« Volage, la célébrité passera. Sans regret, je lui dirais adieu. Ç’aura été une belle expérience, mais ne pourra résumer ma vie. »
Ekaterina "Baby Doll" Makarov, As de la Révolution.
1566-1626
Ekaterina "Baby Doll" Makarov, As de la Révolution.
1566-1626
Ça tonnait de partout. Une déflagration plus puissante que les autres éventra le mur ouest de la suite hôtelière en éjectant des shrapnels de béton qui me criblèrent. Le souffle de l'explosion me fit valdinguer comme un simple fétu de paille au milieu d'un cyclone. Violemment, j'embrassai le sol autrefois tapissé du luxueux tissu d'abraxam originaire d'Alabasta. Des tables basses, des masques muraux et d'autres ornements présents dans la suite volèrent et atterrirent pêle-mêle dans un hourvari explosif. Les balles sifflaient et je dus me tasser au point de vouloir entrer en fusion avec le marbre pour rester à couvert. Soit l'apocalypse s'abattait sur Boréa, soit une armée complète prenait d'assaut le Septentrion Palace où je logeais depuis deux semaines. L'aube approchait.
Dans le vacarme de l'attaque, je distinguai au loin les cris d'effrois et les pleurs de femmes, d'enfants et d'hommes dont les visages me resteront à jamais inconnus.
Aussi soudainement qu'elle avait débuté, la pluie de balles et bombes s'estompa. Le silence assourdissant qui revint était si surréaliste que je pensai un bref moment être frappé de surdité. Tout, le temps y compris, était suspendu. Les volutes de fumée semblaient figées, les morceaux de feuilles et de tapisseries qui churent doucement paraissaient solidifiés en plein air... J'osai alors me relever avec un air de "hé c'est fini ?" quand -aussi subitement et ça commençait à devenir lassant- les hostilités reprirent. Mais sous un autre jour cette fois-ci.
J'occupais le cinquième et dernier étage du Septentrion Palace -déjà les balles à cette hauteur c'était quelque chose-, alors, ma surprise quand je vis fondre sur moi cinq hommes de noir habillés et cagoulés. Enfin, fondre sur moi, pas à la manière de ce satané Mouetteman, mais plutôt en rappel, avec grappins, cordes et autres accessoires d'escalades dont disposaient les commandos. Les larges baies vitrées de la suite étaient fragilisées par le concert de balles qui précéda, aussi, s'éparpillèrent-ils au contact de la force cinétique qui propulsa l'escadron dans la suite. Enfin, c'était ma vision périphérique qui me renseigna sur les détails de leur arrivée, la plus grande partie de mon attention étant focalisée sur ma fuite.
Fuir, je n'avais que ça comme option pour l'instant. L'élément le plus dangereux dans une fusillade n'était pas forcément les balles, ni même les bombes, non c'était l'adrénaline. Cette saloperie vous décollait de la réalité, inhibait vos sens, si bien que, même si blessé vous l'étiez, vous ne le sentiez point. C'est ce qui m'arriva en l’occurrence. J'avais perdu cinq à dix précieuses minutes essayant de me tasser du mieux possible pour esquiver des balles en ignorant qu'une m'avait touché dès les premières rafales. Cinq à dix minutes à lentement me vider de mon sang. La période d'accalmie m'avait redonné tous mes sens et je pus constater à cette occasion l'étendue de la mouise dans laquelle j'étais.
Un impact de balle, juste en dessous du sternum, avec orifice de sortie dans mon dos. Poumon perforé surement. Difficulté respiratoire et du sang dans ma bouche le prouvaient. Noyade pulmonaire dans mon propre sang, dans quelques minutes assurément.
Ma froide analyse de la situation me força à prendre les bonnes décisions. Fuir. Mais la progression était difficile, d'une part à cause de mon état, mais aussi parce que ce qui fut mon lieu de villégiature ressemblait désormais à un taudis de Zaun. Tout était sans dessus-dessous, mes ennemis n'y étaient pas allés de main morte. Je repérai, après quelques secondes d'observation, la forme spiralée de l'escalier en colimaçon qui desservait les étages inférieurs. Je devais descendre et trouver un médecin rapidement. Je m'étais entouré d'un informateur, d'un plasticien, d'un sniper, mais jamais je n'avais pensé avoir un toubib dans mon entourage immédiat... Cette négligence m'apparut soudain comme une grave lacune dans mon service de sécurité. Service qui d'ailleurs ne me fut d'aucune utilité dans cette situation parce que deux jours plus tôt, j'en envoyais les membres à trois points stratégiques de North Blue récolter des infos pour mon compte.
Perdu dans mes réflexions, je dégringolai dans les escaliers et roulai en boule pour finir encastré dans un pan dévoré de mur de ce qui devait être le quatrième étage. Celui-ci était tout aussi retourné que mon étage et non loin de moi, je vis un homme et une femme ensevelis sous une dalle de béton tombé du plafond. Une partie du pied droit de l'homme était plongé dans ce qui restait de l'âtre de la cheminée dont les feux toujours ronronnant finissaient de carboniser sa chair répandant une répugnante odeur de lard grillé. J'avais raison, le commando avait attaqué l'hôtel entier. Cette violence démesurée était -et je le sus dès les premiers crépitements de plombs- une réponse de Lavoisier, le chef du tristement célèbre réseau de contrebande de Dance Powder. Le deuxième mois de l'année 1626 tendait vers sa fin et depuis son début j'avais cumulé les importantes victoires face à cette mafia âgée d'une décennie.
Tout avait commencé après la précieuse aide que je fournis aux marines de la cité universitaire de Jalabert au sud du royaume. Un tueur en série surnommé le Réplicateur y sévissait. Après ma victoire contre le tueur sanguin, le roi de Boréa via un de ses fidèles me confia alors la mission de débarrasser son royaume d'un groupe de comploteurs de l'ombre détenant les réels rennes du pouvoir et qui se faisaient appeler "Le Conseil des Six Lunes". Je découvris rapidement qu'une de ces lunes, le Mauve était à la tête d'Ashura, le plus important réseau de production de Dance Powder de North Blue. Lavoisier était donc la Lune Mauve mais son visage me demeurait inconnu. Je m'acharnai alors à lutter contre le réseau, remplissant de ce fait la mission que m'avait confié le roi mais aussi mu par le désir de me l'accaparer. Les revenus générés par le commerce de la Dance se comptaient en centaines de millions par an et j'aurais été damné de laisser s'échapper une telle opportunité. Officiellement donc, je luttais sans relâche contre ces criminels, en sous-marin, je récupérai brique par brique le business de Lavoisier.
Après le démantèlement de la Cellule Tempest implantée ici même à Boréa, après la destruction de la Cellule Black Box implantée à Inu Town, après la destruction complète de la flotte d'Ashura suivi dans la foulée du meurtre du N°3 du Réseau qui officiait en tant que chef militaire, je n'étais plus un ennemi à ignorer. Je savais tôt ou tard que l'organisation réagirait, mais je pensais qu'elle le ferait dans la finesse, pas en abattant Ragnarök sur ce quartier huppé de Lavallière. C'était la preuve que Lavoisier perdait patience et que mes victoires avaient sérieusement entamé les capacités du Réseau.
Toujours encastré dans un mur en bas des escaliers, je me réjouis à cette pensée. La bête aux multiples bras se sentait acculée. C'était un très bon signe, je me rapprochais.
Relativisons parce que pour l'instant, c'était plutôt lui qui se rapprochait de moi. Un des sbires commando descendit l'escalier, son fusil à pompe tendu droit devant lui. Je fis le mort et le sentis s'approcher à pas de loup, hésitant à tirer pour bien s'assurer que j'étais mort ou venir prendre mon pouls au lieu de gâcher une balle... D'ailleurs, il se pourrait qu'il se demandât si une récompense plus importante ne serait pas de mise s'il me capturait vivant. Si Lavoisier avait lui-même le privilège de m'écorcher pendant des jours, il serait alors fou de joie et sûrement, les Berrys pleuvraient...
Il semblerait que la gloire et la cupidité eurent raison de lui. Il m'obombra et je sentis ses deux doigts tâter de mon pouls. Je faisais le mort dans une position grotesque, les membres contorsionnés dans des angles inquiétants qui certifiaient sans équivoque qu'elles étaient cassées. Ou que j'avais été initié à un style martial qui me permettait d'infliger à mon corps des contorsions que la moyenne des humains ne pouvait supporter. Il aurait dû y réfléchir un peu avant d'approcher, moi en tout cas, je l'aurais fait. Il comprit sa fatale erreur quand mon bras gauche armé fusa (j'étais auparavant couché dessus) et planta Crépuscule mon Wakizashi directement dans la gorge de mon ennemi. Il émit un bruit d'étranglement ou de succion, je ne sus le distinguer avant de s'écrouler sur moi. Mon sang chaud et poisseux se mélangea au mien. Avec effort, je dégageai sa carcasse de moi en entrepris de m'éloigner mais mes forces m'avaient abandonné. Crépuscule tomba de mes doigts trop faibles pour l'agripper et je m'affalai comme une marionnette dont on aurait coupé les fils. C'était fini, j'allais mourir dans cet endroit. Lavoisier avait gagné et dès le lever du jour, tout Boréa saurait que le jeune et talentueux blanc-bec qui s'opposait à ces gens supers dangereux avait payé le prix de son impertinence. Je n'avais plus mal, je ne ressentais plus rien du tout. Dans un dernier éclair de lucidité, je vis sur le corps du commando, un blason représentant un crâne pourvu d'une langue en forme de serpent à neuf têtes.
- Les Autres... murmurai-je une dernière fois.
Lavoisier avait fait appel à du lourd pour m'éliminer. Un petit détachement des Autres, ce célèbre groupe de mercenaires originaires de Grand Line. Je comprenais à présent le déluge de plombs qui était tombé. Les Autres... Bon sang, ces gens avaient plus de balles qu'Alabasta n'avait de grains de sables. D'ailleurs, les coups de feu reprenaient, pour une raison que j'ignorais, qui m'importait peu maintenant que je m'éteignais.
Les échanges de feu redoublaient... Et sans regret je me laissai partir. Il n'y avait aucun regret à avoir quand on avait vécu la vie qu'on désirait et qu'on échouait sur le sentier de ses rêves. Au moins, aurais-je tenté de les accomplir. Dans ce monde, on trouvait toujours plus fort que soi et mon terminus à moi était arrivé... Des bombes au loin explosèrent avec fracas... L'immeuble trembla violemment... Mes lunettes glissèrent de mon nez... J'entrevis une dernière fois une haute silhouette floue...
Je m'éteignais.