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Un bain de boue

« Viens on est bien » qu'on m'a dit. Ah bah ça pour être bien... Jamais été mieux...

Le contremaître qui sirote sa bière avachis sur sa connerie de chaise. Le cap'tain qui braille de son bastingage sur l'équipage. Les femmes qui nous regardent en paillant entre elles. Et nous, cons qu'on est, on trime. Une putain de labeur qui broie le dos comme pas souvent j'ai eu le dos broyé. A soulever des caisses trop lourdes, à les trimbaler en montant des marches trop hautes, trop nombreuses. Jusqu'à les poser, là. Au milieu de la coque. Et recommencer jusqu'à ce que le quai se vide. Jusqu'à ce que les femmes disent au revoir à leurs maris. Jusqu'à ce qu'ils me rappellent à la mienne. De femme... Que je verrai pas avant longtemps.

Le temps d'un voyage. D'un allé et d'un retour. D'une négoce qui rend tant le proprio nerveux qu'il en engage chasseurs de primes. Forcément que nous, on a cru au job facile. A un voyage tout frais payé avec supplément « Danger qu'existe pas ». Mais plus je mire la gueule du patron qu'est à se bouffer les ongles sur le pont depuis plus de deux heures, et plus je me dis. Bah qu'on est dans une drôle de merde. Ça pue tant la bouze que je sens bien le moment où on en aura jusqu'au cou. Oh oui. Mais je dis rien. Je m'écrase et je trime. Les caisses sont mises et reste maintenant plus qu'à mettre les voiles. A les ouvrir. A attacher les bouts et à lever l'encre bien lourde.

Et après, le repos. Ce bon vieux repos qui suit trois heures passées à courir partout. Ce repos. Celui où on sent plus ses jambes. Où on dégouline de sueur tellement on est mort. Ce bon vieux repos qui fait tant fermer les yeux que même ouverts, sont plus trop visibles. Je mire autour, les gueules toutes crevées comme la mienne. Celles de jeunots qu'ont pas l'habitude, qui découvrent que le labeur, ça fatigue. D'autres, plus ridées qui connaissent ça, qui savent s'économiser. Qui peuvent encore en mettre.

Celle du gars qu'en a déjà vu passer de plus durs. Celle du vétéran qu'a l'air de bien s'en foutre, des nôtres, de gueules. Le guss au cheveux longs, tous blancs qui feraient presque croire qu'il a déjà un pied dans la tombe. Mais ses épaules qui disent le contraire. Toutes larges. Toutes fortes encore malgré les printemps. Ce gars là. Qui mire un autre privé. Un gosse, qu'a pas l'air d'avoir passé la vingtaine. Qu'a l'air de rien connaître de la vie et qui nous emmerde avec son air d'harmonica bourré de fausses notes. Alors forcément, un des guss ouvre sa grande gueule.

_Hé gamin, tu joues comme un cul ! Arrête ça !

Le gosse réagit pas, et continue à jouer son air. Les sales notes s’enchaînent, donnent un gout de gerbe à une chanson qu'avait pourtant l'air sympa. A l'origine.

_Non mais gamin, vraiment, faut que t’arrête, c'est un bide ta chanson !
_Non.
_Bien sûr que si, personne ne peut piffer ta chanson !
_Si, moi je l'aime. Alors ce n'est pas un bide.

Et les gueules se ferment et l'harmonica continue à jouer. Moi j'dis rien, j'observe juste les sourires qu’apparaissent en coin, les grimaces qui se montrent aussi, et les mots lâchés dans la barbe qui n'se font entendre par personne. Tout ça qui donne l'ambiance.

L'ambiance de 3 jours à se faire balader de gauche à droite sur cette coque. Avant la négoce qui me donne déjà un goût de pas bien.
    C’n’est pas une promenade de santé qu’ils gueulent, ces cons. Bah ouais, les mous du zgeg, t’as déjà vu un mec qui te paye à te gratter les couilles ? Forcément, je pense différemment. P’tet parce que je n’ai pas la tête complètement abrutie. Je suis déjà content de faire de la manutention, et à ce prix-là, le marchand il casque sévèrement.

    Et c’est ça qui est louche, on ne paye pas des mecs armés aussi cher pour rien. Un gars qui gagne sa croûte en faisant du commerce a une certaine idée du profit. Celle-ci ne va pas sans un sens accru des économies. S'il délie sa bourse, c’est que ça va devenir chaud pour notre cul, à un moment. Et plus ça tarde, plus j’me dis que ça va être moche.

    Alors, bon, je fais mon boulot sans moufter. De l’exercice, c’est bien pour garder la forme et comme je sais que ça va m’payer la bectance de ce soir, je n'dis pas non. Je n'râle pas, je fais pas de zèle, juste ce qu’il faut.

    Les jours s’enchaînent et ça trime dur, même pour un type comme moi. Du coup, je m'fatigue pas plus en pleurnichant comme une fiotte. Apparemment, mon attitude n’est pas à la mode et les tafioles du groupe n’arrêtent pas de geindre, comme s’ils avaient un rat enragé dans le calcif. Y en a même un qui se lâche sur un jeunot. Un p’tit gars propre sur lui qui fait juste son taf et qui joue de l’harmonica. Bon, il n’est pas génial, on dirait un chiard qui gratte un tableau. Sauf qu’il fait ce qu’il veut le gamin, forcément, j’me décide à lui fermer son clapet au gros con :

    « Écoute trouduc, il fait ce qu’il veut le môme. Et si tu veux régler ça à la filoche, c’est quand tu veux. Allez, dégage. »

    Et je rajouter au zicos :

    « T’as intérêt à t’améliorer en cours de route parce que je te jure que c’est horrible, ce que tu fais. »

    Une tarte dans la mouille de chacun de ces glands, pas de jaloux.

    Attiré par le bruit, le patron s’approche pour se conchier devant nous. Il n’est pas élégant, je trouve. Mais le plus gênant, c’est qu’il ne cache même pas son anxiété, on dirait une pucelle qui va s'faire tringler le jour de ses noces. Il attaque déjà la peau puisqu’il ne lui reste même plus un bout d’ongle à mâchonner.

    Ça ne fait rien, on s’organise. L'expédition est à nouveau en route. Il ne veut pas nous laisser du repos, ce mec. Quelque chose qui l’angoisse l’attend au bout du chemin, je le sais, je le sens. J’écoute toujours mon instinct et il me dit que ça va bientôt être tendu pour ma face.


    Dernière édition par Julius Ledger le Sam 9 Fév 2013 - 23:15, édité 1 fois
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    Des claques ont volé, c'est vrai. Mais vivre entre couilles durant plus de trois jours, ça implique certaines choses dont faire voler les poings. Pas avoir peur de se mettre sur la gueule et pas montrer qu'avec le temps de merde qui fait trop tanguer la coque trop violemment, on a quand même un peu les ch'tons. Mais le patron lui, il capte rien. Sa gueule devient de plus en plus blanche à mesure qu'on arrive et même lorsque le ciel se lève tout beau tout bleu au matin du troisième jour, il continue à se bouffer les ongles jusqu'à la peau.

    Pauvre bête.

    Ça fait maintenant plus de 52 heures qu'on vit ensembles, à pieuter sur des matelas pas confortables et tous serrés, à se geler le corps de hors pour surveiller un éventuel pirate qu'oserait venir nous chercher des noises et ui serait assez con pour sortir de là. Alors forcément, on a appris à se connaitre. Un peu. Le gosse a appris à jouer moins moche même si c'est toujours laid. Le vieux aux cheveux blancs a continué à faire valoir ses poings comme meilleur moyen de communication. L'autre privé sait maintenant qu'il doit fermer sa gueule s'il veut pas s'en prendre une. Et le dernier, qui parle pas, à part pour jurer. Qu'est un ancien marine qui s'est fait virer parce que l'avait traité son supérieur de "fils de putain", lui, continue à être lui.

    On voit maintenant la côte, toute faite de roches avec le port tout petit qu’apparaît en bout de longue vue, ses coques pourries et son navire marine qui part vers nous. On se tasse sur le pont, on mire l'océan et le petit vaisseau qui fonce droit sur notre proue. On voit les marines qui sortent les armes et qui gueulent des ordres au DenDen haut parleur. L'un des marines va même juqu'à sauter sur notre coque. Il pointe sa lame sur nous, dévisage toutes les gueules présentes en demandant à voir le capitaine du navire.

    Alors à ce moment là, le patron ose enfin sortir de sa connerie de torpeur et montre avec, la planche à billet. Tous corrompus. L'échange se fait. Les sourires amusés apparaissent, et les marines disparaissent.

    Drôle d'île. On a déjà compris.

    Lorsqu'on arrive au port, le labeur recommence pour vider toutes les conneries de caisses, pour remplir des charrettes tirées à dos de zébu. Le contact est à 6 heures de routes. Au milieu de la jungle. Ce serait pas drôle, autrement. On sort les hachettes. On enfile de gros foulards autour de nos gueules pour éviter les moustiques.On pisse un coup histoire de pas avoir à la sortir au milieu de la jungle. Et on part. Pour six heures de marches à se battre contre chaque putain de branche nous torgnolant, à rager contre tous les moustiques qui nous emmerdent. A marcher sans faire une autre pause que pour enlever un rondin de bois empêchant les zébus d'avancer.

    Et enfin, on arrive. Devant une immense ferme qui sent pas le légal avec comme comité d'accueil une quinzaine de gars. Pas commodes. Les armes en bandoulière. Les gueules de ceux qu'aiment pas avoir de la visite.


    _Euh... Je suis là pour affaire... Je suis venu voir Halbor Ozy... que nous sort le patron.

    Ça commence bien.


    Dernière édition par Mihai Moon le Mar 27 Nov 2012 - 17:33, édité 1 fois
      Et bien, c'n’est pas la joie. Ça fait des jours que l’on se crève à la tâche. Franchement, je commence à en avoir sacrément plein l'cul. Je connais mon corps et je lui reconnais une endurance pas mal foutue, mais là, on s'fout de la gueule du monde. Il essaye de nous tuer cet enfoiré de patron.

      En même temps, il faut avouer que c’est son air de pisseuse qui me donne le plus l'envie de lui mettre une raclée. Si tu ne supportes pas le voyage, il ne faut pas l'faire. C’est dingue c'qu’il peut être une chochotte. Moi, j’aurais bien défoncé la gueule à ces conasses de flics en collants bleus. Je ne peux pas blairer les ripoux alors dès que j’en vois un, je pense directement à l’enterrer dans un bout de forêt ni vu, ni connu. Par contre, toute une fournée, très peu pour moi. Et puis, comme ce n’est pas moi qui casque, je m’en tape.

      Quand on s’enfonce dans la jungle, je me sens mieux. Déjà parce que le changement avec le bateau fait du bien. Non pas que je sois sensible au mal de mer, mais ça nous fait une distraction. Les moustiques et les branches qui se prennent pour des bris de verre n’altèrent pas mon humeur. J’avance en fredonnant une vieille chanson de cul. Et même si je chante faux, personne ne proteste. Faudrait pas qu’il y ait d’accros avec un type avec cette face qu’ils se disent.

      Pas faux.

      Enfin, clopin-clopant, on arrive à destination. Et le patron en profite pour nous faire une descente d’organe en direct. Il ne tient plus en l’air tellement il tremble des genoux. Devant, il y a une quinzaine de gars armés. Et là, il décide de nous balancer un nom. J’en ai entendu des noms censés inspirer la terreur. Moi, je sais que ça ne marche pas comme ça. Ce n’est pas parce que tu peux rassembler cent mecs en sifflant que t’es forcément invincible. Alors, je lui dis, au boss :

      « Écoute voir, patron. Voilà ce qui va se passer. Tu vas emmener ta jolie compagnie discutailler avec ces clampins. Pendant ce temps, je vais faire le tour du périmètre pour calmer les mecs qui se préparent à nous la mettre par-derrière. Il faudra compter une demi-heure avant que je n'ai fini de tout nettoyer, d’ici là, faudra les occuper. T’as compris ? »

      Il hoche la tête.

      « Une fois que ce sera fait, je resterai derrière eux à attendre le bon moment pour agir. Si je les vois s’agiter, je les attaque dans le dos pendant que vous vous occuperez de l’avant. Ah ! Une dernière chose, ça va te coûter une blinde. »

      Sans un mot, je me détache du groupe à reculons en observant intensément les alentours. Je progresse en large courbe dans la luxuriante jungle. Les bruits environnants sont si nombreux qu’ils couvrent mes déplacements. Le désavantage est que je risque de tomber nez à nez avec un type sans pouvoir l’identifier de loin. Ce sera à celui qui aura les réflexes les plus vifs. Et puis, moi je m’attends à rencontrer quelqu’un, eux probablement pas.
      Bref, c’est dans ces conditions idéales que je me retrouve à cogner des gars qui n’demandent rien sur la nuque. J’en ai trouvé pas moins d’une dizaine. Tous planqués à mirer la rencontre. J’ai quand même vu qu’ils étaient tous armés de fusils. Un guet-apens qui nous aurait coûté cher si je n’avais pas eu l’idée de fouiller les environs. Comme quoi, la pétoche du marchand nous a servie, finalement.

      Mais voilà que là-bas, ça s’agite trop vite. Je n’ai pas eu le temps de vérifier qu’il n’y a plus personne pour nous la faire à l’envers. J’entends d’ici la voix suraiguë de notre commanditaire. Ça m’oblige à sortir de ma cachette et à aller à l’encontre du chef de groupe jusqu’à ce qu’une balle rompe le silence. Comme je l’ai vue venir, j’arrive à la dévier avec mon épée et à lancer mon couteau en travers de la gorge du tireur. Le seul souci est que je me retrouve maintenant isolé du groupe avec un grand nombre de mercenaires qui n’attendent que le signal de départ pour m’étriper. Ma cible est entourée d’un noyau de combattants.

      Bon, tant pis pour la manière douce.


      Dernière édition par Julius Ledger le Sam 9 Fév 2013 - 23:18, édité 1 fois
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      Le vieux nous a laissé. Là, à attendre comme des cons le patron d'en face qu'est forcément entouré de beaucoup de gars. De trop de gars. Qui sont tous armés comme pour une guerre. Je commence à piger les rongements d'ongle du patron, ses crises d'angoisse et sa gueule d'enterrement. J'aime pas trop trop ça. Moi et les 3 autres privés restant, on tire la tronche. Ma paume veut plus quitter ma ceinture. Le gosse marche toujours tranquillement mais je mire bien. Ses mains qui se baladent sous le manche de sa lamelle, ses yeux qui s'ouvrent et observent partout. L'a pas l'air avec sa gueule de gamin mais c'est un pro. Les deux autres aussi sont nerveuses mais ça s'sent plus. Le premier qu’arrête pas de jurer tant que ça en devient insupportable. Le second qui se met à imiter le patron, à suinter, à imiter la couleur du plus blanc bec des blancs becs. Lui, c'est pas un  pro.

      Le commanditaire arrive, avec sa garde rapproché. Son costume trois pièces tout blanc, sa barbe mal rasée et sa peau toute bronzée lui donne cet air d'émirat qu'en est pas un. Mais avec tout ça, moi, c'est son sourire que je remarque. Le genre de sourire qui fait pas plaisir de voir, qui donne l'ambiance, qui fait comprendre que ce gars là prend plaisir rien qu'à décrocher des mâchoires. A saigner à blanc, A torturer.

      J'aime pas trop trop ça.

      Sa gueule d'ange s'avance et il va même jusqu'à tous nous saluer d'un sourire encore moins plaisant. Focul à souhait. Ça suinte le mensonge. On fait semblant de pas se méfier, histoire de jouer dans la même court. Je comprends pas comment on peut vouloir jouer au marchand avec un connard pareil. D'habitude, ce genre de guss, je lui colle une balle entre les deux yeux et c'est réglé, mais là, non. Je dois faire semblant. Que tout se passe bien. Que ça me fait plaisir de voir sa sale gueule. On gagne, on perd... Mais toujours, j’espère. Pouvoir faire voler mon poings dans sa connerie de gueule d'ange.

      _Alors l'ami, combien en amènes tu cette fois? J’espère que tu as la quantité prévue... Qu'il sort au patron.
      _Ahah... Euh... Vous allez rire... Il manque 200 kilos...
      Le vilain grimace, sort sa gueule d'enterrement et sort son flingue.
      _Tu vois l'ami. Tu vois ma gueule? Je suis au maximum là. Et tu ramènes des enfoirés de chasseurs de prime pour protéger ta tête. Tu ramènes des gamins pour te protéger !! Tu te fous de moi j’espère.


      L'a pas le temps de finir sa phrase, le guss, qu'un coup de feu retentit. Sortit d'nul part. Comme ça. Comme un putain de cheveux dans la soupe. Ce qui suit? Un silence. A faire pâlir le plus mort des macabés. A faire déglutir encore plus notre boss qui déglutissait déjà pourtant pas mal. Et après, après ce gros blanc au milieu des pas blancs...

      Tous les flingues se sortent et sans que je ne tilte le dit gamin est déjà à foncer sur le vilain, la lamelle en avant. Ça se passe rapidement et avant même que le guss blanc pas blanc puisse réagir y'a déjà son bras qui s'éloigne de son corps, coupé. Moi, je suis déjà planqué, derrière un rocher qu'est pas si grand et qui se fait buriner de balles. A côté, l'ancien marine me mire en faisant les petits yeux.

      _T'sais pas quoi... J'ai zappé mes munitions... 
      _Je te donne trois balles. La dernière...

      Le gars me sourit. Le sourire de circonstance hein. Pas celui qui monte jusqu'aux oreilles, non. Celui qui vient se glisser lentement, doucement et qui disparaît aussitôt parce qu'une balle a sifflé trop près. Ça suinte trop la mort derrière le cailloux. Devant ? Que dal. Une forêt d'où pourraient débarquer d'autres guss si le Julius n'a pas fait son travail. A gauche, à droite, je sais pas. D'autres tueurs sûrement. Ça serait pas drôle sinon. Peut être bien même que c'est la voix du vieux que j'entends brailler, à gauche, entre tous les sifflements de balles. Mais l'Halbor braille trop fort. L'argent a été trop cher pour lui cette fois et son bras en moins a pas l'air de lui plaire. Il braille sur tout, tout le monde. Mais son bras reviendra pas. C'est sûr. Alors j'tente d'aider le gamin qui coupe ceux qui l'emmerdent au milieu du bordel. Mon bras sort de temps à autre, tire deux trois balles et repart se planquer.

      J'suis trop jeune pour crever.

        Quand tu vois quinze types qui te zieutent dans l’blanc de l’œil avec l’intention claire et avouée de te maraver la gueule, t’es pas à l’aise. Je n’chie pas dans mon froc, c’n’est pas l’genre de la maison. Par contre, je ne me vois pas les torcher en m’curant le nez. Il va y avoir de la calotte sur l’coin du citron avant que je ne leur pète le gnon à ces glands.

        Quel con, putain !

        Encerclé par tous ces gus, je ne me voyais pas faire de vieux os, si t’aimes bien. Parce que la vie n’est pas tout le temps vache avec moi, y a ce gamin qui sort son tranchoir et qui s’met à démembrer les zigs à la pelle. Faut voir comment il y va, moi j’n’ai pas l’temps. L’appel de la baston m’dit qu’il vaut mieux les dézinguer avant qu’ils me passent à la casserole.

        Déjà, on ne m’donne pas tellement l’choix. Y a de ces cons qui m’tombent sur l’râble avec l’projet hostile de m’faire une tronche de passoire. C’est sans compter mon épée dans leurs côtelettes. Je passe entre les lignes et ça vire les pétoires pour dégainer d’la lame. J’voudrais bien leur d’mander de venir un par un.

        Est-ce qu’on écoute un vieux type comme moi ? Ça m'couperait l'sifflet.

        Alors, j’n’ai pas l’choix. Je m’farcis deux lascars à sénestre. Et j’me retourne vers la foule ; façon polie de tous les avoirs dans mon champ d'zyeutage. Pas que j’les accuse de vouloir me poignarder dans le dos, mais presque. J’n’ai pas encore décidé de tirer mes billes du jeu et il vous faudra compter avec moi, les loustics.

        J’me dis que je me suis mis dans d’bonnes conditions pour leur foutre une raclée maison. Le truc qu’ils ne pourront pas raconter à leurs gosses pour cause de trépas. J’me dis que tout va bien aller et qu’il suffit de les garder toujours dans mon point d’mire.

        Y a pas pire connerie que d’être rassuré pendant un combat. Forcément, j’ai raté que l’gosse se fait dérouiller sa race. Il est peut-être bon, mais il lui manque l’expérience qui lui apprend qu’il ne suffit pas d’être plus fort pour n’pas clamser comme une merde. J’envoie péter deux malabars d’un coup transversal. Leurs têtes s’font la malle ; une histoire de loyer.

        Dans la bousculade qui s’en suit, j’me retrouve à lui sauver la peau. Il est tellement jeune qu’on voit qu’il est encore à boire le lait d’sa mère. Il s’est pris un méchant coup à l’épaule gauche. Un coup d’pute.

        Dos à dos, on s’retrouver cernés par les quelques gars qui restent et il y en a encore assez pour nous réduire en charpie. Je sors un autre couteau et j’m’en sers comme main-gauche. L’idée est de tenter de rester en vie autant que faire se peut.

        « Hé les planqués ! Vous avez p’tet fini de vous dorer les miches ! »

        En espérant que l’un de ces connards se soit bougé l’cul. Au fait, il est où leur enfoiré d’patron avec son costume chicos ? À creuser si je n’y rest’pas.


        Dernière édition par Julius Ledger le Sam 9 Fév 2013 - 23:20, édité 1 fois
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        Jamais sû cogner les gueules avec autre chose qu'un flingue, alors quand Julius me demande de sortir, ça me plait pas trop. L'autre privé, toujours à côté de moi soupire un coup. Sa gueule de connaisseur tire vers le bas tous ses souvenirs. L'a du passé et c'est pour ça qu'il sait. Qu'il sait à quel point on est dans la merde. L'a utilisé ses balles depuis longtemps. Alors je sors mon Opinel. La vieille lame au manche de bois tout griffonné de signes illisibles. Toute limée par les heures à s'emmerder quand la coque se balançait de gauche à droite. Mais là, c'est mon coeur qui se balance, ce sont mes jambes qui tremblent. L'est plus l'heure de se planquer, les pétoires sont rangé. Les lames sont sortis. Et moi je me lève, pour répondre au Julius.

        _C'est moi que tu traites de planqué? Va falloir t'excuser l'ami.

        L'ancien marine se lève au même moment. Me tend une clope que je saisis. Le briquet s'allume. Sais pas comment il fait mais l'injurieux sourit et je crois bien, bah que c'est la première fois depuis le début. Y'en a certains qui se mettent à rire quand l'hankou vient les chatouiller. Moi, ça me fait pas rire. Je pense à la femme, à la gosse, qui m'attendent et qui tireront la gueule en voyant les nouvelles cicatrices qui manqueront pas d'apparaitre. Mais c'est la vie. La mort aussi.

        Alors on fonce dans le tas. Un premier guss vient tenter de me tailler mais déjà mon pétoire vient perforer son oreille avant qu'il puisse faire quoi que ce soit. J'insiste avec une quinzaine de coups jusqu'à ce que le pauvre vieux ne s'écrase la gueule par terre. Le con savait peut être pas qu'avec une oreille en moins, c'est tout de suite plus chiant de marcher. Au moins il se couche moins con. Pas le temps de me reposer qu'un autre arrive. C'est un jeunot celui là, le genre à pas avoir passé les douze piges qu'il avait déjà une arme en main. Ses longs cheveux reliés en natte additionnés à sa gueule d'ange lui donnent un air de gonzesse qui va mal à la lamelle qu'il porte. Le gosse fonce sur moi et sa lamelle elle aussi veut me tailler.

        _Désolé gamin, t'es trop lent. Encore? Toujours ...trop lent.

        Et la mienne, de lamelle, vient couper les siens, d'avant bras. S'il savait pas qu'avec le cou et le front c'est ce qui saignait le plus, il le sait maint'nant.

        _C'est pas personnel, gamin.

        Le pauvre gosse s'effondre, sûrement à moitié mort, et moi; je m'en fous. J'observe ce qu'il se passe autour. Pas loin de moi le Julius va pas tarder à se prendre une épée dans le dos. Alors je fonce vers l'enfoiré de traître qui combat pas à la loyale et quand j'arrive à porté c'est pas lui que je tape. C'est Julius. Mon poings vient s'écraser sur sa gueule et ça fait bouger toute sa carcasse qu'évite le coup de lame.

        __J'suis pas un planqué. Connard.

        Mais l'a pas le temps de répondre et déjà, on se trouve entouré. Le gars que j'ai pas voulu frapper. Les autres qu'ont pas encore abandonné. L'halbor qui continue de brailler ses ordres malgré le "MAIS TA GUEULE!" que je sors et qui vient du coeur. Alors on recommence et cette fois c'est pas le Julus qui se prend les coups. J'ai ressorti le pétoire pour l'occasion et quand ça arrive trop près de moi c'est l'Opinel qui finit le boulot. Ça suinte le sang comme j'aime pas. Je me prends presque autant de coups que j'en donne et j'parfois même envie de me laisser embrasser par les lamelles tellement y'en a trop. Mais je m'accroche. Encore. Toujours. Jusqu'à ce que les survivants ne se tiennent plus que sur une jambe. Jusqu'à ce que le sol soit tapid de rouge.

        Jusqu'à ce que la patron ne réapparaisse d'on ne sait où. Le lâche, l'étais parti se planquer pendant que ses hommes crevaient pour lui. L'a beau faire la grande gueule maintenant, l'est encore plus blanc qu'avant. Encore plus maigre et une sale odeur me fait dire qu'il a dégopillé ou qu''il s'est ché dessus tellement l'avait les ch'tons. Alors quand je le vois venir injurier l'méchant qu'est le seul à pas encore être mort, mon poings vole vers sa gueule.

        _T'as laissé où tes couilles, bordel?
          Crac, boum et paf. Le nom des trois fées qui se sont penchées sur mon berceau. Elles ont tenu leurs promesses ces connasses. Je n’ai jamais connu rien d’autre dans ma vie. Aujourd’hui, c’est plus vrai que jamais.

          Avant que ces deux emmerdeurs ne sortent de leurs hamacs, j’ai bien eu le temps de prendre deux méchants coups, un qui m’a niqué une côte et un autre qui m’a lézardé le dos. Tout ça parque ma vigilance a baissé et que se faire entourer par les ennemis est la plus conne des manœuvres qui soit. Dans l’intervalle, j’ai quand même pu allonger quelques petits gars, mais l’avantage du nombre est que les renforts sont toujours en forme et toi pas.

          « Tu tiens bon, morveux ? »

          Je lui lance un r’gard vite fait pour vérifier qu’il est encore à bord. Son visage a les traits tirés et une teinte livide. Il a dû perdre pas mal de bordeaux de son épaule. Une large croûte s’est formée dans sa manche, mais ça coule encore à flot. Je dois dire qu’il a du cran, des baloches d’enfoiré. Ça se voit à ses yeux encore vifs. Il me sort d’un air plus mort que vif :

          « Mieux que toi, le vieux. »

          Quelque part, ça m’fait chaud au cœur de voir ça. Des types avec des tripes, il en manque sévèrement dans l’paysage. Ce serait dommage que çui-là finisse six pieds sous terre. L’étreinte se resserre autour de nous, il faut que j'pense à ce gamin. Heureusement que la cavalerie arrive et ça bouscule la poignée de glands qui reste. En parant un coup destiné à mon protégé, je n’ai pas pu voir arriver un mec dans mon dos, le lâche. Sa lame m’a laissé une longue zébrure pendant qu’une putain de mandale m’éclate au sol.

          « Bordel, mais t'es de quel côté, connard ? »

          Je me relève pour me mettre à la gueule avec cette joyeuse bande, la lardoire en érection. Après l’intervention du chapeau et du pov'type, on s’en sort légèrement mieux. Ce qui reste de clampins forme une dernière charge. Notre formation résiste sans broncher. Tant mieux, parce que je commence à atteindre ma limite avec toutes les conneries que je m’suis tapées cette journée. Il a intérêt à allonger la monnaie le patron. Sauf si le tonton flingueur finit de lui raboter la mâchoire avec ses paluches.

          « Tiens, je n’fais pas crédit. »

          Avec un élan superbe, je lui retourne une tartine magistrale. Le con, j’ai la joue qui enfle maintenant, on dirait un gosse tatané par son paternel.

          « Haha, fais pas la tronche. Sans rancune, dis ? »

          Je lui tends la main amicalement. Et maintenant, on fait quoi ? J'ai comme l'impression d'avoir oublié un truc vachement important. Ce musicos à la con !

          J'avise un gosse que j'reconnais comme le p'tit gars burné. Il faut que j'arrête l'hémorragie et puis, et puis, j'en sais foutre rien. Il lui faut un toubib en urgence sinon, il va y passer.


          Dernière édition par Julius Ledger le Dim 30 Déc 2012 - 22:48, édité 1 fois
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          Le gosse pisse le sang, mais tout le monde pisse le sang, non ? Peut être pas non. J'ai peut être quelques bobos oui, mais je suis solide, ça fait pas mal. Presque pas. Le Julius tire presque pas la gueule avec toutes ses bosses. Le patron a juste sa sale odeur qui le suit partout comme un charogne. L'ancien marine ? Continue à sourire connement en voyant toutes les carcasses qu'il a laissé et au milieu de tout ça. Le gosse chouinne en voyant son bide à moitié ouvert. Vrai que c'est pas beau voir. Ça suinte tellement que le patron manque de dégobiller encore une fois.

          _J'crois que l'môme a besoin d'un brancard. On s'taille quand c'est fait.

          J'ai braillé ça comme si j'étais le chef alors forcément, l'ancien marine vient gueuler. Ses injures volent dans l'air et ses poings volent comme si le sang n'avait pas déjà assez coulé. Mes "fermes ta gueules" ou "tu vas arrêter de brailler ?!" servent à rien, l'est parti pour pas s'arrêter. S'approche de moi pour jouer au torse contre torse, me toise comme la dernière des merdes et j'aime pas trop ça. Mais quand mon poings se ferme pour partir dans sa gueule on se fait siffler derrière. Pour observer le pauvre gosse qui suinte de partout. Ce gosse qu'est peut être un peu plus urgent qu'une connerie d'histoire d'égo. A coté? Le gars avec qui j'suis sans rancune. Aucune. Sa gueule qu'est tiré vers le bas, ses poings qui tremblent d'énervement, tout ça me rappelle qu'on doit bouger. Et vite. Et même le connard d'ancien marine vient pas l'ouvrir et prend l'avant du brancard improvisé. Direction le port. Sauf que le patron veut nous accompagner et nous demander de finir l'Halbor à qui reste encore d'la vie. On doit l'buter avant de partir apparemment. Et après, on doit remplir les brouettes de drogues et d'or. Et ensuite seulement on repartira. Ou pas. L'a pas compris, le patron. L'a pas compris qu'il restait ici.

          Mon flingue se ressort et deux balles viennent se figer dans chacune des chevilles du patron.

          _Comme ça, t'apprendra à être un homme, connard.

          Et au milieu, entre le patron et l'Halbor, un flingue vient se poser, avec une seule balle. Le gagnant aura l'or, la drogue et tout ce terrain pour finir les quelques secondes de plus de vie qu'il vivra. Le chanceux. Mais nous, on n'y pense déjà plus, trop occupés à retraverser la jungle. Déjà à se battre contre les branches épaisses, à tenter de retrouver le chemin. A enjamber des arbres si gros que je savais pas ça possible. A se faire manger par les insectes qui s'approchent toujours plus nombreux du gosse pour venir lui sucer le sang. Et pourtant l'ancien marine a bien fait ça. A lui foutre une moustiquaire tout autour de la blessure. Y'en avait pas d'assez grande pour tout le recouvrir en entier. Alors on avance comme ça pendant des heures. Et on arrive enfin au port en gueulant au toubib. Le gosse a pris un sacré coup avec le voyage et trouver un spécialiste devient de plus en plus urgent. Mais les péquenots du coin s'en foutent comme de ma dernière chemise. L'un d'eux vient même nous demander d'arrêter de gueuler. Comme quoi on générait, et qu'y'a pas de toubib sur cette île. Alors son cole se saisit, mes lèvres viennent à beugler à ses oreilles et mes poings griffer son cou trop faible.

          _Ecoute moi bien p'tit con de mes deux, les pourris comme toi, je les loge d'une balle entre les deux yeux normal'ment. Alors tu vas m'dire où se cache l'toubib de cette île.

          Mais l'connard persiste. Alors on rembarque sur la coque et c'est là que j'me rend compte. Bah qu'on est plus que trois. Et trois pour faire naviguer ce bout de bois au milieu de l'océan, ça risque de pas être facile...

          _Les autres, sont où?

          _T'es con ou quoi? Sont mort. Tous. Le cap'tain, les plieurs de voils, le cuistot, les mousses. Tous.

          Me file une clope. Pas si connard que ça l'ex marine, même si la situation le fait bien marrer. J'observe l'océan et pointe les nuages noirs qu'apparaissent au fond. Les deux autres hochent la tête l'air de dire qu'on n'a pas trop le choix. Le plus bourru lache un mot d'oiseau et on se remet à trimer. Le gosse se fait attacher histoire de pas trop bouger, les voiles se font tendre et la barre se met dans la bonne direction. Shimotsuki est l'île civilisée la plus près. Reste plus qu'à foncer vers elle. Au bout de trente minutes le taff est fait et la coque se met à bouger presque bien comme il faut. Mais c'une heure après, qu'on regrette. Quand les vagues se mettent à cogner trop dur. Trop hautes. Quand on se met à plus voir après un mètre tellement les nuages bouffent le ciel. Quand l'eau commence à gicler tant sur tout le pont qu'on est obligé d'écoper. Là, on se dit qu'on aurait pas du partir. Et les coups qu'on entend nous confirment l'idée. Ceux de roches s'écrasant contre la coque du bateau.

          _J'crois qu'on va couler, les amis.

          Sauf que pour qu'ils entendent faudrait le brailler. Et j'ai pas le temps. Faut s'occuper du gosse. Faire en sorte qu'il crève pas. Le grand mat se déchire. Le petit manque de me tomber dessus. Les barques de secours se font détruire par les vagues et alors que j'arrive à la cabine du gosse une vague m'emporte dans l'eau. Ça s'met à tanguer, je m'mets à en bouffer de partout. Le sel et le manque d'oxygène me bloquent tout. Mes yeux m'piquent. Puis mes poumons, puis j'sens plus rien. Et mes yeux s'ferment.

          _____


          J'réouvre ma gueule. Tout l'corps endolori. J'ai mal partout. Bordel j'crois que j'suis mort. J'crois qu'à côté j'ai ma femme. J'mire mieux. C'est pas ma femme putain d'merde. C'est Julius. J'suis pas au paradis, j'suis sur une plage. J'reconnais ces crabes. Tous rouges avec les pattes vertes. Les crabes de l'île Oclygan...


          _Putain d'merde, on est foutu.
            Pour un type qui a passé le plus clair de son temps à s'terrer derrière un rocher, il a une sacrée gueule. Si le môme n’était pas aussi mal au point, je lui aurais remis une tarte à ce con. Vrai qu’on a besoin d’ça, les deux planqués qui gueulent bien fort une fois l'danger passé. Je ne m’intéresse qu’au moyen de sortir ce p’tit gars de la mouise quand ces deux connards jouent à qui a la plus grosse.

            Enfin, l’heure du départ, puis du départ à nouveau et enfin de l’arrivée désastreuse. Ce qui arrive au patron entre-temps ne me fait ni chaud ni froid. Il pourrait crever de soif devant moi que je n'lui filerais même pas ma pisse pour l'sauver. Par contre, la grosse averse qui vient nous claquer le pif, elle m’inquiète légèrement. Il faut dire qu’elle a un sale caractère, sûrement mal baisée par le Père Tempête.

            Le bateau ne tient pas longtemps avant de craquer tout du long. C’est pas d’la bonne œuvre, on sent la radinerie du mec et de bonnes vagues d’eaux salées dans la tronche, d’ailleurs. Le mât est le premier à s'faire la malle et avec lui, notre espoir de parvenir un jour à destination. Le morveux emporte avec ses cordes une belle calotte du navire. Je me jette dans l’eau pour le suivre. Dans la flotte, je trouve un chapeau en surface. En profondeur, un enfoiré à la taloche bien sèche qui boit la tasse. Je le ramasse et puis, direction la plage. Sable fin, cocotiers et gonzesses à poil. Sans le sable fin, les cocotiers et les gonzesses. Bref, il fait chaud, humide et faim.

            « Tu vas bien, l'mioche ? »

            C’est pas super beau à voir, il est pâle, presque bleu. Il a l’air de souffrir comme un chien et ne me calcule même pas. S’il ne s’accrochait pas autant à la vie, je penserais à l’achever. Je n’suis pas expert, mais dans son état, le terminus n’est plus très loin.

            J’essaye quand même de faire quelque chose, un truc à mon niveau. J’arrive à recoudre sa plaie avec du matériel pas très net que je m’trimballe. Je l’ai désinfecté à l’eau bouillante avant. Ça devrait l’faire. D’autant plus que maintenant que je lui ai mis un pansement, il a l’air presque guéri, si on fait exception de sa face.

            Nourri et désaltéré, il retrouve quelques couleurs. Bon, il ne va pas faire un décathlon, mais c’est tout c’que j’peux faire pour lui. Pour le reste, il va lui falloir un sacré toubib et un putain d’pot d’cocu.

            Pendant tout ce temps, le pistoléro roupille encore. Comme je m’fais chier comme pas possible, je décide de le désarmer complètement. Sans une pétoire, on va voir s’il arrive à faire quelque chose de ses dix doigts. Juste au moment où je m’décide à le réveiller à coups de crampons, il décide d’émerger. Foutus ? À quoi voit-il ça ?

            « Mouais, t’es sympa et tout, mais on le gosse va nous claquer dans les pattes si on n’se bouge pas le derche. Alors, bouge-toi l’fion et montre-moi où on passe. »

            Y avait bien un quatrième avec nous, si ? Y avait, y avait.


            Dernière édition par Julius Ledger le Sam 9 Fév 2013 - 23:25, édité 1 fois
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            L'a pas compris, le Julius, l'a pas compris qu'on était perdu.

            « On dit qu'ici, y'a tellement d'bateaux qui s'y perdent. Y'a tellement d'hommes qui tentent de traverser l'île, que les guss qui vivent là n'ont même plus le temps d’enterrer les cadavres. J'sais pas si tu comprends c'que ça veut dire. L'chemin que tu vois, derrière nous. Tout bouffé par les arbres qui viennent lui lecher les bords, l'est jonché de cadavres. Derrière chaque tronc se cache un pirate qui vient détrousser du luron. On pourrait bien faire l'tour de l'île ouai, mais faudrait 5 jours au lieu de deux heures...  Et après, y'a un port. Que si on est toujours en vie, on pourra prendre une coque...»

            Mon tabac tout humide se roule et la clope finit au bec. Je l'allume comme pour me donner une contenance. Jamais été peureux, moi, je veux juste revoir mon brin de femme. C'est humain. J'crois. Mais ce que j'crois aussi, c'est que le Julius en a marre de parler. Et qu'il est pressé d'agir. Alors je tire une dernière latte, remets mon chapeau en place et pars vers le chemin. J'en entends déjà des cris. Des coups de feu qui partent se perdre je ne sais où. J'aime pas ça.

            A peine le premier pas mis dans le chemin que je vois déjà plus rien. Le temps que les yeux s'habituent à la pénombre, aux branches recouvrant tout jusqu'à presque faire disparaître le soleil qu'était pourtant pas petit. De tous les côtés, j'entends des bruits, petits, gros. Des craquements de feuilles, des fourrés qui bougent. Je sais pas d'où ça vient. Je sais pas c'est quoi. Mais j'aime toujours pas ça. La seule chose que je sais, c'est qu'à tous moments peut nous tomber dessus un truc moche. Le genre de truc qui tue sans se soucier du reste. Qui ramasse les piécettes avant de disparaître. Derrière, Julius traîne la carcasse, moi je déblaye le terrain. Enfin je tente. Et plus on avance, plus les bruits de choc, les cris et les coups de feus se font pressens. Mon revolver est sorti. Tout humide, pas sûr qu'il serve. Comme un con je l'ai pas protégé dans la tempête. J'ai juste pensé à ma vie.

            On continue comme ça, un moment. Les minutes passent sans que je sache combien se sont écoulées. Combien il reste à faire. Chaque bout de ce foutu chemin ressemble à l'autre. Tellement que parfois je m'dis qu'on fait du surplace. Je vois maintenant à plus de cinq mètres devant moi. Derrière, Julius continue à tirer la gueule. Le petiot à gémir. Les bruits se font si proches que j'ai sorti mon Opinel. Ça sera toujours mieux qu'un pétoire qui tire pas.

            J'entends des gémissements... Je m'avance encore un peu... Maintenant mes pas se font petits, comme peureux de c'que je vais découvrir... Ils se mettent à bouger encore... Lentement... Et là.

            « Vous en avez mis du temps, les gars, j'ai eu le temps de dessouder une demi douzaine de pecquenots ! .»

            L'ancien marine apparaît. Mes yeux discerneraient presque un sourire. C'était donc lui, tout ce putain de bordel.

            « Si on se grouille, on peut sortir de là dans moins d'une heure et demi. Faîtes gaffe à vous marchez quand même. Ces cons laissent traîner des pièges.».

            L'est drôle lui, à sourire comme un con alors qu'il peut flancher à chaque minute qui passe. Je lui demande pas comment il s'est trouvé là. Je lui demande pas comment il connaît l'endroit. Je veux pas savoir. Le guss me lance une arme. Me dit que ça sera plus utile que mon couteau de cuisine. Pauvre con. Me dit aussi qu'il y a que trois balles. La dernière... Re-pauvre con...

            On reprend la route. 'Fin le chemin. On se remet à flipper comme j'ai pas souvent flippé. Et soudain, un balle fuse. Juste sous mon nez. Tout mon corps bascule en arrière et à moitié avachis le dos à terre, mes trois balles répondent. Un corps s'écroule d'un arbre. Une sale gueule comme j'en ai pas souvent vu. Tout sali, tout barbu.


            Dernière édition par Mihai Moon le Mar 22 Jan 2013 - 9:06, édité 1 fois
              « Ah ben, moi qui croyais pouvoir siroter un rhum-coco en me faisant faire un massage de la voûte plantaire. Dis, elle est sympa ton histoire. Si tu racontes ça à un gosse, il va chier dans son froc, mais actuellement, on a un p’tit gars pas bien frais. Alors, on peut y aller ou tu veux prendre tes huit heures de sommeil ? »

              Parce qu’il faut bien y aller, la colonne se met en marche, direction les tiques et les ronces. Ma parole, l’endroit est conçu pour te transformer en passoire, tu n’fais pas deux mètres sans te faire piquer. C’est humide, chaud et étouffant. Ma chemise fait trois kilos de plus. Je sue plus qu’un porc dans un sanatorium. Je n’m’envoie pas bien d’la flotte préférant en laisser le plus possible au musicos. Le regain d’énergie de 'taleur n’a pas fait long feu. Il retrouve sa gueule de prémacchabée.

              Putain, ne m’fais pas c’coup-là, bordel.

              Je n’sais pas pourquoi j’tiens tellement à ce qu’il reste en vie. J’en ai déjà vu des gonzes clamser. De plus mastocs que lui. Ça doit être le combat, quand j’ai posé mon dos contre le sien et qu’il m’a couvert comme un chef que je m’suis mis à vraiment l’apprécier. Ça n’a duré qu’un instant, mais il a arrêté d’être un boulet pour devenir un partenaire. Le moins que je puisse faire est de me le transporter sur le râble.

              Et puis, coups d’feu, parce qu’il faut bien. Une île, ça doit conserver sa réputation. Elle ne peut pas s'permettre de se faire traverser de part en part sans prélever un p’tit quelque chose. Mais cette fois, un revenant qui s’radine. L’air tranquille du mec qu’était juste aux commissions. Bah quoi ? Tout va bien, il a juste survécu à une tempête modèle géant et deux fusillades. Tout à fait banal, il a même pris le temps de boire son lait-choco. Une heure et demie, note la précision du gus. Il n’y a que moi qui sois largué dans l’périmètre. Tout le monde sait où il va et l’identité des enfoirés d’en face. Alors, je n’la ramène pas. J’attache juste le jeunot avec une corde pour avoir mes deux mains libres au cas où il y aurait du grabuge.

              Bingo, nouveaux coups d’feu. Alors, là, c’est tout d’même chiant. On n’peut pas faire dix mètres sans tomber sur des mecs à pétoires. C’est la convention des trous d’balles, le symposium d’la gâchette. Me planque autant qu'possible. Vu la masse que j’représente avec le colis, c’est pas un arbre qui va m’servir de refuge. Du coup, pendant que mes deux « potes » finissent leurs minutions, j’dépose le gamin, caché au mieux derrière un buisson. Je chuchote aux deux mecs :

              « Bon, j’vois bien que vous n’avez pas bien d’plombs. Alors, voilà c’que j’vais faire, j’vais leur mettre sur la gueule et vous allez vous barrer avec le p’tit. J’vais faire de mon mieux pour gagner du temps, après, c’est à vous d’jouer. Si vous avez r’marqué qu’il n’y a pas d’questions c’est qu’vous avez tout percuté. Bonne, les gars. »

              Et je jaillis, dans l’dos d’un des barbus. Pas chevaleresque, mais ça évite les bavures. J’lui sectionne la gorge et les autres convergent vers moi. Les tirs fusent. Je m’jette dans un buisson pour me relever pas loin d’un bandit. Il essaye de dégainer sa lame, mais il n’est pas assez rapide. Celui-ci dézingué, je m’retrouve encerclé par trois joyeux larrons aux mines patibulaires. Ils ne sont pas là pour faire des câlins. J’leur en donne pour leur pognon, ces péquenauds. J’leur dérouille leurs mères non sans m’en prendre une bien méchante au torse. C’est la journée, on dirait. J’essaye quand même d’avancer pour ma me faire encercler, mais la fatigue commence à faire son effet et mes blessures me font de plus en plus souffrir. Je persévère parce que chaque instant est précieux.

              Et puis, arrive le moment où je suis fauché en plein vol par une cartouche bien pute. Elle se loge dans mon bras gauche. Je m’casse la gueule et me relève péniblement. Trop lentement pour parer une hache qui essaye de m’faire manchot. L’os de mon avant-bras gauche l’arrête. La douleur est insoutenable. Je manque de m’évanouir, mais l’idée de finir en andouillette pour ces sauvages me redonne le peu de vigueur qu’il faut pour lui en mettre une. C’est l'dernier de ces salauds que j’ai vu. J’ai dû arrêter d'les intéresser.

              Je traîne mon membre sanglant à travers la végétation qui devient de moins en moins dense. Le chiffon que j’appuie sur ma dernière blessure est plus imbibé que le dernier des ivrognes. Et j’commence à perdre un peu l’nord. Heureusement que c’est lui qui m’trouve. La ville tant promise, je m’traîne dans la première infirmerie sur laquelle je tombe. Le sol est blanc, le plafond est blanc, les murs sont blancs. Y a même une femme qui fait semblant d'être aimable jusqu'à ce qu'elle me voit amener mon lot de boue et de sang. Elle sort un balai et commence à nettoyer pendant que je me vide de mon dernier litre de sang. Elle a drôlement de la vaillance la petite pour persévérer alors que je salis plus vite qu'elle ne récure. Il faut quand même attendre que mémé finisse de s’faire soigner son ongle incarné avant de s’faire rafistoler. J’aurais bien gueulé, mais j’n’ai plus la force de. Je suis une loque qui n’sait même plus c’qu’elle fait là.

              Un truc avec un bateau, j’crois.
              Ou alors une forêt.
              Ou les deux à la fois.
              Ou alors deux fois chacun.
              Et le morveux dans tout ça ?

              « Où est-ce que vous avez mal ? »

              Sérieusement ?
              Voile noir.


              Dernière édition par Julius Ledger le Sam 9 Fév 2013 - 23:30, édité 1 fois
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              J'ai récupéré quelques balles du guss que j'ai dessoudé, et avec, le gosse à trimbaler. Julius joue encore à se perdre dans la jungle, comme contre Halbor, l'a pas compris la première fois qu'il a failli crever, il veut retenter. Temps pis pour lui. Avec le vieux marine, on continue à se trimbaler. A entendre couiner le gosse qu'en peut plus de la vie. Les bruits de fourrés, de balles qui se perdent, on fait plus gaffe, le marine trace la route si vite que j'ai du mal à traîner le gosse. On courrait presque.

              J'sais pas toi lecteur, mais moi c'est la première fois que j'dois faire ça. Trainer un gosse à moitié mort en courant comme un con au milieu d'une forêt infesté où on voit pas à plus d'trois mètres. C'est la première fois et sincèrement, j’espère bien que c'est la dernière. Mais j'ai pas le temps d'y réfléchir, ça non. D'ma main gauche je porte la chariote toute pourrie qui traine le gosse et de la droite je tends mon flingue vers le futur con qu'osera encore vouloir me trouer. Et ça arrive vite. Un bruissement trop proche qui me fait envoyer deux balles. Qui fait tomber un corps, mais je continue à courir, je regarde même pas la gueule du guss que j'ai descendu. J'ai pas le temps.

              On continue, encore.

              On court comme ça, comme des dératés, on dessoude des guss, on zigue zague ente les balles. L'ancien marine se marre. Le gosse couine. Et au bout d'un temps que j'pourrais pas dire, je crois voir apparaître le bout du néant, la lumière du jour. Mais là, le soleil se fait engloutir par des ombres à l'orée du chemin. Des ombres qui rien qu'à leur démarche, on comprend que ce n'sont pas des drôles. Oh non. Alors on court encore, on vide nos chargeur sur ces formes inertes qui se transforment peu à peu en guss pas drôles. Qui nnous chargent aussi. Et les coups de feu retentissent. Et le sang suinte et mon épaule se décale sous une balle.

              --------♪-♫---------------------

              C'qui s'est passé quand on s'est rencontré ? Qu'les flingues ont laissé place aux lames ? J'pourrais pas dire, mon esprit s'est bloqué sur sa rage de vouloir rester en vie. J'crois bien que j'ai sauté partout, qu'mon opinel s'est planté là où elle pouvait et qu'quand j'ai récupéré mon esprit, y'avait plus qu'une ribambelle de sang tout autour. Tout mon corps me faisait un mal de chien mais l'petiot qu'était un peu plus avant encore bloqué dans sa chariote m'a rappelé à l'ordre. L'ancien marine qui tenait plus que sur une jambe aussi. Et on a marché jusqu'au village, jusqu'au port. On a cherché un bateau pour une vrai ville jusqu'à voir le mot « infirmerie ». Alors on est rentré pour mirer le pauvre Julius tout suintant de partout qu'arrivait pas à se faire soigner. La mégère et son balais m'ont maté de la tête aux pieds. Je l'ai maté de la tête à pas plus bas. Mon bras s'est perdu sur mon flingue pour bien montrer que je voulais pas rire. Elle a pointé tout le monde du doigt, en commençant par Julius, puis le gosse, puis l'ancienne mouette pour finir par moi. Elle m'a sorti ça :

              _Ca fera 10 millions de berrys.

              L'ancienne mouette a sorti un sac de son dos et son opinel avant d'faire un trou de quelques centimètres dedans, l'sac. D'la poudre a commencé à couler.

              _Ecoute vieille peau, soit tu gagnes ça. Soit tu perds la vie.

              Comme quoi, l'bon Halbor aura fait un acte de bonté avant d'mourir.

              Et j'suis parti. Parce que j'avais plus rien à foutre ici et qu'mes blessures pouvaient attendre un vrai toubib. Pis rien qu'à l'idée que cette vieille mégère m'touche la peau, un goût d'gerbe venait aux lèvres. Alors j'me suis roulé une clope, pour le voyage, et j'ai pris le premier bateau qui sortait pour la ville. J'ai pas dit au revoir. Parce que j'savais qu'on se reverrait. Le gosse deviendrai un foutu bon chasseur de prime. Julius continuerai à jouer au con et un jour ou l'autre l'ancienne mouette finirai avec une prime sur sa tête.