Correspondance.

24 Juin 1622

Assise à la table de la chambrette qu'elle louait, Lilou poussa un petit soupir. Elle regarda à la fenêtre, l'ouvrant à la suite pour laisser le vent s'engouffrait et rafraîchir l'endroit. Se retournant, elle aperçut Bee sur le lit en train de faire la sieste, et songea alors qu'elle aurait aimé en faire autant. Sauf que, non. Non, elle était au-dessus d'une feuille blanche, une plume dans une main, un encrier par loin. Et elle regardait tour à tour ces trois objets dont elle devait se servir.

Elle ne savait même pas ce qu'elle faisait là, ni à qui elle allait écrire. Elle en avait juste envie, à dire vrai. Il fallait d'abord déterminer plusieurs choses avant de s'y mettre, et sans comprendre pourquoi, la rouquine avait déjà grillé quelques étapes. Elle s'empara de la plume et minauda quelques instants en songeant à qui elle l'adresserait. Des dizaines de noms lui passèrent en tête, qu'elle associa à des événements particuliers de sa vie. Mais à chaque fois qu'elle commençait à ébaucher sa lettre, elle se devait d'arrêter.

Car en finalité, écrire impliquait trop de choses. Et sur le lot de personne à qui elle cherchait à s'adresser, aucun ne comprendrait sa démarche et ne voudrait lire le vide de son inspiration médiocre en la matière. Elle se leva, faisant racler la chaise sur le parquet. Frustrée, elle s'écarta de quelques pas avant de se figer. Il y en avait un. Un seul. Qui comprendrait. Ou pas vraiment. Mais qu'il sache ou pas n'était pas la question. Il y en avait un, c'était tout ce qui comptait.

Alors, elle fit volte-face, retourna s'asseoir et attrapa sa plume :

Bonjour
Bonso-
Salut Kiril,

J'espère que tu vas bien et que tu te souviens de mo Bon. On m'a dit qu'écrire des lettres faisait très adulte. C'était pour me prouver que je pouvais le faire, mais désormais, je ne suis plus très sûre que ça soit une bonne raison.

En tout cas, je n'ai rien de particulier à te dire. Je ne sais même pas pourquoi je m'adresse à toi. Je ne suis pas sûre que ça soit une très bonne idée. En réalité, je me suis juste dit que t'étais celui qui trouverait ça le moins étrange, de recevoir une lettre d'une fille que tu n'as connu que brièvement et à qui tu as attiré beaucoup d'ennuis. Sache que je ne suis pas trop rancunière, je ne t'en veux plus pour Boréa.

Bon. C'est tout. Je devrais peut-être te demander si tu vas bien, si ta vie prend la direction que tu entends, si tu te marres encore ou si tu continues à gagner des trucs que je ne sais toujours pas ce que c'est. A toi de me dire ?

Je ne sais pas si tu auras l'occasion ou l'envie de me répondre. Je ne sais même pas si tu sais écrire en fait, mais j'espère pour toi que oui. Je ne sais pas s'il y a quelque chose à répondre donc tu fais comme tu veux.

Alors... Biso Voilà.

Lilou

Et, presque fière d'elle, elle contempla sa lettre, la plia et l'envoya.

15 Juillet 1622

Je déplie l'enveloppe avec la férocité d'un vétéran. Et mes yeux n'en sont plus, ne sont plus que deux ronds mal dessinés.

Lilou. Boréa, la chute, l'expulsion. Héhé.

On s'est quitté sans un mot et quand elle m'a tourné le dos je ne l'ai plus jamais revu. Mais impossible de l'oublier, parce que c'était quand même une journée incroyable. Sans vraiment trop y réfléchir, ma plume se met à bouger toute seule.

Salutations Bella, si je t'appelle comme ça c'est parce que je sais que ça ne te fera pas plaisir...

Je ne sais pas pourquoi tu m'as écris mais je me dis que ce n'est pas si mal. Tu as toujours été une distraction amusante. Du kidnapping à la virée sur l'océan. Tu sais, Lilou, j'ai beaucoup de fierté et c'est pour ça que c'est plus facile pour moi de le dire par écrit, je suis désolé. Pour tout. Parce que c'était vraiment pas sympa, en y réfléchissant.

Disons que tu m'as rencontré à un moment étrange de ma vie. Bien sûr, ça n'excuse pas tout mais je vais faire des efforts pour me faire pardonner.

Pour commencer, je me présente. Kiril Jeliev, ex-marine au chômage. J'ai été licencié, je crois. Je ne sais pas. Je ne veux pas en parler.
Actuellement, je suis chez moi, sur Grand Line, à Lynbrook. Contrairement à ce que tu pourrais penser, je ne suis pas un de ces voyous. Au contraire... J'ai les idées claires, moi, comme ma conscience. Tout du moins, j'essaie d'y passer le balai quelques fois par mois. Aujourd'hui en fait parti.

Je ne crois pas pouvoir te raconter de choses intéressantes à propos de moi parce que je ne crois pas qu'il y en ait. A part cette fois où j'ai rencontré une fille amusante à Boréa, je l'ai pris pour quelqu'un que j'aime beaucoup, tellement, que je l'ai embarqué, et on s'est retrouvé dans un merdier sans nom. Mon petit doigt me dit que tu la connais sans doute.

Et toi, est-ce que tu as des choses à raconter ? Comme, d'où tu viens ?

A un temps, peut-être.

Spyke Mushu Anakin

 

2 Août 1622

Lilou relut la lettre une troisième fois, puis une quatrième avant de pousser un petit soupir. Dans le bureau de son nouveau boulot, elle s'installa près du plan de travail et attrapa feuille et stylo en se tenant prête à écrire. Encore une fois, à écrire quoi ? Elle retourna au mot de Kiril avant de froncer les sourcils et pincer les lèvres.

Est-ce qu'il se prenait la tête comme elle lorsqu'il couchait les mots sur un papier ? Parce que la rouquine avait l'impression de réfléchir à un problème mathématique épineux tant ça lui semblait compliqué. Elle lui avait dit en plus. Parler sentiment, c'était dur. Même si ça n'était qu'une lettre en soi, c'était un peu des sentiments, une lettre.

Bon...

Suffisait de se lancer, non ?

Kiril,

Je ne m'attendais pas forcément à une réponse, et en lisant ta lettre, je m'interroge. Bonne ou mauvaise surprise ? C'est toujours en réflexion. Mais j'ai beau relire encore et encore, je ne suis pas certaine de trouver avant la fin de la mienne.

J'ai oublié ce que j'ai mis dans ma précédente lettre. Sans doute n'importe quoi. Je crois t'avoir souhaité une vie tranquille, ou un truc dans ce genre là, et je constate que ce n'est pas vraiment ça. Dois-je en être désolée ? Il paraît que ça se fait, sans certitude. Et je ne sais même pas où c'est, Lynbrook. C'est loin de South Blue ?

Du reste... Je ne sais pas d'où je viens (et ce n'est pas pour jouer les mystérieuses), ni où je vais. Je bosse actuellement dans un atelier minable et je gagne à peine de quoi mettre à manger dans mon assiette. J'ai grandi à Rokade (pas un endroit très sympa à visiter, je te le déconseille), puis ailleurs, puis ensuite je suis partie pour faire autre chose. Mais je crois que je fais surtout n'importe quoi, un peu comme toi.

En fait, quand on s'est rencontré, tu faisais quoi sur Boréa ?

J'espère que tu la recevras vite. Ah, et cette lettre est de la part d'une « distraction amusante ».
A la prochaine.

Lilou

11 Août 1622

Aucun doute, c'est bien elle. Je ressens ces mots comme si elle me cognait sur la tête, comme elle aurait fait si elle était devant moi. C'est bien parce que je suis loin que je peux me permettre de l'irriter un peu... Quoi que, je l'ai déjà fait. Et si jamais on se revoit, je le referai. La voir s'énerver aussi est une distraction amusante.

Peut-être que je devrais essayé d'être sympa ?

Lilou. J'aime ton prénom. Il est mignon, je trouve. Quand on connait un peu la personne, c'est impressionnant comme il devient rigolo parce qu'on te sait capable de menacer de mort un type qui t'aurait mal regardé.

On m'a envoyé sur Boréa pour me souhaiter bon vent, soit, me remercier d'avoir été loyal à la marine mais que je pouvais aller me faire voir. Dans un endroit froid proche de l'enfer glacial, d'ailleurs. C'est tout. Tu me diras pourquoi tu y étais toi.

Ensuite, Lynbrook c'est très loin de South Blue. Rokade, je ne sais pas quel genre d'île c'est mais je n'en ai pas peur, parce qu'il n'y a rien de pire que le trou où je vis. Je rechercherai plus tard les endroits dont tu me parles. Tu sais, South Blue et Rokade...

J'ai toujours été fasciné par les Blues parce que petit, je n'ai jamais pu quitter Lynbrook. J'ai entendu dire qu'il ne vous fallait pas de logpose, que vous pouviez vous déplacer d'une île à l'autre comme bon vous semble. Je trouve ça formidable. Ce n'est pas si simple ici. Je ne me suis jamais trop plongé dans les bouquins mais je sais aussi qu'au nord il fait froid et qu'au sud il fait chaud. Sur Grand Line, le temps se fout de nous. Sur Lynbrook par exemple, il pleut la plupart du temps, il peut se mettre à venter fort, mais il pleut toujours. Tu n'aimeras pas, je pense. Il n'est pas rare qu'il y ait de l'orage.

Il y a pas longtemps, je me suis rasé les cheveux. Je ne sais pas pourquoi, ça me tentait. Je pense que la crête que j'ai maintenant me prouve quelque chose, quoi, je ne sais pas. Mais ça me fait quelque chose. C'est quelque chose de positif. C'est chouette parce que ça ne m'arrive pas souvent.

Entre temps, j'ai changé de voie, mais pas pour autant d'univers. Je suis sur Dead End maintenant. C'est pareil que Lynbrook, sauf que j'ai l'impression que l'île est à la fois humide et sèche. J'ai trouvé un boulot au chantier naval, et je dors dans une auberge miteuse. J'ai pas l'impression de beaucoup vivre, enfin, j'espère trouver quelque chose à faire de mieux. Tu sais, comme les gens qui accomplissent de grandes choses et dont on parle dans les livres. Pourtant, il y a les autres, les gens comme moi, qui lisent ces livres et qui n'y comprennent rien. C'est surfait, c'est inaccessible, ce genre de vie là.

Pourtant, notre histoire à Boréa, elle aurait bien fait, sur papier. Alors je crois qu'on est quand même des gens pas normaux. Si ?

Spyke Mushu Anakin

 

20 septembre 1622

Elle n'avait pas le temps. Lilou courrait dans tous les sens depuis des jours sans réussir à se poser. C'était intenable. Et au milieu de tout ça, elle avait cette lettre froissée qu'elle avait relu une bonne centaine de fois sans réussir à y répondre. C'était tellement compliqué de réussir à s'asseoir plus de quinze minutes sur un tabouret et de se mettre à gratter. Elle ne savait même pas ce qu'elle pouvait lui dire, si c'était judicieux de le faire.

Alors, elle avait laisser traîner. Un mois. Et pendant une des rares pauses qu'elle avait réussi à prendre, la rouquine s'était installée, avait mis son déjeuner loin d'elle parce qu'elle préféra lui écrire plutôt que manger :

Kiril,

La vie sur les Blues est souvent tranquille, ça a ses avantages. Tout dépend des moments en réalité. Ces derniers temps, je n'ai pas eu l'occasion de te répondre, un peu trop prise par le travail. Je profite d'une accalmie pour t'écrire.

J'étais à Boréa pour le travail. Sauf que, ce boulot, je l'ai perdu après m'être fait expulsé. Voilà.

En fait, tout dépend où tu te trouves et sur quelle mer tu es. Lorsque tu dois circuler sur les îles d'une mer, tu n'as pas de soucis. C'est quand tu dois partir plus loin que ça devient plus compliqué. Il faut ruser, payer, rendre des services pour pouvoir circuler. Si tu as un petit talent quelque part, tu t'en tires à bon compte, et tu peux te rendre utile dans un équipage. J'imagine que Grand Line n'a rien à voir. Je n'y suis jamais allée, et je ne crois pas qu'un jour j'irai. Les histoires en font un endroit dangereux, et si tu me le confirmes, je vais rester tranquillement sur mes mers bleues.

Et Dead End, c'est un endroit où t'y feras ton trou pour qu'on écrive un jour des bouquins sur toi ? Si tu dois devenir quelqu'un, te terrer sur une île qui s'appelle « l'impasse », je ne suis pas sûre que ça soit très porteur. Tu devrais partir, trouver une île qui s'appelle « l'espoir » ou « l'avenir ». Enfin. Moi, ce que j'en dis, t'en fais ce que tu veux.

J'essaye de t'imaginer avec une crête. Je crois que je n'y arrive pas. Ça commence à faire long depuis cette rencontre, je me souviens surtout de tes bêtises, de tes bizarreries, et du fait que tu étais plus grand que moi. Il faut que je travaille ma mémoire.

Tiens moi au courant pour quand il y aura un livre sur ta vie. Je le lirais je pense.

(désolée pour les tâches, le cambouis ne part pas très bien au lavage)

Lilou

1er Octobre 1622

Déjà trois. Les trois premières. J'ai conservé les enveloppes, les timbres, j'ai regardé les formes des lettres, touché le papier froissé par ses mains, ou autre chose, je ne sais pas. C'est quelque chose qu'on a fait pour moi. C'est étrange. Comme si ce n'était jamais arrivé avant. L'est-ce ?

La vie m'empoisonne ici, rien n'est blanc paradisiaque sauf la feuille qui se tient devant moi. Puis, le chemin qu'elle empruntera pour arriver jusqu'à elle.

Je ne sais jamais comment commencer.

Déjà, si tu veux tout savoir, ça ne change rien. Il suffit juste d'imaginer deux parties de mon crâne à l'air. Je te fais un dessin :

(Ouais bon j'ai peut-être exagéré sur le muscle mais sinon c'est plutôt ressemblant.)

Ensuite tu as raison. Dead End c'est une impasse. Par contre je ne suis pas sûr qu'il y ait une île qui s'appelle Espoir. Si tu trouves, tu me dis. Mais toi où es-tu ? Et qu'est-ce que tu fais ? Tu sais je pense quand même que Grand Line vaut le détour. Je pense que tu devrais toi aussi partir. Peut-être même qu'on se reverra. Qu'en dis-tu ?

Moi, au chantier en ce moment, on construit un bateau. J'aime ça, beaucoup, ce métier. Et je ne sais pas pourquoi mais j'ai l'impression qu'il appartiendra à un grand pirate et qu'il sera connu du monde entier. Mais ça restera le mien, de bateau.

Je ne sais pas s'il y aura jamais un livre racontant mes histoires, parce que bon, en ce moment, à part devenir comme les types qui m'entourent, je ne fais rien. Pourtant en t'écrivant j'ai presque l'impression d'être un mec normal. Sauf que. En vérité, je me saoule du soir au matin et je me bats comme je respire. Je perds, je gagne, peu importe, ça me donne le sourire comme ça me mine le moral. Je ne saurais pas t'expliquer.

En espérant encore avoir de tes nouvelles.

Spyke Mushu Anakin

 

15 octobre 1622

Lilou déplia la lettre avec patience, avant de tomber lourdement sur son fauteuil. Remontant ses jambes à sa poitrine, elle jeta ensuite un coup d'oeil à l'heure tardive avant de soupirer. Elle devrait plutôt être au lit. A la place, elle avait plutôt envie de lui répondre.

Alors, elle le fit.

Kiril,

Il est super joli, ton dessin. Et ça te va bien du coup.

J'ai regagné East Blue il y a peu pour retrouver un vieux contact qui a de quoi m'enseigner quelques trucs utiles. Je n'ai pas encore commencé à travailler, mais ça ne saurait tarder. Après ça, je compte m'attarder encore un peu dans le coin pour trouver d'autres petits boulots sympathiques, peut-être même que je m'y poserais pour quelques semaines, ou mois, histoire de faire une pause dans mon voyage interminable. Le temps y est plus clément également, ça change des chaleurs écrasantes du sud ou du froid polaire du nord.

Du reste, je ne sais pas. Est-ce que te revoir ne va pas m'attirer des ennuis ? Puis, si ça doit se faire, il faudra que je vienne jusqu'à Dead End, ou quelque chose dans le genre ? Je ne suis pas sûre d'être faite pour là-bas. Plus tard peut-être. Plus tard peut prendre des mois, voire des années. Enfin. On verra. Tu en aurais envie ? De me revoir, s'entend.

Ne te laisse pas trop aller dans la bouteille. J'en connais certain qui ont voulu y trouver leur reflet, et qui se sont simplement perdu à l'intérieur.

Le navire que tu construits naviguera bientôt sur les mers ? Tu lui as déjà donné un nom ?

Et en parlant de nom, tu devrais signer par le tien, Kiril.

Lilou

29 Octobre 1622

Lilou,
Bof comme commencement...

Tu me fais rire. En y repensant, c'est vrai que je n'ai pas été tendre lors de notre rencontre. Mais j'ai gagné en raison (je crois) et si on se voit ce ne sera pas à Dead End. Oh non. Tu sais qu'il y a très peu de femmes ici ? En réalité, les seules que j'ai vu tenaient les portes de rades mal famés. Et oui, tu as compris...

Non, si on est amené à se revoir, et oui je le souhaite, alors, ce sera sur une île chouette, j'espère. Il y a tellement d'endroits que j'aimerais voir sur Grand Line ! Déjà, une île céleste. Tu sais, celles dans le ciel. Lone Down aussi, on dit que tout est à l'envers là-bas, c'est intriguant. Et puis, les grands royaumes, celui de Nebelreich ou de Doscar. Et La Jolie. Voir pourquoi on l'appelle comme ça.

Tu devrais te renseigner sur les îles et me dire celles que tu aimerais le plus visiter.

A propos du navire, on les construit simplement, on ne les nomme pas. C'est la charge de celui qui en sera le propriétaire. On vient tout juste de le commencer, on en est encore à la coque. Je t'apprendrais peut-être si tu veux.

Sinon, je viens de remarquer que je ne t'ai jamais demandé ce que tu faisais comme travail ?

Et puis, je me suis improvisé poète depuis. Alors voilà ce que je t'ai écrit. Te moque pas, je débute.

Des cheveux brûlants
Dans un froid glacial
Je l'ai pris par la taille
Et pour un amour mourant

C'est avec l'inconnue
Que j'aie eu des plaisirs
A je crois, me saisir
De mon autre moi cornu

Prisonniers de la neige
Puis ensuite de l'éclair !
J'en ai fait un manège
Pour les étoiles polaires

Un manège, ou une distraction amusante. Comme tu voudras. Mais y en a qui ne rime pas. Devine lequel ?

Kiril

 

8 novembre 1622

Le poème.
Kiril était un poète. Tout jeune, mais un poète quand même. ça lui allait bien. Lilou eut un sourire amusé en posant la lettre non loin d'elle, avant d'attraper son stylo. Bee penché par-dessus son épaule, il se détourna quelques secondes après pour faire autre chose. Elle, elle se contenta d'écrire en se concentrant sur chacun des mots qu'elle mettait sous sa plume :

Kiril,

Es-tu vraiment jamais content de toi ou en donnes-tu seulement l'impression ?

Du reste, je ne sais pas. Je ne connais absolument pas Grand Line. Je veux voir toutes celles que tu veux voir. Et aller sur Water Seven, c'est là où les ingénieurs comme moi ont leurs place. Bulgemore serait aussi sûrement un chouette coin, même s'il paraît qu'il y neige plus qu'à Boréa. J'aimerais trouver un endroit où il fait tout le temps beau, et où on aura besoin de mes services. Mais un endroit où il fait bon vivre. Je crois qu'à terme, je finirais à W7. Et j'aurais ma boutique, tu pourras venir me rendre visite à l'occasion.

Je m'interroge. Tu devrais continuer à faire des poèmes. Peut-être que tu pourras t'en faire un recueil et qu'un jour on te connaîtra pour ça. Il est chouette, celui-ci.

Est-ce qu'on se fixe un rendez-vous ? J'ai vu ça faire dans un livre un peu nul, mais bon. Deux gens se revoyaient des années plus tard après avoir convenu de ces retrouvailles. Il faudrait convenir de l'endroit et de la date, et que ça résiste au temps et à ce qu'on pourrait devenir. Et il faudrait fixer des conditions peut-être ? Enfin, j'en sais rien. Ils n'expliquaient rien d'autre dans le livre, ce n'était qu'une histoire tragiromantique un peu banale.

Comme tu voudras.
A très vite.

Lilou

19 novembre 1622

Et je trouve un certain réconfort à la lire. C'est le seul moment où je m'interdis d'être un n'importe quoi, où je m'interdis l'alcool et le sang, car il n'y a que l'encre qui peut couler sur ma feuille. Ici, je suis seul, mais quand je relis ces lettres je revois la totalité des expressions qu'elle a bien voulu me montrer. Et je ris tout seul.

Rousse,

Je ne sais pas quoi répondre à ta première question. J'ai été très content de moi quand, avec mes collègues du chantier, on a remarqué à quel point on avançait rapidement à la construction du navire. Ensuite... Enfin bref. Comment est-ce que tu te portes ?

Tu es ingénieure, alors. On en cherche, des ingénieurs par ici. Je suis de la vieille école, mais j'aime bien quand c'est en bois. Les engrenages, je ne comprends pas. Pas que je ne veuille pas apprendre, mais je trouve ça quand même compliqué. Étrangement, je trouve que ça te va bien.

J'aimerais aussi aller à Water Seven. Si tu y ouvres une boutique, j'irai. Et je t'achèterai le magasin. D'ici là je vais économiser pour.

Tu me proposes déjà un rendez-vous ? Après si peu d'échange ? Je ne savais pas que tu éta
Oublie ça, je voulais blaguer mais j'ai perdu la fin de ma phrase. Je serai occupé toute cette année, alors pourquoi pas un an à compter de ce jour-ci ? Sachant qu'on est le 19 novembre aujourd'hui, je ne sais pas quand est-ce que tu recevras la lettre. Alors ce serait le 19 novembre 1623. Ici même, à Dead End. Fais attention quand même, la traversée de Grand Line n'est pas de tout repos.

Je dis ça mais, tu me donneras ta réponse dans ta prochaine lettre.

Sinon, Décembre vient. C'est bientôt la fin de l'année. J'ai l'impression d'avoir pris cent ans ici. Il fait plutôt chaud malgré qu'il y ait très peu de lumière. On sue toute la journée et le soir, c'est le rhum qui nous brûle de l'intérieur. Je m'étouffe. Peut-être que quand tu viendras, je repartirais avec toi. Je n'ai pas envie de rester ici. Mais je n'ai nulle part où aller. Alors...

Je te referai un poème à l'occasion, mais pour l'heure, voici :

Dead End

C'est un mur froid et une bête noire
Qui ronge ces hommes sans histoire
Un océan aux vagues déboires
Éclatant la coque de l'espoir

C'est une putain aux si belles formes
Qu'elles rendent aveugles ces manants !
En vérité, elle est difforme
Et se joue d'eux en ricanant

C'est une pauvre femme, une riche pétasse
Une succube aux dents acérés
Elle prend un plaisir éthéré
A nous piéger dans son Impasse

Kiril

 

9 décembre 1622

Elle quitta ses collègues en pretextant devoir faire autre chose. S'éclipsant dans un petit bureau non loin, la rouquine tira de la poche arrière de son pantalon la lettre qu'elle avait reçu quelques semaines plus tôt. Elle la relut pour elle, et vint s'asseoir près d'une table pour se mettre à écrire. Pressée par le temps, sa plume se fit un peu hâtive, mais elle chercha à faire au mieux quand même.

Punk,

Je prends quelques minutes sur ma journée d'anniversaire pour t'écrire. Un an de plus, et je vais toujours bien. Je pense passer sur Shell Town d'ici peu, il y a des trucs sympas à faire là-bas, et il y a surtout toujours du travail près du port. J'aurais voulu m'y mettre avant, à ta réponse, mais les préparatifs du déménagement m'ont pris beaucoup de temps, et je ne savais pas trop quoi te répondre en fait.

Je pensais à notre rendez-vous. J'y ai longuement réfléchi, et je crois que c'est une bonne chose. Même si je sens que tu vas quand même réussir à m'attirer des ennuis mais en tentant de bien faire, je veux essayer. Par contre, je ne crois pas pouvoir me rendre sur Dead End l'an prochain. Déjà parce que c'est loin, ensuite parce que l'île va sans doute me dévorer toute crue. Et puis, donner rendez-vous à quelqu'un dans une impasse, est-ce vraiment une bonne idée ? Ça sonne comme un piège. Un coupe gorge. Et je tiens à ma gorge.

Ne devrions-nous pas trouver un terrain neutre ? On a encore un an pour trouver l'endroit en question, mais quelque part à mi-chemin entre chez toi et chez moi, ça pourrait être plus jouable tu ne crois pas ? La date, cependant, me convient parfaitement. Un 19 novembre, ça sonne bien. Ça serait historique comme date après ça.

Et ça nous laisse le temps de savoir de quoi on voudra parler. Si on parlera. Peut-être qu'il y aura autre chose à faire ailleurs. A toi de me dire si quelque chose te tente. Et moi, d'ici là, j'y réfléchirais. J'aurais sans doute des propositions dans ma prochaine lettre.

A très vite, j'espère.

Rousse

20 décembre 1622

Son anniversaire ? Je ne connais même pas son âge, mais, pour une fois, ce ne sera pas une lettre qu'elle recevra mais un colis. J'y joins un totem en bois, un peu plus petit que ma main, des choses censés ressembler à des animaux que je m'amuse à faire quand je m'ennuie. Un canard ? Un singe ? Non, un singe.

Je ne sais pas pourquoi... Un singe.

Rousse,

Un bon anniversaire, déjà. Combien ça te fait maintenant ? Surement moins que moi.

Tu as raison, aussi. Dead End, c'est sûrement pas le meilleur endroit pour boire un verre avec quelqu'un. Enfin avec toi. Alors que dis-tu d'Union John ? Je ne sais pas vraiment ce qu'il y a à faire là bas mais à priori, on arrive à s'amuser même quand on ne devrait pas. Alors, tu me diras.

C'est bientôt la fin d'année, le début d'une nouvelle ensuite, j'ai l'impression d'avoir perdu mon temps. Je vais bientôt partir, je pense, après avoir terminé le bateau. J'irai me terrer en haut d'une colline, dans une cabane que j'aurais construit moi-même. Et tous les jours je descendrai chasser le poisson dans une rivière qui sera là. C'est ce dont je rêve, pour l'instant. Et toi, tu en as des rêves ?

J'essaie de m'occuper comme je peux, j'aime chanter et écrire, mais généralement ici, je passe le plus clair de mon temps à l'obscurcir. Et pourtant, ce n'est pas volontaire. Mais je me sens sombrer dans les bras de quelque chose qui me veut du mal. Je le sais alors le plus étrange est que ça me fasse du bien. Il faut que je parte...

J'espère qu'on se retrouvera bientôt, Lilou.

Kiril

 

2 Janvier 1623

Lilou contempla le petit singe qu'elle avait entre les doigts. Le posant sur la surface de son bureau, elle joua avec quelques secondes avant de se pencher sur sa feuille encore blanche. La gueule de bois pour l'instant à cause de la soirée et journée de la veille, elle avait l'impression que son sang était fait d'alcool. Jamais elle n'arriverait à écrire droit, et c'était ce qui l'inquiétait le plus, hormis ses cheveux qui sentaient le rhum à plein nez...

Kiril,

Merci pour ton cadeau. Il a rejoint ma caisse à outil que je ne quitte jamais. Tu l'as fait toi-même ? Bon, ça me fait vingt deux ans désormais. Et toi, tiens ? Que je sache. Et Union John, ça sonne bien. J'ai regardé sur une carte, c'est encore accessible. On peut apparemment prendre la Translinéenne pour une île non loin et s'organiser sur place, j'économise pour me payer le trajet dès aujourd'hui.

J'en profite aussi pour te souhaiter la bonne année. Tu as dut finir, ou ne pas être loin de le faire, le navire sur lequel tu travailles depuis un moment. J'espère que tu en es fier. Tu vas peut-être pouvoir passer à autre chose désormais, passer à la construction de cette maison sur ta colline. Si tu ne le fais pas tout de suite, ne retarde pas trop ce projet, tu pourrais le regretter.

Moi, je rêve de tout savoir. C'est puérile, mais je voudrais être la meilleure dans mon domaine, ou au moins apprendre auprès des meilleurs. Peut-être qu'à terme, je pourrais rencontrer le Docteur Végapunk. Mais pour ça, il faut que je commence à me distinguer des autres, j'y travaille.

Je bougerais sur Shell Town d'ici quelques jours, je ne pourrais donc pas répondre à ta prochaine lettre très tôt. Profites en pour m'en faire une très longue, comme ça, j'aurais de quoi en répondre autant !

Bise.

Lilou

 

12 Janvier 1623

Y a du progrès...

D'accord,

J'ai vingt-sept ans, j'en aurais vingt-huit le vingt-quatre juin. Il n'y a pas grand chose à savoir sur moi. En réalité, il y en a tellement peu que tu sais déjà presque tout.

Comment est-ce que je me suis retrouvé ici ? J'ai été marine, lieutenant. Je me suis engagé en 1613, à ma majorité. Je trouvais les marines cool, beaucoup plus que les gens qui m'entouraient. Comme je t'ai dit, Lynbrook est une île à éviter. Il n'y a vraiment rien à voir si tu n'es pas attirée par le crime et le crime et le crime et le crime. J'ai toujours voulu être quelqu'un d'autre, pourtant là-bas, on fait tout pour te faire croire que tu n'as pas d'autre choix que d'être une vermine.

Je me souviens bien de mes jeunes années, dans les rues, il y avait toute une faune de dépravés, maquereaux, putes, violeurs, escrocs, voleurs, faux-mendiants, etc... Et je me disais que la pluie ici n'était juste qu'un décor, un accessoire, quelque chose qui avec les bars aux insignes qui clignotent et les murs gris. J'attendais une vraie pluie, celle qui laverait les rues de toute cette racaille.

Mais la pluie n'est jamais venue, et j'ai compris qu'elle ne viendrait jamais. Au lieu de ça, elle se mêlait au décor de cette île froide, humide et sombre. Alors je suis parti moi-même.

La marine m'allait bien. Je me suis fait un ami, Harry, qui ne m'a plus quitté jusque milieu 1621. J'étais lieutenant, lui vice. Et puis, il y a eu cette opération. Harry m'a présenté une recrue qui voulait rejoindre mes soldats de cœur (c'était ceux en qui j'avais le plus confiance, ceux qui allaient au front avec moi), il l'a obtenu, et nous a même aidé à mener l'opération à bien. Et on est rentré sur le croiseur... Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. J'ai vu ce type et puis le temps que je me retourne j'étais par terre, un poignard dans le dos. J'ai vu Harry aussi.. Et je ne sais pas. Plus j'y réfléchis, moins je comprends. A part m'empourprer le cerveau...

Enfin, mes supérieurs m'ont donné ces vacances prolongées qui ont marqué l'arrêt de ma carrière. Je ne sais pas pourquoi non plus. En tout cas, c'était la fin. C'est la fin. Et maintenant je suis là, avec une crête sur la tête.

Quoi d'autre ?

Je suis tombé amoureux une fois. Je l'ai quitté juste avant l'opération citée plus haut. Quand je t'ai rencontré, je t'ai prise pour elle. C'est pour ça que j'ai fini par t'enlever... (désolé.) Mais je pense qu'il y avait des moments où j'avais l'impression d'être en sa compagnie, c'est peut-être pour ça que je t'ai paru si étrange. Et parce que je savais que ça arriverait que j'ai voulu te quitter rapidement. Mais bon, au final, on s'est quand même bien amusé alors je ne regrette pas.

Quoi d'autre, encore ?

Le nouvel an sur Dead End dure tout un mois. C'est à dire que les gens ici boivent sans s'arrêter jusqu'à février. En février ils boivent toujours, mais beaucoup moins. J'ai rejoins la danse, je n'arrive pas à me séparer de ce nectar. Je te promets qu'un jour j'arrêterai. Si je te le promets à toi, c'est que je ne peux le promettre à personne d'autres. A moi ça ne marcherait pas, et aux gens que je connais... Je suis à Dead End.

Aussi, petit à petit, je m'y fais un peu. Je commence à m’accommoder à la vie ici. Ils ont le même argot que chez moi, à Lynbrook, c'est plus facile de parler aux vieux de cette façon. J'aimerais bien t'entendre parler comme un pilier de comptoir, juste pour rire. Mais je ne pense pas que tu voudrais.

Je sens que j'oublie plein de choses. C'est comme ça à chaque fois que je t'écris.

Si, pour le singe. Oui, c'est moi qui l'ai fais. Je te ferai d'autres trucs chouettes si tu veux. Ceux-là je te les donnerais en main propre. Ensuite, il faut que je pense à racheter de l'encre. Il s'épuise.

Au 19 novembre, Lilou, n'oublie pas.

Kiril

 

10 Février 1623

Un soupir. C'était tout ce qu'elle avait à offrir présentement.

Kiril,

Shell Town n'était peut-être pas une si bonne expérience en définitive. Je suis repartie assez vite avec quelques cahiers pour étudier et des bouquins plein mes valises. Moi qui envisageais de m'y installer plus que quelques jours, j'ai eu droit à un voyage express pour l'hospice avant de pouvoir retrouver ma liberté et reprendre un peu d'air. J'ai toujours détesté les hôpitaux, mais dans ma condition, ce n'est jamais simple de faire sans.

Quand on a des os en verre, il faut s'y faire C'est tellement fataliste comme phrase. Ça m'énerve.

Ça me pèse aussi, souvent. J'ai envie de tellement de choses, mais c'est le corps qui ne suit jamais la cadence. Comme si j'en demandais trop. Je ne veux pas passer ma vie à faire attention à tout sous prétexte que je pourrais me briser au moindre coup. Rien que trouver un appartement ou un logement que je pourrais équiper en conséquence devient pénible à force de bouger, de le faire et le refaire encore.

Ce qui me pèse le plus est de ne pas trouver un endroit où j'aurais envie de rester durablement. Je ne me suis jamais sentie chez moi nulle part, je n'ai jamais eu l'impression d'avoir une maison à moi. Tout ce que j'ai, j'ai été forcé de le construire pour continuer à vivre. Ou à survivre, je ne sais plus trop à force. C'est peut-être parce que je ne suis la fille de personne. Je t'ai dit que j'avais grandi à Rokade. Je devrais plutôt te dire que j'y ai été vendu pour jouer les bonniches. Jusqu'à mes sept ans, où j'ai réussi à m'enfuir.

Là, je broie du noir. Observer le soleil de ma fenêtre et ne rien pouvoir faire de mes dix doigts m'ennuie profondément. Me frustre même. Je ne sais pas pourquoi je te dis tout ça, tu t'attendais sûrement à autre chose pour cette fois. C'est juste qu'essuyer des échecs et retourner systématiquement à la case départ me donnent l'impression de ne rien faire de ma vie. Tout ce temps que je perds en route, je ne pourrais jamais le rattraper.

Enfin.

Ils m'enlèvent le plâtre que j'ai à la jambe demain. Le fait de devoir rester assise et de ne plus pouvoir marcher ou courir me déprime un peu. Ça ira bien dans quelques jours.

D'ici là, toi, porte toi bien.

A bientôt.

Lilou

 

21 Février 1623

Rousse,

Fais attention à toi. Et puis ton voyage sur mon épaule prouve bien que tu en as plus dans le ventre qu'on pourrait le croire. Je suppose que me frapper tout le long a été éprouvant. Je te fais confiance pour ça, j'espère que tu vas mieux.

Je pense que te sentir naturellement chez toi quelque part serait du gâchis. Je pense que c'est à nous de prendre en main notre vie, et si tu veux un endroit à toi, alors fais du monde ton toit. Force-le. C'est ce qu'on devrait tous faire. J'ai remarqué que toi, contrairement à moi, tu voyageais beaucoup. Je ne peux que t'encourager à passer le cap des jumeaux. C'est une deuxième chance, c'est presque une autre vie.

Dans cette autre vie, tu pourras renouveler tes objectifs, laisser derrière toi tout ce dont tu n'as pas besoin et avancer. Par exemple, n'espère pas rencontrer Vegapunk, fais tout pour le devenir. Si le but est gigantesque, c'est moins facile de le perdre de vue, non ? Je pense qu'on naît avec la totalité des clefs des portes qui ouvrent vers les objectifs de chacun, il suffit de les trouver en nous-même. C'est ça qui est difficile. Il faut de la volonté, de la motivation, de l'ambition, et d'autres trucs sûrement.

Sinon, je vais bien.

A bientôt.

Spyke Mushu Anakin
(ça faisait longtemps)

 

7 Mars 1623

Une dernière relecture. Elle hésita à replier la lettre qu'elle avait entre les mains. Elle hésita à la poster. Sans doute parce que ça ne lui convenait pas. Qu'il n'y avait pas tout ce qu'il fallait dedans. Qu'elle n'arrivait pas à s'expliquer.

Tant pis.

Peut-être qu'en la relisant à haute voix ?...

Kiril,

J'ai appliqué tes conseils. Enfin, je crois. J'ai essayé. J'ai arrêté de chercher un toit, ou ce qui pourrait y ressembler. Peut-être qu'un jour, je ferais comme toi, je me construirais ma maison sur une colline et ça sera parfait. D'ici là, j'ai encore le temps de voyager. Et devenir Végapunk aussi. Ça, c'est une chouette idée.

De même, j'envisage de plus en plus de rejoindre Grand Line. Durant notre rencontre, ça vaudra sans doute le coup que je commence à explorer cet endroit. Je dois me munir de quoi, dis ? Tu as plus l'habitude que moi sur le sujet.

Tu en es où toi ? C'est fini ? Tu es reparti pour un autre travail ? Tu as enfin quitté Dead End ?

Donne moi de tes nouvelles. Parle moi encore de toi.

Bises.

Lilou

 

19 Mars 1623

Parle moi encore de toi... Donne moi de tes nouvelles... Hm..
Hiin ?
Ta gueule, Jamie.
T'd'vrais 'rrêter l'alcool, punkard, t'as la gueule aussi rouge qu'les raies des vaches d'l'oncle

Lilou,

Je suis content d'avoir de tes nouvelles.

Un trois-mâts, ça ne se construit pas en une semaine ! Mais ce sera bientôt fini. On en est à monter les mâts en question. Avant ça, j'étais en vacances. Mais bon, les vacances quand on a rien à faire à part converser avec soi-même et son méchant moi qui ne nous veut pas du bien, c'est un supplice. Je sois soulagé d'avoir repris le travail, du coup.

Pour ce qui est de Grand Line, je pense qu'il ne faut pas s'y aventurer seul. Alors entoure toi bien. Il ne te faudra rien de plus que des rêves ensuite. Tu sais, errer sur la route de tous les périls avec rien dans la tête, c'est courir à sa perte. C'est pour ça que c'est dangereux.

Mais, comme tu es partie pour devenir Vegapunk alors je ne m'en fais pas pour toi. Tu iras bien.

Te parler de moi... L'autre jour, il y a un tavernier qui a essayé d'assassiner le patron. Rien de bien grave quand on habite à Dead End. Sinon, je traine avec un drogué qui s'appelle Jamie...

Je sais bien que ce n'est pas ça que tu veux lire. Je suis désolé. C'est juste que cette vie m'épuise. J'ai peur de finir par en être habitué, parce que ce n'est pas ce que je suis, et ce n'est pas ce que je veux être non plus. Toi tu veux être Végapunk, je t'envie de le savoir. Moi je ne sais pas... Je veux être une personne normal, mais c'est comme si rien de tout ça n'existait. J'ai toujours pensé que chez les autres ça allait mieux, mais là-bas pour moi, c'est ici pour quelqu'un. Tout est pareil.

Je tiens bon, néanmoins.

Kiril

 

15 Avril 1623

Kiril,

Désolée du temps que j'ai mis à te répondre. Ces dernières semaines ont été intenses et compliquées, je cours de droite à gauche constamment et je n'ai pas droit à une seule minute de pause. Je continue ma route sans trop savoir où je vais, j'écume pour l'instant East et North Blue en essayant d'y trouver quelque chose. Sauf que je ne sais pas encore ce que c'est.

Si l'on ne sait pas où l'on va, comment sait-on qu'on est arrivé ?

Même à vagabonder comme ça, je commence à me faire des relations. Des amis, ou ce qu'on pourrait appeler ainsi je crois. Sans certitude. Je ne crois pas pouvoir les mettre dans ma poche et les embarquer avec moi le jour où j'irai sur Grand Line. Je crois que j'irai seule, avec celui qui m'a toujours suivi jusqu'ici. Bee.

Peut-être que ça changera.

Et je ne sais pas si je peux, mais je m'en fais pour toi. En novembre, je ne suis plus sûre de rencontrer le même homme que j'ai connu une fois, à Boréa. C'était un type bizarre, je ne sais pas si tu te souviens. Bizarre, un peu perdu sans doute, mais qui arrivait à se marrer pour ses propres bêtises. Il était sympa. Je pense qu'il l'est toujours, mais qu'aujourd'hui, il se laisse manger par un endroit qu'il n'aime pas. Il s'empêche d'être quelqu'un.
Si tu le croises, dis lui de ne pas se laisser dévorer sans lutter.
Sinon, fais en ce que tu veux.

Je fais court, et pas plus intéressant que les autres fois. Je dois déjà y retourner, j'ai toujours plus de travail.

Lilou

 

4 Mai 1623

Lilou,

Je pense que tu as raison... Pourtant je fais de mon mieux pour ne pas le perdre... ou pour le retrouver. Je ne sais pas. Mais quelque chose me cherche, quelque chose essaie de me tuer ici. Je sens la présence de tant de choses en moi, dans mon esprit. Je ne dors pas, mais pire, je vis le cauchemar. Et j'oublie des choses, je me souviens de ton visage mais je n'arrive plus à savoir. Quoi ? Je ne sais pas... Tout est flou.

Je me souviens de tes cheveux. Tu es rousse, tu ressembles à Lana. Tu lui ressembles tellement. Mais tu n'es pas pareille. Tu es différente. J'ai vraiment envie de te voir. A trop côtoyer le mal, on devient maléfique, il me faut me reconnecter à ce qui est juste, à ce qui est normal, à la vie. Ici, on ne vit pas. On utilise sa cervelle à la détruire, et tout disparaît. Tout. Je sens tout me quitter par exemple, mes souvenirs... Tout ce qui reste c'est Lana et toi. Je commence même à oublier Harry.

Je ne crois pas qu'on doive oublier ce qu'on a vécu, même les épreuves difficiles. Il faut se souvenir. Sinon, rien de bon n'arrivera.

Aussi, je m'excuse. Je n'arrive pas à tenir ma promesse. J'essaie. Je ne suis pas fier de moi. Je ne sais pas ce que je fais. Mais la routine m'est exténuante. C'est la chose dont j'ai le plus peur tu sais ? Se lever et se rendre compte qu'on va faire la même chose, encore et encore. Et si ça durait le reste de ma vie ? J'en ai peur. Affreusement.

En espérant avoir de tes nouvelles très vite.

Kiril