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Du bon business

Chapitre 0. Le style des blues.
Episode 2. On fait du bon business

☽.ϟ.☾



Si on m'avait dit, un jour, que la ville de Manshon était aussi ambiancée, je l'aurais pas cru.

C'était un petit début de soirée, rien de fou. Une petite brise avec un oiseau qui sifflote. Puis le soleil qui se couche, loin dans ciel. Il faisait doux quand même, et l'air frais colorait mes joues. Un petit rose pêche mignon sur les pommettes. Mains dans les poches, je me baladais du côté est de la ville, jusqu'à entendre une voix masculine, au loin, puis hop... partir dans les aiguës. Mais en beauté, avec des sons agréables. Et l'accompagnement d'un clavier et d'une corde.

C'était un chanteur. Le look dérangé avec un pull troué et un pantalon de velours bien trop court pour ses grandes jambes. Et je m'étais toujours demandé si les artistes de rues se donnaient un style de dépravé ou s'ils étaient vraiment pauvres à ce point. Et je pense qu'à Manshon y'avait des deux. Une bande de truand.

Mais là, le type savait jouer de sa voix. Petit piano en fond. Reposant avec l'accord d'un violon. S'en était même flippant, passant des aiguës aux graves, jonglant avec des notes plus ou moins atypiques. Impossible de déterminer, yeux fermés, si c'était une fille ou un garçon. En fait, y'avait réellement un truc dans sa voix... parce que je me sentais attirée... les douces ondes.. la douceur de ses paroles. Bercement symphonique pour les tympans... Grosse main sur mon épaule.

« Eh m'dame, tombez pas dans l'piège. M'sieur a mangé un fdd. »

Un fdd. C'était bien un jeune lui. Histoire d'abrévier tout ce qu'on peut.

Et c'est vrai qu'autour, tout le monde semblait envoûté, tellement que.. ouais les femmes en étaient hypnotisées. Un groupuscule de groupies bavant devant le type. Mais doucement, il était pas si beau que ça. Et il avait une... petit belette. Qui venait... picorer dans les sacs. Yeux écarquillés, choquée. Nan mais quoi ?? Il volait de l'argent ?

Ok Mary c'est pas moral mais c'est pas tes affaires donc dégage de là. Et je me retourne, nez à nez avec deux gars. Une sale tête, borgne avec une espèce d'encre tatouée sur le bras. C'est quoi de ça. Et l'autre bossu mais l'air sournois. On les dévisage. Et petit à petit la foule se dissipe, silence demandé implicitement. Ils passent juste leur route. Et c'est que la simple présence de ces deux types avait jetée un froid glacial.

Je garde mes mains bien au chaud dans mes poches et continue ma route. Y'a des familles ici, grandes. Et c'est des gangs. Je pourrais bien y trouver mon compte, ou me faire détruire.

Mais l'horloge tourne, et je dois trouver mon gars.


Dernière édition par Mary Grace le Lun 6 Mai 2019 - 11:51, édité 5 fois
    La ville est au bord de l'implosion depuis un an, j'ai jamais vu les Sept Familles dans un tel état et c'est pas pour me rassurer. Depuis que la Marine a opéré son blocus de l'île, tout est parti en cacahuètes et c'est le crime organisé qui en a payé les frais. Toute cette merde a duré bien trop longtemps, provoqué tellement de dommages collatéraux que la population en a eu ras le bol. Forcément, ils ont fini par se révolter et faire savoir qu'on était plus les bienvenus ici. La faute aux parrains qui ont pas été foutu de s'accorder sur la façon de gérer la situation préférant se diviser plutôt que de garder le contrôle de la situation. Quand les dirigeants pètent les plombs et font n'importe quoi, c'est sur la gueule des petits que ça retombe, toujours. C'est ce qui fait que je n'aime pas être sous les ordres d'un autre, essuyer la merde après son passage, risquer ma peau pour ses conneries. Pour le coup, le Padre a fait une erreur en suivant Don CarboPizza dans sa trahison du Gila.

    Si cela avait été moi à la tête de la famille Bambana, j'aurais tourné le dos à ce fou depuis bien longtemps. Il était évident qu'il perdrait la face en agissant ainsi. Livrer aux autorités un homme aussi important dans le milieu que le patron de la pègre de Saint Uréa, en plus de s'afficher comme une balance et un traître, il se mettrait forcément à dos une ribambelle d'organisations. Le soutenir dans son projet suicide avait été idiot et désormais que la situation s'était légèrement apaisée, le blocus étant en plus un fiasco, le Gila ayant pu s'échapper, les petites frappes redoublaient d'efforts pour maintenir les miches de Tempiesta sur son trône. De ces petites frappes, les tontons flingueurs comme on les appelle chez les Bambana, j'en faisais partie il n'y a pas très longtemps encore. J'ai su prouver ma valeur et particulièrement l'année dernière, relever les manches de ma chemise pour plonger mes bras dans le sang et délivrer la mort à tour de bras.

    1626 ne prend pas une direction plus apaisée, nous sommes toujours aussi vindicatifs, seulement nos cibles et nos actions sont différentes. Je ne compte plus le nombre de membres de la Révolution de Chrysantème abattus froidement, afin de faire taire le mouvement contestataire. L'idée au départ était de l’étouffer dans l’œuf, mais ils se sont révélés plus tenaces que prévu, comme tout bon mouvement révolutionnaire qui se respecte. La chose traîne en longueur, ajoutons à cela les luttes intestines, les fusillades incessantes entre les deux parties des Sept, nos hommes sont exténués, à cran, et la main d’œuvre commence à diminuer. On a beau avoir un paquet d'hommes à disposition, les assaillants ne sont pas en reste et les pertes trop lourdes. Anatoli qui était déjà assez paranoïaque avant tout ça est devenu infernal, c'est simple, plus que jamais il ne fait confiance qu'au Padre. Il agit comme un chien enragé dès qu'on cherche à approcher monsieur Bambana.

    Aujourd'hui encore, quand j'ai souhaité une entrevue avec le boss pour obtenir plus d'informations sur le travail qu'il m'avait confié, l'autre cinglé a failli m'arracher un bras.  On approche pas le Padre pour le moment, qu'il m'a craché au visage, avec une bonne pluie de salive en supplément. J'avais pourtant compris les cinquante première fois qu'il me l'avait hurlé, mais il a jugé bon de me coller contre le mur, un bras tordu dans le dos pour que ça rentre davantage dans le crâne. Cette saloperie de taré à la fiole brûlée, un jour je le ferai cramer pour de bon. La journée est achevée depuis une bonne heure, le soleil s'est couché et l'air adouci, et pourtant la géhenne me harcèle encore l'articulation du bras. Il était à deux doigts de me le péter ce fumier. Enfin bon, j'ai plus envie d'avoir un tocard pareil en tête pour le reste de la soirée. Un rendez-vous m'attend, Lorenzo m'en a informé, une femme chercherait à me contacter pour discuter affaires.

    Enfin, ce n'est pas moi qu'elle cherchait directement, simplement qu'elle a approchée la famille et c'est vers moi qu'on l'a redirigé. 'Faut dire que ce genre de boulot, ce n'est clairement pas l'autre azimuté qui pourrait le mener à bien. Quand il s'agit d'action pacifique, de garder son sang-froid et de ne pas recourir à la violence, il est à la rue le Anatoli de mes deux.

    Rah, il me brise les roustons cette raclure de pelle à merde !

    Est-ce que mon rendez-vous est arrivé ?
    Pas encore, monsieur Dicross. Veuillez nous suivre à votre table, nous vous préviendrons quand elle sera là.


    J’acquiesce sans un mot, déposant mon regard morne sur le serveur qui tourne les talons pour me conduire à ma place habituelle. Les Sept Péchés est mon établissement favoris de Manshon, ou plutôt devrais-je dire de tout Barnanos. Un lieu qui tient son nom des grandes familles de la pègre qui sont sans nulle doute sa clientèle de prédilection. Ce n'est pas ici que vous croiserez un honnête soldat, ou alors ce dernier se la joue infiltration et doit se sentir comme une pathétique petite souris au milieu d'une maison infestée de chats. Autrement dit, si madame est une menace, elle aura tôt fait de trouver la mort ici.

    Les décors y sont luxueux, le mobilier clinquant, le personnel soigneusement choisi par le directeur de l'établissement, l'investissement de départ n'aura pas été vain puisque que les bénéfices engendrés ont couvert depuis longtemps les frais investis à sa création. S’appuyant sur un concept de sept pièces ayant chacune pour thème principal un des péchés capitaux, l'ambiance n'y est donc naturellement pas la même selon le péché que vous souhaitez découvrir. L'Envie est la partie des Sept Péchés dans laquelle j'ai réservé pour la soirée. Le personnel me conduit à une place de premier choix, proche de l'estrade installée en fond de salle, réservée aux clients importants, Je prends place à table circulaire nappée d'un tissu doré rappelant celui des berrys, habillé de couverts en argent, le tout éclairé d'un chandelier dans le même ton que le tissu. Il suffit de mirer l'ensemble pour ressentir l'envie de déguster un délicieux repas, accompagné d'un bon verre et diverti par les animations proposées.

    On tire ma chaise et la rabat délicatement quand j'y dépose mes miches. Le serveur vient se positionner à ma droite, avant de me demander si je souhaite boire quelque chose en patientant.

    Un bacardi. Sans glaçon.

    Il s'incline légèrement du buste, et s'en va. Le moment pour moi de me sortir une de mes clopes mélangeant tabac et opium. La glisser entre mes lèvres, m'emparer de mon briquet à essence, actionner la molette du pouce et laisser la gerbe d'étincelles enflammer la cigarette. Tandis que je tire une première bouffée que je garde un temps à l'intérieur, mes yeux se perdent on contemplation. La pièce est toujours aussi sublime, agencée de façon à ce que les tables gravitent toutes en demi-cercle atour de l'estrade. Composée de plusieurs étages, pas moins de trois au total, et bondé de monde comme à son habitude. L'or et les ténèbres sont les teintes dominantes habillant le mobilier, ornant les rambardes des balcons, escaliers, poutres, statues et autres objets de décoration, provocant la volonté de posséder chez les convives pour le premier. Mais à trop en vouloir, à trop envier les acquisitions d'autrui, à les convoiter, on fini par y laisser des plumes, c'est ici que le second intervient.

    Comme une douloureuse piqûre de rappel après s'être perdu en admiration et en cupidité, la noirceur nous enveloppe de ses bras morbides. Elle n'est jamais bien loin, prête à frapper lorsque l'on est affaibli. Ils ont plutôt bien joué le coup, réussissant à placer ici et là des objets du décors aux allures funestes, inquiétantes, déclenchant des vagues de frissons dans le dos et qui pourtant se marient parfaitement avec le reste de la pièce. J'expulse la fumée, tapote du doigt le bout de ma clope pour en faire tomber les cendres dans un cendrier reprenant la forme d'une tête de lion. Mon préféré, j'apprécie le geste.
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    Le banc est froid, l'air encore doux. Mains croisées et début de soirée, je me questionne. L'idée est-elle si bonne. Perte de confiance ou inconscience. Et à l'extérieur, j'entends déjà les musiques du hall.

    « Et si t'y vas pas, t'auras pas d'autre chance. Aller, t'as plus à gagner qu'à perdre. »

    Mais quand je vois les belles donzelles en robe plissées, maquillées à la voiture volée et les mecs costumés sortir de là-dedans, je me regarde. Et c'est pas mes bottes ou ma chemise sale qui vont m'aider à passer inaperçu. Je peux sentir d'ici leur parfum fruité. Ça dégouline de berry, d'or et d'argent. Je peux pas, je vais me faire remarquer. Me faut un plan B.

    Je tourne autour du « Sept péchés ». Puis d'ailleurs, c'est quoi ce nom de satanique. Ça me fait flipper. Bref. Le plan c'est de voler une robe, à n'importe qui, mais je sais pas qui justement.

    Est-ce que j'ai le karma ? Dis moi oui. Parce qu'au out d'une dizaine de minute, c'est pas que j’étends un cri un peu plus loin. Deux nanas, derrière le bar, sorties par une porte de secours. L'une indignée de son binôme qui vient de dégueuler tout ce qu'elle pouvait dans l'herbe. Bof, la robe est rouge, un peu voyante mais ça fait l'affaire. Des talons de la même couleur et un sac noir à strasse. Ça va me faire mal d'abandonner mes bottes.

    Bon, je m'approche en mode furtive. L'autre fait un geste à sa copine en mode : tu rentres quand tu vas mieux. Super amitié. Et du coup, ni une, ni deux je saute sur la bourrée et lui fou un bon coup de crosse. Ça va que y'a personne aux alentours, sinon je me serais faite défoncer.

    Bim, bam, boum, je la porte et on se pose derrière un gros buisson. Ça va, j'ai réussi à pas trop me faire voir. Alors je retire mes fringues dans la plus grande panique avant de lui piquer les siennes. Bon ben elle se réveillera en sous vêtement la pauvre. Je planque tout mon stuff bien au fin fond de ces énormes buissons et je détale.

    J'essaie de coiffer ma tignasse à la main et je pique le parfum de l'autre, histoire de. Robe qui me serre et chaussures trop petites. C'est que la soirée va pas être bonne, pas du tout.

    Quand je dis que suis là pour un certain Digosse on me corrige pour Dicross. Le réceptionniste me fait les gros yeux et me prend la main. Je suis pas sereine. Bof, les gens ont quand même pas l'air de me regarder, j'passerai presque inaperçu. Mais ce lieu c'est le sommet du chic incarné. Quand on m'a dit que les familles de Manshon étaient riches, je m'imaginais pas que la richesse aurait cette gueule là.

    Et fin de la traversée face à une table. Circulaire. Même le tissus de la nappe est en or. Et je me dis que je suis pas au bout de mes surprises. J'ai jamais eu l'habitude des grands dîners mondains et tout le tralala. Mais j'en suis pas pour autant bête. Le moyen de survivre, c'est de s'adapter.

    Et merde, si on m'avait dit que mon rencard avait une aussi belle gueule je me serai boostée. J'aurais même essayé de chopper ma propre robe.

    Le fauteuil est moelleux, la place confortable.

    « Grande soirée. Un maillon de la famille Bambana en cher, et en os donc. »

    Premier alcool. Pauvre, je connais que le rhum et la mauvaise bière. Je crois bien que ce soir mes papilles vont flamber. Genre littéralement. Je prends une posture chic, une jambe au-dessus de l'autre. Le dos droit et un sourire sincère.

    « Alors comme ça, on dit que vous prêtez de l'argent, à bon entendeur ? Dîtes m'en plus. »

    J'essaie de bien choisir mes mots. J'ai quand même du vocabulaire. Mais ce qui m'énerve, c'est que y'a des gars un peu partout pour surveiller que l'échange se passe bien. Le revolver était au chaud dans le petit sac de l'autre. Noir et pailleté, devait aussi y avoir un peu de maquillage.


    Dernière édition par Mary Grace le Lun 6 Mai 2019 - 11:51, édité 2 fois
      Voilà pour vous, Monsieur Dicross. N'hésitez pas à nous faire signe si vous avez besoin de quoique ce soit.
      Je vous remercie.


      Le serveur s'éloigne et me laisse seul avec mon verre, rempli de moitié, dont l'arôme me parvient aux narines, m'offrant un avant goût olfactif de ce que donnera la consommation gustative. Je tire encore une bouffée sur ma sèche, l'opium a l'intérieur y est moins présent que celles que je me grille la nuit pour m'aider à dormir, mais suffisant pour me maintenir dans un état de doux relaxation. Je garde plus facilement mon calme, ma haine et ma colère devenue somnolente, les portes du monde onirique à demi-ouvertes. Ainsi, je peux entrevoir un tout autre univers en restant bien encré dans le mien, le toucher de ma conscience en ayant les pieds sur terre. Plus relaxé, détendu, moins nerveux ou angoissé, ça arrête temporairement la bataille psychologique qui se joue perpétuellement dans mon crâne. Je deviens plus efficace dans mon travail, tout le monde y gagne au change.

      Aujourd'hui, après des années de consommation régulière, je crois pas que je pourrais m'en passer une seule journée avant de péter les plombs. Croyez-moi, personne ne veut avoir affaire au Peeter qui pète les plombs. Fumer nuirait gravement à la santé qu'on raconte, que c'est pas bon pour les poumons. J'ai fait un choix y'a des années, sacrifier mes poumons pour préserver ma stabilité mentale. Le calcul était vite fait, à quoi m'aurait servi d'avoir des poumons en parfait état de marche si ma cervelle se retrouvait totalement bousillée ? Devenir un psychopathe en parfaite santé ? Et allait me faire tuer par la marine ? La finalité était la même, au bout du compte. Alors quitte à crever, autant que ça arrive le plus tard possible. Jusqu'ici, je me démerde pas trop mal.

      Mes doigts se portent à ma montre, histoire de vérifier qu'elle n'est pas en retard. J'ai horreur qu'on me fasse attendre.

      M'empare de mon verre, l'amène à mes lèvre, en enlève une gorgée.

      Y'a le liquide qui descend le long de mon organisme, le passage qu'il se fraie réchauffe tout dans sa traversée, ma gorge est assailli par ce goût si prononcé que j’apprécie tant. Un groupe de femmes bossant ici passe à quelques pas de ma table, toutes vêtues en conséquence pour nous offrir le premier spectacle de la soirée. Les Folles Danseuses, comme elles sont appelées ici, portent toutes très peu de choses sur le corps au final, possédant toutes un costume fait sur mesure. Le but n'étant pas de cacher leurs courbes délicieuses sous le tissu, mais bien de les dévoiler aux yeux de la foule. Venues de différents horizons, incarnant ainsi un genre idéal féminin varié et touchant plus de monde, on ne peut que tomber sous le charme. Le mien mesure le mètre soixante environ, de longs cheveux bouclés, châtains, des yeux en amande et une petite bouche aux lèvres pulpeuses.

      Elle prend place sur scène, habillée d'une longue robe carmin dont la partie arrière traîne bien plus en longueur que la face avant, qui elle s'arrête tout juste en haut de ses cuisses. De quoi exposer ses bas résille, qui ne font que susciter d'avantage de désir. Ainsi couplé à la culotte fendue que l'on ne manque pas de voir pendant la danse endiablée à laquelle les danseuses se donnent, l'érotisme atteint son paroxysme.

      Je me suis perdu en contemplation et l'intervention du serveur est passé au travers, aussi n'ai-je pas remarqué l'arrivée de mademoiselle Grace. Mes yeux se détournent de l'estrade pour se poser sur elle, et je suis comme marqué par le contraste. Même si l'on voit qu'elle a fait un effort vestimentaire, certains détails ne trompent pas. A commencer par ce que j'aime le plus chez une femme et donc la partie du corps à laquelle j'accorde le plus d'attention, ses cheveux. D'un blond doré qui rappelle celui de l'établissement, mal coiffés, ce qui tape le plus à l’œil reste le gras avec lequel sa propriétaire semble s'être accoutumé. Ses yeux d'émeraude, fatigués, croisent mon regard morne, et elle s'assoie. Je la dévisage encore un instant. On devine facilement un beau visage qui manque seulement d'entretien, ce que son statut ne lui permet pas. C'est navrant comme la pauvreté peut gâcher et enlaidir de si belle chose...

      En tout cas, un détail que j'apprécie et qui a son importance, son parfum.

      Je jette un rapide coup d’œil à la montre, simple vérification.

      Plus en os qu'en chair, mais oui. Peeter Guilhem Dicross, enchanté. Vous permettez que je vous appelle Grace ?

      Le sourire qu'elle lâche et le hochement de tête m'indique que ça n'a pas l'air de la déranger, au contraire. Elle en a un plaisant, de sourire, dommage que ses lèvres ne soient si abîmées, ça enlève un peu de charme à sa bouche. Pas besoin de l'observer longtemps pour la trouver séduisante, à sa manière. Je lui laisse apprécier tranquillement l'alcool qu'on est venu lui servir, savourer sa première gorgée, s'imprégner de l'ambiance. Dans son dos, le spectacle bat son plein, les Folles Danseuses arrivent au bout d'une dizaine de minutes d'une danse endiablée, alliant  équilibre et souplesse. C'est elle qui rompt finalement le silence, probablement impatiente de parler affaire.

      Vous ne perdez pas de temps Grace, directement dans le vif du sujet...  

      Je la laisse sur ces mots, tire une ultime fois sur ma clope avant de l'écraser contre le métal froid du cendrier.

      Effectivement, je peux vous servir de préteur sur gage si vous en ressentez le besoin. Je ne vous crois pas idiote, mais je préfère vous avertir sur les conséquences auxquelles il faut s'attendre lorsque vous empruntez de l'argent à monsieur Bambana.

      Un point évident qui pourtant a souvent tendance à être négligée par la partie d'en face, qui croit pouvoir demander une importante somme d'argent à une famille mafieuse sans devoir payer une contrepartie. Comme si on leur faisait don de tous ces berrys, généreusement. Pourtant, si un adjectif devait ne jamais être utilisé pour qualifier le Padre, ce serait bien celui-ci. Une fois, il m'a envoyé arracher les ongles de pieds de la fille d'un pauvre homme qui s'était endetté et avait emprunté à la famille pour renflouer le tout. Soucis, il n'avait fait que déplacer sa dette d'une personne à une autre bien plus dangereuse encore. Aussi, une fois le délais qui lui avait été accordé, écoulé, je venais chez cet homme, chaque début de semaine, arracher à la pince un ongle de pied à son unique enfant.

      Un véritable calvaire comme corvée, un supplice à endurer pour cette famille ruinée par les vices de l'homme de la maison, trop lâche pour résoudre ses problèmes seul. L'opium que je fume, l'alcool que je bois, c'est aussi pour oublier le travail d'enflure que je fais et la raclure de pelle à merde que je suis devenu.

      Monsieur Bambana ne refusera jamais de prêter une certaine somme à qui en aurait besoin, seulement ce qu'il n'accepte pas ce sont les gens assez stupides pour croire que c'est gratuit. Vous empruntez, vous rendez, avec les intérêts.

      On se désaltère la gorge avec un peu de rhum, et on reprend.

      Nous nous foutons royalement de savoir ce que vous faites de cet argent, du moment que vous ne nous la faites pas à l'envers. Vous comprenez que nous ne fournirons pas à notre adversaires les moyens de nous renverser. Cette année plus encore que les autres, le patron se montre prudent. Aussi, je suis obligé de vous demander en quoi un prêt vous serait utile ?
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      Une belle bouche qui soigne ses mots, ses expressions. Et on me considère comme l'ennemie. Coup dans l’ego. Ça fait mal. Mais j'ai pas la tête d'une femme malhonnête, pas que je sache. Je me garde un petit sourire en coin, faut toujours faire bonne face mais je peux pas m'empêcher de soupirer.

      Vu la gueule de ma boutique, je suis pas une commerciale, ça c'est sûr. Mais ce qui est encore plus sûre, c'est que je suis pas folle.

      Se faire couper un doigt ? Mourir écartelée ? Etre violée ? Berk. J'sais même pas ce qu'ils font à leurs usurpateurs dans la mafia, mais je veux pas tester.

      Le truc c'est que si je demande un prêt, c'est parce que j'ai pas les sous maintenant. Mais... t’inquiète, je me suis dégotée un petit plan pour le remboursement et tout va rouler. Ravie que mon interlocuteur ne soit pas fermé à mes propositions. Un peu froid, mais ça a l'air d'être un chic type. Sûrement une sale histoire de vie, mais ça me regarde pas.  

      « Et bien ! Si terrain d'entente il y a, j'espère que vous serez l'un des premiers à venir visiter ma petite boutique. »

      Un serveur nous apporte deux assiettes. P'tain dire que je sais même plus à quoi ressemble un vrai repas. C'était « sandwich party » chez moi. Bon diction hein : « le moins cher du plus pratique pour le meilleur goût ». Ouais, ouais, personne ne dit ça. J'espère que le beau gosse a compris que j'avais besoin de thune pour un commerce, mais pas de réponse.

      Et je soutiens le regard du Dicross, mais lui bizarrement, ou pas, ben il a les yeux ailleurs. Je me retourne. Des fesses et des seins qui rebondissent, partout, sur la scène, avec un peu de tissus sur les parties intimes et des plumes. Des plumes partout, de toutes les couleurs. La danse est douce sur musique d'ambiance. Et pourquoi je me suis retournée en fait ?

      Genre. Je complexe. C'est tout, c'est fini. Je me sens grosse, laide, boutonneuse. Rah c'est sûr qu'on peut pas exceller dans tous les domaines, mais moi je n'excelle dans aucun domaine. Elles, elles savent danser, moi c'est à peine si je me prends les pieds dans ma robe.

      Coup dur pour poupée d'un soir.

      Mais alors là, la remontada de folie. Je me lève et feinte d'un « je veux faire pipi » pour m'éclipser en douce dans les coulisses. Des portes fermées et un espèce de vieux vigile qui me bloque la route.

      « Privé. Vous savez lire ou j'ai besoin de vous le dire encore une fois ? »
      « Moi ça va, mais vous pouvez peut-être le dire à monsieur Dicross, c'est pour lui que je fais ça. »

      Sourire tellement fake, mais la porte s'ouvre, comme par magie. J'ai sentie la petite goutte de sueur au coin de son front. Comme quoi être influent c'est pas une légende. T'as vraiment tout ce que tu veux. Peut-être que je devrai me reconvertir en mafieuse.

      Un couloir joliment décoré de tableaux érotiques et des portes de toutes les couleurs. Mes talons frappent le sol. Et quand j'entends des gloussement derrière une violette, je me dis que c'est le bon endroit. Et bam, direct repérée par trois bonnes femmes.

      « Mesdemoiselles, je fais du 34 et j'aime bien le rouge, vous avez une jolie tenue à me conseiller ? Avec des plumes si possible, je suis un peu pudique. »

      Alors là j'ai pas les mots, on me dévisage comme si j'étais... vous savez le bouffon, ou le clown. De un, je suis pas crédible et de deux mon corps doit pas les convaincre. L'une se foutait la blinde le poudre sur le visage pendant que les deux autres se coiffaient. J'vois que faut tout faire soit même ici. Alors je m'approche du premier dressing que je vois et balance les ceintes jusqu'à trouver un truc potable. Les meufs derrières sont un peu outrées mais je crois qu'elles osent pas vraiment dire grand chose. Tant mieux.

      Je me trouve une espère de culotte rouge à dentelle avec un haut de la même couleur qui fait brassière en retombant sur le ventre avec un effet maille fine. Oui, je sais, compliqué ce genre de vêtement, mais apparentement c'est ce qui fait sexy. Puis j'attrape l'espèce d'ensemble de plume qu'elles mettent à la taille, une sorte de cosplay de paon en fin de compte.

      Petit wink aux filles et je file en suivant les panneaux « scène » avec une jolie petite flèche rouge dessinée. Belle couleur du péché décidément.

      Les escaliers sont longs. J'ai l'impression qu'au bout, une sale mort m'attend. Mais maintenant que je suis embarquée là-dedans, j'vais pas faire marche arrière. Et quand je vois un gars en charge du son avec un micro je lui choppe la main.

      « Ça vous dérangerait pas de faire une petite annonce pour moi ? »

      Un non de ta tête assez déboussolé. Il tremble un peu et sa casquette lui tombe sur les yeux. Joli sourire pour le bonhomme et je me retourne. Oh, oh, oh. Flux sanguin pulsé par le cœur, palpation des artères, mon putain de parfum s'amplifie et le pouls est explosif. Han, j'ai le droit de le dire ? Oui. Que mon spectacle commence.

      « Messieurs.. Mesdames.. sous vos yeux ébahis ! La terrible Mary Grace... »

      M'en veux pas Dicross, j'ai l'envie des sept péchés capitaux.


      Dernière édition par Mary Grace le Lun 6 Mai 2019 - 11:52, édité 1 fois
        J'ai presque l'impression que la demoiselle se fout un peu de ma gueule. Ou alors, que tout ça la gonfle, qu'elle aimerait bien être ailleurs et cherche à expédier la conversation. Sa petite boutique, c'est tout ce que j'ai à me mettre sous la dent. Pas de nom, pas de description sommaire, ni de quel type de commerce il s'agit, ni même à quoi pourrait bien lui servir l'argent. Rénover une partie du bâtiment ? En augmenter la superficie ? Faire rentrer de nouveaux articles ? Des factures à la pelle qu'il s'agirait de régler ? Des dettes personnelles ? Elle ne semble rien vouloir dire de plus, et pense peut-être que cela suffira pour que nous lâchions la thune.

        Elle a totalement raison. Elle aura son petit coup de pouce financier, et n'aura que ses yeux pour pleurer et son corps mutilé si elle ne tient pas son engagement. Mon cœur se serre légèrement en m'imaginant en train d'arracher les dents de cette jolie créature, les tympans vrillés par ses cris, ses sanglots incessants. J'espère que je n'aurai pas à la retrouver pour de mauvaises raisons.

        Les premiers plats nous parviennent. Du bœuf coupé en tartare, des huîtres sur la viande crue, une mousse faite du jus des huîtres et de feuilles de gélatines, le tout gazée.  Des chips de pomme viennent surplomber le tout, une sauce curry venant apporter une touche visuelle appréciée autour du plat, des jeunes pousses venant en renfort. L'envie de goûter au plat, le désir de faire s'enflammer ses papilles gustatives, tout cela est transposé dans l'assiette et c'est avec appétit que j'entame la dégustation.

        Je sens son regard émeraude persister à croiser le mien, il ne veut pas me lâcher et à vrai dire je ne rentre pas dans son jeu. Avare en explications, me laissant sur ma faim, peu satisfait du résultat de la pêche aux informations dans laquelle je me suis impliqué, je l'ignore. Me concentre sur mon entrée, qui pour le moment 'm'est bien plus agréable que la discussion. Mary Grace avait beau être une belle plante, dans son genre il y en avait un tas ici, il me suffisait de lever les yeux de mon tartare pour tomber sur des petites fesses bombées s'agitant frénétiquement pour notre plus grand plaisir. Elle remarque mon désintérêt pour sa compagnie, ou peut-être pas, et s’éclipse aux toilettes, probablement pour se refaire un peu le portrait. Belle en toute circonstance, fraîche en toute occasion, des fois qu'une belle gueule passerait dans le coin et lui taperait dans l’œil.

        Pendant que mademoiselle s'assure que son potentiel charme est chargé au maximum, je savoure ma viande crue, et m'allume une clope une fois terminé.  Elle n'est toujours pas revenu, ça commence à m'agacer, je n'aime pas attendre les autres. Tout autour, ça s'active. Le service bat son plein, les serveurs galopent à travers la pièce pour servir les clients, les débarrasser, leur envoyer la suite. Les tables sont animées par les discussions, les rires, les bruits des couverts frottant les assiettes. Flotte dans l'air une délicieuse odeur, mélange de différents tabacs tous de très bonnes qualités, à laquelle ne tarde pas à s'ajouter l'effluve de ma cigarette particulière. Je tire une fois dessus, une pleine bouffée que je garde un instant à l'intérieur, appréciant le moment. Je relâche le tout, quelques secondes passent, du nouveau est annoncé sur scène.

        Messieurs.. Mesdames.. sous vos yeux ébahis ! La terrible Mary Grace...

        Ça commence à devenir intéressant... Elle apparaît sur scène, bien que j'ai du mal à croire que ce soit vraiment elle, sublimée par une merveilleuse robe à paillette, perlée, tombant aux genoux, rouge éclatant, redonnant vie à mon regard. Mes yeux s'illuminent tandis que les lumières sur la scène s'éteignent, ne restant qu'un seul faisceau blanc, braqué sur Mary. Un bandeau du même ton que la robe coiffe sa tignasse d'or, une plume trônant en accessoire. Ses bras tiennent un boa de plumes sombres, son cou habillé d'un collier de perles blanches retombant sur sa poitrine. Le groupe de musiciens débute le morceau, Grace s'avance de quelques pas et lance un regard amusé et provocateur en ma direction.

        Mademoiselle, vous avez eu ma curiosité, maintenant vous avez toute mon attention.

        Elle se lance, une danse qui se veut sensuelle autant que ses maigres talents dans le domaine lui permettent, provocatrice, faisant passer un petite message à l'attention des malpolis osant regarder ailleurs sen sa compagnie. Elle est là, Mary Grace, peu enclin à partager le premier rôle. La fièvre commence à monter, je ne saurai dire si c'est de sa faute à elle ou les effets de l'opium qui se font ressentir. Ce que je sais, c'est que la température semble avoir soudainement grimpé en flèche, que j'en ai des sueurs et le regard perdu sur la silhouette et les courbes tentatrices de la créature m'offrant ce spectacle. Car bien évidemment, je m'attribue tout l'effort mis dans cette danse, il est inconcevable que ça puisse avoir été exécuté pour exciter les autres gars présents dans la salle. Pas quand je suis là.

        Pas alors que nous dînons ensemble.

        Elle plaît, c'est indéniable. Elle ne fait pas partie du milieu, et pourtant hommes comme femmes ne se plaignent pas du numéro improvisé. D'autres se rincent carrément l’œil, bavant sur ses formes qu'elle tache de faire se mouvoir avec élégance. La cendre du bedeau tombe soudainement sur la nappe et me ramène à moi, perdu que j'étais dans cet océan onirique partageant fantasmes et luxure. Cette fille sortie de nulle part m'a perturbée avec ces conneries, je me suis laissé prendre. Un serveur se pointe, je lui demande de nous remettre la même chose en alcool et d'aller me chercher mon manteau. Il est pas pour moi, j'ai bien assez chaud comme ça.

        Le vêtement en main, je me lève finalement de table, la roulée au préalable écrasée sur le cendrier, M'avance vers le rebord de l'estrade, où la prestation de Mary semble prendre fin, doit prendre fin. Je lui tends mon manteau, histoire qu'elle ai de quoi se couvrir pour le restant de la soirée, et que ça camoufle un peu sa chair de tous ses vautours.

        Spectacle terminé les gars, on remballe les langues et range les crocs, la demoiselle est déjà accompagnée.

        Si je m'attendais à un tel talent caché, je vous aurais proposé un duo.

        Frimeur, un brin moqueur, et pourtant je suis une vraie merdasse en danse. Parvenir à coordonner mon corps avec le rythme d'une musique est peine perdue chez moi.

        Allons prendre l'air, voulez-vous.

        Le choix n'est pas offert, c'est toujours moi qui mène la danse, même si elle se permet quelques écarts. Ce que je lui offre, en revanche, c'est ma main afin de l'aider à descendre de son perchoir. On se dirige vers de grosses baies vitrées, lesquelles donnent sur un vaste jardin merveilleusement éclairé. En terrasse, chaises, tables, fauteuils, il y en a pour tous les goûts. Je pose mes miches sur un fauteuil en cuir, et offre à mon interlocutrice l'échange de regards qu'elle attendait. Pas plus d'intensité dans le mien que d'ordinaire, seulement une profonde lassitude.

        Je crois que certaines Folles Danseuses vous ont jalousé tout à l'heure, la Terrible Mary Grace leur a volé la vedette ce soir.. .

        Un trait d’humour, et pourtant, rien ne vacille de ce masque désabusé qu'un artiste semble m'avoir peint sur la fiole il y a longtemps de cela.

        Dois-je en déduire que votre boutique proposera des prestations de cours de danse ?

        On lui rappelle qu'elle ne m'a rien dit de ce que j'attendais, au passage. On continue de la fixer.

        Il va falloir passer à table, Grace, si vous souhaitez espérer profiter de la fortune de Monsieur Bambana.


        Dernière édition par Peeter G. Dicross le Dim 31 Mar 2019 - 18:54, édité 1 fois
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        La nuit est sombre. La brise est douce. Mes pommettes sont encore chaudes et mon cœur, lui, semble s'être ralenti. Je souffle enfin.

        Nous sommes sur une terrasse, et même ici, tout est grandiose. Un pas devant l'autre jusqu'à toucher la rambarde. Elle est glaciale, de marbre noire aux définitions dorées. Je m'appuie dessus, bras tendus, sur la pointe des pieds et admire le paysage. Un énorme morceau de terrain, une sorte de parc avec des espaces verts, des fontaines, des fleurs et un petit étang. C'est que je vois même un canard se trémousser. Je n'ai qu'à sourire, et à contempler le paysage.

        Avec un peu de réflexion, je me demande si je suis faite pour ce genre de décor. D'un œil émerveillé, je trouve ça plutôt irréel, trop idéal pour une simple vie.

        Je me tourne, et m'installe sur un fauteuil. Assez moelleux, avec des accoudoirs confortables, je resterai définitivement marquée par un tel confort, à croire que ma pauvreté ne fait que de me rattraper. Petit coup de vent et j'enfile le manteau qu'il m'a posé sur les épaules quelques minutes plus tôt. Je sais pas si je suis plus intriguée par l'odeur de sa cigarette ou celle de son parfum. Tout se mélange dans ma tête et j'y vois plus trop clair. Et merde, après tout ça j'ai faim. Je n'ai pas eu le temps de toucher aux assiettes servies une demie heure plus tôt.

        Le petit ventre gargouille.

        Mais pour le moment je chasse mes envies. Parce que ses mots me ramènent à la réalité. Je réfléchie et je sais que c'est pas en m'exposant sur le devant de la scène que je vais tout obtenir. Ici, les gens sont durs. Je respire. Il est temps de passer à la vraie discussion. Quoi que...

        « Je suis pas sûre qu'à quelques ruelles du port les gens aient besoin d'un cours de danse. Je veux dire, ils auraient plutôt besoin de choses utiles, ou de vendre... J'aimerai bien être une sorte de receleuse. Avec la masse de pirate et d'objet mal acquis dans cette ville, je pense que des premiers fonds pourront m'être utiles pour lancer un commerce du genre. »

        Je ne pense pas devoir plus me justifier que ça. Il a les informations qu'il veut. Et je n'aime pas me sentir totalement cernée. Vous savez, avoir cette marge de manœuvre personnelle c'est important pour moi.

        J'éternue, heureusement pour ma peau, il ne voit pas qu'un peu de morve a coulé. Je m'essuie rapidement sur la manche du manteau, ni vu, ni connu. Je renifle avec un petit sourire, l'air mignon et lui quémande un mouchoir. Il n'en a pas, alors je demande aux deux trois personnes proches de nous, et j'arrive à récupérer un petit mouchoir en tissu mauve.

        Si y'a un truc que je sens, c'est que je vais tomber malade. Et adroitement, redonnant droit à mes envie, j'attrape un serveur. Les petits fours sur son plateau, je m'empresse de les engloutir dans le dos de mon hôte. Et une fois la bouche propre, je lui en propose un, mais le refus est catégorique. Je dois avoir des manières trop populaires. Peut-être qu'il aime, peut-être que ça le dégoûte.

        « Et vous, est-ce qu'un cours de danse particulier vous plairait ? »

        Je me lève, petit sourire et air enjoué

        « Négocier... je n'ai pas vraiment ça dans le sang. Et sans cesse parler d'affaire, ça peut me donner mal à la tête. Je sais que ce n'est pas pour ça que je suis venue, mais... maintenant que vous savez ce que vous voulez, j'aimerais passer une soirée normale et pourquoi pas avec le cavalier qu'il se doit. »

        Débout face à son siège de cuir, je lui tends ma main, douce et fine. Je prie pour ne pas me faire décapiter, je prie pour qu'il accepte. Et cet homme ne sera jamais un ami, au mieux un allié, mais je crois que je ne peux pas m'empêcher de vouloir découvrir de nouvelles personnes.

        Fumée évaporée dans les cieux. La clope qui tombe et s'écrase sous le pied d'un corps qui se lève. Lourdement, mais sûrement. C'est une première victoire. Et bienveillante, j'amène Dicross au fin fond des jardins. Je parie qu'il ne sait même pas quels genre de fleurs ou insectes y évoluent. Rester enfermé dans la mafia ça doit vraiment vous bousiller le crâne.


        Dernière édition par Mary Grace le Lun 6 Mai 2019 - 11:51, édité 1 fois
          Je ne sais pas pourquoi, mais je songe sérieusement à sa réflexion. Moi qui ai pour habitude de traîner près des ports jusqu'à pas d'heure, je pourrais garantir qu'un paquet de gens auraient bien besoin d'apprendre à danser, au contraire. Les pauvres types qui traînent là-bas, c'est rare s'ils ont eu l'occasion de se faire enseigner cet art dans leur misérable petite vie de merde. Même pas par manque de moyen, t'as pas besoin de lâcher des thunes pour qu'on te montre comment faire bouger ton corps. Non, c'est juste le temps et les occasions qui ont manqué. Parce que quand t'es un fils de fermier, ta préoccupation première, c'est d'entretenir les bêtes, pas de faire danser tes panards avec élégance. J'y pense, en oublie la Mary Grace et quand celle-ci me propose à grailler, je la recale sans trop faire attention à mon ton. C'est pas trop le moment de se goinfrer, tu m’excuseras ma belle.

          Elle jacte encore sur la danse, je crois qu'elle décrochera pas du sujet. C'est une des facultés improbables chez les femmes. Ce don inexpliqué qu'elles ont pour bloquer sur des petits détails et en faire toute histoire. Là, ça partait d'une simple vanne pour en savoir plus sur son commerce. Maintenant, je me retrouve à devoir gérer une situation gênante. Je suis là, dans mon costume clinquant, avec mon assurance volée aux gangsters du coin, et ma petite gueule de truand, à dire oui à une femme pour une danse alors que je sais absolument pas remuer mes miches en rythme.

          Quand j'étais mioche, j'allais en forêt couper du bois avec mon frère et l'autre saloperie de fumier de Sonny. Pas gambiller.

          Quand j'étais gosse, j'allais jouer les aventuriers en forêt, un bâton comme épée, mon imagination comme limite à mon univers. Y'avait zéro danse.

          Quand j'étais un chiard, l'autre raclure de bidet qui me servait de père de substitution me foutait des raclées, il me donnait pas de foutus cours de danse.

          La demoiselle ne veut pas négocier plus longtemps, discutailler affaires lui provoque des migraines qu'elle dit. En temps normal, je l'aurai doucement recadré et ramené le sujet sérieux sur le tapis, histoire de conclure ça proprement. 'Faut croire que je suis doué pour partir en vrille, et faire de la merde. Je vais lui offrir sa petite soirée tranquille, je crois que c'est ce dont j'ai envie. Je lui ai donné ma main, et me suis laissé guider. Un frisson m'a parcouru le corps quand nos peaux sont entrées en contact. Y'a eu ce petit truc désagréable et cette sensation agaçante qui m'a pris le bide. Je connais, j'ai déjà eu, j'en veux plus. C'est le genre de truc qui amène les galères.

          Guincher, en voilà une première de misère. Une belle connerie.

          Dites-moi, Grace, quelle danse allons-nous apprendre ce soir ?

          Je préfère jouer la carte de l'assurance, du petit frimeur qui rentre dans le jeu et fait le fier extérieurement. La vérité c'est que je maudis un peu tout et n'importe quoi à cet instant, et surtout ma connerie de m'être embarqué là-dedans. En plus, y'a le cadre qui pose une ambiance qui fait monter la pression. Un porche entièrement fait de bois, circulaire, éclairé par plusieurs lampes suspendues aux poutres, on y aurait mis un petit orchestre que ça aurait été digne d'un film romantique. Le genre dont j'ai honte de dire que je suis friand, que je zyeute en cachette, seul, et dont je parle pas. Mais là c'est pas le sujet, je sais pas quoi faire. Les bras de Mary s'activent, sa main prend la mienne et la lève à hauteur de tête. L'autre vient déposer mes doigts sur la taille de ma partenaire, nos regards se captent.

          Quelques secondes de battement, on se fixe, se dévisage, se découvre.

          Danse de salon, donc. Très bien.

          Joue les connaisseurs, Peeter, tu vas te sentir con quand tu vas commencer à lui marcher sur les pieds. Ah tiens, ça c'est fait. Je lui adresse un regard gêné, inutile de m'excuser, elle a déjà compris le fond de ma pensée. Honnêtement, je me doute qu'elle s'imaginait déjà avoir affaire à un empoté dans ce domaine, mais qu'elle s'en fichait du moment qu'elle passait un bon moment. Je la laisse prendre les rennes, chose assez rare pour être signalée, moi qui n'aime pas laisser le commandement à une femme. Je suis le genre de mâle Alpha qui adore exercer sa domination sur la femelle, savoir qu'il a le contrôle et durcir le caractère lorsque cette dernière tente de renverser la vapeur. Je suis un Lion, dominant, royal, féroce, buté, et brutal. Mary ferait bien de profiter de ce court instant aux commandes, ce n'est pas une chose qui arrive tous les jours.

          Je lui écrase encore les pieds, une fois de plus ou de moins hein...
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          Pas de mal, juste une étourderie. Et je souris. Quand la musique change, je me détends, progressivement. De l'intérieur du restaurant, elle porte jusqu'aux jardins, et accompagne quelques faisceaux de lumières fantaisistes se glissant dans les abîmes de la nuit.

          Le spectacle est beau à voir.

          C'est une douce mélodie jouée au piano qui chatouille mon oreille. C'est lent, et un slow serait idéal pour accompagner notre petite contre soirée. Alors au fur et à mesure que les notes s’enchaînent, je m'approche, et délicatement, pose ma tête sur le torse du garçon. Et j'entends son cœur battre. Rien n'est intense, mais je peux sentir un léger tempo irrégulier. Mais je ne sais pas si c'est la fumette ou le contact avec autrui. J'espère que ces quelques mots et contacts physiques lui plaisent. Et je le sens soulagé. Je le sens vivre, sereinement, l'espace de quelques minutes.

          « Quel beau silence. »

          C'est pour charrier, mais l'affirmation est sincère. Je me retire et le regarde dans les yeux quand la musique s'arrête. Il est un peu déboussolé.

          « Profitez-en donc. »

          Car il sait que je ne suis pas venue ici pour fricoter. Et je sais que lui est venu ici pour faire affaire. Nous avons nos intérêts.

          Alors je lui tourne le dos et observe les fleurs du jardin. En cueille une, arrachant la vie. Et pense. Demain déjà, aurons chacun oublié l'autre. Repris par notre routine habituelle, et pourtant un train train quotidien duquel on souhaite se détacher.

          J'ai arraché chacun des pétales de l’orchidée. L'un pour la réussite. L'autre pour l'échec. L'un pour la réussite. L'autre pour l'échec. L'un pour la réussite. L'autre pour l'échec. Et mes yeux se sont plongés dans le vide lorsque le dernier pétale s'est détaché, soldé par l’échec. Parce qu'au fond de moi, sans nul doute que je le savais.

          Et oui. Je n'étais là qu'une simple commerçante sans une thune, sans même un contact. Là à fricoter avec la mafia. J'ai souri, bêtement. Je me suis redressée. Et jamais je n'aurais moyen de rembourser la somme prêtée. Mais il fallait jouer le risque, prendre l'opportunité. Et sortant de mon soutien-gorge un petit bout de papier, j'achevais cette soirée. Aussi haute en couleur fut-elle.

          « Quand vous serez prêts, j'attends votre argent à cette adresse. »

          Et j'espérais que le silence demeure.

          FIN.
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