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Quinze ans, ça se fête !


_____Sirup. Je suis née sur cette petite île, un coin paumé paradisiaque emprisonné par de gigantesques montagnes qui se dressent telles l’immense mâchoire de quelque monstre mythologique s’apprêtant à détruire le ciel. J’aime cette île. C’est un endroit calme et paisible où toutes les journées se ressemblent et où il ne se passe rien, jamais… Mais c’est mon chez-moi. Et comme je n’ai pas grand-chose à moi, je peux vous dire que je l’aime. J’aime tout ce qui me rattache à mon enfance, à ma famille – non pas que je sois nostalgique mais plutôt que j’aime me souvenir d’où je viens et de qui je suis… Cette île, c’est beaucoup de souvenirs, c’est les interminables parties de cache-cache dans le manoir de papi, les jeux de trappe-trappe à travers champs, des après-midi entiers à courir après un ballon introuvable et une proximité sans failles avec mes quelques amis d’enfance. Cette île, c’est là où tout commence, là où j’ai grandi. Quoi qu’il arrive, ce sera toujours quelque part d’infiniment beau et accueillant, quelque part où je peux revenir.

_____Sur les quais, quatre personnes. Elles attendent au bout de la jetée, nous faisant de grands gestes de bienvenue. Je m’accroche au bastingage et prends une grande inspiration, je ne sais pas, je me sens toute émue, là, dans ce port ridicule construit sur une baie improbable, une des deux portes qui ouvrent Sirup sur le monde extérieur. Cette baie, c’est un véritable miracle : on dirait qu’un géant a écarté les falaises pour nous la construire. C’est une petite étendue de sable encerclée de reliefs impraticables, des constructions de roche bien verticales qui s’élèvent très haut pour aller chatouiller les nuages. Sur la droite, une petite cabane en bois a été construite à même la pierre, offrant son toit en chaume en guise de refuge aux marins épuisés. À l’intérieur, une cuisine et un dortoir peuvent accueillir tout un équipage, fait surprenant tant la cabane parait minuscule aux pieds de ces à-pics démesurés. Au-devant, la baie se prolonge en entonnoir par un petit chemin de sable qui devient vite rocailleux et s’élève en pente raide sur le flanc des monts, chemin qui mène aux vertes vallées de Sirup et à ses grands manoirs.

_____Je ne sais pas quoi dire. Il n’y a pas besoin de mots, juste de simples gestes, juste d’une main passée entre ses cheveux, d’un baiser déposé sur sa joue, d’une longue embrassade et de quelques larmes versées sur ses épaules. Je leur souris. Je suis si contente d’être avec eux, si contente que j’en oublie tout le reste. Les gens qui s’agitent autour de moi n’effleurent qu’à peine ma conscience, moi je suis contre lui, lentement bercée par quelques mots chuchotés en secret, des mots qui font du  bien, des mots qui m’apaisent. Je plonge dans ses pupilles pétillantes et lui sers un simple sourire :

_____ Tu as grandi, lui dis-je simplement.

_____Je me souviens d’un temps où il se hissait sur mes genoux pour blottir sa tête dans le creux de mon cou ; maintenant il est nettement plus grand que moi. Sa bouille s’est affinée, ses muscles se sont développés, son ossature s'est allongée mais il reste mince, il reste mon petit frère, un garçon fragile que je dois protéger. Il me tapote le dos et je me tourne vers elle.

_____Elle, c’est Mélanie. Même si je la connais depuis la nuit des temps, je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit ici. Mélanie, on ne la voyait qu’une fois par an, durant deux ou trois semaines. C’est la fille d’une des nombreuses familles nobles qui possèdent un manoir à Sirup et s’en servent comme résidence d’été… Mélanie, c’est une compagne de jeu, des nuits entières à se raconter des histoires et veiller sur les étoiles ; c’est une fleur solitaire ayant grandi sans soleil, une perle rare aussi changeante que la Lune, aussi insaisissable que le ciel : elle a toujours été là mais je n’ai jamais pu la saisir. Mélanie, c’est une énigme souriante et doucereuse, une jolie blonde aux beaux yeux d’azur qui transpercent tout ce qu’elle touche, qui analysent, saisissent et comprennent à une vitesse folle. Me dépassant de quelques centimètres, elle me fait face d’un air gêné mais moi je l’accueille avec un sourire aussi sincère que stupéfait.

_____ C’est gentil d’être venue, dis-je en l’embrassant.

_____Elle me répond d’un sourire silencieux et amusé, épaississant encore le mystère qui l’entoure. Sur son visage, une multitude de taches de rousseur dessinent de curieux motifs sur sa peau hâlée pour lui donner un charme parfaitement adorable : elle est à croquer ! Ses cheveux lisses et soyeux sont impeccablement coiffés et positionnés de façon recherchée, maintenus en place par une simple pince noire qui ressort impertinemment sur sa coiffure dorée. Elle porte une légère et courte robe verte au décolleté discret qui fait des plis sophistiqués et particulièrement fascinants… Je ne savais pas qu’on pouvait être aussi belle !

_____Maman aussi, elle est monochrome : sa robe est claire, d’un beige qui tire un peu sur le jaune… Elle me fait cette caresse dont elle a le secret et qui me fait tant de bien… Maman, elle doit être magicienne : elle me console d’un sourire, me réconforte d’un regard. Elle peut calmer toute douleur d’un baiser et effacer la tristesse d’un revers de la main ; maman, c’est la tendresse incarnée, l’amour aveugle à l’état pur. Il lui suffit de me prendre dans ses bras pour que tout disparaisse… et tout disparaît.


Dernière édition par Anatara le Ven 26 Aoû 2016 - 9:19, édité 2 fois
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_____Je marche aux côtés de mon père il me tient par la main,
_____Bravant la roche meurtrière il dessine un chemin.

_____Bouhaha, je plaisante. Vous savez, papa c’est un poète et il n’y a bien que nous trois pour lire ses œuvres imbuvables alors il faut bien que je me venge ! Bon, je suis méchante. Elles sont mignonnes ses poésies, vraiment ! Des textes absolument bouleversants qui vous transportent à l’orée du précipice qui s’essouffle, sur le chant du cygne et des goélands morts qui ont trop aimé, ou quelque chose comme ça. Je crois que, à force de les lire, j’ai intégré une partie d’eux en moi, avec plein de mots que je ne comprends pas mais que j’utilise parfois pour décrire l’indescriptible et ce qui me dépasse. Maman et papa se tiennent par la main en s’échangeant des murmures, ces silences imperceptibles qu’eux seuls peuvent comprendre. Derrière nous, Liam et Mélanie sont aussi main dans la main. Ils sont en retrait et discutent en marchant, s’échangeant des regards.

_____ Tu sais, il y a un dragon qui est passé sur Sirup.
_____ Hein ?!

_____Il m’examine de ses yeux rieurs, ses yeux d’océan dans lesquels je pourrais me noyer, ses yeux de tempête, calmes et imperturbables, cet univers de nuances et de sillons noirs et verts, marrons et oranges – bleus enfin, comme la mer : le bleu des profondeurs abyssales.

_____ Si, je te jure ! Je l’ai vue, elle a survolé notre île pendant plusieurs secondes avant de s’y poser, et puis après elle  est repartie.
_____ Noooon !
_____ Ha ha, crois-moi si tu veux, mais je compte bien en faire un tableau ! Je te montrerai quand on sera rentré.

_____Pff, ce n’est pas possible ! Un dragon sur Sirup ? Mais ça n’existe pas les dragons ! et puis, qu’est-ce qu’il serait venu faire ici ? Maman nous accompagne d’un œil distrait : elle regarde loin devant nous, perdue dans des pensées obscures que je ne peux imaginer.

_____ Ah, on est enfin arrivé en haut !

_____C’est magnifique. Toute l’île s’étend en contrebas, entourée de sa prison naturelle. D’immenses prairies et des champs à pertes de vue, des maisons isolées et quelques manoirs. Ma maison. Je ne la vois pas d’où je suis mais je peux déjà l’imaginer, je nous imagine réunis autour d’une table et tous dormir dans le même lit, fermer les paupières, se relaxer et goûter enfin au confort de chez soi.

_____ Tu voix ces montagnes, sur les côtés ?

_____On ne voyait pas que ça, des montagnes : un léger brouillard matinal nous obstruait la vue et cachait presque la moitié de l’île, au loin. Sur notre gauche, de grandes ouvertures béantes trouaient les versants comme autant de bouches affamées suppliant qu’on les nourrisse. C’est l’une de ces grottes que me désignait mon père :

_____ Eh bien, figure-toi qu’Izya s’est rendue là-bas, pendant quelque temps.
_____ Ah bon, mais pourquoi ?
_____ Ça, je ne le sais pas. On raconte qu’elle y a caché un trésor…
_____ Waah, trop bien, on est une île au trésor !

_____Maman s’agrippe désespérément au bras de papa, comme en proie à un mauvais rêve. Rongée d’une inquiétude insidieuse, elle laisse ses iris affolés s’agiter dans tous les sens. C’est troublant de la voir comme ça… Maman c’est la forteresse qui m’a toujours protégée de tout, alors découvrir que c’est une femme fragile est un peu comme un choc. Mais bon, je sais bien qu’elle est phobique des hauteurs alors en fait je l’admire, je l’admire parce qu’elle a bravé son vertige pour venir me voir, je l’admire parce qu’elle m’a prouvé une fois de plus que, peu importe le danger, même face aux choses qu’elle craint le plus au monde, elle serait toujours là pour moi, toujours toujours toujours.

_____ Haha. Anata, ne t’emballe pas : on ne sait pas si c’est vrai, et surtout… que ferait-elle si elle apprenait qu’on lui a volé son trésor ?

_____Je réfléchis. Après ma rencontre avec Mizu, Misjah m’a forcée à me documenter sur les pirates les plus célèbres : j’ai dû apprendre leur visage et quelques infos sur eux, histoire d’eau. Izya, si je me souviens bien, c’est une folle furieuse assoiffée de sang qui mange des petits enfants au petit déjeuner. Fille du tristement célèbre Tahar Tahgel et amie du terrible capitaine Red le rouge, elle aurait mangé le légendaire fruit du dragon et aurait soumis les îles célestes par la force des armes.

_____ Euh… Elle raserait probablement le village.

_____Papa hoche gravement la tête mais il n’est pas sûr de lui.

_____ En tous cas, elle y a emmené Ronan, m’affirme-t-il.
_____ Ah oui ?

_____Ronan, Ronan… ce prénom me dit quelque chose. Mais ouii, c’est le gamin qui a mis le feu à plein de maisons avant de s’enfuir dans la forêt ! Ça a provoqué un scandale quand j’étais petite… Il faut dire qu’il se passe rarement quelque chose, sur Sirup alors, quand ça arrive…

_____ Oh, le pyromane !
_____ Ce n’est pas un pyromane, c’est ses parents ! Lui, il n’a rien fait.
_____ Ah ? Mélanie m’a dit que c’était un pyromane.

_____Une petite pression sur la main me rappelle que la concernée est juste derrière nous. Nous continuons de descendre, le poids de mes provisions et marchandises et la difficulté de ce chemin pentu nous réclamant toute notre concentration.

_____ Et qu’est-ce qu’il lui est arrivé, à Ronan ?

_____Ronan, je ne le connais pas, je ne lui ai jamais parlé mais je suis quand même inquiète pour lui : se faire enlever par un dragon… brrr !

_____ Rien, justement ! Il est revenu indemne de son escapade avec Izya.
_____ Pas possiible !
_____ Si, puisque j’te l’dis. Tu pourras aller lui parler, si tu veux.

_____Maman se tourne vers nous d’un air inquiet mais il la rassure d’un signe de la lèvre. Comme je ne comprends pas, il m’explique les tenants de leur conversation silencieuse :

_____ Ben, c’est-à-dire que Ronan se vante d’avoir fait ami-ami avec Izya, du coup…

_____Je ne réagis pas. Izya, une impitoyable cracheuse de feu ? C’est ce que j’ai entendu mais je ne l’ai jamais rencontrée. Or il ne faut pas juger les gens sans les avoir rencontrés : C’est possible qu’elle ne soit pas le monstre que la marine décrit mais une simple pirate ayant fait des erreurs, ayant perdu sa raison et regrettant ses actes… Peut-être qu’elle est blessée, elle aussi, peut-être qu’elle aussi porte une cicatrice sur un corps mutilé par le désir de liberté. Mizu m’a dit que la marine pourchasse les gens capables de choses extraordinaires… Et si elle était de ceux-là ? Après tout, elle n’a pas fait de mal à Ronan, alors… Mais d’un autre côté, les rumeurs sur lui ne sont pas glorieuses… Bof, je décide de ne pas trop y réfléchir et de laisser ça de côté pour l’instant : j’aurai bien le temps de lui parler maintenant que je suis de retour à Sirup !


Dernière édition par Anatara le Ven 26 Aoû 2016 - 9:30, édité 3 fois
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_____ Le dessert, le dessert !

_____C’est un fleuve, un dromadaire, un serpent, une succession hasardeuse de tables rondes et carrées, ovales et rectangulaires qui s’unissent en une seule grâce à de longues nappes de toutes les couleurs sur lesquelles frivolent les motifs les plus absurdes. Au bout de cette table, papa discute bruyamment avec Misjah qui lui raconte tout ce qui lui passe par la tête en gesticulant joyeusement, n’hésitant pas à arroser l’événement avec de nombreuses bouteilles dont les carcasses s’accumulent dangereusement tout autour de lui. Juste à côté, maman fait des sourires gênés à ses parents qui regardent le tout d’un œil sévère et s’obstinent à pincer des lèvres en silence, imités par leur aïeule grabataire et passablement gâteuse. En face d’elle, sa belle-famille s’efforce de s’intégrer dans la conversation en plaçant quelques sourires maladroits et naïfs qui accentuent encore les mines consternées de papi-mamie. Quant à moi, je balance impatiemment mes pieds nus dans l’herbe humide en attendant que Liam finisse de découper les quatre gâteaux que mes cousins et Mélanie ont ramenés : montagne de crème et coulis rouges, tartes à la rhubarbe et aux abricots, sans oublier le traditionnel gâteau au chocolat… J’en salive d’avance !

_____ Comment tu as encore faim, Ana ?
_____ Le dessert, c’est sacré !

_____On devrait toujours commencer par le dessert, sinon après on n’a plus faim et on ne mange pas la seule chose qu’on voulait vraiment manger ! C’est vrai, quoi, il pourrait se passer n’importe quoi : une attaque pirate, un tremblement de terre, un gâteau qui se casse la binette… vaut mieux le manger avant, sait-on jamais ! Hum, je prendrais bien de la tarte à la rhubarbe, moi. Ou non, ce coulis de framboise m’a l’air délicieux… Argh, je veux tous les goûter !! Mais je ne peux pas, parce que j’ai déjà trop mangé… Cruel dilemme. Bon, et si je prends des mini-parts, peut-être que…

_____ Aller Liam, ouvre tes cadeaux !
_____ Oh oui, les cadeaux !

_____Héhéhé, le meilleur cadeau ce sera le mien d’abord ! Un livre, des cartes à jouer, un jeu de plateau, des vêtements, un déguisement de pirate, une figurine de l’impératrice-enfant, oh, mais ils sont tous géniaux ! Je suis sûre que Liam est ravi… Moi, je lui ai ramené une paire de chaussures, mais pas n’importe laquelle ! Ce sont des chaussures magiques : leur taille est ajustable et, quand on appuie sur les côtés, il y a des roues qui sortent de nulle part et ça donne des chaussures à roulettes pouvant aller super vite !

_____ Tiens Liam.

_____Maman lui tend une petite enveloppe avec un clin d’œil complice. À l’intérieur, une carte jaunie de Sirup, dessinée grossièrement. On y reconnait quelques lieux comme notre manoir, une grotte et l’ancienne maison de papa mais beaucoup de détails sont manquants. La carte est noircie ou trouée par endroits et il y a une écriture illisible dessus, délavée par le temps. Parmi les bâtiments qui y figurent, l’un d’entre eux est entouré par de petits pointillés qui forment ensuite un chemin menant jusqu’à une petite croix rouge. Sur le chemin et éparpillés partout sur la carte, de nombreux points d’interrogation jaunes ont été rajoutés avec application, comme si notre petite île pouvait regorger de secrets.

_____ C’est… une carte au trésor ?
_____ Oui, c’est ton père qui l’a dessinée.
_____ Oh, trop bien, et après il y aura un trésor ?

_____Maman me fait son petit sourire de cachotière, imitée par toute sa clique : ah, mais c’est un complot ! Tous les vieux sont de mèche. « C’est un secreeet ! », me disent les perles d’émeraude de maman : je ne les avais jamais vues aussi brillantes ! Je me mets sur la pointe des pieds et pose mon menton sur l’épaule de Liam qui étudie la carte en silence. Nos regards sont éloquents, nous communiquons par télépathie et personne ne nous entend.

_____ Mais vaut mieux que vous le fassiez demain matin, intervient Misjah : avec tout ce qu’ils vous ont prévu, il y en a pour toute la journée !

_____Oh, c’est pour ça ? Je comprends mieux, maintenant. L’avait-il déjà compris en comptant les points d’interrogation ? Oui, certainement. Mon petit frère est un génie, après tout.

_____ Oh, aller : viens voir ce que j’ai ramené de Koneashima, tu vas adorer !


Dernière édition par Anatara le Ven 26 Aoû 2016 - 9:44, édité 2 fois
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_____Il regarde les pointillés encercler le manoir et partir jusqu’à la croix en suivant un chemin suspect et sinueux. Donc, la croix c’est le point d’arrivée, je suppose ? Juste à côté, un coffre au trésor a été dessiné, avec à l’intérieur des pièces d’or et des joyaux. Le problème, c’est le point de départ… il doit se trouver quelque part à l’intérieur du cercle. Bon… Et les points d’interrogation, alors ? Il y en a cinq, éparpillés sur toute l’île. Sûrement des endroits-clefs où se trouvent des indices… Il faudrait donc s’y rendre, n’est-ce pas ? Ou peut-être qu'ils sont juste là en guise de décoration pour signaler que cette carte est entourée de mystères…

_____ Tu crois que c’est notre manoir ?

_____Il hoche la tête, toujours aussi silencieux. Sur le dessin, la résidence est suffisamment détaillée pour qu’on la reconnaisse : c’est notre manoir, celui de notre enfance, celui de papi et mamie. Son regard est perdu dans le vent, perdu dans les montagnes de l’orient. Une brise matinale vient secouer nos cheveux.  Je ne dis rien, je souris seulement. Oh, Liam… Ne fais pas cette tête-là ! Il acquiesce, me remercie du regard et se concentre sur le dessin de papa en le parcourant de son indexe.

_____ Hum, le jardin, d’accord. Les fenêtres, la cheminée… Oh, il y a un coffre au trésor ! Tu crois que c’est l’arrivée ?

_____Accolé au bâtiment, au Nord-Est, un coffre fermé a été dessiné. Vraiment, c’est bizarre parce que rien ne le met en évidence… C’est peut-être le point de départ : un coffre fermé au début et un coffre ouvert à l’arrivée, les différentes étapes ne servant qu’à trouver la clef !

_____ Cool, on y va ?

_____Avec un sourire triomphant, il actionne le mystérieux mécanisme qui lui fait pousser des ailes et se met à danser autour de moi : sa vitesse est telle que j’ai du mal à le suivre du regard, c’est impressionnant ! Il tournicote, il sautille, il tournoie – c’est un oiseau, il nage dans les courants invisibles de l’atmosphère, il danse, danse comme s’il avait fait ça toute sa vie, tout naturellement… C’est magnifique. Lui, seul, au rythme des silences et des brises imperceptibles qui soulèvent les pâquerettes, par des mouvements souples et gracieux me montre un spectacle extraordinaire. Quand est-ce qu’il a appris à faire ça ?!

_____ Hé, attends-moi, tu vas trop vite !

_____Il s’est arrêté devant moi et me présente son dos, la tête tournée vers moi et les yeux pétillants. Hein, il veut me porter ? Mais… Allez, viens, me dit-il d’un signe de la tête. Oh, mais c’est que… Liam. Il est devenu plus grand que moi, plus fort que moi. Maintenant, c’est à lui de me porter. J’essuie discrètement une larme en montant sur son dos, tâchant d’être la plus lourde possible mais il ne bronche pas, ce garçon, il me tient fermement et s’élance et

_____ Wouuuuuuhouuuu !

_____Nous volons. Nous fendons le ciel tel un couple d’oiseaux, nous roulons, nous bifurquons, nous battons des ailes nous sentons le vent s’engouffrer dans nos vêtements, là, à toute allure, nous manquons de tomber, nous dérapons, nous sautons…

_____ Ana, regarde !

_____Par-dessus son épaule, dans les contrebas, notre manoir. Liam commence à dévaler la pente à toute vitesse, ses jambes se pliant et se tendant pour épouser les irrégularités du terrain. Nous accélérons dangereusement, nous ne contrôlons plus rien : nous tombons.

_____ Liam, arrête-toi !
_____ Oh, zut, comment on fait ?

_____Aaarr, ce n’est pas le moment ! Flûte, j’en sais rien moi ! Qu’est-ce qu’il m’avait dit, déjà ? Oh, non, on va se prendre le mur, fais quelque chose !! Krrrinssh ! Liam a tendu ses jambes de profil, présentant le côté des roues qui se sont mises à glisser sur la terre cahoteuse, mais elles ont vite fait de se bloquer et alors…

_____ Eeeeek !!

_____Mais il ne me lâche pas, au contraire : il se retourne, il me maintient contre lui, plantant ses yeux graves dans mes yeux affolés. Ne t’en fais pas, je suis là me dit son regard. Je suis là. Il serre les dents et ferme les yeux, anticipant la chute, pooon. Il frappe le sol et j’entame une roulade, nous sommes l’un contre l’autre nous rions, crriiiiiiinnshh… oh, bon dieu. Mes vêtements sont foutus. Hors d’haleine, nous nous redressons tant bien que mal, couverts de terre. Nous sommes fardés d’éraflures et d’égratignures, de contusions et de bleus mais nous n’avons pas mal, nous nous échangeons un regard complice, là, coincés dans cet arbuste que nous avons presque déraciné, nous avons des bouts de branche plantés dans les bras mais nous ne pleurons pas, nous rions, nous rions parce que nous sommes contents d’être encore en vie, d’être ensemble, nous sommes fiers d’être frère et sœur et soulagés d’être en un seul morceau. Bon, ça commence bien.


Dernière édition par Anatara le Ven 26 Aoû 2016 - 9:54, édité 2 fois
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_____Le jardin. Des allées de buissons fleuris et impeccablement entretenus, finement découpés dans leurs géométries courbes et recherchées… Sauf un qui est légèrement… amoché. Des pots de fleurs, des plantes de toutes les formes et de toutes les couleurs, des jardiniers qui nous chassent avec de grands gestes menaçants, des gardes qui nous surveillent d’un regard bienveillant et… Pas le moindre coffre au trésor. Pourtant, c’est là qu’il devrait être ! D’après la carte. Bon, mais le manoir y est disproportionné et l’échelle n’est absolument pas respectée, alors…

_____ Pourquoi est-ce qu’il y a un coffre…

_____Hum ? Ben, c’est le point de départ, non ? C’est vrai que c’est bizarre, de mettre un coffre. Après tout, le trésor… c’est le point d’arrivée !

_____ Ça symbolise le trésor ? C’est le point d’arrivée du coup ! Et le point de départ, c’est la croix !

_____Liam retourne la carte d’un air dubitatif et réfléchit à cette possibilité.

_____ Ana, qu’est-ce qu’on cherche ?
_____ Le trésor ! Tu penses qu’il faut creuser ?

_____Il secoue la tête. Oui, c’est bien le trésor que l’on cherche mais il faut procéder par étape. Cette chasse n’aurait aucun intérêt s’il fallait juste déterrer un coffre mal indiqué sur une carte. Non, ce qu’on cherche c’est le premier indice, le point de départ… Il est quelque part à l’intérieur du cercle, mais son périmètre est juste immense ! Comment faire…

_____ On est dans le brouillard, n’est-ce pas ?
_____ Oh…

_____Quand on est dans le brouillard, on va chercher des indices ! Et les indices, ce sont les points d’interrogation ? Liam me sourit en me tripotant les oreilles :

_____ On y va ?
_____ Hé, attendez !

_____Alors que Liam me tend la carte, une silhouette file juste sous notre nez. C’est une ombre vive et massive qui traverse notre champ de vision en une fraction de seconde, comme un éclair, comme une étoile filante.

_____ Rattrapez-le ! s’écrit une voix essoufflée.

_____C’est Rurik, le chef de la garde. Alourdi par son armure qui tient plus de la décoration que de la protection, il court péniblement derrière l’apparition qui vient juste de nous dépasser. Sans comprendre, je lève les yeux de la carte et croise le regard du garde :

_____ Au voleur ! nous explique-t-il en agitant sa lance : il a volé un tableau !

_____Un voleur ? Mais, c’est impossible ! Comment est-il entré ? Mais Liam, surexcité, s’élance immédiatement à la poursuite de l’homme cagoulé, me laissant plantée là avec la carte dans les mains… C’est un petit garçon, à peine plus grand que lui, mais il porte dans son dos un grand sac, sans doute pour transporter le tableau. Il est habillé tout en noir et file comme un écureuil avec ses chaussures de course. Machinalement, je replie la carte avec minutie et la fourre dans une poche de ma robe.

_____ Ana, dépêche-toi !

_____Il ne prend pas la peine de se retourner : il est déjà parti ; il pique un sprint, il réduit drastiquement la distance qui le sépare du tableau volant. Sans trop réfléchir, je rejoins la danse et me fais violence à coups de longues foulées mais ils sont trop loin ; ils zigzaguent, ils se poursuivent, ils rient, ils courent autour de la fontaine puis bifurquent soudainement vers le Nord-Ouest, rejoignant la forêt… Ah non, hein ! La course s’éternise et nous exténue ; je suis tellement loin derrière que j’ai du mal à voir ce qu’il se passe. J’ai l’impression que poursuivant et poursuivi font corps ; qu’ils bougent de concert. Liam a perdu beaucoup de terrain. Je crois que je les ai perdus de vue. Je respire. De grandes inspirations qui me déchirent les poumons, mes reins me font mal, mes jambes se font lourdes ; continuer, toujours continuer. Il est là ! C’est Liam ? Oui, il s’est arrêté ! Lorsque je le rejoins, le brigand est ventre à terre : il a apparemment trébuché sur une racine et se tord de douleur. Liam est plié en deux, à bout de souffle, et j’assiste au spectacle incongru d’un asticot cherchant désespérément à se relever sauf qu’il patauge littéralement dans la boue, retrébuche, s’écroule, mord la poussière et rampe épuisé en essayant vainement de nous échapper… Il est à nous.


Dernière édition par Anatara le Ven 26 Aoû 2016 - 9:59, édité 3 fois
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_____ Liam, attends ! c’est…

_____Jonathan. De fins cheveux bouclés, des yeux noisette et un joli sourire. Moqueur. Le couteau à la gorge, il nous fixe d’un air ravi, se débattant avec son sac pour essayer de l’enlever. Liam, qui lui a retiré sa cagoule, le lâche mais continue de le menacer de son couteau ; il faut jouer le jeu, vous comprenez !

_____ C’est inutile ! Mes acolytes ont déjà quitté le port, à l’heure qu’il est ! Vous ne pouvez plus nous arrêter ! Votre légendaire fortune nous appartient, mouhahahahaa !

_____Oh. Donc il avait des complices ! Mais. Et lui, dans cette histoire ? Il ne servait que de leurre ? Ses amis ne l’auraient pas abandonné, tout de même…

_____ Qu’avez-vous volé ? Parle !
_____ Héhé…

_____Liam charge son pistolet et pointe sa lame en direction de son front, menaçant :

_____ Oh, hé : vous n’allez pas me tuer, tout de même !
_____ Techniquement, tu t’es introduit dans notre propriété. Nous avons le droit de protéger ce qui nous appartient, n’est-ce pas ?
_____ C’est exact ! Mais figurez-vous que je n’ai rien fait d’illégal !
_____ Ah oui ? Et s’infiltrer dans un manoir pour y voler un tableau, ce n’est pas illégal, peut-être ? Tu es au moins complice, tu l’as dit tout à l’heure !
_____ Haha ! Qui vous a parlé de tableau ? Nous avons retrouvé le fabuleux trésor que votre arrière-grand-père gardait jalousement dans une salle secrète des bas-fonds de vos souterrains inexplorés ! Vous voulez savoir où ça se trouve, n’est-ce pas ?

_____Oh, trop bien ! Il y a donc des souterrains ? Nos souterrains ? Incroyable ! Pourquoi est-ce que je n’ai jamais trouvé l’entrée ? Je me souviens que papa m’avait montré un petit tunnel qui reliait son ancienne maison aux hauteurs, et qui avait servi aux paysans pour fuir la colère des propriétaires qu’ils avaient offensés. Malheureusement, une partie s’est éboulée et c’est désormais trop dangereux de s’y aventurer ; de toute façon ça ne mène nulle part… Mais c’est tout de même fascinant ! Je me demande s’il y a d’autres passages secrets, dans notre île.

_____ Trouver une salle au trésor pillée ne m’intéresse pas des masses. Où sont tes camarades ? Tu veux la vie sauve ? Alors parle !
_____ Eh, attends-attends, minute Belzébuth : me tuer ne vous avancera à rien, d’accord ? Je vous dis que je n’ai rien fait d’illégal : après tout, je n’ai rien volé, moi.
_____ Tu étais dans le manoir. C’est illégal, ça.
_____ Ben… non.
_____ Si.
_____ Non.
_____ Et, euh… comment es-tu entré ?
_____ Maligne la frangine ! Merci d’avoir posé la question : les gardes m’ont laissé entrer, bien entendu. Alors, j’ai toujours fait quelque chose d’illégal ?

_____Haha ! Et ce regard taquin, juste ce qu’il fallait. Liam est stupéfait : Si les gardes l’ont laissé entrer ça change à peu près tout : il devient un invité et il n’est plus entré par effraction… N’empêche qu’il est sorti par la fenêtre et ça c’est pas bien, ça ! Mamie n’arrêtait pas de nous crier dessus quand on sortait par la fenêtre, alors je suppose que ça ne doit pas être légal…

_____ Tu es complice d’un vol. Je pense que ça suffit pour te mener sur l’échafaud.
_____ Hééé, tu ne vas pas échafauder ton cousin, tout de même ! Pense à nous ! Oui, nous, pauvres paysans ! Qui croulons sous la faim pendant que vous autres nobles vous la coulez douce à nous extorquer nos taxes ! Ce n’est pas juste. Nous aussi on veut notre part du gâteau !
_____ Haha.
_____ Pfff, voui.

_____Il n’y a plus de gâteau. Nous l’avons terminé ce matin et notre cousin a bien tapé dedans ! Ah, là là. Les relations compliquées entre nobles et paysans sont un leitmotiv pour notre famille et la cause de bien des conflits… Je ne serais pas surprise si papi-mamie montaient un sale coup pour en finir avec « toutes ces conneries », comme ils disent, mais je crois qu’ils sont un peu résignés. Je ne sais pas, j’aimerais savoir ce qu’il y a derrière leur mine sévère et leurs regards courroucés à chaque fois qu’ils croisent leur belle-famille… Que pensent-ils en voyant ces fils de la terre dans leur manoir construit à la gloire du ciel ? Je ne sais pas, je ne le saurai jamais ; ce qui est sûr c’est qu’ils n’ont pas complètement renié leur fille puisque nous sommes encore, tous, les bienvenus dans cette immense maison. Ils n’aiment pas papa mais c’est juste par principe en fait. Je suis sûre qu’au fond, ils l’admirent. Ils sont les premiers à lui réclamer des tableaux, après tout.

_____ Tu n'as pas de complices, n'est-ce pas ? Tu es seul.

_____Joe baisse la tête, penaud. Son regard est toujours plein d'étoiles, empli de la rage de vivre. Ses sourcils se froncent, ses lèvres se resserrent mais malgré tous ses efforts, il ne parvient pas à inventer une histoire cohérente. Il acquiesce et se mure dans un silence stratégique.

_____ Il n'y avait pas de trésors, comprend Liam. Montre-moi ton sac.

_____Joe se mord les lèvres. Lentement, il ouvre son sac qui bien sûr contenait un tableau entouré d'un drap blanc. Liam le foudroie du regard l'air de dire : « C'est quoi, ça ? Tu ne l'aurais pas volé, par hasard ? ». Joe hausse les épaules. Son visage est en train de se décomposer : il est tel un enfant qu'on a surpris en train de faire la plus grosse connerie de l'histoire et je sens qu'il n'est pas près de recommencer. Liam lui arrache son sac d'un air furieux et le referme sans même regarder le tableau. Je souris, je m'imagine que ce n'est qu'un cadre déguisé en tableau, que c'est juste une blague, une surprise qu'ils nous ont faite, une invention qui parle du légendaire trésor de grand-père (dont nous n'avions jamais entendu parler, au passage) afin de rajouter un peu d'épique dans cette chasse au trésors et j'attends.

_____ C’est pour Elie que tu fais ça ?

_____Je veux murmurer quelque chose, je veux crier, j’ai mal au cœur ! Mais non, Liam, c’est pour toi, pour toi ! Oh, ce que tu peux être bête…

_____ Hélas ! La pauvre a contracté un mal incurable, sort-il d’un ton dramatique : Elle ne vous l’a pas dit mais il ne lui reste que quelques jours à vivre… Quelques jours, sauf si ! Sauf si nous pouvons amasser suffisamment d’argent pour acheter le remède miracle. Oh mon dieu, mais il vaut des milliards ! Peu importe comment j’y réfléchis, ta grand-mère n’acceptera jamais de nous donner tout ça.

_____Des milliards ? Je ne sais pas si mes grands-parents sont aussi riches ! Ah, mais c’est affreux… Elie est malade, vraiment ? Les larmes de Joe ne semblent pas factices et son regard perdu est on ne peut plus sérieux ; mais que veut-il ? Est-ce toujours un jeu, est-ce une comédie ? Mais au son de sa voix mon cœur se déchire, alors… Rien que d’y penser, rien que d’imaginer que cette petite fille fragile que rien n’a épargné pourrait disparaître, pourrait nous quitter emportée par la maladie, mourir avant d’avoir pu vivre ah, mais c’est trop injuste, ça ne peut pas arriver, ce n’est pas possible !

_____ La seule solution, c’est de leur voler, leur voler pour sauver la vie de notre Elie, la belle Elie, la si jolie, la plus frêle et la plus ramollie… Alors, vous me suivez ou pas ?


Dernière édition par Anatara le Ven 26 Aoû 2016 - 10:27, édité 3 fois
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_____ Tu crois que c’est ici ?
_____ Oui, ça me parait logique.
_____ C’est peut-être dans le lit !
_____ Peut-être. Tu as regardé dans l’étagère ?
_____ Non, là je suis dans l’armoire.
_____ Venez voir, j’ai trouvé quelque chose !
_____ Oh, qu’est-ce que c’est ?
_____ C’est une lettre ?
_____ C’est déchiré.
_____ Ah, c’est un puzzle ?
_____ Haha, laissez-moi faire.

_____Nous sommes dans une des nombreuses chambres du manoir, mais pas n’importe laquelle parce que c’est ici que maman a grandi. Nous sommes ici à la recherche d’indices, et Liam vient peut-être de trouver ce qui nous mènera vers la première étape : dans un des quatorze tiroirs du bureau, des morceaux de papier déchirés, apparemment une lettre, ou du moins un message écrit à l’encre bleue. Je reconnais l’écriture de maman. C’est un secret qu’elle nous livre, un message silencieux qu’elle nous a laissé dans sa jeunesse : le papier est jauni et très abîmé, on voit qu’il a au moins cinquante ans ! Il se craquelle, il s’émiette, il est tout fragile et tout desséché.

_____ C’est bon, je crois que j’ai tous les morceaux.
_____ Tu es sûr ? Il y en a peut-être d’autres.
_____ Peut-être… Continuez de chercher, je vais voir ce que je peux faire.

_____Comme je suis proactive, je décide d’aller chercher du côté du lit : Je m’allonge délicieusement en m’étirant sur la couette douillette pendant que Joe fouille la penderie et que Liam reconstitue le puzzle. Je me demande ce qu’elle a bien pu nous écrire, maman… Un message secret sur les agissements étranges de ses grands-parents ? Elle l’aurait déchiré parce qu’elle avait trop peur qu’ils le découvrent ! Oui, ça doit être ça…

_____ Tara, tu es vachement en train de chercher, là.

_____Oups. Je remue à la surface du sommier et entreprends d’explorer les profondeurs de la couverture. Aaahhhh, c’est si confortable ! J’ai envie de me déshabiller et de m’endormir fissa ! Le lit de maman. Quand j’y repense, c’est vraiment l’endroit le plus logique : ce coffre, sur la carte, c’est sans doute un trésor ; le point de départ est un trésor et un trésor, c’est forcément caché dans les chambres ! Qu’est-ce qui compte le plus, pour maman ? Nous quatre, je dirais. Et le point de départ de nous quatre, c’est cette chambre, cette salle où lui et moi sommes nés. Logique, non ?

_____ Ah ah ! j’ai trouvé un carnet, regardez !
_____ Oh, le carnet vert, c’est le… aïe !

_____Alors que je me redresse pour mieux voir la trouvaille de Joe, je sens quelque chose de dur s’enfoncer dans ma fesse ; c’est comme une piqûre d’insecte, un objet pointu !

_____ Euh, oui ? Tu le reconnais ?
_____ Oui, mais plus important : il y a quelque chose dans le matelas !

Je me retourne frénétiquement et me débarrasse de la couverture, je tâtonne le matelas à la recherche de cet endroit – c’était là, juste là, je suis sûre d’avoir senti quelque chose !

_____ Tara…

_____Je m’active de plus belle mais je ne le retrouve pas – mince, j’ai l’air bête maintenant, à quatre pattes sous ce toit écrasant qui me cache la lumière et m’étouffe !

_____ Ana, tu veux bien descendre s’il te plait ?

_____Hein ? Ah, oui. Sans réfléchir, je m’exécute et je regarde les garçons s’activer pour retirer la couverture. En un rien de temps, ils l’ont évacuée et ont soulevé le matelas, et déjà des reflets brillants venaient me titiller l’œil. Oh. On pouvait faire comme ça, aussi.

_____ Alors, la princesse au petit pois ? On voit quelque chose ?
_____ Oui, là : ne bougez surtout pas !

_____Je me tortille et me faufile entre les lattes et le matelas, je me saisis de l’objet – un petit coffre, pas plus grand que mon poing et fais machine arrière en rampant avant de m’extraire péniblement. Pffiouuu. Je suis à genoux, les garçons ont reposé le matelas et me regardent avec de grands sourires curieux. Dans ma main, un petit cube marron et or.


Dernière édition par Anatara le Ven 26 Aoû 2016 - 10:32, édité 2 fois
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_____ Qu’est-ce que c’est ?
_____ C’est un coffre ?

_____Je le soupèse, je l’examine sous tous les angles, je le secoue… Un petit tintement se fait entendre. Des clefs, peut-être ? Ou une pièce, oui, plutôt une pièce ! Hum, je me demande comment ça s’ouvre… Je le regarde de plus près, je gratte les bords avec mes ongles mais tout est parfaitement lisse ; je n’arrive à rien.

_____ Fais voir ?

_____Joe, qui s’est momentanément désintéressé de la penderie de maman, se rapproche de moi et me tend la main. J’y dépose délicatement notre petite trouvaille, ce cube marron clair sur lequel serpentent de fins motifs jaunes et passablement brouillés, comme quand on regarde une image de trop près et qu’elle en devient toute floue.

_____ Euh, Jonathan.

_____Tout sourire, notre cousin lève la tête vers Liam qui l’interpelle. Il est figé, courbé vers son mystérieux petit trésor, le visage aux anges, les yeux écarquillés, les narines grandes ouvertes, il semble s’amuser comme un fou. Dans sa main gauche, il tient encore des…

_____ On peut savoir ce que tu comptes faire avec cette culotte ?
_____ Euh, je. J’étais en train de fouiller la penderie, c’est pour ça.

_____Sourire gêné. Il fait mine de se reconcentrer sur l’énigme qu’il tient entre les doigts et tente discrètement de mettre la lingerie dans sa poche, sauf que…

_____ Joe, je t’ai vu.
_____ Ah. Oui. Euh, pardon.

_____Il la laisse tomber par terre, penaud, non sans lui lancer un regard déchiré alors qu’elle rejoint le sol, comme une feuille morte abandonnée à son triste sort. Nous échangeons un regard. Je fixe successivement sa mine déconfite et la lingerie intime de mes grands-parents. Il hausse les épaules puis, comme il se sent obligé de se justifier, il rajoute :

_____ Ben quoi, il ne faut négliger aucune piste ! Et puis, elles sont super sex…
_____ Juste. Tais-toi, dit Liam.

_____Il se reconcentre sur le petit cube. Je le vois le tripatouiller, le retourner le caresser, appuyer sur toutes les faces et sur tous les coins, passer son doigt sur les arrêtes et hausser les sourcils d’incompréhension. Pendant ce temps, Liam, qui nous surveille du coin de l’œil, semble avoir atteint le paroxysme de son combat sans merci contre le puzzle de maman. Il se met à chuchoter des choses pour lui-même, tente différentes configurations, a des illuminations folles et, parfois, pousse des cris de victoire ou des jurons énervés, des soupirs dépités. À chaque fois, je tends la tête, pleine d’espoir et de curiosité pour savoir ce qu’il a bien pu nous concocter mais il semble qu’il patauge, lui aussi…

_____ Oh, ça y est ! Venez voir !

_____Joe glisse le cube dans sa poche et nous accourons derrière notre héros :

_____ Voilà, je le savais ! Les déchirures coïncidentes parfaitement, regardez.

_____Nous restons incrédules quelques secondes puis échangeons un regard mais Joe a toujours les yeux plein de petites culottes.

_____ Euh, certes.

_____En effet, les papiers sont impeccablement imbriqués les uns dans les autres, comme les pièces d’un puzzle qui vient tout juste de trouver sa solution. Mais le texte, lui…

_____ Et, tu arrives à lire ?
_____ On comprend rien, je chuchote.

_____Mais Liam secoue la tête, énigmatique. Il nous montre son œuvre de plus belle, il est tendu, impatient, il semble vouloir me communiquer quelque chose à travers les étincelles dans ses yeux, regarde mieux, me dit-il en silence, et moi je regarde bêtement les yeux au lieu de regarder la feuille, j’essaie de comprendre, de deviner puis…

_____ C’est…

_____Il hoche la tête, enthousiaste et surexcité, il louche sur son fragile assemblement de papiers déchirés et je suis son regard. Des lettres déformées, des lignes qui ondulent, qui font des virages serrés et des bifurcations, comme des routes de campagne. Parfois on reconnait quelques mots, cher journal je suis… dire… aujourd’hui, parfois pas, parce que tout est informe, étrange, distordu. Je regarde mieux, j’essaie de trouver le début et la fin et, d’un seul coup, je vois enfin ce que j’ai sous les yeux :

_____ C’est une carte.


Dernière édition par Anatara le Ven 26 Aoû 2016 - 10:38, édité 1 fois
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_____C’est une carte qui nous donne le chemin à suivre. Où tourner, où bifurquer, tout est indiqué par la ligne principale qui s’étend telle une tige bourgeonnant de toutes parts. Je vois, j’imagine dans ma tête que les bourgeons indiquent les fausses pistes, les autres possibilités qui pourraient nous perdre dans un dédale monstrueux et inextricable. La tige, quant à elle, est la ligne de vie, le fil d’Ariane qu’il suffira de suivre pour se sortir du labyrinthe. Nous touchons au but.

_____ Une carte de quoi ?

_____Joe s’est également penché vers la carte, dubitatif. Je devine à sa grimace qu’il n’y voit que du gribouillis incompréhensible, ce qui m’arrache un sourire satisfait : pour une fois que je ne suis pas la dernière à comprendre !

_____ Je ne sais pas, avoue Liam. Peut-être une carte du manoir ou d’un sous-terrain. Peut-être que c’est le chemin à suivre dans une forêt.

_____Une forêt ? Mais non ! Je suis sûre que c’est un labyrinthe ! Oui, c’est ça : il doit y avoir un labyrinthe caché dans les couloirs du manoir ! Quand on marche dans un couloir, il y a des portes et des embranchements et on ne sait pas par où aller. Et même si on sait qu’il faut tourner à droite comment savoir quelle porte emprunter ? Les lettres, les traits qui dépassent de parts et d’autres de la ligne directrice, ils représentent les autres portes, les autres possibilités ! Ils n’auraient pas de sens dans une forêt où chaque arbre est une potentielle possibilité, un repère.

_____ Il y a peut-être la réponse dans le carnet ! s’écrie Joe en se souvenant de ce qu’il a trouvé il y a quelques instants.
_____ Hééé, c’est le journal intime de ma mère, n’y touches pas !
_____ Mais, elle y a peut-être mis des informations.

_____Je lui arrache le carnet des mains, peu convaincue :

_____ Un journal intime, c’est sacré, on ne regarde pas dedans !
_____ Ce n’est peut-être pas son journal intime, fait remarquer Liam.

_____Ah bon ?

_____ Mais si, regarde : c’est son carnet vert.

_____Un carnet vert jauni par le temps, aux contours abîmés. Il y a sur la couverture une magnifique rosace parfaitement symétrique dont les innombrables pétales sont décorés d’une multitude de courbes qui lui donnent du volume, le tout dessiné avec soin au crayon. Au centre de cette rosace, il y a une sorte de…

_____ Mais non son carnet vert il est à la maison voyons : qu’est-ce qu’il viendrait faire ici ? Si maman ne voulait pas qu’on fouille dans ses affaires, elle ne les aurait pas laissé traîner ici.
_____ Oh, regarde ! … C’est une clef.

_____Sur la couverture du carnet vert, au milieu de la rosace qui jusque-là monopolisait toute mon attention, ce qui ressemble à s’y méprendre à une clef est également dessiné.

_____ Il y a peut-être la clef dans le carnet, regarde !
_____ La clef, quelle clef ?
_____ La clef du coffre, nunuche !
_____ Mais il n’y a pas de serrure, dis-je en soupesant le petit cube que Joe vient de ressortir de sa poche.
_____ Ou peut-être que c’est un code ?
_____ Ou une énigme !

_____Joe tourne frénétiquement les pages du carnet à la recherche d’un code, d’un marque-page, de quoi que ce soit qui puisse retenir son attention mais il arrive bien rapidement à la fin. Dépité, il tend le livre à Liam qui vérifie la doublure et le feuillette à son tour pendant que son cousin fait les cent pas en se grattant le menton pour se donner des airs. Il est amusant, ce cousin. Toujours très brillant, toujours le mot pour rire. Laissez-le vous parler deux ou trois minutes et il vous convaincra fissa que les castors sont une invention des révolutionnaires pour espionner la marine. Cet homme, c’est le baratineur né, l’acteur idéal. Le problème, c’est qu’il n’est jamais sérieux et qu’on ne peut jamais lui faire confiance sur quoi que ce soit. À vrai dire, je le trouve même un peu lourd, par moments.

_____ Ana, tu peux venir voir s’il te plait ?

_____Tirée de mes pensées, je me dirige machinalement vers mon frère : il me montre un petit paragraphe parmi tant d’autres, écrit d’un bloc en une page, d’une écriture minuscule mais pour autant parfaitement régulière et parfaitement lisible. À y regarder de plus près, je me dis même que chaque lettre a été faite au tampon tellement toutes sont semblables. Plus surprenant encore, le texte dans son ensemble se détache visuellement du reste car il forme un rectangle presque parfait légèrement décalé par rapport à la marge. Fascinant…

_____ Qu’est-ce que tu en penses ?

_____Je reste silencieuse un petit instant, mes yeux perdus dans le vide. Les lettres me paraissent soudainement floues, comme les soirs où je suis fatiguée et que j’ai trop lu. Je me concentre et me force à lire ces quelques lignes :
« Si tu cherches des clefs, va retrouver leur reine
Qui t’attend tous les jours dans l’oubli dans le noir.
Présente-lui les fleurs qui chantent son devoir
Et les cœurs s’ouvriront sans colère et sans haine.

Si tu cherches des fleurs, rends-toi dans une plaine.
Laisse-toi caresser par les herbes du soir
Qui guident tes orteils quand tu ne peux plus voir
Et les fleurs s’ouvriront sans douleur et sans peine.

Si tu cherches la plaine, ouvre l’œil au plus près
Du mangeur d’horizon où naquit l’amour vrai
Qui saute sans douceur et tend sa main vers moi.

Si tu veux un trésor, ne marque pas d’arrêt
Dans ta course effrénée de portraits en portraits
Jusqu’à  celui qui porte une trace de toi.
»


Dernière édition par Anatara le Sam 27 Aoû 2016 - 17:17, édité 4 fois
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_____Clefs, trésor, il s’agit indubitablement d’un indice, un indice qui nous dit d’aller dans une certaine plaine. Le mangeur d’horizon, c’est sans doute la montagne, les dents de la terre qui coupent le regard et nous séparent du monde. Le problème, c’est que l’île est entièrement entourée de montagnes ! Laquelle choisir ? Où naquit l’amour… Peut-être que c’est la montagne où maman et papa se sont rencontrés ! Mais. Mais ils ne se sont pas rencontrés sur une montagne que je sache, en plus maman elle a le vertige… Raah, j’y comprends rien à ce poème ! Liam, qui attend toujours ma réponse, tend le carnet à Joe pour qu’il se fasse son avis :

_____ Waouh, ça c’est de l’indice ! Alors, il faut d’abord aller chercher des clefs. Où est-ce qu’on peut trouver ça ?

_____Il reste silencieux plusieurs secondes et semble soudainement frappé par l’inspiration :

_____ Je sais ! La reine des clefs c’est la serrure !
_____ Hein ?
_____ Mais oui, la serrure, il faut trouver la serrure !
_____ N’importe quoi, la serrure elle ne règne pas sur les clefs ! Je pense que c’est une personne, genre maman par exemple !
_____ Mais pourquoi l’appeler reine, alors ?
_____ Parce que c’est la gardienne des clefs ! Et n’oublie pas que c’est papa qui a écrit ça : il a sans doute écrit reine de manière imagée et de toute façon je suis sûre qu’il a pris le premier mot qui venait parce qu’il avait besoin d’une rime en ène.
_____ Haha, c’est bien possible ! Il est si nul que ça ton père ?
_____ Il est peintre.
_____ Ah oui ça explique des choses.

_____Liam le foudroie du regard mais se garde bien de relever :

_____ C’est écrit à l’envers, dit-il.
_____ Pardon ?

_____Sans perdre une seconde, Joe retourne le carnet, incline sa tête sur la gauche et fait des moues dubitatives. Il retourne de nouveau le carnet et se retrouve avec la couverture en face des yeux, ce qui n’a pas l’air de l’avancer :

_____ Non, je crois qu’il faut lire dans ce sens, dit-il en remettant le carnet à l'endroit.

_____Exaspéré, Liam lui prend gentiment le carnet des mains et me fait signe de m’approcher :

_____ Regarde : il commence à parler des clefs qui nécessitent des fleurs qui se trouvent sur une plaine puis il parle du trésor. Or il faut d’abord se rendre sur la plaine pour y trouver les fleurs qui nous permettent d’accéder au clefs, d’accord ?
_____ Ouais ?
_____ Du coup je pense que l’ordre chronologique est de bas en haut.
_____ Ah ?
_____ Oui, regarde : on ne cherche pas des clefs, là, si ?
_____ Ben, si.
_____ Quelles clefs ? On n’a pas de serrure.
_____ Elle a raison : ce qu’on cherche, c’est le trésor. On doit donc se référer à la dernière strophe et trouver le tableau. Je pense qu’il faut commencer par là.

_____Nous restons silencieux quelques instants, peu convaincus. Son explication me parait plausible mais pourquoi écrire le poème à l’envers ? Autant commencer par la dernière strophe et finir par la première, ça aurait été plus clair. Peut-être que c’est juste comme ça que le poème est venu…

_____ Apparemment faut se dépêcher, non ?
_____ Bof, je suis sûre que c’est parce qu’il lui manquait des vers pour faire le tercet.
_____ Le terquoi ?
_____ Le tercet ! Ce texte est un poème, c’est même un sonnet tu vois ? Il y a deux quatrains et deux tercets.
_____ Ah oui.

_____Après un court silence, nous nous reprenons en main et commençons à nous activer : Bon, je pense qu’il faut fouiller le manoir pour trouver un portrait où il y a Liam dessus !


Dernière édition par Anatara le Sam 27 Aoû 2016 - 17:23, édité 1 fois
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_____Ni une, ni deux : nous sommes partis en trombe en direction de la pièce où se trouvent les tableaux. Avec un peu de chance, le prochain indice serait là-bas ! C’est un immense grenier poussiéreux situé juste sous le toit, vers l’avant du manoir. Il doit occuper plus de la moitié de la superficie du manoir si ce n’est la totalité, ce qui représente un certain paquet de mètres carrés. Je n’aime pas cette pièce car elle sent la poussière et le renfermé. En plus, il y fait toujours très sombre : éclairé par de rares filets de lumière qui filtrent tant bien que mal à travers les quelques fenêtres, le grenier me fait toujours penser au repère de quelque animal fantastique qu’on va retrouver à ses risques et périls. Il me fait peur. Il y a des poutres partout et le plafond y est très bas, on s’y sent enfermé, écrasé, c’est très désagréable. Par contre,  comme tous les greniers, il recèle de bien nombreux trésors qui n’attendent qu’à nous livrer leurs secrets, ce qu’y fait que je m’y suis rendue plusieurs fois quand j’étais petite : tableaux, journaux, carnets de notes, il y a même un petit bureau avec une lampe, un miroir et une tonne de trucs dessus ! Ici des allumettes, là-bas un porte-clefs, juste à côté un pot qui contient feutres, crayons, pinceaux, et bien sûr une dizaine de tiroirs avec des compas, des règles, des cartes, de grands morceaux de papiers jaunis et un nombre incalculable de parchemins avec des formules mathématiques compliquées, vous savez : celle avec des °, des x et des y. Enfin bon, ce n’est pas important. Le plus intéressant, ce sont les tableaux. Ils sont toute une armée de fantômes survenus de nulle part qui dressent leurs silhouettes inquiétantes un peu partout. Contre les poutres, appuyés sur les murs ou même au milieu du passage, des dizaines de draps hantent les lieux. Gris pâle, noirs, jaunes, marrons, verts ou blancs tachés, il y en a de toutes les formes et de toutes les couleurs. L’indice est sûrement caché sous l’un de ces draps.

_____ Aller, au boulot !

_____Liam, qui ne se décourage pas devant le travail à accomplir, entreprend d’inspecter les tableaux un par un. Il soulève délicatement les couvertures, fourre son nez dessous, éternue, se plaint de n’y rien voir, allume sa lampe et recommence. Joe et moi passons un accord tacite et faisons équipe pour enlever les draps et inspecter les tableaux. Je soulève, je regarde par terre, il fait le tour, il dégage complètement la toile, je passe le tableau au peigne fin, il secoue le drap, je regarde derrière le tableau, sur le cadre, je vérifie le chevalet et il hausse les épaules. Bredouilles, nous reposons le drap aux pieds du tableau et nous nous dirigeons vers le tableau suivant. Mais Joe s’arrête soudainement, comme pris d’un doute :

_____ Tu ne crois pas qu’on devrait remettre le drap, pour la poussière ?
_____ Ouais mais après on ne saura plus lesquels on a regardés !

_____Joe fait une moue dubitative, se frotte le menton et propose :

_____ Ah, on n’a qu’à faire une croix sur les draps ! Au feutre, une croix bien au milieu ça devrait faire l’affaire.
_____ Tu es fou, mamie va nous étriper !
_____ Ben, au pire elle nous forcera à laver les draps. N’appuie pas trop.

_____Sans me demander mon avis, Joe remet le drap et dessine une énorme croix au feutre rouge.

_____ Héééé, tu n’es pas obligé de la faire aussi grosse !
_____ Ben, ça ne sert à rien si on ne la voit pas.
_____ Fais-la plus petite.
_____ Mais je ne peux pas je l’ai déjà faite.
_____ Je…

_____Je reste sans voix, mes protestations offusquées ne parvenant pas à trouver les mots pour se formuler. Bon, ces draps ne servent qu’à protéger les tableaux et ils les protégeront tout aussi bien avec une grosse croix rouge dessus, mais quand même !

_____ Venez voir, j’ai trouvé quelque chose !

_____Interpellés, nous accourons auprès de Liam qui triomphe devant un grand tableau qui fait presque sa taille. C’est un portrait sombre, avec un coin de table au premier plan, à droite. Sur cette table, des objets flous aux contours approximatifs ont été peints avec des couleurs vives qui coupent avec le reste de la toile. Au centre, Liam se tient tel un conquérant victorieux venant de remporter une guerre territoriale. Il porte un uniforme de marine et aborde un sourire malicieux, la main droite brandissant une épée pointée vers le ciel et le pied droit posé sur un gros caillou aux reflets argentés. La lumière, qui vient de la droite du tableau, fait ressortir à merveille l’éclat de la lame et met parfaitement en valeur le visage rayonnant de mon frère.

_____ Tu crois que c’est ça ?

_____Liam hoche vigoureusement la tête :

_____ Il y avait ça, dit-il en me tendant la main.

_____D’abord, un petit bout de papier avec quelques symboles reliés deux à deux par le signe « = » qui marque l’égalité : cœur égal soleil, poing égal orage, cœur brisé égal pluie.

_____ Qu’est-ce que ça veut dire ?

_____Le poing, qui peut représenter la colère ou la violence, peut briser le cœur tel l’éclatement d’un orage qui vient ponctuer les étés de jours de pluie.

_____ Le cœur, c’est l’amour, dit Liam. L’amour c’est le soleil, la violence c’est l’orage et la fin de l’amour c’est la pluie.
_____ Le cœur brisé, c’est l’amour déçu ?
_____ Je pense que seule la première ligne est importante.

_____La première ligne… Cœur égal soleil. Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ?

_____ Mais pourquoi avoir mis les autres alors ?
_____ Sinon ça aurait été trop facile !

_____Bon, certes.

_____ Souviens-toi : « Ouvre l’œil au plus près du mangeur d’horizon où naquit l’amour vrai. » Si l’amour est le soleil, la montagne où naquit l’amour est la montagne la plus à l’Est !

_____Ahhhh ! C’est vrai, je l’avais déjà oublié, ce poème ! Euh, qu’est-ce qu’il disait déjà ? Il faut aller près de la montagne c’est ça ? Hum, mais qu’est-ce qu’on va y trouver, dans cette montagne ? Et puis ce n’est pas comme s’il y avait une montagne la plus à l’Est, l’est ce n’est qu’une vague direction ! Je suis sûre que le lever du Soleil ne se fait pas au-dessus de la même montagne selon l’endroit où l'on est dans l’île ! Huuuummm… Je cherche intensément dans mes souvenirs jusqu’à ce que Joe intervienne en brandissant le second indice :

_____ Ah, mais je la connais cette cave ! C’est une des rares grottes accessibles à pieds ! Même pas besoin d’escalader !
_____ Hein, quelle cave ?
_____ Ben, regarde l’image.

_____À ma grande surprise, il me tend un petit dessin fait au crayon à papier. On y reconnait l’entrée d’une grotte avec une pancarte et un petit arbre. Sur la pancarte, des gribouillis illisibles signalent sans doute qu’il ne faut pas entrer parce que c’est dangereux et l’arbre, lui, ressemble à un pommier parce qu’il a des fruits ronds et rouges, d’ailleurs c’est la seule chose qui est coloriée sur le dessin.

_____ Mais, ça pourrait être n’importe quelle cave !

_____Mon objection est aussitôt refusée car il n’y a que quelques caves accessibles à pieds, les autres sont soit « un peu » difficile d’accès, c’est-à-dire qu’il faut marcher longtemps voire escalader la montagne pour y arriver et ça m’étonnerait que mes parents se soient embêtés à aller là-bas, surtout en connaissant l’affinité de ma mère avec l’escalade. Or, on cherche une cave qui se situe à l’est et qui soit près d’un pommier… Bon.

_____ Il a raison, Ana, c’est forcément là-bas !

_____Ah oui ? Il y a quelques années, j’aurais sans doute été d’accord mais je viens juste de rentrer et mes connaissances sur l’île ont eu le temps de devenir défectueuses entre-temps. Il faut dire que je ne me suis pas beaucoup amusée à explorer les grottes vu comment c’est dangereux… De vrais dédales, avec des animaux sauvages et tout !

_____ Aller, suivez le guide ! s’écrie Joe en descendant les escaliers en trombe.


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_____Après une petite heure de marche, nous arrivons enfin à notre destination : une grande clairière peuplée de jacinthes et de jonquilles, de capucines et de camélias. En face de nous, le sentier continue jusqu’à la bouche béante d’une belle caverne où ont élu domicile quelques lierres et des araignées. Sur la droite, on peut reconnaître la fameuse pancarte qui été dessinée sur la feuille mais nous sommes encore trop loin pour la lire. Quant au pommier, il est à une bonne centaine de mètres de l’entrée. C’est un arbre immense aux embranchements multiples qui s’étendent dans toutes les directions tel un labyrinthe qui dresse un chemin de la terre au ciel. Aussitôt, je suis envahie par une irrépressible envie de l’escalader : je me dis que, parmi ces branches, il en existe une et une seule qui me mènera jusqu’au paradis, jusqu’à un pays lointain perché dans les nuages où tout serait merveilleusement beau. Du coin de l’œil, je regarde les garçons s’asseoir sur une racine pour se reposer. Apparemment, ils ne font pas vraiment attention à moi… J’en profite pour me rapprocher de l’arbre en sautillant. Voyons voir… Le tronc est super gros, j’aurais la place de rentrer cinq fois dedans tellement il est large ! Le problème, c’est que la première branche est assez haute donc je ne peux pas m’y hisser facilement. Bon, si je saute je pourrai m’y accrocher, mais après ? Ben, on verra !

_____ Ana qu’est-ce que tu fais c’est dangereux !

_____Oups… Me voilà suspendue à la branche, incapable de m’y hisser. Je dois avoir l’air passablement ridicule, mais c’est de la faute de Liam ! S’il ne m’avait pas surprise au dernier moment, je n’aurais pas raté mon coup ! Mais là, il m’a fait sursauter, le frangin, du coup je suis obligée de recommencer. Entre-temps, Liam s’est levé comme s’il croyait pouvoir m’empêcher de grimper. Bon, cette fois-ci c’est la bonne ! Je regarde bien ma cible, seule branche à peu près abordable et je saute de nouveau. D’un bond, je place la branche au niveau de ma poitrine et, en m’aidant de mes bras, je me hisse sur l’arbre comme si de rien n’était. Et voilà le travail !

_____ T’as raté, j’ai vu ta culotte !
_____ Hééééé !

_____Joe ne rate jamais une occasion quand il s’agit de petites culottes, un vrai délinquant. Je lui aurais bien tiré les oreilles mais je reste fièrement sur ma branche en agitant les jambes et en ruminant ma fureur. Raaah, ma vengeance sera terrible !

_____ Ana, regarde !

_____Je ne regarde même pas.

_____ Qu’est-ce que c’est ?
_____ Je ne sais pas… On dirait une fleur.
_____ Ah ouais ? Une fleur de pommier ? Ça ressemble à quoi une fleur de pommier ?
_____ Euh, à ça, je suppose.

_____Comme je n’ai aucune confiance en Joe, j’interroge Liam du regard qui me montre quelque chose du doigt :

_____ Il y a une sorte de fleur sur ta branche.
_____ Et ?
_____ Ben, ce n’est pas la saison des fleurs.
_____ Ah.

_____Court silence. Maintenant que j'y pense, il me semble avoir vu des pommes sur ce pommier. La saison des fleurs est passée depuis longtemps maintenant.

_____ Tu peux aller la chercher s’il te plait ?

_____Oh ! C’est vrai, il faut trouver une fleur pour la donner à la reine des clefs, c’est ça ? Ah, j’avais oublié ! Que dit le poème déjà ? Suivre l’herbe et les fleurs s’ouvriront ? Mais il faudrait déjà avoir les fleurs… Mince, je ne me souviens plus ! J’ai beau chercher dans ma mémoire, seuls les événements immédiats semblent pouvoir préoccuper mon esprit : la colère, l’humiliation, colère envers Joe mais aussi envers moi-même voire le monde entier. C’est vrai, quoi, on devrait pouvoir grimper aux arbres en toute tranquillité mince alors ! C’est quoi le délire avec les culottes, sérieux ? Ça leur donne quoi d’en voir une ? Est-ce que je vais regarder les calbuts des garçons, moi ? Raah, ils m’énervent ! Ils ne peuvent pas savoir à quel point c’est chiant, ça pourrit la vie, mince alors ! Ah, ça faisait longtemps que je n’avais pas été aussi énervée. Bon, concentrons-nous sur notre progression sur cette branche. À quatre pattes, je progresse de plus en plus laborieusement au fur et à mesure que la branche se fait plus fine, surtout qu’il y a de plus en plus de branches et de feuilles qui viennent me griffer le visage.

_____ C’est où ?
_____ Avance encore un peu, t’y es presque.
_____ Je peux pas !
_____ Comment ça tu peux pas ?

_____Ben, je ne peux littéralement plus avancer, là : y’a pas moyen ! De une, la branche commence à pencher de manière inquiétante et de deux, elle a eu la bonne idée de se séparer en deux juste devant moi, avec une partie qui plonge vers le sol de manière plus ou moins vertigineuse et l’autre qui monte quasiment à la vertical. Ce serait totalement suicidaire de continuer.

_____ Oh, chochotte ! Lève-toi et fais le tour, ce n’est pas bien compliqué quand même.

_____Oh, je l’y verrais bien, lui. Lentement, avec d’infinies précautions, je m’aide de la branche qui est devant moi pour me redresser. Ce faisant, je me rends compte qu’elle n’est absolument pas verticale et que l’entreprise pourrait s’avérer autrement plus périlleux…

_____ Hiiiii !
_____ Oh, aller … On dirait ta mère !

_____Ah ah… je manque d’avoir une crise de fou rire en imaginant maman perchée sur cette branche. Oh mon dieu, ce serait horrible ! Je ne sais pas si elle tomberait instantanément ou si elle resterait paralysée de peur comme je le suis maintenant… En tout cas, ce serait le branle-bas de combat à l’altitude zéro : tout le monde se mettrait en quatre pour essayer de la sortir de ce mauvais pas. Bon, aller : je tente. Me collant le plus possible à ma branche qui décidément n’est pas verticale, je tends un pied de l’autre côté. Je m’appuie pour vérifier que la branche ne casse pas et je transfère mon poids. Voilà, comme ça… lentement… Petit… à petit. Bon. J’ai désormais un pied de chaque côté de la branche que je serre très fort avec mes deux bras pour ne pas tomber en arrière. Mince ! Je suis coincée… Mais bon, je ne voudrais pas donner à Joe le plaisir de me voir indéfiniment dans cette position désavantageuse, alors je m’avance encore et parvient à passer le deuxième pied de l’autre côté. Parfait. Reste plus qu’à me retourner maintenant. Alors que j'envisage un instant de progresser en marche arrière, j'entends la voix de Liam à travers les feuilles :

_____ Ana, tu peux secouer la branche s’il te plait ? Je suis sûr qu’elle est sur le point de tomber.
_____ Ça ne va pas ? Tu veux ma mort ?
_____ On pourrait presque l’attraper, je pense.
_____ Ana, ne bouge pas !

_____Je n’en ai pas l’intention. Soudain, voilà Joe qui bondit et qui élance sa main tel un coup de fouet. Qui saute sans douceur et tend sa main vers moi.


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_____Là, on peut dire que j’ai eu la peur de ma vie : j’ai cru que j’allais tomber et me ramasser en beauté ! Je me suis cramponnée sur ma branche et j’ai fermé les yeux très fort en attendant que ça passe et je suis restée comme ça plusieurs secondes le temps que Joe arrête d’essayer de me faire tomber.

_____ C’est bon, je l’ai eue ! Tu peux redescendre.

_____Hein, quoi ? Je suis montée pour rien ? Il a eu quoi ? La fleur que je suis allé chercher ? Ah, mais il ne pouvait pas essayer de l’attraper avant nom de dieu ? Bon, restons calmes, concentrons-nous et redescendons. Après un retour un million de fois plus laborieux que l’allé, je remets les pieds sur terre et pousse un long soupir de satisfaction. Eh ben… n’empêche que ce n’était pas évident ! Je m’approche des garçons pour inspecter leur trouvaille, la fameuse fleur dont ils parlent depuis un moment déjà. Il s’agit d’un amas de pétales repliés les uns sur les autres, comme un bourgeon s’apprêtant à éclore ou plutôt comme une fleur qui se serait refermée pendant la nuit. Les pétales sont fins et translucides mais pour autant denses et solides : je dirais qu’ils sont en verre, un verre rayé, abîmé par endroits et passablement sale comme s’il avait subi de trop nombreuses chutes et que des grains de sable, de terre et de poussière avaient fini par s’incruster à l’intérieur. En tout cas, il est sûrement très, très vieux ce verre, plus vieux que mamie et grand-mamie réunies ! Au cœur de ces pétales qu’on ne peut malheureusement pas ouvrir, une feuille de papier noire et complètement délavée. On dirait qu’elle va s’effriter tellement elle est usée, vous savez : quand vous pliez une feuille trop de fois après le papier s’abîme et ça fait comme ça. Malheureusement, j’ai beau l’inspecter de tous les côtés, je ne vois pas le moindre début d’indice qui pourrait nous servir dans notre quête. Pourtant, c’est clairement un objet qui n’a rien à faire dans un arbre ! Je suis sûre que la réponse et sur ce papier, si tant est qu’elle est encore lisible…

_____ Trop cool, on a la fleur ! On n’a plus qu’à la donner à la reine des clefs et on aura fini !

_____Joe me regarde avec un air malicieux mais il ne dit rien.

_____ Bon, ce n’est pas tout mais je crois qu’un trésor nous attend, dit-il en se dirigeant vers la grotte.

_____Pressés d’en finir avec cette chasse, nous lui emboitons joyeusement le pas et pénétrons dans la grotte, armés de nos nombreuses torches et lanternes. Sur ma droite, la pancarte disait simplement : « Cette grotte appartient aux Estowalds, propriété privée. Merci de ne pas entrer. » Pfff ! Comme si une grotte pouvait appartenir à qui que ce soit ! N’importe quoi. Ne manquerait plus que les gardes et les barricades ! Franchement, une grotte ce n’est jamais qu’un élément de la nature parmi tant d’autres ! Elle n’appartient à personne ! Pourquoi faut-il toujours que les hommes désirent tout posséder ? Si toute la terre devenait propriété, si chaque pas, chaque respiration, chaque geste que l’on fait devait se louer, la vie serait terriblement chiante ! Heureusement, on n’en est pas encore là et chacun est encore libre de circuler librement à travers le monde. Un jour, peut-être qu’un jour les pirates cesseront de harceler les navires marchands qui n’auront plus à ressembler à des forteresses flottantes. Un jour, peut-être pourrions-nous parcourir librement les mers sans crainte d’être attaqués ou pillés, sans taxe ni droit de passage. Rien que d’y penser, je me dis que ce jour serait merveilleusement béni ! Les plus grandes craintes de l’homme ne seront plus dirigées vers ses congénères mais leur propriétaire légitime : mère nature. Les tempêtes, les monstres marins les prédateurs, voilà ce que l’aventurier doit craindre ! Manquer de vivres, tomber malade, souffrir de la froid, ne serait-ce pas là des inquiétudes largement suffisantes ? Mais que l’on doive d’avantage se méfier des autres hommes, c’est quelque chose que je n’arrive pas à intégrer. Moi, j’aimerais pouvoir faire naturellement confiance à mon prochain, me dire que lui et moi appartenons à une même espèce, que nous voyageons ensemble sur un même bateau et partageons les mêmes galères. J’aimerais que l’entraide et la confiance soient les maîtres mots de l’existence humaine. Toute à mes réflexions, je n’ai pas remarqué que notre chasse est sur le point de prendre des tournures inattendues…


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_____Nous avançons tranquillement dans les boyaux de la montagne en brandissant nos quelques torches et une de nos lampes. La grotte, qui au début nous est apparue immense, s’est divisée en cinq directions : quatre petits tunnels s’éloignant symétriquement par rapport au centre qui continuait tout droit. Moi, j’ai eu très envie de continuer par là parce qu’un puits de lumière permettait au soleil de nous éclairer depuis là-haut malgré toutes les roches et toute la terre qu’il y avait entre les deux. D’ailleurs, je me demande comment c’est possible… Nous nous sommes arrêtés quelques instants le temps de faire un petit topo et, après quelques argumentations auxquelles je n’ai pas compris grand-chose, Joe a convaincu Liam de continuer sur le chemin le plus à droite parce qu’il y avait quelques traces de lichen. Laisse-toi caresser par les herbes du soir qui guident tes orteils quand tu ne peux plus voir. Maintenant, nous progressons dans une allée très étroite où l’on peut à peine marcher à deux de front. Fort heureusement, l’ouverture est suffisamment haute pour qu’on puisse y cheminer debout, sinon ç’aurait été vraiment trop compliqué ! Mais moi, je me sers fort contre Liam qui progresse devant moi. Mes mains sont crispées sur Steeve que je presse contre ma poitrine, comme pour m’assurer qu’il est encore là. Il faut dire que cette grotte est pour le moins flippante : il fait sombre et humide, il y a des stalactites et des stalagmites qui ressortent ici et là comme les crocs menaçants de quelque puissante mâchoire s’apprêtant à se refermer sur nous. Le pire, ce n’est pas l’obscurité à laquelle j’ai fini par m’habituer mais les longues ombres fines et fantomatiques que nos lumières projettent devant nous : elles sont vivantes, elles courent, s’élancent, elles dansent sur le tapis de pierre ! Je suis à l’affût, je guette. J’ai peur que surgisse un monstre, un ogre un ours, un fantôme. Mais les roches sont immobiles et silencieuses, et quand j’entends le bruit régulier des gouttes qui tombent d’en haut plic, ploc, ploc, je ne peux m’empêcher de penser à la marche d’un puissant démon qui nous tendrait une embuscade. Je frissonne. Le pire, c’est le son du vent qui s’engouffre dans la grotte par je-ne-sais quelle ouverture : on dirait une complainte, le chant rituel des adorateurs du diable qui s’apprêtent à nous offrir en sacrifice à leur idole oubliée. Et c’est le moment que Joe choisit pour s’arrêter soudainement.

_____Je rentre dans Liam qui lui-même est rentré dans Joe, qui vient de faire un subit saut en arrière. Mon frère étouffe un cri de douleur consterné car Joe a dû lui mettre un coup de coude dans la face. Une lanterne tombe, découvrant une longue et inquiétante silhouette qui s’agite : un homme, un vrai, se tient face à nous. Je ne peux pas distinguer clairement son visage ombragé ni son rictus surpris mais je sens d’instinct qu’il ne devrait pas être là. Que nous n’aurions jamais dû nous rencontrer. Il s’agite. Joe ramasse sa lanterne et la soulève pour mieux distinguer l’inconnu qui met aussitôt des mains devant ses yeux éblouis. Mal rasé, édenté, les mains épaisses et couvertes de crasse et de boues, il entame un mouvement de recul offusqué :

_____ Hé, doucement là ! Tu m’éblouis, beugla-t-il.

_____Joe abaisse la lanterne et reste coi. Satisfait, l’inconnu retire ses mains, découvrant un visage fatigué et couvert de sueur. Notre homme porte un bandana marron pâle parcouru de motifs orange et jaunes à moitié effacés par l’usure et le temps. Ses longs cheveux gras et noirs lui tombent en fouillis sur les épaules tel un ramassis anarchique d’épis et de mèches rebelles. Son visage ridé et marqué par le doute oscille comme la flamme d’une bougie qui aurait perdu la raison. Il nous regarde. De grands et profonds cernes habillent ses yeux plissés dont les fascinantes pupilles marron-jaune se dilatent à vue d’œil pour se réhabituer à l’obscurité. Veil arbre. C’est le nom qui me vient à l’esprit quand je le regarde dans les yeux. Alors que Joe va enfin prendre la parole, c’est lui qui rompt le silence :

_____ Ah ben ce n’est pas trop tôt ! Je commençais à croire que vous vous étiez perdus !

_____Nous hésitons. Joe, surtout, semble complètement perdu. C’est Liam qui prend la parole :

_____ Vous êtes ?
_____ Hein, c’est moi ! Richard. Allons, face de pion, tu ne me reconnais pas ?

_____Comme pris d’un doute, l’homme aux yeux d’arbre fatigué soulève sa propre lanterne qui dégage une malheureuse lumière incapable d’éclairer plus loin qu’à quelques centimètres. Sans se démonter, il la rapproche de Joe qui recule à son tour, un jeu étrange qui dure le temps que Richard tende entièrement le bras. Constatant qu’il ne voit toujours rien, il s’avance à tâtons en bougonnant des jurons incompréhensibles, agitant vainement sa lampe pour tenter de mieux nous discerner. D’instinct, nous reculons tous. Je ne sais pas pourquoi, mais cet homme respire le danger. Est-ce l’ambiance de la grotte, la malveillance des lieux ? Nous sommes naturellement méfiants. Pourtant, il n’a pas l’air particulièrement agressif, impotent qu’il est avec ses yeux aveugles.

_____ Richard ?

_____Tout comme moi, Liam fouille dans sa mémoire pour coller le nom de Richard sur un homme qui lui ressemble mais rien à faire : aucun Richard ne répond à sa description. Cet homme est un parfait inconnu. Il s‘arrête. Il commence à fouiller dans ses poches, le plus discrètement possible. Apparemment, lui aussi se doute de quelque chose. Il recule, conscient que son désavantage sera moindre si lui aussi se terre dans les ténèbres. Désormais, c’est lui qui a le dessus. Nos lanternes sont nombreuses et puissantes tandis que c’est à peine si l’on peut distinguer la sienne. Il sait où nous sommes, il nous voit mais nous ne le voyons plus. Nous ne réagissons pas.

_____ Qui êtes-vous ? Identifiez-vous !
_____ On cherche le trésor, je m’écrie.

_____Peut-être que c’est un ami de mes parents. Grossière erreur.

_____ Shanna, c’est toi ?

_____Il semble avoir reconnu une voix de fille. Interloqués, nous nous consultons du regard mais personne ne lui répond. Silence.

_____ Qui êtes-vous ? Comment savez-vous pour le trésor ?

_____Il commence à s’énerver. Je sens que ce petit numéro n’a que trop duré.

_____ Ben, c’est notre trésor, tente Liam.
_____ Ah oui ?

_____Tout d’un coup, Richard parait moins hostile. Il se rapproche.

_____ Mais oui. C’est papa qui l’a caché. Il m’a demandé d’aller le chercher pour pouvoir le dépenser.
_____ Vraiment ? Et tu sais où il est ?
_____ Oui, c’est par là, répondit-il en désignant une direction perdue dans le noir.
_____ Mais qu’est-ce que tu fais ?

_____Liam ne répond pas à mes chuchotements effarés. Il a son idée en tête et moi, qui n’ai pas encore totalement compris la situation, je suis obnubilée par une chose. Lui. Qui est-il, que fait-il ici ? Je ne me pose pas la question de savoir s’il nous veut du mal, elle est tabou, scellée quelque part au plus profond de mon esprit. Tout va bien se passer, il n’y a pas de danger, c’est juste une chasse au trésor organisée par mes parents. Pas de quoi s’inquiéter.

_____ Vous avez la carte ?
_____ Non, pas besoin. Je connais le chemin.
_____ Tu me montres ?

_____Nous hésitons. Liam est très gêné parce qu'il ne sait pas comment décliner cette invitation qui tient plus de la menace que de la demande aimable

_____ T’es quoi, toi ?

_____L’homme charge bruyamment son pistolet.

_____ Écoute-moi, gamin : tu vas me suivre gentiment et pas d’entourloupe.
_____ D’accord, dit simplement Liam.

_____Richard fait mine de se rapprocher. Son ombre se profile, de plus en plus énorme, de plus en plus menaçante. Il pointe son pistolet sur la tempe de mon frère et lui somme de lui passer tout ce qu’il a, ce à quoi Liam répond en lui tendant la lanterne. Surpris, l’homme est de nouveau ébloui et, flairant le piège, appuie directement sur la gâchette. Prrr ! La balle ricoche bruyamment sur les parois après une explosion assourdissante. Surpris, Joe et moi fermons les yeux et nous bouchons les oreilles. Liam a baissé la tête qu’il a cachée sous ses mains et, par le plus grand des hasards, la balle semble l’avoir épargné. Il faut dire que, par réflexe, l’homme aux yeux d’arbre vieilli a soudainement reculé puis, ensuite, a pensé à tirer. Sans réfléchir, Joe se précipite sur notre homme, bousculant Liam au passage. Nouveau coup de feu. Une grosse pierre se détache et roule tout droit dans l’estomac de la bête. Liam, qui se reprend, part au secours de son cousin qui est vite maîtrisé par notre ennemi. Quant à moi, je reste bêtement sur place, admirant la scène cauchemardesque.

_____D’un coup, l’homme envoie mon frère au tapis puis se débarrasse de Joe qui s’accroche au pistolet. Liam le frappe derrière le genou, ce qui le déséquilibre. Joe, qui jusque-là tirait, lâche son étreinte et tombe en arrière. Le vieil arbre se déséquilibre et bascule. Il fait quelques pas en arrière. Il me regarde, effaré. Je l’ai mis en joue. Alors, je vois sa vie défiler devant moi. Naissance difficile, famille modeste. Harcelé à l’école primaire à cause de ses cheveux trop longs et trop gras, il décide de partir en mer avec une bande de copains. Mais leur navire est abordé par des pirates qui les pillent et les enlèvent. Il n'a pas d'autre choix que de les rejoindre, la hargne au corps, bien décidé à prendre sa revanche sur la vie. Mais les années passent, toutes plus dures les unes que les autres. Il y a eu des disputes, des moments de joie, d’abattement, d’abandon, des pertes. Des pertes quand ils se sont fait pillés par d’autres pirates, des pertes lorsqu’il a vu ses amis mourir, quand son navire a sombré et qu’il a été obligé de s’abriter seul sur une île déserte. Il a traversé tant d’épreuves ! Alors il a décidé de s’endurcir, de renoncer à l’amour, à l’amitié pour ne plus souffrir quand l’un de ses coéquipier passe l’arme à gauche. Parce c’est ça que sont devenus ses amis : des coéquipiers, rien de plus. Il a vu les gens défiler, il est passé d’équipage en équipage, indifférent à tout. À la fin, il en est même venu à oublier la raison qui le fait continuer, sa raison de vivre. Alors, quand il a entendu parler du trésor, au détour d’une rue, son cœur s’est soulevé. Il s’est remis à rêver, à espérer une vie nouvelle, au sec. S’installer avec une jolie fille, fonder une famille, profiter d'une longue retraite bien méritée… Ou rien de tout ça. Peut-être autre chose. Ses yeux suppliants sont des fenêtres dans laquelle je vois l’arbre prendre feu et se débattre, s’accrocher à la vie pour pouvoir continuer à parcourir les étendues qu’il n’a que trop parcourues, piller les navires qu’il n’a que trop pillés, voler les marchands et tuer des enfants qui jouent à la chasse au trésor. Alors qu’il pointe son arme sur moi, j’appuie sur la gâchette en fermant fort les yeux.


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_____Court silence. J’ouvre un œil timide, puis l’autre. Mes mains tremblent de façon incontrôlable, mes jambes grelottent, mon dos frissonnant est parcouru de sueurs froides. Je sens de lourdes gouttes de sueur poisseuses couler sur mon front. Le vieil arbre est tombé en arrière. En vieux combattant aguerri, il n’a pas lâché son arme. Il la serre très fort contre lui, comme pour se préserver du mal. Je le vois étouffer un cri consterné, un cri de douleur. Il grimace. Il porte la main sur sa blessure, incrédule. Je sens la panique dans ses yeux. Nos regards se croisent. Je, j’y ai vu… Paradoxalement, ses yeux sont encore plus suppliants maintenant que j’ai appuyé sur la gâchette. La balle l’a atteint en pleine poitrine. Il a sans doute un poumon perforé et deux ou trois artères en moins. Il s’effondre, en silence, pris de quelques sursauts. Sans réfléchir, je cours vers lui. Liam essaie de me retenir en criant quelque chose mais je ne l’entends pas. Sa main glisse sur le tissu de mon poignet mais il a réagi trop tard. Étonnamment, le vieil arbre n’essaie pas de répliquer. Il a encore son arme à la main, il la serre fort, comme un bouclier contre la mort. J’inspecte maladroitement sa blessure mais je ne suis pas médecin, tout ce que je sais c’est que ce n’est pas beau à voir et qu’il perd beaucoup de sang. Mais pas d’hémorragie. Pas de sang qui gicle à chaque battement. Je crois que ça aurait pu être pire. Je ne sais pas pourquoi, mais je lui touche le visage, comme pour lui demander pardon. Je m’agite inutilement contre sa plaie et il se cale bien allongé sur le sol, les yeux mi-clos. Il respire encore, lentement. Je ne sais pas s’il est encore conscient ou s’il est déjà sur le chemin de la mort. J’entends des cris mais je ne les écoute pas. Tout me glisse dessus comme l’eau sur le verre, comme le sable entre les doigts, comme le vent entre les brins d'herbe. Liam me secoue, Joe m’entraîne par la main. Je me mets à les suivre machinalement. On dirait qu’il faut continuer. Nous nous enfonçons en courant, poursuivis par des cris menaçants. Mais nos poursuivants s’arrêtent sur la dépouille du vieil arbre : plus aucun bruit.

_____Pas saccadés, genoux abimés : je sens les vibrations de la course se répercuter jusque dans mon dos. J’ai mal, j’ai mal aux pieds, aux jambes, aux bras ! Je sens le sang remonter jusque dans mes orteils, je sens quelque chose qui remonte dans ma poitrine, quelque chose de chaud et de malsain, comme un feu qui couve, comme une éruption qui menace. Chaque respiration me déchire, chaque foulée m’arrache une larme de plus, mais surtout… J’ai mal, j’ai mal au cœur, j’ai si mal que je voudrais me l’arracher. J’ai mal comme je n’ai jamais eu mal, une douleur indescriptible, une perte inquantifiable. Comme s’il m’avait arraché une partie de moi-même. Soudain, nous débouchons dans les ténèbres. Ça y est. La bête nous a avalés. Joe s’avance doucement, à tâtons. Il traîne les pieds sur le sol pour être sûr de ne pas tomber dans un trou. Nous avons beau agiter nos lumières, il n’y a plus de surface pour les réfléchir. Nos flammes se perdent dans le noir, dans l’infini du néant. Si, à droite ! On entraperçoit une paroi rocheuse convexe et couverte de dents, des dents humides et luminescentes, elles nous aveuglent ! Je détourne le regard. Plus loin, la roche continue et se perd dans les ténèbres, de plus en plus distordue, de plus en plus dangereuse. Je sens les pointes prêtes à nous empaler, les mâchoires prêtes à nous digérer, les vieux arbres prêts à nous hanter. Je sursaute.

_____ Qui va là ?

_____Nous ne répondons pas. Nous profitons de la stupeur de notre poursuivant pour nous enfoncer un peu plus loin dans le noir. Là, ça y est, on ne voit vraiment rien. On a beau agiter les bras dans le vide, rien de rien, juste ces dents rocheuses, sur la droite, qui s’effacent petit à petit, se voilent dans le néant comme si l’atmosphère était faite de rideaux, d’écrans sombres et malveillants. L’homme, parce qu’il s’agit d’un homme, peste bruyamment qu’on n’y voit rien. Nous reculons, je. Nous voyons à quelques mètres. Il suffit de regarder le sol. Le sol, lui, nous renvoie gentiment la lumière. En silence, nous décidons de suivre la voie tracée par la végétation : ici quelques touffes d’herbe, là-bas un champignon, plus loin de la moisissure… qui guident tes orteils quand tu ne peux plus voir. Je me demande comment elle fait pour survivre, sans lumière, mais je me dis qu’il doit y avoir une ouverture, quelque part, une ouverture parce que l’air est étonnamment frais, ici, neuf, régulièrement renouvelé par quelques brises silencieuses. Étrange univers qu’est le monde souterrain.

_____ Arrêtez-vous !

_____Liam s’interpose entre nos éclairages et le sien pour lui obstruer la vue. La seule façon de nous repérer, c’est de voir nos lampes. S’il y a quelqu’un entre les deux, il ne nous voit plus. Logique. Pari risqué, s’il en est. Il suffit que Liam ne soit pas correctement placé, que l’homme se déplace un peu pour qu’un angle inopportun lui permette de nous voir. Et comme mon frère se situe tout près des lumières, l’homme le verra, il le distinguera, il pourra tirer.

_____ Rendez-vous, propose-t-il : guidez-nous jusqu’au trésor et vous aurez la vie sauve.

_____C’était plus une demande qu’un ordre. L’homme n’y croit pas vraiment. Apparemment, le vieil arbre n’est pas encore mort. Il a repris connaissance et leur a parlé. Heureusement, d’ailleurs, sinon l’autre nous aurait peut-être déjà descendus ! Comme nous n’avons nullement l’intention de nous rendre, nous continuons notre chemin. Lentement. Liam progresse à reculons pour mieux s’adapter à la position de notre poursuivant. Lui ne doit voir qu’un vague halo lumineux, sans plus. Mais un halo dans un noir complet, c’est comme un Soleil dans un ciel sans nuage, ça se voit. Je me cramponne au dos de Joe, j’ai peur. J’ai peur qu’il disparaisse, j’ai peur qu’ils me laissent dans le noir, seule avec nos poursuivants, seule au milieu des monstres de pierre aux mâchoires hideuses, seule dans l’estomac de la terre qui s’apprête à nous digérer. Nous bifurquons vers la droite. Nous suivons toujours la végétation, tout ce qui ressemble de près ou de loin à de l’herbe. La végétation devrait nous guider vers la lumière.


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_____Soudain, nous accélérons. Il nous semble apercevoir de la lumière, au loin. Est-ce le fait de notre imagination délirante ? Nous allons enfin pouvoir nous sortir de ce cauchemar : la lumière, enfin. Oui, c’est ça ! Une pâle lueur, sur la droite. Les boyaux de la terre s’entortillent dans des méandres sans logique, mais l’un d’entre eux dégage une aura blanche et bleue, une aura bienveillante et chaleureuse. Nous nous dépêchons. Liam court désormais derrière nous, sans trop se préoccuper de notre poursuivant. Nous y sommes. La lumière est désormais très forte, aveuglante. On pourrait presque distinguer ses rayons transpercer la nuit tel un vaillant chevalier pourfendant les enfers, telle une pluie divine s’abattant dans les tréfonds du purgatoire. Même les endroits les plus souterrains et les plus secrets ne sont pas oubliés des dieux. Rapidement, nous débouchons dans une grande cavité dont une petite partie est à l’air libre : une immense ouverture, en haut à droite, laisse entrer la lumière et l’air frais. Je me sens revivre ! Les lieux sont impressionnants : des statues, des gravures, des sculptures, il est rempli d’œuvres d’art de petite taille qui sont toutes apposées contre les bords, sauf une grande statue verte qui porte une couronne grise et fait face à l’ouverture avec une posture surfaite, vous savez, celle avec une mains tendue vers le ciel et l’autre posée sur sa poitrine. Mais moi, je n’ai que faire de cette statue, ce qui m’intéresse, c’est ce qui se situe juste après : la sortie, enfin ! Je me précipite vers notre salut, suivie de près par Liam et Joe. Mon frère me retient in extremis.

_____J’hésite. La sortie est juste là, devant moi ! Encore quelques mètres et nous serons sauvés.

_____ Ana, c’est dangereux !

_____Liam me retient par le bras. Le sol, qui d’abord était en pente douce, est désormais en pente raide et je risque de glisser à tout moment. À mes yeux, un chemin se dresse devant moi : il suffit de s’accrocher sur ce rocher, puis celui-là. Puis de s’agripper au bord de l’ouverture, et après…

_____ Ana, c’est pas par là, c’est trop dangereux !

_____Le problème, c’est qu’on ne peut pas voir ce qu’il y a après l’ouverture. Peut-être un précipice, ou peut-être un flanc impraticable, peut-être que cette sortie nous condamne à une chute ou pire : un rouler-bouler mortel. J’en frissonne. Lentement, avec l’aide des garçons qui ont pris des appuis solides on ne sait où, je parviens à me dégager de cette impasse. Malheureusement, nous avons perdu trop de temps.

_____ Pas un geste !

_____L’homme à la lanterne faible nous a rattrapés. Il se trouve juste à l’entrée de notre gigantesque refuge. Entre nous, la grande statue que j’avais aperçue au début.

_____ Tous à couvert, crié-je en bondissant derrière la statue.

_____L’homme tire quelques coups de feu mais je crois qu’il a peur de nous tuer. Après tout, Liam a réussi à leur faire croire que nous savons où est le « trésor » ! Il fait quelques foulées. Je jette un coup d’œil derrière la statue et me retrouve nez-à-nez avec son fusil. Par réflexe, je baisse la tête et me bouche très fort les oreilles. Je ferme les yeux, le plus fort possible, comme pour rejeter ce qui va se passer, comme pour nier la réalité, comme si, encore enfant, je croyais que ce que je ne vois pas n’existe pas. Il tire. Noir complet. Je suis prise d’un violent vertige, comme si je tombais dans le vide. Je suis morte ? Non, sinon je n’aurais pas aussi mal aux genoux. J’ouvre un œil. Vue imprenable sur son pantalon en jean froissé délavé. Il est décousu par endroits. Je vois un bout de ses jambes et les longs poils noirs qui les recouvrent. L’homme est en train de pester parce qu’il n’arrive pas à recharger son arme. Sans trop réfléchir, je lui fonce dessus. Je me redresse et bondis, je balance un coup de poing au hasard et le percute de plein fouet. Nous basculons. Il tombe sur le dos. J’ai très mal mais il lance un violent cri de douleur qui me déchire les tympans. Je griffe, je frappe, je mords, je lui mets un doigt dans l’œil sans faire exprès. L’homme crie de plus belle. Je me redresse et lui adresse un coup de poing. Je suis une bête sauvage, je suis déchaînée, j’ai peur. Mon cœur bat à se faire exploser, j’ai mal. Mes cheveux lui tombent sur le visage, je ne vois rien, je ne le vois même plus, je frappe. Soudain, quelque chose de dur me touche au visage. Sonnée, je tombe sur le côté et me ramasse douloureusement sur un rocher. L’homme se relève lentement pendant que je rampe pour essayer de lui échapper. J’ai l’impression que ma tête est en implosion. Un forgeron s’acharne sur mes tempes comme sur une enclume. Je vois flou. Mes cheveux poisseux me collent au visage, j’ai l’impression que la roche est en train de tourner.

_____ Arrête ça !

_____Nouvelle explosion de douleur. L’homme vient de me frapper à la hanche. Je crois qu’il m’a cassé un os, je. Je ne savais pas qu’on pouvait avoir aussi mal. Je roule par terre pour me mettre sur le dos et, toute à mon agonie, je le vois triomphal en train d’essayer de me piétiner. Une lueur diabolique brille dans ses yeux jaunes. Des yeux dorés, pales, sans vie. Mécaniques. Lueur morte, comme sa lanterne. C’est lui, c’est le démon, le diable en personne, je… Heureusement, quelqu’un se précipite sur lui et le prend par surprise pendant qu’il m’assène un nouveau coup de pied. Je suis sauvée. Je tente de me relever mais une violente déchirure me lacère les hanches, je, je retiens un cri de douleur. Malgré moi, des larmes coulent sur mes joues et m’embrouillent la vue. Je réussis à m’asseoir. La douleur pulse et vibre lentement, je respire. Je vois Liam lutter avec notre assaillant. Par chance, il n’a pas eu le temps de recharger son fusil. J’essaie de me calmer, j’essaie de faire le vide dans mon esprit, j’essaie d’avoir des pensées rationnelles ou même des pensées tout court mais rien à faire, tout se déroule comme dans un mauvais rêve auquel j’assiste impuissante et où je ne suis pas maîtresse de mes propres mouvements, je…

_____ Ahhhhh !

_____Liam, non ! Je me lève et me précipite vers mon frère. Chaque pas est un feu d’artifice de douleur et de crainte, j’ai l’impression que ma jambe va se détacher tellement j’ai mal. J’en chiale comme une gamine. Je ne vois rien, ou presque, et c’est à peine si j’arrive à distinguer des formes. Mon frère est recroquevillé au sol, les mains plaquées sur la poitrine. Je ne sais pas encore ce qu’il se passe. Il est à terre, il est blessé, non ! Mais l’homme me prend par les cheveux et m’empêche d’aller plus loin. Il dit quelque chose que je ne comprends pas, il est furieux. Sans réfléchir, je lui colle la gifle la plus mémorable de tous les temps. C’est spontané. Mon bras s’est détendu comme un fouet et l’a frappé en pleine poire. Il me lâche, surpris et sonné. Il est coi de stupeur. Mise en confiance, je le pousse du plus fort que je peux et il recule de quelques pas. Là, j’ai vraiment réussi à l’énerver. Il se redresse, lentement. Et je comprends pourquoi Liam est à terre. La lueur morte vient de sortir un poignard.


Dernière édition par Anatara le Sam 27 Aoû 2016 - 23:01, édité 1 fois
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_____J’hésite une fraction de seconde de trop. La peur me retient, je suis pétrifiée. Mon corps se dit que, peut-être, peut-être que si je reste immobile, comme ça, mon adversaire va me confondre avec une statue et cesser de me harceler, mais non ! Il me voit parfaitement, je suis juste devant lui mais bouge, bordel ! Il se rue vers moi et tente de me planter mais je le retiens du mieux que je peux. Nous luttons quelques instants mais il a le dessus et je plie sous son poids. Je tombe en arrière. Mon dos frotte contre des dents de pierre qui me grignotent grignotent grignotent et l’homme me domine complètement. Animé par une énergie démoniaque, il appuie de toutes ses forces sur le couteau que j’essaie tant bien que mal de repousser sur le côté. Soudain, l’homme relâche sa pression et se repositionne. J’en profite pour me dégager des stalagmites. Vous voyez, il y a certaines situations où l’on ne fait pas la bonne décision. Par exemple, au lieu de fuir, je décide de prendre une position plus confortable pour mourir. Après tout, se faire dévorer par la montagne, ce n’est vraiment pas très agréable. On voit que j’ai le sens des priorités.

_____ Prends ça !

_____L’attention de Lueur Morte est détournée par Joe qui fait son entrée tardive dans le combat. Il a fouillé son sac et brandit un lance-pierre, une sorte d’arbalète en fait, enfin je ne peux pas trop vous dire ce que c’est puisque c’est la première fois que je la vois, bam ! Lueur Morte est touché de plein fouet. Une pierre s’abat sur son visage à cent à l’heure, ce qui le fait tomber en arrière. Cette fois-ci, j’en profite pour me dégager, mais, pour une raison quelconque, ma hanche me fait de nouveau très mal et ça m’empêche de me relever. Je rampe laborieusement. Une nouvelle pierre s’abat sur l’homme qui se couvre le visage en jurant. Je n’en rampe que plus vite. Il multiplie les noms d’oiseaux et les injures en tout genre. Une pierre s’abat sur ses mains qui protègent son front puis sur son épaule, son ventre, son biceps. Pendant ce temps, j’essaie de nouveau de me relever, en vain. L’homme se recroqueville sur lui-même puis, constatant que la pluie de pierre a cessé, saute derrière la statue pour se mettre à couvert. Je réussis à me redresser. Joe, qui vient de rater deux coups de suite, peste contre son arbalète qui apparemment n’est pas aussi précise qu’il l’aurait voulu et se bat avec un caillou qui est bien trop grand pour être utilisé. Je boitille maladroitement et me porte au chevet de Liam. Désespéré, Joe fouille le sol à la recherche de munitions et redresse la tête de temps en temps pour voir ce que l’homme devient. Lui se frotte le front d’une main et cherche quelque chose dans ses poches de l’autre main, le tout en pestant très vite et très fort. Il porte une veste grise avec plein de poches partout, et apparemment il n’y a pas très bien rangé ses affaires. Ou peut-être que nous coups répétés au visage lui ont fait perdre les esprits ? Toujours est-il qu’il finit par dégainer un revolver et se transforme et véritable machine à tuer : un poignard dans la main gauche et un pistolet dans la main droite. Liam s’est blottit dans un coin à l’ombre, où il est à peu près bien caché. J’ai du mal à l’atteindre avec tous ces cailloux qui roulent et ces dents qui mordent… Joe, qui vient de réussir à armer son lance-pierres, entreprend de viser mais l’homme est bien caché derrière la statue. J’arrive enfin auprès de Liam.

_____Il me regarde d’un air désolé, comme s’il s’excusait de devoir partir en avance. Je le secoue, ce qui en soi n’est pas une bonne idée. Il ne bronche pas et me sourit, comme pour me rassurer. Il hoche la tête comme pour répondre à mes « tu vas bien ? » silencieux, comme si l’on pouvait aller bien après un coup de poignard. Désespérée, je prie tous les dieux et inspecte sa blessure : en plein cœur. Un coup de couteau en plein cœur. Je comprends que c’est trop tard, qu’on ne survit pas avec un cœur en moins. Je. Liam secoue la tête comme pour confirmer que c’est bien fini. Je m’effondre. Il me tapote l’épaule gentiment et je m’accroche à lui, très fort, très fort parce que je ne veux pas le laisser partir. Je ne sais pas quoi faire alors dans le doute je crie, je crie très fort comme un nouveau-né, comme une mère qui vient de perdre son enfant, je…

_____ Ana, je…

_____Liam semble avoir du mal à parler. Il respire lentement, difficilement. Je hoche la tête. Étrangement, il n’a pas perdu beaucoup de sang. Et là, un fol espoir me saisit : peut-être qu’il n’est pas mortellement blessé, peut-être que la lame a été arrêtée par la cage thoracique, peut-être… Liam hoche lentement la tête, comme pour soupirer que c’est ce qu’il se tue à me dire depuis le début. Il semble très mal en point. Je crois qu’il a un poumon perforé.

_____ Je vais bien, me chuchote-t-il à l’oreille.


Dernière édition par Anatara le Dim 28 Aoû 2016 - 9:02, édité 1 fois
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_____Je le serre dans mes bras, pas trop fort parce que j’ai peur de l’abîmer. Je pleure toutes les larmes de mon corps, je suis si soulagée ! … Liam a choisi de se mettre à l’abri pour inspecter sa blessure, il a choisi de ne pas combattre. C’est vrai, quoi : nous n’avons aucune chance contre un vétéran des affrontements en tous genres. Notre seul avantage c’est que l’homme ne veut pas tous nous tuer pour les informations que nous ne détenons pas. Avec un peu de chance, il croit peut-être qu’un seul d’entre nous sait où est le trésor. Ou peut-être que je me fourre le doigt dans l’œil depuis le début et qu’il cherche tout simplement à nous aligner à l’horizontale pour nous détrousser et venger son camarade. Camarade. Je me demande s’il le voit comme un camarade ou un objet, un outil, un tremplin pour le propulser vers de plus heureuses fortunes. Et c’est là que je me souviens qu’il y a un méchant dans l’histoire. Je me retourne brusquement. Ledit méchant gît au sol, assommé. Joe, le sourire jusqu’aux oreilles, entreprend de le ligoter et de lui confisquer ses armes. Elles pourraient nous servir. Après ça, il récupère ses munitions et se dirige vers nous.

_____ Bon, une bonne chose de faite, déclara-t-il, fier de lui.

_____Il s’approche de nous d’un air inquiet :

_____ Ҫa va, demande-t-il.

_____Liam hoche vigoureusement la tête et, comme pour le prouver, se lève en grimaçant. Il souffre encore mais au moins il peut marcher… Silence. Nous nous interrogeons du regard mais personne ne sait quoi faire. Nous avons peur. Nous ne comprenons pas vraiment ce qu’il s’est passé : qui sont ces gens et que nous veulent-ils ? Il y a peut-être vraiment un trésor dans cette grotte, ou peut-être que Joe a parlé trop fort de la fabuleuse fortune de grand-papa et qu’il a été suivi jusqu’ici alors qu’il préparait le terrain pour notre jeu. Je n’en sais rien et c’est bien la dernière de mes préoccupations. Là, ce qui nous importe, c’est de sortir d’ici vivants, et si possible en un seul morceau.

_____ Nous devrions faire demi-tour, propose courageusement Liam.
_____ Tu es fou ? Ce serait se jeter dans la gueule du loup !
_____ Plus on s’enfonce dans la montagne, plus on sera piégé et moins on aura de chance de sortir.

_____Il faut partir maintenant tant qu’il est encore temps.

_____ Et si d’autres se sont mis à notre poursuite ? On va tomber nez-à-nez avec eux et là ce sera fini ! Couic !

_____Liam ne trouve rien à répondre. Il bougonne qu’avec un peu de chance, on ne croisera personne et puis : il nous faudra bien sortir à un moment ou un autre ! Mais Joe soutient que nous devrions nous enfoncer d’avantage. On restera caché s’il le faut et quelqu’un viendra nous chercher. Mais combien de temps pourrions-nous nous terrer, là-dedans ? Une heure, un jour, une semaine ? On a à peine de quoi grignoter en cas de coup de faim, ce n’est pas avec ça que l’on va tenir un siège ! Mais j’ai peur d’aller à la rencontre de nos poursuivants. On a déjà failli y passer deux fois, la prochaine fois peut-être qu’on va y rester, alors vaut mieux retarder les affrontements le plus possibles. Fort de mon avis favorable, Joe convainc Liam de continuer, reste à savoir comment.

_____ C’est facile, dit Joe : la réponse se trouve dans cette salle.
_____  Pardon ?

_____Maintenant qu’il le dit, je fais un peu plus attention à ce qui m’entoure, et ce qui saute aux yeux c’est bien sûr la grande statue qui se trouve juste au milieu. Maintenant que je la vois de face, je peux vous dire que c’est clairement le prochaine indice : belle, en armure de guerre, brandissant une épée dans sa main droite et un trousseau de clefs dans sa main gauche, une couronne sur la tête, je mets ma main à couper que c’est la reine des clefs. Que dit le poème, déjà ?

_____ Ah, il faut lui donner la fleur !

_____En d’autres circonstances, Joe aurait pouffé de rire, mais là, il se contente de regarder gravement la statue. Il fait le tour de du socle, se penche, fouille le sol et en déterre quelque chose qu’il nous rapporte : il s’agit d’une minuscule clef en… en verre ? Oui, je pense que c’est du verre.

_____ Où est la fleur, demande Joe avec le plus sérieux du monde.

_____Euh, c’est vrai, ça, qu’est-ce qu’on a fait de la fleur ? Je fouille mes poches mais ce n’est pas moi qui l’ai. Liam aussi semble avoir oublié mais il finit par s’en souvenir :

_____ C’est toi qui l’as.

_____Joe fait une tête surprise puis se souvient avoir sauté pour récupérer l’indice alors que j’étais encore en train de m’agripper à la branche. Tout cela me semble lointain, déjà, mais je me souviens que j’avais eu vraiment peur. Mais ce n’était rien, à côté de ce qui vient de se passer… Joe sort son sac, fourre sa main dedans, grimace, et pendant quelques interminables secondes qui semblent durer une éternité, j’ai peur qu’il ne les trouve pas. Nous le pressons du regard, nous le pressions parce que chaque seconde nous rapproche de nos poursuivants. Ils pourraient survenir de n'importe où, à n’importe quel moment. Inquiète, je jette un coup d’œil au tunnel que nous avons emprunté pour nous rendre ici mais l’entrée reste désespérément sombre et muette, parfaitement immobile, ce qui n’est pas pour me rassurer. J’ai l’impression de faire face à un trou noir, une ouverture béante sur un monde de danger qui m’aspire et menace de cracher des calamités à tout instant, je…

_____ Ah, ça y est ! s’écrie mon cousin en brandissant la fleur.

_____Il galère quelques secondes avec la clef puis réussit finalement à la rentrer dans une ouverture en bas du bourgeon. Il tourne deux fois et, lentement, les pétales de verre se désolidarisent comme par magie : Et les cœurs s’ouvriront sans colère et sans haine.


Dernière édition par Anatara le Dim 28 Aoû 2016 - 9:09, édité 1 fois
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_____Maintenant, tout se passe très vite. Joe réclame la « carte » à Liam qui lui tend. Il la déplie et regarde à l’intérieur de la fleur. Sans nous laisser le temps de regarder, il ouvre le petit papier froissé qui s’y trouve et en sort une sorte de feuille translucide qu’il appose contre la carte de Liam. Il fixe les deux solidement grâce à adhésif qu’il a gardé tout ce temps dans son sac. D’un seul coup, ce qui était abscons et obscur, illisible et incompréhensible devient clair et limpide : les deux feuilles se superposent à la perfection et les deux informations qu’elles contiennent se complètent et se marient. La carte nous apparaît sous les yeux avec dessus de nombreux points de couleur qui permettent sans doute de se repérer. Je parie que l’un d’entre eux indique la position du trésor et qu’un autre nous donne notre propre position, les autres étant des sortes de checkpoints qui balisent les lieux… Joe hésite quelques instants : faut-il vraiment continuer, s’enfoncer encore plus dans ce labyrinthe ? Que ferons-nous une fois arrivés au trésor, comment sortir d’ici ? Peut-être que Liam a raison et qu’il faut faire demi-tour tout de suite… Mais nous nous sommes déjà mis d’accord et ce n’est pas la peine de tergiverser : nous verrons ça plus tard, une fois arrivés dans la salle du trésor. Avec un peu de chance, ils n’arriveront jamais jusque là-bas.

_____Alors nous courons, courons, courons à en perdre haleine… Grâce à notre trouvaille, nous progressons rapidement, sans jamais réfléchir ni nous arrêter. De temps en temps, des cris étouffés, des silhouettes des ombres des jurons nous rappellent que nous sommes poursuivis mais, globalement, nous évitons le gros du danger à l’aide de la carte. Quand, devant, nous voyons quelque chose qui ressemble de loin à une lumière sur pattes, nous tournons, tournons, nous changeons de direction de manière erratique, nous prenons un autre chemin en priant très fort. Alors nous fuyons, fuyons, nous entendons souvent quelqu’un nous courir après en jurant parce qu’il essaie de ne pas nous perdre de vue mais nous bifurquons, encore : à droite, puis à gauche, puis encore à droite, puis à gauche puis à gauche puis à droite et comme ça nous l’avons semé, ça y est – ou du moins nous l’espérons. À plusieurs reprises, nous nous terrons dans un recoin sombre en espérant que personne ne nous trouve parce qu’il faut faire une pause et que Liam a trop mal, il n’arrive plus à courir, il n’arrive plus à marcher, il n’arrive plus à respirer. Moi aussi, j’ai très mal, j’aimerais me plaindre, j’aimerais crier, j’aimerais qu’on me prenne dans ses bras pour me réconforter mais je ne dis rien, je prends sur moi, j’essaie de paraître forte pour ne pas le décourager, je continue de sourire, encore, et c’est parfois un sourire forcé mais je ne veux pas les déprimer, je veux les soutenir, les encourager, les pousser plus loin, encore, nous sortir de là.

_____Des fois, nous nous sommes retrouvés nez-à-nez avec un pirate – nous savons désormais que ce sont des pirates parce que l’un d’entre eux nous l’a annoncé fièrement quand on lui a demandé. Je ne sais pas trop comment on a fait mais on s’en est débarrassé assez facilement : je lui ai collé Steeve sur la gorge, Liam l’a menacé avec un pistolet qu’on avait piqué à Lueur Morte et Joe l’a assommé d’un coup, paf ! Il a toujours son arbalète armée de sortie et il lui a mis une pierre sur la tête à bout portant, ce qui l’a sonné suffisamment longtemps pour qu’on lui fausse compagnie. On s’est débarrassé comme ça de plusieurs groupes de pirates, ce n’était pas facile parce que parfois ils étaient cinq, voire sept mais à chaque fois nous avons bénéficié de l’effet de surprise et comme les allées sont sombres et étroites, le nombre n’est pas si important. Sept ? Joe en a assommé un avant que les autres ne s’en rendent compte et Liam et moi avons mis les autres en joue. Et puis plus personne n’a osé bouger parce qu’eux n’avaient pas sorti leurs armes et que nous avions trop peur pour appuyer sur la gâchette. Mais Joe, lui, ne s’est pas gêné et les a bombardés de pierres, ce qui les a fait fuir. Et après on a couru vite, très vite, on a couru en se retournant souvent et en tirant des coups de feu au hasard pour leur faire peur, mais pas trop parce qu’il faut économiser les balles et qu’on n’a pas envie d’alerter les autres non plus. Voilà comment nous nous sommes retrouvés dans la salle finale, où il y a le trésor. Enfin, normalement.


Dernière édition par Anatara le Dim 28 Aoû 2016 - 9:16, édité 1 fois
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_____La salle du trésor n’est pas une salle et ne recèle aucun trésor. Quand je suis entrée, je ne savais pas que c’était le point d’arrivée donc je ne me suis arrêtée que parce que j’ai vu Joe stopper brusquement sa course. Alors je me suis dit que nous nous étions perdus. C’est vrai, quoi, ce n’est qu’une cavité parmi tant d’autres, qu’une bulle de plus dans cet océan de roche, où, par malchance, nos lampes n’éclairent pas plus loin que le bout de notre nez. Mais Joe s’est mis à marcher lentement, comme possédé par un esprit malade. Il a réclamé plus de lumière pour pouvoir mieux consulter sa carte, il a inspecté les parois pour vérifier quelque chose, il a fouillé ses poches, nous a réclamé un objet, a hoché la tête et s’est avancé, pas à pas, avec une lenteur cérémoniale. Bien sûr, il s’agit d’un cul-de-sac et bien sûr, nous venons de nous faire rattraper par la question que nous avions évitée jusque-là : comment sortir d’ici.

_____Nous ne disons rien, nous inspectons les lieux à la recherche d’une sortie, d’un trésor, quelque chose mais il n’y a rien. Joe s’est assis quelque part où ça ne fait pas trop mal et il se prend littéralement la tête pour nous inventer une solution. Je ne sais pas pourquoi mais ça m’amuse, tout d’un coup : je l’imagine en train de se creuser les méninges pour nous sortir des idées farfelues qui vont nous permettre de survivre, je m’imagine que ce n’est qu’un jeu, qu’une partie de cache-cache et que tout cela n’est qu’une mauvaise blague, je veux croire que les balles que nous avons tirées n’étaient pas réelles, que le coup de couteau qu’a reçu Liam n’est qu’un mauvais tour de mon imagination, que tout est simulé, que tout est faux, qu’il n’y a pas de danger, que je n’ai pas tiré sur le Vieil Arbre qui me regardait de ses yeux suppliants qui s’accrochaient à la vie, que je n’ai pas reçu tous ces coups et que je n’ai pas mal – tout ça me semble… irréel !

_____ On est où, là ?

_____C’est Liam qui demande. Moi, je suis trop occupée à faire le tour de cette grotte décidément trop sombre et trop vide, je… Je ne sais pas pourquoi, mais maintenant qu’on a arrêté de courir, je me sens vide, je, je me sens écrasée, enfermée, j’ai peur. La grotte… C’est comme l’estomac d’une bête qui nous aurait avalés et qui serait en train de nous digérer, je. Le silence oppressant, les échos sourds qui répondent à nos appels, les ombres qui dansent, les dents de pierre et leurs silhouettes fantomatiques, le… le bruit de l’eau qui tombe des stalactites ! Nous nous rapprochons spontanément pour ne pas nous perdre parce que personne ne veut se retrouver seul, parce qu’être ensemble est notre dernier rempart contre la folie, notre dernière chance notre dernier espoir. Je ne sais pas, mais je pense que si je m’étais retrouvée toute seule dans cette situation, je me serais roulée en boule en pleurant dans mon coin mais là, là c’est différent : on est ensemble, tous les trois dans la même galère et on sait que l’on va s’en sortir.

_____ La salle du trésor, dit Joe. Il devrait y avoir un coffre, là.

_____Il désigne un endroit dans le vague que personne ne voit à cause de la pénombre. Nous avons eu tout le temps de constater qu’il n’y a rien, de toute façon. Bon. Avec un peu de chance les pirates vont nous laisser tranquilles maintenant qu’ils ont mis la main sur le trésor.

_____ Tu es sûr que c’est ici ?

_____Joe marque un court silence de réflexion. Comment être sûr ? Je l’ai vu faire quelques vérifications tout à l’heure mais comment être sûr ? Qu’est-ce qui ressemble plus à une cavité obscure qu’une autre cavité obscure ? Si ça se trouve, il s’est trompé dans sa précipitation qui l’a fait mal lire le plan. Frissons. L’idée n’est pas réjouissante parce que ça voudrait dire que nous nous sommes perdus, auquel cas nos chances de nous en sortir s’en retrouvent fortement diminuées. Oh, mon dieu ! Je nous imagine en train de courir dans tous les sens, aux prises avec les chauves-souris et les araignées, à nous nourrir de racines et de moisissures pour survivre, perdus dans les tréfonds de la pierre, errant sans but à la recherche d’un repère, un indice, n’importe quoi qui puisse nous aider à retrouver notre chemin mais quelle horreur ! Heureusement, Joe coupe court à mes noires pensées :

_____ Absolument.

_____Il ne dit pas comment ni pourquoi mais il est sûr que c’est ici. Bien. Deuxième question.

_____ Il y avait quoi dans le coffre ?

_____Encore une fois, Joe marque un temps de réflexion mais ce n’est pas comme si la réponse avait une quelconque importance. Dans le coffre, il y avait un trésor, non ? Mais quel trésor ? Des pièces, des poésies, des pierres précieuses ? De l’or, des tableaux, des petits mots, un goûter ? Des nounours, un toboggan géant pour pouvoir sortir en vitesse ? Qu’importe, de toute façon il n’est plus là.

_____ Rien, jusque quelques broutilles. Des souvenirs, ajoute-t-il après un temps.

_____Liam hausse les épaules, songeur. Comme je l’interroge du regard, je me rends soudainement compte de l’importance de la chose : s’il y avait eu un fabuleux trésor, les pirates nous auraient définitivement foutu la paix. Mais puisqu’il n’y a rien d’intéressant dans ce coffre, ils vont avoir l’impression d’avoir été roulés. Alors peut-être qu’ils hausseront les épaules et iront boire un verre pour oublier ça mais peut-être qu’ils vont continuer à hanter les lieux à la recherche du vrai trésor, persuadés comme ils sont qu’il y a en a effectivement un quelque part. Dans ce cas, on est vraiment dans la merde.


Dernière édition par Anatara le Dim 28 Aoû 2016 - 22:07, édité 3 fois
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