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Du mauvais côté

Le ressac fut le premier son que William put entendre en se réveillant. Il essaya de se relever avant de sentir tous les os de son corps le tirailler, lui tirant un cri de douleur. Il se laissa rouler sur le côté et chuta brusquement dans l'eau. Il écarquilla brusquement les yeux avant de les refermer sous la brûlure de l'iode. Il battit faiblement des pieds et creva la surface de la mer avec effort, avant de s'accrocher au morceau d'épave sur lequel il s'était retrouvé inconscient. Essoufflé, hoquetant pour expulser l'eau de ses poumons, il jeta un regard autour de lui alors que sa mémoire lui revenait doucement. Il s'accrochait à la proue du navire qui reposait sur les bas-fonds bordant la plage d'une île qui couvrait l'horizon. Des débris flottaient ça et là, se mêlant aux corps des malheureux qui s'étaient noyés. Une cinquantaine de mètres séparaient le jeune de sa destination, mais il se savait incapable de les parcourir dans son état. Partout où se posaient ses yeux, mort et désolation constituaient le paysage. Il les tourna vers la plage, à la recherche de survivants qui auraient rejoint le rivage. Personne ne l'attendait là pour lui donner raison. Il continuait de battre des pieds pour maintenir sa tête hors de l'eau tandis que ses bras fatiguaient pour le suspendre à la poutre à laquelle il s'était raccroché. Il se laissa doucement flotter sur le dos et lança doucement ses bras en arrière, essayant de se laisser porter par les vagues vers l'étendue de sable. Il ferma les yeux, les protégeant du soleil qui traînait au-dessus de lui, à son zénith. Très vite, les images vinrent lui rappeler les événements qui l'avaient conduit ici.

- Saloperies de pirates...
Ils avaient intercepté le navire marchand alors que celui-ci revenait tout juste du bagne de Tequila Wolf. Ils étaient sortis de l'épais brouillard sans que l'équipage civil n'ait eut le temps d'anticiper la rencontre. Les canons avaient grondés et en l'espace de quelques minutes, le frêle bâtiment de commerce s'était trouvé dans une situation extrêmement risquée. C'était là qu'ils avaient percutés les récifs, alors même que les forbans s'étaient lancés à leurs trousses pour l'abordage. Un craquement assourdissant s'était fait entendre et la coque s'était séparée en deux. Cramponné au bastingage, William n'avait pas vu venir la poutre qui l'avait assommé. Après ça, le vide total. C'est à ce moment-là que sa tête vint frotter le sable immergé, lui signalant qu'il pouvait se lever et marcher pour rejoindre la terre, qui ne se trouvait plus qu'à quinze mètres. Il se redressa douloureusement et s'étira de tout son long avant d'ouvrir les yeux à nouveau. Il n'eut pas le temps de dévisager les cinq individus qui lui faisaient face qu'une crosse de fusil vint lui écraser la face. Quelques longues minutes passèrent ainsi avant qu'il n'émerge à nouveau, maladroitement ligoté et entouré par les pirates en pleine discussion.

- Qu'est-ce qu'on va foutre de c'mariole? Il nous sert à rien chef, l'va pas nous aider à reprendre la mer!
- La ferme Legsby, on va avoir besoin de tout les bras disponibles!
- Mais capitaine, il était trop con pour regarder devant lui en se relevant, il va pas nous construire un navire flambant neuf le type...
- Legsby.

Celui qui ressortait de l'échange comme étant le capitaine avait porté la main à son pistolet pour appuyer ses propos, clouant le museau de son subalterne. William avait suffisamment repris ses esprits pour détailler la bande qui se trouvait juste devant lui. Le chef était vêtu d'une vieille veste d'officier de la Marine, délavée par le temps. Il se tenait de trois quarts, laissant apparaître une tignasse noire qui se dégarnissait et un visage aux traits sévères. Le fameux Legsby, un petit homme au corps noueux se tenait directement face et baissait à présent la tête. Les trois autres compères ne semblaient pas présenter, à ce moment-là du moins, d'intérêt quelconque. Le vieux pirate, jetant un coup d’œil vers son prisonnier, remarqua qu'il était réveillé et posa un genou au sol devant lui, le sondant de ses yeux noirs et indéchiffrables. Il ne tarda pas à prendre la parole, faisant frissonner le jeune homme de sa voix grave.

- On dirait que monsieur a fini de dormir! Tu as peut-être une idée d'où on se trouve?
- Non... Mais qu'est-ce...
- Tss tss! C'est moi qui pose les questions ici. Le truc c'est qu'on a pas la moindre idée d'où on peut se trouver non plus. Et que c'est la faute de ton navire si on s'est retrouvés dans cette situation. Et comme tu es le seul qui ait survécu, tu es le seul responsable.

Sur ces mots, le flibustier tira doucement une dague qui pendait à une bandoulière accrochée autour de son torse. Il la rapprocha de la gorge de l'artificier qui commençait à paniquer sérieusement. Il ne comprenait pas pourquoi il s'était rapproché de la plage sans prendre en compte le fait que des pirates pouvaient avoir survécu au naufrage de leur côté. D'ailleurs le nombre de cadavres qui flottaient sur la mer ou s'étaient retrouvés ballottés sur les plages était bien supérieur à celui de l'équipage du bâtiment marchand. Il se blâma intérieurement avant de lucidement constater que l'heure n'était pas à ça. Il devait composer avec les pirates pour sa survie, en croisant les doigts pour que ceux-ci soient étrangers à la rancune. Lentement, le capitaine appuya la lame contre le cou du jeune homme, d'où ne tardèrent pas à perler quelques gouttes de sang. Son rythme cardiaque s'intensifia mais il ne laissa pas échapper un nom, faisant passer pour courage ce qui était en fait une terreur qui le rendait muet. Puis, décrochant un sourire, le vieux pirate cessa toute forme de menace avant de se redresser et d'aviser l'un de ses subordonnés.

- Copa, tu le détaches et vous ramassez tout le bois qui va pouvoir nous servir.
- Bien capitaine.
- Et tu lui trouves un autre froc. J'ai pas envie qu'il sente la pisse pendant qu'on travaillera à retaper l'Espoir.
- Bien monsieur.


Dernière édition par William Burgh le Mer 18 Oct 2017 - 13:20, édité 2 fois
    Le forban s'était avancé vers l'otage sans hésiter, avant de saisir ses liens pour le traîner sur le sable. William avait essayé de se débattre et la corde n'avait pas tardé à se détendre, le libérant de son entrave. Il n'eut pas le temps de prendre ses jambes à son coup qu'un projectile fila vers lui. Par réflexe, il ouvrit les bras et attrapa le pantalon encore mouillé que lui avait lancé le pirate. Ce dernier se tenait-là, à quelques mètres de lui, à l'observer. Il avait sorti son pistolet de son étui de cuir et le gardait à la main, signalant à son prisonnier que malgré l'absence des cordes, il restait sous son emprise. L'artificier détailla le pirate. C'est un homme de grande taille, portant des cheveux bruns coupés à la militaire et un bandeau cachant l'un de ses yeux bleus. Il avait les traits durs et le regard sévère et ne portait que des sortes de haillons. Il désigna des débris épars et ouvrit son clapet pour donner ses ordres.

    - Tu vas me trier tout ces bouts de bois. On va avoir besoin de ceux qui ont été le moins abîmés par la mer. Et essayes pas de te faire la malle.
    - Je croyais que votre chef avait parlé d'un effort commun...
    - Moi je supervise et c'est déjà épuisant. Au boulot, et en silence.

    Soupirant, William se dirigea vers les résidus de carcasse du bâtiment échoué. Alors qu'il estimait rapidement l'état des pièces qui passaient sous son nez, il cherchait à trouver un plan pour échapper aux griffes de son surveillant. Il n'irait pas loin sur cette île déserte mais disparaître dans la végétation lui donnerait l'élément de surprise sur ses adversaires s'ils daignaient se lancer à sa poursuite. L'avantage du nombre s'effacerait mais pas celui de l'armement. L'artificier était nu comme un vers dans ce domaine, ce qui le bloquait d'ailleurs dans son entreprise d'escapade. Il savait d'ailleurs qu'il lui était impossible d'approcher les cadavres à la recherche d'un moyen de défense sans attirer l'attention de son geôlier. Il s'évertua donc à ramasser des bouts de bois et, quand l'occasion lui en était donnée, à fouiller rapidement les poches des malheureux qui s'étaient échoués près des pièces du navire.

    - Évite de t'approcher de trop près des cadavres, on va pas pouvoir s'en servir pour retaper le bateau. Et puis je vais finir par croire que tu cherches de quoi me neutraliser.

    Comme il s'en était douté, Copa était moins idiot que Legsby. Mais il était aussi plus conciliant et n'avait pas la moindre envie de tyranniser son prisonnier. Il suivait prudemment William du regard, maintenant une distance respectable avec lui pour éviter qu'il ne prenne la poudre d'escampette. Quelques heures passèrent avant que le pirate n'estime que la quantité de matériel soit suffisante pour rejoindre le navire à reconstruire. Le pirate noua une corde autour des mains de l'artificier et ils s'éloignèrent ainsi de la pile amassée pour traverser l'île. William comprit rapidement que les pirates avaient heurté les récifs plus légèrement que les civils. Ils avaient pu effectuer le tour de l'île avant d'échouer leur navire sur un banc de sable. Pourtant, quand il aperçut le bâtiment qui se dessina une fois au sommet de la butte qui constituait le point central de l'île, il eut du mal à imaginer comment cinq hommes seulement avaient pu manœuvrer une telle ruine. La mâture était totalement ruinée, de même que le flanc babord du bateau. Copa expliqua spontanément.

    - Quand nous avons heurté les récifs nous avons cherchés à nous dégager. Mais la poupe de votre navire s'est soulevée avant de s’affaisser sur le notre. Le bateau a perdu presque toute sa voilure et il a failli chavirer, jetant les nôtres à la mer. Seuls ceux qui étaient sur le château ont survécus. C'est à dire nous cinq.

    L'artilleur resta silencieux mais ne détacha pas son regard du navire qui s'offrait à sa vue. C'était pour ainsi sa première expérience de la violence des combats maritimes. Il repensa à tout les cadavres qu'il avait pu croiser dans la journée. Beaucoup d'entre eux n'avaient pas de blessures visibles, indiquant qu'ils étaient probablement morts noyés durant le naufrage. La mer ne faisait pas de cadeau aux malheureux qui chutaient du pont de leur navire. Ils étaient rarement dévoré par les créatures qui peuplaient les océans, même si cela pouvait arriver, mais les flots se chargeaient de les tuer à petit feu, en obstruant leur système respiratoire. Le jeune homme secoua la tête en imaginant l'horreur de se voir mourir en ayant aucune emprise sur la chose. Ils ne tardèrent pas à arriver au niveau du campement de fortune qu'avaient installé les quatre pirates durant l'après-midi. Des tentes avaient été dressées et un feu brûlait vivement, une broche installée au-dessus de lui avec une sorte de faisan qui avait eu le malheur de croiser la route des flibustiers.

    - On a presque failli ne pas vous attendre! Prenez place, prenez place!

    Le capitaine semblait d'une humeur enjouée tandis que William peinait à dénombrer le nombre de bouteilles de Rhum qu'avaient pu s'envoyer les joyeux lurons en leur absence. Alors qu'il s'avançait, il sentit les liens qui retenaient ses mains être coupées. La seconde d'après, une détonation vrillait son tympan droit et une main saisissait l'arrière de son col pour l'entraîner dans les fourrés qui se trouvaient non loin. La confusion régna dans tout les esprits alors que Copa avait ouvert le feu sur son capitaine avant de s'enfuir avec l'otage.
      Un cri de douleur couvrit la fuite des deux hommes tandis que les balles ne tardèrent pas à siffler. Legsby accompagné des deux autres sbires n'avaient pas tardé à se lancer à la poursuite des fugitifs. Complètement déconcerté, William regardait Copa avec des yeux écarquillés. L'attaque avait été soudaine, sortie de nulle part. Cela n'avait pas l'aspect d'une mutinerie et la fuite était tout aussi inexplicable. Après cinq minutes de course au travers des feuillages, les deux compères s'arrêtèrent et se plaquèrent contre une épaisse souche pour se reposer. Leurs poursuivants semblaient avoir rebroussé chemin pour revenir au campement. L'artilleur saisit son occasion.

      - Mais c'était quoi ça putain?!
      - J'étais grillé, ils ont dû foutre la main dessus dans l'épave pendant que je te surveillais.
      - Mis la main sur quoi? Ça te tuerais d'être un peu plus précis?
      - Mes informations de mission. Je viens de la Marine d'élite.
      - Ils recrutent chez les marioles? Parce que garder des papiers confidentiels autre part que sur soi, c'est l'apanage des abrutis mon pauvre!

      L'infiltré fusilla le jeune homme du regard, même s'il savait qu'il était dans le vrai. Il n'était qu'au début de sa carrière et s'il ne revenait pas avec des résultats concluants, il pouvait faire une croix sur un quelconque avenir au sein de l'institution. William soupira, dépassé par la tournure des événements. Il ne sentait pas une once de solidarité envers le soldat qui l'avait mis dans une position plus complexe que celle dans laquelle il se trouvait au préalable. Il se tourna vers son compagnon et reprit la conversation.

      - Bon, vous devez avoir un plan pour ce genre de situation.
      - Descendre le capitaine et prendre la fuite?
      - Donc ça c'était le plan? Vous êtes en train de me dire que vous avez rien de mieux à me proposer que de rester coincé sur l'île avec quatre barges à nos trousses et un cinquième blessé qui tardera pas à s'en remettre?

      Le militaire fit non de la tête. S'il avait eut un certain charisme quelques minutes plus tôt, tout s'était envolé devant son incompétence flagrante. William en venait même à se demander s'il ne se trouvait pas en compagnie d'un fou furieux pris d'accès de violence incontrôlables. Il réfléchit quelques instants avant de demander à son compagnon de sortir toutes les armes à leur disposition. Une fois le maigre butin étalé, ils durent aviser d'un plan. L'artilleur était incapable de montrer une quelconque aptitude au maniement d'un sabre et il était mauvais avec les armes à feu légères. Il regrettait amèrement de ne s'être pas baissé au moment de l'attaque. Il aurait au moins eut droit à une mort brève. Copa, qui commençait à se remettre de la panique qui l'avait envahi, prit la parole en tirant William de ses pensées.

      - Vous savez vous servir d'une arme?
      - Je suis forgeron-artilleur, alors j'ai des rudiments. Mais me demandez pas d'abattre une cible à sept-cent mètres...
      - Non ne vous inquiétez pas, j'ai peut-être un plan...
      - Partagez, avant qu'on fonce droit à la mort...

      Le soldat marqua un temps d'arrêt avant de se lancer dans sa proposition. Le jeune artilleur cacha son appréhension, ne voulant pas déstabiliser le peu de volonté qu'affichait son interlocuteur. Néanmoins, il se demandait comment la hiérarchie de la Marine avait pu décider d'envoyer un débutant comme Copa au combat. Faute de preuve, le jeune homme considérait l'alibi comme caduque et comptait bien surveiller son compagnon d'infortune jusqu'à ce que leur routes ne les séparent. Ou la mort.

      - Nous allons attendre la nuit noire avant de les attaquer dans leur sommeil. Avec mon mousquet et mon revolver, on devrait pouvoir les abattre avant qu'ils n'aient le temps de réagir.
      - Et qu'est-ce qu'on fait s'ils ont posté une sentinelle? Ou qu'ils sont restés éveillés, à scruter la forêt à attendre qu'on sorte des sous-bois pour nous plumer?
      - On les contourne?
      - C'est peut-être la première chose intelligent qui est sortie de votre bouche aujourd'hui. Mais ce serait long et risqué alors qu'on pourrait leur tendre un piège.

      Le soldat ne releva pas la pique qui lui avait été adressée, conscient du ridicule de sa situation. William observa une pause afin de fignoler son idée avant de l'exposer à son camarade d'infortune. Il commença lui aussi par une question.

      - Est-ce que vous seriez prêt à risquer un peu votre peau pour qu'on s'en sorte?
      - Je croyais qu'on optait pas pour les plans risqués?
      - A un contre deux, ils présentent tous des risques. Mais pas au même degré. Vous êtes un soldat de la Marine d'élite, pas vrai?
      - Je vous l'ai dit tout à l'heure...
      - Donc j'ose imaginer que vous êtes capable de foncer tête baissée vers l'ennemi avant de l'attirer dans une autre direction sans risquer grand chose?
      - C'est vraiment du risque minimal, en effet...
      - Hey, j'ai pas fait le BAN moi... Et à voir vos plans, j'en viens à douter que vous y aillez foutu les pieds vous aussi!
      - Bah alors les débiles, on gueule à tout va pendant que des ennemis vous recherchent?
      - Putain de mer...

      Copa n'eut pas le temps d'achever sa phrase que Legsby s'était jeté sur lui, sabre dehors pour l'éventrer. William se recula vivement en attrapant le mousquet qui traînait à leur pieds avant d'armer le chien et de presser la détente. Le coup de feu résonna alors que la balle traversait superficiellement l'épaule du pirate qui venait de frapper le marin de sa lame, droit dans le buste. Il se détourna furieux du blessé pour se concentrer sur l'artilleur qui glissa sur la mousse humide en tentant de se relever. Le pirate sauta sur lui.

        William para le coup de sabre avec le mousquet. Toute la partie supérieure de son corps vibra sous l'impact lourd de la frappe du forban trapu. Il n'avait jamais combattu dans un combat pour sa survie. La plupart des rixes dans lesquelles ils s'étaient retrouvées débouchaient pour les plus violentes sur des côtes cassées ou d'autres os fracturées. Mais Legsby cherchait actuellement à l'étriper, et cela mettait l'artificier dans une état de panique intense. Il se contenta de bloquer les coups acharnés de son adversaire avec le fusil qui montrait des signes de faiblesse à mesure que les chocs s'accumulaient. Bloqué contre un tronc d'arbre, le jeune homme ne pouvait reculer et s'il avait tenté de s'échapper en roulant sur le côté, le sabre n'aurait pas tardé à le faucher. D'un élan audacieux, il se décida à sauter à la ceinture de son adversaire alors que celui-ci remontait son arme au dessus de sa tête pour finalement briser l'arme à feu. Pris de court, plaqué au sol, Legsby ne put opposer de résistance à cette riposte inattendue. Les deux hommes roulèrent le long de la faible pente qui bordaient la souche et s'arrêtèrent contre un arbre qu'heurta le pirate avec son dos. William dégagea le sabre d'un coup de pied et dressa ses poings dans une garde maladroite. Le flibustier ne tarda pas à se relever, fixant le jeune homme d'un regard plein de hargne et d'envie meurtrière.

        - Crois-moi gamin, t'aurais pas dû me faire ça...

        Il se rua sur l'artificier qui recula par instinct. Legsby projeta son épaule dans l'abdomen du jeune homme qui encaissa durement le coup, à deux doigts de cracher ses poumons sur le sol alors que son souffle se retrouvait coupé. Le pirate ne tarda pas à enchaîner les coups qui brisèrent rapidement la garde affaiblie de son adversaire. Rossé, William tenta de réagir en essayant de faucher les jambes de son ennemi d'un puissant coup de pied. Au lieu de quoi le forban se recula et tira un couteau de son ceinturon. Sonné, William se laissa choir contre le tronc d'un arbre, ne lâchant pas Legsby du regard. Il n'avait pas beaucoup de chances de remporter ce combat mais il ne pouvait pas non plus se permettre de le perdre. Non pas qu'il rêvait de gloire et de fortune promises qui l'empêchait de mourir tué par un pirate puant. Il avait la subsistance d'une famille qui dépendait entièrement de son intégration de la Marine. S'il venait à mourir en cet endroit, ou n'importe où d'ailleurs, ses parents ne tiendraient pas longtemps entre l'absence de revenu et le deuil de leur fils à porter.

        - Putain, je vais t'en mettre plein la gueule!

        Lançant un cri de charge, le jeune homme s'élança droit vers le flibustier qui haussa un sourcil devant le clair manque d’auto-conservation de son adversaire. Il lança un coup vif en direction de ses côtes avant d'écarquiller les yeux en voyant la lame traverse l'avant-bras dressé sur la trajectoire. Il n'avisa ainsi pas le coup de poing qui lui décrocha deux molaires. Il recula et lâcha son canif pour porter ses mains à son visage. William en profita pour lancer un coup de pied en chassé pour expulser le pirate, qui se saisît de cette occasion pour faire chuter le jeune homme. Ce dernier agrippa à son adversaire, l'entraînant au sol avec lui. Très vite, la lutte se déporta au sol. Legsby avait réussi à se placer au dessus de sa proie, lui lattant le visage à l'aide de ses poings. Le jeune homme plaça ses bras, en vain, devant sa tête pour se protéger et ferma les yeux alors que les coups pleuvaient. Il sentit l'inconscience qui se rapprochait quand un coup de feu interrompit le déluge. Le pirate avait détourné son regard pour voir d'où provenait la balle qui l'avait manquée. William arracha la lame qui traversait son avant-bras et la planta dans le cou du pirate qui se retourna à nouveau avec un regard plein d'une terreur peu imaginable. Le sang éclaboussa le jeune homme qui retira la lame avant de la planter à plusieurs reprises dans le buste du criminel. Il ne fallu pas longtemps pour que la vie ne s'échappe du forban, qui s'effondra sur l'artificier.

        Tu.. t'en es sorti?

        William était bien incapable de répondre, assommé par l'assaut du cadavre qui le bloquait à présent. Il leva faiblement sa main et l'agita mollement pour signaler qu'il avait lui aussi survécu. Il lui fallut quelques minutes pour être capable de bouger la carcasse qui le recouvrait. Quand il en fut capable, le traumatisme qui faisait suite au meurtre qu'il avait commis le frappa. Il s'appuya rapidement à un arbre et rendit tout la bile qui habitait son estomac. Essoufflé, il s'approcha du soldat blessé qui avait bloqué la blessure qui barrait son torse. Le coup de feu avait empêché le forban d'infliger une blessure profonde à Copa, mais il aurait du mal à se déplacer dans cet état. L'artilleur se laissa tomber à côté de lui, pris de mutisme.

        - Ça fait toujours ça au début. Après on finit par s'habituer...
        - J'ai pas l'intention d'en faire ma routine.

        Ils ne tardèrent pas à s'endormir, épuisés par l'assaut soudain de Legsby. Mais quelques heures plus tard, une épaisse pluie les réveilla et les maintint dans un état second provoqué par la fatigue qui s'accumulait. Ils décidèrent de changer d'endroit, persuadés que les pirates ne tarderaient pas à chercher à rallier celui qu'ils avaient envoyé discrètement s'occuper de la besogne. Ils marchèrent lentement, essayant de se faire discret dans le bois qui n'était pas si étendu qu'ils avaient pu l'imaginer. Ils décidèrent de rejoindre la butte centrale, d'où ils auraient un bon aperçu de la situation. Ils entreprirent ainsi l'ascension.

          Le versant de la butte qu'ils devaient gravir se trouver à découvert, aussi décidèrent-ils d'avancer baissés, à une cadence plutôt lente. Il ne leur fallut pas longtemps pour remarquer que le nombre des pirates avait considérablement augmenté depuis la veille. Une quinzaine de forbans se trouvaient maintenant auprès du campement, fait que les deux compères se trouvaient bien incapables d'expliquer. William suggéra qu'une partie des flibustiers avaient dû s'échouer dans la partie occidentale de l'île et n'avaient pu rallier leur capitaine qu'après un certain temps. Cela pouvait aussi signifier que des membres de son propre équipage avait pu en réchapper, mais le doute planait lourdement sur cette espérance. Le moral des deux hommes chuta considérablement en voyant les effectifs de leurs adversaires si fortement gonflés. Ils auraient pu avoir l'avantage contre deux combattants et un blessé, mais il leur semblait illusoire de tenter quoi que ce soit contre le groupe qui s'était amassé là. Copa partagea ses craintes à voix haute.

          - Je veux pas être pessimiste, mais on est pas capable de tous se les faire là...
          - Tu crois? J'y aurais jamais pensé...

          Le manque de réflexion de son compagnon agaçait William de plus en plus fortement. Il se demandait si c'était seulement de la stupidité, auquel cas elle le poussait à émettre des doutes plus que sérieux sur le statut militaire de l'homme. La Marine d'élite était formé au BAN, qui se chargeait de filtrer les minables incapable de connecter deux neurones pour s'épargner des troupes de soldats incapables d'improviser sur le terrain. L'artificier se demandait comment celui-là avait réussi à passer les filtres ultra-sélectifs. La réponse la plus simple étant qu'il ne les avait jamais affronté. Mais il fallait alors se demander pourquoi il faisait parti de l'équipage pirate, et surtout ce qui avait bien pu le pousser à le trahir si soudainement. S'il devait entreprendre une action contre les forbans, et qu'il y survivait, il se devait de récupérer le document que tenait le capitaine pirate entre ses mains. Avant cela, il allait sonder son compagnon de manière subtile, pour le pousser à l'erreur.

          - Va falloir songer à un échappatoire. Puisque tu étais en infiltration, tu avais bien un moyen de contacter tes collègues non?
          - Bah oui mais c'est resté dans le bateau...
          - Comment tu peux laisser traîner des affaires comme ça hors de ta portée?

          Une fois de plus, il n'y eut rien d'autre que le silence pour suivre la question de William, qui soupira avant de réfléchir à un plan d'action. Ils ne disposaient plus que d'un pistolet avec une demi-douzaine de balles et d'un sabre, pour faire face à sept fois leur nombre. Ils n'avaient pas pris la peine de fouiller le cadavre de Legsby et l'artificier s'en mordait maintenant les doigts, alors qu'ils avaient aperçu des pirates pénétrer dans la forêt armés jusqu'aux dents. Ils ne purent les suivre du regard dans les feuillages trop épais. Coincés par la situation, ils ne trouvaient pas de solution concrète. La seule idée qui venait au jeune homme, c'était de construire un radeau de fortune et de mettre le camp au plus vite. L'autre alternative résidait dans des pièges, mais cela nécessitait du temps et des ressources complexes à trouver. Les pirates ne tarderaient pas à les dénicher et ils dérouilleraient à moins d'être préparés à les recevoir.

          - On a deux solutions maintenant: soit on leur tend un piège efficace, tout se déroule sans accroc et on survit; soit on construit un radeau et on prends la tangente au plus vite...
          - Les deux vont nous prendre du temps... Ils vont nous mettre la main dessus avant ça.
          - Alors autant ne pas traîner.

          Sans lui laisser le temps de protester, William s'enfonça dans la forêt en direction de l'ouest, partie de l'île qu'ils n'avaient pas encore visitée. Il comptait pousser aussi loin qu'il le pourrait dans la forêt de ce côté-ci, avant de fortifier une position qu'ils défendraient jusqu'à la fin. Ils étaient au bord du gouffre, il ne pouvait plus que combattre ou mourir. Ou les deux à la fois. Déterminé à survivre, l'artificier réfléchissait à toutes les configurations qu'il pourrait mettre en place pour éliminer une quinzaine d'assaillants. Il pensa aux trous remplis de piques mais c'était illusoire de penser construire un modèle efficace de ce genre de dispositifs en quelques heures seulement. Ils pouvaient bien essayer de tendre des fils en travers du chemin mais cela n'aurait pour autre effet que de ralentir la progression d'un assaut et empêcher toute charge, qui était déjà un mouvement complexe à orchestrer en forêt. Aussi, il dut se rabattre sur la construction d'abris défensifs pour parer au surnombre. Il faudrait ensuite s'assurer de guider les attaquants dans la bonne direction, afin de les amener à attaquer frontalement une position fermement défendue. Alors qu'ils approchaient de l'orée de la forêt, le jeune homme s'arrêta et avisa son compagnon. Ils se trouvaient dans un espèce de creux dans la terre, qui s'enfonçait sous un promontoire qui se créait ainsi. Ce serait facile de disposer des planches ramassées sur les plages pour le protéger des balles. Les deux hommes s'empressèrent d'aller en récupérer. Ils ramassèrent un ou deux mousquet donc la poudre avait été mouillées, et les munitions qui les accompagnaient. Avec un peu de chance ils se montreraient fonctionnels.

          - Maintenant, on se construit un abri et on les avertit de notre présence.
          - Comment est-ce qu'on va procéder pour ça?
          - T'inquiètes pas pour ça, ils trouveront facilement le chemin jusqu'à nous...

            Crâne était en train de vider sa vessie, imbibée d'alcool au delà de tout les seuils recommandés, quand il eut la merveilleuse idée de lever la tête. Malgré les litres de rhum ingérés, il remarqua l'étrange lueur rouge qui se dégageait d'au-dessus des arbres, à l'ouest de l'île. Il se détourna de sa noble activité de vidange pour rejoindre ses compagnons, qui s'étaient attroupés non loin pour observer le phénomène. La collusion de tout ces esprits confus donna lieu à des hypothèses fascinantes, comme celle d'esprits du rhum venus de l'occident fêter avec eux, mais rapidement la fumée qui se rabattait vers eux leur fit comprendre qu'il s'agissait d'un incendie. Le capitaine, couché près du feu du fait de sa blessure, observait la lueur avec une once de satisfaction. Ceux qui lui avaient infligés ça signalaient leur position en essayant d'attirer des navires au loin. Il se racla la gorge.

            - Les enfants, c'est l'heure de leur montrer ce qu'on vaut... Ramenez-les moi vivants!

            Cris et rires fusèrent alors que les forbans s'engouffraient dans les sous-bois. Crâne fut l'un des premiers à entrer parmi les arbres, usant de sa carrure cyclopéenne pour frayer un chemin à ses camarades à l'aide de son sabre. Ils avançaient néanmoins péniblement, la végétation se révélant beaucoup plus épaisse de ce côté-là de l'île. L'obscurité n'arrangeait rien et plusieurs chutèrent lourdement en trébuchant sur des branches tombées au sol. Ils n'allumèrent pas de torches, soucieux de garder l'effet de surprise à leur avantage. Après quelques dizaines de minutes de marche, alors qu'ils approchaient de la lisière occidentale, ils arrivèrent près d'un terrain à la configuration spéciale. C'était une sorte de cuve, où le terrain s'affaissait, créant ainsi un promontoire auquel on pouvait accéder par deux fines bandes de terre. Les flibustiers se divisèrent spontanément en deux files et commencèrent à avancer. Crâne, qui était passé devant sur la rampe de gauche, ne pouvait s'empêcher de fixer l'affaissement que la lumière n'atteignait pas.

            - J'ai un mauvais sentiment là...

            Comme pour ponctuer ses mots, deux détonations retentirent et deux flibustiers s'effondrèrent. Ceux d'entre les survivants qui possédaient des mousquets les braquèrent tandis que ceux qui avaient uniquement des sabres se mirent à l'abri. Le colosse n'eut pas à chercher bien longtemps d'où provenaient les tirs. Il désigna à la demi-douzaine de tireurs dont ils disposaient le creux qui fut criblé d'une volée dans la seconde. Pourtant, quelques instants après, deux balles venaient à nouveau faucher deux d'entre eux. Conscient que l'échange pourrait durer longtemps, le pirate ramassa le fusil d'un de ses camarades et se coucha, attendant d'apercevoir les légères flammes que crachaient toujours les fusils au moment de la mise à feu. Il était loin d'être un tireur précis mais les bruits de bois qu'il avait pu entendre quand ses compagnons avait riposté lui avait fait comprendre que leurs adversaires étaient tapis derrière une protection. La lumière brilla quelques instants et il pressa la détente. La balle s'envola et arracha un cri à l'un des deux hommes.

            - Bordel!

            William se tenait l'épaule, d'où avait giclé une gerbe de sang quand le projectile de plomb s'y était logé. Il essaya de toucher la blessure mais elle était trop douloureuse pour qu'il s'y résolve. Il rechargea bon gré mal gré son fusil et l'appuya contre l'ouverture dans leur abri de fortune pour aider sa visée. Il réussit à toucher l'un des trois derniers tireurs à la jambe, portant le nombre d'ennemis capables de combattre à huit. Ils avaient fait la moitié du boulot. Il allait s'accroupir quand une balle éclata le bois juste à côté de sa tête. Il se laissa tomber en arrière et recula vivement contre la paroi du promontoire. Copa, de son côté, continua de tirer sans jeter un regard en arrière vers son camarade. Alors qu'il attendait la salve adverse, rien ne vint. Le silence avait de nouveau pris place.

            - C'est beaucoup trop calme...
            - Je te le fais pas dire...

            Sur sept tirs, William avait réussi à toucher trois adversaires. Il en avait le ventre noué, même si l'utilisation d'une arme réduisait l'impact psychologique que pouvait provoquer le meurtre d'un autre humain. Comme avait pu le lui dire le soldat l'avant-veille, on s'y faisait. Ils tendirent l'oreille, à l’affût du moindre bruit. Un coup de hache sur ce qui servait de toit à leur abri leur indiqua que l'assaut avait repris.

            - Foutez moi cet abri en pièces!

            Crâne se trouvait sur le promontoire, hors de portée des fusils des deux compères. Il supervisait la destruction de la construction sommaire, accompagné des sept hommes qui restaient. La colère était en train de bouillir leur sang, alors qu'ils avaient encore perdu sept de leur camarades. Alors que les forbans frappaient à s'en vriller les bras, deux coups de feu vinrent faucher l'un d'eux en traversant la planche qu'il s'efforçait de détruire. Les autres poussèrent un cri de rage et redoublèrent d'effort. Mais dans le noir, certains ne voyaient pas qu'ils coupaient l'herbe sous le pied de leurs compagnons. Des planches cédèrent et trois d'entre eux s'effondrèrent avec elles. Devant le spectacle, leur chef improvisé ne put s'empêcher de pousser sa gueulante.

            - Vous essayez de leur faciliter la tâche?! Rentrez là-dedans et chopez-les!!!

            Ils ne se le firent pas redire et sautèrent à leur tour dans le trou. En bas, William et Copa avait récupéré les sabres de ceux qui s'étaient effondrés en même temps que le toit. Ils étaient bien incapables de bouger, s'étant tous cassé quelque chose dans la chute. Trois pirates émergèrent et une mêlée s'engagea. Le militaire rétablit l'équilibre presque immédiatement, plantant l'estoc de sa lame dans le torse d'un des pirates. Les deux autres se ruèrent sur l'artificier qui para les coups tant bien que mal. Limité par sa blessure, Copa ne put que difficilement venir en aide à son compagnon en détournant l'attention d'un des ennemis. Profitant de la légère inattention que son adversaire avait montré, William envoya sa tête dans un coup bien senti contre son nez. Le pirate recula et écarta sa lame, laissant une ouverture au jeune homme pour frapper. Alors qu'ils venaient à bout de leurs adversaires, Crâne se montra enfin.
              Les deux compagnons comprirent rapidement qu'ils ne pouvaient rivaliser contre leur dernier adversaire. Il les dominait de deux têtes et ne semblait pas fatigué pour un sou. De leur côté, ils avaient tout deux été blessés pendant la bataille et ils étaient au bord de l'épuisement. Ils auraient pu abandonner, mais ils en décidèrent autrement. Copa poussa la porte qu'ils avaient sommairement aménagée et ils disparurent dans la végétation, au pas de course. William ramassa un mousquet et s'écarta rapidement de son camarade d'infortune. Malheureusement pour lui, le colosse l'avait choisi comme première proie. Le jeune homme continua de courir jusqu'à ce que ses poumons se retrouvent au bord de l'explosion. Le simple fait de respirer lui faisait ressentir comme des milliers d'entailles dans la gorge et son cœur ne s'était jamais autant emballé. Il se retourna juste au moment où Crâne arrivait sur lui. Il tira un coup de feu qui passa le pirate sans le toucher. Enragé par cet ultime affront, ce dernier envoya valser l'artificier d'un revers de la main bien senti. Le jeune homme s'effondra, pratiquement incapable de se relever. Le forban sortit alors son sabre et le leva. Il s'abattit dans un lourd fracas, encore tenu par l'avant-bras fraîchement découpé. Copa se tenait là, son sabre ébréché recouvert de sang poisseux, un sourire affiché sur le visage. Un coup de poing effaça son expression. Le colosse était porté par l’adrénaline que sa blessure avait permis à son cerveau de sécréter. Fou de rage, il se jeta sur le militaire sans prêter garde à William qui était devenu secondaire. Il n'avait plus en tête la demande de son capitaine d'avoir ses ennemis vivant. Il ne lui importait que de venger ses camarades et son bras. Il ne prêta ainsi pas attention au jeune artilleur qui, lentement, se rapprocha de lui par son dos. Il ajusta son fusil et le rechargea du plus vite qu'il put, avant de viser le dos du pachyderme. La détonation lui assourdit les oreilles alors que le canon de son arme, abîmé, volait en éclat en projetant miraculeusement la balle droit vers sa cible. Le bras levé du pirate s'interrompit et retomba ballant. William se releva et le contourna, avant d'extirper le soldat mal en point de sous le colosse. C'est là qu'il remarqua que Crâne n'était pas mort. Il pleurait, incapable de bouger un quelconque membre, destiné à mourir dans la boue. L'artificier se figea devant le spectacle, incapable de finir ce qu'il avait commencé. Il s'éloigna, laissant le bougre à son sort, chouinant à son tour.

              - Merci... de m'avoir tiré de là...
              - Tais-toi, je veux pas en parler.

              William soutenait son compagnon sur son épaule, l'aidant à retracer les pas des pirates jusqu'à leur campement. Le jeune homme était comme mort. Il l'avait semé dans les rangs ennemis pour la première fois de sa vie et la nausée lui tenait le ventre. Il avait toujours eu une image dorée des batailles, où la noblesse d'un courage aveugle prenait l'ascendant. La puanteur du sang, la chaleur des cadavres et la froideur du sol, la peur qui vous tenait en tout instant, c'était la réalité. Il s'en rendait maintenant compte, il se demandait comment il avait pu espérer autre chose. Mais sa décision de rejoindre la Marine n'en était pas changée pour autant. Il avait besoin de revenus, et il savait que seule l'institution pouvait lui en fournir avec certitude, sans qu'il ait autre chose à faire que de suivre les ordres. Ils marchèrent longuement et le soleil avait percé l'horizon quand ils arrivèrent aux abords de la plage. Le jeune artilleur déposa Copa contre un arbre et raffermit sa prise sur son mousquet, le rechargeant avant de saillir des bois. Il n'avait repéré aucun forban mais il préférait avoir la certitude de ne pas courir droit vers sa mort avant de s'engager. Il marcha le long de la forêt pour couvrir plusieurs angles de vue, toujours au couvert des arbres. Puis il sortit enfin et se dirigea toujours avec prudence vers les abris improvisés qu'avaient monté les pirates avant de mener leur expédition suicidaire dans la forêt. Il arriva au niveau d'une tente et ralentit, avant d'ouvrir brusquement le rideau qui le séparait de l'intérieur. Le capitaine se trouvait là, gisant dans son sang après s'être fait sauter la cervelle. La puanteur envahit les narines de l'artificier qui se détourna rapidement, avant de se rappeler du document sur l'identité de son camarade. Il fouilla un peu et finit par mettre la main dessus en fouillant la redingote du chef pirate. C'était une simple feuille, sur laquelle on pouvait lire ces mots:

              "Ma chère,

              Cela fait maintenant quinze semaines que j'ai intégré l'équipage qui a abordé le navire de mon père et le capitaine semble me faire confiance. Il ne se doute pas de notre correspondance régulière. Nous sommes entrés hier dans une zone de brouillard, à la recherche de navires à surprendre. J'écris cette lettre en espérant pouvoir vous la faire parvenir au plus vite. Legsby exaspère de plus en plus le chef à mesure que celui-ci m'accorde de l'importance. Je serai certainement promu second s'il lui arrive un malencontreux accident durant notre prochain abordage. De là, il ne me restera plus qu'à me débarrasser du capitaine et nous aurons deux navires à notre disposition pour semer la pagaille sur les mers!

              Très respectueusement,
              Votre aimé,
              Davinar Copa"


              - Il fallait que tu fouines, hein?

              Le forban n'attendit pas que William ne réagisse pour lui envoyer un coup de crosse en travers du visage. A son réveil, il était accroché à la cabane ou Copa l'avait trouvé, tandis que celui-ci se servait allègrement dans les mets qui avaient étaient descendus du navire par leurs victimes de la veille.

              - On est réveillé à ce que je vois!

              Sans être dans une forme olympique, il ne semblait pas plus dérangé que cela par les blessures qui lui avaient été infligées. Il souriait bêtement, narguant son ancien compagnon qu'il avait ligoté lui même. William s'en voulut de n'avoir pas été plus prudent.

              - La marine d'élite, c'est ça?