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Les musiciens de la crasse : L'âne et le coq

"Dans le genre ermite pas net, il doit quand même se positionner dans le haut du panier. Faut pas être bien net pour s’exiler dans un coin pareil… "

Odeurs putrides et putrides visions.

C’est de cette façon qu’un citadin, habitué à son petit confort, pourrait décrire sa première impression de la bien nommée Amerzone. À peine s’approchait-on des côtes que l’eau commençait à brunir, perdant peu à peu tout son charme azuré pour prendre une nouvelle teinte, maussade.
Sans qu’on s’en rende compte notre embarcation pénétrait dans une terre hors du temps, un sanctuaire du périple et du monde sauvage.

Une végétation noueuse et cabossée envahissait le moindre espace, longeait la moindre rive, tant et si bien qu’au travers des racines aériennes, la terre et la mer se mêlait, le discernement se perdait, et avec lui nos sens.
La vue s’embrouillait, l’odorat se révulsait et, distraits par le cri sourd d’un oiseau, nos sentiments soudainement s’agitaient.

L’impatience se faisait ressentir. L’idée de faire demi-tour avait quelque chose de tentant.
Quand, enfin, finirait cette traversée ?

"Tu comprendras quand tu le rencontreras, je te garantie.
-Ça explique peut-être deux trois trucs sur toi déjà, j'espère juste ne pas être aussi influençable... Manquerait plus que je me teigne les cheveux en vert.
-Haha, je te parie que tu vas bien l'aimer... Un peu rigide, mais ce n'est visiblement pas ce dont j'ai hérité.  "

Fraîchement, ou presque, débarqué au port de Freetown, les croupiers apprentis explorateurs en avait déjà pris pour leur grade.
Qui ne prenait pas plaisir à recevoir une flopée d’injures en réponse d’un simple bonjour, je vous le demande. La faune qui peuplait embarcations et pontons n’était en effet pas bien aimable, composée de vieilles branches collectionnant les cicatrices, elle semblait avoir été forgée dans le mépris et l’hostilité.

Le message avait au moins le mérite d’être clair, ils ne souhaitaient pas être dérangés.
La pêche aux informations risquait de ne pas être une partie de plaisir.

D’un accord silencieux, ils poursuivirent leur route. L’endroit était grand, la capitale de l’île s’ils en croyaient les cartes, ils finiraient sans aucun doute par trouver quelqu’un qui accepterait de les aider. Mais pour cela, il devait se rendre là où la population serait plus diversifiée… voire même souriante.

Nova, qui n’avait pas dit grand-chose au cours de la matinée  faute d’une mauvaise nuit, s’était enfin décidée à rompre le silence. Raphaël en fut grandement soulagé, il appréciait les moments de calme mais la traversée de l’île l’avait mit particulièrement mal à l’aise. Malgré ses maintes tentatives pour lancer une discussion, rien n’y avait fait.

Il ne laissa donc pas filer l’occasion.

"Pourtant, je crois que les locaux le battent à plate couture. J'’arrive pas trop à savoir si c’est de la méfiance, du mépris ou purement de la haine. Si tout le monde est comme ça, on va peut-être devoir y aller à la chance… et vu la taille de l’île…
- Bouais… Je crois que niveau accueil, j’ai rarement vu pire, ça va être drôle de trouver des infos. Tu gagnes peut être souvent tes paris, mais j’ai moyen confiance pour l’exploration en solo… Oh bon sang, j’suis tellement fatiguée, je vais pas me montrer patiente longtemps.
- Si on trouve une auberge sur le chemin, ce sera l’occasion de se poser. "

Bientôt ils gagnèrent un quartier qui semblait correspondre aux critères de Raphaël. Des allées de baraques qui croisaient des échoppes, des gens se promenant, vivant par petits groupes et échangeant sans complexe les uns avec les autres, des rires, des cris, des bousculades.
Le lieu était relativement animé et retranscrivait plutôt bien une vie qui aurait pu être citadine.

Et pourtant le charme n’opérait pas.
Tout semblait normal, les gens étaient peut-être un peu plus renfrognés que sur d’autres terres, mais avait l’air de s’en accommoder. Et puis soudain ils les remarquaient.

Plus d’insultes alors, mais de temps à autres de mauvais regards. Des visages qui se retournaient sur leur passage, des portes qui se fermaient et de drôles de murmures. Raphaël arrêta la rouquine alors qu’elle s’apprêtait à provoquer un groupe de jeunes les dévisageant.
Peut-être se montrait-il trop optimiste, mais il avait encore bon espoir de trouver quelqu’un qui pourrait répondre à leurs questions sans leur cracher d’acerbes réponses.

Et puis si vraiment ça ne venait pas… Ce ne serait plus au tour des glaires de sortir.
Mais ce serait en dernier recours.
Discrètement.

Ils n’étaient pas là pour se créer des ennuis.

"M’énervent, m’énervent, m’énervent ! Ils vont me faire attraper une migraine si ça continue !... ", marmonna Nova alors qu’une petite vieille venait de les ignorer royalement. "Je te promets que le prochain qui me regarde de travers je lui saute à la gorge. C’est quand même pas si compliqué de répondre bordel !
- Les touristes c’est visiblement pas leur fort héhé ! oh-"

Bousculé, Raphaël ravala sa réplique. Un petit garnement haut comme trois pommes venait de lui rentrer dedans avec la délicatesse d’un jeune marcassin.
Tout aussi crasseux que ses congénères, mais d’avantage espiègle que mauvais, il repartit au pas de course, sans s’excuser, comme pour chercher à s’éloigner le plus possible des croupiers..

Et tandis que l’une lâchait le chapelet d’insultes qu’elle préparait depuis déjà plusieurs minutes, l’autre s’était déjà lancé à la poursuite du gamin.

"Je reviens !
-Qu-Quoi ?!"

Et elle resta là, la mâchoire tombante, figée dans une expression entre agacement, fatigue et pensées désobligeantes.

Raphaël s’engouffra dans un passage adjacent. Il ne connaissait pas les lieux, mais en avait rapidement saisi l’agencement simple. En quelques foulées il se retrouva à la hauteur d’un croisement qu’il prit aussitôt. Il déboucha sur l’allée principale et se remit soudainement à marcher, la traversant avec flegme, une main dans la poche.

L’enfant était là un instant après, courant, s’assurant qu’il n’était pas suivi en jetant des coups d’œil inquiets vers l'arrière. Il ne l’avait pas remarqué.

Au moment où il passa à sa hauteur, le vert se fendit d’un geste expert, récupérant sans difficulté la bourse que le gamin serrait dans ses petites mains de brigand.

Il ne remarqua l’absence de son larcin que quelques enjambées plus tard. Se retournant pour voir Raphaël lui sourire.

"Je crois que c'est à moi, ça ne t’embête pas que je le reprenne ? "

Il fit sonner les pièces d’or au nez du jeune homme, qui plus que frustré semblait vraiment surpris qu’on ait pu l’avoir si facilement. Il garda le silence un moment, prostré entre son échec et une lueur d'admiration. L’archéologue en devenir y vit tout de suite une opportunité de lancer le dialogue.

Il déchanta rapidement.

"PAPAAAAAAAAAAAAA ! " Lâcha-t-il en commençant à pleurnicher, laissant le temps à un homme robuste de sortir la tête de son échoppe, tout de suite suivi par quelques autres, tout aussi bien bâtis. "Lui là. "

La morve au nez, de fausses larmes coulant sur ses joues et avec une petite voix de chouineur, l’apprentie crapule déclara sa sentence en désignant l’étranger.

"Ca s'permet d'venir chez nous pour terroriser les mômes ? T’vas lui rendre cque tu lui as pris et vit'fait.
- C’est pas exactement ce qui s’est passé, c’est lui qui-
- J’me suis mal fait comprendre ?
- Non mais vous êtes gonflés quand même ! Il -
- 'Quel moment j’t’ai demandé de parler le ruminant ?T'donnes et tu t'casses de not' île. "

Raphaël serra le poing. Il n’était pas du genre à se laisser emporter par les insultes, mais la bande qui commençait à se regrouper ne l’incitait pas à leur laisser le dessus dans cet échange.

Le père sortit une machette, le garçon lâcha un petit rire, les autres se firent plus intimidants.

Ne pas se créer d’ennuis hein…

"Raphaël qu’est-ce que tu-…
-COURS ! "


Dernière édition par Raphaël Andersen le Mar 26 Jan 2016 - 11:16, édité 7 fois
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Cette ville avait quelque chose de charmant quand on la traversait au pas de course. Peut-être-était-ce dans le défilement du paysage, dans cet incroyable patchwork fait de ciel, de végétation et de pittoresques bâtisses. Peut-être était-ce dans ces visages entraperçus qui n’avaient plus le temps d’afficher le mépris qu’ils comptaient vous offrir.

Ou peut-être était-ce tout simplement pour cet extrême désintérêt.

En temps normal, Raphaël ne l’aurait pas compris, se serait sans doute offusqué que personne ne se rende compte qu’il avait besoin d’aide. Mais sur une île si accueillante, il était plus que ravi qu’aucun protagoniste superflu ne vienne se mêler à ce conflit.

"ON TOURNE ! "

Talonné par Nova qui ne se laissait pas distancer, il sentait encore la bande du boucher à ses trousses. Il les entendait meugler, crier haro sur ces étrangers qui n’étaient que des couards et des moins que rien.

Oui, certes, mais se battre d’entrer de jeu ne faisait pas partie de leurs priorités.
Encore moins quand l’adversaire brandissait un gros couteau.
Qu’est-ce qu’ils avaient tous à le menacer avec leur lame…

De croisement en virage, la poursuite s’enfonça à travers de nouveaux quartiers et le croupier était de moins en moins sûr des directions à prendre.
Plus d’une fois Nova le reprit, l’obligeant à rebrousser chemin et à perdre de précieuses secondes d’avance. Navigatrice et cartographe de formation, elle était bien plus à l’aise que lui pour se repérer et analyser la disposition des lieux.

Sans pour autant être infaillible.

Les autres étaient infatigables. La chasse aux touristes les amusait sans doute.
Ils semblaient plus excités qu’énervés. Plus en train de jouer qu’en train de chercher réparation.

Et autour d’eux plus personnes. Des coins complètement désertées. Seul le martèlement de leur course sur le sol, les grognements et leurs souffles rauques se faisaient entendre.

Ils couraient. Et pourtant la fuite semblait impossible, les cris railleurs résonnaient partout autour d’eux.

Ils couraient.

Et la rouquine trébucha, se prenant le pied dans une aspérité de la route.
Raphaël encore dans sa course, la vit chuter au ralenti, déchiffra le moindre trait de sa frayeur et ne put que la regarder, impuissant, rouler dans la poussière.

"NOVA ! " Il fit aussitôt volte-face, cherchant à savoir si elle était blessée et dans le cas contraire, l’aider à se relever.
"Rien de cassé je crois… Je n’ai pas fait attention. Je peux me relever ne t’en fais pas. "

Une grimace déforma ses traits, déjà bien tirés, lorsqu’elle prit appui sur ses jambes. Une de ses chevilles ne semblait pas s’être si bien sortie de cette chute.

"C’est qu’elle est mignonne ta copine. T’as bon goût mon petit voleur ~
- Quoi ?! Encore ça ?! C’est à cause de ça que je viens de me taper trois bornes de course et me péter la cheville ?
- Non mais-
- C’est quoi ces manies de kleptomane d’abord ?! Et comment est-ce que ça se fait que tu ais pu être engagé à bord du Gambling avec ce genre de passif ?
- Mais puisque je te dis que-
- Tu t’enfonces mon p’tit gars.
- J’exige des excuses.
- C’est pas vraiment le moment.
- Moi aussi, j’attends.
- Mais vous êtes gonflé vous !
- Des excuses et plus vite que ça, c’est la dame qui demande !
-OH MAIS TOI TA GUEULE !"

Enfournant un uppercut dans la tronche d’un des gorilles qui ne se mêlait décidément pas de ce qui le regardait, Raphaël venait de perdre tout sang-froid et toute envie d’esquiver le conflit.
Un autre ne vit pas le coup venir et après un rapide échange de coup de poings, se retrouva plié en deux par un genou trop bien placé, tombant à la renverse sur son camarade. Dans un cas comme dans l’autre, ils n’eurent pas le temps de se plaindre, ni de sortir la moindre arme.

Décidément il aurait peut-être mieux valu commencer par là.

Nova qui avait plus cherché dans cet échange, l’occasion de déverser sa frustration sur quelqu’un, trouva fort bien venue cette petite rixe. Elle était encore capable, malgré sa foulure, d’assommer le gros lourdaud qui avait jeté son dévolu sur elle.

L’archéologue en revanche se serait bien abstenu de devenir le « coup de cœur » du gros boucher. Sa carrure avait beau être lourde, ses mouvements n’en étaient pas moins vifs, et l’allonge que lui procurait son arme l’obligeait à esquiver.

Prenant appui contre un mur, il propulsa brutalement le tranchant de sa chaussure contre la garde de son adversaire - si on admettait qu’un couteau de boucher pouvait en être muni – ce qui le désarma.

Ne perdant pas son temps, il l’attaqua tout de suite au corps à corps.
Mais ce dernier avait du répondant. À peine sonné par le gringalet qu’était Raphaël face à lui, il lui asséna un violent coup dans la mâchoire, lui faisant traverser une porte au passage.

Le vert tomba comme un fardeau sur les dalles crasseuses d’un interminable et sombre couloir, crachant du sang.
L’Amerzonien chercha à le cueillir, à le remettre à terre d’un nouveau coup avant qu’il ne puisse se relever mais Raphaël fut plus vif. L’attrapant par le bras et utilisant sa force contre lui, il se retourna agilement pour le faire passer par-dessus son épaule.

Les rôles étaient inversés. Il était celui qui se tenait debout. Marchant d’un pas décidé vers la fin de son affrontement.

Il perçut alors le son disharmonieux d’un spectacle. L’ayant déjà remarqué depuis la rue, il s’était intérieurement demandé quelles drôles de bêtes les locaux étaient-ils en train d’égorger, mais maintenant qu’il s’en était rapproché, son esprit dû bien admettre que ces cris beuglements étaient humains. Un homme était en train de chanter…  enfin chanter…

Qu’importe. Avec tout ce qui passait au casino, il arriverait bien à supporter un récital.

Il frappa. Encore. Et encore. L’autre en rigolait en redemandait. Il jouait à un jeu qu’il adorait.

Et ce sourire eu le don d’énerver Raphaël et dans un éclair de rage, il frappa avec une violence qu’il ne réservait normalement pas aux civils. Le coup magistral toucha le boucher en plein visage, qui trébuchant en arrière se retrouva à s’appuyer sur une cloison.
Cette dernière se déchira sous son poids et, en quelques pas mal assurés vers l’arrière, basculant sous son propre poids, le colosse finit par s’écrouler.

Bon à noter : Les décors d’Amerzone étaient en cartons.

À bout de souffle, le poing sanglant, vacillant, Raphaël s’appuya contre les bords de la brèche, y passant la tête pour s’assurer que l’autre avait son compte.

Une intense lumière l’aveugla. D’obscures silhouettes s’agitèrent tout autour de lui, perdus dans l’intensité des projecteurs, il en discernait à peine les formes, il les entendait rire, s’inquiéter, s’étonner, se moquer.
Une infinité de murmures dans un océan de silence.

L’horrible voix s’était tue. À côté de lui, rageusement accroché à son micro, les fesses dans la poussière, se tenait un homme au fort embonpoint et à l’extravagante tenue. Contrarié. Vraiment contrarié.

Et alors que sa vue se faisait peu à peu à la luminosité, il s’en rendit soudainement compte.

Il venait d’interrompre un concert. De mettre un homme à terre. Devant une salle comble.


Dernière édition par Raphaël Andersen le Mar 2 Aoû 2016 - 19:20, édité 2 fois
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"C’est tout bonnement scandaleux ! "

Le public était hilare, les gens en redemandaient. C’était à croire que jamais ils n’avaient vu un spectacle si réussi. Certains étaient déjà debout entrain d’applaudir, d’autres se roulaient par terre dans la délivrance d’une crise de fou rire.
On aurait pu croire à de grandes réjouissances, à la commémoration d’une grande victoire et des libertés retrouvés. Et pourtant…

Les Amerzoniens, simples, étaient ce genre de personne qui, sans retenue, exprimaient leurs humeurs et les vivaient à 300%.
Et de toute évidence, ils se réjouissaient.

"Gâcher une de mes sublimes représentation, souiller mon art, interrompre la musique de l’immense… que dis-je le grandiose Soul King ! Vous osez, bande de tocards ! Qu’on les arrête ! Qu’on leur passe les fers ! Qu’on les noie !"

Mais personne n’était là pour réagir.

Qu’ils prennent la scène au sérieux ou qu’ils se moquent, cela virait au grotesque. Un showman ridicule, colérique et pas très brave qui agitait sa frustration de ne pas être obéit, un homme à terre, le pif en sang, qui peinait à se relever, s’empêtrant dans son tablier, et un autre un peu confus, cheveux verts et aussi frais qu’on peut l’être après une baston, de toute évidence un étranger qui n’arrivait pas à comprendre ce qu’il faisait encore là.

La fatigue peut être, ou la façon qu’avait l’homme replet dans ca combinaison moulante pailletée, d’agiter dangereusement son micro dans sa direction.
Qu’était-il capable de faire s’il esquissait le moindre mouvement ?

Raphaël chercha quoi dire, quoi faire, mais les rires et les applaudissements parlaient pour lui.

L’autre rongeait son frein… À quoi bon crier si personne n’est là pour vous entendre.
Il prit une grande inspiration, sembla se calmer un instant. Son autorité n’était pas infaillible et son récital était en péril.

Le temps était aux alternatives.

"Très bien j'entends ton message… Le King de Freetown accepte ce défi. Il est évident que tu ne me laisseras pas mon public en paix autrement… "

Il faisait bonne figure, ses boutons d’or reluisant sous les projecteurs, peut-être était-il même plus brillant qu’eux. Il s’agita, prit diverses poses et ne put s’empêcher d’exhiber les rondeurs de son ventre si bien emballé.



"Nous nous retrouverons dans 3 jours pour voir qui de nous deux incarnent le mieux la virilité et le Rock’N Roll du King ! Prends garde étranger, prends garde… "

Lassé de ne plus être écouté, mais sans pour autant perdre la face, il tourna les talons. Gagnant les loges de façon plus élégantes que Raphaël la scène, il ne s’empêcha pourtant pas de lâcher quelques injures bien trouvées pour qualifier  notre ami verdâtre.

Lui qui, au passage, avait encore du mal à saisir pourquoi il était soudainement devenu le centre d’une attention si positive.

"Je… J’ai mon mot à dire ? "
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"J'me disais bien qu't'étais un marrant toi, faut en avoir pour défier l'maire."

Essuyant du revers de la main le sang qui coulait de son nez, le boucher se releva avec toute sa lourdeur. Il n'avait pas l'air fâché, au contraire amusé, guilleret même. Crachant une molaire, il répondit aux salutations grivoises et moqueuses de l'assemblée.

Raphaël entendit Nova qui le cherchait, d'un signe il lui montra où il était. Sans bouger, trop curieux de comprendre ce qu'il se passait.

"Et vlà la miss ! Finalement, je crois que vouz'allez vous plaire sur Amerzone, z'êtes bin plus taillés pour c'pays qu'des simples touristes.
- Diatribe par les poings, comme c'est original...
- Hein ? 'Fin bon, sacré Crochet ! Je crois qu'même sa majesté a été impressionnée par le coup qu'tu m'as donné ! Ca et puis le fait qu'plus personne ne l'écoute du moment qu'une distraction s'invite. Même ses gorilles font plus attention tant ça r'lâche de ne plus l'entendre.
- Sa majesté ?
- Oui, l'maire. I's'prend pour la réincarnation du légendaire Soul King ! C'pas rien, bien déglingué l'type. Et y s'met dans l'idée qu'on veut l'entendre chanter un'fois par mois. I's'fait sa tournée des quartiers, et ses gorilles rameutent l'monde qu'i'peuvent.
F'pas trop trainer quoi.

- Attends... Attends... Attends... Tu viens d'arrêter le concert du maire du coin ? Genre LE maire de l'endroit le moins sympathique au monde depuis la destruction d'Impel Down ?!
- Mais... il chantait mal ?
- Oh bon diable oui qui chantait mal ! J'te dis tu viens de sauver la journée d'tout ces culs de jattes de Zoniens.
Allez ! Bon vent les mômes, j'ai d'aut'choses à faire et pis faut qu'j'ramasse mes gars. Pour le coup, j'te laisse l'pognon, l'micoche s'en remettra. Evite juste d'en piquer encore... tout le monde s'met pas de bonne humeur 'vec une bagarre com'moi.

- Mais puisque je vous dis que j'ai juste récupéré ce qui m'appartenait !
- C'est ça, c'est ça !"

Et, sautant de l'estrade dans un grand éclat de rire, le boucher -à présent édenté- s'en alla taper la causette à un autre de son espèce, se fendant d'une accolade bien bourrue avant de gagner le dehors pour, sans doute, aller embêter d'autres touristes.


"Bon... des explications. Et la version courte s'il te plaît, je suis en train de me payer un mal de crâne. D'ailleurs ma cheville va mieux si ça t'intéresse. J'ai moyen apprécié que tu me laisses en plan avec la bande de gros dégoûtants hein...
- Ce serait pas genre plus prudent de s'éclipser là, tout de suite maintenant ? On en parle dans disons... Cinq minutes !
-Et c'est toi qui va me parler de prudence... T'es aussi fatiguant qu'eux. Plus même...

Si l'interruption de la séance de torture avait su mettre tout le monde de bonne humeur, la tension était très vite montée. Il avait suffit d'un mot de travers, d'une petite chambrade et d'un coup de coude mal placé et les choses étaient déjà en train de dégénérer.
Le croupier aurait même juré avoir vu certains d'entre-eux sur le point de sortir une arme à feu.

C'était à se demander comment cette masse d'agitateur avait pu rester à s'endormir, sans protester, devant un si mauvais concert.

Peut être que celui qui interrompait le premier le spectacle se tapait un gage douteux...

Raphaël en l'occurence. Et pour une fois, il n'avait curieusement pas envie d'en apprendre plus sur les traditions locales.

Ils firent donc profil bas, laissèrent la dispute éclater et repartirent par là d'où ils venaient, aussi discrètement que peuvent l'être deux citadins au milieu d'une bande de sauvages.

Gros manque d'efficacité quoi. Et forcément...

"Arrêtez-vous !"

Trois projectiles chatouillèrent les oreilles de Raphaël, venant se planter dans le mur de tôles devant lui.
Trois plumes aux nuances bleutées dont la pointe venait de traverser une plaque de métal aussi facilement que du beurre.

"Quoi encore ?!
- Tu pourrais arrêter de crier s'il te plaît..."
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Amerzone n’était décidément pas prête à leur tendre les bras. À peine venait-il de se débarrasser d’un premier problème que les suivants accouraient. Et même si en temps normal, la méthode d’intimidation aurait été prise pour argent comptant, ça commençait à faire un peu trop pour Raphaël.
Son accompagnatrice aurait, d’ailleurs, peut-être encore plus perdu patience si elle n’avait pas cherché à calmer son mal de crâne. Comme quoi, il suffit parfois de pas grand-chose pour que les rôles s’inversent dans un couple.

Et que dire de celui qui venait d’entrer en scène.

"Nous avons besoin de vous parler.
-… Et il y a pas des moyens plus simples pour se présenter ? " lâcha le vert, un poil agacé.
"Il a pas tort Hahn, t’sais…
-Roh allez, avoue que c’était quand même super classe comme intro.
-Oui, enfin je tiens quand même à te rappeler que tu loupes ta cible une fois sur deux….
-Quoi ?!
-Bah l’important c’est que j’ai visé juste cette fois. T’es pas marrant.
-Moi au moins je n’essaye pas d’embrocher tout ce qui pourrait nous aider.
-Mais puisque je ne les ai pas touché…
-BON LES GUIGNOLS ! VOUS ÊTES QUI ?! C’EST QUOI VOTRE PROBLEME ?! "

Tout en finesse. Avec un poil de savoir vivre et un piment de politesse.
Du Nova quoi.

Les trois autres protagonistes sursautèrent, Raphaël compris. Il se trouva d’ailleurs fort diplomate comparé à sa furie de partenaire.
Et dire qu’il était censé être son formateur… Il n’avait pas été meneur bien longtemps.

Quant aux deux Amerzoniens, penauds et gênés de s’être ainsi fait enguirlandés, ils laissèrent la tension retomber. Raphaël profita de cet instant pour les détailler. Très différent l’un de l’autre, ils avaient tout de même ça en commun qu’ils se détachaient tout particulièrement de la population basse-gamme de l’île.




Elle, était filiforme, idéalement proportionnée, et se fondait parfaitement dans son excentrique tenue de show girl. Des plumes bleutés, jusque dans son dos, lui donnait une allure aérienne et guerrière, comme si elle avait été la lointaine descendante d’une tribu des îles célestes. Son regard de braise étincelait au moindre de ces mots, cherchant à défier quiconque les croisait, prêts à exploser dans une soudaine et terrible fureur.
En cela, le vert était encore surpris qu’elle ne se soit pas encore jetée sur Nova. Des deux insulaires, elle semblait être celle qui avait le moins bien pris la remarque de la rousse.
Peut-être était-elle aussi celle qui se remettait le plus en question.

Son compagnon, que sa tête allongé vers l’avant et son large nez faisaient plus ressembler à un équidé qu’à un être humain, avait tout de même l’air bien plus engageant. Plus posé et moins brut dans ses propos, il incarnait une force tranquille que sa tenue et son sourire denté rendait bien plus engageant que la fiévreuse gallinacée.

C’est pourtant elle qui se permit de rompre le silence, en des termes plus cordiaux toutefois.

"Vous avez fait sacrée impression en gâchant la prestation du maire. Je crois qu’il ne va pas être très conciliant avec vous, il risque de vous chercher pas mal de problèmes jusqu’à la date du défi.
-Attendez… De quel défi on parle exactement ?... " se permit d’interrompre la rousse d’un ton vaguement accusateur.
"Le maire là, un peu vexé, m’a donné rendez-vous dans trois jours pour qu’on compare notre… taux de virilité du Rock’N Roll… Un truc du genre.
-Et quand est-ce que tu comptais me prévenir exactement ?
-Boh tu sais, je comptais pas spécialem-
-On veut le faire avec vous.
-Hein ?
-Répondre au défi du maire, l’humilier et le remettre à sa place. Il n’incarne en rien le groove de notre Soul King, ce n’est qu’un crétin doublé d’un piètre musicien.
-On veut lui donner une leçon.
-Du coup, on veut jouer avec vous !
-Mais… Je ne sais mêm-
-Chut ! Apprends un peu à laisser les autres parler, c’est toi qui est censé m’apprendre et c’est toujours moi qui te rappelle à l’ordre, c’est usant. "

Décidément, il n’allait pas pouvoir en placer une.

Mais au moins la discussion avançait et il commençait à voir, sans doute tout autant que Nova (si compte est qu’elle n’était pas plus intéressée par la perspective d’un concert que par leur objectif principal) ce que ce nouveau statu quo pourrait leur rapporter.

Ils venaient enfin de trouver des Amerzoniens à interroger.

"Et qu’est-ce qu’on gagne en retour ?
-Vous savez, ce n’est pas courant que des étrangers se radinent ici et tiennent plus de cinq minutes. Et avec la menace du maire qui va s’en doute chercher à vous faire partir ou à vous éliminer d’ici le jour du défi, ça risque de ne pas être de tout repos…
-On se doute que vous n’êtes pas là par hasard… On a décidé de vous proposer notre aide, quoique vous ayez à faire jusque dans trois jours.
-Vous nous fournissez la vôtre en échange. On ne peut pas louper cette opportunité. "

Les deux couples se regardèrent, interdits.
Les termes du contrat était énoncés. Et même si ses talents de musicien n’avait jamais volé plus haut que la médiocrité, Raphaël considéra qu’il aurait moins de mal à se laisser humilier sous les projecteurs qu’à retrouver d’autres personnes, volontaires, pour les aider dans leur recherche.

L’île était tellement vaste.
Il avait tellement entendu parler de ses milles et un pièges.

Un coup d’œil à Nova lui fit comprendre qu’elle en était arrivée aux mêmes conclusions.
Tout deux étaient sur la même longueur d’ondes.

"C’est d’accord."

Et avant même qu’il n’ait pu émettre des conditions sur leur accord, avant même qu’il n’ait pu les sonder et leur expliquer ce pourquoi ils étaient là, avant même qu’il ne puisse leur demander s’ils avaient eu connaissance de la venue d’un étranger sur l’île… le visage du coq et de l’âne s’illuminèrent, et la première de crier :

" Bienvenue sur Amerzone les mecs, vous venez officiellement de rejoindre "Les Musiciens de la Crasse" ! Yeaaah ! "
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