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Rempli d'amour pour la haine et plein de haine pour l'amour

Le 27 août 1623.

Le regard rempli d'incrédulité, Sören fixait le marchant qui lui faisait face, poings sur les hanches, visiblement très agacé.

-C'est quoi, le problème ? J'ai rempli ma part du contrat, 'faudrait voir à honorer la votre. J'ai un criminel à pister du côté de South Blue, moi !
-Ah ouai ? J't'ai pas souvent vu défendre le navire contre les pirates. Et c'était le marché.
-Pas ma faute si vot' navire était pas assez brillant pour attirer l'forban. La prochaine fois, si vous insistez, j'donn'rais le mot à toute la racaille du port. Et puis 'faudra faire dans l'clinquant et l'rutilant. Une vieille barrique flottante attire pas son voleur.

L'air passablement ennuyé, retenant un bâillement, l'homme hocha la tête, l'esprit occupé à autre chose.

-Les affaires sont les affaires. Nous avons de bonnes propositions ici, alors, notre départ attendra la quinzaine. Nous n'avons pas parlé de délais dans le contrat, petit. Si tu ne peux pas attendre, c'est ton problème.
-J'peux pas vous forcer la main. Mais comptez pas sur moi si y vous arrive une embrouille. J'me trouv'rai un autre navire. A bon entendeur.

Après avoir passé quelques mois à resserrer les liens avec ses vieux amis de North Blue, Sören s'était décidé à repartir pour un second grand voyage, dans l'espoir de trouver enfin des compagnons solides avec lesquels il pourrait espérer partir s'aventurer sur Grand Line. Il n'avait rien à espérer d'un royaume qu'il ne connaissait pas, et dont il n'avait pas entendu que du bien. Ceci dit, il n'avait pas le choix. Le navire avec lequel il était venu était le seul en présence à être étranger. Ses poches étaient vides, en plus, ce qui ne lui laissait pas le choix. Il devrait faire le spectacle pour pouvoir manger et dormir le soir venu.

Il passa donc l'enceinte de la cité, et fut accueilli, à son grand étonnement, par une odeur de crasse et de pourriture. Un parfum qui n'avait rien à voir avec ses pieds nus, pourtant porteurs de la souillure d'une semaine en mer. Partout, les gens avaient l'air de mendiants à un point tel que lui, avec ses vêtements de vagabond, donnait l'impression d'appartenir à la caste du dessus.
Les chats qui avaient commencé à s'agglutiner autour de lui étaient faméliques, et le poil leur manquait. La gale était le lot commun des uns et des autres.

Touché par tant de misère tout en demeurant pragmatique, le garçon poursuivit son chemin vers le centre de la ville. Il ne gagnerait rien à faire le spectacle en pareil endroit. Car il était bien décidé à commencer par là. Il ne connaissait pas Goa, et la musique était un excellent moyen pour amorcer le tissage d'un réseau de sympathie.

Après n'avoir vu que des ruelles sales et grises pendant près d'un quart d'heure, il parvint finalement à atteindre un quartier des plus corrects, où se pressaient des commerçants affairés, ainsi que ce qui s'apparentait à une petite bourgeoisie proprette et distinguée. Sören esquissa un bref sourire, en caressant Morgan qui ronronnait sur son épaule. Il avait trouvé l'endroit idéal. Quoique... en regardant bien, les bâtiments du dessus avaient l'air plus fastueux. Ici, les gens travaillaient. Là-haut, peut-être s'ennuyaient-ils dans le luxe. Après tout, s'il se faisait rejeter, le barde redescendrait d'un échelon et reprendrait son bouzouki. La vie d'un musicien itinérant était plutôt simple, dans ces grandes cités à castes...

Finalement, il fût heureux de constater la justesse de son jugement. Il marchait sur une grande rue pavée aux motifs floraux, en compagnie de dames en longues robes à traine et de messieurs en costumes et cannes sculptées. Tout ce beau monde feignait de ne pas le voir, mais Sören souriait. Visiblement, personne n'était pressé dans sa routine. L'endroit était vraiment parfait.

Avisant un grand portail en fer forgé, le chasseur posa son unique bagage, et entreprit d'accorder son instrument. Autour de lui, une cohorte de chats appartenant aux trois différents niveaux de la cité faisait masse. Le ronronnement était tel que certains curieux, en passant, jetaient un regard inquiet vers le ciel bleu et lourd. Août, le mois des orages...


-Très bien ! Approchez, approchez ! Les petits devant, les grands derrière, approchez !

Mais personne ne s'était approché, au contraire. Les passants en beaux atours avaient même accéléré le pas, en s'efforçant bien de ne pas regarder le barde dans les yeux. Un brin perplexe, mais nullement décontenancé, celui-ci se mit à aligner quelques accords de base sur son bouzouki. Le point de départ d'une ballade aux nobles paroles, qui ne pouvait que séduire la faune locale. Quelque chose à propos d'un bel amour réunissant deux grandes familles qui se querellaient depuis des générations... Mais si les chats se balançaient langoureusement au rythme de la musique (ce qui, en soit, constituait déjà un spectacle), la foule restait de marbre. Certains s'étaient figés, mais leurs yeux étaient trop occupés à détailler l'apparence du malheureux barde pour que leurs oreilles puissent rapporter à leurs cerveaux la présence continue d'une vibration musicale.

Sören persévéra encore sur un morceau, puis un autre. Une foule aussi compacte que dégoutée s'était constituée autour de lui. Certains auraient pris cela pour une victoire, mais il était difficile de ne pas sentir la gêne monter des rangs en même temps qu'une certaine agressivité. Mais soudain, un bruit assourdissant domina la musique. On aurait cru celui d'une carriole de foire avec rubans, clochettes et grelots, menée par trois percherons.

En fait, ça n'était pas loin d'être cela, puisqu'il s'agissait d'un carrosse de conte de fée qui tentait de se frayer un chemin sous les exhortations d'un grand personnage maigre à la moustache taillée en pointe.


-Diantre, mais enfin, poussez-vous ! On ne peut même plus rentrer chez soi ? Aller, aller ! Enfin, pour qui vous prenez-vous ? Place ! Place !

Mu par un seul et même mouvement, l'ensemble des chats se retourna en direction de la source du tumulte qui venait d'arrêter net une chanson qu'ils avaient l'air d'apprécier particulièrement. Quelques fourrures se gonflèrent sous les feulements et les crachats, tandis que le carrosse dispersait les badauds endimanchés. Chacun s'en retourna chez soi, en essayant de préserver le maximum de dignité dans son maintien. Sören avait reposé son instrument, et s'apprêtait à décaler ses affaires pour laisser l'équipage passer la grille. Mais celui-ci ne lui en laissa pas le temps. Le barde eut tout juste le temps de se jeter sur le côté avec son précieux instrument tandis que les chevaux piétinaient ses affaires. Rien de bien précieux, mais en revanche, l'un des chats de la ville basse s'était retrouvé sous les roues du carrosse, et miaulait plaintivement en laissant son poil frémir une dernière fois sur son corps efflanqué. Le sang de Sören ne fit qu'un tour, et il peina à masquer la colère de sa voix.

-Eh, là ! Faudrait voir à surveiller vos sacrénom de manières ! Oh...

L'homme ne daigna même pas le regarder, lorsqu'il lui répondit. Mais Sören n'écoutait pas. Il était allé rechercher le cadavre du félin, bien décidé à aller l'enterrer quelque part. Seulement, ce faisant, il bouscula accidentellement le noble qui venait de descendre de calèche, pour ouvrir les grilles de sa propriété. Un acte d'autosatisfaction, dont il n'accordait le bénéfice qu'à lui-même.


Dernière édition par Sören Hurlevent le Sam 24 Nov 2012 - 13:31, édité 1 fois
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    Le jeune noble, car c'en est un,, jeune, bouffi, gras, et recouvert d'assez de fanfreluches et de dentelles pour fournir une dot tout à fait honorable à une jeune mariée désireuse de décorer son intérieur, le jeune noble donc, fait un bond de coté quand tu le bouscules pour t'approcher du chat... Il recule, dérape sur un pavé salement boueux, et après quelques moulinets des bras ou il tente sans succès de s'agripper à quelque chose, il tombe en arrière, loupe le marchepied du carrosse et s'effondre en piaillant contre la roue boueuse...

    Il n'en faut pas plus pour que tout le monde se fige. Les deux types la haut sur le siège conducteur, les deux autres à la grille... Et toi qui tout à ton chat ne remarque rien du tout.
    Pas même quand par la porte entrouverte du carrosse se pointe un visage fripé et couvert de talc d'une vieille douairière qui doit être la mère du monsieur...

    Il faut dire que dans tes mains l'impossible vient de se réaliser, le chat n'est pas mort... Ce n'est pas pour rien qu'on dit que les félins ont neuf vies, et ce petit malin la s'il est salement touché peut encore être sauvé pourvu qu'on s'occupe de lui rapidement, qu'on l'immobilise et qu'on nettoie sa plaie...

    -C'est abominable Chéri... Un malandrin vient de bousculer notre fils... En pleine ville !
    -Ouaaaah ! Paaaapaaaa !
    -Un malandrin ? Impensable !

    Et après junior et la mère c'est maintenant au père de pointer son nez au dehors. Un nez suffisamment large et rougeaud pour attirer instantanément l'attention, une bouche large à la lippe agressive et baveuse, et de petits yeux porcins coincés sous des sourcils de primates. Il jauge la situation d'un œil noir et trouve immédiatement la réponse appropriée. Tellement simple à trouver quand on à l'art comme lui de classer instantanément les gens dans des cases.

    - Impensable ! Vous avez vu ça vous autre ? Alors remuez vous bande de larves, pourquoi vous croyez que je vous paye hein ? Rossez moi ça !
    Vivant ! Il était encore vivant, malgré les roues acérées du carrosse !
    Sören n'en croyait pas ses yeux. Il serrait entre ses mains la dépouille féline encore toute frémissante de vie et de chaleur. Le chat ronronnait faiblement.

    Sans accorder la moindre attention au drame annexe qui venait de se produire autour de lui, le barde avait tourné les talons pour redescendre en ville basse. Là-bas, il trouverait peut-être un coin tranquille, très loin de tous ces tristes personnages tueurs de chats. Il avait l'habitude. Il panserait cette vilaine plaie, qui cicatriserait vite.

    Sans un regard, il battait le pavé de ses semelles, toujours suivi par son armée miaulante et feulante. L'image en aurait intimidé plus d'un, mais visiblement, la garde du noble bafoué connaissait son métier. Ils étaient payés à agir, fut-ce en guerroyant contre le légendaire joueur de flûte de Luvneel en personne. En d'autres termes, ils n'étaient que de bien pauvres militaires trop dépourvus d'imagination pour pouvoir éprouver du respect ou de la crainte. En la personne de Sören, ils ne voyaient qu'un être identifié comme nuisible par l'autorité en présence. Cela suffisait.

    Sur l'épaule du garçon, Morgan crachait, le coussinets en sueur. Il voyait venir la menace... Et son maître qui ne réagissait toujours pas ! Il devait absolument faire quelque chose, sans quoi, il le sentait à l'odeur des hommes, la fin ne serait pas heureuse. Pour rien au monde, il ne souhaitait voir la personne qui lui était la plus proche et la plus chère gésir sur le pavé dans une mare sanglante. Alors, il lança un cri de guerre, terrible. Comme un seul être, une seule créature, les chats firent volte face. De ceux qui portaient des rubans et arboraient un poil lisse et brillant, jusqu'aux pauvres hères au cuir pelé des bas-fonds de la cité; tous montraient les dents. Un son infernal, inquiétant, semblable à une sorte de plainte, jaillissait de cent gorges, tandis que s'armaient deux fois plus de paires de pattes griffues. Les plus sages des soldats reculèrent, tandis que les autres progressaient, indifférents.

    Puis soudain, ce fut le drame. Un militaire fit un pas de trop. Et alors, toutes les bêtes se précipitèrent en désordre sur lui. Le malheureux eut beau se débattre, tailler l'air de son sabre, il eut un œil crevé, son honneur terni et suffisamment d'estafilades sur le corps pour donner l'impression d'avoir traversé un kilomètre de barbelés dans le plus simple appareil. Les chats étaient désormais déchaînés, et resserrait leur étreinte sur l'escouade armée. Tout autour, certains passants avaient reconnu leurs animaux, et hurlaient à la mort, aggravant par là même le tumulte.


    -Kitty ! Non, brute, arrêtez, ma pauvre petite !
    -Si vous touchez à un poil de mon pauvre vieux Basile, je vous ferais jeter aux fers !
    -Clémentine ! Ici !
    -Bande de sales brutes !

    Pris entre deux feux, les gardes déconcertés furent contraints de se replier. Sören avait déjà disparu. Comme obéissant à un commandement invisible, les chats se dissipèrent peu à peu, laissant derrière eux une horde de soldats hagards et interdits et une famille de nobles humiliée... De quoi s'attirer les faveurs d'une bien mauvaise étoile.
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      -Intolérable !
      -Inadmissible !
      -Je dirais même plus, inqualifiable !
      -Et c'est arrivé en ville, chez nous, devant nos propres maisons !
      -Certains d'entre nous auraient pu être blessés !
      -Intolérable !
      -Inadmissible !
      -Je dirais même plus, inqualifiable ! Nous ne sommes plus en sécurités nulle part !
      -Il faut agir !
      -Riposter avec vigueur et fermeté !
      -Leur rappeler que nous sommes les maitres et eux les esclaves ! Souvenons nous de notre devise fondatrice, le seul droit du peuple c'est d’être brisé mais vivant Brisés mais vivants. Voila tout ce qu'ils méritent...
      -Exactement !
      -Alors que faisons nous ?
      -D'abord il faut le retrouver. Un joueur de musique. Il ne doit pas y en avoir tant que ça...
      -Et les chats ?
      -Les chats aussi, j'ai un plan, nous allons capturer tout les chats !
      -Et ensuite ?
      -Ensuite je ne sais pas... Est ce qu'il n'y avait pas des manants qui se plaignaient l'autre jour ? D'avoir faim ou je ne sais trop quoi...
      -S'ils ont faim, ils n'ont qu'a manger...
      -Oui je les ai entendus aussi, ils voulaient du pain je crois... C'est idiot, la brioche est bien meilleure...
      -Et bien s'ils n'ont pas de brioches, nous n'auront qu'a leur donner du chat !
      -Mon cher, vous êtes brillant, faisons ça !

      -Alors comme ça, ça vous arrive d'avoir d'quoi faire un civet dans l'coin ? Pardonne moi, mon gars, mais j'aurais pas cru.

      Sören se tenait face à une assiette plutôt généreuse, chargée d'une viande que recouvrait une épaisse sauce brune. Il ne croyait toujours pas en sa chance. Franchement, il fallait croire que Brom, son vieil ami d'enfance, avait clairement exagéré lorsqu'il parlait des nobles... le barde s'était attendu à être traqué, ce qui avait certes été le cas. Mais il lui avait suffit de trouver refuge dans le bouge le plus infâme qu'il ait pu trouver pour décourager les miliciens. Leurs belles armures auraient sans doute souffert de l'humidité et de la crasse qui, en ces lieux, faisait office d'atmosphère. Il avait été tranquille pour soigner le chat blessé avec ses pauvres moyens, et celui-ci reprenait des forces dans un coin de la sinistre taverne. En mangeant des morceaux de viande que Sören lui déléguait généreusement.

      -Ouai, ça me fait mal au cul et à tous les orifices de l'dire, mais on le doit à la bande de tringles à rideaux ambulantes qu'habitent en haut. Une connerie sanitaire, qu'ils disaient.
      -Ah, j'vois. Bah pour du rat, c'est rudement bon.
      -Y'a pas plus de rat dans ta gamelle que de pucelle dans ma litière, bonhomme.
      -Alors c'est quoi ? Me dis pas qu'Goa était bouffé par les lapins...
      -Nan, bonhomme, j'dis pas ça. C'est carrément plus barré. Dis toi qu'hier, dans la nuit, y'a la garde qui s'est pointée en grand atours, avec une tripoté d'esclaves. J'le sais, j'ai l'sommeil léger. Bien nourris pour l'occasion, les gueux. Et ces couillons là, ils se sont mis à courir après les chats. Y'a une rumeur comme quoi celui qu'en attraperait le plus serait libéré. Mais j'connais la parole des tringles... ça vaut même pas celle des rideaux qui vont avec. Enfin, tout ça pour dire que ça a couru dans la ruelle jusqu'au petit matin, et qu'on a eu droit à une livraison terrible de...
      -... Viande... de chat ?
      -Eh ouai, perspicace avec ça !

      Sören avait soudainement viré au blanc. En fait, non. Brom n'avait exagéré ni la bêtise, ni la brutalité des nobles de Goa. Et lui avait été négligeant de croire échapper à toute vengeance. Ils s'étaient simplement retournés contre les plus faibles, sans peut-être même songer que cela pouvait l'atteindre. Lui, le barde, le paysan, l'ami juré de milliers de chats dispersés à-travers les Blues...

      Réprimant une soudaine envie de vomir, il déglutit. Morgan et le félin blessé de la veille mangeaient eux aussi, et à ce stade, il n'y avait plus rien à faire. Ç'aurait été dommage de gâcher la nourriture. Chat ou non. Ceci dit, Sören ne trouva plus la force de manger, et ses deux amis ronronnant et miaulant se chargèrent de nettoyer l'assiette. Tant et si bien que le tenancier la replaça directement dans la pile des propres.


      -Ça va, p'tit ?
      -Ouai, ouai.
      -Pas la peine de mentir. J'aurais du te l'dire, je voyais bien que tu te baladais avec deux de ces bestioles, hein. On vit peut-être dans la merde, mais on est pas des porcs. Eh, t'es blanc comme un cul de besace ! Va pas me faire un malaise !
      -...

      Malgré ses efforts, Sören ne pu retenir plus longtemps la viande. Il vomit directement au pied du comptoir, en articulant avec peine un « désolé » glougloutant, et peu ragoutant.

      -J'vais nettoyer, t'en fais pas...
      -Pas la peine, c'est de la terre battue. Jète un sac de sable dessus et on en parle plus. Tu seras d'attaque pour le concert, ce soir ?

      Le barde hocha la tête, tout en se levant pour s'occuper du nettoyage sommaire. Mais il eut la surprise de discerner la silhouette peu familière d'un garde de la ville haute... Pour l'occasion, celui-ci avait revêtu quelque chose qui s'apparentait à un gigantesque sac poubelle. On ne savait jamais, la misère pouvait être contagieuse.
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        Toi et le garde vous vous regardez quelques secondes. Regard encore empreint de colère contre les monstres tueurs de chat contre regard bovin et inexpressif d'un type qui n'a que l'option matraque à la case hobby de son CV...

        Puis le garde voit ta guitare, enfin, ton bouzouki mais il ne s'y connait pas assez en instruments à cordes pour faire la différence, et une lueur de réflexion apparait dans ses yeux. Puis il baisse les yeux sur tes habits loqueteux, au moment précis ou un chat sorti de nulle part vient se frotter en ronronnant contre ta jambe...

        Tu peux presque voir les pensées qui traversent son cerveau épais... Type plus chat plus instrument de musique égal capture/promotion...

        Son regard s'emplit soudain d'une vile convoitise et sa main plonge vers sa matraque pendant qu'il lance les sommations d'usages.

        -Hep ! Vous la bas ! Plus un geste !


      Dernière édition par PNJ Requiem le Mer 5 Déc 2012 - 18:19, édité 1 fois
        Pourquoi était-il venu tout seul ? Peut-être la garde s'était-elle divisée pour mieux chercher... Peut-être que l'homme espérait une promotion rapide en agissant seul. Toujours était-il qu'il n'était pas couvert, qu'il était entré dans une cave sordide qui faisait office de comptoir, et qu'il n'y aurait personne pour témoigner s'il venait à lui arriver malheur. Sören échangea un regard complice avec le tavernier, qui souriait sous sa moustache avinée et son nez grêlé.

        -Oh, oh, c'est bon, chef. Je m'rends, v'nez donc me passer les menottes.
        -... Vrai ? Vous vous défendez pas ? Vous cherchez pas à me lancer de la fiente de poule dessus ? Vous fuyez pas ? …

        Ça sentait le vécu. Le tavernier s'approcha, en essuyant un verre sale.

        -Vous faites bien d'arriver, je l'ai retenu rien que pour que vous le trouviez, ici et maintenant, noble soldat. Faites votre devoir, enfin.
        ... Donc, j'peux pas trop le taper, hein ?

        Très intimidé par autant de mots qui se succédaient un peu trop vite et qui décrivaient une réalité qu'il n'avait pas vraiment envisagé dans son scénario de capture, le militaire hésita un moment avant de s'approcher. Un peu timide. Une vraie jeune fille en fleur sous ses airs de brute épaisse... Mais un client narquois referma la porte derrière lui, brutalement. Et lorsqu'il se retourna, soudainement pris par la panique, ce fut pour être assommé en traître par le tenancier qui avait l'air de prendre cela pour une vengeance personnelle.

        -Ce gros sac de soupe s'est fait une spécialité de terroriser le quartier. Quand ça manque de pauvres catins à trousser dans les rues, il lui arrive de faire des descentes dans les maisons et de tout casser. En toute innocence, en plus. Pas bien vu du gratin, ce genre de coups d'éclats, mais son père serait duc de quelque chose. Une merde de ce genre. Ça aide. On va le garder au chaud, pour un peu, je parierais que sa disparition soulagera sa famille.
        -Mouais... Tu connais mieux ton sujet qu'moi, assurément. N'empêche que j'peux pas rester ici. S'ils reviennent à trente, ils retrouv'ront leur pote, et j'ai pas envie de d'voir m'faire les griffes sur leurs gueules.
        -Oooh... Pas drôle, l'artiste. Tu crains quoi, au juste ? J'ai suffisamment croisé de forbans pour savoir que tu sais te défendre, et pas qu'un peu. T'as des muscles et des couilles sous tes airs de bon samaritain, j'me trompe ?
        -S'agit pas d'ça. J'veux pas d'emmerdes avec la justice.
        -Quelle justice ? La marine ? Y'a pas de marine qui tienne, ici. Y'a que cette bande de connards endimanchés qui font la loi sur le prétexte d'une putain de gloire passée. Des conneries, je te dis. T'auras p'têtre un problème si tu touches à un type en contact avec les Tenryu'. T'sais, ceux qui mettent un « Saint machin » devant leurs noms pourris. Ces gars là, c'est Goa puissance mille, et eux, ils ont vraiment le pouvoir de te faire danser si ça les amuse. Mais foutre une branlée à un régiment embauché par un seul petit noble, franchement...
        -J'sais pas si c'est un petit noble, au juste. Non, sans rire, y'a un navire de fret dans dix jours. Si j'reste bien planqué d'ici là...
        -Tu crois qu'ils te laisseront tranquillement nettoyer tes hardes et faire de la couture en attendant ? Ouvre les yeux, mon couillon... Premier jour, le midi, un soldat. Ils sont dressés pour ça. Le royaume est pas si grand, tu pourras pas rester invisible indéfiniment. Sont méthodiques. Les issues, tu peux être certain qu'elles sont déjà fermées. Pense même pas à aller te terrer à Fushia ou dans le Grey Terminal. Ils seraient foutus d'y porter la flamme et le fer si besoin. Non, sans rire compagnon. T'as osé ouvrir ta gueule, c'est bien. Maintenant, tu attrapes tes burnes et tu les traines jusqu'au bout. T'as pas le choix, de toutes façons.
        -Bon, j'te crois l'ami.
        -A la bonne heure ! Bon. J'suis avec toi, compagnon. Moi, mon otage, et mes clients. Quoi qu'il arrive, rappelle toi que tu risques pas ta vie. Les gars de Goa préfèrent avoir des esclaves bien vivants que des défouloirs inutilisables...
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          -Alors ?
          -Alors il y a moins de chats...
          -Oui, mais le va nu pieds ?
          -Le malfaisant !
          -Celui qui a osé nous défier ou est t'il ?
          -Il court toujours. Les gardes ne l'ont pas trouvés...
          -Incroyable !
          -Intolérable !
          -Inadmissible !
          -Mais j'ai une autre idée...
          -Ah oui ? Laquelle ?
          -Il est évident que si nous ne le trouvons pas, c'est que les porcs de la ville basse l'aident à se cacher...
          -Pas bête, je n'avais pas pensé à ça...
          -Mais alors comment faire ?
          -Et bien il suffit de le priver de ses amis...
          -Mais bien sur ! Offrons une prime. Un million de Berrys !
          -Plutôt dix !
          -Non, les porcs ont ce qu'ils appellent, des valeurs morales...
          -Des quoi ?
          -Moi quand j'entends morale, j'appelle la garde !
          -En tout cas, ils ne le vendront pas pour de l'argent. Ce n'est donc pas ça qu'il faut leur proposer. Par contre... Ils n'ont tous qu'un seul désir, avoir le droit d'habiter la ville haute... Voila ce que nous allons leur proposer. Celui qui dénoncera le joueur de flute gagnera la citoyenneté pour lui et toute sa famille...
          -Intolérable !
          -Inadmissible !
          -Mais évidemment, nous ne lui accorderons jamais...
          -Brillant !
          -Je dirais même plus, extrêmement malin....
          -Et au cas ou ça ne suffirait pas, j'ai une autre idée. J'ai ordonné de faire ratisser les rues pour y attraper tout ce qui y traine de musiciens miteux... Et dés demains sur la place, nous les ferons bastonner un par un et nous brulerons leurs instruments. Les porcs vont adorer ça, et je suis sur que ça ne plaira pas à celui que nous cherchons...
          -Mais il n'osera jamais s'attaquer à la garde !
          -Sauf si nous n'en mettons pas beaucoup et que nous cachons les autres tout autour, préts à lui sauter dessus dés qu'il apparaitra !
          -Oui Sauvagement !
          -Ce plan me plait beaucoup, j'approuve !
          -Alors, faisons comme ça...
          -Brisés mais vivants !
          Sören se tenait debout contre le comptoir du Sanglier Farouche, qu'il occupait depuis déjà deux jours. Il avait donné concert la veille au soir, devant une foule hilare et un garde royal déculotté qui dansait, un morceau de viande de chat crue pendue sur ses lèvres. Il avait été gavé d'alcool jusqu'à plus soif, comme un porc. Et puis, comme ça ne suffisait pas, certains malins l'avaient drogué de diverses manières. Jusqu'à ce qu'il se mette à oublier toute décence, et à jouer à la corde à sauter avec son fouet, aux fléchettes avec sa dague, et à saute-mouton avec son énorme carcasse. Le barde s'était promis d'oublier un peu son éthique, sur ce coup là. Goa était allé trop loin, et il fallait savoir adapter ses principes aux circonstances. Il n'avait pas bronché lorsque toute l'assistance avait roué de coups le garde déchu au petit matin. Il avait aidé à le maintenir, tandis que ceux qui savaient lire inscrivaient des insanités sur son corps avec des pinceaux enduits de goudron. Il avait été celui qui lui avait passé ses propres chaînes, pour ensuite l'assoir aux pieds du grand Meaulnes, le tavernier.

          -Plus l'moment de r'culer maint'nant, mon gars. T'as entendu les nouvelles : ils font ce qu'ils savent le mieux faire, les garces. On avait déjà pas beaucoup de saltimbanques et de conteurs de boniments, si maintenant ils nous les butent un par un pour te faire sortir, j'veux dire, autant leur faire plaisir et venir direct la bouche en cœur et les mains tendues !
          -Ouai, ça, j'dis pas, faut agir. Mais tu pens'ras c'que tu veux, si j'sors pour sûr, j'pars en taule. Tu parles d'un otage ? Tell'ment bousillé qu'on dirait un coupeur de gorges...
          -C'en est un !
          -Tu m'as compris. Son père le r'connaîtrait pas.
          -Ouai. N'empêche que je te suis pas sur ce coup. T'avais dit que tu porterais tes burnes et tu les soutiens que dalle. Attend. Ils sont sur la place, ils tabassent des musicos et ils crament comme de la merde leurs outils de travail. Et toi, tu restes vissé sur ta chaise comme une pute sur son luron. Tu veux que j'te dise : « t'as raison, bonhomme. On va tous assurer à ta place et tenter le sauvetage envers et contre tout, reste planqué, tchao » ? Bah non. On s'ra là si y'a un coup dur. C'est la guerre, on assume. Mais en attendant, tu portes tes...
          -C'est bon, c'est compris Meaulnes. J'vais pas prendre l'otage. Dans la mêlée, personne y verra rien, et ils le récupèreront de toutes façons.
          -Tu crois pas en tes capacités ? Tu vas les étaler, t'es un chasseur de primes. Et puis je t'ai dit, ça se voit, tu sais cogner là ou ça fait mal...
          -Sauf que j'crois pas qu'ils soient assez atteints pour confier une scène de lynchage à trois gardes et demi mal fichus et salement couillons. Y'a de l'embuscade dans l'air.
          -C'est toi le connaisseur, pas moi. Capiche. Je garde le gros, et dès que les choses se posent un peu, j'irais le brandir sous la gueule des artistos avec le surin sous la glotte. T'inquiète, j'serais réglo.
          -Alors, j'y vais.

          La tête déjà dans la mêlée, Sören avait sorti ses serpes de ses poches. Il courrait vers la lumière, le corps tendu comme un arc, ses yeux bleus métallisés par la perspective des violences qu'il s'apprêtait à commettre.
          Les cris des musiciens suppliciés s'entendaient de loin. Impossible de ne pas trouver son chemin dans le dédale des ruelles de la ville basse. Un hurlement de rage s'étouffa dans la gorge du barde, tandis qu'il enchaînait les pavés démontés. Il arrêterait peut-être le massacre, mais il ne pourrait jamais réparer ce qui avait été fait pour et par lui. Ce ne serait pas comme l'aventure de Patland. Il n'y avait ni malentendu, ni ennemi commun, ni chasseur de primes en collants rouge. Personnages sinistres sur fond noir.


          -Vandale ! Passe du Samouraï ! Double fermentation !

          Dans un seul enchaînement terriblement brutal, Sören avait traversé le bloc des dix tortionnaires comme une tempête. Il avait brisé des armes, taillé de la chair grasse, et poussé d'une habile feinte deux gardes à s'entretuer. Hors de lui, à proprement parler, car trop distant de ce qu'il était profondément pour habiter vraiment son corps physiquement; il avait laissé ses compétences martiales s'exprimer sans la barrière que posait sans cesse son bon cœur. En cette minute, il n'était plus qu'une bête de guerre fortement déterminée à en découdre. Mais personne ne venait, alors même que les troubadours qui le pouvaient encore s'étaient échappé en emportant avec eux les moins chanceux.

          -Goa !... Goa !... Goa !

          Le Chat appelait la meute au combat, mais la place restait déserte et silencieuse. Seul le feu qui crépitait sur un tas de mandolines, de tambours et de flutes venait apporter un peu de chaleur à l'ambiance poisseuse qui s'était répandue partout dans l'air. Mais c'était une chaleur trompeuse, et cela se sentait à-travers le souffle saccadé du chasseur, le miaulement terrifié de Morgan et les discussions inaudibles que l'on devinait dans les recoins sombres.
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            Triii ! Triii ! Triii !

            Remis de l'assaut surprise les gardes réagissent avec la vitesse de types aux réflexes conditionnés soigneusement et solidement implantés. Quand on me tape, siffler pour appeler à l'aide...

            Et pour siffler, ils sifflent bien...

            Et pendant que tu perds la voix à tenter de réveiller la ville, les piaillements stridents des sifflets viennent couvrir tes cris. Et depuis les bâtiments proches dont toutes les portes s'ouvrent à la volée, une véritable nuée de garde surgit au pas cadencé dans un fracas de cliquetis ferreux... Ils portent l'uniforme lourdement renforcé de la milice de la ville haute. Casque métallique et visage couvert d'un masque de fer qui les rend tous aussi semblable et inhumain. Tous revêtus d'un lourd manteau de cuir clouté et équipés d'une lourde matraque et d'un petit bouclier métallique...

            Ignorant les gardes au sol autour de toi, la marée grise forme un cercle dont tu es le centre. Combien sont'ils ? Cent ? Plus ? Serrés comme ils sont ils ont l'air innombrables. Et l'impossibilité que tu as de les différencier accroit encore cette impression de masse invulnérable qu'ils dégagent.

            Et pendant que tu tournes lentement sur toi même pour essayer de surveiller tout le monde, l'un des miliciens se met à frapper lentement sur son bouclier... Et les autres suivent. Remplissant la place d'un bruit sourd et rythmé, brutal, militaire. Antithèse totale de tout les sentiments qu'évoquent ta musique pour ceux qui l'écoutent. Ici il n'y a que négation et hostilité... Et a tes pieds les chats se hérissent et feulent de colère, sachant très bien que contre des adversaires aussi protégés, leurs griffes sont aussi inefficaces que possible...


            Le harcèlement dure quelques minutes, puis sur un geste ou un ordre que tu ne perçois pas, tout s’arrête. Laissant le temps à un carrosse de faire son entrée sur la place pour s'immobiliser derriére la quintuple rangée de soldats. Un carrosse que tu reconnais immédiatement au moment ou s'ouvre la fenêtre de la portière pour laisser apparaitre la trogne bouffis et suffisante de l'écraseur de chats..

            -Bien bien bien... Soldats ! Écrasez ce manant !


            HRP:
            Sören avait appelé sans trop y croire, ou sans vraiment savoir à quoi s'attendre. Sa cervelle était comme prise dans une brume qui obscurcissait son jugement, conséquence directe du combat violent qu'il venait de mener. Il ne pensait pourtant pas avoir tué. Il l'espérait. Un chat n'avait pas à agir comme un chien. Galeux ou pas.
            Un moment, il se tut, s'en alla à la recherche de son humour cynique qui lui avait permis de surmonter tant et tant de situations désastreuses. Mais encore une fois, il se heurta à son propre silence intérieur. Le sang qu'il avait fait couler l'avait paradoxalement vidé. Il se sentait mou, sans substance, et terriblement alerte à la fois. Et son esprit étant de sortie, c'était son corps qui avait pris les commandes.

            Était-ce encore celui-ci qui avait compris qu'il ne pourrait jamais vaincre tous les gardes caparaçonnés qui s'étaient attroupés autour de lui ? Il appela encore une fois, mais le tumulte des boucliers frappés réussissaient à couvrir sa voix qu'il peinait de toutes manières à contrôler. Félin acculé, il recula, se décala, à droite, à gauche, au nord, au sud, à l'est, à l'ouest. Aucune porte de sortie, impossible de s'enfuir. Et pour finir de faire comme dans la chanson, la meute se tut tandis que le chef arrivait, tout bardé de soie et de colifichets qui ne suffisaient pas à dissimuler sa graisse dégringolante.


            -...

            En temps normal, Sören aurait eu mille et un vers moqueurs à scander. Une belle parade pour un dernier coup d'éclat. Mais une fois n'était pas coutume, il n'avait pas envie de rire. Il avait mis la population en danger, et il avait du céder à la violence pour régler le problème. Combat de masse oblige. Pour cela le métier de chasseur lui convenait... Une tête à la fois. A un contre un, il était possible de triompher par le jeu, la manipulation, la ruse. Mais contre une armée de soldats qui obéissaient à la baguette... Mieux valait ne pas trop y compter. Et puis, jamais il n'avait signé pour faire face à ce type de dilemmes. Pourtant, dans un soudain regain de lucidité, il se souvint de ses discutions avec Meaulnes, et de ses promesses. Il n'avait rien à se reprocher. C'était l'île entière qui marchait sur la tête, pas lui. Et puis, il porterait ses couilles jusqu'au bout.

            Cependant, il fallait bien l'admettre, le barde n'était pas accoutumé à ce type de combat. Et s'il était plutôt endurci, il savait qu'il demeurerait impuissant face à des hommes en armure. Surtout que les rangs serrés dissimulaient les points faibles, les attaches en cuir, et toutes les petites jointures susceptibles d'accueillir la pointe d'une lame. Cela ne valait même pas la peine de combattre. Alors, reprenant bravement ses moyens comme un chat qui s'ébroue, il replia ses serpes et fit face au noble. Sa voix avait retrouvé une partie de la maîtrise qu'il en avait, et son ton était sans appel.


            -Pas besoin. Je m'rends.

            Une vague incrédulité apparut dans les yeux de certains soldats, tandis que le sourire du noble s'étirait désagréablement sur son visage empatté. Il allait donner l'ordre d'attaquer malgré tout. Pour la seule jouissance de voir celui qui lui avait donné de quoi meubler ses dernières journées mouiller le pavé de son sang. C'était évident. Mais en levant la tête, Sören s'aperçut qu'aux fenêtres des résidences minables, des têtes s'étaient pressées. Et un cri familier ne tarda pas à l'interrompre dans son appréhension.

            -Eh bien, soldats, à l'att...
            -La ferme ! Tout le monde, par terre, les mains sur vos putains de caboches, et les armes jetées ! Sinon, j'éclabousse tout le monde à grandes gerbes de sa sale petite cervelle de nobliard !

            Meaulnes était apparut, théâtral comme Sören ne l'aurait pas même imaginé. Il trainait devant lui un prisonnier impeccable en uniforme, maîtrisé par la poigne ferme de deux piliers et la menace d'un canon sur sa tempe. Le noble se glaça, tandis que le chasseur lançait une prière furtive à Belzébuth, empereur et maître de tous les chats, vagabonds et chercheurs de vérité. A en juger l'allure du captif, il avait déjà deviné la supercherie. Le tavernier avait trouvé un complice suffisamment ressemblant pour semer la confusion sans se défaire du principal atout qu'il gardait dans sa manche. Il n'y avait qu'à espérer que les gardes feraient le rapprochement, et refuseraient de risquer la vie de l'un des leurs...

            [Hrp : merci, mais j'ai fait sans. Compte tenu du contexte, on a un Sören pas bien bavard ^^]
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              Pendant de longues secondes on a l'impression que toute la place ne respire que d'un seul souffle... Celui rauque de la horde de soldat, celui nerveux et angoissé des deux hommes qui ont stoppés la meute, celui courroucé du noble...

              -Allez! Jetez vos armes et laissez le partir bordel !

              De sa calèche, le regard du noble se fait plus dur, sa mâchoire se crispe de colère à l'idée de cette vengeance qu'il a touché du doigt et qu'on veut lui enlever, ses mains se serrent convulsivement pendant que son regard oscille de l'otage au musicien, du musicien à l'otage...

              Puis sa lippe se retrousse en un rictus mauvais pendant qu'il prend sa décision. Tel ces empereurs de l'ancien temps lord des combats de gladiateurs il lève la main poing serré et pouce en l'air...

              -Comme disait Ludovic le grand, on ne mate pas de révoltes sans casser quelques cranes... Et les sacrifices que nous consentons au bien public sont d'autant plus louables qu'ils nous sont chers...

              Le noble adresse un sourire faussement peiné à l'otage sacrifié, puis après une seconde, il tourne brutalement son pouce vers le bas.

              -Soldats ! Viandez moi ce loqueteux !

              Et en braves miliciens chez qui la discipline et l'obéissance ont depuis longtemps remplacé le sens commun, les troufions obéissent... Et chargent droit devant...

              Le cercle se referme sur toi, les matraques se lèvent et s'abattent, les coups pleuvent comme la grêle, et malgré tes efforts pour chaque coup que tu donnes tu en reçois dix, et chaque visage masqué qui s'efface et s'effondre sous tes coups est aussitôt remplacé par deux autres... Un coup plus chanceux que les autres manque t’assommer et t'ouvre l'arcade, noyant ta vision sous un flot de sang, un autre te broie les doigts et te désarme... Ta serpe se brise contre un bouclier, un miaulement de douleur te signale que Morgan vient de quitter ton épaule mais tu n'as pas le temps de te tourner qu'une frappe te vrille la rotule et que tu t'effondres dans la boue...

              Puis il n'y a plus rien. Plus rien qu'un grand noir douloureux...

              [...]

              Quand tu en émerges, un temps indéfini plus tard, tu es couché sur une paillasse plongé dans l'ombre et tu n'es plus que douleur. Douleur partout, sourde, lancinante, celle que laisse un tabassage en règle par de vrais professionnels, comme s'il n'y avait pas un endroit de ton corps qui ne soit meurtri et brisé...

              Mais il y a pire que la douleur. Il y a cette absence... Cette absence qui te rappelle des temps sombres et lointains... Des temps avant Morgan...


              -Morgan ?
              -J'suis désolé mon gars... Désolé... On a rien pu faire...


              -Ils l'ont pris...
              -J'te jure qu'on a essayé... On a bien refait quelques gueules avec le gars Vercors. C'ui là-même qui jouait l'rôle de l'otage... Mais tout juste si z'ont fait attention à nous. Trop occupés sur tézigues.
              -Bordel de merde !

              Avec une abnégation qui devait beaucoup à son passif de vigneron et d'homme de la rue, Sören s'était relevé. Toute sa charpente se révoltait, envoyait des signaux hurler dans son crâne que ce n'était pas le moment, qu'il fallait du temps, du repos. Mais lui-même était tout entier figé sur le creux qui lui serrait cruellement l'estomac. Morgan. Morgan, son pote, celui qui l'avait toujours suivi quelque fût le quotidien. Dans les eaux salées, les avenues sales, les sales de tavernes. Celui dont la présence discrète et chaleureuse avait fini par s'imposer comme une évidence telle que son absence soudaine sonnait comme un déchirement de sa propre personne.
              Dans un état absolument irrationnel, la rage aux poings et la fureur dans la gorge, Sören saisit Meaulnes aux épaules. Ses articulations protestèrent. Il les ignora superbement. Et secoua le malheureux comme un prunier.


              -J'vais fout' Goa en l'air, Meaulnes ! Tu m'entends ? J'vais leur casser la gueule un par un, leur faire bouffer leur fric, y'a plus rein qui tient ! Hein ! Plus rien !
              -Eh... eh !
              -... toujours été réglo. Jamais un coup d'trop. Mais là... Y'aura pas d'pitié ! Les esclaves, les mutins, les catins, les gredins, j'vais tous les remonter ! Ça va êt' la guerre ! La saloperie, la merde ! La...
              -Putain, Sören, calme toi !
              -Je m'calmerai que dalle ! V'là ben ma grande connerie : reste calme, mon p'tit Sö', prend ça comme un jeu. T'énerve pas, te révolte pas, rappelle toi qu't'as un homme face à toi, qu'y peut faire des erreurs, qu'y a rein d'figé, rein d'définitif, qu'tout peut changer, que l'loup peut dev'nir l'agneau ou l'inverse... Tue pas, casse pas l'univers en deux, qui t'es pour juger... Change tes désirs plutôt qu'l'ordre du monde... Et maint'nant, j'ai tellement été tranquille qu'on m'a fauché et la gueule, et le seul... le seul...

              La pensée était là, claire, nette, précise. « Le seul être au monde qui ait accepté de me suivre, envers et contre tout, dans un acte de pure gratuité. » Mais la chose était trop cruelle, et Sören ne l'avait jamais vraiment formulée à voix haute. Son optimisme à toute épreuve lui interdisant formellement de se rappeler que son seul ami sincère et définitif n'avait jamais été qu'un chat; que l'humanité, qu'il avait pourtant tant aimée, ne lui avait jamais vraiment rendu la monnaie de sa pièce; que peut-être, il y avait de l'irrécupérable de par le monde.
              Alors, sa voix se noua dans sa gorge, et un silence abattu pris la place des mots. Il relâcha Meaulnes, et porta une main à son visage. Salement abîmé, comme le reste. Des passages à tabac, il en avait connu. Mais celui-ci avait été particulièrement sévère. Un miracle qu'il ne sentit rien de vraiment cassé.


              -... T'es vraiment complètement barré. A l'ouest, mon gars.
              -... Y'a pas b'soin de l'rappeler. Tout ça pour un chat, qu'tu dois t'dire, hein...
              -Non, non, mais c'que j'dis, c'est qu'tu d'vrais pas t'agiter comme ça. Tu nous a tous fait caner, tu sais ? On pensait pas t'récupérer vivant. Et tu t'réveilles au taquet après un double hélico du cadran. On dirait pas, mais t'es costaud.
              -... Si j'avais été moins con, j'me s'rais entraîné autrement. Et j'aurais pété des armures. Bam ! Le casque fendu. Vlam ! Le bouclier en l'air ! Et scchhhllaaaaa ! La gueule ! Et j'aurais fini par l'aut', tout blanc dans sa peur, j'l'aurais lynché. Comme j'savais ben faire avec le cochon. Une belle saignée à la gorge, ben propre... Ben nette...

              Un silence passa entre les deux hommes. Meaulnes se leva, disparut un moment. Sören en profita pour laisser redescendre un peu sa rage. Mais elle continuait à le meurtrir de l'intérieur, à faire monter en lui des mots, des tournures de phrase agressives, une envie de faire mal autant qu'il avait mal. Sentiment peu coutumier, peut-être un peu trop longtemps refoulé.
              Lorsque le tavernier revint, il retrouva son blessé assis, les coudes posés sur les genoux et les mains jointes. Calmé. Alors, il s'approcha, révélant dans son ombre un vieillard qui le salua, en annonçant dans la foulée qu'il devait vérifier l'état de ses blessures. Le guérisseur local.


              -WAAAAAHHH !

              ... Ou plus exactement, le rebouteux local. Faisant preuve d'une exceptionnelle vigueur, le vieux enfonçait ses mains noueuses dans les zones tuméfiées, donnait un coup d'épaule, bloquait son patient avec un genou pour l'empêcher de se dérober. Son son action, les muscles se relâchaient, les tendons faisaient la paix avec les os tandis que ceux-ci retrouvaient leur place attitrée. Mais qui disait guérison rapide disait aussi brutalité insoutenable. Et ce fut avec l'écume aux lèvres que Sören retrouva un coma fraîchement quitté. Coma qui ne l'empêcha pas de saisir le sens de la discussion brève qui s'ensuivit.

              -Brave garçon. Il en a que pour quelques heures, ce coup-ci. Mais empêche-le de trop bouger d'ici demain matin, hein ?
              -Ouai. J'vais en profiter pour prévenir la Volte.
              -... Tu crois que c'est bien sage de mettre les esclaves en danger ?
              -C'est exactement ce genre de gars dont ils ont b'soin. T'as entendu ? L'est prêt à tout foutre en l'air pour retrouver son chat.
              -Tu ne sais même pas s'il est encore vivant...
              -Ça, La Poigne, y s'en tape et nous aussi. Parce qu'il est pas teubé, et qu'y peut jouer fort pour lui, et pour eux. Si c'est suffisamment la merde... y'a des pauvres bougres qui pourront s'enfuir. Et ça, c'est plus important que n'importe quoi d'autre. Tu captes ?
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                -Si ça n'avait tenu qu'a moi je ne serais pas la...

                Rempli d'amour pour la haine et plein de haine pour l'amour Copie-de-micheletto-by-fluorinespark-d4w7gsh_imagesia-com_4u5f_large

                Les mots qui t'accueillent quand tu ouvres les yeux sont ceux d'un homme que tu ne connais pas. Un homme qui est assis juste en face de toi et qui te fixe avec le regard le plus dur et le plus concentré que ais jamais vu. C'est comme si au lieu d'un seul homme en face de toi tu avais toute une foule en train de te fixer... C'est... étonnant... Difficile ce comprendre comment ce type qui ne parait ni très impressionnant ou charismatique peut dégager une telle présence, une telle... Impression d’être parfaitement à sa place, a cet endroit et à ce moment précis. Comme si rien d'autre n'avait d'importance...

                -Parce que t'aider va mettre en danger des choses et des hommes auquel je tiens. Et qu'ils ne te doivent rien...

                D'un infime mouvement de tête qui te donne l'impression que l'homme vient de se lever pour te l'apporter il te désigne un paquet de vêtements pliés juste à coté de toi... Les mêmes que les siens ou presque...

                -Alors tu vas devoir m'aider autant que moi je t'aide. Cela te mettra dans une position plus difficile et plus dangereuse que celle qui t'a menée ici, et je ne peux pas garantir que tu réussiras à t'en tirer indemne. Mais quel que soit ce qui t’arrivera, tu ne l'affronteras pas seul.


                Et il me semble que c'est surtout ça qui t'importe...


                Non ?

                Lorsque Sören ouvrit les yeux, il se sentit comme arraché d'un rêve sans images et catapulté dans une grotte où il n'avait aucun repère. Mais ce visage, cette voix venait de lui rappeler sa situation. Morgan, Goa, l'enfer. Où était Meaulnes ? Le silence qui régnait dans la cave où il se trouvait caché était pesant, lourd comme un drap de théâtre. Et l'homme parlait. Sur le ton qui seul convenait à l'atmosphère qu'il avait l'air d'avoir traîné avec lui. A moins que le barde n'y ait été lui aussi pour quelque chose ? Sans Morgan, plus de raison pour que la lumière se fasse dans l'obscurité. Il était seul. Il pouvait encore ramper, marcher, courir même, mais sans celui qui l'avait accompagné envers et contre tout depuis bientôt six ans, il n'était plus que l'ombre de lui-même. Il prenait la mesure, le pouls de son désespoir et de la fragilité de ce à quoi il avait finit par raccrocher son cœur. Sans vraiment le vouloir, pourtant. Toute sa vie, il avait appris à aimer les êtres humains. Passionnément, sincèrement. Comment justifier que le seul à ne jamais lui avoir lâché la main n'en était pas un ?

                Mais dans la caverne que Sören sentait se resserrer autour de son crâne, il y avait ce regard et cette voix. Il y avait encore un pion à jouer, un flambeau à saisir. Récupérer Morgan, reprendre comme avant. La perspective lui réchauffait douloureusement le cœur, malgré les mises en gardes de l'inconnu. L'aider ? Aider les gens, il savait faire, il y passait sa vie. Et ils le lui avaient bien rendu jusque là, les ingrats... Pas indemne ? Et alors ? Il l'était peut-être, là, indemne ? Tout juste réparé, et les tripes comme cisaillées par le sentiment de la perte qu'il se refusait d'assimiler ? Pas seul... pas seul... oui, il avait raison, c'était ce qui lui importait le plus, là, tout de suite. Pas question d'affectif. Il allait faire face à un royaume entier...


                -J'marche avec vous.

                En enfilant ses nouveaux vêtements aux allures d'uniforme de guérilléro, Sören fut surpris de constater que ses os ne le faisaient pas souffrir. Les hématomes et les plaies tiraient, évidemment, mais il pouvait bouger. En visitant ses nouvelles poches, il découvrit que l'on y avait déjà rangé ses serpes. Il les vérifia. Les lames avaient été passées à la meuleuse et retrempées, le cran sentait l'huile. On s'attendait sans doute à ce qu'il se batte de nouveau. Peut-être était-ce la raison même de son intégration : on l'avait vu, on savait déjà que ses compétences n'avaient rien à voir avec le bluff. Même s'il s'était fait écraser sous le nombre. Mais il ne serait plus seul, ça n'arriverait plus... grâce à ce « on » dont l'homme était l'incarnation.

                -Bon, dans ce cas autant dire les choses. Tu vas nous aider, nous, La Volte. Notre combat, c'est la liberté pour les esclaves de Goa. Une vraie liberté... Sans ressentiment. Nous ne voulons pas retomber dans les travers de ceux que nous méprisons. Nous ne voulons pas finir captifs d'un idéal de vengeance, sitôt affranchis. Et nous avons eu des traitres sur ce point... Tu comprends ?

                Pourtant concentré, Sören avait le sentiment de suivre l'homme à distance. Il professait un idéal qui lui parlait, pourtant. Mais obnubilé qu'il était par ce qu'il vivait, par ce serpent glacé qui lui sillonnait l'estomac, il se trouvait incapable de formuler une pensée, un jugement. C'était comme si ses deux hémisphères s'étaient encrassées. Et une seule idée revenait, ponctuée d'images violentes tirées du passage à tabac de l'avant-veille : faire mal autant qu'il avait mal, soulager l'angoisse en rendant coup sur coup. Cependant, il trouva la force d'approuver silencieusement.

                -Volution, et pas révolution. Nous nous battons pour pouvoir construire nos propres vies, pas pour détruire celles des autres par dépit.
                -J'ferais au mieux, c'est promis.

                Étonné par le ton sincère qu'il s'était donné malgré lui, Sören se rembrunit aussitôt après avoir parlé. Car son cœur ne suivait pas franchement les dispositions que sa raison approuvait comme par habitude. En friche, il se sentait capable du meilleur comme du pire, plus libre que jamais, douloureusement libre... il sentit qu'on lui plaçait un bandeau sur les yeux, en lui disant d'avancer. Il s'exécuta mécaniquement, les pensées et les sens pris dans une spirale étrange au sein de laquelle il ne se trouvait aucun repère. Pas davantage que dans les ténèbres qui s'offraient à son regard, étouffé par le morceau de tissu.
                Il n'était plus qu'un pantin incapable de s'orienter dans le dédale du monde, rempli d'amour pour la haine et plein de haine pour l'amour.
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                  L'homme qui ne t'a toujours pas dit son nom a amené un paquet avec lui. Un paquet de vêtements semblables aux siens. Ceux que portent les esclaves qui servent de précepteurs aux enfants de la haute noblesse de Goa. Ceux qui servent une famille de génération en génération et qu'on se refile comme des meubles de prix.

                  Ceux aussi qui sont les plus libres dans l'enceinte de la ville haute, et qui peuvent se faufiler partout sans qu'on fasse attention à eux.
                  Pendant que tu t'habilles et qu'il prend tes armes, il te dresse rapidement un portrait de la vie d'esclave dans la ville haute, les attitudes à adopter pour y passer incognito sans attirer l'attention. Tu apprends qu'il faut marcher sans faire de bruit, avancer assez vite pour montrer qu'on ne traine pas tout en prenant bien garde à ne pas courir. Baisser les yeux en toues circonstances, se ranger contre les murs en baissant la tête en croisant un noble, s'effacer devant les soldats... Ne jamais parler sans y être invité, et évidemment, se plier sans hésiter à toutes les demandes des nobles...

                  Et une fois correctement coaché et habillé, vous partez tout les deux. Partant des ruelles sordides et sombres de la ville basse pour rejoindre le quartier bourgeois du tout Goa. Tes errances et ton look de vagabond t'ont de tout temps habitués à l’indifférence des passants. Mais rien de comparable à cette invisibilité que te procure les habits d'esclave. C'est comme si tu n'existais pas...

                  Et cette sensation devient encore plus présente quand vous arrivez dans le luxe indécent qui s'affiche partout dans la ville haute. Sauf qu'elle s'accompagne d'une horrible sensation de danger. Tu comprends soudain ce que ressentent en permanence tout les esclaves ici. Cette sensation de n’être rien, de ne pas s'appartenir, de n’être maitre ni de sa vie ni de son destin...

                  Pendant que ton compagnon te guide dans le dédale de couloirs utilisés par les esclaves pour se déplacer sans offenser la vue des maitres, tu as droit à un véritable étalage de toute la misère humaine, esclaves battus, brisés, réduits à l'état de larves obéissantes et tremblantes dénués de toute volonté...

                  Mais tu n'es pas la pour eux et ton binôme ne s’arrête pas...


                  Il continue toujours plus avant dans la ville haute jusqu'a une entrée discrète dans le mur d'une des plus grosses bâtisses du coin.

                  -C'est la.
                  L'image d'une explosion obsédait Sören. Il n'avait jamais été fasciné par la poudre, encore moins par le pouvoir de détruire. Pourtant, il aurait juré que si les moyens lui en avaient été donnés, il aurait disposé allègrement des caissons de cocktails molotovs, de bombes et d'explosifs aux fondations de la ville haute.
                  Juste pour le plaisir de voir tout ce luxe dégueuler des remparts comme le gras du ventre de l'être abject qui lui avait pris Morgan. La joie de sentir le sol trembler sous les hurlements des nobles ramenés à terre, puis emportés par la déflagration... Non. Pas que. Ce qui lui aurait fait le plus de bien, ç'aurait été de voir tomber les bâtiments, un par un. Ces grands immeubles bourgeois, pétés d'orgueil, réduits en poussière par la magie des flammes. Foutre toute cette magie factice en l'air, et se repaître du spectacle en se sentant un peu plus libre à chaque fenêtre éclatée, à chaque mur arraché, à chaque nouvelle fissure sur le sol marbré d'or.

                  Un moment, le barde s'étonna de nourrir de telles pensées, lui qui n'était pas vraiment esclave. Il le deviendrait à coup sûr s'il venait à faire un faux pas. Mais pourtant, pris au piège d'un état émotionnel instable, c'était comme s'il pouvait déjà sentir les chaînes que le royaume posait sur ceux qui le faisaient vraiment vivre.

                  Il marchait après son guide, en prenant les attitudes de chien battu qui lui avaient été recommandées. Ce qui ne l'empêcha pas de lever les yeux vers d'autres esclaves qui, eux, n'osaient sortir de leur posture servile. Il reconnut à leurs mains un ancien paysan, trois hommes qui avaient du être des combattants à un moment ou à un autre, et surtout, des jeunes dont les doigts saignaient. Sans doute des accoutumés de la vie d'intérieur, qui avaient hérité de taches ingrates pour lesquelles ils n'étaient pas rodés. Et le barde savait déjà que le bon peuple de Goa n'était pas étranger aux pratiques sadiques. Il l'avait éprouvé à ses dépends.

                  Mais celui qui le précédait s'était arrêté devant une porte que Sören poussa. Il craignait de voir encore l'un de ces longs couloirs sordides réservés aux esclaves, chose qui ne manqua pas de se présenter à lui. Il avança, toujours suivi par l'homme de la Volte.


                  -A droite ?
                  -A droite. Puis encore à droite.

                  Le chemin fut long. Il fallut aux deux barbus prendre un nombre incalculable d'embranchements, ramper sans salir leur tenue pour passer dans de petits tunnels étroits dissimulés dans les murs. C'était éreintant, et l'atmosphère devenait suffocante. On descendait, et cela faisait déjà longtemps que le couloir avait pris l'aspect d'une grotte.

                  -Nos maîtres ne prennent jamais ces passages. Nous avons tout de même placé des pièges et dissimulé les entrées, mais j'ai toujours pensé que c'était inutile... Bienvenu à Sparte, notre cachette.

                  La salle était vaste, mais sombre. Des lanternes à huile avaient été scellées à la paroi rocheuse, mais les visages en présence restaient dans l'ombre. Ce qui contrastait avec les rires et la joie ambiante de manière saisissante. Rires qui se turent lorsque leurs auteurs remarquèrent les nouveaux venus.

                  -Nous essayons de toujours venir au moins une heure sur notre temps de repos. Pour ceux qui accomplissent les tâches les plus dures, c'est impossible. Et prendre contact avec eux relève du défi... une perte énorme pour nous, car ce sont les plus forts, physiquement. Ceux qui rendent souvent possibles les évasions. Nos maîtres le savent bien. Il fut un temps où ils leur donnaient plus de repos... Mais c'était dans les premiers temps de la Volte, et après les premiers coups d'éclat, ils ont compris. Tous ceux qui ont l'air courageux ou déterminés sont systématiquement brisés au travail. C'est là que tu rentres en jeu.

                  Sans avoir l'air d'avoir été concertés, les esclaves présents s'assirent. Des gradins avaient été taillés à même la roche par des générations de Voltés. Une pile de matelas et de couvertures se tenait soigneusement rangée à une extrémité. La caverne, quoique fraiche, pouvait servir de refuge, d'infirmerie ou de salle de repos. La surprise dominant la soif de vengeance, Sören s'en trouva fortement impressionné. Il avait du falloir des générations d'esclaves déterminés pour mettre au point un tel dispositif. Des générations d'hommes armés d'une détermination sans failles.

                  -Salut Porteflamme, C'est le type au chat ?
                  -Qui veux-tu que ce soit d'autre ?
                  -On sait que t'étais contre l'idée de l'amener ici. Mais c'est trop précieux, bon Dieu, tu te rends compte ? Des mois qu'on a pas pu faire évader des gars ! La semaine dernière, y'a eu un mort, d'ailleurs. Le vieux Chanteclair. Trop tard pour lui. On peut pas perdre une occasion pareille, Porte.
                  -Je sais, et je ne m'y oppose pas. Le choix de la majorité, c'est notre choix à tous.

                  Dans la courte discussion qui s'ensuivit, Sören n'eut pas son mot à dire. De toutes manières, il ne se sentait pas forcément très à l'aise au milieu de ces ombres qui s'appelaient par des surnoms pour éviter toute trahison, et qui parlaient beaucoup d'évasion, et très peu de sauvetage de chat. Il avait promis d'apporter son soutien. Mais il espérait de son côté ne pas être bassement utilisé.

                  Sinon, plus rien ne pourrait arrêter son bras vengeur. La Volte était son seul espoir de quitter Goa avec Morgan. S'il devait l'abandonner, il en avait maintenant la conviction : il casserait tout, jusqu'à ce que l'on parvienne à l'arrêter. Sans la seule attache qu'il avait dans la vie, il n'y avait plus aucune raison de continuer. Le monde était vide, absurde. Sans règles à suivre. Un vaste terrain de jeux pour justiciers déchus.

                  « Tu craques, Sören, c'est la tension », qu'il pensait. Ce qui ne changeait rien à son état, ni à ses intentions.


                  -J'ai juré d'vous aider. Mais qu'on soit clairs : avant d'faire dans l'humanisme, j'veux récupérer mon chat. Et j'casse les dents au premier qui trouv'rait ça drôle.

                  Porteflamme contempla le barde de son regard qui parlait pour tous. Sören tint bon, malgré la pression qu'il sentait derrière ces yeux sombres.

                  -Personne n'est là pour te juger sur tes motivations. Le Fauconnier, tu as réussi à collecter suffisamment d'informations ?
                  -Oui, enfin, je crois.
                  -Dis nous tout sur les tours de travail, les volontaires, les moyens disponibles... et sur le chat du garçon, aussi. Nous ne devons rien omettre pour que le plan soit parfait.


                  Dernière édition par Sören Hurlevent le Lun 4 Mar 2013 - 21:56, édité 1 fois
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                    -Contrairement à ce qu'on pourrait penser, le probléme majeur que nous rencontrons quand nous décidons de soustraire des frères à leur vie d'esclave n'est pas de les faire sortir en vie du royaume. Le probléme, c'est de les faire sortir mort. Car vois tu, les nobles d'ici ont une longue tradition de traites des esclaves, et pour les retenir ils ont depuis longtemps trouvé des méthodes efficaces...

                    Quand un esclave s'évade, s'il a de la famille, femme, enfants, parents, elle est tuée. S'il a des amis ils sont marqués au fer... S'il n'en a pas, dix esclaves choisis au hasard sont punis à sa place... Une coutume bien plus efficace que des chaines. Pour sauver leur vie des frères ont dénoncés leurs frères. Des esclaves en ont tués d'autres qui voulaient s'échapper...

                    La seule manière de s'échapper d'ici, c'est d’être mort... Et c'est la que tu entres en jeu. Car pour te tuer, les nobles de Goa seront prêts à tout, quelque soit le prix en vie d'esclaves.

                    Tu vas reprendre tes habits. Il est important que rien ne permette d'établir un contact entre toi et nous. Puis tu vas filer comme le vent vers les appartements ou se trouve ton compagnon. La garde ici n'est pas très importante, tu es déjà chez eux et les miliciens que tu rencontreras ne devrais pas te poser de probléme. Pas plus eux que les nobles...

                    Tu récupéreras ton chat et le château sera soudain comme une fourmilière dans laquelle on vient de donner un coup de pied. Les nobles hurleront à la mort en tournant sur place comme des poulets décapités. On sortira les armes des placards et les soldats arriveront de partout pour te coincer.

                    Et toi, pendant qu'ils encercleront le bâtiment et bloqueront les portes pour te coincer, toi tu descendra vers les sous sols. Les sous sols ou il existe la seule sortie qui ne sera ps immédiatement bloqué. Un tunnel. Un tunnel qui mène tout droit au port privé des nobles, et par lequel des esclaves passent leur temps à décharger des marchandises... C'est par la que fuiras.

                    Et tu sais ce qui se passera ?

                    Les nobles seront si outrés par ce crime de lèse majesté qu'ils seront prêt à tout pour te faire la peau. Et dés qu'un garde bien intentionné leur dira que tu es dans le tunnel ils hurleront comme des loups pour qu'on en utilise la principale défense. Celle qu'un ingénieur plus vicieux que les autres a inclus pour le jour ou un assaut viendrait de ce coté la. Des portes hermétiques se fermeront aux deux bouts et le tunnel sera rempli d'eau...

                    Et tout le monde y mourra. Toi. Ton chat. Et les cent soixante dix esclaves qui s'y trouveront à ce moment la. Tous en train de décharger un bateau arrivé ce matin...

                    Terrible non ?
                    -Putain, le fauconnier ! Tu sais que t'es vraiment cafardeux, comme mec ?
                    -Je suis réaliste, rien de plus, rien de moins...
                    -T'es sérieux ? T'as mentionné le fait que les potes qui déchargent les marchandises ont ménagé une issue dans le tunnel, depuis le temps ?
                    -Tout le monde le sait.
                    -On a un invité d'honneur. Et la différence entre menace officielle et réalité officieuse ?
                    -Pardon, mais j'ai déjà vu des esclaves se faire torturer à la suite d'une évasion, moi !
                    -T'es surtout nostalgique de ton boulot.
                    -Un peu de calme.

                    Porteflamme se tenait assis dans l'hémicycle, mais en imposait bien plus que les belligérants qui s'étaient levés. Douchés sur le vif, ils reprirent leur place non sans s'être serré la main.

                    -Ouais, ça me manque un peu. Excuse le pessimisme.
                    -Tu les retrouveras, tes papelards, tes rideaux rouges et tes comédiens... on fera tout pour.
                    -Tu te sens à la hauteur ?
                    -Ouais.
                    -Des questions ?
                    -C'est quoi l'plan pour vraiment quitter Goa ? Y'a une barge qui nous attend ? Et l'issue ? Les gardes vont vérifier si y'a des cadavres ou pas... et puis, vous l'avez d'jà fait, par là ?
                    -Porteflamme, si je peux me permettre... Merci. En fait, l'issue du tunnel est fermée par un sas hermétique. L'avantage de l'esclavage sur Goa, c'est qu'il est arbitraire. Alors, nous avons dans nos rangs une belle palette de compétences et de métiers. Personne ne prendra l'eau, c'est certain.
                    -Pour le bateau, c'est le coup de maître, signé bibi ! Une grande galère, plutôt rapide, que des voltés ont abîmée volontairement en cours de manœuvre pas plus tard qu'hier ! Tout l'équipe a été fouettée, et assignée aux réparations. Légères, les réparations, mais du coup, on aura tout un groupe de rameurs et de navigateurs à bord, prêts à appareiller. Un peu gardés, mais pas suffisamment pour contrôler une rébellion grande ampleur. Avec ça, les soldats de Goa auront à peine levé l'ancre qu'on sera déjà de l'autre côté de l'horizon...
                    -Caravelle, tu déchires.
                    -C'est un peu tôt pour chanter victoire, Fort-en-Gueule.
                    -Pas tant que ça. Pour les corps dans le boyau, y'aura pas besoin de faire une montagne de cadavres anonymes déguisés en esclaves. De toutes façons, c'est trop foireux comme idée. Et notre petit soldat du jour a pas assez la tronche de l'assassin pour ça. Vénère ou pas. Je crois que j'ai réussi mon histoire de rumeur, comme quoi des esclaves disparaissaient en laissant que leurs fringues. Œuvre d'un hypothétique possesseur de fruit du démon présent sur l'île. C'est grâce au père Meaulnes, ça. De temps en temps, il montait, se faisait passer pour un esclave avec les fringues qui allaient bien et tout, et se cassait en laissant tout en pleine rue. Des potes à lui se sont pris au jeu. Un peu dangereux, le jeu, mais plutôt payant. Officiellement, on a un complice qui escamote les corps. Capiche ? Une fois dans le tunnel, tous à poil. Pas de place pour les prudes et les fillettes. Celui qui abuse, par contre, j'ai de quoi le calmer une bonne fois pour toutes... on est pas là pour rigoler.
                    -Pas mal.
                    -Et vous savez pas le meilleur ! Meaulnes a bien cuisiné son prisonnier, ces deux derniers jours. Suffisamment pour lui faire gober cette histoire d'escamoteur. Il l'a libéré ce matin, pour qu'il participe à étendre la rumeur. En lui bandant les yeux, et après s'être assuré qu'il était suffisamment stupide pour ne pas retrouver le chemin de sa boutique, évidemment... bwehe.
                    -Je précise que nous n'utilisons jamais deux fois la même méthode pour une évasion de masse. Après avoir été franchit, l'accès de secours sera condamné. Vous devrez actionner des explosifs par le biais d'un levier disposé à la sortie du tunnel. En plus, ça retiendra un peu l'attention générale... c'est sensé se déclencher à retardement.
                    -Parc'que t'en es pas ?

                    Un bref silence s'imposa. Porteflamme garda les mains croisées sous son menton, et cligna simplement des yeux. Ses compères avaient l'air gênés, en particulier le bien nommé Fort-en-Gueule qui creva l'abcès le premier.

                    -Mec... tu crois pas qu'il serait temps de penser un peu à toi ? Y'en a qui disent que t'es là depuis tout gosse. T'as une occas', alors fonce...
                    -Et qui me remplacera ? Je connais les plans de toutes les galeries de l'île. Les ruses déjà utilisées. Toutes les annales de la Volte, ce sont mes souvenirs.

                    Un nouveau silence s'installa, un peu plus long. Le meneur s'était levé, et contemplait ses compagnons. Sören croisa son regard, et fut étonné de ne pas y trouver le moindre soupçon de jalousie. Il en oublia sa propre peine.

                    -Certains sont faits pour vivre riches, d'autres, pauvrement. Vous avez tous un métier, un rôle à jouer. Moi, je n'ai que la Volte. Je suis la Volte. C'est mon personnage sur la scène du monde, et je ne suis pas du genre à aller me battre contre le scénariste. C'est mon choix de vie. Et quand je devrais partir, ça sera par la sortie des artistes.
                    -C'est beau.
                    -Con de dramaturge. Je te pigerais jamais, Porteflamme, mais t'es libre en ton âme et conscience, après tout.
                    -Bon. Sören, tu restes ici jusqu'à l'aube. Garde un œil sur la pendule, au mur. A cinq heures, tu pourras y aller. Fouille tout le château, cause autant de grabuge que possible. Et fuis par les galeries. Dans le boyau condamnable, les cent-soixante dix esclaves convoyeurs seront prêts. Tous ne sont pas des voltés, il faudra peut-être les mettre au courant. Et surtout, si jamais le plan venait à échouer, garde une chose à l'esprit... nous te tuerons plutôt que de les laisser te faire cracher des informations sous la torture ou la menace. Pas de gaité de cœur, mais nous le ferons.

                    Nous ne nous reverrons probablement jamais, je travaille de nuit. Mon maître souffre de graves insomnies. Alors bonne chance.


                    Sans trop chercher à comprendre le ton légèrement attendri qu'avait pris Porteflamme à la mention de son maître, Sören rabattit son capuchon sur sa tête, et ferma les yeux. Sparte ne tarda pas à se vider. D'autres voltés passèrent dans la soirée, puis dans la nuit, mais la plupart ne prirent pas vraiment la peine de le saluer. Ils savaient qu'ils ne pouvaient pas encore se permettre de le considérer, lui, leur spadassin du jour, comme un ami. Pas alors qu'ils pourraient se trouver forcés de se débarrasser de lui.

                    A l'heure dite, le chasseur se releva, et prit le chemin de la sortie. Il avait remis ses vêtements et progressait rapidement, le visage dissimulé dans l'ombre de son manteau. Pas pour passer inaperçu. Surtout pour pouvoir penser que ce qu'il s'apprêtait à commettre, ce serait le fait d'un autre lui-même, qu'il ne connaissait pas bien et avec lequel il ne voulait pas se confondre. Un Sören furieux, rempli de chagrin et de colère, prêt à tout et surtout au pire.


                    [Hrp : si tu veux indiquer quelque chose à propos de Morgan dans le prochain... ou me refoutre des bâtons dans les roues de ce joli plan bien huilé... A toi de voir ;)]
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                    Il était entré dans la première pièce comme un fou, bousculant du soldat, frappant de ses deux serpes déjà rouges. En bon garçon, il prenait tout de même garde à éviter les gorges. Ce qui ne l'empêcha pas de trancher quelques oreilles dès la première escarmouche. Il y avait un chat à sauver, on n'était pas là pour rigoler. Tout de même.

                    -T'sais où est Morgan, connard ?
                    -Quoi ?
                    -Mon chat, vindieu !
                    -Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Et de quel droit portez-vous la main sur mes camarades et m...

                    Une énorme patate dans la gueule fût la conclusion d'un Sören qui sentait ses tripes remonter au fur et à mesure qu'il grimpait des étages, en portant avec lui la morale de la violence. Il ne tuait pas. Il l'espérait, du moins. Mais avec son objectif maintenant bien en vue, les soldats qui venaient lui barrer la route avaient vraiment une tête de mur à fracasser pour avancer. Alors, il fracassait. Heureusement que personne n'avait l'air de trop s'attendre à quelque chose d'aussi frontal. Car fondamentalement, le barde savait bien à quel point il pouvait être faible dans les combats de masse. Il profitait du dédale des couloirs pour disperser ses adversaires, qu'il terrassait au plus vite. Généralement en en poussant deux à s'embrocher mutuellement sur leurs armes. La technique, exécutée souvent sans finesse, lui demandait pas mal d'efforts, mais il n'en avait cure. Il allait retrouver Morgan. Même si pour ce faire, il lui faudrait auparavant desceller toutes les pierres de l'édifice qu'il gravissait en semant des blessés derrière lui. Et puis, il devait faire diversion.
                    L'adrénaline se mêlait à son sang, pompé à grands coups par l'espoir de parvenir à régler les choses d'une manière qu'il n'espérait plus.


                    -MORGAAAAAN !

                    D'autres gardes qui n'étaient pas de service surgissaient en désordre, certains arborant les lapins rose et blancs de leurs tenues de nuit bien en vue sous leurs uniformes mal brossés. Sören leur passait sur le corps comme une tempête, prenant même parfois à peine le temps de les toucher. Il était agile, suffisamment pour se glisser entre, sous ou aux-dessus d'eux. Non sans introduire au passage une petite balayette sournoise ou un coup de pied vengeur.

                    Et bientôt, au milieu d'un couloir, il reconnut une drôle de petite voix malgré le tumulte. Un miaulement timide, derrière un mur à sa gauche. Il accéléra le rythme, en prenant à peine le temps de jeter un maximum d'obstacles dans les jambes des soldats encore léthargiques.

                    Pour déboucher dans un grand salon, où miaulaient, feulaient, dormaient, pissaient des dizaines et des dizaines des chats bien indifférents au luxe qui les entourait. Le spectacle avait de quoi surprendre, mais Sören ne se posa même pas la question du pourquoi du comment. Morgan l'avait repéré, et venait de regagner son épaule.

                    Peut-être la fille du propriétaire, qui trouvait chouette d'avoir tout plein d'animaux.
                    Ou son fils, qui cherchait à se donner un genre malgré sa gueule de gabelou.
                    Ou sa belle-mère, ce qui se passait d'explication rationnelle.

                    Bref. Sören courait de nouveau, vers la sortie cette fois-ci. Ce ne devait pas être le plus compliqué. Il avait un peu repéré les galeries, et les échappatoires possibles. En principe, il pourrait disparaître par une trappe de la cave, dont il approchait à grands pas. Un endroit pas vraiment gardé, car trop reculé pour être stratégique. Et les nobles ne s'attendaient pas forcément à une vraie rébellion de la part de leurs esclaves, ou rien de sérieux. Les couloirs qu'ils empruntaient pour se cacher à leur vue, cela faisait partie des choses dont leurs maîtres avaient ordonné l'exécution, mais dont ils n'avait une connaissance que très relative.

                    Alors de là à penser qu'ils pourraient s'avérer très utile à un criminel en fuite, et bien renseigné...




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