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La tombe de l'immortel

Que tu es fringant, Balty ! Je ne t'avais pas vu la mine si livide depuis que tu as découvert que ta pauvre mère n'avait guère de comptes à rendre avec la faucheuse. Je m'avoue rongée de curiosité, de cette curiosité vilaine un brin voyeuse qui prolonge son oeil vicieux jusque dans les entrailles des morts. Littéralement, aujourd'hui !

Enterré ! Il EST MORT ET BIEN ENTERRÉ ! LA SAUCE GÂTÉE QUI LUI COULAIT DANS LES CANAUX LUI A GICLÉ PAR CHACUNE DES ÉLÉGANTES FENTES QUE MES COUTELAS ONT CREUSÉ A MÊME SA CARCASSE CROULANTE ! IL NE PEUT EN ÊTRE AUTREMENT !

Ta pelle soulève, de plus en plus frénétiquement, des kilogrammes de cette filandreuse terre citadelle d'insectes nécrophages qui tapisse le sol des classiques cimetières roturiers. Je parle des gueux qui ont réussi à se hisser suffisamment au-dessus de leur condition rampante pour atteindre l'illustre honneur de détenir une tombe à eux où ils pourront, pour l'éternité, contempler leur cadavre fondre en un massif festin qui ravira des populations entières d'asticots. Si un cimetière est un monde pour ces petites bestioles, alors sans aucun doute, chaque cadavre qu'il renferme en est un pays. Dont tu es un impertinent touriste, Balty !

Et ainsi, sous une volée de gouttes battantes, un bombardement d'urine pure venu des anges, tu te transformes en chien avide à la recherche d'os à sucer. Les os de Steggart, précisément, une ancienne proie que tu n'aurais, soi-disant, pas tué assez fort, et qui aurait trouvé de bon ton de transformer son décès en un carnaval, ou plutôt en un fumeux jeu de rôle. Il aurait mis en scène son enterrement. Brisé sa belle famille de fangeux, laissé les galeux molosses du gouvernement rayer son nom de la liste des recherchés, et aujourd'hui serait retranché en une paisible retraite en un lieu parfaitement... inconnu, naturellement.

Si tu es à ce point persuadé que Sa mort n'était pas une farce, pourquoi t'obstiner à éventrer la tombe à son nom ?


Le cercueil ! LE VOICI ! Sa moisissure infecte pique en moi de savoureux souvenirs de charcuterie lucrative ! L'HEURE DE M'ASSURER QUE JE N'AI PAS ÉTÉ LE COQ AU VIN !

L'expression exacte parle d'un "dindon de la farce". Même si tu resteras toujours dans le thème de la volaille. A la manière d'un poulet, on pourrait te déchirer le cou que ton corps gonflé de testostérones continuerait à errer seul dans les recoins les plus purulents de notre monde malade !

Tes ongles grincent tandis que tu griffes lamentablement le bois fissuré du cercueil. Mais ne reste pas là au fond de ton trou, Balty ! Remonte la boîte avant que l'averse n'inonde la fosse et ne transforme tes poumons en outres crevées ! Il y a assez d'eau qui fuse à chaque seconde pour nous faire déborder un océan. Les nuages semblent décidés à rendre ton excursion aussi pittoresque que possible, dirait-on, voici l'orage qui ajoute ses notes discordantes à la symphonie des gouttes.


Hmmmf... Mais combien de tonnes devrait peser cet animal ?! Je porte cette boîte à bout de doigts ! Cet écrin à viande froide est beaucoup trop léger !

Ah ? Cela s'annonce plus palpitant qu'une routinière profanation, alors. Dans l'affaire, tu auras même gagné une douche. Mis à part les croûtes de fluides corporels séchés et polis qui parsèment l'amiante qui te sert de cuir, personne ne se plaindra de l'acharnement du ciel à te récurer en profondeur. Tu tires ton cadeau-surprise de la baignoire dans lequel il reposait ; baignoire, oui, l'averse a fait son oeuvre d'une façon aussi brève que zélée. L'opération est étrangement trop rapide et facile, nous qui savons -surtout toi- à quel point la Mort fait prendre des kilos, un bien embêtant fléau pour toutes les ménagères lécheuses de miroir de ce monde ! Ce bazar devrait peser autant qu'un frigidaire bien rempli ! La boîte coulisse sur la terre, si humide que sa texture en devient pareille à une mare de selles, y formant des rails de pâtés peu ragoûtants entre lesquels tu te hisses hors de ta piscine boueuse. Et enfin, tu te décides à fracasser le cercueil à la dague, sectionnant les clous rouillés qui n'ont pas fait longue résistance face à ta furieuse impatience.

Tu chasses le couvercle, puis plonge ton regard dans cette poubelle qui sert à stocker les gueux usagés. Surprise !


Il a... Il a osé... JE TRAVAILLE EN ÉTROITE COLLABORATION AVEC LA FAUCHEUSE MAIS IL NOUS A DÉJOUÉ TOUS LES DEUX ! Je m'en vais lui déverser un GRAND PLEIN DE FUMIER dans sa CAGE THORACIQUE QUE J'AURAI PRÉALABLEMENT OUVERTE AVEC SES PROPRES ONGLES !

Il ne reste plus qu'à faire bouger la paresseuse colonie de vers qui fait chez toi office de cerveau, Balty. Comment s'y est-il pris ? Où est-il désormais ? Pourquoi perds-tu ton temps à hurler des blasphèmes aux orages plutôt qu'à, hum, mûrir ta vengeance ?

QUE LE TONNERRE EN SOIT TÉMOIN ! JE REMPLIRAI CE CERCUEIL DES CHAIRS HACHÉES DE CE FILS DE COYOTE ENDOGAMIQUE ! STEGGART ! Je te retrouverai par-DELA TES TOURS DE PASSE-PASSE, JE TE POURSUIVRAI JUSQUE DANS TON OASIS ET JUSQUE DANS TES CAUCHEMARS, ET JUSQUE DERRIERE TES CAUCHEMARS ET DANS LES COULISSES DES ENFERS SI TU OSES Y FUIR SANS QUE JE NE T'Y ENVOIE ! Et à la place de ce pastiche de tombe...

Tu arraches la croix de bois à pleines mains, une farandole d'échardes vient visiter tes pustules.

... JE PLANTERAI UNE STELE GRAVÉE A MÊME SON CRÂNE !

Bon, j'ai compris. Même ces trombes d'eau ne pourront apaiser le brasier intérieur de rage qui te palpe amoureusement. Je ne sais pas ce qui m'a pris d'attendre de toi que tu me connectes les deux pieuvres anémiques qui te servent de neurones pour réfléchir aux racines de cette désolante situation.

Reprenons depuis le début. C'était courant 1617, c'est cela ? A Rokade ?


...ET CETTE FONTAINE DE PUS INCANDESCENT QUE TU DEVIENDRAS NE ...

Tsssk. 1617. Rokade. Petite virée dans les boyaux cancéreux de ton passé hanté...
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Rokade 1617

Les lecteurs sont-ils des poissons rouges grabataires pour qu'on leur rabâche ainsi cette information ?

Bref.
Rokade. 1617. Compris ?
Une des nombreuses caries siégeant dans la bouche criante d'un monde souffreteux. Un énorme rocher aux ambitions phalliques étendant vers les cieux les lubies anarchistes de chacun de ses hirsutes poils pubiens. Étonnant, comme on dégringole vite de la bouche vers l'entrejambe, lorsque j'introduis les immondes attributs des îles de ces mers, hm ? On dirait que les deux sont plus liés qu'il n'y paraît...

Oui, l'anarchie ! Cet étrange idéal qui ne peut germer dans les bulbes les plus frelatés que peut porter l'humanité ! Pensez donc ! Des créatures humaines capables de vivre en une radieuse harmonie sans jamais rêver Ambitions, Gloires et Richesses ? Aucun doute ! Nous sommes bien dans un esprit de guimauve, composant essentiel aux principes anarchistes.

Steggart ! Ta première proie, du type qui restera gravé longuement dans ta mémoire rancunière, j'en suis certaine ! 50 MILLIONS ! Es-tu certain de saisir ce que cela représente, 50 MILLIONS ? Crois-tu que les pêcheurs débutants commencent par traquer des orques ? Tes yeux plus gros que ton ventre ! Et pourtant, ton appétit de chair et d'argent gonflent tes boyaux comme de rougoayeants ballons de baudruches !


Steggart.

Steggart.

50 millions...

Une somme rondelette !

Diable ! Pourquoi ce veau à poils roux vaut-il autant ?

Rokade, pauvre cloque, les parasites s'agglutinent tant sur leur piteux rochers qu'elles s'en collent, s'amassent et finissent par ne plus agir que comme un seul ! Ce n'est probablement pas à "une cible" bien définie que tu t'attaqueras, mais à un véritable essaim bourdonnant aux dards acérés ! Prudence, donc. Il serait bête de ressortir d'ici sous forme de pastèque siphonnée. Un essaim, une ruche, garde ce thème en tête. Tu n'enfoncerais pas ton pénis dans une ruche, hm ? Ce serait impudent et dangereux, sans pour autant prouver grand chose sur ta courageuse virilité ! Alors n'attaques pas Rokade de front. La ruse...

Je me ferai habile renard sur cette affaire digne d'un chien de chasse ! ET ! J'ai déjà flairé une piste ! Je glanerai des informations à CETTE DRÔLE DE BESTIOLE BIPEDE !

Hm ? Un pirate ? Tsssk. Faut-il que tu sois tombé si bas en seulement... deux ans... ? Pour déjà devoir quérir auprès d'informes masses de muscles les clés d'une chasse réussie... Soit. Le principal. C'est la fortune. Une fois faites, tu n'auras "plus" qu'à récupérer notre domaine. Sur le papier, cela paraît évident. Mais je gage qu'on en a pour quelques décennies, en réalité...

50 millions, Maman ! Presque 5 fois le capital gardé par les bouseux du domaine ! Je deviendrai en UNE JOURNÉE cinq fois plus riche que CETTE GROUILLANTE FANGE TRAÎTRESSE !
Gnuh ?

Dis bonjour au monsieur, Balty. Seigneur, qu'il est vilain ! Je ne perçois pas la moindre once d'intelligence en ces pupilles creuses ! L'air marin a cru bon lui sculpter un masque d'embruns par-dessus le visage, regarde ! Regarde comme sa peau est écaillée ! Et ses naseaux sont... des robinets à morve ... ? Et ces chicots nauséabonds qui lui traversent ses brunes gencives me semblent moins composées d'ivoire que de calcaire ! Un formidable spécimen de pirate, qui officialise un à un tous les clichés les plus sordides concernant sa caste de rongeurs des mers.

Suis-je barbouillé de vos infectes vinasses de pirates pour que tu me contemples l'oeil aussi hagard ?
T'es neuf dans l'coin ?
J'erre dans ton odieux patelin pour tourisme, maraud ! Et j'ai ouï dire qu'un certain coyote dénommé Steggart constituait une belle attraction !
Tu lui veux quoi ?
Seulement dialoguer avec lui, de la pluie et du beau temps, et de l'avenir de Rokade !


Ruser, oui, tu sais encore le faire. Qu'en seras-t-il dans des décennies, lorsque l'ultraviolence sourde et aveugle, celle qui peu à peu prend les commandes de tes actes, aura érodé ton intelligence au point de la rendre aussi tendre et noire qu'un mur de graphite ? Tu jouis encore de quelques années doté d'un cerveau fonctionnel, bien que déjà fort enrayé par ton vécu meurtrier ! Ton charmant interlocuteur fait rouler les engrenages rouillés qui claquent sous son crâne. Il réfléchit si fort qu'on pourrait en entendre d'ici la surchauffe des pensées qui rougissent derrière son front !

Bon, heu, t'es pas un simple touriste, alors ? ... Moi j'le connais juste de nom, Steggart, c'l'un des boss des vieux quartiers d'esclaves. Mais y reçoit pas n'importe qui. Faut plutôt qu'tu ailles chopper un d'ses lieutenants pour papoter d'bidules.
Au diable les sous-fifres, foutriquet ! DEPUIS QUAND un noble doit-il faire escale chez les portes-pipes avant de pouvoir rencontrer leur ROI ? M'as-tu confondu avec un alpiniste de cirque pour croire que je gravirai depuis son pied la MONTAGNE SOCIALE ALORS QUE J'HABITAIS EN SON SOMMET ?
Ah oué. Un noble. M'disais bien qu'tu causais pas comme nous. Et qu'est-ce qu'il fout là en vérité, l'grand homme ? L'a pas peur de perdre sa bourse et ses doigts au détour d'une ruelle sombre, l'grand homme ? T'sais, tes jolis titres ont aucune valeur ici. Si j'te dépouille de tes beaux fringues et d'tes bijoux avant d't'attacher à un parpaing pour t'envoyer gaver les squales, ce s'ra moi l'noble.

Il faudra t'y faire, Balty ! Désormais, tu es tout juste aussi noble qu'un clown en redingote ! Qu'est-ce qu'un baron sans baronat, hm ? Un indigne fanfaron qui a bousculé son Nom dans l'infini ravin de la déchéance, voilà ce qu'il est ! En deux ans, j'ai eu le temps de réfléchir à mon assassinat, mon insolant ânon, aux raisons qui avaient pu te pousser à faire gicler ta mère du haut tableau familial, avant de laisser la folie le ronger, le déchiqueter et le passer à la broyeuse implacable du passé. Né avec une cuillère en platine entre les lèvres et le martinet aux fesses, aujourd'hui tu manges ta pâté avec les doigts et laisse macérer en toi une profonde haine grumelée de terreur. Je sais ce que j'ai loupé dans ton éducation ! Je n'ai jamais réussi à t'inculquer la notion d'honneur ! Tu es d'une fierté blindée mais elle ne défend plus que du vent !

Et qu'attaquent tes coutelas ? Un malheureux bouseux qui a eu l'audace de te vomir la vérité au visage de sa grosse voix caverneuse ? Le pirate t'observe, suspendu entre la surprise et la peur, lui dessiner ta vexation sur l'abdomen, lui déchirer presque méthodiquement le nombril pour laisser apparaître ses sinueuses couleuvres intestines, qui se glissent en-dehors de son ventre dans un assortiment de clapotements organiques fort appétissants !

Tes lèvres, déformée en un rictus saillant qui fracture jusqu'à tes joues, s'approchent de ses oreilles pliées par la souffrance.

Là ! Ton sang versé sur les braises que ton outrecuidance échauffait ! Je te pardonne presque, hardi adultérin ! Tu es né déféqué par une vache roturière, ce n'est point ta faute, personne n'a jugé bon de t'informer de l'étroite place que tu occupais dans l'univers et... du RESPECT QUE TU DOIS AUX HAUTES CASTES QUI TE SURPLOMBENT ET TE PERMETTENT GRACIEUSEMENT D'EXISTER EN LEURS OMBRES !

JE CORRIGE SEULEMENT LES LACUNES DE TA PIETRE ÉDUCATION !


Ta poigne comme des tenailles dans sa crinière lui tire la caboche en arrière, et à la façon d'un animal aux mains de son boucher, sa gorge coulisse docilement au fil de ton poignard ! Une intense suffocation, une brusque fontaine d'hémoglobine épaisse, des gargouillements magiques s'extirpant de ses poumons en alerte, et enfin, d'amusantes convulsions pour conclure cette comédie du boucanier qui périt enseveli sous ses propres caillots, ses blanches pupilles grandes ouvertes, fenêtre sur les ruines de son âme inerte !

C'était. Excitant.

Tu les sens ? Ces regards. Ces badauds que la curiosité affranchit de leur instinct de survie. Certains ne s'approchent que pour détailler le carnage. D'autres trouvent que le vrai divertissement se situe chez toi, dans cet espèce de sourire soulagé peint sur ton visage de cire et de sang, ce sourire soulagé qui trahit l'extase qui envahit chacune des cellules de ta carcasse mourante, une à une. Apaisé de lui avoir fait ravalé ce couteau qu'il faisait danser dans tes plaies ? Tu ne pourras malheureusement plus compter sur la discrétion, maintenant.

Tes yeux roulent et crissent dans leurs orbites comme ceux d'un malade mental privé de ses drogues. Tu balayes d'un regard perçant le troupeau d'impudents rassemblés autour de ton théâtre. Beaucoup semblent avides. Ils en veulent plus. Ou ils veulent comprendre. Ou bien ils veulent voir le tas de tripettes étalé sur le quai, le voir de plus près, au point d'avoir furieuse envie de plonger dedans et d'en inhaler le sang !

La discrétion est à rayer des possibilités, tssk. Tu t'es jeté sur ce gueux tel un lion en soif de rut sur sa femelle. Et le bruit de ta folie doit se propager, son écho doit rebondir entre les murs transis de violence de Rokade. Voyons si tu veux convertir ce massacre gratuit en matière première rentable pour la suite de ta quête !

Je te salue, populace.
Pourrais-tu me renseigner sur un certain coyote dénommé Steggart ?

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Tu devrais pas gueuler trop fort que tu veux le buter, étranger. Il a des oreilles partout, Steggart, elles s'étendent jusqu'au port.

Oh, parfait ! Tu pourras lui tirer les oreilles où que tu sois ! Cela fait un premier indice sur la nature de ta proie. Tu hoches la tête en direction du gamin en chaussettes qui vient de t'informer que ton poisson est un très gros poisson, et que décidément, tu fais un pêcheur bien gourmand, qui s'attaque en guise de première prise au léviathan. Tu continues, les semelles imbibées de la rouge sauce de l'impertinent éventré, comme pataugeant dans ta propre haine, à en appeler à la générosité de la foule. Tu circules parmi elle, tu t'imposes à elle comme un gourou à ses fidèles, tu brasses à travers cette masse grouillante de passants murmurants, larguant dans ton sillage d'épaisses traces de pas coagulées. Ils t'observent tantôt comme un fou, comme un monstre, tantôt comme un original, toujours comme une anomalie dans leur paysage pourtant très chaotique !

Quelqu'un pour m'annoncer plus enrichissant que ce mouflet impertinent ? Je me contrefiche que Steggart m'entende, me voit ou me palpe ! Qu'il ÉCOUTE MES ANATHEMES ! QU'IL REGARDE MA DÉTERMINATION DANS LES YEUX ! ET QU'IL PALPE L'ARDENT COURROUX QUE JE LAISSE MIJOTER EN MON IMAGINATION !

Dans l'assistance, des sourires, des murmures ! Des couinements dignes d'un ramassis de petits rats malins qui se jouent de l'arrogance d'un gros chat bedonnant. Ces vagues provocantes érodent à peine les immenses murailles dressées devant ton orgueil, et tu te contentes d'un ricanement léger avant de passer ton chemin ; avant de tourner le dos aux badauds, comme si ta colonne vertébrale désirait fort se faire empaler par un poignard curieux qui promenait par là ! Mais tu te frayes sans encombres ta sortie sinistre, les paluches bavant encore quelques gouttes de cette chaude confiture de groseille au pavé, et aux chaussures des badauds avancés assistant de trop près à ta démarche de crevette.

Les pécores s'écartent donc et tu t'engouffres dans les viciés boyaux de cette île, tu t'y faufiles comme un ténia. Les relents de pourritures macèrent autour de toi, sang, ordures et déjections qui sont les chairs de ces lieux, ils palpitent, plein d'assurance, se sachant escortés d'une symphonie de raclements métalliques, de couinements d'enclumes et de frottis de roches lubrique. L'atmosphère pesante d'un bidonville à l'âme sculptée dans l'abysse des instincts humains. Des rumeurs planantes par-dessus les logis délabrés, des cris perçants giclant de recoins oubliés, des morts brutales étalées sur des secondes entières par des échos sournois rebondissant à travers les ruelles, la grande faucheuse présente dans les ombres est sans aucun doute la vraie maîtresse de ces lieux ! Chaque pierre ou presque est imbibée de sales souvenirs coagulés, et le moindre cube d'air est chargé de l'expiration d'un homme. Ici la vie n'est que murmures et hurlements. Les surins parlent plus haut que n'importe qui, les mousquets sont plus sincères que les esprits qui les actionnent. Le Temps à Rokade semble dégouliner en accéléré : la moindre vie plus fugitive et fragile que ces gouttes de sueur honteuses qui courent sur ton visage !

Je disais que l'enquête subtile était compromise ; plus que cela, tu l'as brutalement violée, Balty. Tu n'as pas hurlé sur les toits avec un porte-voix que tu apprécierais soustraire sa tête à Steggart pour l'enfoncer dans ta bourse, mais c'est tout comme désormais. Tes articulations bruissent sous tes chairs boursouflées de fatigue : voilà donc notre chasseur au physique d'asticot neurasthénique qui gambade dans la fourmilière du Mal pour en bousculer la reine ! Quelle est donc la prochaine étape, Balty, alors que tu vas rapidement pouvoir te méfier de la moindre paire de globuleux pointées sur toi comme d'une vicieuse peste à la faux patiente ?


J'ai jeté le roc dans l'eau des alligators, je n'ai plus qu'à attendre que ces attardés reptiliens ne rampent jusqu'à moi recevoir la sentence qui leur est due ! L'un d'entre eux me bavera bien, de gré ou de force, où se terre Steggart !

Un bien bête plan qui tiendrait en tout juste une ligne sur un torchon. Tes raisonnements ressemblent plus à d'absurdes plaisanteries qu'à de réels fruits d'un esprit noble. Dis moi, si une poussière te tombait dans l'oeil, t'arracherais-tu tout le globe oculaire pour te l'extraire, te sucerais-tu l'humeur aqueuse pour être bien certain qu'aucune pollution n'y stagne ? Désamorcerais-tu une bombe en faisant sauter de la dynamite à proximité ? Résoudrais-tu des dilemmes familiaux en abattant les membres de ta... oh, oui, bien sûr que tu le ferais.

Hyperboles, hyperboles ! Ce soupçon de mégalomanie qui demeure figé en toi t'emporte en de bien dangereux délires, corniaud, ne va pas mourir aussi stupidement après avoir invoqué la foudre pour vérifier d'où elle tombera !


***


De nombreux portraits décorent les corridors de ton esprit, mais celui de cet homme est aujourd'hui suspendu tout au-dessus de la porte d'entrée ! La gourmande obsession que tu nourris pour Steggart n'est rien de moins qu'un dragon ronflant que tu t'acharnes à réveiller par pure provocation, mais qui est le dragon ? Une fierté blessée aux pieds, un sens du devoir muet, ou cet éternel appât du gain qui revient encore et toujours se glisser en tes muscles pour impulser en toi cette fougue avide ?

Là n'est pas la question ! Il m'a glissé entre les doigts, cet impudent serpent ! SI JE LE LAISSE S'EN TIRER SANS LA PEUR DE ME RETROUVER LA LAME SOUS SON COU DURANT CHACUNE DE SES NUITS, mes gloires...

Quoi, quoi ? Glaires, tu parles de tes glaires ? J'ai ouï une seconde que tu t'imaginais hériter d'une quelconque gloire de tout tes carnages aveugles ! Rokade fut pour toi une sanglante leçon, ta toute première, tu ne te souviens pas ? Tu ne te souviens pas de ce qui t'es tombé dessus alors que tu ondulais joyeusement à travers les dédales de pierre et de boue qui s'emboîtaient dans le coeur de Rokade ? N'as-tu rien retenu d'autres que l'évincement final de ta proie... mais à quel prix, Balty ? QUE T'AVAIS COÛTÉ TON IMPERTINENTE NÉGLIGENCE ? DE QUI LE SANG FUT VERSÉ PAR CASCADES CE JOUR-CI ? Certainement pas de Steggart.

Mais... Quel rapport avec...

Mais tout a un rapport, Balty, tu as toi-même tissé cette toile dans laquelle tu es aujourd'hui emmêlé.
Steggart était un malin chacal, et ton bête plan consistait donc en lui tendre la main pour qu'il se rapproche avec l'envie de te mordre. Tu tendais une oreille à la recherche de ses râles méfiants, tu imprimais son territoire de tes semelles conquérantes et y urinait pour capter l'ire qui le rendrait fou furieux et, selon toi, provoquerait sa perte.

Mais tu avais omis le désastreux fait qu'en apparence, tous les chacals se ressemblent...

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GHINHINHIN ! VOUS PENSEZ VOUS EN TIRER, SEULS FACE A NOUS ? FACE A MES LÉGIONS D'ESPRITS MORCELÉS DÉGLUTIS PAR LES ENFERS ?
Choppez-le, les gars. Et évitez de me l'casser, il pourrait intéresser Steggart.
Ne posez pas vos affreuses pattes de macaques sur moi, coulis de chair avarié, grand dadais putride, et toi surtout, l'amusant farfadet aux esgourdes paraboliques ! VOUS ÊTES VOUS ÉVADÉ D'UN CIRQUE DE CURIOSITÉS POUR... *couic*
C'est bon, on l'embarque. Vous vous laverez les mains, quand même. Qui sait où c'type a bien pu traîner pour finir aussi dingo.


Tu t'effondres dans les bras de l'obèse aux muscles veineux bourrés de stéroïdes, avec la même grâce qu'une gourgandine pompette. Le tranchant de sa main s'est apposé sur ta nuque et dans un même sursaut foudroyant, tout tes nerfs se sont éteints, privant ta haine de combustible. Comme l'ambiance devient silencieuse lorsque ton clapet est soudé ! C'est comme pénétrer dans un temple après avoir traversé mille tempêtes !

Le sac de graisse, donc, te hisse nonchalament sur son épaule tandis que ses deux compagnons esquissent de rugueux sourires. Dans les tréfonds de ton inconscience, tu sens la grande faucheuse t'attendre là où ce sordide trio t'emmène. Mais si ton instinct sonne l'alerte, ta raison, elle, reste toujours commandée par ta fierté ; et te retrouver ainsi impuissant gibier entre les crocs d'un lion alors que tu t'étais juré d'enfiler l'aura meurtrière d'un prédateur inflige une solide correction à ton orgueil trop invasif. Il va être temps de revoir ton plan depuis le début, une fois que tu auras recomposé les fragments éparses de ton esprit, pour concevoir une issue neuve à l'impasse dans laquelle tu t'es encastré.

...
....
.....

Rumeurs murmurées derrière d'épaisses croûtes de bois moisies qui se prétendent murs.
Le fumet rance pestilentiel d'un millier de cadavres restés pourrir là suite à une orgie nécrophile.
Ton premier spasme avorté par un crissant cordage noué autour de tes poignets.
Et ton dos voûté, percé par les vieux clous rouillés qui hérissent la chaise sur laquelle ils t'ont posé.
Une panique dans tes tréfonds. Et une haine. Une haine dirigée contre les impudents gueux qui ont posé la main sur toi.
Un instinct de vengeance. C'est lui qui te fait ouvrir ces deux paupières boursouflées pour te rouvrir au monde nauséabond dont tu es toujours simple acteur de second rôle.

Le marais de sang dans lequel patauge tes cris enragés. Sous tes gencives transformées en niagara de sang.
Il te rend fou. Molosse pathétique retenu par une malheureuse laisse tressée pauvrement.

Hmm... Il essaye de parler.
Il en aura tout le temps une fois qu'il s'en sera remis... On l'écoutera, oh ouais... on l'écoutera... longtemps...


Tu ne les avais pas remarqués, tout deux terrés dans les ombres glacées de la petite pièce obscure, ta vision s'étant réduites à une minuscule cône ensanglanté droit devant toi, un regard concentré de pure colère. Tu entends vaguement une lame, une petite lame, se racler contre une autre, deux amantes s'adonnant aux préliminaires avant de plonger dans le vif du sujet, dans le lard de ta dépouille piteuse.

Le voici donc, leur nid ? Le nid de ces vautours perdus en leurs macabres pulsions, qui ont contribué à transformer la blafarde Rokade en capitale du crime du plus bas étage. Et toi, rat parmi les charognards. Ils esquissent, aux coins de leurs lèvres rocailleuses, de rustres rictus, trahissant le vaste néant de leur esprit qu'ils s'efforcent de remplir comme ils le peuvent.
Ils t'observent comme deux loups contemplent un mouton boitant.
Ces dévots de la douleur brillent d'un sadisme désespéré !

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