Le Deal du moment :
Réassort du coffret Pokémon 151 ...
Voir le deal

Les Dix de Navarone

La proue du cuirassé du commandant d'élite Pastrick Couillard fendait les flots tranquillement, à cinq nœuds marins. La Chouette s'était réfugiée dans le calme de sa cabine, à écrire un rapport les sourcils froncés. Sa main s'arrêta soudainement et il releva la tête vers l'escargophone à l'expression crispée posé sur le coin de son bureau. L'animal se mit à crier à en perdre la mini-pipe qu'il mâchouillait.

« PULU-PULU-PULU-PULU... »

Le Commandant s'en massa les tempes. Sourd, il n'entendait rien... Mais il lisait sans mal sur les lèvres de l'animal.

« Sergent Crow......... Que me vaut l'honneur ? »
« Viens manger, j'suis pas ta bonne ~ baka! »
« Je vais sauter ce repas, Sarah. Merci pour votre inquiétude... » vint pour raccrocher Couillard ; l'escargot devint furibond !
« TU T'RAMEUTES PESTO L'COMMANDANT !! J'AI UN D'CES MAL DE PIEDS, M'OBLIGE PAS À V'NIR T'CHERCHER !!! »

Ce fut Crow qui raccrocha la première. L'escargot grommela des insultes avant de reprendre une expression passive. Pastrick poussa un long soupir et plongea son visage dans ses mains.

Trois ans.

Cela faisait désormais trois ans qu'il pataugeait dans les insultes, la mauvaise humeur et le fort caractère de sa recrue, la fameuse Old Crow. Trois ans qu'il endurait chacun de ses caprices, dont il sauvait les fesses à la moindre bêtise, qu'il recevait les rapports bidons du caporal Baka, qu'il s'expliquait auprès des autorités, qu'il...

Seulement trois ans.

Le Commandant releva lentement la tête à s'en étirer le visage. Malgré son énervement, ses yeux brillaient, victorieux. Old Crow avait été sa plus grande réussite, malgré tout le mal qu'il pouvait en dire. Il ne pouvait pas réellement s'en plaindre, il en était plutôt fier. Depuis déjà plusieurs années, Pastrick s'adonnait à donner une seconde chance aux pires recrues que le BAN n'aie jamais entraîné. Leur formation achevée, il les embarquait et parcourait les mers afin d'en faire de parfaits soldats. S'en était marrant.

Ceux qui quittaient le nid n'en étaient pas moins cons. Pourtant, La Chouette parvenait à enflammer la force qui les animait. Ainsi, jamais Pastrick ne parviendrait à rendre sobre le soldat Poivrot, ou bien à trouver un sens aux dires du caporal Baka. Pourtant, ces deux marines étaient de vrais loups féroces, prêt à tout pour défendre la justice de la Mouette. Sarah avait subi une transformation semblable. Son insubordination chronique, surtout aux supérieurs du sexe opposé, ne l'empêchait pas de prouver sa valeur aux instances du gouvernement mondial et après plusieurs missions, elle était parvenu à monter en grade. Sergent serait sûrement le poste le plus élevé de la hiérarchie qu'elle atteindrait, mais Pastrick avait espoir qu'elle serait le meilleur sergent d'élite que la Marine n'avait jamais vu dans ses rangs.

Après tout, elle n'était pas un monstre non plus. Même si elle détestait les partager, Old Crow avait ses moments de faiblesse. Une nuit au ciel couvert, Couillard l'avait surprise à pleurer en silence, seule sur le pont à lorgner l'horizon. En trois ans, elle n'avait toujours pas retrouvé sa fille, Rose. Une partie d'elle s'y était résignée, consommant sa rage ailleurs. Pastrick l'avait rejoint dans son silence et bien qu'elle avait séché rapidement ses larmes d'un revers de poing, l'intimité qu'ils avaient partagés était encore gravé dans le cœur du Commandant. Pastrick comprenait sa douleur. N'était-il pas après tout un père pour tous ces braves gars qu'il prenait sous son aile ?

Ce fut à nouveau l'escargophone de Sarah qui le sortit de sa torpeur. Cette fois, le Commandant n'en lui laissa pas le temps : il empoigna à deux mains la coquille et la porta à ses lèvres.

« J'ARRIVE NOM-D'UN-DRAGON-CÉLESTE !!! »

Couillard sortit de sa cabine avec fracas. Le brise s'était levée et au loin se dessinait l'impressionnante silhouette de Navarone. Mais posté sur l'avant du bateau, montée sur son énorme marmite qu'elle sortait d'on-ne-savait-où, Sarah, la veste de sous-officier au vent, se disputait avec les matelots. L'imposante cuillère de bois brassait la bouillasse brunâtre.

Parfois la surdité avait du bon. Pastrick se passait volontiers de ce chaos.

Le caporal Baka vint le rejoindre. Une gamelle à la main, les bulles frétillaient à la surface de son repas.

« Vous ne mangez pas, Commandant ? »
« J'ai pas faim, Baka. »
« Je vois, vous parlez comme le Sergent maintenant... »
« Non, je n'ai juste pas faim Baka. »
« Inutile de le nier, vous la respecter, ça se voit. »
« Peut-être mais sa gibelotte m'insupporte. »
« Elle a bon goût pourtant. Je retombe en enfance. »
« Votre bêtise me tue, Baka. »
« Merci. »
« Commandant... »
« Commandant ? »
« C'est ''Merci Commandant'', caporal. »
« Ah ! Bien sûr ! Merci Commandant-Caporal ! »
« Sans le Caporal, caporal. »
« Je n'ai dit qu'une fois Caporal, pourtant... »
« Non, vous êtes le deuxième caporal, Baka ; je suis Commandant. »
« Étrange, je n'ai jamais rencontré de second caporal, dans cette division. Encore moins un deuxième caporal Baka ! »
« ... »
« Commandant ? »
« Caporal ? »
« Caporal ? »
« Oui Commandant ? »
« Rien Caporal... »
« ... »
« ... »
« ... Baka ? »
« Oui Caporal-Commandant-Caporal ? »
« Vous me tuez. »
« Merci Capomandantporal ! »

Le cuirassé filait et bientôt la grande porte de fer du G-8 leur bloqua l'accès. L'escargophone situé dans le mat central sonna et Pastrick prit l'appel, déclina son identité et raccrocha. Dans un grincement sinistre qui résonna sur la mer ambiante, ils pénétrèrent la baie. Le repas touchait à sa fin et les marines se préparèrent à accoster. La Chouette voulut retourner dans sa cabine, mais un mouvement sur le pont attira son attention. Il fit volte-face, glissa un pistolet hors de sa manche et tira deux coups. L'énorme cuillère de bois se brisa en morceaux qui se répandirent sur le pont.

Toujours postée sur sa marmite, les bras sous son imposante poitrine, Old Crow mâchouillait sa pipe. Une veine pompait à sa tempe.

« P'tit morveux... Viens. -Man. -Ger. » appuya sur chacun des mots Sarah.
« J'ai. -Pas. -Faim. » répondit sur le même ton Pastrick.
« C't'un ordre. »
« Ne jouez pas à ça avec moi, Sarah. Je suis le Commandant, Je donne les ordres. »
« T'es pas toi quand t'as faim. »
« Tu vas m'forcer ? »
« C't'un ordre ? »
« Viens. »

Un sourire fendit les lèvres d'Old Crow.

« D'acc'. »

Elle sauta au sol. Les bras le long du corps et les poings serrés, elle s'approcha lentement. Couillard se plaça de biais, tendit son arme et mit en joue son sergent. Les matelots, affairés sur le pont, n'y prêtèrent même pas attention, tant l'image était courante. Seul Poivrot, posté là où il ne devrait pas, chancelait, le regard hagard et pas complètement net vers leur direction.

Crow appuya son front contre le canon de l'arme, d'un rictus carnassier. Le tabac de sa pipe rougeoyait et Couillard arma le chien.

Les matelots se mirent à débarquer, le caporal Baka de présenter les papiers à l'officier en charge de la baie.

« Le commandant Couillard.... C'est lui sur le pont ? Pourquoi il pointe son fusil sur la tête du sergent Crow ? »
« Va savoir. » répondit Baka, haussant les épaules. « Le mieux, c'est de les laisser. Le Commandant n'a pas toute sa tête, vous savez. Il m'a avoué connaître un second Baka, vous vous rendez compte ? Il m'a même nommé Commandant ! »
« Commandant par intérim ? »
« Commandant-caporal, plutôt. Je sais, moi aussi je trouve que c'est une drôle d'idée, mais que voulez-vous. Allez, vaut mieux ne pas les déranger. Il a faim, c'est surtout ça. »
    Le sergent d’élite Ray Poncho, de l'escouade du commandant Arya Peon, de la 101e, porta sa tasse de café froid, à ses lèvres et grimaça de dégoût.  Les sourcils froncés, il simulait la supervision des travaux de réfection du pont de fer.  Son attention était tout autre.  De l’autre côté de la baie, posté en hauteur, « Mathémathilde » Pratt, sergent sous les ordres de « Sissi » Bathory, avait été mise en charge du projet.  Bien qu’il tentât d’ignorer les sentiments qu’il portait pour Mathilda, nul n’ignorait qu’au moindre danger, Ray sauterait la baie pour venir lui porter secours.

    Poncho était à l’instar du colonel Tamaka un menteur de première.  Mais sans la force du Basilic, tous mettaient en doute ses histoires.  En autre chose, Ray était un tendre. Il aimait faire croire, lorsqu’il buvait son café froid et qu’il plissait des yeux, qu'il était le digne fils d'un mafieux repenti ; un récit qui ne bernait personne. Il ignorait toutefois qu'on se moquait de lui ; autrement dit, Ray Poncho était un idiot.  Contrairement à lui, Mathilda Pratt, d’une beauté fragile au caractère discret, avait deviné les sentiments que lui vouait son homologue.  Elle ne pouvait cependant se convaincre d’inclure Ray dans l’équation de son cœur, chose qu’elle exprimait de soupirs mélancoliques chaque fois qu’elle croisait sa route.  Une histoire d’amour interdit, dont les épisodes s’étireraient sur des dizaines d’années, d'on raillait la plupart des soldats.

    « Je vous le dit, Berthe, ces imbéciles finiront par s’empoisonner. »

    Le sergent Arthur Wil’kid, dit le Faucon pour sa vue perçante, les observait en contrebas.  Son caporal, une femme d’âge mûr aux rides taciturnes, roula des yeux.  Le plaisir avait depuis longtemps quitté caporal Berthe, mais elle n’avait pu se résigner à prendre sa retraite.  Assignée à la lourde tâche de seconder Arthur, Wil’kid était comme un fils pour elle ; un fils non-désiré, dangereux et inconscient.

    « Oh, regardez Berthe, y’a Omus qui va encore faire une bêtise ! » s’enthousiasma le Faucon, pointant du doigt un point sur le flanc de montagne où était posté Poncho.

    Le sergent d’élite Irot Omus était un semi-géant originaire de Tanuki.  Berger toute sa jeunesse, il avait été remarqué par Arya Peon, alors lieutenant pour la 101e. Il fut enrôlé de force.  Grand et maladroit, Omus n’était qu’une grosse boule d’amour et de gentillesse.  Afin de contrôler sa force – dont il s’excusait sans cesse – Omus était devenu un expert de l’origami, art dans lequel ses gros doigts ne semblaient pas faire défaut.  Lui et Ray étaient amis depuis le BAN ; à la ceinture de Poncho, pendait un petit bonhomme de papier sensé le représenter.

    « RAAAY ! » appela le semi-géant. « RAAAA-AY !! »

    Il terminait son ascension et son énorme paluche s’agrippa au bord. Poncho sursauta.

    « MILLE EXCUSES !!  MILLE PARDONS !!  JE NE VOULAIS PAS TE FAIRE PEUR !!  »

    Sa tête ronde pointa le bout de son nez.

    « DIS RAY ?!  TU VEUX PARTAGER MON GOÛTER ?! »
    « Pas maintenant, Irot.  Je… Je dois m’assurer que le pont tienne.  Comme on dit, Marie-Joie ne s’est pas construite en un jour ! »
    « MILLE EXCUSES !!  MILLE PARDONS !!  TU ES OCCUPÉ !! »
    « Ça ira pour cette fois, mais ne recommence plus !  Et tais-toi un peu, j’ai besoin de me concentrer… » de plisser d’avantage les yeux un Ray déterminé à s’imaginer sa douce.

    Une nouvelle lampée de café qu’il exprima d’un geste de dégoût et le Faucon s’esclaffa. La main en visière, Wil’kid chercha une nouvelle source de distraction.

    « Berthe !  Berthe !  Regardez !  Regardez !  Un bateau vient d’accoster !  Mais.... Mais qui est ce bel homme ? »

    Berthe poussa un soupir et porta ses jumelles à ses yeux.

    « Il semble que ce soit le Commandant d’élite Pastrick Couillard, qui pointe son arme sur une recrue... dont j’ignore l’identité, Arthur. »
    « Non pas lui !  Pas lui !  L’autre, en bas, qui parle avec Wagner… »
    « Aucune idée sergent.  Peut-être devriez-vous allez voir par vous-même.  Je resterai ici, le temps que... »

    Mais Wil’kid avait déjà empoigné le bras de son caporal.

    Stefan Wagner, sergent d’élite sous les ordres d’Aran Z. Baal, semblait être en grand discussion avec le mystérieux caporal Baka.  Sur le cuirassé de Couillard, Pastrick sourcilla.

    « Ce n’est pas que je déteste la délicieuse sensation d’appuyer mon canon sur votre front, Sarah, mais si nous voulons prendre un moment pour nous reposer, je ne devrais pas laisser le caporal se charger de nous présenter... »

    Old Crow ne broncha pas, ses yeux verts vissés dans ceux de son commandant.

    « Sarah ? »

    Crow ferma les yeux et souffla une boucane opaque. Elle agrippa fermement l’arme du Commandant, la repoussa, puis tourna les talons et d’un haussement d’épaules, ajouta :

    « Tch.  Plus moyen d’avoir du plaisir…  J’te jure qu’la prochaine fois, j’te fais avaler la marmite par le c… »
    « J’ose espérer que vos propos à mon égard sont doux, sergent. »
    « Tch. »

    Ils débarquèrent.

    « BAKA !!  Bouge tes miches ici !!  J’dois emballer les restes pour l’repas d’ce soir ! »
    « Immédiatement Sergent !!  Colonel Wagner, heureux d’avoir fait votre connaissance ! »
    « Sergent Wagner, caporal, apprenez à reconnaître vos insignes… » s’immisça Couillard.
    « Oh vous, ne recommencez pas !  Il m’a pris un temps fou à expliquer à ce bon monsieur que je n’étais pas Commandant, ni même Commandant-Caporal, mais seulement caporal, Commandant ! »
    « BAKAAAA !! »
    « Oui Sergent, j’arrive !!... Commandant !  Sergent-Colonel ! » salua Baka.