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La croisière s'amuse

Ce furent quelques gouttes d'eau qui filtraient à travers le plancher mal rapiécé qui réveillèrent le jeune William. Il releva la tête avant d'observer les alentours. Il se trouvait dans une espèce de cabine, sur un lit appuyé à la paroi de droite. Une seconde couche se trouvait contre l'autre mur, mais personne ne semblait l'occuper. Deux chevets et un coffre de bois se trouvaient auprès des paillasses, l'un près de l'oreiller et l'autre aux pieds. Le mobilier de fortune donna à comprendre à l'artificier qu'il avait été récupéré par un navire mal pauvrement affrété. Il se donna une claque avant de remarquer l'absence du pirate à ses côtés. Il ne prit pas la peine de réfléchir à une autre éventualité qu'à celle qu'il espérait. Il se leva rapidement et ouvrit la porte pour être doucement repoussé d'une main par le flibustier qui entrait. Non, les hommes d'équipage n'avaient visiblement pas pris la peine de se pencher sur les événements qui avaient eu lieu sur l'île. Davinar s'assit sur sa couche tandis que William en faisait de même.

- Où est-ce que tu allais comme ça, tout heureux? Je te connais plus morose d'habitude...
- Tu es toujours aussi sarcastique toi, par contre.
- C'est toujours agréable comme attitude, tu ne trouves pas?

Il tenait entre ses mains une tasse de café qui fumait abondamment. L'artilleur ne pouvait nier qu'il aurait avalé n'importe quoi à ce moment-là, que ce soit solide ou liquide. Il se leva et s'approcha du mince hublot qui avait échappé à son inspection. La mer était calme malgré la grisaille qui couvrait le ciel. C'était un temps presque plaisant pour la navigation. Le pirate reprit la discussion devant l'absence de réponse.

- Bien évidement, tu vas tenir ta langue. Si tu parles, je rendrai ton séjour avec moi pire encore.
- Je me tairais.

Le flibustier leva un sourcil, interloqué par tant de docilité. Il appréciait le tempérament de tête brûlée de son prisonnier, et voilà qu'il décidait de se rendre bien sagement. Dans l'esprit du pirate, cela ne pouvait que dissimuler une machination désespérée. Plutôt pris au dépourvu, il reprit néanmoins.

- On dirait que tu réfléchis parfois... Ou tu me caches quelque chose?
- L'envie de vivre? C'est même toi qui a dis que je n'avais pas le cran de me laisser abattre.
- C'est pas faux... En tout cas tu vas adorer nos sauveteurs! Le capitaine Douglas a des goûts exquis pour tout ce qui concerne le café...
- Magnifique.

William s'allongea de nouveau sur sa paillasse, plaçant ses mains derrière sa nuque en écartant les coudes. Bien entendu le jeune homme n'avait pas renoncé à se débarrasser du forban. Seulement il lui fallait agir avec sagesse, le pousser à trahir sa véritable identité devant des témoins pour rendre sa capture légitime. L'artilleur savait très bien qu'il n'avait pas la légitimité d'appréhender un individu. Seules les forces du gouvernement ou les chasseurs de primes en avaient, naturellement, le droit. Aussi fallait-il agir avec ruse pour mener Copa droit dans un piège. Au bout d'un certain moment, la porte s'ouvrit et un homme âgé, d'une taille plutôt modeste, entra pour les rejoindre. Il portait une vieille tenue que l'air marin avait détérioré. Ses boutons de manchettes étaient partiellement rouillés et son chapeau était visiblement rapiécé. Il arborait un large sourire qui étendait les rides de vieillesse qui parcouraient son visage. Sans qu'il ait besoin de parler, Ichabold Manro dégageait une forte aura de sympathie. Il fit un rapide mouvement de salut à Davinar et se tourna aussitôt vers l'artificier qui s'était assis sur la couche.

- Vous voilà donc réveillé! Je suis le capitaine Manro, c'est moi qui dirige ce fier thonier qu'est Le Goulu! On s'inquiétait pour vous à bord... Vous étiez dans un sale état quand on vous a récupéré sur la plage, faut dire... Mais vous avez l'air d'aller mieux!

William essaya de balbutier une réponse à chaque fois que le marin terminait une de ses phrases mais il enchaînait immédiatement sur une autre. Quand il eut terminé, il se contenta de saluer poliment son hôte, sous le regard attentif du pirate qui ne manquait pas un geste de son prisonnier. Ichabold se tourna d'ailleurs vers lui.

- D’ailleurs, l’un d’entre vous aurait-il l’amabilité de venir nous donner un coup de main quand nous remonterons nos filets ? On a un de nos gars qu’est bien malade et on a besoin de tous les bras sur un navire de ce genre, vous savez…
- J’ai bien peur que…
- Nous n’ayons d’autre choix que de vous assister. Vous nous avez sauvé la mise, vous donner un peu d’aide n’est que la moindre des choses…
- C’est fort aimable, messieurs…
- Burgh et Copa.

Le capitaine s’en alla avec le sourire après avoir tiré sa révérence. William dissimula son contentement devant la mine pleine d’amertume de son geôlier. Ce dernier ne fit pas de commentaires, de peur que ses mots traversent la porte jusqu’aux oreilles du vieil homme. Mais il avait parfaitement compris qu’un duel de ruse venait de s’engager entre lui et la recrue qu’il comptait bien ajouter à ses rangs.
    Les marins vinrent tirer les deux rescapés de leur lit quelques heures avant le lever du soleil. C’était le moment le plus propice pour remonter ses filets en évitant les attaques de navires pirates. Ils enfilèrent des vestes épaisses qui ne remplissaient qu’à moitié leur rôle. Malgré la courte nuit dont il avait bénéficié, William était parfaitement éveillé. Il savait que Copa ne pourrait pas le surveiller aussi attentivement sans attirer la suspicion de l’équipage. Il comptait d’ailleurs sur la curiosité des hommes de bord quant aux évènements de la plage. Ils les avaient récupérés au milieu d’un véritable charnier et ça devait encore occuper leurs discussions. D’autant qu’ils n’avaient pas vraiment eu de contacts avec les principaux intéressés. Le jeune artilleur comptait bien se montrer ouvert et s’attacher la sympathie des pêcheurs, au détriment du pirate qui ne pourrait réagir sans se trahir. De grosses lampes à huile furent allumées et placées dans des cages métalliques contre le bastingage pour éviter que les mouvements du navire ne les emmènent à se briser contre la coque. Puis le navire s’immobilisa progressivement et le jeune homme remarqua quelques points qui luisaient à des lieux à la ronde. D’autres navires semblaient avoir adopté la même démarche qu’eux. Le capitaine ne tarda pas à faire son apparition, plein d’entrain comme à son habitude.

    - Allez les garçons, vous connaissez la procédure ! Broam, tu vas prendre monsieur Burgh sous ton aile pendant que je m’entretiendrai avec monsieur Copa.
    - Bien monsieur !

    Caché par la lumière qui émanait dans son dos, William offrit un grand sourire au forban qui s’éloignait, maintenant sans contrôle sur la situation. Il se tourna rapidement vers le gaillard qui s’approchait de lui, une épaisse corde entre ses mains. Il avisa l’artilleur avant de parler.

    - T’as pas l’air si frêle que ça alors tu vas t’occuper de m’assister pour la tirée…
    - D’accord, chef.
    - Pas de ça entre nous. Appelle-moi par mon prénom et je ferais pareil avec toi.

    Il avait dit ça avec une cordialité défiant tout entendement. Il n’était pas le genre de personne à se prendre la tête avec les formalités. Broam était le genre de personne qui privilégiait l’efficacité aux conventions. Si quelque chose pouvait être fait bien et rapidement, pourquoi devait-on prendre des détours qui n’ajoutaient rien au résultat ? Il appliquait cette philosophie dans tous les domaines de l’existence. Il se positionna soudainement, cramponnant ses mains calleuses avec fermetés autour du chanvre tressé. L’artificier l’imita.

    - On va tirer et tous les thons qui sont à l’intérieur vont chercher à sortir par l’autre côté du filet. Va falloir se cramponner pendant que nos autres gars remonteront les cordes qui sont fixées sous le filet.

    Une tension extrême raidit la corde au moment où le marin finissait sa phrase. William se sentit partir vers l’avant pendant quelques instants mais il ancra solidement ses pieds sur le plancher et tira de toutes ses forces dans l’autres sens. Il en profita pour observer les hommes d’équipages qui s’occupaient de tirer les fameuses cordes qui permettaient de remonter le filet. Ils étaient à six sur chaque lien et s’efforçaient de le faire remonter, centimètre par centimètre. Au bout de quelques minutes, Broam ordonna à son équipier de circonstance de reculer en tirant. Ils s’exécutèrent dans cette manœuvre qui empêchait aux poissons de s’échapper par le haut du filet. Quand enfin le bas de la prise s’échappait de l’eau, ils s’immobilisèrent pendant que quatre autres pêcheurs tiraient sur des cordes annexes qui venaient resserrer l’étau autour des proies. Le panier fut remonté à bord au prix d’autres efforts et l’artificier se laissa tomber, épuisé, contre l’un des mats. Broam s’approcha de lui et lui frappa sur l’épaule avant de se diriger vers la seconde bordée du navire, un grand sourire sur son visage. Ils reprirent leur besogne.

    - Au fait, il se passait quoi sur le caillou où on vous a trouvé ? Enfin si je peux demander…

    William sentit un énorme soulagement qui lui fit presque oublier la nécessité de maintenir la corde. Il se racla la gorge et jeta un coup d’œil appuyé en direction de la cabine du capitaine. Puis il répondit finalement après avoir remarqué que tous les hommes présents étaient aussi avides de réponse que Broam.

    - J’étais à bord d’un navire de commerce qui revenait de Tequila Wolf… J’étais allé rendre visite à quelqu’un là-bas et je rentrais quand un navire pirate nous a attaqués, en plein brouillard. On s’est échoué sur la plage tout comme les pirates… qui ont commencé à s’entretuer pour les vivres alors que tout espoir de départ leur était impossible…
    - Simple curiosité, vous avez fait comment pour vous en sortir ?
    - Les pirates nous tenaient mais on a filé à la première occasion. On s’est cachés dans la forêt jusqu’à ce qu’ils aient fini de régler leurs comptes. Seulement j’étais loin de penser que les ennuis allaient continuer…

    Les pêcheurs étaient tous suspendus aux lèvres du jeune homme qui se réjouissait intérieurement de sa situation. Il allait pouvoir tous les retourner contre Davinar et il n’aurait aucun moyen de se défendre contre les accusations qui seraient portées à son encontre. Ses seules options seraient de se rendre ou de sauter par-dessus mer dans l’eau glaciale de ce début d’hiver. Deux beaux choix en perspective. Broam demanda de quels ennuis parlait son interlocuteur. Celui-ci appuya de nouveau son regard dans la direction supposée où se trouvait le flibustier et les marins en firent de même. Puis il annonça gravement, sobrement :

    - Davinar Copa est celui qui m’a mis dans cet état, c’est un pirate plus redoutable que ceux que vous avez vu gisant sur la plage. Et il est avec votre capitaine en ce moment.

    Ce fut comme un électrochoc. Le filet ne fut jamais remonté et retomba à la mer, libérant les poissons du destin mortel qui les attendaient. Ils filèrent à travers les vagues alors que les hommes du Goulu parcouraient quatre à quatre la distance qui les séparaient de la cabine du capitaine. Les thons s’engouffrèrent dans un courant qui les emmèneraient loin de la zone de pêche quand Copa ouvrit la porte d’un coup de pied, Manro sous son bras avec un pistolet collé à la tempe.

    - Vous allez m’écouter bien sagement maintenant…
      Les pêcheurs cessèrent tout mouvement et William les imita. Il n’avait aucune idée de ce qui avait pu se passer à l’intérieur de cette cabine pendant l’heure qui avait passé. Et Davinar avait joué la meilleure carte en sa possession. La colère se lisait visiblement dans le regard de Broam, qui ne supportait pas de voir son capitaine ainsi traité. Personne n’osa parler, toutes les bouches restèrent muettes. Le forban appréciait visiblement le contrôle qu’il exerçait sur son assemblée. Il chercha l’artilleur du regard et lui offrit un sourire plein d’une violente moquerie quand il l’eut trouvé. Puis il se lança dans un de ces monologues qui semblaient le caractériser.

      - On dirait que le jeune William n’a pas tardé à vendre la mèche. C’est regrettable… Dire que je lui avais promis une place au sein de mon équipage, une place de choix qui plus est. Il n’aurait astiqué le pont que pendant trois années. Après il aurait eu le droit de s’approcher des cordages, mais sous une surveillance accrue. Je l’aurais brisé petit à petit, j’en aurais fait un bon petit soldat, bien obéissant. Mais il préfère se lever contre moi malgré la menace qui pèse sur sa famille. Qui pèse sur chacune des vôtres dorénavant. Sauf que celles qu’encourent vos proches, c’est celle d’apprendre le tragique naufrage en mer du Goulu. C’est vraiment déchirant qu’un navire si fiable ait heurté un récif que la vigie n’avait su apercevoir. Ca ce sera la version romancée qui tirera une larme aux ménagères de tous les ports dont vous pouvez être issus. La réalité, c’est que vous allez perdre votre navire après que les miens aient fait une petite inspection dans les cales. On ouvrira le feu avant de prendre la poudre d’escampette. Net et propre. Et bien sûr le jeune William vous survivra pour voir sa famille mourir de ma lame. A moins que vous ne me le remettiez sagement quand mon navire arrivera.

      Tous les matelots échangèrent des regards qui donnaient un mauvais pressentiment au jeune homme. Il savait qu’il était coincé dans une situation d’où il ne pourrait s’extirper. Il s’avança alors, à la surprise des marins qui s’attendaient à tout sauf à ça. Il ne pouvait pas vivre avec la mort de tous ces hommes sur la conscience et s’avancer spontanément allégerait peut-être la sentence que préparait le pirate pour lui. Tous concentrés sur l’artilleur, personne ne remarqua Broam qui disparaissait dans les méandres obscurs de l’escalier qui menait au pont inférieur. Davinar avisa l’artificier.

      Relâche le capitaine, c’est moi que tu veux non ?
      - Pour que tous les hommes de ce navire se jettent sur moi? Certainement pas. Je leur rendrai quand nous serons à bord de La Vigie.

      C’était la seule chose intelligente qu’il pouvait faire. Les pêcheurs avaient effectivement espéré user de la libération de leur commandant pour se ruer sur le flibustier. Mais tant qu’il gardait ce levier de pression, ils étaient cloués au plancher. Alors ils retournèrent vaquer à leurs occupations, tous stressés par la situation. Ils eurent à peine le temps de lever un filet quand un navire arriva, le soleil émergeant dans son dos. C’était un grand navire de ligne, capable d’affronter des flots destructeurs sans souffrir du moindre dégât. Trois mâts permettaient à de grandes voiles d’être déployées puis gonflées par les vents puissants qui régnaient sur les mers. Deux rangées de huit canons étaient alignées sur chaque bordée. Un équipement tout neuf, probablement arraché à des caravelles de la Marine. Les pirates qui peuplaient le pont adversaires apparurent à l’artificier comme des ombres mortelles prêtes à fondre sur lui. Il avait comme l’impression que tous leurs regards ne se focalisaient que sur lui. Le navire se rapprocha et il comprit qu’il ne s’agissait pas que d’un pressentiment. Il était le seul à se tenir entre le capitaine des forbans et les pêcheurs du navire. Il ne pouvait, logiquement, n’être que leur nouvelle « recrue. » Ils s’élancèrent quand les bordées furent suffisamment proches, encerclant les marins qui se resserrèrent par instinct de protection. William se serait attendu à des ricanements et à d’autres moqueries sordides. Pourtant les hommes qui les prenaient ainsi en otage se montraient stoïques et concentrés.  Comme de véritables professionnels. Davinar s’adressa à ses otages

      - Messieurs, je vous présente les Hardis.
      - Mais ceux qui s’en tireront aujourd’hui les appellerons certainement les Sanguinaires. Et ils les rejoindront pour les massacres et les pillages à venir.
      - Attendez, vous aviez dit que…

      La femme qui avait pris la parole avant que William ne s’interpose passa le bastingage d’un pas souple avant de coller son poing dans la figure du jeune homme qui s’écrasa lourdement sur ses fesses. Elle lui attrapa le col et commença à se rapprocher de la bordée d’où elle était arrivée. Les pirates interprétèrent ce geste comme une invitation à commencer. Ils se jetèrent dans la mêlée, abattant les pêcheurs qui rugirent en dressant leurs poings pour se défendre. Certains d’entre eux parvinrent à saisir des armes aux ceintures des flibustiers, qu’ils retournèrent contre leurs possesseurs. Mais le nombre des civils allait décroissant quand une détonation retentit et que le capitaine s’écroula en même temps que la figure de proue du navire pirate. Tout le monde s’interrompit et se retourna. Un navire apparut dans l’étroit espace dégagé entre les deux navires accolés. Une mouette flottait fièrement sur les voiles du croiseur. Les forbans emportèrent les survivants, vites maîtrisés par le surnombre de leurs adversaires, sur le pont de La Vigie. La jeune femme s’était volatilisée, en laissant William à son sort, pour prendre la barre du navire qui restait vulnérable en position d’abordage. Davinar laissa tomber le cadavre du pauvre capitaine et allait se saisir de l’artificier quand une baïonnette lui traversa le torse. Un cri déchira la nuit tandis que le bateau des pirates se détachait. Les derniers mots de Copa résonnèrent jusqu’aux oreilles de sa bien-aimée :

      - William Burgh !!!

      Le croiseur s’écarta rapidement pour prendre la fuite tandis que le navire du gouvernement se rapprochait rapidement en ouvrant le feu avec ses canons de proue. Tout était allé si vite que l’artilleur avait du mal à recoller les morceaux.

      - On va fumer ces enfoirés !!!

      William se tourna vers Broam qui avait les traits déformés par la fureur. Il courut droit vers la proue, coupant les cordes qui permirent au navire de prendre de la vitesse. Il ouvrit une large caisse et en tira un petit obusier qu’il fixa maladroitement au sol. L’artificier accourut pour sauver leurs deux maigres vies d’une explosion inconsidérée.

      - Attends, il y a tout tes compagnons sur leur bateau ! Et tu ne sais pas te servir de cette arme !

      Le jeune homme déferla sa colère sur la seule personne à sa portée. Il l’agrippa et le cola au sol avant de lui envoyer un coup de poing bien senti dans la joue. Incapable de renverser Broam, William se contenta de protéger sa tête de ses avant-bras. Son geste envoya un électrochoc au marin qui se recula, horrifié par son geste. Il rejoignit le cadavre de Manro et resta là jusqu’à ce que les mouettes n’investissent le navire.
        Le commandant Stross fit aligner les cadavres sur le pont pour faciliter leur identification par le seul membre d’équipage qui avait survécu. Le corps de Davinar Copa avait été mis de côté par les marins en uniforme qui n’avaient pas caché leur plaisir de mettre finalement la main sur l’Ombre Hardie. C’était un pirate dont on ne connaissait que le nom et qui opérait en collaboration étroite avec un ancien membre du corps des sous-officiers, qui avait préféré une vie de luxure à la discipline militaire. Les deux formaient un puissant duo et l’officier s’inquiétait des représailles que la flibustière mèneraient suite à la perte de son tendre et cher. Il se tourna une fois de plus vers le jeune homme qui accusait plusieurs marques de coups sur son visage. On lui avait offert un bon café tandis que le médecin examinait ses blessures. Alazar Stross était le genre d’homme qui menait des investigations sérieuses. Il ne négligeait aucune piste et c’était ce qui l’avait conduit jusqu’ici alors qu’il transitait entre deux garnisons avec son croiseur. Il aurait pu ignorer l’appel de Broam qui prétendait que des pirates attaquaient la zone de pêche la plus sécurisée d’East Blue. Et pourtant il avait fait détourner son cap en entendant le nom du célèbre pirate. Mais ils n’avaient pu sauver que ces deux-là, qui restaient en état de choc. Il les fit embarquer à bord de l’Apogée qui suivit la trajectoire estimée du croiseur pirate. Quelques heures furent nécessaires avant que William ne retrouve une certaine conscience du monde qui l’entourait. Il se trouvait, à l’instar du pêcheur, dans l’exiguë infirmerie de bord. Il lança un regard à son voisin, qui semblait toujours déconnecté. Il ne voulut pas le déranger et se leva, quand Broam le saisit d’une main rapide.

        - Désolé.
        - C’est rien, ne t’inquiètes pas. J’ai connu pire.

        L’artificier offrit le meilleur de ses sourires de compassion et sortit de la pièce pour se retrouver dans un couloir éclairé par de puissantes lampes à huile. Il pouvait distinctement apercevoir l’escalier qui menait au pont et il commença à prendre sa direction. Une jeune femme l’arrêta rapidement.

        - Où est-ce que vous croyez aller comme ça ? Vous êtes un civil, sur un navire militaire. Vous avez besoin d’être accompagné pour vous déplacer.
        - Excusez-moi, je n’y avais pas pensé…

        Cassia se rendit compte qu’elle avait été dure avec le jeune artilleur. Elle lui offrit un sourire en même temps que ses services.

        - Je suis désolée, je suis sur les nerfs... Où est-ce que vous comptiez aller?
        - J'espérais pouvoir voir votre commandant à vrai dire.
        - A propos de l’attaque ?

        William hocha la tête silencieusement en avisant son interlocutrice. Elle avait de courts cheveux blonds en repousse et un visage gracieusement allongé. De grands yeux marron lui donnaient un air serein et concentré. Elle sourit légèrement et prit les devants, avançant à bon pas dans le couloir. Ils montèrent les marches tandis que l’artilleur remarquait les galons sur les épaules de la jeune fille. Elle opérait comme sergent, grade qui collait bien à l’aura qu’elle dégageait. Ils débouchèrent sur le pont et la lumière du soleil frappa de plein fouet les yeux du jeune homme qui mit un certain temps à accommoder sa vue. Il continua de suivre Cassia qui se dirigeait vers le château, en deçà duquel se trouvait la cabine de Stoss. Elle donna trois légers coups sur le panneau de bois et ils s’engouffrèrent dans la pièce au moment où l’officier repliait un journal, qui faisait état sur sa une d’une terrible bataille sur Las Camp.  Il salua silencieusement sa subordonnée avant de s’intéresser au jeune homme qui avait franchi le seuil de la porte de ses quartiers.

        - William Burgh. Le dernier acte officiel vous concernant émane de Tequila Wolf. Le bateau qui vous a emporté au large n’est jamais arrivé à bon port. Nous vous avons cherché partout mais c’est vous qui nous avez trouvé. Et beaucoup de sang a visiblement coulé dans votre sillage. J’attends des explications.

        Le jeune homme se retrouva pris au dépourvu. Les informations qu’avaient pu collecter l’officier depuis quelques jours dépassaient de loin ce qu’avait pu imaginer William. Il sentit naître l’inquiétude au creux de son ventre. Il tâcha de répondre.

        - J’ai juste essayé de survivre, monsieur. J’ai une famille à nourrir au pays et je souhaitais juste intégrer la Marine…
        - Une caravelle a atteint les coordonnées que nous a fourni le journal de bord du Goulu ce matin. C’est une île que nous évitons à cause des récifs qui l’entourent et de la brume qui se manifeste souvent là-bas. Nous avons trouvé tous les corps. Et puisque que vous êtes la dernière personne en vie à avoir assisté aux évènements, vous pourriez être accusé de toutes les charges.

        La peur tordait les boyaux du jeune homme qui ne voyait d’autre perspective devant lui que celui de la chaîne et du boulet. Les mots qui suivirent lui firent l’effet d’un ascenseur émotionnel.

        - Néanmoins vous avez participé à l’élimination d’un fléau de ces mers. Vous n’en tirerez aucune gloire. La seule récompense que cela vous offre, c’est celle-ci.

        Il poussa un papier du bout de ses doigts. William le détailla rapidement avant de comprendre qu’il s’agissait d’un acte d’enrôlement. Alazar Stross avait lutté des années durant pour mettre la main sur Davinar Copa. Il ne se voyait pas emprisonner l’homme qui avait, bien qu’involontairement, précipité le destin du pirate. C’était tout ce qui motivait sa clémence. Eusse été une autre situation, l’artilleur se serait retrouvé dans une prison pour le restant de ses jours avant d’avoir pu prononcer un mot. Peut-être aurait-il servi d’exemples aux justiciers improvisés qui tuaient sans permission. C’était une époque où la loi ne servait qu’à justifier les meurtres du gouvernement. Mais le commandant s’en contentait car il pouvait agir pour garantir une certaine paix aux habitants des Mers Bleues. William Burgh s'apprêta à apposer sa griffe sur le document, soulagé comme jamais. Le commandant le retira de son atteinte.

        - D'abord, nous allons devoir vous tester.