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Lapin qu'on prit !

Luvneel, Base de la révolution, 1627

On est accueillis comme de véritables héros. Les Echos de la Liberté n’est pas une très grande organisation révolutionnaire. Nous ne sommes pas plus d’une centaine et à peine une dizaine à être en état d’effectuer de véritables opérations. Alors la plupart du temps, lorsqu’un membre revient d’une mission, on est plutôt content s’il a réussi à éliminer quelques marins ou à ramener un truc de valeur. Alors là, lorsqu’ils nous ont vu arriver à bord de trois navettes rapides, les bras chargés de bouffe, d’armes et de pognons, on a eu droit à un véritable triomphe. Ils ont même porté Mindy en l’air. Mais étant donné les coups de poings qui ont suivi, on se doute qu’ils ont surtout fait ça pour lui foutre la main au panier. Faut dire qu’elle est vraiment pas mal roulée, la petiote. Jason semble un peu mal à l’aise d’être soudainement le centre d’attention, lui qui était habitué à rester dans l’ombre. L’ambiance retombe assez rapidement lorsque quelqu’un demande où est passé Simon. C’est pas cool à dire, mais on est bien obligé de leur apprendre la nouvelle. Il s’était fait des amis par ici, même si ceux-ci ne se doutaient pas une seconde que c’était un agent du gouvernement infiltré.

Les sourires se figent et disparaissent. Les bras retombent et le silence s’installe. Manuelo, le chef du mouvement disperse les troupes et nous demande de lui effectuer un rapport de mission. Pendant ce temps, des hommes et des femmes s’emparent des victuailles et du matériel pour aller les stocker dans les réserves. J'acquiesce brièvement mais je demande un petit délai. La traversée a été longue, dans un sens comme dans l’autre. Cela fait plus d’une semaine qu’on ne s’est pas véritablement posé et qu’on ne s’est pas lavé. Je dois aller voir comment se porte mes larves et commencer à en remettre en reproduction mais également en macération pour remplacer les bouteilles que j'ai perdu. Mindy m'offre un regard empli de reconnaissance. Elle a beau être forte, c’est une femme. Elle rêve de prendre une douche depuis plusieurs jours déjà. Manuelo accepte sans problème et nous donne rendez-vous dans une heure, tous les trois, à la salle de réunion.

On se sépare, chacun va dans sa chambre, où plutôt au niveau de son lit dans son dortoir. Je profite du fait que ce soit le milieu de l’après-midi et que donc le dortoir soit vide pour glisser discrètement mes affaires « sensibles » sous mon matelas. Mon badge de CP, celui de Simon que j'ai récupéré et aussi le papier étrange trouvé sur le navire de Harlem Snake. Après ça, une fois sûr que personne ne m'a vu, je balance mon bardas en vrac sur le lit et je commence à me désaper. La vache, je pue vraiment la sueur à des kilomètres. Ces fringues mériteraient d’être brûlées. Mais je n’ai pas franchement le temps de faire du shopping pour en racheter d’autre alors je décide de les emmener sous la douche avec moi, ça les fera sentir meilleur. Alors que je me lave à l’eau bien chaude, je laisse toute la pression retomber d’un coup. La mission, le combat, la mort de notre ami, le fait de devoir toujours mentir à tout le monde… C’est lourd à porter. Je me laisse glisser contre la paroi de pierre froide de la douche et je ferme les yeux. C'est dur d'être un agent infiltré. Il n’y a que sous la douches et aux chiottes qu’on peut véritablement être nous même et agir comme on l’entend. Le temps passe et l’eau commence à refroidir. Je me relève alors rapidement et je finis de me rincer. Je ramasse mon tas de fringue et je le rince aussi de la mousse. En sortant, je les mets à sécher et j'enfile des vêtements plus amples mais surtout plus moches. Je m'en fout, je me sens bien dedans, c’est agréable et le matos respire un peu. Pas comme avec les pantalons.

Dans une cage, dans un coin de la pièce, mes larves se baladent lentement en laissant une petite traînée de bave brillante. J'ouvre la partie supérieure de la cage et y balance des feuilles violettes qui favorisent leur libido. Heureusement, elles se reproduisent assez vite. En une dizaine de jours, on peut avoir des petits qui sont adultes après seulement deux semaines. Je récupère une bestiole que je mets dans une petite cage à part pour lui donner à manger du SanSan, une plante très acide. Cette larve servira à créer une nouvelle fiole pour mon Acid Puke. Je m'assieds sur le lit. Bon. Des ponéglyphes. Me voilà bien avancé. Qui sait lire ces trucs ? Des agents du gouvernement mondial qui s’empresseront de faire tout disparaître, moi y compris ? Ou alors des fondamentalistes révolutionnaires qui se feront une joie d’utiliser les  informations contenues dans le document pour tenter de briser l’ordre mondial ? Quelle merde. Je soulève une fesse pour sortir le papier et je le regarde. Il y a cinq lignes composées chacune d’une dizaine de symboles, mise à part la dernière qui n’en contient qu’un. De près ou de loin, je ne reconnais pas quoi que ce soit, ni un semblant de lettre, ni un oiseau, un arbre ou un soleil. C’est complètement abstrait et aucun ne ressemble à un autre. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de ça ? De toute évidence, j'ai plus intérêt à chercher du côté de la Révolution que du côté du GM. Ces derniers ne me diraient rien, même s’ils savaient quelque chose de toute façon. A ce niveau là, peut-être que Manuelo pourra me renseigner. Même si notre mouvement est de petite envergure, il doit avoir des contacts plus haut placés. Des Cavaliers, peut-être même des As. Sait-on jamais ?

Je me sèche les cheveux en les frottant avec une chaussette sale et je me mets en route. L’heure est bientôt écoulée et le chef attend notre rapport.
    J'entre. Jonas et Mindy sont déjà là, assis, en train de discuter. Leur conversation s’interrompt lorsque je passe le pas de la porte. Ils se tournent vers moi et explosent de rire en voyant comment je suis fringué.  Je leur répond avec le majeur et je vais m’asseoir à mon tour. On fait un rapide débriefing entre nous. Bien sûr, eux n’ont rien entendu de la conversation avec Harlem, donc ce sera plutôt à moi de raconter ce qui a été dit. Mindy se chargera de la partie concernant Skippy, qu’on a bien l’intention de pourrir, et Jonas se chargera de raconter comment Simon est mort car c’est le seul à avoir assisté à la scène.

    Manuelo entre après quelques minutes et sourit en voyant que nous sommes déjà là. Il apprécie la ponctualité. Catrina, la seconde, le suit. Il nous propose du café que l’on accepte tous les trois sans nous faire prier. La porte est fermée et la réunion commence. Catrina se tient un peu en retrait avec un calepin et prend des notes de ce qui est dit. Je commence à parler en premier et je n’omets aucun détail. L’arrivée sur le navire, l’accueil qui m'a été fait, les victuailles luxueuses, les cigares et les alcools, comment j'ai mis tout ça sur la table, les réponses de l’ancien révolutionnaire devenu pirate et comment l’affrontement à commencé.


    -Comme on pouvait s’y attendre. Ce type a toujours été un peu récalcitrant quand il s’agissait de participer pour la cause. Mais de là à ce qu’il vire pirate, c’est très décevant… Enfin, il ne nous embêtera plus. Vous êtes surs et certains qu’il est mort ?
    -Ha ba là, j’aime pas dire du mal mais il avait pas l’air frais. Il avait le crâne ouvert, il a explosé et il a coulé. S’il survit à ça, il forcera mon respect.

    Mindy poursuit avec sa version des choses, comment Skippy nous a tous mit en danger en parlant haut et fort dans le port, en oubliant de lever le drapeau, son attitude à bord et comment il s’est caché pendant l’affrontement pour finir complètement saoul. Manuelo jette un regard à Catrina qui secoue la tête de dépit. Visiblement, ils connaissent le lascar et ne sont pas surpris qu’il se soit comporté ainsi. Mais il sait beaucoup trop de choses pour être renvoyé et ils préfèrent qu’il soit en dehors de la base. Chaque fois qu’il reste un peu à la base, plusieurs membres font des crises de nerfs. Pour être sincère, à chaque fois qu’il part en mission, tout le monde espère secrètement qu’il va y rester. Je regarde tour à tour, Jason et Mindy. Putain. Si on avait su, on ne se serait pas fait chier à le sauver.

    Bref. On arrive finalement à Jason qui nous explique ce qui s’est passé. Tout le monde baisse les yeux. Ce n’est pas vraiment du recueillement mais on n’a pas envie de croiser le regard des autres. Simon était accroché au cordage qui menait au mât. Il tirait sur tout ce qui bougeait sur le pont ; et ceux qui tentaient de monter au cordage pour le débusquer, il les recevait à coups de sabre. C’était sa façon de faire, choisir un point stratégique et faire du dégât. A lui tout seul, il a du se charger d’une bonne vingtaine d’adversaires. Mais il n’a pas vu que l’un d’entre eux a grimpé au cordage situé de l’autre côté du mât. Arrivé au panier de vigie, le pirate est redescendu et l’a rejoint par au-dessus. Il n’a rien pu faire. La lame est passée au travers du ventre de Simon et c’est seulement en voyant le métal ensanglanté sortir de son ventre qu’il a compris ce qui s’était passé. Il a tout de même eu le réflexe de se tirer lui-même dans le ventre pour que la balle le traverse et touche le pirate derrière lui. Sacré Simon. Un vrai malade. Ils se sont alors tous les deux écroulés après une chute de cinq ou six mètres.

    Le silence qui s’installe est pesant.


    -Et bien... C’est triste. Bien qu’assez peu actif, Simon était un membre très apprécié dans la communauté. On boira un coup à sa santé, ce soir. Vous n’avez pas ramené son corps ?
    -Non. Il était en trop mauvais état, si je peux dire ça comme ça. La mer sera sa dernière demeure.

    D’un geste de tête, Manuelo nous invite à quitter la salle. Il veut sûrement faire le point avec Catrina. Ou alors planifier la prochaine étape. Au moment de partir, je fais un rapide demi-tour, laissant mes compagnons partir devant. Je me rapproche du chef qui relève la tête, étonné.

    -Nan, pardon, mais j’aurais une question quand même. Au dessus du bureau de Harlem, il y avait un énorme symbole dont il semblait très fier. Ça ressemblait à ça.

    J'attrape le calepin de Catrina et son carbone et je dessine le premier symbole de la feuille que j'ai récupéré. Les chefs l’observent un moment et finissent tous les deux pas secouer la tête.

    -Ça ressemble à un ponéglyphe. Il n’y avait que ce symbole ? C’est étrange en principe, on trouve des textes, pas un seul signe. Enfin, je ne sais pas les lire de toute façon.
    -Personne ne sait, ici ?
    -Ici ? Chez les Echos de la Liberté ? Hahaha ! Bien sûr que non. Les ponéglotes sont très rares et sont des éléments précieux de la Révolution. Tu n’en trouveras pas aussi facilement. Laisse moi réfléchir.

    Il échange un rapide coup d’œil avec Catrina. Cette dernière ne parle jamais et pourtant, Manuelo comprend toujours en un instant ce qu’elle veut dire, comme s’ils étaient liés par un lien télépathique.

    -Oui ! Il y a un As de la révolution qui vit sur Luvneel. Ulrand. On est en contact car il souhaite nous faire intégrer le comité. Lui, si tu lui parles, pourra sûrement te renseigner. Enfin à condition qu’il accepte de te parler, il a sûrement beaucoup à faire. Il traîne régulièrement au bar en face de la mairie.
    -Ulrand ? Okay, merci boss, je vais essayer de me renseigner.

    Je sors de la salle et je retourne dans le dortoir. Je vais rester pour lever mon verre à la mémoire de ce grand con de Simon. Je partirai après.
      Et ben, c’était un sacré coup, tout ça. Chacun a voulu dire un petit mot sur notre ami qui a passé l’arme à gauche. Et à chaque fois, on buvait une nouvelle gorgée. Sachant qu’on est près d’une centaine dans la base, ça fait une sacrée cuite. Si on avait voulu discréditer à jamais la Révolution, il aurait suffit de prendre un VisioDial et d’enregistrer la scène de cent révos complètement torchés, titubants et trébuchants les uns sur les autres. Je marche pas droit à travers le dédale de souterrains qui servent à préserver la tranquillité de la base. Déjà que de base, faut bien se concentrer pour pas se paumer mais avec six grammes dans le sang, c’est carrément une épreuve titanesque. Je vacille et je me retiens au mur pour ne pas tomber. Je dégueule. Parfait, ça fera un point de repère comme ça. Je poursuis ma marche. Après une dizaine de minutes, je tombe sur une pierre fissurée que j'utilise à chaque fois pour savoir où il faut tourner. Ça y est, je reconnais le coin. Plus qu’à faire droite, gauche et…. Voilà la sortie !

      Je soulève la dalle doucement et j'observe dehors. C’est bon, il n’y a personne. La sortie de ce tunnel donne devant un club de Curling. Autant dire que c’est le coin idéal, il n’y a jamais personne. Qui s'intéresse à ce sport, sans déconner ? Je referme soigneusement la dalle derrière moi. Enfin j'essaye mais je tangue tellement qu’elle retombe violemment au sol dans un grand bruit qui résonne probablement dans tout le quartier. Je pose mon doigt sur mes lèvres en signe de silence. Cette dalle fait beaucoup trop de bruit. A ma droite, la mer, à ma gauche, une rangée de bâtiment et en face, au loin, la place centrale. La rue fait des vas et viens très agaçants. A croire que le sol n’a pas envie que je le piétine. C’est compréhensible. Alors j'essaye de me mettre sur la pointe des pieds, pour lui marcher dessus le moins possible mais alors, il doit prendre ça comme un véritable affront parce qu’il se met à tanguer encore plus fort. Tellement fort que je finis par tomber comme une merde.


      -PUUUUTAAIIIIINNN !

      Je frappe le sol avec mon poing. Fait chier, je n’ai pas le temps d’être beurré ! Je dois retrouver l’autre là. Arlong ? Urlong ? Alrang ? Enfin le mec de la révolution, quoi. Et dans mon état actuel, tout ce que je vais réussir à faire, c’est me faire jeter de n’importe quel établissement. Mais je n’ai pas trop le choix. La flemme de repartir en arrière après tout ce chemin. J'ai déjà fait au moins… dix mètres ! Tout ce que je dois faire, c’est trouver la mairie. En tant normal, ça n’aurait pas posé le moindre problème mais là... Ca va être une autre histoire. J'avance de lampadaire en lampadaire, titubant et vacillant sous le regard réprobateur des passants. Quelle heure il peut bien être ? Je m'approche d’une vieille dame assise sur un banc, occupée à lancer des miettes de pain aux mouettes. Elle me voit arriver et porte la main à son nez. Qu’est-ce qui la dérange ? L’odeur de sueur ? L’odeur d’alcool ? L’odeur de crasse ? L’odeur de mâle ? Où l’odeur de vomi ? Difficile à dire. Je tente de reprendre un peu de contenance et je m’éclaircis la voix, ce qui ne parvient qu’à me provoquer une quinte de toux et un haut le cœur. Je racle et crache un gros glaire. Il faudra que j'essaye de trouver une potion pour contrer les effets de l’ivresse à l’avenir.

      -Ex..cusez-moi. … M’dame. Quelle heure queeeee… Quelle heure que qu’c’est ? Siouplait ?
      -Il est 21h15 mon pauvre vieux. Vous faîtes peine à voir.
      -Et ta sœur ?!

      La vieille se lève, les sourcils froncés. Elle a pas l’air contente. Elle s’approche de moi, ce qui me fait rire.

      -Quoi ? Tu veux t’battre la vioque ?
      -Espèce de sale ivrogne. Vous êtes une honte pour notre belle ville !

      Là, elle me pousse doucement avec sa main. Elle n’a aucune force, mais je n’ai tellement pas d’équilibre que je m'affale à nouveau. Comme une merde, encore. Putain, c’est humiliant. J'essaye de revenir sur mes pieds mais je me sens tellement lourd… Les gens passent autour de moi, en évitant de me regarder. Un peu d’eau. Voilà ce qu’il me faut. En voilà une idée qu’elle est bonne ! Je rampe un peu et je m'approche du mur qui sépare la rue de la plage et je continue à avancer, à plat ventre, sur le sable. Le sol est de plus en plus froid et humide. C’est super désagréable, en plus j'ai du sable plein la gueule. D’un coup, une vague vient s’écraser sur moi, provoquant un choc thermique super violent. Je me relève en crachant de l’eau salée. Saloperie ! Wouah, ça réveille !

      Je secoue ma tignasse pour la sécher un peu. Un peu radical mais efficace, je me sens vachement moins ivre. Ivre. Mais vachement moins. Mais ivre. Je me frotte un peu pour virer un maximum de sable mais je sens déjà des petits grains se balader entre les valseuses. Ça gratte. C’était pas une bonne idée, en fait. Je suis épuisé. Les effets de l’alcool ont diminué mais le contrecoup est arrivé et a fait des ravages. Au moins, je parviens mieux à me repérer. Sur la place, il faut prendre en direction de la statue aux gros nibards et prendre à droite. Une centaine de mètres à marcher à peu près droit, à part quelques écarts, et j'arrive devant la mairie de Luvneel. C’est un grand bâtiment blanc et rectangulaire surmonté de chaque côté de deux pièces ce qui lui donne une allure de château fort. On se retourne et on tombe nez à nez avec un établissement. « La grenouille au cigare ». C’est sûrement ça.

      J'entre. Une femme est occupée à sécher des verres avec un chiffon miteux derrière le comptoir. Elle se précipite vers moi.


      -Ha non, non, non. Je ne sers plus d’ivrognes, j’ai eu trop de problèmes. Vous me semblez bien assez alcoolisé pour ce soir.
      -Mais nan, mais je…
      -N’insistez pas ! Vous n’avez pas honte ?
      -Mais puisque je vous dis que…
      -C’est ça, c’est ça. Et qui c’est qui va nettoyer si vous vomissez au milieu du bar, hein ? Sans compter les clients que vous allez me faire partir.
      -MAIS ECOUTEZ MOI, BORDEL !
      -QUOI ?!
      -Je suis pas venu pour picoler !
      -Ha… Et pourquoi alors ?
      -Mettez moi un verre d’eau on the rocks. Au shaker. Pas à la cuillère.

      Elle me regarde bizarrement mais finit par m'installer à une petite table dans un coin, passablement à l’abri des regards. Je m’assied sans se faire prier et je pose ma tête contre mes poings. La migraine commence. Bon dieu de merde…
        Je suis réveillé en sursaut par la tenancière qui me pose un verre d’eau rempli à ras bord avec des glaçons sans la moindre délicatesse. Elle reste debout, là, sans rien, dire comme si elle attendait quelque chose. Je lève la tête. Elle espère un pourboire ou quoi ? Je la fixe de mes yeux vitreux avec un air que j'espère interrogateur. Je me doute que j'ai plus l’air con qu’autre chose mais l’idée reste là.

        -Oui ?
        -Bah quoi ?
        -Bah quoi bah quoi ? Pourquoi vous restez là ?
        -Ho ça va bien, hein ! Vous avez pas traversé la ville dans votre état pour venir me demander un verre d’eau ! Vous êtes là pour… voir quelqu’un, je me trompe ?

        Merde, niveau discrétion, j'ai déjà été plus au top. Faut dire, dans cet état... J'acquiesce de façon presque imperceptible mais cela semble suffire à la femme qui se retourne en soufflant fort par les narines. Je pose mon coude de façon à masquer mon visage avec ma main. Un agent double qui perd sa capacité de discrétion, c’est un homme mort. Ce verre d’eau glacée me fait du bien. Le froid me gèle le cerveau et il s’opère une sorte de « reboot ». Lorsque la sensation désagréable disparaît, je suis déjà un peu plus maître de mes mouvements et de mes pensées. Par contre, ma chère amie la migraine ne veut pas se barrer. Je peux toujours compter sur elle, elle n’est jamais absente. Toujours fidèle au poste.

        Après quelques minutes, mon verre est vide depuis longtemps et on vient me chercher. C’est très rare que j'aie la gueule de bois alors que ce n’est pas le réveil. D’habitude je finis toujours par tomber, inconscient et je ne reprends mes esprits que le lendemain. Là, la descente est vraiment très désagréable. Je lève la tête. Un vieil homme avec un œil de verre, plus de cheveux sur la tête et des poils de dix centimètres dans les oreilles me sourit. Je constate alors qu'il ne lui reste plus que deux dents dont une en or. Il est tellement ridé qu’on pourrait tirer sa peau du crâne en arrière d’au moins cinquante centimètres. Je me lève et le suis en direction de l’arrière boutique. Je suis très mal à l’aise car la plupart des clients du bar m'observent avec un sourire en coin. Putain… Je suis si visible que ça ? Pourquoi ils me matent tous ? Je relève le col de mon manteau pour masquer mon visage.


        -T’en fais pas va. Laisse les rire.
        -Hein ? Rire ?
        -Ils critiquent mais on a tous les mêmes besoins. Et chacun fait ce qu’il lui plaît, c’est ce que j’ai toujours dit.

        Je ne comprends pas bien où il veut en venir alors je marmonne quelque chose sans trop chercher plus loin. Il me fait monter un escalier jusqu’à ce qui ressemble à une sorte de grenier avec une fenêtre laissant passer les rayons de la Lune. Un matelas sur le sol, une lampe à huile accrochée au mur, un bâton d’encens qui brûle en dégageant une odeur musquée. Et personne. Pas de Ulrand. Je ne comprends pas alors je me retourne vers le vieux. Ce dernier est en train de se déshabiller. Sous ses vêtements, il porte des bas en dentelles et un string noir avec des ficelles lui remontant jusqu’à des petits anneaux plantées dans ses tétons. Il brille tellement qu'il semble s'être huilé le corps. Il s’avance vers moi en souriant avec un objet très compliqué, comprenant plusieurs extrémités pointues. Ho putain !

        MALAISE ! MALAISE !! MALAISE !!! MALAISE !!!!!!!!!!!

        Je dévale les escaliers en hurlant, je manque une marche, roule dans les cinq dernières marches et je ne prends pas le temps d’avoir mal. D’un bond , je suis debout et en quelques secondes, je suis dehors sous les exclamations des clients, hilares. Je ne peux me retenir de vomir cette fois-ci. Appuyé sur le dossier d’une chaise, je vide mes tripes sur la terrasse, une image absolument horrible ne voulant pas quitter mes rétines. Mais c’est quoi ce délire ? Qu’est-ce qu’il vient de se passer ? La tenancière accourt vers moi.


        -Mais c’est quoi ce bordel ?!?!
        -Ba c’est le vieux Joe ! Ce n’est pas pour ça que vous êtes venu ?
        -Mais non, putain !
        -Ha ba fallait le dire ! Notre établissement est réputé pour ça ! C’est la « Grenouille au Cigare » !

        Elle dit ça en montrant la devanture de l’établissement. Je peux voir, derrière le nom, une grenouille toute fripée qui porte à son bec un cigare. A bien y regarder, il est vrai que celle-ci le prend en bouche de façon très suggestive. Je secoue la tête.

        -C’est pas une raison, je vous conseille d’être plus explicite !
        -Ba après, quand il y a erreur comme ce soir, ça fait rire les clients et c’est bon pour le business.

        Assis sur une chaise en terrasse, je reprends mon souffle. Avoir la gueule de bois, c’est crevant. Courir, c’est crevant. Gerber, c’est crevant. Mais les trois en même temps. Pfiou… Je ferme les yeux mais je revois le vieux Joe, en tenue de… Argh ! Vaut mieux pas y repenser.

        -Bon ba vous êtes là pour quoi alors ?
        -Je cherche un type. Il s’appelle Ulrand. Vous le connaissez ?
        -… Ca se pourrait.

        Son regard est devenu très sérieux. Elle glisse discrètement la main dans son dos et fait apparaître une lame sur le côté de sa ceinture de façon à ce que je la vois bien. Elle me demande gentiment de me lever et de retourner à l’intérieur du bar. Je m’exécute. Je n’ai pas réellement peur, je pourrais lui péter le nez bien avant qu’elle ne touche à la garde de son arme, mais je comprends bien qu’on ne rencontre pas un As comme ça. Ils doivent se protéger, c’est normal. Je suis alors ses instructions, tâchant de faire le plus naturel possible devant les clients qui continuent de me fixer. Elle me guide vers une salle à l’arrière et me fait descendre vers un escalier. Décidément, j'aurai tout visité ici, de la cave au grenier.
          Je me retrouve assis à une table en bois, on ne peut plus simple, dans une salle en pierre aux murs nus. Elle m'a attaché les jambes aux pieds de ma chaise. Au plafond, une simple bougie entourée d’un diffuseur de lumière s’occupe d’éclairer faiblement la pièce. Il n’y a absolument rien. La barmaid se tient en face de nous, son arme à la main et elle semble à la fois inquiète et furieuse. Elle n’a pas l’air de trop savoir comment gérer la situation. Je tente d’entamer un dialogue.

          -Je peux savoir pourquoi je suis venu ici ?
          -La ferme ! Pourquoi tu parles d’un type qui s’appelle Ulrand ? Tu lui veux quoi ?

          Elle n’est vraiment pas dans son élément. D’un côté elle fait semblant de ne pas savoir qui c’est, d’un autre côté elle est prête à prendre un message pour lui. C’est ridicule.

          -Écoute… Madame ?
          -Jeannine. Et toi t’es qui, bordel ?!
          -Écoute Jeannine, je m’appelle Le Docteur. Je suis du même côté qu’Ulrand. Je suis de la Révolution. J’imagine que toi aussi.
          -Ça se pourrait. Et il y a quoi qui me le prouve ? Tu viens d’où ?
          -Je suis d’ici. J’appartiens aux Echos de la Liberté.

          Elle est stressée mais semble se détendre un petit peu.

          -Les Echos hein ? Alors il s’appelle comment ton chef ?
          -Manuelo del Poncho.
          -Mouais… Pas de chance pour toi, c’est un de nos contacts. Alors j’te préviens, je peux l’appeler et lui demander. Tu ferais mieux de dire la vérité.
          -Ba appelle-le. Ça nous fera gagner du temps.

          Elle me jette un dernier regard en coin avant de disparaître dans l’escalier. La pauvre. On sent bien qu’elle n’a pas l’habitude de faire ça. Ce n’est sûrement pas elle qui gère ce genre de situation d’habitude. Elle est partie sans même m'attacher les mains, je pourrais très bien me détacher et l’attendre après avoir brisé un pied de la chaise pour en faire un pieu. Une amatrice. En tout cas, je suis certain d’avoir frappé à la bonne porte pour le coup. Le temps me semble long. Le mal de tête ne part pas. En attendant, avec toutes ces émotions fortes, je suis entièrement redescendu. Tant mieux d’ailleurs, je me voyais mal tailler le bout de gras avec un As de la Révolution en étant totalement torché.

          Elle finit par redescendre, toute rouge. Manuelo l’a sûrement envoyé chier, ce serait bien son genre. En tout cas, il lui a confirmé que je bosse bien pour lui. Mais elle semble gênée. Elle s'approche de moi et commence à défaire mes liens mais je sens qu'il y a un problème.


          -Qu’est-ce qu’il y a ? Tu es rassurée maintenant, non ?
          -Oui mais… Manuelo m’a chargé d’un message. Ou d’une mission. Enfin, en tout cas, je dois vous transmettre quelque chose de sa part.
          -Ah ?
          -C’est un peu gênant…
          -Ba vas-y, ne te fais pas prier.

          Là, sans prévenir, elle me balance son pied dans les couilles de toutes ses forces. La douleur est fulgurante et je m’écroule au sol. Elle vient de me défoncer les burnes avec une violence exceptionnelle. Un petit voile me tombe devant les yeux. Ça fait tellement mal que je peux même plus réfléchir. Putain, pourquoi elle a fait ça ?! Après quelques secondes, mon cerveau reprend petit à petit son fonctionnement normal et envoie un message à mes poumons comme quoi ce serait pas mal de respirer. J'inspire alors un grand coup et je pousse un hurlement qui fait trembler les murs. Au dessus, j'entends des clients se lever de leurs chaises, inquiets. Je souffle, je souffle, je souffle. Ça sert à rien, ça ne diminue pas la douleur, mais c’est un réflexe. Je me tortille sur le sol et pendant ce temps, Jeannine semble ne plus savoir où se mettre et s'excuse sans cesse.

          -Je… Je suis désolé. C’est Manuelo qui m’a demandé pour être sûr que tu ne balanceras plus jamais son nom comme ça à n'importe qui, sans lui en référer avant. Et il t'a traîté de connard aussi.

          Ha putain, l’enculé… Il faut plusieurs minutes avant que je ne puisse me redresser et remonter avec difficulté sur la chaise. Quelle soirée de merde, la vache ! Tout ce que je voulais à la base, c’est rencontrer Ulrand et lui poser une simple question. Pourquoi ça se barre toujours en sucette ? Je réussis à murmurer dans un souffle aigu.

          -Alors, j’peux le voir, Ulrand ?
          -Ha ! Heu, oui, à propos de ça…. Ben… Il est pas là…

          Je ferme les yeux. Je suis las... Tellement las…
            Je rouvre les yeux. La douleur commence à se calmer doucement. Elle passe du stade d'insoutenable à celui d'intolérable. La respiration encore haletante, je me balance d'avant en arrière sur la chaise en me malaxant doucement les boules pour tenter de tout remettre dans l'ordre. Ça passe doucement. Situation bizarre. Je suis quand même dans une cave crade, assis à une table en train de me masser doucement l'entrejambe pendant qu'une femme que je ne connais pas me regarde, l'air hyper gênée. C'est pas la première fois que ça m'arrive, en plus. Une fois la douleur atténuée, après une dizaine de minutes, je finis par lui demander comment je pourrais trouver ce fameux Ulrand. Elle hésite quelques secondes mais finit par concéder à m'aider. Je viens quand même de payer de ma personne pour avoir cette information.

            -Il est parti hier soir. Il a dit avoir eu vent d'une affaire importante et il est parti sans trop donner de précisions.
            -Ca lui arrive souvent ?
            -Oh ba vous savez, il chapeaute presque tout sur North Blue et même au-delà. Donc oui, il est en déplacement sans arrêt.
            -Et il a pas un DenDen Mushi ?
            -Si mais… je n'ai pas son numéro. Je ne suis pas vraiment un membre important… Je ne suis que la tenancière du bar où il aime venir et j'ai finit par gagner sa confiance avec les années. Je vous conseille d'aller voir au port, quelqu'un aura peut-être eu vent de son passage.

            La migraine me lance. Je ne sais même plus pourquoi je le cherche, ce gars. Ah oui, c'est vrai. Le papier avec les ponéglyphes… Jeanine sort une feuille et se met à gribouiller quelque chose. C'est fastidieux. Elle semble aussi doué avec un crayon que moi avec un arc. Et il faut savoir que je me suis déjà tiré dans le pied avec une saloperie comme ça. Elle finit par me tendre le bout avec un gribouillis dessus. C'est une adresse et un nom. Je lève les yeux vers elle et elle m'explique que ce type aide Ulrand à quitter Luvneel en toute discrétion lors de ses déplacements. Un contact du port.

            Anthony Fate. Donc ce type a envoyé mon As de la Révolution quelque part à travers les Blues. Fait chier... Il faut que je lui demande où il l'a envoyé. Mais j'ai franchement pas envie de me manger un autre coup dans les parties intimes.


            -Vous avez un truc pour lui prouver que je viens de votre part ?
            -Hummm… Prenez ça.

            Elle sort de sa poche un petit morceau de carton. Je le prend pour l'observer. C'est un dessous de verre de grande taille, destiné à réceptionner des grosses choppes de bière ou de rhum. Dessus, on peut voir le logo du bar, une grenouille avec un cigare à la bouche. Rien que de revoir cette image, un frisson glacé me parcourt tout le dos. En dessous du logo, il est écrit « Si tu t'évanouis, tout peut t'arriver ». Nouveau frisson de dégoût. Faudra que je me souvienne de jamais prendre une cuite ici. Au dos, il y a une signature. Jeanine me dit que c'est celle d'Ulrand. Ça sert habituellement de signe pour annoncer un émissaire de la Révolution, mais pour le cas présent, ça peut aussi servir à ne pas exécuter le pauvre type qui vient fouiner. Pas con comme idée ! Quiconque tomberait là dessus croirait à un objet sans importance. Mais les intéressés reconnaîtront sans hésitation la signature de l'homme et le logo de son QG. Je fous le rond de carton dans la poche de mon manteau et je me lève.

            D'un pas lent et pesant, je remonte l'escalier. J'ai plus de force avec tout ce qui m'est arrivé. Je sais pas comment je vais faire pour rejoindre le port. De retour dans la salle principale, la plupart des clients sont partis. Il est presque minuit. Il ne reste que trois personnes qui ont l'attitude typique de ceux que l'on nomme « Les Piliers de Bar ». Le premier est au comptoir, la tête posée dans le creux de sa main, jouant avec une choppe quasiment vide. Il semble si désespéré qu'on s'attend à le voir sortir un flingue et se faire sauter la cervelle à tout moment. Un autre a la tête posée à même la table, au milieu d'une petite flaque. Il a essayé de combattre son alcoolisme, mais visiblement il a perdu par K.O. Le dernier est en terrasse et apostrophe les rares passants ayant eu la mauvaise idée de marcher trop près, afin de les insulter ou leur raconter une anecdote à la con. Bon dieu, j'aime les bars à ivrogne !

            Avant de mettre les voiles, je demande à Jeanine de me mettre une bonne dose de Gin en dessous d'une petite dose de citron. J'ai plus de force, il faut bien que je me requinque. Je sais que je devrais pas mais j'ai vraiment envie d'un verre. La migraine ne veut pas se barrer alors faut combattre le mal par le mal. Elle me fait les gros yeux mais je ne cède pas. La personne qui m'empêchera de picoler, elle est pas née. Après quelques secondes de combat de regard, elle finit par céder et me file un verre. Non mais ! Je vide la portion de crevard qu'elle a bien voulu me filer, je balance quelques berrys dans sa direction et je sors. Je suis resté plus longtemps que je ne croyais dans ce foutu sous-sol. Il caille. Je tire les pans de mon manteau pour me réchauffer un peu et j'avance d'un pas mal assuré dans la rue pavé. Je frissonne. J'aurais dû manger un truc avant de partir. Ou reboire un autre verre.

            Après une dizaines de minutes qui me paraissent durer des heures, je finis par arriver au port. Ça sent le poisson en décomposition, la pisse et la fumée.
              Chercher une adresse sur un port, c'est comme chercher un gars honnête dans le gouvernement. Une vraie galère. Tu penses avoir enfin trouvé et finalement tu te retrouves à l'opposé de ton objectif. Pas de cohérences, les chemins changent en permanence selon les entreprises et les docks qui se créent et qui disparaissent aussi vite. Les numéros ne se suivent plus à cause des différents rachats d'emplacements et même les noms de voies changent en plein milieu. Malgré l'heure tardive, il y a beaucoup d'animation. Des gens qui marchent, qui courent, qui parlent, qui hurlent… Les sirènes des navires qui partent et qui arrivent s'interrompent uniquement pour laisser les mouettes beugler à tout rompre. Elles virevoltent à l’affût du moindre poisson qui aurait le malheur de tomber au sol. Lorsque cela arrive, elles fondent en un éclair et remontent dans les airs, le trophée en bec, avant de se remettre à piailler. Un véritable enfer pour un type qui a mal au crâne. Je finit par me laisser tomber sur un banc, trop crevé pour continuer à tourner en rond à la recherche d'un endroit dont j’ignore totalement la localisation. Je ne sais même pas dans quelle direction aller. Je finis par intercepter un marin qui transporte deux énormes sacs de crustacés encore vivants.

              -Hey ! Tu sais pas où c'est le Local ?
              -Ben si, c'est par là que j'vais, tiens ! S'tu m'aides, j'te montre le ch'min !

              Putain… La flemme. Je me lève en geignant et je tend la main pour attraper un des deux sacs. Je suis surpris par le poids du truc. Ça fait au moins quatre-vingt kilos ! Et il en portait deux sans montrer le moindre signe de difficulté. Je le regarde avec des yeux ronds et il se met à rire avant de balancer sa propre charge sur son dos. Je fais pareil et je souffle un bon coup avant de me mettre en marche. Je ferais pas ça tous les jours. Tu parles d'un boulot de merde. En plus les crabes me pincent le dos à travers le sac, ça fait vachement mal ! Heureusement, on n'est pas très loin. Une bonne centaine de mètres plus loin, le marin me fait signe et pointe du doigt une bâtisse branlante. J'arrive à son niveau et je dépose le sac en suant comme un porc. C'est ça ? Putain, je risquais pas de trouver, il y a rien marqué dessus ! On dirait une cabane de pêcheur abandonnée, prête à s'écrouler au premier coup de vent. Je remercie le type qui s'en va vers un hangar juste à côté d'où émane une vive lumière. J'espère intérieurement qu'il s'est pas foutu de ma gueule juste pour que je l’aide à trimbaler ses merdes mais je m'avance quand même vers l'édifice. Trois coups sur la porte.

              Pas de réponse.

              Je tape à nouveau et j’entends du mouvement à l'intérieur. Après quelques secondes d'attente, deux coups sont frappés de l'autre côté, suivit de trois rapides. Je perds patience, pourquoi il m'ouvre pas ? Je frappe quatre coups plus forts, pour bien montrer que j'ai pas que ça à foutre. On me répond par Toc, toc...Toc, toc… TOC !


              -Bon, si c'est une sorte de code, je le connais pas et j'ai pas que ça à foutre alors laissez tomber !

              Je sors le dessous de verre et je le glisse sous la porte. J’entends du mouvement, des chuchotements et finalement, un petit déclic. La porte s'ouvre de quelques centimètres, juste assez pour me laisser apercevoir un œil.La personne derrière la porte me toise de haut en bas pendant un long moment. Elle finit par me demander qui je suis sur un ton hyper agressif. Je décline mon identité révolutionnaire, "Le Docteur", et je demande à voir Anthony Fate. L'homme ouvre la porte encore un peu plus et m'annonce que c'est lui.

              -Je suis envoyé par Jeanine de la Grenouille au Cigare. Je fais partie de la Révolution.
              -Ouais ? Et ?
              -J'ai besoin de savoir où est parti Ulrand.
              -Haha ! Rien que ça ? Et on peut savoir ce que tu lui veux à Ulrand ?
              -Écoute, je fais partie des Echos de la Liberté et on est peut-être sur un gros coup. J'ai vraiment besoin de m'entretenir avec lui.
              -Hum… Attend.

              Il se recule et me claque la porte à la gueule. Je manque de gueuler mais je me retiens. Le type est en train de parler à l'intérieur. Une conversation DenDen Mushique ! Je colle mon oreille encore valide contre la porte et je me concentre pour tenter de comprendre ce qui se dit mais c'est trop étouffé, je ne parviens qu'à capter des murmures. J’entends mon nom. Une autre voix, plus grave répond. Soudain, la porte s'ouvre en grand. Déséquilibré, je tombe au sol avant de me relever en vitesse, l'air de rien. Anthony Fate me toise d'un air suspicieux. Je peux enfin le voir. Un mètre quatre-vingt environ, tout gringalet avec une petite moustache. Il a des cheveux roux qui se voient malgré l'obscurité. Des yeux verts et des tâches de rousseur. Rien à voir avec ce que je m'étais imaginé. Il me tend un papier et referme aussi vite la porte. C'est une manie chez eux décidément de filer des morceaux de papiers. Dessus, il y a marqué « Inari ». Franchement, il ne pouvait me le dire directement ?

              Bon, je sais où aller. Et si c'était l'As directement de l'autre côté du DenDen, il est prévenu de mon arrivée et accepte de me rencontrer. C'est plutôt bon signe, non ?