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Anathema

La malédiction. L'offrande à la folie. Le jugement dernier pour l'homme à qui je devais la vie. En espérant qu'il trouve le repos après sa mort.

La matinée d'Enies Lobby, étrangement faite. Pas d'aube mais pas de crépuscule non plus, je restais admirative des spécificités météorologiques irrationnelles de Grand Line. Par quel miracle est-ce que cela pouvait se produire ? Peut-être qu'il ne s'agissait pas du soleil, mais de quelque chose d'autre. Un astre lumineux fixé sur la voute céleste ? C'était donc tout en me posant ce genre de questions et en philosophant sur l'idée que je m'étais préparée pour la journée. Et quelle préparation ! Aujourd'hui plus que jamais, la cité judiciaire était rutilante en vue de fêter l'anniversaire de la fondation de l'île. Les rues étaient donc noires de monde.

- Si tu as besoin de moi, tu sais où me trouver. m'avait signalé Larson la veille, tandis que nous nous étions quittés sur le palier de la porte de ma chambre.

Au cours des derniers jours, l'homme s'était fendu de quelques encouragements. Notamment lorsque les dernières nouvelles transmises par Lady Raven prêtaient à penser que les juges étaient en effet en faveur de Tyrell Sweetsong comme nouveau Juge Suprême, au détriment du pion du Cipher Pol pour lequel nous avions destitué le vieux Toucan.

- Vraiment, quel gâchis.

Pas d'émotions, juste un sentiment de perte immense. J'avais été témoin du discours prononcé par mon père lors des funérailles de ma mère et de ma sœur, je l'avais vu prononcer des mots poignants et énoncer des promesses avec les yeux embués de larmes. Et il avait tenu parole : il avait été plus efficace que jamais ces derniers mois, rendant des jugements à tour de bras pour mettre plus de criminels derrière les verrous. Et les gens l'avaient acclamé pour ça. Tout ça à cause de moi : j'étais le déclencheur de sa mort, autant que de celle de sa femme ou de sa fille. Tout cela n'était qu'un vaste Ouroboros satyrique, une bonne grosse blague et pourtant. Ça n'avait rien de drôle, de devoir tuer un homme qui faisait son boulot. Pourtant c'était bien là l'apanage du CP9. L'assassinat pur et simple de n'importe qui, pour n'importe quelle raison, avec la possibilité d'être protégé derrière si jamais on venait à être découvert. Car c'était aussi le travail de l'administrateur dont j'avais eu vent plusieurs fois dans les racontars au bureau ou bien à la cafétéria. Toujours de façon indirecte, j'avais progressivement fait la connaissance du fameux Sloan O'Murphy. Administrateur et homme d'affaire, homme de pouvoir immensément riche avec des contacts hauts placés, capable de vous sortir de n'importe quelle panade avec comme monnaie d'échange des missions. Et pas n'importe quelles missions évidemment : des Missions Noires, celles qui impliquent une bavure volontaire, la disparition d'un notable ou bien encore de baigner dans des affaires pas nettes avec des criminels de tous poils.

- Prions pour que je n'aie pas à en arriver là. intimè-je à moi-même tout en verrouillant la porte de l'appartement, désormais totalement affairée.

Descendant les marches en direction du hall, je remarque progressivement à quel point les couloirs de l'hôtel sont déserts, bien que d'habitude si remplis par des officiers restant généralement traîner à discuter devant leurs portes pour retarder l'heure du coucher. Non, cette fois-ci personne à l'intérieur, à tous les coups l’œuvre de la fête nationale une fois encore.

Pour le coup, on peut dire qu'on a de la chance que ça soit tombé pile au bon moment. Car en plus de remplir le coin de festivités menant chaque année à des disparitions résultant de l'excès d'alcool, la tour de justice est de surcroît accessible au grand public. Enfin, tout est relatif : le pont levis est baissé et seuls ceux avec un laisser-passer peuvent le traverser. Bien évidemment, ce n'est pas comme si j'avais besoin d'un pont, le Geppou faisant d'ores et déjà très bien l'affaire pour me mener d'un point A à un point B sans avoir besoin de surface. Néanmoins il est plus avantageux de ne pas trop me faire remarquer : passer par la porte d'entrée est plus raisonnable que de voler jusqu'à une fenêtre et pénétrer par infraction dans le bâtiment. Un coup à tout faire capoter.

- Allez, ça va bien se passer. me rassurè-je, le cerveau légèrement embrumé par le trac qui me secoue et m'emporte dans mes réflexions.

Traversant la foule à une vitesse intensément réduite à cause de son épaisse densité, j'ai l'impression de progresser aussi lentement qu'un bousier roulant sa crotte. La comparaison m'arrache d'ailleurs un sourire en me la figurant, notamment lorsque mon regard vient se perdre tout autour de moi, dénotant certains sacs à dos énormes hissés sur les épaules de certains soldats. De vraies mules. Et puis je pense au plan. Il est pas forcément très stable, il est même plutôt fragile, mais l'échec n'est bienheureusement pas en option. Par là je veux dire : qu'importe comment je me débrouille, Sweetsong finira par y perdre la vie. Le problème ne vient pas spécialement de là, mais plutôt de comment.

Les derniers jours, nous les avions passés à épier le quotidien de l'homme, vérifier où il logeait et même noter ses contacts récurrents et ses petites habitudes. Le bon côté des choses, c'était que le juge résidait dans l'un des plus hauts étages de la tour, donc la chute ne pouvait être que mortelle. Cependant, après vérification, il s'agissait aussi des étages les plus contrôlés et les moins accessibles, placés sous la surveillance de plusieurs gardes selon les dires de Lady Raven. Donc pénétrer dans la chambre de l'homme et l'y attendre n'était pas impossible, mais plutôt difficile tout de même s'il en convenait de ne pas se faire voir. L'infiltration, encore une fois. J'avais analysé les différentes options : je pouvais toujours attendre qu'il y ait un creux dans les rondes des gardes pour crocheter la porte en moins de trente secondes et pénétrer dans l'appartement. Ou bien je pouvais encore passer par le côté de l'immeuble et espérer qu'une fenêtre soit ouverte pour me faufiler discrètement à l'intérieur. Toujours était-il que les différents plans évoquaient beaucoup trop la chance pour qu'ils puissent tenir debout, ce qui m'avait finalement amenée à reconsidérer les choses sous un nouvel angle.

- La ventilation. Encore.

Et systématique. Le seul moyen de traverser un bâtiment de cette taille sans se faire repérer et repartir ni vu ni connu. Selon la juge, il existait donc un réseau de conduits d'aération déversant chaque appartement à travers des bouches assez grandes pour pouvoir y entrer ou en sortir. C'était l'unique solution pour me retrouver à l'intérieur de la chambre sans me faire repérer ainsi que pour prendre la fuite et cela nécessitait simplement de monter sur le toit pour me glisser dans l'une des cheminées et descendre soigneusement jusqu'à l'avant-dernier étage. C'était le plus dur à faire.

- D'où ce fichu sac qui pèse une tonne finalement. chuchotè-je dans ma barbe tout en donnant malencontreusement un coup dudit sac dans la tête d'un passant.

J'avais réuni tout le matériel nécessaire, il ne me restait plus qu'à grimper en haut de la bâtisse avec. Pour ça : des gants ventouses, une combinaison uniforme noire moulante et quelques outils accrochés à une ceinture pour pouvoir dévisser quelques boulons et quelques vis. Tout était fin prêt.

Il ne me restait donc plus qu'à pister les déplacements de ma cible jusque là.
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Une heure passe, le temps d'enfin circuler dans les embouteillages d'hommes et de transports divers qui bloquent la voie et ralentisse le trafic. Long et pénible, le voyage se fait en sueur sous les coups du soleil et la chaleur ambiante des corps qui s'amoncellent et se collent les uns aux autres. Quelle horreur, comment peut-on apprécier cela ? Puis finalement mon périple touche à sa fin tandis que le palais de justice apparaît loin devant et semble progressivement se rapprocher. La raison de ma présence ? Selon Lady Raven, Tyrell Sweetsong tient une audience publique aujourd'hui, la perche est donc trop grosse pour ne pas être saisie. Si je dois commencer à suivre ma victime dans ses moindres recoins, autant le faire dès maintenant tant que je sais où elle peut être. Pour le coup, la séance ne débute pas avant une heure et demi, donc j'aurai le temps de profiter de ma solitude pour réfléchir à différents moyens de peaufiner mon plan. Après une dizaine de minute de lente progression qui me permet enfin de me glisser entre les gigantesques portes du tribunal, je me retrouve à nouveau dans la gigantesque bâtisse aux décorations riches et dorées, connaissant bien le chemin qui mène jusqu'à la salle des audiences publiques et retrouvant finalement les confortables bancs en acajou sur lesquels j'ai déjà eu l'occasion de m'asseoir.A  vrai dire, mise à part l'absence de mon supérieur, la journée semble être en tout point similaire à celle qui avait précipité la chute du Juge Suprême.

- Ahem.

Nul besoin d'échauffer ma voix en réalité, je fais uniquement cela pour meubler le silence ambiant et vérifier, par simple curiosité, la puissance de l'écho dans la salle. C'est puéril, je sais, mais n'importe quelle pensée me permettant d'échapper à cette situation cruelle et anormale est très honnêtement la bienvenue. J'essaye donc de laisser mon regard aller à n'importe quoi et me laisser réfléchir sur des éléments extérieurs : une fenêtre ouverte qui amène constamment des courants d'air, une odeur de cire à bois entêtante ou encore la présence de nuages dans le ciel. Oui, même ça. Mais invariablement, mes réflexions finissent par revenir sur le sujet initial, celui de ma présence et celui de ma mission. A vrai dire, je ne connais même pas les détails du jugement : ni le criminel, ni les raisons pour lesquels il est accusé, ni même les avocats qui vont le défendre ou l'attaquer. J'espère que Sperz ne sera pas le procureur, auquel cas il faudrait que je change de visage. Ce qui n'est évidemment pas possible, il s'agirait donc d'un risque inévitable, un simple manque de bol. Le trac, il me fait penser à tout et n'importe quoi et me vrille la tête, je me prends même à espérer avoir de la "chance". Depuis quand la "chance" est-il un critère des basses œuvres des assassins ? Et donc tandis que je me monte la tête, des silhouettes progressent autour de moi et viennent lentement s'installer sur les bancs de l'audience. Vient enfin le tour des hommes de lois, Tyrell Sweetsong respectant ponctuellement les horaires qui lui sont assignés tandis que l'avocat de la défense et son client sont les derniers arrivés.

- Mes excuses votre Honneur, quelques détails urgents à régler avec mon client.

- Vous aurez tout le temps de régler ces détails après le jugement. tonne Sweetsong tout en demandant le silence d'un coup sec et sévère de maillet.

Ainsi débutée, la séance semble partie pour durer pendant plusieurs heures. Néanmoins, contrairement à celle présidée par le Toucan, celle-ci a la qualité indéniable de passer incroyablement vite, régulièrement animée par des coups d'éclat du juge. Et ce n'est pas principalement grâce à mon anxiété, mais plutôt à cause de l'efficacité du juge qui parvient à briller dans quasiment toutes ses répliques. Alors je me rends compte de la qualité de l'homme vanté par la presse pour des raisons tout à fait justifiées. Ce qui ne fait évidemment qu'appuyer mon désarroi en m'imaginant que je dois priver le Gouvernement Mondial de l'un de ses meilleurs éléments juste pour que le Cipher Pol ait plus de pouvoir sur Enies Lobby. Est-ce rentable finalement ? Est-ce que ça se vaut ? Tandis que je me pose la question, le juge boucle l'affaire, condamnant finalement l'accusé prouvé coupable de commerce de contrebande avec la révolution et jugé pour une peine d'emprisonnement à perpétuité.

- Dur.

- Mais juste. résonne une voix à mes côtés, révélant spontanément la présence de la jeune aristocrate que je n'ai même pas remarquée arriver.

- Lady Raven, vous m'avez surprise !

- Moins fort... chuchote-t-elle avant de continuer. Oui, je fais toujours cet effet là. Ne me demandez pas pourquoi, je vous prie. Toujours est-il que je suis venue vous prévenir : j'organise une soirée ce soir dans ma demeure et j'aimerais beaucoup que vous soyez présente. appuie la juge comme pour me signaler son sous-texte que je comprends sans aucun problème.

Plus qu'une invitation à une soirée, il s'agit d'un message pour me faire comprendre que Tyrell Sweetsong sera présent sur les lieux. Je pourrai ainsi l'épier facilement et le suivre jusqu'à chez lui. Néanmoins cela n'est pas une raison pour me relâcher et cesser ma surveillance pour la repousser à plus tard.

- Alors je serai là. terminè-je tout en gardant le regard fixé sur mon paternel finissant de rendre son verdict.

Le moment d'après, je ressens à nouveau un vide sur la place juxtaposant mon flanc gauche. Et pour cause, l'aristocrate s'est à nouveau évaporée, malgré la vigilance de mon Haki. Serait-ce une sorte de Soru ? Néanmoins je n'ai pas plus le temps de m'en occuper car le juge est sur le point de boucler sa tirade, martelant avec son maillet pour signaler la fin du jugement.

- Je déclare donc la séance terminée. Veuillez libérer les lieux je vous prie.

Tranquillement donc, la foule quitte la salle, me laissant pour seule et unique spectatrice, bien dissimulée dans les ténèbres d'un coin de la pièce et jouissant ainsi d'une vue parfaite sur ma cible qui, sans percevoir mon visage, me rappelle à l'ordre.

- Mademoiselle, le jugement a été rendu, je vais vous demander de bien vouloir quitter l'endroit. m'assène mon paternel d'une voix accueillante mais ferme que je lui reconnais bien.

Me relevant donc, j'évolue dans les ténèbres jusqu'à la porte derrière laquelle je disparais finalement.

***

Nourrissant les pigeons sur un banc à l'extérieur du palais de justice, cela fait désormais une heure que je garde un œil rivée sur les gigantesques doubles-portes du palais. Tyrell Sweetsong étant probablement parti se changer pour se vêtir d'une tenue plus confortable en vue de la soirée et, si j'ai de la chance, de la fête donnée par Lady Raven, j'attends patiemment que celui-ci refasse son apparition à l'extérieur de l'enceinte judiciaire. Du fait de sa domiciliation dans la Tour de la Justice, l'unique chemin que l'homme peut emprunter réside dans ces deux portes, il y a longtemps rebâties pour résister à l'assaut de pirates plus forts que les Mugiwara qui les ont enfoncées il y a près d'un siècle. Une sécurité qui pourrait d'ailleurs se transformer en danger si jamais le bâtiment venait à être la proie des femmes : l'unique autre issue est le gouffre béant qui sépare le tribunal de la tour qui se dresse derrière, périodiquement comblé par un pont-levis reliant les deux entités. Ou sinon les fenêtres si l'on veut voir ce que cela fait de voler. Finalement l'arrivée de ma proie signe la fin de mes divagations : fraichement vêtu d'atours plus riches mais toujours aussi sombres et relativement sobres pour le quartier vers lequel il se rend, l'homme est définitivement paré pour aller en ville.

Et moi donc de lui emboiter le pas, à une dizaine de mètres de distance, l'immense capuche de ma veste repliée sur mon visage.
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Une mélodieuse musique de fond dirigée par un orchestre, quelques délicieux petits fours trônant sur les différentes tables mises à la disposition des invités et du champagne à foison. Il n'y a pas à dire, la réception est digne du statut des hauts fonctionnaires présents sur place. Riant et batifolant, les badins dévoilent leurs dents blanches dès qu'il en est possible, pliant par leurs sourires amusés les rides qui maculent leur visages. Car ici la moyenne d'âge est étonnamment élevée, mise à part l'hôtesse qui jaillit hors du tableau avec son épatante jeunesse. Que des vieux croulants et des gâteux jouissant de titres et de bonnes fortunes. D'ailleurs on reconnaît bien les moins nobles d'entre eux, dont fait au passage partie mon père ainsi que d'autres juges et avocats qui semblent moins excessifs dans leurs manières, moins compliqués. Ces notaires et fonctionnaires qui restent entre eux et savent rester mesurés, attirant de temps en temps la présence de la juge parmi eux mais en aucun cas le reste des aristocrates, bien trop occupés à raconter leurs dernières vacances dans des lieux hors de prix. Ou bien les montants qu'ils ont déboursé pour leurs derniers esclaves. Ou bien l'abondance de tout et de rien pour leurs derniers n'importe quoi. Je me rends compte d'à quel point leur environnement est nauséabond et leurs paroles perfides.

Assise sur un muret bordant l'un des nombreux domaines une bonne centaine de mètres plus loin, j'entends tout ou quasiment tout, pour peu que je ferme les yeux et étende mon Haki sur toute la zone. De plus en plus habituée à maîtriser ce pouvoir, je peux désormais l'utiliser dans un plus grand nombre de circonstances. Pas seulement en combat, heureusement : le pouvoir s'avère véritablement utile pour bon nombre de choses quotidiennes et est même devenu nécessaire lorsqu'il s'agit de mener des missions d'infiltrations. Ce n'est donc qu'à l'oreille et au jugé que j'arrive à identifier le déroulement de la soirée pour les nobles de l'île et les autres invités plus occasionnels, saisissant finalement une conversation intéressante entre Lady Raven et l'homme que je suis chargée d'assassiner.

- Toutes mes excuses M. Sweetsong, je ne vous ai même pas salué en bonnes et dues formes, je suis d'une impolitesse !

- Ce n'est rien Mylady, j'imagine que vous devez avoir d'autres préoccupations. Ce jardin est immense et j'ai bien peur que certains de vos hôtes soient d'humeur frivole ce soir. Mieux vaut donc avoir des yeux partout et tout spécialement derrière la tête.

- Derrière la tête, oui. C'est un pouvoir que j'aimerais posséder, je suis sûre qu'il me serait très utile. Qu'en est-il de vous ? Comment allez-vous ? demande la noble tout en se servant deux verres et en en tendant un à son invité.

- Comme d'habitude. Je n'aurai de répit et de joie de vivre que lorsque tous les criminels révolutionnaires seront derrière les barreaux et que l'assassin de ma femme et de ma fille sera pendu au bout d'une corde.

- Mmh, oui. Quelle cruauté, je n'ai pas eu l'occasion de vous présenter mes condoléances depuis. A vrai dire, nous ne nous sommes jamais vraiment parlés. Tenez... commence la jeune femme tout en servant un nouveau verre, supposant que Tyrell est sur le point de finir le précédent. Buvez, ça vous fera du bien.

- Merci. Je suis encore sous le choc après l'arrestation du Juge Suprême Couak. Je dois avouer que je ne m'y attendais pas.

Un long silence s'abat, un silence durant lequel j'imagine que les deux protagonistes sont en train de prendre respectivement de longues gorgées de champagne. Parfait, elle est en train de le saouler, elle me facilite la tâche.

- C'est vrai, nous avons tous été surpris d'apprendre une nouvelle aussi terrible je suppose. Pour moi, le Juge Couak était un peu comme une figure d'autorité, un pilier de ce que le Gouvernement Mondial a fait de mieux ici. Quelle déception...

- Ca c'est bien vrai. soupire le juge tout en terminant son verre. Eh bien, ça désaltère ce petit vin blanc.

- En réalité, il s'agit de champagne. Un mousseux extrêmement cher qui ne pousse que sur les sommets de Red Line. Étrange non ? Allez, vous en reprendrez bien encore une coupe, ce n'est pas tous les jours que l'on peut abuser de mets aussi rares et aussi onéreux. Alors profitez-en.

Décidément, elle le pousse au vice. Et l'homme tombe dans le panneau, décidément trop gentil. L'alcool lui permet alors de se confier, de révéler à la juge à quel point la perte de sa famille l'a laissé vidé et âgé. A quel point ses années l'ont rattrapé et le degré auquel il est lassé de la vie. Lessivé. Le champagne délie la langue et Tyrell en est décidément friand. Une chance pour moi mais une malédiction pour lui. L'homme est décidément frappé d'anathème et rien ne se mettra sur ma route pour venir le sauver. Malgré tout c'est un sentiment de culpabilité encore plus grand qui vient m'immobiliser sur mon parpaing, tandis que je reste attentive à ses paroles et à ses pleurs, à ses sentiments délaissés par la perte des êtres proches. Je suis son mal et son fléau, le contraire de son ange-gardien. Un démon qu'il a enfanté et dont il ne se douterait jamais capable d'une telle revanche. Et pourtant.

- Je... hips. Je pense avoir déjà... hips. Beaucoup abusé de votre... hips. Hospitalité, Lady Raven. Merci pour le... hips. Vin. Non, champagne. hoquète le bonhomme une dizaine de minutes plus tard tout en saluant ultimement la jeune femme, emporté par l'alcool et son désire de rentrer chez lui.

La soirée aura été courte pour le pauvre juge, qui a été volontairement saoulé pour justifier sa future mort. Jusque là le plan se passe bien. Trop bien même, ce qui m'arrache un pincement au cœur et de multiples soubresauts, me faisant zigzaguer sur le chemin qui m'amène à la Tour de la Justice. Ce sentiment d'être saoule, ce cœur étonnamment léger, bien qu'il ne s'agisse pas de l'alcool, mais plutôt de l'adrénaline qui me permet de continuer malgré la douleur du sacrifice. Ce sacrifice que j'avoue finalement.

- Il est innocent, il l'a toujours été. Il aimait sa femme et l'a laissée faire toutes ces horribles chose. Je suis sûre que...

Non, je dois arrêter de me monter la tête. Je dois me concentrer sur la route, je dois m'effacer dans les ruelles et éviter la foule, je dois être l'agent sans cœur et sans scrupules que le CP9 veut que je sois. Malgré tout je me sens mal et je ne peux m'empêcher d'exprimer librement ma tristesse pour finalement laisser couler une larme à la dernière révélation.

- Je suis sûre que lui aussi, il regrette.
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Vitesse, rapidité, précision. Je n'aurai clairement pas de seconde chance ; une seule opportunité pour gravir la façade ouest de la tour sans me faire voir. Au vu de sa position par rapport au soleil, la progression aura le mérite de se faire dans l'ombre, ce qui me servira de couverture.

Distançant aisément le juge et son pas houleux à cause de son excès de champagne, j'avais fini par atteindre le Palais de Justice que j'avais pu escalader en profitant de cette même astuce. Par chance, à cause de l'événement il n'y avait ni gardes devant les portes du tribunal, ni en bas de la Tour, ce qui m'épargnait finalement de longues minutes d'évolution lente et difficile. Non, là j'avais tout simplement foncé en direction du bâtiment pour ensuite venir longer le bord du minuscule lopin de terre sur lequel était bâti le gratte-ciel et finalement arriver aux pieds du mur le plus dissimulé.

- Dix. Dix Geppou devraient suffire. me rassurè-je tout en me frottant les mains, prête à bondir et à m'appuyer sur des marches invisibles faites d'air compressé.

Une première, puis une seconde et une troisième. Me voilà en train d'escalader les étapes gigantesques d'un escalier imaginaire me transportant jusqu'en haut de la tour. Mais j'y arrive, j'y suis presque. Neuf et dix de justesse. Ce n'est pas haut la main que je remporte ce défi personnel, mais c'est tout de même une victoire. A vrai dire je suis tellement bouleversée que j'ai quotidiennement besoin de mener ce genre de petites batailles pour me rassurer, me bercer de l'illusion de la victoire, une sorte de superstition. A la suite de l'effort ma peau est en donc en sueur, une sueur maladive et froide, fiévreuse. D'une main je m'agrippe à un espace séparant deux mâchicoulis qui bordent le toit plat du bâtiment et termine la manœuvre en me hissant par-dessus avec une extrême dextérité, le sac toujours vissé sur l'épaule de mon bras qui vient en support.

- Espérons que le reste du plan ne se fasse pas de justesse lui aussi, je suis pas sûre que mes nerfs pourront tenir. lâchè-je compulsivement, les dents serrées en signe de mon intense crispation.

A première vue, l'adjectif qui qualifierait le mieux l'endroit est sec. Sec et donc extrêmement poussiéreux. Inutile de s'imaginer que le ménage ne doit pas être fait souvent ici, néanmoins cela me va plutôt bien, quelques éternuements mis à part avec l'obligation de m'épousseter en prime. Mais bon, au moins, pas de femme de ménage ni de gardes, pas de mauvaise surprise. Le toit est d'ailleurs extrêmement plat, recouvert d'étranges plaques isolantes surmontant le sol en pierre et, mises à part les cheminées et conduits d'aérations, il n'existe rien d'autre donnant du relief à la surface. Peut-être une trappe dérobée permettant d'y accéder, à la limite, mais celle-ci demeure belle et bien invisible. Rapidement j'identifie donc le chapeau surplombant la grille qui verrouille l'une des deux bouches de ventilation que je dois dévisser : chacune dessert en réalité deux appartements sur chaque palier et celle que je convoite se trouve être la plus proche. Bingo. Saisissant une clé à molette et un tournevis tous les deux fichés dans ma ceinture, je commence mon travail. Dix minutes plus tard, je finis enfin de libérer la voie, les mains écorchées et noircies par la poussière, avant de jeter un bref regard à l'intérieur. Et le tunnel vertical s'avère en réalité étroit, très étroit, plus étroit que prévu. Garni de plaques en métal qui constituent les parois, le passage ne tolèrerait clairement pas une silhouette moins svelte que la mienne ; un coup à se retrouver coincer dedans. L'horreur.

- Un peu de courage, aussi. me motivè-je tout en rangeant mes instruments avant de basculer mon postérieur et mes jambes dans le vide, me maintenant à la surface uniquement par la force de mes bras.

Gisant ainsi avec la moitié du corps suspendue, je récupère prestement mes gants-ventouses que j'enfile à toute vitesse avant de me laisser tomber instantanément dans le vide, dévalant en trente secondes le premier étage de l'immeuble sur toute sa hauteur. Et c'est finalement l'apparition d'un second embranchement de conduits en contrebas qui finit par me faire comprendre qu'il est temps de freiner la descente jusqu'à me stopper complètement. Deux possibilités cornéliennes s'offrent alors à moi : aller à gauche ou bien à droite. Spontanément alertée par les ronflements d'un habitant dormant dans l'appartement situé au bout du conduit situé sur ma gauche, j'opte donc pour la solution restante et entame une évolution horizontale cette fois-ci. Et même si ramper s'avère être à première vue moins dangereux que la chute libre précédente, les bouts de ferraille pointant hors des soudures brouillonnes me font rapidement regretter ma situation. Et c'est donc au bout de cinq bonnes minutes passées à me tortiller et à m'écorcher sur les parois en acier du système d'aération que je parviens finalement à atteindre la grille bloquant l'accès à l'appartement.

- Allez vite, le temps presse ! m'énervè-je tout en faisant tourner les quatre petits écrous heureusement mal goupillés resserrant les vis de l'extérieur.

Blong. résonne ultimement la façade en tombant sur la gazinière située juste en dessous, que je refixe dans son état initial ni vu ni connu une fois sortie de mon trou.

- Ouais, spacieux, y'a pas à dire.

Dardant un rapide regard périphérique sur la pièce de vie où l'on retrouve à la fois le salon et le coin cuisine dans lequel je viens d'atterrir, j'admire l'élégance du mobilier sobre et minimaliste. La peinture blanche sur les murs aussi omniprésente dans le reste de l'appartement : sur le plan de travail de la cuisine, sur les canapés, sur la table basse, le tout couplé avec des motifs boisés sur des endroits stratégiques qui fournissent à l'appartement un standing très design. M’avançant au milieu de la pièce, je peux remarquer une salle de bain et une grande chambre dévoilées par leurs portes entrouvertes.

Clac.

Alertée par le bruit provenant du hall d'entrée, l'apparition d'un fin filet de lumière m'oblige à me fendre d'un Soru par réflexe pour venir disparaître derrière le comptoir de la cuisine. L'heure approche, le jugement va être rendu. C'est un homme épuisé par l'alcool et la longue marche qu'il vient de se taper qui apparaît, se débarrassant hasardeusement de sa veste sur le premier meuble qui vient pour venir se planter devant sa baie vitrée.

- Quelle chaleur ! s'exclame Tyrell tout en ouvrant la fenêtre donnant sur son petit balcon, adoptant une expression laissant entrevoir les dommages que lui procure la luminosité du soleil.

C'est le moment.

Tranquillement je me redresse et viens apparaître dans l'ombre du juge, juste dans son dos, faisant courir le souffle de ma respiration sur sa nuque. Ramolli par l'alcool, l'homme ne comprend qu'à retardement et me laisse amplement assez de temps pour venir lui passer la main sur la bouche avant même qu'il n'entame sa volte-face.

- Pousse un seul cri et tu n'auras même pas l'occasion de voir ta mort en face.
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Alors soudain, je sens la panique. Elle se déverse, elle quitte mon corps pour investir celui de mon otage. Il ne comprend pas, il se sent menacé et c'est normal. Mais c'est si soudain, si inattendu. Se demande-t-il qui je suis en premier où bien plutôt comment j'ai fait pour arriver ici ? Comment j'ai passé les gardes ? Et pourquoi je lui en veux ?

- Tu n'as pas besoin de connaître les raisons de ma présence. fais-je tout en continuant de planquer ma main sur les lèvres pincées du vieillard.

Lentement mais sûrement, sa respiration semble se calmer. Battant toujours à un rythme anormal, son palpitant le fait progressivement moins souffrir et parcourt de façon moindre son corps de spasmes. Des spasmes qui le secouent toujours tandis que je profite de ce moment. Cet unique moment où je peux tenir mon père dans mes bras, même si cela n'a rien d'un câlin ou bien d'une accolade chaleureuse. Ça n'est pas familial, c'est meurtrier et je le soupçonne de ne pas être dupe. S'il sait que je suis là pour mettre un terme à son existence, peut-être se doute-t-il que c'est dans l'optique de libérer sa potentielle future place de Juge Suprême. Perturbée au possible par cette étrange situation, je laisse ma langue se délier sans réfléchir, fournissant à ma victime des indices sur son ravisseur anonyme, sur cette voix de femme qui le tient en respect avec la bouche ballonnée si puissamment qu'il ne peut même pas l'ouvrir. Un coup à ce qu'il essaye de me mordre.

- J'aurais tellement aimé pouvoir te serrer dans mes bras quand j'étais petite. lâchè-je à la façon d'une bombe, venant soudainement dévaster les percussions sanguines du juge.

De la main qui me sert de bâillon de fortune, j'oblige finalement l'homme à se retourner pour mieux me dévisager, pour lire les sentiments dans mes yeux : la passion, la haine, la tristesse et la déception. Un pot pourri d'émotions qui ne demande qu'à exploser, à se libérer et tout plaquer. Tout plaquer pour succomber à la tentation enfantine de revenir en arrière. De rentrer à la maison. Mais non, il ne me reconnaît pas, il ne tilte pas : ça se voit dans son regard vide et mort de peur. Alors je juge qu'il n'a pas voix au chapitre. Car oui, dans ce tribunal, dans cette cour martiale que j'ai instauré, dans cet appartement que j'ai envahi, c'est moi la Juge Suprême. C'est moi qui donne les ordres, c'est moi qui décide de l'issue de la vie de l'homme de loi, de sa mort. Et je ne peux que m'avouer plus déçue de comprendre que ce-dernier m'a totalement oubliée, qu'il m'a effacée de sa vie comme l'a fait Carryline lorsqu'elle m'a remplacée avec Sophia. Cette pauvre petite qui hante mes nuits. Mais lui non, lui il ne hantera pas mes nuits. Je le pensais doux, gentil, aimable et attentionné, toutes ces raisons qui le poussaient à m'abandonner, à me laisser choir dans les expériences sans fin de la laborantine. Il faut croire que cela aussi n'était qu'un voile et que j'avais moi aussi oublié qui il était et ce qu'il m'avait fait. Cette simple inertie face aux atrocités de ma mère, ce laisser-faire, avait prouvé que c'était bien de lui que je tenais cette soif de sang, ce cœur glacé et cet inhumanité incarnée par mon manque de scrupules sans vergognes.

Puis soudain je vois une étincelle s'allumer dans son regard, alors je le laisse s'exprimer, je le laisse ouvrir la bouche, au péril de devoir lui tordre le cou instantanément si jamais ce qui sort de son orifice n'est rien d'autre qu'un cri d'alarme.

- J-je vous reconnais ! O-oui, vous êtiez aux f-funérailles de ma femme... de ma fille.. A Drum... balbutie l'homme, dont les sourcils froncés prouvent que son cerveau baigne encore dans le jus et essaye de mettre en place une certaine réflexion.

Je ne peux m'empêcher de soupirer. J'avais espéré entendre son nom de ma bouche, mais il n'en est rien. Pourtant le voilà qui continue, avec une voix désormais plus dure, empreinte de colère et de véhémence suite à sa toute récente découverte.

- C'est vous ! Vous les avez tuées ! Vous...

Le fonctionnaire s'interrompt soudain, notant pour la première fois la couleur de mes yeux et leur forme curieuse, si distinctive de notre famille. Si semblables aux siens. Oui, il reconnaît enfin ses yeux et ce n'est qu'avec une voix plus rauque et plus grave qu'il prononce donc ses derniers mots :

- Tu... tu es un monstre !

Un monstre ? Un sourire apparaît sur mon visage, un sourire crispé en réflexe à la haine qui bout hors de ma personne, qui me fait brusquement sortir de moi et empoigner la chemise de mon paternel. Un monstre ?! Je ne suis que le produit de sa lâcheté, de son incompétence, de son manque d'empathie. Je suis le résultat de son ignorance ! Et il me traite de monstre ?

- Va crever ! grondè-je tout en le repoussant violemment vers la balustrade du balcon qui lui arrive malheureusement à la taille.

La malchance l'aura décidément accompagné jusqu'au bout, puisque ainsi déstabilisé l'homme passe tout naturellement par dessus la rambarde et finit sa course dans le vide. De là où je suis, je peux entendre son hurlement tandis que son corps chute et vient dévaliser la hauteur de la tour pour finalement rencontrer la brutalité du sol. Le temps presse alors et ne laisse aucune place aux sentiments, quand bien même ceux-ci tardent à apparaître. Par pure réflexion, j'appréhende ceux-ci de façon purement théorique avant même de me dire que rien que le fait de prévoir ses sentiments est un signe de folie. Non, je ne dois pas penser à ça, je dois me glisser le plus vite possible dans la trappe d'aération et remonter sur le toit. Ce que je m'empresse de faire avant que les gardes ne soient alertés et ne viennent défoncer la porte du logement. Récupérant donc la grille et ses écrous, je m'applique à rapidement la remettre dans son état initial depuis l'intérieur du conduit, ce qui s'avère aussi difficile que déstabilisant, une véritable épreuve pour les nerfs en temps normal. Pourtant je suis étrangement calme, je ne m'énerve pas et cette plénitude me permet de terminer l'opération en moins de vingt secondes avant de progresser à reculons en direction du tunnel vertical.

***

Jaillissant brusquement hors de la bouche d'aération, je prends au même moment une grande inspiration d'air frais, temporairement en proie à une crise de claustrophobie. Mais tout va bien désormais. Enfin, cela devrait ? Non, absolument pas, mais je n'ai aucun problème. Je ne me sens pas mal. D'ailleurs c'est ça le problème : je devrais ressentir quelque chose. Je viens de pousser mon père du haut d'un gratte-ciel après tout. On a qu'un père, je devrais être perturbée. je devrais pleurer ? Ce manque d'émotion, de forme de tristesse, de contrecoup me file la pétoche. Non, la peur est bien là elle, elle fait battre mon cœur plus vite et est réceptive à ce que je remarque en me penchant au-dessus des mâchicoulis : des petites silhouettes noires ressemblant à des fourmis vues d'ici, attroupées autour du cadavre de Tyrell Sweetsong, inanimé. Bon, je dois reprendre mes esprits et cesser de m'inquiéter. C'est pas le moment : je dois réfléchir à un moyen de me barrer de ce toit. Je ne peux pas descendre et emprunter le pont puisque celui-ci doit être bloqué désormais, surveillé par les gardes en fonction en bas de la tour. Non, je dois être furtive. Je pourrais bien me déplacer spontanément sur le toit du palais de justice, un peu plus bas, mais c'est du suicide : en plein jour on me remarquera forcément et la thèse du suicide ne sera jamais validée. Pas tant qu'on aura aperçu un individu suspect se déplacer au-dessus de la tour.

Cependant je n'ai pas trente six solutions : tout ce que je peux faire, c'est aller vite. Très vite, le plus vite possible. Pousser les limites du Rokushiki pour disparaitre dans l'espace sans laisser de trace, sans même laisser un éclair noir à cause de ma combinaison. Combinaison que je retire d'ailleurs pour à la place récupérer mes vêtements dans mon sac à dos : un décolleté et une jupe courte dans des couleurs plus estivales. Ça sera probablement moins voyant dans le ciel bleu éclairé par ce putain de soleil omniprésent. Bon, il faut juste que j'aille assez vite pour me dissiper temporairement dans l'air ou en tout cas donner cette impression. A cet effet je me hisse donc sur un créneau et fais les habituels dix pas à une vitesse encore plus prodigieuse, qui me propulsent littéralement dans l'air comme un boulet de canon et me font chuter à plat sur le toit du palais de justice un dixième de seconde après. Mis à part un vilain hématome sur le bras et un doigt fracturé, je peux m'estimer heureuse de ne pas avoir raté ma cible. Et après vérification, personne n'a remarqué quoi que ce soit. Néanmoins la présence de gardes autour du palais de justice m'oblige à répéter cette manipulation plusieurs fois sur les toits de différents immeubles jusqu'à enfin être sortie d'affaire et pouvoir descendre dans une obscure ruelle quelconque pour enfin rejoindre la foule.

C'est bon, je l'ai fait.
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- Ah, te voilà ! Alors ? m'accueille soudain mon supérieur avec son haleine suintant l'alcool et son verre de whisky.

Je demeure troublée, secouée. L'esprit embrumé sans trop comprendre pourquoi. Ce n'est pas la mort de mon père qui m'afflige au final, c'est plutôt ce vide permanent au sujet de ce que je viens de faire qui me fait penser que je ne suis définitivement plus humaine. Que je suis ce monstre qu'il a décrié. A vrai dire, j'ai dû emprunter des chemins pour retrouver ce troquet qui se trouve à deux pas de l'hôtel, mais je ne m'en souviens pas. Je ne me souviens pas d'avoir traversé la foule, je ne me souviens pas des différents déguisements que portaient les fêtards ni même des compliments que m'ont fait les soulards sur la route. Un vide psychologique, un trou de mémoire.

- Larson. Larson je crois que je deviens folle.

Me zieutant sans bouger l'espace de quelques secondes, le vieillard comprend soudain mon désarroi à mon expression figée et à mes tremblements permanents. Se voyant obligé de lâcher son verre et de payer l'addition, le bonhomme me prend soudainement sous son aile et propose à la place de me raccompagner jusqu'à ma chambre.

- Tu as besoin de repos après ce que tu viens de faire. Je te l'avais dit : j'aurais du m'en occuper.

- Non. Non ce n'est pas ça.

Je suis juste vide. J'aurais dû éprouver quelque chose mais je ne suis plus humaine, ni animale, ni même consciente. Je suis aussi émotive qu'une pierre à l'idée que je viens de tuer mon propre sang, mon dernier parent. Le dernier Sweetsong encore en vie, c'est moi ; les autres je les ai tués de ma main. J'ai souffert et je souffre encore de la mort de Sophia, de celle de Carryline malgré ma haine viscérale à son égard... mais pour Tyrell, je n'ai rien éprouvé. Est-ce que je me suis habituée ? Est-ce car il n'a jamais été un père pour moi ?

- Tu devrais arrêter de te poser des questions, tu es en train de t'embrouiller l'esprit ma fille. Une bonne nuit de sommeil te fera du bien. vient me rassurer mon chef d'équipe tout en m'aidant à saisir mes clés et à déverrouiller ma serrure pour enfin rentrer chez moi. Tu veux que je te tienne compagnie cette nuit ? Il y a un fauteuil là-bas, je pourrais m'y asseoir et veiller.

Pourquoi ? Pourquoi a-t-il besoin de se comporter comme ça ? Il n'est pas mon père et s'il le serait, bien mal lui en fasse ! Non, j'ai besoin d'être seule, qu'il s'en aille. Je le lui fais comprendre sans les mots, d'ailleurs. Et il s'en va, il cherche pas à rester, il part et ferme la porte derrière lui sans mot dire pour me laisser dans le noir, seule. Peut-être voulais-je qu'il reste au final ? Non, je ne suis pas sûre. Oui ou bien non. Je suis déboussolée, j'ai la tête qui tourne mais les battements de mon cœur continuent à battre à un rythme beaucoup trop lent, beaucoup trop normal. C'est pas naturel. Puis j'ai froid alors j'agrippe la couette dans laquelle je viens me rouler, en plein milieu de mon lit, à demi-allongée avec les jambes totalement qui ballotent dans le vide. Je me sens pas bien.

***

Il m'aura finalement fallu trois jours. Trois jours pour m'en remettre, trois jours pour me faire à l'idée que mon cœur venait de m'abandonner pour ne plus être qu'un tas de ferraille, au sens propre comme au figuré désormais. Je n'avais pas dormi la première nuit, je n'avais pas non plus répondu aux appels de mon supérieur et je n'avais pas ouvert la porte de la journée. Environ soixante heures sans dormir, avant que je ne m'évanouisse soudain et que j'arrive à trouver le repos. Finalement, je n'avais pas pu profiter de notre victoire, je n'avais pas pu profiter de ces trois derniers jours de délibération au cours desquels Larson avait eu la réponse et avait essayé de me le faire savoir. Non, je refusais de croire que l'on avait failli. Si c'était le cas, je ne voulais pas le savoir. Trop de vies avaient été gâchées pour un échec. Bienheureusement, c'était une victoire mais ça je ne l'avais pas découvert tout de suite. J'avais hiberné, les volets fermés, les rideaux tirés, plongée dans la pénombre la plus totale. Et lorsque j'avais finalement ouvert la porte à mon supérieur, le troisième jour, celui-ci avait eu tout le loisir de remarquer mon teint blanchâtre et mes immenses cernes creusant mes yeux.

- Ça va un peu mieux ? étaient les premiers mots qu'il m'avait adressé.

Ma réponse avait été un simple hochement de la tête positif. Je n'étais pas guérie non, mais en quelque sorte en rémission. Je pouvais tenir le choc et reprendre le cours des choses. Alors je lui avais ouvert, alors il m'avait demandé si ça allait et je lui avais répondu. Et ce avant de découvrir que Lady Raven avait été élue à l'écrasante majorité. Que Tyrell Sweetsong s'était officiellement suicidé et que la juge elle-même avait témoigné de sa grande fragilité psychologique, se servant ouvertement des éléments que l'homme avait laissé transparaître dans leur conversation au cours de la soirée précédent le drame. J'étais libérée, en quelque sorte.

- Certains jugent ont voulu repousser la décision du conseil, mais cela revenait à faire une motion de défiance. Alors ils ont voté, ils ont élu Raven et notre mission est une réussite. Au moins tout ce mal n'aura pas été en vain.

Peinant à sourire suite à cette annonce, je voulais néanmoins afficher ma joie. Mais je n'y arrivais pas : c'était trop tôt. Tout ce que j'avais réussi à faire comprendre c'était :

- Je veux quitter cette île. Je veux revoir la lune et les étoiles. Le soleil me brûle la rétine.

Alors nous avions automatiquement fait nos valises et nous nous étions mis en route vers la Day Station, passant une nouvelle fois la gigantesque porte bouclant la ville pour nous retrouver au bord du précipice, une fois de plus. Et cette fois-ci je n'avais pas ressenti de vertiges, au contraire : j'avais l'impression que le vide béant faisait partie de moi et qu'il m'appelait, qu'il m'invitait à le rejoindre à l'image d'un vieil ami.

***

- Le prochain train est dans moins d'une heure. Nous sommes chanceux !

Le cul vissé sur un banc à attendre que l'immondice en ferraille refasse surface pendant une heure donc. La joie. Affichant une tronche de trois pieds de long et un air dépressive, je suis persuadée de donner encore plus envie à mon partenaire de boire un verre. Pourtant il va devoir s'en passer pendant encore un bon bout de temps. Pas le choix. Alors tandis que l'homme s'occupe de prendre un appel d'escargophone provenant probablement d'Alvaro, avec sa voix de dragueur invétéré, je regarde une dernière fois l'astre dansant dans le ciel qui semble à la fois si immobile et pourtant si inconstant. Pourquoi le soleil d'Enies Lobby reste-t-il éternellement fixé dans le ciel ? Affligée par la chaleur de ses rayons, je pense désormais avoir la question désormais.

C'est le seul juge de l'île de la justice auquel on ne peut pas échapper.
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