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True Strength



L'île de Nigeb était une de ces contrées immenses faisant passer l'océan environnant pour des douves. Un homme avait d'ailleurs un jour entrepris de mesurer l'île en comptant le nombre de pas qu'il fallait pour en faire le tour. Ce ne fut pas la volonté qui lui manqua mais par une nuit étoilé, l'homme, devenu vieux, eut une attaque et mourut tout seul, dans le noir, la main crispée sur son cœur. Dans les quelques secondes qui précédèrent son trépas, il se remémora ses vingt dernières années passées à arpenter la circonférence de l'île et se dit que son seul regret fut de ne pas savoir combien de pas il manquait à ses sept millions et des poussières. Bien sûr, l'ironie de la chose est qu'il avait déjà fait le tour deux fois mais n'avait jamais retrouvé l'arbre marqué de sa signature qui lui servait de repère.

Pour sa défense, Tommy Lounatik était devenu parfaitement sénile depuis cinq bonnes années.

Toujours est-il que Nigeb Island était grande. Affreusement grande. Bien assez grande en fait pour les deux royaumes qui la partageaient. Ou du moins c'est ce qu'on aurait pu penser. Mais c'était bien mal connaître les hommes, et à fortiori ceux qu'on auréolait d'une couronne et à qui on donnait -sans se demander si c'était une si bonne idée que ça- les pleins pouvoirs sur ses milliers de sujets. La chose intéressante avec les couronnes, c'est qu'elles avaient la fâcheuse tendance à mettre au défi leur porteur de faire mieux que leur prédécesseurs, et tant pis s'il fallait renier toute parcelle d'humanité pour gagner quatre kilomètres carré terres rocheuses sans valeur. En plus de quoi, lesdites couronnes s'avéraient être en toc, les rois les paumant une fois par semaine, on décida rapidement de foutre une couche de peinture pour faire l'or et des trucs brillants pour mimer les émeraudes. C'était autant d'argent sauvé pour payer les pauvres types allant mourir dans les contrées voisines qu'ils ne connaissaient ni n'aimaient pour un roi qu'ils ne connaissaient pas plus et pouvaient encore moins blairer. Oui, la condition de soldat n'était pas des plus alléchantes, mais comme toute chose dans la vie, elle avait ses bons cotés.


Et la centaine d'hommes dépêchés par le roi fou du royaume de Lopes commençait à les découvrir. Ils avaient investi à l'aube et sans un bruit une petite ville dépourvue de défense ou de garnison du royaume ennemi et ils s'en étaient donné à cœur joie. C'est parce que la vie de soldat était rude qu'on décompressait comme on le pouvait. Heindrik IV avait beau être fou, il le savait. Et ses soldats étaient encouragés au viol et aux meurtres lents et douloureux, mais surtout défendus de laisser un seul survivant. La force des soldats lopiens était de ne pas faire de discrimination. Vieillards comme enfants y passaient, et c'était pas beau à voir.  


____________________________________________________


▬ Sire ! Sire ! C'est une catastrophe ! La ville d'Harrbug a été attaquée !
▬ Harrburg ?! Mais c'est sur la côte opposée !
▬ Il semblerait qu'ils nous aient contourné par la mer durant la nuit.
▬ Combien sont-ils ?
▬ Pas plus d'une cinquantaine, mais nous n'avons aucune troupe stationnée dans les alentours. A ce rythme là ils vont tout raser et s'en prendre aux villes d'à coté. Ils visent sûrement Harlem !

A ces mots le roi fit la moue. Cela ne se vit presque pas car Yome le sage était un homme maître de ses expressions, mais l'idée qu'une troupe de meurtriers puisse arriver dans sa ville natale, où s'était justement rendu son unique fils, lui donna des vertiges. Il réfléchit à toute vitesse et s'évertua à calculer le temps que mettraient les régiments les plus proches à rejoindre la ville. Même en restant optimiste, il serait toujours trois fois trop tard.
En cet instant ce fut comme si Yome le sage, le roi légitime et respecté d'Alia, redevenait l'enfant fluet et maladif qu'il avait été. C'était extrêmement frustrant d'être l'homme le plus puissant du royaume et de ne rien pouvoir faire pour protéger son fils d'une meurt atroce. Peu à peu la frustration se changea en détresse, et la détresse mua en désespoir. Sa vision se brouilla et des mouches virevoltèrent devant ses yeux sans qu'il soit capable de déterminer s'il risquait de s'évanouir ou s'il s'agissait de vraies mouches,

Et puis il eut un flash. Une illumination. Le genre d'éclat de génie qu'on aurait apprécié sourdre quelques minutes plus tôt, mais un éclat de génie quand même. Le roi cacha avec la même habilité que toujours le petit rictus de satisfaction qui le gagnait et il demanda à son messager, juste pour être sûr.

▬Est-ce que le général ne vient pas justement de partir en permission ?

L'homme eut un regard peiné, partagé entre surprise et incompréhension.

▬ Si, votre majesté.
▬ Et il me semble, que ces cinq dernières années, il a passé toutes ses permissions au même endroit, n'est-ce pas ?

L'homme commença à comprendre, et un fugace sentiment de honte imprégna ses traits.

▬ Oui, votre majesté.
▬ On parle bien des harems de Harlem ?
▬ Effectivement, votre majesté.
▬ Et bien, c'est une chance que le commandant des armées de notre royaume soit aussi... Hum, comment devrais-je dire...? Dépravé ?

Même un aveugle aurait vu l'embarras du messager.

▬ Je... ne saurais vous dire, majesté. Mais il devrait déjà être arrivé. Voulez-vous que j'envoie des renforts ?

Les lèvres royales s'autorisèrent un sourire. C'était le genre de sourire franc et incontrôlé qu'on était plus habitué à voir sur le visage du monarque par les temps qui courraient. Il répondit de sa voix suave, empreinte d'un soupçon d'amusement.

▬ Des renforts, mon cher ? Vous voulez l'énerver ?

Yome garda son sourire jusqu'à ce le messager quitte la salle et ce ne fut qu'après qu'il se mit à tousser grassement pour cracher la mouche qu'il venait de gober.

C'était donc bien des vraies mouches.

    Le capitaine Nolong et sa troupe venaient de quitter le petit village d'Harrburg et se dirigeaient d'un pas léger vers Harlem. Nolong marchait en tête, sifflotant une mélodie légère tout en traînant distraitement une femme par les cheveux. Le visage du commandant buriné et tâché de sang dégageait une profonde satisfaction matinée d'allégresse. De toute évidence, il était heureux.

    La jeune femme qu'il trimbalait devait pas avoir plus de vingt ans. Il ne se rappelait plus de son nom et n'était à vrai dire même pas sûr de l'avoir su. Après tout il l'avait choisi pour d'autres critères, autrement plus personnels. Son teint pâle et ses formes voluptueuses l'avait immédiatement intrigué, mais ce fut son visage déformé par la peur et la rage à la vue de sa famille violée et massacrée qui le séduit véritablement. Un visage qui maintenant ne ressemblait plus à grand chose. Pourtant elle n'avait pas crié. Pas une fois.

    Le capitaine était un homme ambivalent et lui-même peinait à connaître ses sentiments. Il était à peu près sûr qu'il avait pris du plaisir à traîner le corps nu de la femme sur les deux derniers kilomètres, mais était-ce par amour ou par haine ? Il ne le savait. Ni s'en soucier. Car déjà à l'horizon se profilait Harlem. Harlem et ses bâtiments luxueux. Harlem et ses maisons closes réputées. Harlem et la demeure du prince d'Alia. Harlem et ses portes gardées par deux gardes ridicules. Cela n'allait pas seulement être facile. Cella allait être un plaisir.

    Il lâcha prise et plusieurs de ses hommes se jetèrent sur la femme comme des chiens se jette sur les restes du maître. Nolong sourit de ses dents cariées. Chacune d'entre elle semblait mettre un point d'honneur à ne pas s'aligner avec sa voisine. Il se lécha les lèvres d'un air malsain et rappela les consignes à ses hommes.

    ▬ Pas de pitié. Pas de prisonniers. Éventrez moi ces chiens d'Aliasiens jusqu'au dernier. Mais laissez moi le prince.

    Et les cinquante bâtards qu'il commandait gueulèrent à l'unisson.


    ______________________________


    Aux portes de Harlem, les deux gardes de faction avaient la peau tannée par le soleil. Le soleil tapait comme à son habitude et leur uniforme complet finissait de les cuir. Mais en cet instant, ils transpiraient pour d'autres raisons.

    ▬ Hey Alvin. Je sais qu'on est pas censés parler, mais tu vois ce que je vois ? demanda l'un des gardes à son collègue.
    ▬ Hum...? Tu parles de ces types armés qui courent vers nous ? répondit-il platoniquement.
    ▬ Ouais. C'est moi ou ils ont pas l'air très sympathiques ?
    ▬ Tu dis ça à cause des têtes fixés au bout de leurs lances ? dit-il après avoir plissé les yeux pour les observer.
    ▬ Entre autre.

    Un malaise s'installa assez rapidement. La troupe était à un bon kilomètre mais ils ne ménageaient clairement pas leurs efforts et sprintaient à pleine vitesse, les yeux remplis d'excitation perverse. Ils se sentaient pousser des ailes et ne souhaitaient surtout pas voir le prince s'enfuir. A mesure qu'ils s'approchaient on distinguait de mieux en mieux leurs armes tachées de sang et la folie qui s'imprimait sur chacun des visages.

    Ils arriveraient dans quelques minutes.

    ▬ Hey Alvin. Je sais pas si tu le sais, mais j'ai jamais tué personne moi. Je suis même pas sûr de savoir correctement me servir de ma lance.
    ▬ ...
    ▬ En fait j'ai accepté d'être garde pour avoir l'uniforme. Je pensais que ça m'aiderait avec les filles.
    ▬ ...
    ▬ Et puis c'était pour faire plaisir à mon pépé.
    ▬ ...

    Alvin n'avait jamais été très bavard. Des deux, c'était Isaac qui s'occupait de questionner les voyageurs souhaitant accéder à Harlem. Un homme parfaitement sympathique qui ne s'était plaint que très rarement de son travail. Mais c'était avant d'imaginer sa tête se balader au bout d'une lance.

    ▬ Hey Alvin ? demande Isaac.
    ▬ Quoi encore ? répondit Alvin, une pointe d'énervement dans la voix.
    ▬ Je me demandais si on devrait pas prévenir quelqu'un. se risqua Isaac.
    ▬ Oh.

    Alvin sembla réfléchir. Il ne parla pas pendant un petit moment. Ce furent les quinze secondes les plus longues de la vie d'Isaac. Mais finalement il brisa le silence oppressant.

    ▬ Si, je pense que c'est une bonne idée.

    Isaac retrouva instantanément le sourire et sa voix se fit moins tendue.

    ▬ Alors je...
    ▬ Reste là, j'y vais. le coupa Alvin.

    La réplique s'abattit froidement et percuta Isaac si violemment qu'il fallait s'évanouir. Alors qu'Alvin commençait déjà à partir, Isaac se mit à balbutier.

    ▬ Euh... Je... Euh... T'es sûr que tu veux pas qu'on y aille tous les deux ? proposa t-il.
    ▬ Pourquoi faire ? demanda Alvin, son visage affichant clairement l'expression de ceux qui vous prennent pour un con.

    Isaac se mit à stresser. Alvin était son aîné et supérieur et il ne parvenait pas à trouver une excuse valable pour rentrer se mettre à l'abri. Et plus il faisait perdre de temps à Alvin et plus ses chances de survie s'amenuisaient. Voyant que le soldat partait pour de bon, il tenta tout de même.

    ▬ Pour rester en vie ?

    En sept ans passés à garder les portes de la ville ce fut la première fois qu'il vit son collègue sourire. Et en passant les portes, il l'entendit même partir d'un rire franc ponctué de "elle est bonne". Mais Isaac n'avait pas le cœur à rire.

    Il se retourna pour faire face à la cohorte de tueurs en rut dont on percevait maintenant le fracas métallique de leur armures et armes s’entrechoquant. Il déglutit avec peine. Réajusta son casque. Resserra sa prise sur sa lance et son bouclier. Et acceptant finalement la fatalité, il fit ce qu'il avait à faire.

    Il se mit à prier.





      Harlem respirait la richesse. Ce qui n'était au départ qu'une modeste ville de paysans s'était subitement transformé en havre de luxe tape à l’œil lorsque Yome le sage accéda au pouvoir. Dans le mois qui suivit, il fit envoyer des montagnes d'or et des joyaux à ne plus savoir quoi en faire. Mais les habitants, des gens terre à terre et dont la moyenne d'âge frôlait la soixantaine s'en moquait quelque peu. Résolu à vivre et mourir dans leur village perdu, ils continuaient de cultiver leur terre et de remplir leurs fonctions. Harlem était bien la seule ville du royaume où l'on pouvait trébucher sur des émeraudes de la taille du poing. Le mieux dans cette histoire restait que même avant l'opulence et l'honteuse richesse, Harlem était considérée comme la cité la plus heureuse d'Alia.

      Et qu'on soit bien clairs, ceci n'avait rien à voir avec les catins.


      Alvin arriva au bordel. Dur à louper, que ce soit par la taille du bâtiment surplombant tout le reste de la ville, ou par la pancarte de cinq bons mètres où trois jeunes femmes dénudées et plaquées or s'affairaient autour d'une barre verticale. Une création régionale où les filles avaient, dans un sursaut de création euphorique, demandé à ce qu'on installe des tiges d'acier reliant le sol au plafond et dont elles se servaient pour danser. Curieuse idée s'était dit le village, mais après tout on ne manquait ni d'argent ni d'ouverture d'esprit à Harlem.

      Le garde frappa à la porte. Trois coup secs et peu appuyés. Personne ne répondit. Alvin resta stoïque, attendant patiemment que quelqu'un réponde. Il attendit. Et attendit. Et alors qu'il attendait, droit comme un i, une boule de paille défila dans la rue déserte. Alors se risqua t-il à entrer. Il prit une profonde inspiration, tourna lentement la poignée et ouvrit la porte. Instantanément un nuage de vapeur s'en échappa et se dispersa rapidement dans l'air chaud d'Harlem. Alvin hésita un instant. Étonnamment il semblait faire encore plus chaud à l'intérieur que par les quarante degrés de la ville aride, et les lieux plongés dans une brume vaporeuse ne permettait pas de distinguer à cinq mètres devant. Il prit une seconde inspiration et entra.

      Isaac vous dirait, comme le reste du village, qu'Alvin était le genre de personnage dur à cerner. Impassible en toutes circonstances, des quatre gardes se relayant pour garder des portes qui n'avaient pas connu d'attaques en vingt ans, il était incontestablement celui qui s'investissait le plus. Pas un jour de repos en dix sept ans de fonction. Et plus surprenant encore, pas une seule fois il n'avait déserté son poste pour se rendre aux harems -contrairement à ses collègues. Mais ce n'était qu'une demi-verité.


      Car Alvin Albatros était le seul homme d'Harlem à n'être jamais allé au bordel.


      _______________________________

      La troupe de Nolong se rapprochait dangereusement. Et Isaac s'agitait dangereusement. Il suait à grosses gouttes dans sa cuirasse et s’entraînait à donner des coups de lance nerveux dans le vide. Ce n'était qu'une histoire d'instants avant qu'il se fasse une élongation. Ou pire.

      ▬ Je t'en prie Alvin. Dépêche toi de revenir avec quelqu'un.

      Il n'était même pas bien sûr avec qui il aurait voulu le voir revenir. Il hésitait entre une armée et un dragon.


      _______________________________


      Les lieux étaient immenses mais déserts. La salle principale abritait un imposant bassin creusé à même le marbre qui recouvrait toute la pièce. Des barres ça et là poussaient du sol et traversaient le plafond, striant la pièce de quelques lignes en acier trempés dont Alvin n'arrivait à deviner l'utilité. Alors qu'il arpentait la demeure, Alvin crut que la chaleur viendrait à bout de sa résistance. Il faisait littéralement chaud à en crever. Peut être cinquante degrés. Malgré le peu de connaissances que l'homme avait de l'endroit, il sut que ce n'était pas habituel. Pas plus que le fait qu'il n'ait encore rencontré personne.

      Il voulut rebrousser chemin une bonne dizaine de fois, mais il se souvenait de la délicate position dans laquelle il avait laissé Isaac. Ce bon à rien d'Isaac. Il l'aimait bien. Et Alvin aimait peu de choses. Puis, même s'il parvenait difficile à l'avaler, la seule chance de sauver Harlem se trouvait dans ce bordel. Ce fut en prévenant le maire que ce dernier lui parla du convoi. Depuis maintenant quelques années, un messager, armé et peu affable, escortait un cortège de fardiers marqués du sceau de l'armée principale d'Alia. Il arrivait de nuit, réservait le bordel pour la semaine puis disparaissait en précisant que toute entrée était rigoureusement interdite. Il ajoutait que si un homme s'y risquait, il aurait peu de chance d'en ressortir. Le cortège repartait ensuite et revenait sept jours plus tard. Personne n'avait jamais vu les types qui s'appropriaient les harems mais le bourgmestre était un homme instruit et surtout ses journées restaient suffisamment vides pour qu'il se laisse aller au jeu des suppositions. Pour lui, il s'agissait rien de moins que de la garde royale d'Alia en personne. Ces soldats triés sur le volet et dont on prétendait que chacun d'entre eux pouvait terrasser dix hommes d'une seule main. Restait plus qu'à espérer qu'il s'agissait bien de ces guerriers d'élites et non d'un colonel adipeux et plus porté sur la boustifaille que sur la guerre.


      Alvin entendit un drôle de bruit. Aiguë et faible, il aurait pu s'agir tout autant du chant d'un rossignol que du cri d'un cochon qu'on égorge, mais l'un comme l'autre était peu probable. Il s'approcha à pas feutrés dans la direction d'où venait le son. Arrivant devant une imposante porte, il y colla son oreille et s'arrêta de respirer. Le cochon qu'on sacrifiait était en réalité le chevauchement des rires stridents de plusieurs femmes.

      Dieu savait qu'Alvin n'était pas à homme à flancher. Mais il hésita de longs instants à frapper contre cette énorme porte en fer. Sans comprendre pourquoi il ressentait une peur viscérale quant à ce qui pouvait bien se trouver derrière. Mais une pensée pour son compagnon d'armes l'envahit. Il ferma le poing et un rugissement tonitruant retentit soudain. Le cri puissant prit Alvin aux tripes et le cloua sur place. Il ne parvenait tout bonnement pas à imaginer ce qui avait pu pousser un tel hurlement, mais ce n'était clairement pas humain.

      Son corps se mit à trembler. Son front à dégouliner et ses entrailles à le brûler. Une horrible sensation de peur le tirailla dans tout son être et son ventre émit une longue plainte grave. Alors une voix résonna. Elle était froide, caverneuse et péremptoire. On ne disait pas non à cette voix-là. On ne réfléchissait même pas, on s'exécutait.

      ▬ ENTRE.


      Il ne réfléchit pas.
      Il s'exécuta.



        Isaac, au bord du désespoir, voyait déjà sa vie défiler devant ses yeux et elle était pas glorieuse. Les armes scintillantes des hommes de Nolong lui rappelèrent la fois où, totalement ivre, il embrocha malencontreusement vingt-quatre des poules de son voisin puis se décida, après une très brève tergiversation, à allumer un feu au sein même du poulailler pour organiser un barbecue nocturne. Leur armure grinçante lui remémora le jour, euphorique, il enduisit tout l'intérieur de la cuirasse d'un de ses collègues gardes de moutarde. Enfin, à la vue de la profonde excitation animant les visages des tueurs, il se revit, complètement schlass, en train de chier dans le...

        ▬ Hé !

        Isaac sursauta. Il se se retourna et ce fut pour voir la tête de Travis, a.k.a l'homme à l'armure qui puait encore la sanve. Garde de nuit, il vouait une haine réciproque à Isaac et Alvin et ne ratait jamais une occasion de leur faire une crasse ou de les tourner en ridicule. Mais il vint simplement se poster à côté de son confrère, regardant droit devant.

        ▬ Ils sont combien d'après toi ? demanda t-il.
        ▬ Quarante-sept. répondit Isaac.
        ▬ C'est précis.
        ▬ On a une vue imprenable d'ici. Et j'ai eu le temps de compter.

        Un silence s'installa. Les deux gardes continuèrent à fixer la troupe déchaînée quand Travis finit par demander.

        ▬ Combien tu penses pouvoir en prendre ?

        Isaac hésita. Il réfléchit un instant.

        ▬ Deux. conclut-il.
        ▬ Avec de la chance ?
        ▬ Ouais.

        Nouveau silence. Tout aussi pesant.

        ▬ Et toi ? le questionna Isaac, comme à contrecœur.
        ▬ Trois. répondit l'autre au tac au tac.
        ▬ Avec de la chance ?
        ▬ Non. Avec un miracle.

        Le troisième silence fut de loin le plus glacial. Ils allaient mourir, de toute évidence. Mais ils ne pouvaient s'empêcher de calculer le temps qu'il leur restait. Deux minutes devina Isaac à la louche. Il ne put refréner un petit rire.

        ▬ Y reste plus qu'à trouver quelqu'un pour les quarante deux autres !
        ▬ T'as des noms en tête ?
        ▬ Ton frère ?
        ▬ Alvin lui a demandé de veiller sur le prince.
        ▬ Et lui, qu'est-ce qu'il fait ?
        ▬ Jsais pas. Il m'a dit qu'il allait essayer de trouver une solution...

        Isaac vit que Travis avait laissé sa phrase en suspens. Ca n'annonçait rien de bon mais au point où il en était, il voulait connaître la fin.

        ▬ Et...?
        ▬ Et il est entré dans le bordel.
        ▬ ...

        Il regretta.


        __________________________________


        Tout simplement inexplicable. Alvin, toujours maître de lui, n'osait même pas lever les yeux du sol. Il était entré parce qu'on le lui avait demandé, mais que ce soit conscient ou pas, son champs de vision se limitait à ses pieds sur fond de carrelage. Alors la voix tranchante frappa.

        ▬ LÈVE LES YEUX.

        Il les leva. Et il le vit. Malgré la pénombre. Malgré les quarante jeunes femmes dénudées qui gravitaient autour. Il en avait à peine entendu parler mais il comprit tout de suite de qui il s'agissait. Les rumeurs collaient trop bien à la réalité pour qu'il puisse s'agir de quelqu'un d'autre. Non. Il n'y avait aucun erreur possible. L'homme qui réservait le bordel d'Harlem chaque année était le légendaire général d'Alia, le grand commandant de toutes les armées du royaume. Alors Alvin l'indolent, mû par un réflexe primaire, mis un genoux à terre et son poing contre son cœur et solennellement se prosterna.

        Il avait à peine eu le temps de le voir, mais l'impression de puissance ressentie le faisait encore frissonner. Alors qu'il attendait patiemment qu'il lui adresse la parole, il ne put s'empêcher de penser que, pour une fois, les légendes devaient être vraies. Cet homme n'en n'était clairement pas un. Haut comme deux, large comme trois, son corps entièrement constitué de muscles donnait l'impression que les dieux l'avaient taillé dans du métal. Il semblait être le genre de type à pouvoir déchiqueter des armures en acier trempé avec les dents. Et s'il fallait en croire l'une des rumeurs à son sujet, il l'avait déjà fait.

        ▬ ALORS. QU'EST CE TU VEUX ?

        A un moment Alvin eut l'envie de répondre "rien" afin de partir d'ici au plus vite. Heureusement il se rattrapa vite.

        ▬ Votre aide, général. Une troupe de Lopes est sur le point d'attaquer la ville. Ils seront là d'une minute et à l'autre et nous n'avons pas les moye...

        ▬ ET QU'EST CE QUE TU VEUX QUE CA ME FOUTE ?! le coupa le général.

        Alvin n'en crut pas ses oreilles. Il redressa la tête dans un parfait manquement au protocole, et distingua avec mal deux points lumineux dans l'obscurité, le regard incandescent et inflexible du commandant suprême. Il avait bien compris. Mais le géant s'avérait être le seul à pouvoir sauver la ville. Et il restait le défenseur d'Alia, l'homme qui avait risqué sa vie un nombre incalculable de fois pour la protéger des terribles armées de Lopes au combien plus fournies, au combien mieux formées. Peut était-il tout simplement contrarié qu'on vienne le déranger avait-il dit cela sans réfléchir. Il ne pouvait après tout décemment pas laisser Harlem et le prince mourir.

        ▬ Je suis vraiment désolé de vous déranger, général. Mais il en va de la survie de la ville natale du roi et de son propre fils.

        Ses yeux scintillèrent de plus bel et Alvin ne sut s'il l'imagina mais son corps sembla se mettre à dégager de la vapeur. Et même les femmes qui jusque là se disputaient des parties de son anatomie s'en éloignèrent.

        ▬ SERAIS-TU EN TRAIN DE ME DIRE QUOI FAIRE ?!

        C'était déconcertant. Il semblait marmonner et rugir à la fois. Mais à chaque fois qu'il parlait, Alvin avait l'impression qu'un bloc de granite s'effondrait sur lui. Il n'y avait bien sûr aucune autre réponse que "non, votre général" à cette question. Dès son arrivé dans la pièce, ce fut comme s'il avait tout oublié. Le temps s'étirait manifestement et il aurait juré y être entré depuis plusieurs heures. Et puis la chaleur, ignoble, insupportable allait le rendre fou.
        Alvin n'avait plus qu'une envie et c'était d'en finir. Il aurait donné n'importe quoi pour sortir de cette pièce. Ses lèvres formèrent le "non, votre général" mais complètement desséché, aucun son ne sortit de sa bouche. Il déglutit douloureusement, le peu de salive créée rappant les parois arides de sa gorge. Puis son esprit en perdition émit deux pensées. Tout d'abord il eut l'intime conviction qu'il allait mourir ici, dans cette chambre VIP du bordel où il n'avait jamais foutu les pieds. Et ensuite, il se félicita d'être venu à la place d'Isaac.

        Son visage lui apparut. Et Alvin se releva. Il fixa le général droit dans les yeux et savait qu'il pouvait se faire décapiter pour cela. Mais il s'en contrefoutait. Alvin était de retour. Et les mots fusèrent.

        ▬ Ouais jvais vous dire quoi faire. Vous allez lever votre gros cul de ce bordel et vous allez montrer à nos ennemis qu'on n'attaque pas impunément Harlem. Vous allez faire regretter d'être né à ces tueurs sans pitiés. Vous allez les faire pleurer. Vous allez les faire crier. Mais surtout vous allez sauver les honnêtes habitants de cette ville. Car ils le méritent. Vous allez sauver le prince. Car vous le devez. Et plus que tout, vous allez sauver mon ami. Car c'est ce que j'ai décidé.

        Le garde n'en revint pas. Venait-il réellement de dire au commandant suprême des armées de Lopia, à l'homme qui ne recevait d'ordres que du roi, au géant qui aurait facilement pu lui broyer la tête d'une main quoi faire ? Et avait-il réellement ajouté en plus qu'il avait un gros cul ?! Ainsi il allait bel et bien périr dans le bordel de sa ville. On faisait mieux comme mort. Au moins serait-ce de la main du plus grand général de l'histoire d'Alia. Et l'on ne faisait pas mieux comme tueur.

        Celui-ci se leva. Il s'avança lentement, de son pas de géant serein. Alvin eut le temps, à mesure qu'il se rapprochait, de regretter cent fois ce qu'il venait de dire. Mais c'était fait. Et quitte à mourir, il affronterait la mort en face. Il dut lever les yeux pour ne pas perdre le regard dur et froid du général. Ce général qui fit craquer les doigts de sa main dans un bruit absolument terrifiant. Il ne dit pas un mot. Il s'approcha juste. Leva le bras. Et l'abattit.



          Ils arrivaient. Isaac, mort de trouille, n'en montrait plus les signes. La présence de Travis l'aidait à surmonter l'épreuve. Pas dans le sens où il le réconfortait, mais il aurait préféré mourir que de montrer un seul signe de faiblesse à l'un de ses pires ennemis. Et cela tombait fort bien car la mort n'allait pas se faire prier. Un couteau de lancer rasa sa tête, éraflant au passage le haut de son casque pour se planter dans la porte en bois. Il releva son bouclier et pointa sa lance, imité par Travis.

          ▬ Te tiens pas trop prêt de moi. Je refuse de voir ta gueule juste avant de mourir. dit Isaac, un sourire en coin.

          Travis sourit à son tour. C'était la première fois qu'il le faisait sincèrement en face d'Isaac.

          ▬ Y'a pas de risque, je compte pas t'approcher.

          Et ce fut la dernière aussi, car le trait fendit l'air à une vitesse folle et se planta en pleine gorge. Travis, l'empennage de la flèche lui perforant la trachée, écarquilla de grands yeux avant de s'écrouler, mort. Isaac se pétrifia. Il ne réagit même plus, se contentant de fixer le corps de son collègue baignant dans son sang. Mais il ne mourut pas tout de suite.

          Nolong ordonna à ses hommes de se calmer, et il s'avança doucement vers Isaac. A quelques mètres de lui, il lui parla, toujours affublé de son sourire cruel.

          ▬ Ca va gamin ?

          Sa voix était presque douce.

          ▬ Tu trembles. J'parie qu't'es un des ces pseudos gardes qui s'est jamais battu de sa vie, hein ?

          Il continua à s'approcher avec lenteur, faisant danser sa lame dans sa main. Ses hommes, derrière lui, ne tenaient pas en place. Mais ils appréciaient toujours un bon spectacle. Et ceux de leur capitaine comptait parmi les meilleurs.

          ▬ Tu sais quoi ? Jvais te laisser la vie sauve.

          Isaac, ne répondait rien, mais son visage aussi incrédule qu'effrayé parlait pour lui.

          ▬ Si, si je t'assure. Suffit de me dire où se trouve le prince.

          Il ne se trouvait plus qu'à quelques mètres du garde. Et sa lame s'agitait dans sa main.

          ▬ Pas compliqué ?

          Isaac sembla hésiter. Son corps vacillait. Il était en état de choc. Nolong se trouvait à deux mètres à peine devant.

          ▬ Et t'en profiteras pour nous dire où trouver les autres gardes tiens.

          La lance fusa. Elle frôla le visage surpris de Nolong qui recula de quelques pas. Isaac se tenait enfin en garde, une détermination farouche sur le visage.

          ▬ Ola, ola. Calme toi mon garçon, tu risquerais de te ble...

          ▬ Ferme la et attaque ! le coupa subitement Isaac. Si tu veux passer ces portes, tu devras d'abord me passer sur le corps.

          Nolong sourit de toutes les dents qui lui restaient.

          ▬ Quel changement de comportement soudain ! Je me demande... Ne serait-ce quand même pas parce que j'ai demandé pour les autres gardes ?

          Pas de réponse.

          ▬ Tu te rends quand même bien compte qu'ils vont crever ? Que vous allez tous crever ?

          Isaac attaqua. Un coup vif et puissant mais que le capitaine esquiva avec facilité.

          ▬ Et qu'est-ce que c'est que ça ? On jurait que tu penses pouvoir me blesser avec ton cure-dent.

          ▬ Si c'était un duel je te tuerais.

          Un fou rire général retentit au sein de la troupe. Chacun riait d'un rire bruyant, franc et puissant, jusqu'à en avoir mal aux cotes. Certains se roulaient même par terre. Même le capitaine avait ri de bon cœur. Il en pleurait.

          ▬ Hahaha...Haha...Ha... Haaaaa. Putain, ça faisait longtemps qu'on s'était pas autant marré. J'aurais presque pas envie de te buter.

          Il regarda Isaac, impassible. Le visage de Nolong passa d'un sincère amusement à une profonde colère.

          ▬ Bordel de merde. J'y crois pas. T'es vraiment sérieux.

          Et de la colère retourna vers un soupçon d'allégresse.

          ▬ Ca me dépasse. Qu'une petite merde de garde dans ton genre pense réellement avoir une chance contre moi.

          Il rengaina sa lame et fit deux pas en avant. Théâtralement, il écarta les bras et salua Isaac bien bas. Il se retourna et en fit de même face à sa troupe qui applaudit à s'en rompre les mains. Le spectacle aurait bien lieu.

          Faisant de nouveau face au garde, il lui fit signe de venir.

          ▬ Allez, viens. Je vais te montrer la différence qu'il y a entre nous.

          La lance d'Isaac fendit l'air plus vite qu'elle ne l'eut jamais fait. Mais Nolong l'évita d'un simple pas de coté et avec une vitesse ahurissante il tourna sur lui même pour décocher son pied en direction de la tête du garde. Celui-ci parvint par chance à parer de son bouclier mais il comprit, trop tard, qu'on ne parait pas un coup de Nolong. Le pied enfonça le bouclier et Isaac décolla. Il entendit un sinistre craquement puis fut projeté plusieurs mètres plus loin. Nolong rigolait d'un air goguenard. Il savait qu'il venait de casser son bras et doutait qu'il puisse se relever.

          C'est pourtant ce qu'il fit. Difficilement et d'une lenteur extrême, mais il y parvint. Son casque envolé, un filin de sang perlait le long de son visage poussiéreux. Il recracha un peu de la terre qu'il venait de bouffer et s'essuya le front de la main qu'il lui restait. Chaotiquement il fit un premier pas. Un véritable enfer. Sa tête lui tournait horriblement et il sentait le sang affluer dans son crâne et craignait qu'il explose. Pourtant, tout doucement, il alla ramasser sa lance et revint se planter devant la porte. L'hémoglobine coulait sur son visage constellé de terre et de grains de sable s'incrustant dans sa peau. Il avait un mal fou à garder les yeux ouverts et était constamment obligé de se nettoyer du revers de sa main droite. Mais la détermination n'avait pas quitté son regard un instant.

          Il faudrait donc bien le tuer. Mais c'était de toute façon prévu.

          Nolong s'avança d'un pas rapide, une main dans la poche. Il eut juste à pencher la tête sur le coté pour éviter le coup de dard. L'instant d'après, son coude s'encastrait dans le nez d'Isaac. Même sa troupe entendit le bruit de l'os se brisant. Mais Nolong n'en avait pas fini.
          D'une vivacité foudroyante il brisa le bout de la lance du soldat et le fit tourner dans sa main avec dextérité avant de le planter violemment dans la poitrine d'Isaac. Celui-ci tituba. Cracha du sang et finit par s'effondrer.

          Maintenant c'était fini. Et cela avait à peine pris plus d'une seconde.

          Nolong se pencha au dessus du corps du garde qui, une nouvelle fois, bouffait le sol.

          ▬ Tu la vois maintenant la différence bâtard ?

          Le capitaine se redressa et tourna la tête pour s'adresser à ses hommes. Eux aussi avaient hâte d'en découvre.

          ▬ C'est parti pour la chasse mes gaillards ! Trouvez moi le prince et vous pourrez aller visiter les fameux harems !

          Vive acclamation de la part de ses hommes, et il se mit en route. Mais il n'avait fait qu'un pas quand il sentit quelque chose s'accrocher à sa jambe. Il n'osait y croire.

          ché pfa chini baragouina le soldat tandis que sa main s'agrippait fermement à la cheville du capitaine.

          Ses hommes s’arrêtèrent. Peut être par respect, ou peut être pour voir ce qu'il allait se passer. Ils virent surtout la colère s'emparer des traits peu délicats de leur commandant. Même ces tueurs sanguinaires furent terrifiés par le visage de Nolong. Ils ne savaient que trop bien ce qu'il précédait.

          Le capitaine se força à sourire, mais ce fut encore pire. Un sourire dépourvu de la moindre trace de joie. C'était le sourire que pouvait avoir un requin.

          Il attrapa Isaac par les cheveux et le retourna violemment pour voir sa trogne. Déjà dans un piteux état avec son nez brisé, il semblait incroyable qu'il puisse encore respirer. Mais le pire était son regard. Ce regard insoumis qu'il lançait à Nolong. Celui plia ses genoux pour descendre juste au dessus du soldat. De sa main gauche il tira sur sa tignasse pour lui maintenir la tête bien en place. Il ferma le poing droit. Et frappa. Et frappa. Et frappa. Et frappa encore et encore. Ses soldats d'habitude si bruyants n'émettaient plus le moindre son, si bien qu'on n'entendait que les phalanges fracasser un peu plus le visage d'Isaac. Du sang giclait à gros bouillon à chaque coup, éclaboussant toujours plus le sourire funeste du capitaine. Mais il continua. Et continua. Et continua. Et continua.

          Jusqu'à ce qu'un autre bruit survienne. Les portes étaient en train de s'ouvrir.


          L'homme qui en sortit n'en était pas un. Haut de trois mètres, il dut baisser la tête pour passer sous l'arcade. Il était totalement nu mais n'en montrait absolument aucune gène. Et l'on comprenait pourquoi. Il n'était que muscles. Des veines courraient le long de son invraisemblable musculature et rien qu'avec des mouvements très simples on pouvait voir des nerfs de la taille d'une corde jouaient sous sa peau. Des cicatrices effroyables striaient sa chair un peu partout. Aucun homme normal n'aurait pu survivre à la plus petite qui le décorait. Et il en arborait des centaines.

          Ses jambes étaient des pylônes. Ses bras, des massues. Ses doigts des burins. A chaque pas qu'il faisait, c'était comme si la terre allait céder. Ses pieds s'enfonçaient de plusieurs centimètres et le sol tremblait. Peu de gens ignoraient qui il était. Et tous le redoutaient.

          Il était l'homme qui avait défait les armées sans pitié et trois fois plus nombreuses de Lopes. Il était celui qui déchirait les armures à mains nues. Il était celui qui pourfendait la foudre.

          Il était le roi des guerriers. Le tueur de dragons. Le lion d'Alia.

          Et surtout, il était mal luné.

          Son regard inquisiteur balaya la petite troupe de Nolong. Pas un n'osa soutenir son regard. Chacun se demandait, en fixant ses pieds, ce qu'il pouvait bien faire ici. Finalement il finit par regarder le capitaine. Puis le garde étendu sur le sol. Il n'eut pas d'expression. Mais il se mit en marche.
          Les hommes et même Nolong eurent un mouvement de recul soudain. Ils s'en voulurent et plus particulièrement le capitaine, mais ce n'était pas quelque chose de contrôlable. A vrai dire ils eurent le mérite de ne pas plus reculer. Mais de nouveau, ils ne purent s'empêcher de frissonner quand la voix retentit.

          ▬ DOMMAGE. VOUS N'AURIEZ PAS TOUCHE AUX SOLDATS, J'AURAIS PU ENVISAGER DE VOUS LAISSER PARTIR. APRES TOUT, J'AIME PAS BOSSER PENDANT MES VACANCES.

          Nolong recula d'un pas et dégaina vivement. Il se tint en garde, tous ses sens en alerte. Jamais il n'avait connu pareille sensation. Mais le géant ne ralentit absolument pas. De son regard dur et froid, il se contenta de demander.

          ▬ SAIS TU AU MOINS QUI JE SUIS ?

          Nolong se contenta d'hocher la tête pour répondre. Alors un large sourire s'empara du géant, dévoilant deux rangées de crocs terriblement affûtés. Celui-la était un sourire d'une joie incommensurable.

          ▬ ET TU PENSES QU'UN GOSSE DANS TON GENRE A LA MOINDRE CHANCE CONTRE MOI PARCE QU'IL SE TRIMBALE AVEC SON JOUET ?!  

          Nolong ne répondit pas. Mais il ne baissa pas non plus son épée. Les pas le séparant du général étaient comptés et les secondes qui lui restaient à vivre, avec. Le géant prit manifestement cela pour un "oui". Son sourire ne s'en élargit que de plus belle. Sa dernière phrase sonna le glas.

          ▬ JE VAIS TE MONTRER LA DIFFÉRENCE QU'IL Y A ENTRE NOUS.

          Alors le général perdit son sourire. Ses muscles se contractèrent et tout son corps sembla s'embraser. Le peu d'humanité qui transparaissait dans ses yeux s'évanouit et il se mit à dégager une fumée. Nolong ne parvint à comprendre ce qu'il se passait. Il ne pouvait bouger d'un iota. Tout ce qu'il put faire fut d'observer le géant tendant son énorme bras et le levant en direction du ciel. Et lorsque il fut juste devant lui, lorsque sa gigantesque silhouette occulta le soleil, lorsqu'il comprit que sa dernière heure était arrivé ; il le vit l'abattre.

          Et le bruit que cela produisit déchira les cieux et fit trembler le monde.