'ils croient connaître, il donne la bave aux lèvres aux gros Monstre. Mais ce bonheur là qui se fait sur le malheur des autres, il n'en veut pas. Et il aimerait presque leur mettre un joli poing entre deux yeux pour les leur ouvrir. Parce que la Miss qui les accompagne et sa hargne qui sort de chaque pore de son corps, cette miss là mériterait mieux.

Oh non il ne la connaît pas. Et même si c'était la pire des femmes, et même si c'était la pire des crapules, elle ne mériterait pas ça ! Mais ce n'est pas son travail que de régler les affaires des autres. Ce n'est pas sa labeur que de guérir les cœurs. Lui, il doit juste amener la marchandise, supporter les rires et fermer les yeux.

Alors il le fait. Il avale le ragout et à chaque bouchée qu'il fait, les goulées résonnent dans la gorge dans de grands Splashs.

Et d'autres « Splash ».

-Ah qu'il se goinfre, le Monstre !

-Qu'il mangerait presque comme un ogre !

-Qu'il boufferait de l'homme qu'il se régalerait autant !
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Si tu veux les arrêter, tu dois les comprendre.


Et il avait embarqué à bord. De la suie sur le visage et sur les quelques vêtements déchirés qu’il portait, nul ne savait qui il était ni même d’où il venait. Personne n’avait demandé, personne ne s’en souciait. Tout ce qu’il voyait en lui c’était le mioche qu’il était. Facile à faire marcher et facile à claquer. Cependant il ne se plaignait jamais. En tout et pour tout, ici, de toute façon, il n’y avait vraiment personne vers qui se plaindre. Alors, étant bien trop jeune ou trop peureux pour leur rendre la pareille, l’enfant se rendait utile. Il frottait le pont même sous un soleil de plomb, il apportait à boire de la poupe à la proue. Les soirs où il y avait eu du grabuge, il restait aux côtés du vaincu pour l’éponger et l’apaiser du mieux qu’il le pouvait. Souvent, il restait assis à les écouter parler de leur passé, de ce qu’ils avaient vécu et de tout ce qu’ils avaient traversé pour finalement arriver au point où ils en étaient aujourd’hui.

Ces hommes dur et insolent, fourbe et traître, il en était arrivé à les plaindre plus qu’à ne les blâmer. L’alcool qui coulait à flot n’était là que pour embrumer leur esprit, elle n’épongeait aucune soif. Elle gardait au fond des verres des souvenirs bien trop douloureux pour les voir resurgir. De la culpabilité, oui, certains d’entre eux devaient en éprouver, mais une fois bien tassée dans un verre de rhum, ils ne s’en souciaient plus. C’était comme si elle avait disparu, comme si elle n’avait jamais existé.

Une fois l’équipage mort saoul, l’enfant pouvait enfin aller se coucher, car il n’y avait plus personne pour lui demander quoi que ce soit. Il s’isolait toujours sur le pont, à l’air libre, là où sa vitesse et son agilité pouvait faire la différence si besoin était. Aussi, c’était sa façon de se démarquer de ces personnes. Une façon de se dire que même s’il partageait du temps avec eux, des moments de vie, il n’était pas l’un d’entre eux et ne le deviendrais jamais.
Souvent, lorsqu'il n’arrivait pas à trouver le sommeil,  il se mettait à songer à la tragédie qui l’avait frappé. Au drame perpétré par des gens comme eux. Dans ces instants, il ne ressentait plus de pitié. Simplement une colère, une haine qu’un cœur aussi jeune n’aurait jamais dû porter. La nuit finit ensuite par l’apaiser en même temps que la promesse qu’on lui avait faite.

Un nouveau jour chasse l’ancien et arrivent très vite les premières besognes du matin. La pêche. Assis sur la proue du bateau, le gamin attendait que ça morde, la canne à la main. Ce n’était pas difficile, ce n’était pas non plus compliqué. Simplement un jeu de patience, chose qui manquait cruellement aux hommes qui peuplaient ce maudit vaisseau. A voir les poissons tourner en rond dans son bac, cela lui faisait penser à sa propre existence à bord, mais contrairement à eux, c’était ce qu’il avait choisi. Retour en cuisine, ou dans ce qui servait de cuisine. Elle était là. La seule fille de l’équipage. Parfois le gamin entrevoyait de la tristesse dans ces yeux et lorsque cela arrivait, il se contentait simplement de lui sourire. Ce n’était pas grand-chose, mais ça ne coûtait rien. Quelques petits instants ici, sur l’onde glacée des eaux, là où ils tentaient de garder pour un temps le goût de vivre.
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Aujourd'hui, le gamin m'a encore souri. J'lui ai pas plus répondu que d'habitude. Pas que je veuille paraître méchante, plus que je ne le suis vraiment. Juste que j'en ai pas le goût. Alors le temps que je réagisse, il est déjà passé à autre chose, et moi aussi. Tout est long, ici, mais tout passe aussi trop vite. Tout le monde a peur de mourir, mais les heures sont lentes à couler. Alors on se tue à essayer de tuer le temps, c'est l'obsession générale. La raison même de ma présence à bord, d'ailleurs. J'me souviens encore qu'avec les frangins, jamais on s'ennuyait, j'm'en souviens entre deux brouillards, deux cuites qui ne cessent de s'appeler l'une et l'autre. Pourquoi tu bois, Serena ? Eh, pour oublier que je bois, connard !

Parce que dans le fond, je pourrais partir. M'enfuir au prochain port en suivant l'homme cachalot et le môme, qu'a tout l'air d'un clandestin qu'on a accepté par flemme de le foutre à la baille. Dans leurs têtes, balancer un homme adulte aux rois des mers, c'est comique, c'est normal, c'est du ressort du pirate de base. Un môme, ça leur rappelle encore trop leurs vieux sentiments. J'suis sûre qu'il y en a plein qui sont pères, qui l'ont vraiment été, mais qui connaissent plus le visage de leurs gamins. Alors ça hésite. Ils ont bien essayé, une fois, ça se raconte. Mais ils ont compensé en explosant le fond des barils, et la moitié de l'équipage a tenu le lit pendant deux jours. Ils ont été attaqués, c'était pas joli à voir. Du coup, depuis, on touche plus aux enfants. C'est une règle que personne remet jamais en cause, mais qu'a jamais été formulée. Le gros Bren a essayé de passer outre une ou deux fois. D'après que ça lui aurait coûté des mutineries phénoménales si jamais ce rat d'Adrian y avait pas mis son sale petit instinct de survie.

Bref, je pourrais partir, il pourrait y avoir la révolution à bord. Mais j'ai rien qui me prouve que ça sera mieux ailleurs ou autrement. J'ai déjà été heureuse, je crois, parce que j'avais mes frangins pour me protéger du monde... quand ils sont partis, je l'ai pris en pleine ganache. J'suis pas sûre qu'il y ait grand chose de plus à en tirer que ça : attendre la mort en en ayant peur, flirter avec la folie, guetter les sensations bizarres dans sa tête, les impressions de tourner en rond, d'éclater en dizaines de mots contradictoires, d'avoir le cerveau qui se dessèche à force d'être trop irrigué par le nectar.

Je traverse le bateau comme un fantôme, les mains ballantes. Il est midi ou pas loin, ça se voit au soleil. C'est la seule chose qui change par-rapport au Grey T., on peut voir autant qu'on veut qu'on est cerné par le vide, comme coincés dans la bulle bleue ou grise que délimite l'horizon. J'sais pas à quoi je m'attendais. A ça, sûrement, mais pas comme ça. J'pensais que ça serait plus kiffant.

Les deux coudes posés sur le bastingage, j'regarde dans le rien et j'écoute Bren gueuler, chercher des crosses à ses hommes. Il lui manque son petit bout de conflit quotidien. Il en a besoin pour vivre, un besoin terrible. Et comme il se passe jamais rien à bord, il en rajoute. Il aime dominer, ça lui flatte la nouille. Alors il est dur, autoritaire, tout le temps, en permanence. Persuadé d'être toujours dans son droit, parce que c'est lui qui le fait, le droit. De jamais mal agir, même quand il change brutalement de décision parce que son cousin lui a calé deux nouvelles idées dans la tête. C'est la deuxième règle de bord, ça, après le fait de ne pas noyer les gamins : pas chercher à comprendre, et courber l'échine. Fermer sa gueule, ouais. Sauf quand on est d'accord, et encore, faudrait pas trop donner l'impression que les idées pourraient venir de soi. Tu gardes un comportement d'être inférieur et on te fout la paix.

De toutes façons, j'suis fatiguée. J'ai pas, j'ai plus envie de me battre. Et c'est con, parce qu'il y a un navire zonard qui traîne juste sous mes mirettes, à quelques nœuds de là. Il fonce droit vers nous, et il porte le pavillon noir. Rien d'étonnant, on est pas assez intéressants pour la marine ou les chasseurs, alors ce sont les collègues qui viennent nous voler notre cargaison. Pourquoi j'dis « notre »? La leur. Ouais, la leur...

-Ennemi à l'horizon, capitaine !
-Arh, arh ! T'as entendu, la glaude ? A la cale ! Bouarh arh, arh arh !

J'discute pas. Ici ou dessous, c'est la même de toutes façons. J'vois le gamin prendre le même chemin que moi, me sourire encore. J'lui souris aussi, ce coup ci. J'saurais pas dire pourquoi. Juste comme ça, peut-être une réaction à retardement par-rapport à tout à l'heure. J'me pose pas de questions de toutes façons. C'est beaucoup, beaucoup trop fatiguant.
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Le capitaine est saoul. Il titube de toute sa carrure sur le ponton habitué. Et ses beugleries volent dans les crânes qu'en ont déjà entendu. Et ses crocs se sortent. Il regarde un instant le cachalot pour savoir ce qu'il va faire. Il aimerait lui botter le cul à ce Monstre mais il n'ose pas. Non Monsieur. Il n'ose pas. Alors il montre les dents en beuglant une autre insulte et sort au même moment son sabre rouillé, tout rossé par le cagnard, le sel et le manque d'entretien. On pourrait croire que ce sabre va mourir et se casser au premier coup. Mais il tient bon. Il rougira encore un peu plus du sang de ses ennemis, il rouillera encore du soleil qui tape. Mais il ne cassera pas, comme si la haine de vie du maître allait à l'épée.

Les pirates n'ont qu'un seul canon et deux hommes sont déjà dessus. Parce que les ennemis eux, n'attendent pas. Ils sont maintenant à quelques encablures et la poudre ne tardera pas à parler.

Mais le Monstre, lui, prend son temps. Une tasse de thé dans une main, il sirote tranquillement le temps de paix qui se termine bientôt. Comme si le monde ne tournait qu’autour de lui, sans l'atteindre. Comme si ces taches là de postillons, d'insultes, d'eau de mer et de poudre ne l'atteignaient pas.

Alors il hume l'air pour sentir cette odeur de sang qui monte au nez.

Les premiers coups de tonnerre sonnent et la volée tombe à quelques vagues de la coque. Ce ne sont que des tirs de test où les réglages se font. Et déjà une seconde volée se fait entendre. Plus près. Plus vite. Plus violente avec les remous des vagues qui cognent contre le bois trempé du bateau. Le Monstre se lève enfin. Tout autour c'est le branle bas de combat. Tous les marins sont debout, l'arme au poings. Une moitié remplie de poudre les armes à feu qui ne tarderont pas à sonner. Le reste leche leurs lames prêtes à tremper le corps de leurs adversaires.

Ils ricanent ces hommes. Ils ricanent prêts à faire couler le sang et les larmes. Ils ricanent et leurs armes parlent pour faire voler la poudre dans le corps de leurs ennemis. Ils ricanent et abordent un navire pour tuer des hommes qu'ils ne connaissent pas.

♪-♫-♪-♫-♫-♪-♫-♪-♪

Il fait nuit dans la petite pièce. Une loupiote se balade au gré des coups et des vagues pour éclairer trois visages blafards. A l’intérieur, aucun mot ne résonne. Ce sont les cris, les coups de canons et de fer cognant qui résonnent jusqu'aux trois pairs d'oreilles endoloris. Le plus petit balance une carte sur le tonnant le séparant de la gamine. C'est à peine s'ils savent à quel jeu ils jouent. C'est à se demander s'ils comprennent ce qu'il se passe. Mais oui, ils comprennent.

Il y a leurs tempes toutes humides qui ne peuvent empêcher de faire crier la vérité, ils ont peur. Oh ce qu'ils ont peur... Mais ils restent droits sur leurs chaises de fortunes et continuent à balancer les cartes sans mot dire, en gardant au coin d'un œil la porte qu'ils craignent de voir ouverte. Parce que si cette porte s'ouvre, celle la même qui donne sur le pont, si cette porte s'ouvre, ils n'auront que le monstre comme bouclier entre la vie et la mort. Ce monstre là qui dort. C'est à peine si ses yeux s'ouvrent. Le cul lourdement vissé sur un tonneau supportant le poids tant bien que mal, il fume. IL y a son cigare qui enfume la pièce jusqu'à piquer les yeux du gamin. Il y a ses lèvres qui se perdent dans un grognement au gré des canons sonnant plus ou moins fort. Et puis... Il y a sa poigne fermentent campée sur son pommeau et qu'elle ne semble jamais vouloir lacher. Malgré les remous. Malgré l'absence d'ennemis dans la pièce, il reste vissé à cette lame. Son corps dirigé vers la porte semble prêt à bondir à n'importe quel moment.


Dernière édition par Ishii Môsh le Lun 1 Déc 2014 - 17:22, édité 1 fois
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La porte s'ouvre. Je lève les yeux de mon full au roi par les as pour découvrir le gros Bren en sueur, qui ouvre un tonneau par le haut en écrasant son poing velu dessus. Je fais plus attention. Il a l'habitude de se soigner comme savent le faire tous les rats de fosse. Il reviendra au moins trois fois boire sa tasse de rhum avant la fin de la bataille, et nous jeter un méchant regard sournois en même temps. On sait jamais, des fois qu'on essayerait de voler un truc en pleine mer, et qu'on s'enfuirait à la la nage vers le bord des attaquants.

J'souffle. Envie d'une cigarette. J'suis presque au bout de mes réserves, je roules des miettes et je ramasse ce qui tombe ; je roule des miettes et de la poussière de cale. La fumée a un goût acre.

J'suis pas vraiment inquiète ; on tue pas souvent les catins de bord, elles font partie du butin. Si ce sont les autres qui gagnent, je passerais juste d'une paire de mains sales dans une autre. Sans autre perspective. Rien à attendre, rien à espérer, rien à redouter. Si encore c'étaient des marins, j'aurais été tirée de là. Mais je sais que je le veux pas vraiment ; je voudrais me barrer, je pourrais le faire facilement lors d'une escale à terre ; attendre que tout le monde ait bien joué les alchimistes en transformant son sang en rhum, et partir. Mais non. Ici, j'existe pas mais j'ai à bouffer. J'suis comme un clebs collé à sa niche prêt à subir les caresses et les coups de colère de son maître en échange d'une gamelle de merde. Et je me fais même pas pitié.

Pourquoi faut toujours que je remâche des pensées qui me mettent les viscères en rébellion ? C'est comme si j'imaginais que j'avais encore de l'énergie et que je la passais à me détruire.

-Wow, tu piges vite les règles !

Les yeux tout brillants du môme, qui voit autre chose qu'un tas de viande de première fraicheur chez moi. Au lieu de me faire plaisir, ça me fait honte, parce que ça fait un moment que j'suis plus digne de causer en être libre.

-J'y avais déjà joué.
-Oh ? Je t'ai jamais vue jouer avec les autres...

Parce que j'ai jamais joué avec les autres. Le petit bout agonisant de dignité qui me reste, je le consacre dans un genre de mépris qui me fait boire seule, méditer salement seule, me rappeler les moments où j'étais pas seule sans en parler à personne. Le gros Bren, il sent ça confusément, dans la brume alcoolique de son esprit creux comme une vague. Je sais qu'il est chaque jour un peu plus brutal pour ça. Il veut avoir la crémière, le beurre et l'argent du beurre ; l'aimerait que je lui dise, au fond, qu'il est fort et viril, l'aimerait voir des étoiles dans mes yeux. Que je soumette la seule part de moi qu'est pas tout à fait rivée au sol, soumise à ses bottes et à son bon vouloir. Mais c'est mort. Ça serait plus facile, mais je peux pas. Il y a le visage d'un mort beaucoup trop digne et fort qui rayonne encore en moi, c'est mon point de résistance. Au fond de l'égout, affamée, nue et sans perspective qui dépasse la minute qui suit, je continuerai à jeter mon mépris irrationnel à la face des ténèbres.

-T'as appris où ?
-J'sais plus.

La porte s'ouvre une deuxième fois. Bren entre, je tire sur ma clope. Sauf qu'il est pas tout seul. Je pose mes cartes, mais je bouge pas. L'odeur du tabac dans la bouche, le regard absent, je les regarde arriver. Le cachalot se redresse, se lève. Tellement tranquillement que j'arrive pas à sentir l'ombre du danger.

-... ?

Le gamin qui se blottit contre moi. Lui, il est encore trop vivant pour rester de glace face au sang. Je le repousse pas, je sais ce que c'est d'avoir besoin d'être protégé par les plus grands.

-C'est rien, bonhomme.

Que je lui dis en lui faisant une place sur ma caisse de bois.
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Le corps du Monstre passe d'un bout à l'autre de la pièce. C'est comme si ses pieds effleuraient le sol sans le toucher. Il n'y a eu aucun grincement de bois, aucun coup de pied. Et pourtant le voilà déjà à côté de Bren.

Le saoulard le regarde avec ses yeux plein de bêtises alcooliques et de peurs. Oui, il y a comme un goût de peur dans ses yeux hagards qui se baladent entre le Monstre et le pirate. Il y a comme un goût de peur dans ce combat qui ne semble pas aussi facile que ça. Le pauvre Bren ne peut même plus venir se saouler tranquillement sans être accompagné.

L’intrus lui, a le regard de celui qui sent la victoire. Il a la lame rougeâtre de celui qu'a encore faim de sang. Il a le corps de celui qu'a grandi trop vite dans l'horreur avant d'avoir fini de connaître l'enfance. Il n'a pas vingt ans et déjà ses épaules découvertes par son haut taillé de coups laissent apercevoir un nombre de plaies refermées trop importantes pour les compter.

Et puis... Et puis il a ce regard que Le Monstre n'aimerait pas voir quand ses yeux se perdent un court instant dans ceux de Serena. Il y a sa langue qui vient chatouiller ses lèvres comme un animal se bardant de son futur repas. Durant cet infime instant, le pirate oublie ses deux adversaires, durant ce court moment son cerveau n'est plus que dans la bestialité qu'a fait naître le corps de la jeune femme chez lui.

Alors le monstre en profite. Il ne prends même pas le temps de sortir son épée et c'est son poing qui vient tenter de fracasser le crane du pirate. Mais le gamin a des réflexes et son corps saute en arrière pour éviter le coup qui ne frotte alors que du vent.

Le gamin se marre de voir le Monstre, le bras tendu dans le vide. Il se marre d'avoir vu comment son regard a énervé le cachalot. Il se marre encore à l'idée de se faire la gamine et il se marre une dernière fois en imaginant sa lame venir tailler le corps du Monstre.

Bren est reparti au tonneau, trop heureux d'avoir trouvé une protection le temps de rassasier sa soif de perdre sa tête à remplir sa gorge. Le Monstre se trouve maintenant dehors, à admirer le carnage.

Il y a des corps sans vie par terre qui noient le sol d'une mer trop rouge. Il y a des corps avec vie qui noient le bruit de leurs cris, de leurs râles, de leurs pleurs. Il y a les estocs, les coups de lames qui rugissent leurs envies de morts. Il y a tout ça et encore le gamin qui lui fait face, pas même apeuré, comme si l'idée de tuer un homme poisson le ravissait. Comme si ajouter ce genre de Monstre à son compteur de mort le remplissait déjà de fierté.

Alors le gamin attaque. Son corps vole tant et si vite sur le côté que Le Monstre ne voit qu'une ombre apparaître et disparaître de son champs de vision avec deux lames qu'elle jette vers lui. Le cachalot n'a que le temps d'encaisser en levant son bras dans lequel viennent se figer les deux couteaux. Le gamin est là. A à peine cinq mètres, le même sourire aux lèvres mais cette fois le Monstre ne se fait pas avoir et c'est lui qui se jette. La lame en avant. Son épée vient fracasser celle du gamin qui manque de faillir. Le genoux du Monstre percute l'abdomen du pirate avant que sa tête ne vienne écraser l'autre, envoyant l'enfant au pays des rêves.

Dans la cabine, la gamine se cache. Cachée derrière un tonneau, l'enfant inconnu dans les bras. Elle entend des pas craqueler le plancher à quelques pas d'elles. Ce ne sont pas les pas de Bren, bien de trop légers. Ce ne sont pas des pas qu'elle connaît. Sans vue, elle ne peut qu'écouter la personne se rassasier d'alcool dans un tonneau ouvert. Elle ne peut que l'écouter déglutir de plaisir en sentant la gnôle descendre brûler sa trachée. Elle ne peut que prier qu'on vienne la sauver.

Mais la petite sait elle prier ? La petite veut elle prier ? Dans son monde à elle, dans le Monde de la petite, y'at-il un Dieu qui oserait penser à elle ?
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Le petit Sorren et moi, on attend. J'ai jamais trop parlé au cachalot. Je sais même pas s'il est pas muet. Je sais au moins que certains hommes-poissons parlent, y'en avait parfois au Grey T. Mais lui... il fait bien le taff pour lequel Bren l'a embauché. Il protège la cargaison ; dont je fais partie. Et vu les cris qui s'élèvent au-dehors, y'a de quoi penser qu'il est à la hauteur. Bren, il y est retourné. Alors, on s'est planqué, dans le doute. Et on a eu raison. C'est comme ça à chaque fois que ça tourne mal. Y'en a toujours un pour venir piller les réserves personnelles du Bren ; dont je fais aussi partie.

-C'est qui, lui ?
-J'sais pas. Bouge pas. Respire pas.


Le nouveau venu a une tête cireuse, comme si le sang s'en était trop échappé pour qu'il garde des couleurs. Il a pas l'air blessé, pourtant. Je devine qu'il se traîne un béri-béri ou un scorbut bien juteux. Quand il boit, une rangée de chicots bruns tangue dangereusement contre les bords de la tasse. C'est la phase terminale ; il va y perdre toutes ses dents. Pour en arriver là, ce doit être un équipage sur le bord de la ruine. Des pilleurs d'oranges qui cherchent encore le grand coup qui les remettra d'aplomb et qui restaurera leur fortune. Des cons qu'auraient mieux fait d'aller briguer un champ dans un patelin pour les cultiver eux-même. J'pardonne pas aux gens qu'ont la chance d'être entourés d'être aussi branleurs.

-Pfuuuuuuuuu... aaah ! Pardon, je tenais plus...
-... il vient vers nous.

M'apprendra à pas m'expliquer. Première fois que j'ai plus petit que moi à gérer, aussi... ça fait bizarre. En face, ça titube méchamment. Je baisse la tête. Cache celle du p'tit Sorren sous mon épaule. Essaye de nous faire oublier. Mise tout sur l'alcool qui doit pas aider à garder les pensées concentrées sur un seul truc. Mais rien, il avance toujours. Retire une première caisse, puis une deuxième...

-Pousse !

Énorme fracas, on se casse tous les deux la gueule quand notre mur de marchandises tombe sur lui. Il crie, mais une caisse de viande séchée lui arrache tout le râtelier. Mais ça lui suffit pas, alors, je prends la main du p'tit, et on s'arrache. Sauf qu'on a que sur le pont où aller...

-... capitaine !
-QU'EST-CE QUE C'EST, LA GLAUDE ? BWARHARHARG ! ATTEND CE SOIR ! LA FETE QUE ÇA VA DONNER !

Sa main grasse de sang et d'huile me repousse. Il plonge la tête dans le bac, pendant que l'autre remue de plus belle sous ses tonneaux. Bren le capte. Va vers lui, visiblement très content de pouvoir afficher sa bravoure devant la seule catin qu'ait pas pris la fuite à la première escale – la faute à une paresse poisseuse qu'il doit prendre pour de la peur ou encore mieux que ça –  il lève son sabre rouillé à la verticale, pointe vers le bas. Et lui transperce salement le crâne. En pourrissant au passage sa cargaison de tissus de Shell Town qu'était juste dessous.

-ARH ARH !  

Et en criant « arh arh ». Bren est du genre très vieux jeu. Vieux jeu aussi, la fête qu'il annonce en beuglant sur le pont tout en trucidant les derniers survivants. J'aperçois dans l'entrebâillement de la porte, que referme doucement la houle, que l'on fait des prisonniers. Histoire de se rappeler qu'on est de vrais pirates avec la planche et tout, et pas juste des contrebandiers... je partage pas leur joie. J'aurais voulu qu'ils y passent tous, mes protecteurs. J'aurais peut-être eu nulle part où aller, mais ça aurait brouillé les pistes de l'ennui. L'ennui qui finira par me buter, si c'est pas la gnôle qui s'en charge avant. Ou la certitude de pas avoir d'avenir. Si j'étais pas rivée à la vie par une promesse lointaine, ces mecs qu'on va envoyer par les fonds, je donnerais tout pour être à leur place...

Le cachalot ouvre la porte en grand pour laisser passer sa carrure ; se pose sans un mot. Peut-être un regard. J'ai peur qu'il soit pas de la fête. Qu'il se contente de son rôle. Et que j'ai à tout supporter sans personne d'extérieur pour me faire penser que l'océan n'est pas que cette grande capsule bleue qui enferme plus qu'elle ne libère. [/color]
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