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Balivernes ou Balverines ?

Si la curiosité d'un scientifique de Jalabert pouvait être représentée par un rayon détecteur alors celui-ci, s'il sondait à ras la neige l'immaculé paysage, trouverai un phénomène peu commun : un obstacle. De loin, cela pourrait bien être un petit arbre qui a prit racine, si blanc qu'il se confondrait avec son environnement. Ce drôle de végétal qui semblerait avoir grandi là, aurait une forme comparable à un T.  Dans cette atmosphère au vent cryogénique habité de flocons, cet étrange arbuste pourrait même être entré dans un état d'hibernation, qui s'il était dôté de conscience, aurai préféré attendre des jours meilleurs pour montrer son feuillage. S'en rapprocher davantage, c'est pouvoir y comparer les deux branches horizontales avec l'envergure d'un aigle. Et s'attarder sur les extremités, justifierait par dix petites nouvelles pousses de part et d'autre qu'il ait bien prit racine. Mais quelque chose cloche. Son principal tronc scindé en deux laissait le vent s'y engouffrer. Il ne peut donc pas être un arbre. En réalité, sous son allure d'épouvantail, c'était Anya. Mais que fait-elle là, perdue dans ce néant éblouissant ?

Je croyais que seule ma pensée n'était pas congelée car tout le reste semblait l'être, jusqu'à mes souvenirs. Mais sous cette armure blanche, je sentais encore mon coeur battre. Ce furent des larmes qui permirent à mes mirettes de bouger, et je pus observer devant moi une choppe de bierraubeurre vide. Je compris alors qu'il était inutile de m'épuiser l'esprit à comprendre comment j'ai pu en arriver là : l'alcool me faisant oublier. Il est fort probable que j'attendais de me changer en smilodon puisque mes deux narines furent obstruées par deux stalactites d'une quinzaine de centimètres.  Face à un tel désarroi, je constata que la seule solution qui se présentait à moi pour me décongeler les jambes... Était causée par la bière... Ma vessie était pleine. Je n'eus le choix de déclencher le processus d'ouverture d'une envie qui se faisait pressante et laissait se déverser l'agréable chaleur. Mes muscles en furent ravis et ma motivation à sortir de ce pétrin glacial aussi. S'ensuivirent quelques douloureuses flexions aux allures d'assouplissements qui permirent à mon corps entier de retrouver son habituelle température corporelle. Délivrée de ma statique prison, je fis route face à moi et réitérait cet exercice lorsque je me sentais à nouveau frigorifiée.

De cette manière, je supposa arriver dans un village puisque je me pris les pieds dans un escalier. Après m'être relevée, je couvra à nouveau ma blonde chevelure avec ma capuche et m'essaya, statique, à la contemplation de cet endroit. Mais en pleine nuit avec une lourde tempête qui m'empêchais d'y voir à un mètre, je discerna à peine des habitations qui bordaient l'escalier glissant. Personne d'autre ne semblait être dehors car de toute manière ce n'était visiblement pas un temps pour sortir. Pincée de déception,  je me dirigea vers la maison la plus proche, heurta un panneau planté devant, et entra sans frapper.

Il fallut quelques secondes avant que mon regard puisse s'habituer au noir total pour deviner les plus gros meubles. La buée qui émanait de ma respiration me signifia qu'ici aussi il faisait froid et je compris que c'était inhabité. Les bras croisés, j'avançai prudemment dans la pénombre de ce lieu que je compara à une grotte. Soudain, je me cogna. A un mur. Puis une porte. Et une table, qui elle provoca un tel brouhaha d'assiettes et verres brisés que je m'immobilisa sur place. Inquiète d'attirer l'attention, je suis restée parmi les débris à l'affût de la moindre intrusion ou signe de vie dans la maison. Mais j'étais seule et le hurlement de la tempête dût couvrir ma maladresse.

J'hésita longuement à quoi faire, au point même de me demander si je devais trouver de la lumière qui indiquerait ma présence. Je décida d'assumer de squatter en ce lieu et fis demi-tour jusque dans la grande salle de l'entrée et je tomba nez à nez avec une cheminée. Dès l'instant où elle s'alluma, grâce aux efforts manuels étalés sur de longues minutes, les bouts de bois frottés s'embrasèrent et je me sentis comme chez moi.

J'eus l'envie de m'endormir mais il fallait que je me nourrisse. Le moral était au plus haut et même à l'étage, armée d'une torche, les flammes réjouissantes continuaient à danser dans ma tête. Tout alla si vite ensuite, je fis le ménage dans la cuisine, pris un bain et trouva tellement de vêtements que je mis deux heures à tous les enfiler. Nul miroir pour voir à quoi je ressemblais mais j'esquissai un large et rare sourire à me balader ainsi. La cheminée ne me servait qu'à fournir de la lumière car... Avec une cinquantaine de paires de chaussettes et autant de vêtements superposés sur moi, je suis déjà en sueur pour mon plus grand bonheur de prendre ainsi ma revanche sur l'extérieur.

À ce stade, j'eus l'impression de léviter sur le sol tant je me sentais hors de contact. C'est alors que je compris que j'avais au moins prit vingt centimètres de taille grâce à mes pieds sur dimmentionnés, je me sur ai non loin de deux mètres, et que je devais avoir l'air d'une ridicule sumo d'habits. Je revins dans la pièce la plus lumineuse et il ne me manquait plus qu'à me remplir l'estomac. Mais... La cheminée qui réchauffait l'air, fit ressortir au plancher une odeur ferreuse qui m'écoeura et je décida de m'endormir sur place, épuisée, sur mon matelas portable.
    J'ai une pellicule cristalline sur les écailles, une armure transparente de gel qui s'épaissit un peu plus à chaque seconde que je passe au frigo. Si bien qu'à ce rythme j'aurai plus de glace que de chair, chacune de mes cellules se serre contre sa voisine en tremblant dans leur peur d'éclater. Le comble c'est que ça ne fait que cinq minutes que je suis dehors. Le temps d'aller chercher de l'eau au puits. Mais de l'eau, ici, il y en a partout. Elle est sculptée et poudreuse, mais c'est de l'eau. On pourrait se contenter de fondre une grosse pelletée de neige mais elle serait alors siège d'une vraie civilisation de bactéries. Et on a pas envie de les inviter à réchauffer nos corps glacés. Oh non qu'on a pas envie, car à Boréa la grippe est le deuxième plus grand assassin derrière la politique.

    On est en droit de se demander ce que je fous, limace de glace, en train de nager à deux à l'heure dans une mer de neige. J'ai pris ma permission, et ma façon de profiter de vacances, c'est de choisir une île au hasard en balançant une fléchette sur une carte accrochée à un mur. La fléchette du mois a choisi de m'expédier à Boréa. Je lui en veux pas, c'est moi qui aurait du bannir les îles infernales du choix.

    Alors je me me suis installé à l'auberge de Jalabert, là où je suis certain que faute de confort, j'aurai au moins un buffet de tourisme culturel pour me gaver de savoirs et rentabiliser ma peine. Sauf en blizzard.

    Un coup d'épaule dans la porte pour l'ouvrir, je m'effondre sur le parquet avec mon seau tandis que le vent me suit.

    LA PORTE !

    Me précipite dessus pour la refermer derrière moi, faisant au passage bras de fer avec le blizzard qui continue à infiltrer ses griffes dans le hall de l'auberge, qui achève de fatigue mes bras ankylosés. Quand j'entends le claquement du verrou, le gong qui sonne la fin du round contre le froid, je m'offre le loisir de m'effondrer contre la porte, au milieu d'un demi-cercle de neige. Il a beau faire -10 dehors, j'ai inondé mes épaisses fringues d'une sueur tiède et je me sens chaudière. C'est terrible comme sensation. Le cerveau voit ses compteurs de températures gambader d'un extrême à l'autre, impuissant, il finit catatonique et régresse à un stade reptilien où il est persuadé qu'une pauvre tasse de café pourra protéger la machine d'un terrible coup de froid.

    A chaque pas en direction de la cheminée la température grimpe de 1 degré. On atteint pas des sommets près de la cheminée mais 5° c'est le cagnard dans la région, on se sent si à l'aise comparé au reste de l'île qu'on est capable d'y tenir en slip.

    Vous avez fait rentrer du froid.
    G.
    Ah c'est bien, vous avez pu ramener pas mal d'eau. Désolé de vous avoir demandé ça hein, c'est vraiment parce que vous êtes marine. Je vous offrirai la soupe ce soir en guise de gratitude.

    L'auberge est le coeur chaud du village dans lequel tout le monde vient se serrer lorsque des tempêtes se lèvent. C'est ici qu'il y a le plus de cheminées, elles turbinent non-stop jour et nuit dans cette période de l'année. Ils ont même un type spécialisé dans la gestion du bois qui base toute sa vie pro sur la conception de beaux brasiers. Il a la gueule tatouée par les cendres qui lui lèchent le visage à longueur de journée, un espèce de bronzage grisâtre et puant qui le transforme en vieillard.

    Le patron de ce sanctuaire est une espèce de feignasse compulsive qui investit toute sa tête dans l'élaboration de stratégies pour contourner les efforts. Il y arrive bien, parce qu'à côté de ça, il irradie de sympathie, il offre des cadeaux, fait des réductions, propose des jeux et des activités aux clients, gère son auberge comme un centre aéré. Toute cette gentillesse anesthésie la méfiance, quand il nous demande un service on se sent pas en droit de lui refuser. Il est sûrement pas machiavélique, encore moins malveillant.

    Il a juste ses défauts, comme tout le monde.
    Mon grand défaut à moi, c'est la naïveté.

    Vous allez rire, j'ai un autre service à vous demander !

    J'adore rendre service.

    Une bricole cette fois, je vous promets.

    Les bricoles sont celles qui dégénèrent le plus vite.

    On a un voisin, là, qui est en voyage d'affaire depuis quelques mois déjà, et qui doit pas rentrer avant encore une petite année.
    Sauf que là, il y a de la lumière chez lui. La cheminée est allumée.

    Il est juste rentré plus tôt que prévu ton voisin, le climat devait lui manquer.

    Alors là j'me doute de ce que vous pensez : "il est juste rentré plus tôt que prévu ton voisin, le climat devait lui manquer, bla bla bla..."
    Sauf qu'à mon avis, par un temps pareil, il aurait préféré chercher du réconfort ici plutôt que d'aller se les cailler seul dans son taudis.
    Bref, si vous pouviez juste aller frapper à sa porte. Au cas où...


    On peut tout demander aux marines : monter chercher des chats dans des arbres, partir chercher des voisins dans des blizzards...

    Mouais. On sait jamais. J'y vais.
    • https://www.onepiece-requiem.net/t10413-fiche-de-craig

    Vers cette maison anormalement allumée, l'homme-requin qui s'y dirigeait était accompagné d'un volatile volant si haut dans le blizzard qu'il n'était pas visible. L'oiseau jaune et étrangement triangulaire perdait progressivement de l'altitude. Ses plumes devenaient de lourds glaçons et il ne parvenait plus à voler correctement. Il tombait comme une vulgaire pierre, ce qui augmentait considérablement sa vitesse. Sa chute se termina lorsqu'il entra par effraction depuis une fenêtre de la maison.

    Aussitôt réveillée. La vitre brisée et le blizzard qui sans gêne s'invitait violèrent mon repos. J'essaya, d'un regard interrogateur, de trouver une explication à la situation mais la pièce principale à l'allure d'une grande salle à manger était normale. Le seul indice était les flammes démesurées de la cheminée, attisées par leur inattendue rencontre avec le vent. Je devina bien vite par le courant aérien et sa nuée de flocons, qui fondaient aussitôt en larmes dans ce salon surchauffé, que cette intrusion venait de la cuisine.

    Mes pensées curieuses cédèrent à la panique lorsque je ne parvins pas à me relever. J'étais trop grosse. GROSSE ET LOURDE ! L'HORREUR pour moi qui prend soin de mon poids. Me voilà à même le sol, comparable à un sac de patates. Trop obèse de vêtements, aux articulations capricieuses et coincées sous les épaisseurs, pour réussir à me relever seule. Du coup, sur le sol qui devenait humide au fil des secondes, je roula. Vers la cuisine.

    Enfin...

    A peine eus-je le temps de remarquer deux yeux globuleux d'un truc agonisant, que le puissant souffle hivernal me fit rebrousser chemin. Pauvre petite bestiole ? Certainement pas. D'ordinaire j'aurai peut-être cherché à la sauver, mais là je devais me venger. Clairement. Elle allait payer le fait d'avoir atterri ici et non dans la maison d'à côté, ou même l'auberge à proximité. Et puis qui sait, elle est peut-être un prélude météorologique annonçant une imminente grêle d'oiseaux migrateurs.

    Face au tournis naissant et à la nausée offerte par ma transpiration abondante, je redoubla d'effort pour rouler à nouveau. Et je parvins à revoir l'intruse à quelques mètres de moi, au milieu d'une marre de verre. J'étais confiante pour la chopper. Mon armure alourdie grâce à ma sueur me permettait d'affronter plus lourdement le vent, je n'étais plus le simple et léger rondin de bois de ma première tentative. Maîtrisant ma colère jusqu'à l'avoir entre mes mains, je roula vers elle et me réjouissait de l'efficacité de mon accoutrement : les tranchants éclats se plantaient sur moi, je devins une sumo cactus. Et en plus ça avait aussi l'avantage de nettoyer le sol de ces débris. Main tendue, sourire mauvais, j'empoigna l'oiseau-projectile et décida, pour passer mes nerfs, de le réutiliser de cette manière. Fermement maintenu dans ma main, je laissa le blizzard entrant me repousser vers le salon avec entrain.
    Je profita alors des rapides roulades pour tendre soudainement le bras et balancer avec puissance cet enfoiré d'oiseau loin devant.

    Tchooonk

    De son solide bec, il s'enfonça dans la porte métallique et y sculpta sa forme triangulaire. Un peu plus fort et il passait au travers. Il resta là. Mort sur le coup.

    Bloupf

    Anya termina sa roulade contre un mur dans un gros bruit aqueux, pendant que le blizzard transformait l'humidité gisante au sol en patinoire. La cheminée commença également à montrer quelques signes de faiblesse sous l'absence de nourriture inflammable.

    Quoi qu'il en soit, vengeance était faite. Anya était souriante.