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Les Associés

Ils se retrouvent, à nouveau. De part et d'autre de la table de réunion. Les médiateurs. Vieux amis, meilleurs ennemis. Chacun d'eux est le bras droit du parrain de sa famille. Ils servent des intérêts différents pourtant, au fil du temps et des entrevues, ils ont appris à se connaitre. À passer outre leurs positions respectives pour découvrir l'homme derrière la fonction. Un profond respect lie ces deux hommes au code de la mafia chevillé au corps. Tous deux sont dotés d'une même sagesse, d'une même clairvoyance qui les rend si précieux pour leur clan. Dans le passé, maintes fois, ils ont réussi à éviter le pire; à dissiper les tensions naissantes en désamorçant des situations explosives, à éviter les litiges ou apaiser les velléités d'invasion des uns et des autres. Bien avant ça, ils avaient fait leur classe. Sobrement. Avec brio. Toujours. Leurs performances leur ont valu de gravir les échelons d'une même foulée, comme unis par un caprice du destin. À eux deux, ils comptabilisent pas loin d'un siècle d'expérience dans le métier. Sur leur visage, cependant, pas la moindre trace d'arrogance, ou de fierté. Ils n'en retirent aucune. Toute leur vie, ils l'ont vouée à leur famille. Elle passe avant toute autre chose. C'est la règle.

Aujourd'hui encore, le devoir les réunit. La trêve établie entre leurs deux familles est fragilisée par un incident majeur. Le vol d'une cargaison de marchandises. Et c'est à eux qu'il incombe de trouver un accord pour éviter un bain de sang qui assouvirait la soif de violence des plus belliqueux. Leur rencontre exceptionnelle se passe de cadre solennel. Ils se connaissent trop pour s'attarder sur de si menus détails. Le lieu des négociations, un vieil entrepôt désaffecté, en périphérie de ville, dont personne ne se soucie plus depuis des années. L'endroit est vétuste, le sol de simple ciment recouvert d'un épais drap de poussière; la seule table encore digne de ce nom est bancale, la plupart des chaises estropiées et hors d'usage. L'un jette son dévolu sur un vieux tabouret, l'autre sur une caisse de bois renversée. Les voilà attablés. Personne n'a encore soufflé mot. Ceux qui les accompagnent gardent le silence, tous tenus par un respect des rangs. Une minute durant, la situation se fige. De l'extérieur, personne ne soupçonnerait que va se tramer une discussion à l'enjeu capital entre ces quatre murs branlants.

Enfin, un sourire se dessine sur les traits de l'un. Le plaignant. Les soixante ans passés mais toujours plus charismatique avec l'âge, moustache et bouc blancs soigneusement entretenus, il émane de lui une force, une assurance intangible. Il incline légèrement la tête sur un côté, tire sur son cigare sans hâte puis avance une main ouverte devant lui, dans un geste rendu habituel par la fréquence de ces rencontres de l'ombre avec son interlocuteur, où sont scellée la vie de dizaines d'hommes à chaque fois.

Don'.
Wayne.
Nos petites discussions commençaient à me manquer.

Une touche de bonne humeur, sans sarcasme. Donald Akaga le sait. Il la goûte pour ce qu'elle est, mais ne sourit pas pour autant. Très tôt, on lui a inculqué le contrôle de ses émotions. Témoignage de politesse, symbole de sagesse. Cette sagesse, c'est savoir prendre le recul nécessaire sur chaque situation pour mieux l'analyser. Un mode de pensée qu'il respecte au quotidien pour mieux faire valoir ses bienfaits lorsque l'exige le contexte. Tout en lui, de sa gestuelle souple et lente à ses traits relâchés, véhicule cet apaisement de l'esprit qu'il cultive.

Elles ne sauraient souffrir de trop longues interruptions. La paix est éternellement menacée.
Mah, tu sais ce que c'est. On travaille pour faire en sorte que les patrons retirent la gloire sans avoir à en payer le prix. Jusqu'ici, ça réussit pas trop mal.
Souhaitons que ça dure.
Bon. On règle notre affaire ?
Il le faut bien.

Don' lève une main, fait signe à ceux de ses hommes restés en retrait d'approcher. Ils sont trois. Les deux premiers retenus et conduits à niveau d'épaule à la fois par le troisième, qui les amène devant la table, à mi-chemin entre les deux négociateurs. Puis, il s'efface pour revenir se positionner derrière son employeur. Les deux autres, âgés d'une vingtaine d'années à peine, attendent, debout, visage anxieux, devant leurs aînés.

Merci Rik. Voici les coupables, Wayne. Fixe tes conditions.

Wayne n'émet pas la moindre objection. Si son alter-égo assure que ces deux gamins sont les voleurs, alors c'est le cas. La véracité de son affirmation ne saurait être remise en question. Sobrement, il acquiesce d'un petit hochement de tête, passe la main dans ses favoris, où semblent se dessiner les contours d'un sourire. Le drame d'une vendetta encore une fois sera bouté au loin. Grâce à eux.

Il se lève. Marque un temps d'arrêt, poings fermés posés contre la table, tête plantée dans le sol, comme songeur. Puis lance un œil noir, perçant sur les deux malheureux auteurs du larçin. Un œil affûté comme la plus aiguisée des lames. Qui sonde l'âme, la blesse.


Alors, c'est vous ? Les fous qui ont cru dérober la Famille Amora ?


Dernière édition par Rik Achilia le Lun 21 Jan 2013 - 20:04, édité 1 fois
    Les jeunes attendent la sentence, tête baissée. Aucun n'ose soutenir le regard chargé de menaces qui les surplombe. Ils s'efforcent de ne pas s'effondrer. En pareille situation, il ne leur reste plus qu'à implorer leur bonne étoile de ne pas les lâcher. Du moins, c'est ce que ferait n'importe qui d'autre, coincé dans un tel guêpier. Pourtant.

    Vous connaissez le châtiment pour ceux qui nous volent ? … La mort.
    Nous... nous sommes désolés, lâche l'un, Miki, mâchoires serrées.

    La perspective d'une mise à mort clairement énoncée réveille en lui l'amertume, la colère. Ils ne méritent pas ça. Ça semblait être une bonne idée, pourtant. Dérober la marchandise de la famille rivale et ainsi gagner l'estime des pontes de la leur. C'est ce que font les mafieux, d'habitude. Prouver leur valeur. Alors, pourquoi ? Pourquoi sont-ils jetés en pâtures aujourd'hui ?

    Vous êtes … ? Yahaha, gamin, gamin ….

    Il lui rit au nez. Il le méprise. L'humilie. Lui, auquel on promettait la lune, une promotion rapide dans la famille. Non, ça ne se passera pas ainsi. Un jour, ils domineront la mafia du monde entier, Harry et lui. Il se battra pour ça. Il réduira à poussières ceux qui s'opposeront à son ascension. À commencer par celui-là. Le vieil arrogant dans son costard blanc. Avec son infect cigare et la fumée qu'il lui souffle au visage. Il croit que son regard l'effraie ? Perdu. Personne ne peut se targuer de susciter la peur en lui. Alors il va lui renvoyer son regard. Dur et fier. Sans une once de crainte. Oeil pour œil. La loi du talion.

    Quoi … gamin ? Qu'est ce que vous lui voulez au gamin ?

    Voilà qui est mieux. L'ancêtre s'étouffe dans la nouvelle bouffée qu'il vient de tirer. Contient son envie de vociférer, trop maître de lui pour se laisser aller. Miki le sent. Il lui fait perdre son sang froid. Sensation si jouissive. Risible personnage. Le luxe du pouvoir l'a usé. Il se voile la face depuis trop longtemps. Il se croyait intouchable ? Respecté et craint de tous ? Et puis quoi encore. La jeunesse renversera toujours les vieilles gloires. C'est dans l'ordre des choses. Aujourd'hui en sera une nouvelle et édifiante preuve. Qu'il approche, seulement, pour le corriger. Qu'il approche et alors, il verra …

    Hin. C'est bien ce que je pensais ? Des mots, rien que des mots !
    Qu'est ce que … qu'as tu dit, morveux ?

    Voilà qui est mieux. Qu'il approche, l'enfoiré, il ne le regrettera p...

    C'est assez. Miki, tu en fais trop.


    * * * * * * * * * * * * * * *

    Sa voix s'est élevée, douce, tranquille. Son bras s'est interposé entre son camarade et Mr Wayne alors qu'ils allaient en venir aux mains. Et il a suffi à désamorcer le déchainement de violence. À retarder l'explosion, à tout le moins. Son comparse le regarde, mécontent. Il lui sourit. Apaisant. Leur bourreau le scrute lui aussi, une lueur de surprise dans le regard. De curiosité aussi.

    Tu as un sacré culot pour t'interposer entre moi et mon punching ball, petit.
    Inutile d'en arriver là, vous ne croyez pas ? Cette affaire ne mérite pas de dégénérer par notre seul manque d'esprit. Nous avons commis une erreur d'appréciation, nous paierons pour ça.

    Il le pense, sincèrement. Il n'a jamais été question qu'il en soit autrement. C'est ainsi que fonctionne le système. Leur système. Ils connaissaient les règles quand ils se sont engagés dans cette voie. Ils connaissaient les risques. S'ils se retrouvent piégé aujourd'hui, c'est par leur faute. Ils ne peuvent s'en prendre qu'à eux-même.

    Prononcez votre verdict, nous l'accepterons.
    Harry … !

    Miki. L'impétueux Miki. Tête-brûlée comme pas deux. Il a toujours eu du mal avec la hiérarchie. Toujours à vouloir changer les règles du jeu. C'est peut-être pour cette raison qu'ils s'entendent si bien. Chacun complète l'autre. Complémentaires et inséparables. Une amitié vieille de quinze ans déjà, malgré leur jeune âge.

    Ça va aller, Harry. Ça va aller.
    Comment tu peux dire ça ? Tu vois pas ce qui se passe, là ?

    Il n'a pas tort, malgré tout. Aujourd'hui, pour la première fois, il craint d'en arriver au bout de la piste. Déjà. Dommage. Le duo le plus prometteur de leur génération. Un vrai gâchis. Alors pourquoi reste t-il si calme ? Comment peut-il affronter son destin avec tant de maîtrise. Il ne le sait pas lui même. Peut-être ne réalise t-il pas, tout simplement. À moins que ...

    Quel est ton nom ?

    Mr Wayne le toise avec intérêt maintenant. Il a suivi leur petit manège, un brin amusé. Sans même les troubler. À sa table, Donald se lève; il a pour une fois du mal à demeurer impassible. Rik derrière lui, regard inexpressif. Lui, le porte flingue qui les a accompagnés pour leur première mission. Présent pour assister de loin au délibérations.

    Alors ?

    Soit, il lui a demandé son nom. Autant le lui donner.

    Harry, monsieur. Harry Akaga.
    Akaga … ?
    C'est mon fils, Wayne...


    Dernière édition par Rik Achilia le Dim 6 Jan 2013 - 15:42, édité 1 fois
      Et voilà. Le pot aux roses est découvert. Ces deux mômes sont les enfants prodiges de la famille. L'un d'eux, le fils du bras droit, pour ne rien arranger. Wayne a l'air moins serein, d'un coup. Pris de court. C'est un retournement de situation majeur, pour sûr. On ne descend pas le fils d'une vieille connaissance sans ciller. Et Donald. Évidemment, il n'a rien dit. Fidèle au code. La Famille, la grande, passe avant la sienne. Drôle de bonhomme.

      Tch, pourquoi il a fallu qu'ils se mettent en tête de braquer le mauvais entrepôt ? Une idée de Miki ça, à coup sûr. C'est lui le plus bouillonnant. Le plus pressé. Et Harry … Harry aura suivi, pour s'assurer que tout se passerait bien. Pas le fils de son père pour rien celui-là. C'est toujours comme ça avec ces deux blancs-becs. Fichus gamins. Talentueux, pourtant. Et attachants, avec ça. Quand on me les a refilé entre les pattes, je m'attendais pas à découvrir des personnalités pareilles. Ça m'emmerderait qu'il leur arrive malheur. Mais bon.

      J'ai pas assez de bouteille dans le métier pour prendre les décisions, ou encore pour contester celles qui tombent. S'ils doivent y passer, ce sera ainsi. Le droit à l'erreur n'existe pas dans cette branche. Mais tout n'est pas perdu, y'a ptetre moyen que ce vieux sentimental de Wayne se laisse attendrir. Il va pas envoyer ces gamins bouffer les pissenlits par la racine en sachant ça. La marchandise a été restituée, personne n'est encore mort. Alors qui sait ? Mah, pour le moment, on suit gentiment en restant attentif. Ça palabre ferme. Si ça s'en tient à de la discussion, tant mieux. Sinon … Arrivera ce qui doit arriver.



      * * * * * * * * * * * * * * * *

      Ton …
      ...fils, oui.

      L'expression figée sur le visage de Wayne exprime tout son désarroi, sa surprise. Si leur entrevue avait pris une tournure différente, il aurait très bien pu décider de l'élimination du fils de sa plus vieille connaissance dans le milieu sans même le savoir. Certes, le vol mérite punition. Et il ne peut se montrer partial. Pourtant. Il a une réticence. Difficile de descendre celui que l'on a entendu grandir au travers des récits tenus par son père. Des décennies à se côtoyer, ils ont fini par partager les anecdotes personnelles entre deux rencontres à caractère plus officiel.

      Et tu m'aurais laissé le descendre, comme ça, sans rien dire ?!

      Il a toujours eu les nerfs à fleur de peau. Et s'il a toujours su rester juste, il marche à l'affectif, lui, malgré tout. D'être passé à un cheveu de liquider ce gamin réveille son caractère.

      Tu connais aussi bien que moi les enjeux. Je ne peux laisser mes aspirations personnelles interférer avec les intérêts de la famille. Si je t'avais informé de son identité, tu aurais été influencé dans ta décision. Ton choix aurait alors pu être contesté par d'autres et notre entrevue aurait été un échec.

      Il lui en coûte de rester digne et juste. Malgré toute la philosophie dont il est doté, Don' Akaga souffre le martyre en silence. Il échangerait volontiers de place avec son fils pour porter son fardeau. Les liens du sang, difficile de les réprimer. Ici, il est pieds et poings liés. Anxieux, dans l'attente d'un verdict qui devrait lui enlever son unique enfant. Il en est conscient et Wayne, en dépit de l'embarras dans lequel cette découverte le plonge, l'est aussi.

      Je sais bien, oui … Je ne peux me permettre de me montrer souple. C'est la loi qui le veut. Notre Loi. Certains le considèreraient comme de la faiblesse.
      Je sais... je sais … Alors, que décides-tu ?

      Ils ne sont plus deux chefs de clan délibérant, mais bien deux hommes vieillissants démunis face à une situation qui les appelle à assassiner la jeunesse qui veut prendre le relai. Mais les passages de témoins ne se font que dans un bain de sang, dans le métier. La seule issue intimée par les règles ne les verra pas sortir grandis. Et pourtant. Elle s'impose d'elle-même.

      La mort …

      C'est la sentence à appliquer. Wayne l'a dit dans un souffle, à contrecœur. Don' ferme les yeux, se retient de hurler sa peine. Les condamnés sont encore ceux qui encaissent la nouvelle avec le plus de sang-froid.

      … pour celui-ci.

      Le doigt du juge suprême pointe vers Miki. Le sang doit couler. Mais il ne se résoudra pas à prendre la décision attendue. Après tout, personne ne s'en plaindra. Et personne non plus parmi les hauts placés de l'une ou l'autre des Familles n'assiste à cette mascarade et ne sera jamais au courant. Alors, pourquoi pas. Donald réprime un rictus de soulagement. Il sait la valeur du geste accompli à l'instant. Peut-être lui-même n'aurait-il pas eu cette clémence, trop soumis à ses principes pour s'y autoriser. Miki serre les poings, crache de dépit, toise celui qui le condamne. Fièrement. Battant jusque dans la mort.

      De cette façon, l'honneur de la Famille sera lavé.
      Merci, Wayne. Merci.
      Je me charge de faire accepter cette décision auprès du conseil et du Parrain. Personne ne la contestera.
      Je la conteste.
        Harry !

        'ff. Prévisible. Hé oui, prévisible. Ces gamins-là marchent d'une même foulée depuis leur plus tendre enfance. Et ils s'attendaient à ce que ça passe sans broncher ? Avec ce jugement complètement bancal. Voilà que les vieux se voilent la face, maintenant. Heureusement qu'ils sont en cercle fermé, ici, sinon, ils perdraient toute crédibilité aux yeux des mecs du milieu.

        Il ne peut y avoir deux poids deux mesures. Nous avons commis cette faute tous deux, je n'accepterai pas un sort différent de celui de Miki.

        Harry... imbécile. T'en as une sacrée paire. Et c'est bien de jouer la carte de la solidarité, mais là, tu te replonges sérieusement dans les emmerdes... 'tain, jme fumerais bien une clope moi. Tout ce spectacle, ça réveille les addictions, sans compter l'autre qui grille cigare sur cigare... y'a plus qu'à espérer qu'ils vont pas se résigner à descendre les deux maintenant. Après une si belle déclaration. Ça s'rait franchement de mauvais goût. Allez, parlez, les ancêtres. C'est sur vous que retombe le poids des décisions. Mais ce coup-ci, vous n'avez plus les épaules tout à fait assez solides pour assumer votre statut, on dirait. Tout ça pour une stupide cargaison. Ça allait chercher dans les combien ? 3 Millions Berrys ? 5 au grand maximum ? Tss, ça vaut pas cher la vie de deux jeunes fous par les temps qui courrent.

        Et ça parle, et ça parle. Pourquoi insister ? Vous n'arriverez pas à le convaincre. Harry est inflexible, il n'a que faire de vos „ordres“ et il a raison. Droit dans ses bottes, le type. De tous les délibérés possibles, Wayne a rendu le plus mauvais. Faut rectifier le tir, tout de suite. Ou la clémence. Ou la mort. Maintenant.


        * * * * * * * * * * * * * * *

        Très bien, jeune homme... tu ne me laisses pas vraiment le choix.

        Ils ont cédé, à contrecœur. Devant la détermination de la jeunesse. Harry leur aura rappelé leur rang, et le maintient qu'ils sont tenus d'avoir dans pareil contexte. Eux, les têtes pensantes, réduites au silence par la nouvelle génération. Qui accepte de se plier aux règles tacites du milieu, en dépit du prix à payer. Les rôles se sont inversés l'espace d'un instant. Et le jeune, souriant, de se retourner vers celui qu'il va pour accompagner dans la tombe.

        Ce coup-ci, c'est vraiment la f...
        Laisse tomber Harry. Ça vaut pas la peine qu'on se fasse tous les deux descendre.
        Que … ?
        Je suis le seul responsable. On n'a pas à y passer tous les deux.

        Nouveau retournement de situation. Miki toise, fier, les deux décideurs, hagards.

        C'est moi qui ai pris l'initiative de dérober ce convoi, et d'enrôler Harry pour me seconder. J'accepte mon sort. Et quand bien même il n'est pas d'accord, qu'est ce que ça peut vous foutre ? Vous allez vous laisser dicter votre conduite par un gamin de vingt piges ou quoi ?

        Moment d'incertitude. Personne trouve plus rien à dire. On scrute la réaction de Harry; il parait désarçonné. Miki vient de réduire son camarade au silence. Comme ça.

        Allez grand-père, qu'on en finisse. Je suis sûr que ça vous fait plaisir.

        Il balance ça à Wayne sans cérémonial, avec son plus beau sourire. Crâneur jusqu'au bout. L'autre n'a même plus le courage de répliquer de son fameux regard noir. Ni même de balancer une réplique clichée type „ voilà ce qui arrive quand on s'en prend à notre Famille „. Il soupire. Se retourne vers les deux hommes de mains qui l'accompagnent, sans trop savoir pourquoi. Sa main gauche balance son dernier cigare, qui finit de se consumer au sol, plonge à l'intérieur de sa veste pour empoigner un pistolet. Qu'il pointe vers le torse de Miki.

        Gamin …

        Bang. Bang.
          Deux coups de feu qui claquent. Deux balles qui perforent le cœur. Un corps qui s'effondre dans une mare de sang. Et voilà. Ça aurait dû s'arrêter là. Miki prêt à assumer jusqu'au bout, qui part dignement. Wayne rendant son jugement, partial, pas fier de lui, dépassé par ses sentiments. Et Don', le juste, l'intègre, trop heureux de voir son fils y réchapper pour émettre la moindre remarque. Tout le monde tire la gueule et se promet de ne plus jamais parler de cette histoire. Et on se quitte avec le sentiment du devoir accompli, même si plus salement que d'ordinaire.

          Mais ça n'a pas été le cas. Une amitié de quinze ans, ça compte, quand on en a vingt. Peut-être même plus particulièrement quand on en a vingt. Ils ont grandi ensemble; ils ont avancé ensemble. Ils visent les sommets ensemble. Harry ne pouvait pas rester là à regarder son frère se faire abattre. Il faut croire qu'il l'avait sentie venir, l'entourloupe. Qu'il connaissait trop bien son père et le respect qui les liait, lui et Wayne, pour ne pas anticiper le verdict. Sacrifier le moins précieux des deux, pour la cause ? Il n'allait pas s'y résoudre. Il leur a rappelé leur place. Il leur a laissé le choix. Ils n'ont pas écouté. Tant pis. Il ne marchera pas dans cette farce macabre.

          Des deux coups de feu qui ont retenti, un seul provenait de l'arme de Wayne. L'autre balle, elle est partie du petit Derringer que Harry avait planqué dans sa manche juste au cas où. Personne ne l'a vu venir. Comment aurait-on pu ? Lui, si raisonnable, si tranquille. Et pourtant. Il a osé. Son tir a bousillé la main de sa cible, au moment où elle allait expédier dans l'au delà le seul sacrifice offert en pâture aux mécontents. Mais le coup de feu de Wayne est quand même parti. Mal ajusté, mais tiré quand même. Le projectile a dévié de sa trajectoire, pour traverser Miki au niveau de l'épaule gauche. À dix centimètres à peine de l'objectif. Dix centimètres. Suffisant pour revenir de la mort à la vie. Et pour mettre le feu aux poudres.

          Le prix du sang versé. On a franchi un cap, ici. Il ne s'agit plus d'un simple vol. S'en prendre au chef en second de la famille rivale, plus qu'un affront, une déclaration de guerre. Un appel au règlement de compte. Dont le préambule va se jouer maintenant, dans ce vieux hangar. Tout le monde le sait. Et, mû par un étrange magnétisme, tous ont agis. Machinalement, sans qu'aucun ordre n'ait été donné, les deux hommes de mains de Wayne ont plongé une main dans leur veste pour en sortir leur flingue. Leur patron s'est mis en retrait, derrière eux, un chiffon en bandage autour de la main pour stopper l'hémorragie. Miki s'est précipité devant lui pour ramasser l'arme que son bourreau a lâché un peu plus tôt en ramassant la première balle. Harry a gueulé quelque chose comme „fichons le camp d'ici“, la voix encore presque sereine. Et moi, je me suis placé devant Donald; mes pétoires bien en main, prêt à faire feu. Tous à l'affût.

          Le silence. L'attente s'installe. Cinq secondes. Dix. Et lentement, on bouge. Les deux jeunes fous marchent à reculons, vers la sortie la plus proche, une dizaine de mètres derrière eux. Leur salut. J'avise des bennes, rangées sagement dans un coin. Un abri plus sûr pour ce qui va suivre. J'y conduis mon boss, sagement. Sans geste brusque. Les canons braquent successivement l'un ou l'autre des individus présents. Et pendant un court instant, personne n'ose ouvrir le feu. On se dit qu'il ne va peut-être rien se passer. Qui sait ? Il n'est peut-être pas encore trop tard. Les deux alter-égos présents dans l'entrepôt ont déjà évité le drame plus d'une fois. Ils sont au bord du précipice aujourd'hui, mais ont gardé de la ressource. Ils sont depuis plusieurs décennies les garants de l'accord qui lie ces deux familles. Tout peut s'arranger. Aujourd'hui encore.

          Jusqu'à ce que retentisse la voix de Wayne, enflammée par la colère, et s'envole avec elle le dernier espoir d'apaisement.


          Mais bordel, descendez moi ces fumiers !

          Les coups de feu crépitent. C'est la fin.
            Ça fuse. Dans tous les sens. Wayne, planqué derrière la table de réunion qu'il a basculée pour s'en servir de défense; ses gars l'encadrent et distribuent vers les mômes et moi sans ménagement. Donald est à couvert, derrière la benne contre laquelle je suis agenouillé. Moi, toujours à faire feu pour empêcher les portes-flingues de bouger de leur position. Je vois Miki, ses fringues largement vermeil, couvrir Harry qui va pour ouvrir la porte de taule. Courage les gamins. J'intensifie le tir. S'ils arrivent à sortir d'ici, le plus dur sera fait.

            Impossible de viser correctement les gardes du corps de Wayne. Mauvais angle par rapport à eux, les ajuster relève de l'exploit. Il faut bouger. J'ordonne à Donald de rester là où il est. Sans arme, il ne ferait que se mettre inutilement en danger. Je lui dis d'attendre; que je vais faire en sorte que ça se passe bien pour les jeunes. D'une voix calme, sereine. Les négociations ont échoué, c'est à mon tour d'entrer en jeu. Et d'assurer. Je répète mes recommandations une dernière fois et m'élance.

            On me voit, mais j'ai l'initiative. Je tire, feu nourri. Ça dissuade les autres de pointer de trop à découvert leur museau pour bien viser, ça fait diversion pour les gamins. Un chargeur d'épuisé. Cinq mètres de plus et j'atteins un amas de caisses poussiéreuses vers lesquelles je me jette. 'fiou. Juste à temps. La rafale est passée. Et j'suis encore entier. Une cible en mouvement est plus difficile à atteindre. Et j'suis en meilleure position. J'entends un bruit métallique à l'autre bout de la salle. Ils ont atteint la porte. La sortie. Recharger. Vite. Et rouvr...


            Bang.

            Un cri de douleur. Un autre de détresse.

            Harry !

            Un coup d'œil. Harry est étalé par terre, un pruneau en plein buffet. Et Miki qui gueule, le traine de son mieux avec une épaule en vrac, sur le pas de la porte entrouverte. Donald n'écoute pas mes directives. Il sort de sa planque. Court vers son fils. Et fait de lui une cible idéale. C'est la débandade. Wayne ordonne à ses hommes de s'occuper en priorité des jeunes. L'un bouge de sa position, file vers Miki. L'autre maintient une salve dans ma direction, me neutralise. Hé merde. Pas le choix.

            Bazooka or Water Pistol.

            Le coup de dé le plus important que j'ai eu à réussir. Allez, mon grand, c'est pas le moment de me lâcher...

            BAOUM

            Merci, mon Dé. Tu nous sauves la mise. Pas le temps d'élaborer de plans géniaux, j'ai paré au plus pressé. Visé, tiré. Le toit de l'édifice vole en éclats, lesquels retombent sans distinction sur tous les occupants. Dans le genre diversion, ça se place. Mais on n'est pas sortis d'affaire pour autant. Maintenant, profiter du moment de panique général pour sortir de ma planque. Faire feu ne approchant de Wayne et de l'unique homme encore à ses côtés. J'arrive presque au contact. Le tireur me voit. Pivote. Je l'ajuste. On appuie sur la gâchette, simultanément.

            Bang. Bang.

            Une déchirure. La cuisse droite en feu. Je trébuche, roule au sol. Merde. Vite, contact visuel. Mon pistolet prêt à faire feu à nouveau. Inutile. L'autre a lâché son arme, se tient les tripes, doigts crispés sur le sang qui s'écoule de la plaie. Il a son compte. Je fixe Wayne. Le pistolet de son employé repose à ses pieds. Il hésite. J'arme le chien de mon arme. Et me relève, menaçant.

            N'en faites rien. Dites à votre gars de lâcher son arme.
              Le vieil homme hésite l'espace d'un instant, va pour obtempérer. Il n'a pas le choix. Le silence retombe. Lourd. Malsain. En face, Donald approche, traits marqués, cuir chevelu ouvert; il est tenu en respect par le second homme de main. Et derrière eux, Harry, immobile, adossé au mur. Seul. Miki a disparu. Les deux anciennes gloires s'approchent l'une de l'autre. S'observent. Ils échangent un regard résigné. L'orage est passé. Aussi soudainement qu'il était survenu.

              Alors. Qu'est ce qu'on fait maintenant, Don' ?
              Tu m'as pris mon fils.
              Oui …

              L'escorte en retrait derrière Don' est vigilante. Moi aussi. Des fois qu'il vienne l'envie à mon vis à vis de dégainer. Ou que l'un de nos employeurs nous donne le signal. Mais on ne s'oriente pas vers ça. À quoi bon, pensent ils peut-être. Le mal est fait. Laborieusement, Wayne redresse la table à laquelle ils étaient installés, quelques minutes plus tôt. Elle est marquée de plusieurs impacts de balle, qu'il caresse du doigt. Le tissu à sa main gauche est imbibé de sang.

              Asseyons-nous.

              Donald acquiesce. Sans un mot. Les deux s'installent, lentement. Fatigués. Usés. Wayne craque une allumette pour un cigare. En propose un autre.

              Tu fumes ?
              Pourquoi pas.

              Le cigare transite d'une main à une autre.

              Ce coup-ci, on a bien déconné Don'.
              Oui. Le Boss ne sera pas ravi de l'apprendre.
              Le mien non plus. Une chance que toute cette affaire se tasse ?
              Pas pour nous, non.
              Tch'...
              Il fallait bien que nous échouions un jour. Nous avons fait de notre mieux pendant toutes ces années.
              Hin. Je suppose. Place aux jeunes.
              Place aux jeunes, oui …
              Je suis désolé, Don'.

              Donald se relève. Son regard renvoie la fatalité face à laquelle il se refuse de lutter.

              C'était la décision de Harry. Adieu, Wayne.

              Ils ont discuté, sobrement. Calmement. Une scène surréaliste. Un signe de main suffit, je rejoins mon employeur en boitant bas, l'autre tireur le sien. Sans un mot. Sans accroc. Comme si la scène, rassasiée par ce déversement de violence, acceptait le dénouement. Wayne sort de l'entrepôt par là où il était venu. Donald l'imite. Il passe devant le corps de son fils, visage déjà exsangue. Le viel homme s'agenouille. Pleure. Je voudrais respecter son chagrin mais les heurts causés vont finir par attirer la marine. Nous devons partir.

              Monsieur …
              Allez-y.
              Hm ?
              Un conseil, ne retournez pas à la Famille. Le Boss est parfois prompt à s'emporter, il lui faudra passer sa colère sur quelqu'un. Partez.
              Hin. Et vous ?
              Ne vous en faites pas. Je suis indéboulonnable. Un survivant. On ne tient pas si vieux dans le métier sans avoir de la ressource.
              À votre guise.

              Le vieil homme choisit sa voie. Moi la mienne. En sortant de l'entrepôt, j'aperçois une longue trainée de sang, qui s'oriente vers les quais. Miki. Il est salement touché. Une chance qu'il ait réussi à filer. J'espère qu'il s'en sortira. Mais son idée a du bon. Ça va commencer à être malsain pour moi par ici. Si je tombe sur la marine, ou sur des mafiosos de quelque Famille qu'ils soient. Il faut prendre le large au plus vite. Avec un peu de chance, un navire part dès ce soir. Peu importe la destination, le tout est de mettre un maximum de distance entre moi et ce bled au plus vite. Et je serai peinard.

              Je déchire une manche de chemise, m'en sers pour stopper l'hémorragie à ma jambe. Faudrait un Doc' pour m'ausculter. Je tiendrai bon d'ici là. Je me grille une clope et lance un dernier regard vers l'entrepôt. Le vieux Donald n'est toujours pas sorti. Y'a plus qu'à espérer pour lui qu'il sait ce qu'il fait.

              Bang.

              Ça a résonné dans tout l'entrepôt. … 'ff. Tout ça pour une malheureuse cargaison. Quel merdier.

              Allez, au port.