J'ai l'impression d'avoir un sac d'épines à la place du cerveau. J'ai froid. Froid. Le froid d'un cadavre emprisonné dans la glace. Et étrangement, alors que je suis maintenant assis sur ce tapis à contempler les plis de la tente qui m'a capturé en son ventre, je ressens comme un long voyage qui s'étend derrière moi, et un nouveau bien plus désagréable sur le point de m'accueillir.
Une tente immense. Rouge vive, j'ai l'impression d'être dans des entrailles de toiles. Une intense lumière cogne sur ses pores, elle la rend luisante. Un silence effroyable, le même qui résonne en moi. Tente immense, mais démesurément vide. Moi aussi.
Je suis vide. Pas le moindre souvenir de ce qui m'a amené ici. J'ai beau creuser, aucun souvenir ne gicle. Ma mémoire est aride. Je sens mon crâne se craqueler à mesure que j'essaye de le forcer à révéler ses secrets.
Qui je suis ?
C'est comme si je sortais d'un rêve interminable. Pourtant je suis persuadé que je suis loin de concevoir la réalité. De ma situation. Ma tête fulmine. Ma tête me brule. Je sers les dents... Je sers les crocs.
Je suis un homme... requin. J'avais réussi à omettre ça ? Mon esprit bondit maladroitement partout pour essayer de capturer les bribes de souvenirs qui s'envolent au loin. Mais... rien. Rien du tout de ce qui concerne ce que je suis. Mon passé... m'a abandonné.
C'est pas une simple amnésie.
Je ressens tant de douleur. Et de froid. C'est plus grave. C'est.
Je suis une momie. Tant de bandages.
J'ai si mal. Mes muscles se déchirent au moindre geste. Mes poumons se font immoler par l'air qu'ils accueillent. Je me sens obligé de torturer jusqu'à l'insupportable mes organes, en gigotant, en vibrant. Parce qu'inexplicablement j'ai besoin de me sentir souffrir.
Ça me prouve que je suis en vie.
AH ! Pas trop tôt. J'ai cru que tu étais re-mort.
La voix rauque d'un vieil homme barbouillé de sueur devant la tente, il passe une tête discrète à travers le tissu, affiche un sourire qui ne m'évoque rien de connu. Dommage. Il n'éveille rien en moi.
Tu dois t'poser vachement comme questions.
J'viens rajouter les miennes.
Il rentre, il est haut. Il est épais, et démesurément haut. Manifestement très âgé, mais aussi incroyablement haut. Je comprends maintenant pourquoi la tente est immense.
Tu émerges d'un coma de quatre ou cinq mois, à peu près. Pas de calendrier dans le désert, tu comprends.
Le désert. Un coma. Pour ça que je suis désorienté. D'ici quelques minutes, mes souvenirs se précipiteront face à mon esprit.
Tout s'arrangera.
Ça explique aussi cette proximité que... je crois entretenir avec la Mort. La Mort sous mon crâne, la Mort dans mes muscles, la Mort dans mon cul, partout.
Tu es mort, bienvenue au paradis.
Quoi ?
Hinhin. Tu as failli mourir. Ton coeur s'est arrêté, ton cerveau aussi. Durant quelques minutes. Puis subitement, tu es revenu.
Et devines quoi ? Moi j'avais abandonné. Mais tu es revenu. Sans mon aide. C'est fou.
Tu as bien lutté, Craig Kamina, suffisamment pour t'arracher aux griffes habituellement implacables de la Mort. C'est fantastique.
C'est... mon... nom ?
Te force pas à causer si t'as la sensation que ta machoire peut se décrocher à chaque mot. Oui c'est ton nom.
En tout cas c'est lui d'affiché en-dessous de ta face.
Craig Kamina. 105 suivi de zéros. Plein de... zéros.
Je reste rivé sur le portrait imprimé. Il me reflète, un miroir de papier. Le museau, les yeux, les cheveux, il me ressemble, la gueule de zombie en moins. C'est un étranger. Ce nom, j'arrive pas. A me l'approprier.
Craig Kamina. Craig... Kamina.
C'est moi. C'était moi. Je secoue ma mémoire. Rien. Rien ! Je peux même pas envisager avoir été lui. Si j'avais été lui, je me serais reconnu, instinctivement, au moins un instant, avant de douter, c'est sûr. Mais rien. Rien.
J'ai peur de cette chose. Il m'inspire pas confiance. Ce sosie. Il est grotesque. Exposé comme ça dans la fenêtre de ce morceau de papier. On dirait qu'il veut se rendre intéressant. Je tends la palme pour attraper cette horreur, la palme droi...
AAAAAH !
Oups !
Ma palme droite n'est pas une palme. C'est une main. Une main humaine. Je la touche avec ma palme gauche. Qui est bien une palme. Je suis un homme-poisson. Je le sais, je le sens. C'est quoi. Cette croûte de peau humaine tartinée sur ma palme ?
J'ai rien touché eh, c'était là avant.
Q-Qui m'a fait ça ?!
Bah toi.
J'ai pas fais ça !
C'est en partie pour ça qu'les marines t'ont abattu, eh.
Marines. Marines ?
Ils ont ajouté profanation de cadavres à tes griefs récemment, après avoir découvert ton charnier sur Drum ou j'sais pas quoi.
C'est quoi, Drum ?
De quoi tu te rappelles exactement ?
Je-Je suis un homme-poisson, je sais parler. Je... euh...
Hm. C'est concis.
Aidez moi...
Je pleure pas. Je voudrais, mais je peux pas. Yeux arides. Des coquilles sèches dans mes orbites.
Je suis un touareg, un nomade.
Le vieil homme me sourit. Pas d'un sourire amical. C'est le sourire de quelqu'un qu'on a mis en appétit.
De générations en générations, ma famille s'est spécialisée dans la trouvaille de curiosités. De bizarreries qui ne semblent s'emboîter nulle part dans la machinerie si bien rodée de la nature.
Tu sais pourquoi ?
Parce qu'on s'ennuie. Nous sommes des aventuriers, nous vivons d'adrénaline et de surprise. Puis ces expériences excitantes que nous vivons, nous les partageons avec nos descendants comme nos aïeuls. Pour enrichir nos catalogues de rêves et de savoirs.
En toi j'ai reniflé un filon. J'ai vu Craig se faire abattre, d'une balle dans la tête. Des marines peu scrupuleux qui voulaient abandonner son corps aux bêtes du désert. Mais je l'ai trouvé avant elles.
Une balle dans la tête mais il respirait encore. Il avait une hargne de vivre. Pas un simple instinct de survie. C'est comme s'il avait défié la Mort en duel et que durant des jours, puis des semaines, puis des mois, il bataillait à armes inégales contre elle. Parce qu'il refusait de mourir comme ça, pour rien, abattu comme un chien ? Parce qu'il lui restait des oeuvres à accomplir ici-bas ? Par orgueil ? Il avait une raison si forte pour lutter qu'il a tenu tête à son funeste destin -quatre ou cinq mois-.
Finalement Craig a perdu, la Mort a eu raison de lui. Ce jour-là, c'était la semaine dernière, je l'ai entendu expirer brutalement. Comme si son âme se faisait arracher de force hors de son corps. C'était d'une violence inouïe. Je suis resté là terriblement déçu quelques instants. Puis j'ai pris le pouls de Craig.
Mort.
Pourtant, tu es là.
Je peux t'aider à comprendre ce qui t'arrive.
J'ai si froid... Désert, il disait, on est dans le désert. Pourquoi je me les caille autant...
Ton cerveau doit être en bouillie. T'es cliniquement mort. Craig est mort. Puis s'est relevé sans raison apparente, alors que j'cherchais ma pelle pour l'enterrer.
Tu devrais pas être là, à paniquer devant moi, Craig, ou quoique tu sois. Ton âme est partie, j'en suis sûr. Tu n'es rien d'autre qu'un cadavre qui refuse de se tenir tranquille et de se décomposer en silence.
Je...
Tu devrais être mort. Tu es une aberration. Un défi à la nature.
Tu es ce qu'on appelle typiquement un revenant.
Tu es le résidu de cette incroyable volonté de vivre que Craig portait en lui.
On va bien s'entendre, toi et moi.
Un résidu ?
Une tente immense. Rouge vive, j'ai l'impression d'être dans des entrailles de toiles. Une intense lumière cogne sur ses pores, elle la rend luisante. Un silence effroyable, le même qui résonne en moi. Tente immense, mais démesurément vide. Moi aussi.
Je suis vide. Pas le moindre souvenir de ce qui m'a amené ici. J'ai beau creuser, aucun souvenir ne gicle. Ma mémoire est aride. Je sens mon crâne se craqueler à mesure que j'essaye de le forcer à révéler ses secrets.
Qui je suis ?
C'est comme si je sortais d'un rêve interminable. Pourtant je suis persuadé que je suis loin de concevoir la réalité. De ma situation. Ma tête fulmine. Ma tête me brule. Je sers les dents... Je sers les crocs.
Je suis un homme... requin. J'avais réussi à omettre ça ? Mon esprit bondit maladroitement partout pour essayer de capturer les bribes de souvenirs qui s'envolent au loin. Mais... rien. Rien du tout de ce qui concerne ce que je suis. Mon passé... m'a abandonné.
C'est pas une simple amnésie.
Je ressens tant de douleur. Et de froid. C'est plus grave. C'est.
Je suis une momie. Tant de bandages.
J'ai si mal. Mes muscles se déchirent au moindre geste. Mes poumons se font immoler par l'air qu'ils accueillent. Je me sens obligé de torturer jusqu'à l'insupportable mes organes, en gigotant, en vibrant. Parce qu'inexplicablement j'ai besoin de me sentir souffrir.
Ça me prouve que je suis en vie.
AH ! Pas trop tôt. J'ai cru que tu étais re-mort.
La voix rauque d'un vieil homme barbouillé de sueur devant la tente, il passe une tête discrète à travers le tissu, affiche un sourire qui ne m'évoque rien de connu. Dommage. Il n'éveille rien en moi.
Tu dois t'poser vachement comme questions.
J'viens rajouter les miennes.
Il rentre, il est haut. Il est épais, et démesurément haut. Manifestement très âgé, mais aussi incroyablement haut. Je comprends maintenant pourquoi la tente est immense.
Tu émerges d'un coma de quatre ou cinq mois, à peu près. Pas de calendrier dans le désert, tu comprends.
Le désert. Un coma. Pour ça que je suis désorienté. D'ici quelques minutes, mes souvenirs se précipiteront face à mon esprit.
Tout s'arrangera.
Ça explique aussi cette proximité que... je crois entretenir avec la Mort. La Mort sous mon crâne, la Mort dans mes muscles, la Mort dans mon cul, partout.
Tu es mort, bienvenue au paradis.
Quoi ?
Hinhin. Tu as failli mourir. Ton coeur s'est arrêté, ton cerveau aussi. Durant quelques minutes. Puis subitement, tu es revenu.
Et devines quoi ? Moi j'avais abandonné. Mais tu es revenu. Sans mon aide. C'est fou.
Tu as bien lutté, Craig Kamina, suffisamment pour t'arracher aux griffes habituellement implacables de la Mort. C'est fantastique.
C'est... mon... nom ?
Te force pas à causer si t'as la sensation que ta machoire peut se décrocher à chaque mot. Oui c'est ton nom.
En tout cas c'est lui d'affiché en-dessous de ta face.
Craig Kamina. 105 suivi de zéros. Plein de... zéros.
Je reste rivé sur le portrait imprimé. Il me reflète, un miroir de papier. Le museau, les yeux, les cheveux, il me ressemble, la gueule de zombie en moins. C'est un étranger. Ce nom, j'arrive pas. A me l'approprier.
Craig Kamina. Craig... Kamina.
C'est moi. C'était moi. Je secoue ma mémoire. Rien. Rien ! Je peux même pas envisager avoir été lui. Si j'avais été lui, je me serais reconnu, instinctivement, au moins un instant, avant de douter, c'est sûr. Mais rien. Rien.
J'ai peur de cette chose. Il m'inspire pas confiance. Ce sosie. Il est grotesque. Exposé comme ça dans la fenêtre de ce morceau de papier. On dirait qu'il veut se rendre intéressant. Je tends la palme pour attraper cette horreur, la palme droi...
AAAAAH !
Oups !
Ma palme droite n'est pas une palme. C'est une main. Une main humaine. Je la touche avec ma palme gauche. Qui est bien une palme. Je suis un homme-poisson. Je le sais, je le sens. C'est quoi. Cette croûte de peau humaine tartinée sur ma palme ?
J'ai rien touché eh, c'était là avant.
Q-Qui m'a fait ça ?!
Bah toi.
J'ai pas fais ça !
C'est en partie pour ça qu'les marines t'ont abattu, eh.
Marines. Marines ?
Ils ont ajouté profanation de cadavres à tes griefs récemment, après avoir découvert ton charnier sur Drum ou j'sais pas quoi.
C'est quoi, Drum ?
De quoi tu te rappelles exactement ?
Je-Je suis un homme-poisson, je sais parler. Je... euh...
Hm. C'est concis.
Aidez moi...
Je pleure pas. Je voudrais, mais je peux pas. Yeux arides. Des coquilles sèches dans mes orbites.
Je suis un touareg, un nomade.
Le vieil homme me sourit. Pas d'un sourire amical. C'est le sourire de quelqu'un qu'on a mis en appétit.
De générations en générations, ma famille s'est spécialisée dans la trouvaille de curiosités. De bizarreries qui ne semblent s'emboîter nulle part dans la machinerie si bien rodée de la nature.
Tu sais pourquoi ?
Parce qu'on s'ennuie. Nous sommes des aventuriers, nous vivons d'adrénaline et de surprise. Puis ces expériences excitantes que nous vivons, nous les partageons avec nos descendants comme nos aïeuls. Pour enrichir nos catalogues de rêves et de savoirs.
En toi j'ai reniflé un filon. J'ai vu Craig se faire abattre, d'une balle dans la tête. Des marines peu scrupuleux qui voulaient abandonner son corps aux bêtes du désert. Mais je l'ai trouvé avant elles.
Une balle dans la tête mais il respirait encore. Il avait une hargne de vivre. Pas un simple instinct de survie. C'est comme s'il avait défié la Mort en duel et que durant des jours, puis des semaines, puis des mois, il bataillait à armes inégales contre elle. Parce qu'il refusait de mourir comme ça, pour rien, abattu comme un chien ? Parce qu'il lui restait des oeuvres à accomplir ici-bas ? Par orgueil ? Il avait une raison si forte pour lutter qu'il a tenu tête à son funeste destin -quatre ou cinq mois-.
Finalement Craig a perdu, la Mort a eu raison de lui. Ce jour-là, c'était la semaine dernière, je l'ai entendu expirer brutalement. Comme si son âme se faisait arracher de force hors de son corps. C'était d'une violence inouïe. Je suis resté là terriblement déçu quelques instants. Puis j'ai pris le pouls de Craig.
Mort.
Pourtant, tu es là.
Je peux t'aider à comprendre ce qui t'arrive.
J'ai si froid... Désert, il disait, on est dans le désert. Pourquoi je me les caille autant...
Ton cerveau doit être en bouillie. T'es cliniquement mort. Craig est mort. Puis s'est relevé sans raison apparente, alors que j'cherchais ma pelle pour l'enterrer.
Tu devrais pas être là, à paniquer devant moi, Craig, ou quoique tu sois. Ton âme est partie, j'en suis sûr. Tu n'es rien d'autre qu'un cadavre qui refuse de se tenir tranquille et de se décomposer en silence.
Je...
Tu devrais être mort. Tu es une aberration. Un défi à la nature.
Tu es ce qu'on appelle typiquement un revenant.
Tu es le résidu de cette incroyable volonté de vivre que Craig portait en lui.
On va bien s'entendre, toi et moi.
Un résidu ?
Dernière édition par Doppio le Dim 11 Sep 2016 - 10:26, édité 2 fois