Rimbau Unchained

Le crépuscule est tombé depuis bien longtemps. Au delà de la colline, quelques rares cheminées, indices de barbecues improvisés, fument calmement alors que la petite ville s’endort. Les grillons estivaux ont depuis peu laissés leur place au sifflement du vent qui balaie les rues et pousse le temps de ses bras invisibles.

Derrière le clocher, un ivrogne arpente les rues. C’est Eli, mais tout le monde le surnomme Arlequin depuis sa tendre enfance. Comme il aimerait qu’on l’appelle une dernière fois par son vrai prénom. Mais tout le monde l’a oublié, perdu dans les méandres du temps, soufflé par le vent comme les feuilles qui joncheront bientôt la plupart des chemins environnants.
Eli marche sans réellement savoir où il va. Ces sentiers il les connaît comme sa poche, mais actuellement son sens de la déduction ne lui permet pas de choisir précisément une destination. Tel un morceau de tissu sale abandonné par son propriétaire il erre, se laissant guider par la substance qui lui ronge le foie depuis plusieurs dizaines d’années. On a appris à le laisser tranquille Eli, il ne crie pas beaucoup, ne dérange pas vraiment le monde et n’agresse jamais personne. Et tout le monde sait bien pourquoi il en est arrivé là, sa marche folklorique rappelle à chaque habitant ses propres péchés.

Parce que vingt-cinq ans plus tôt Eli avait tout pour réussir, pour quitter ce village inconnu et mener une vie pleine d’aventures diverses et passionnantes. En 1580, il a quinze ans, l’âge où rien n’est encore possible, mais celui où tout est envisageable. C’est le chef des jeunes du village, les Fiers de lance comme ils aiment se nommer. Eli est fort, Eli est intelligent, Eli est drôle. Ses différents actes sans importance apparente sont teintés d’une bouffonnerie qu’il a réussi à ériger en tant que marque de fabrique. Des aventuriers aux grands cœurs et aux rires puissants, voilà ce qu’ils veulent tous devenir, voilà pourquoi tous le suivraient jusqu’au bout du monde. Il y a Stan, la force de frappe trop gentille, Elena le garçon manqué, Richard le forban toujours d’attaque ou encore Solène qui frissonne à chaque acte risqué. De futurs grands noms de ce monde, des amis qui rêvent d’une gloire méritée, de péripéties trépidantes.

Eli a aussi des parents. Un père un peu trop absent, une maman pas assez, l’attirail classique du gamin sans trop d’histoires. Il les aime malgré tout ses géniteurs, il les respecte pour ce qu’ils sont, et même s’il est dans l’âge où il ne l’admettrait pas sous la torture, il tient plus à eux qu’à sa propre vie.

Voilà la vie que menait notre cher ami. Sans se douter que deux destins distincts s’offraient à lui. Lorsqu’on se retrouve en face d’un croisement, la meilleur solution est de suivre son instinct pour choisir celui que l’on veut emprunter, sans prêter attention à ses propres contradictions, sans revenir en arrière après avoir choisi une route. Parce qu’au fond de nous se trouve ce pouvoir inexplicable qui nous conseille d’agir d’une certaine manière. Ce choix, cet instinct, Eli n’a pas eu la chance de pouvoir le ressentir.

En ce soir de septembre, il a décidé de rester un peu plus longtemps à l’entraînement quotidien. Raffermir les muscles pour affuter les sens, entretenir le corps pour cultiver l’esprit. Sauf que lorsqu’il rentre à la maison, il se rend vite compte que son salon s’est transformé en une boule de feu géante qui cherche vainement à toucher de sa pointe les cieux. Les voisins les plus proches sont à plus de cinq cent mètres, il maudira plus tard le besoin de calme et de tranquillité de sa mère dans le choix de l’emplacement un peu isolé du reste des chaumières. Eli veut foncer à l’intérieur, mais les flammes lèchent dangereusement la porte d’entrée et le regardent de leurs yeux bouillonnants. Le voilà qui crie, qui appelle à l’aide. Mais personne ne vient, personne ne se donne la peine. C’est alors qu’il se souvient que ses compagnons avaient été invités le soir même à déguster la spécialité de la maison, la tartiflette au thon. Bravant son courage, il s’enveloppe d’une couverture posée sous le hangar et plonge par une fenêtre jusque dans la cuisine. Ses parents sont par terre. Pareils à des poissons arrachés à leur étang ils baignent dans une mare écarlate, les cous sectionnés sur le côté par un objet tranchant. Les quatre coups de couteaux portés forment des étoiles, des astérisques funèbres. Cette image ne quittera jamais le visage d’Eli. Lui qui faisait rire tout le monde par ses pitreries, lui qui adorait son nouveau surnom trouvé par Solène.

Solène n’est d’ailleurs pas très loin. Sa chevelure rousse s’est imbibée de son fluide vital, sa jeune poitrine ne se soulèvera plus jamais. Un par un il découvre tous ses amis, toute sa vie gisant sans mouvement, sans bruit autre que le crépitement du bois se consumant à grande vitesse. Eli étouffe, non seulement à cause de la fumée mais aussi suite au choc. Comment supporter une vision si traumatisante sans tressaillir ? Mais il ne veut pas en finir ici, il ne veut pas mourir sans partager cette affreuse découverte. L’incendie n’est pas responsable, ce sont des meurtres. Des crimes qui devront être punis par la loi ou par la vengeance. Alors il réussit à sortir tant bien que mal en laissant son âme sur place brûler avec les corps de ceux qu’il chérissait tant.

Il a crié, il a supplié, il a médit. Mais personne ne l’a écouté. Même les parents des jeunes victimes se sont faits à l’idée de l’accident. Par peur oui, parce que ce qu’Eli ne savait pas c’était que ses chers parents étaient d’anciens espions révolutionnaires basés sur une autre mer. Et quand on pactise avec l’ennemi du monde, la retraite n’est pas un choix possible.
Voilà l’histoire du brave Eli, buvant sans cesser pour cacher son désespoir, chantant parfois à tue-tête pour tenter de briser sa malédiction. Il serait devenu une légende dans une autre vie. mais dans celle-ci, son seul droit restant est celui de souffrir encore et encore, en maudissant la chance de lui avoir tourné le dos à un instant fatidique.

Alors ce soir Eli divague, ne pense à rien d’autre qu’à s’abreuver de son nectar hallucinogène. Mais ce soir il va marcher un peu trop loin, un peu trop vite et un peu trop tard. Il voit des ombres se mouvoir avec silence près du village, fondre vers une cabane isolée qu’il doit sans doute connaître. Sa stupéfaction est de courte durée. Sans crier gare, une main puissante attrape son menton et le lève violemment. Tandis que la brise pré-automnale se fait un peu plus virulente, quatre marques sont laissées sur un cou humide, formant une magnifique étoile rougeoyante.

Alors que les silhouettent continuent de glisser sous le pâle reflet de la lune, Eli s’endort d’un sommeil sans réveil, pour enfin rejoindre ceux qu’il a laissé derrière lui il y a bien trop longtemps. Le clan des Fiers de lance va pouvoir se réunir à nouveau. Le destin vient d’inscrire un nouveau nom sur une pierre tombale solitaire, à quinze années d’intervalle, jour pour jour. Ce soir de septembre 1605, Eli aura été la première victime de la dame en noir. Et tandis que son corps s’effondre sur le sol, le calme et la quiétude de la brise légère retombent sur le village d’Esperanza.



Dernière édition par Rimbau D. Layr le Sam 23 Fév 2013 - 11:03, édité 2 fois
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Je me sens mal. Bien sûr vous me direz c’est normal vu le nombre de tampons que j’me suis pris durant les quarante dernières minutes. Mais au delà de ça, c’qui est surtout frappant et un tantinet démoralisant, c’est qu’alors qu’on accoste sur notre canot d’infortune, je suis seul, complètement seul avec ce briseur d’os au costard maintenant teinté de pourpre. J’ai pas le temps d’essayer d’observer où est notre bateau, la moindre perte d’attention pourrait être fatale.

On s’est envoyé plus de beignes que j’ai jamais mangé de beignets dans toute ma vie. Mes poumons brûlent dans ma poitrine, mes muscles me supplient de les laisser se reposer un moment. Mais si j’en chie, lui a pas forcément une meilleure mine. J’sens son souffle qui l’éprouve, j’sens mes coups qui le mettent à rude épreuve.
On arrive sur la côte. Aussitôt on saute sur la berge. Pas de sable, juste un matelas de mauvaise herbe teinté de bouillasse et un calme plat aux alentours. On doit être sur Dead End, faut qu’j’en finisse vite.

Les Saigneurs sont mal en point. Mon nouveau pote me l’indique bien à chaque fois qu’y veut que j’abandonne.


« Tu sais qui est venu pour ton capitaine ? Pride, ça te dit quelque chose ? »


Bien sûr que ça me dit quelque chose. Un des sept chiens du gouvernement, un mec qui me couperait en deux tout en continuant à jouer aux échecs. Bien sûr que ça fait froid dans l’dos, bien sûr que je m’inquiète un peu pour mon seul ami. Ça pourrait baisser mon attention, affaiblir mon absence de volonté.

Mais en face de lui se trouve un chien aussi. Celui qui m’accompagnera « jusqu’au bout », comme disait Marisa. Et ce futur là, il est pas révocable. J’suis presque condamné à réussir, je peux pas m’arrêter là.


« T’inquiètes, quand j’en aurai fini avec toi je me dépêcherai de rentrer pour pas louper le coup de grâce qu’y prendra ton Pride. »


En vrai, ça a plutôt été le coup de bite qu’a pris Tahy mais ça c’est une autre histoire. Où en sont les autres j’en ai aucune idée. Est-ce qu’y en ont fini, est-ce qu’y m’ont laissé sur le carreau ? J’ai même pas envie de réfléchir à ça. Tout ce qui importe en ce moment, c’est de mettre un terme à la menace en face de moi qu’est décidément bien bavarde.
Je dis pas qu’notre joute ressemble à un combat de mandingues, où le vainqueur plonge son adversaire dans le noir éternel. Mais en ce moment on est des brutes. J’ai chaud malgré tout, je profite d’un moment d’accalmie pour enlever ma tunique. Me voilà torse poils, ouais avec un s parce que la toison d’or ça fait un moment que je l’ai trouvée moi. Il en fait de même. Bien, allez, le dernier round va pas tarder. Il a l’air quand même content après tout. Y me sourit même.


« Ça fait un moment que j’avais pas du transpirer comme ça. Je me souviendrai de ce moment. Avant que j’en finisse, donne moi ton nom, je le citerai les soirs de fête. »


Y me la joue sentimental ? J’en ai rien à branler moi qu’y sache comment je m’intitule, encore moins qu’y me balance ensuite son blaze à la gueule comme mémoire de guerre !
Cela dit, vrai que la longueur et l’intensité de ce combat me ramènent aux belles années, quand le nom de Jay Die faisait tourner la tête de beaucoup de jeunes marins.


« Layr. Rimbau D. Layr. C’est la dernière question à laquelle je répondrai, prépare toi joli cœur.

- Oh, c’est donc toi que Z observe depuis un moment ? J’suis même pas étonné. Désolé pour lui mais on va en finir maintenant.
»



Encore ce Z ? Mais qu’est-ce que je lui ai fait putain ? Alors que cette question me taraude, on se lance tous les deux à l’offensive, corps et âme. Nos bustes font un fracas pas possible, et alors qu’on roule au sol on repousse encore une fois nos limites respectives. J’peux pas perdre désolé. Ça fait longtemps que je suis plus vraiment un être humain. Et comme tout spectre qui se respecte, il est temps d’arrêter d’errer dans des couloirs obscurs.
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Plus de calme, plus de belle nuit étoilée sans tracas, avec ses enfants qui s’assoupissent tranquillement, ses parents qui s’étreignent langoureusement. Le sang d’Eli a annoncé la couleur qu’aura bientôt cette délicieuse soirée, le pourpre dominera, le pourpre domine toujours.

Près des côtes, une chaumière est perturbée. Le fracas, les hurlements, le nuage de mort qui flotte au dessus d’elle. Et à quelques dizaines de pas, c’est un homme encapuchonné qui attend les résultats de son disciple favori.


« Chef, ça fait trop longtemps, aucun signal de Morgan, il faut intervenir.

- Il va réussir. Il doit le faire, ce n’est sans doute pas dans ce coin bouseux qu’il va échouer. Sur les dix tests ce n’est que le troisième, quelle honte et quel déshonneur s’il n’y arrivait pas facilement. Nous attendons. »


Harvey respire profondément et s’assied sur un rocher environnant. Pour un futur commandant d’élite, rester assis à ne rien faire est une torture. Mais là ce n’est pas à lui d’agir. Avec sa force il pourrait raser en endroit si fragile juste en éternuant un peu trop fort. Mais la mission de ce soir est toute autre. Certes le jeune noble déchu doit périr, mais avant tout un autre homme-lige doit s’épanouir. Sans un bruit, sans geste manifeste d’impatience, Harvey attend que son poulain finisse le travail.

Ce village lui rappelle de mauvais souvenirs. Ce jour où on l’a mis à l’épreuve, il y a tellement longtemps. Ce jour où un jeune homme s’est transformé pour la première fois en assassin implacable. Ce jour où il a du effectuer plus d’un homicide, où il a marqué de son empreinte le cou d’innocents témoins présents au mauvais moment. Esperanza, le village de l’espoir. Aujourd’hui c’est à Morgan de faire de même. Sans sentiment aucun, sans chercher à savoir pourquoi. Le dénommé Rimbau D. Layr est un ennemi de l’état, un ennemi du gouvernement, un traître à son sang. C’est tout ce qui importe.


« Clay, va voir où ils en sont. Dépêche toi. »



Le clair de lune ne permet pas d’avoir une vue assez nette de la chaumière. Et Morgan est trop long. Ce n’est pas dans ses habitudes pourtant.


* Reviens, reviens vite bon sang. *


Cette phrase Harvey la pense bien fort mais ne la dira jamais. Parce que c’est un homme dur, un quarantenaire expérimenté qui a apprit à ne pas se laisser submerger par l’angoisse. Au fond de lui cependant, il espère juste pouvoir revoir l’étincelle d’envie de son disciple attitré.

Des coups de feu résonnent dans la nuit. Qu’est-ce que cela veut dire ? Pas de poudre, pas de bruit, c’était la consigne. Morgan a échoué, Morgan n’a pas su se défaire d’un putain de gamin.


« Go. »


Les voilà qui courent, la demeure est à quelques centaines de mètres. Pas assez pour poser un souci à ses hommes, mais trop pour permettre à un fugitif de s’enfuir dans les fourrés. La porte est ouverte, une fenêtre est cassée. À l’intérieur, la première escouade est décimée et l’apprenti du lieutenant d’élite git au sol, une balle en plein cœur. À ses côtés, une femme regarde le plafond sans vraiment le voir, prisonnière de sa nouvelle prison. Son corps est mutilé à plusieurs endroits, comme si le garçon qu’ils cherchaient était un fétichiste en puissance. Harvey a mal à l’intérieur. Harvey voit un fils de substitution lui échapper, aller vers le seul endroit qu’il ne puisse rejoindre.


« Ray tu restes avec moi, les autres dispersion, trouvez moi le fugitif. Go. »


La voix d’Harvey est ferme, pourtant une partie de lui est brisée. En observant le cadavre de la jeune femme, il se rend compte que plus d’une personne a beaucoup perdu ce soir. Son ventre est arrondi, bien plus que pour une grande mangeuse. Son groupe vient de tuer une future mère. Sale soirée décidément.

Le voilà qui pose sa main sur la prison d’un futur garnement. Qui lui répond par deux coups de pieds nets. Impossible.
Sans attendre, Harvey passe à l’action. Sa lame déchire le tissu puis incise délicatement la chair. Après quelques manipulations hasardeuses, un presque mort-né tarde à reprendre connaissance. À côté, son compagnon écarquille les yeux.


« Chef, qu’est-ce que vous faites ? Cet enfant est mort. »


Le fils d’un traître et d’une diablesse, voilà qui est cocasse. Car comme le disait l’ancien seigneur des pirates, un enfant n’est-il pas pur à la naissance ? Comme un signe prémonitoire, le futur commandant d’élite sourit. Il vient de trouver son dernier disciple, si faible, si fragile, né dans le sang de deux jeunes chiens fous.


« Réveille-toi. Bats-toi pour ta survie. C’est comme ça qu’on reconnaît les puissants. »



Et alors qu’un silence de mort s’est installé dans la pièce, que Ray enjoint son supérieur à quitter les lieux avant l’arrivée de curieux, un toussotement fébrile suivi d’un cri aigu emplissent soudain l’endroit. Il est en vie. Ce miracle ne peut en être totalement un. Soit, la descendance n’a pas à subir des péchés de ses pères. Dans ses bras Harvey tient le futur de ce monde, son propre futur à lui. Pas question de le laisser s’échapper.


« Nous partons, vite. Va chercher les autres, s’ils n’ont pas trouvé Rimbau dans une heure, qu’ils reviennent au point d’extraction. Et s’attendent à recevoir mon courroux. Dépêche toi !»


Le criminel, il n’en a plus rien à faire. Lui qui est si redouté, lui qui n’a jamais eu personne à aimer, il va pouvoir enfin transmettre quelque chose de vrai, de beau et de sincère. Parce que sous ses airs de roquet fier et solide, il y a un ancien garçon qui veut donner à un autre la chance d’une vie. Celle qu’il n’a jamais pu avoir, celle qui aurait pu le construire en tant que personne.







Entre deux fourrés, des jambes transportent difficilement un corps. Chassé, perdu, défait, un jeune homme court dans la nuit sans réfléchir. Et sans même s’en apercevoir, des larmes épaisses et bouillantes dégoulinent le long de ses joues pour s’écraser au sol. Des larmes qui ignorent la survie d’un être, des larmes qui n’attendent rien d’autre que de pouvoir enfin mourir.
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Nous roulons toujours. Comme des putains de gamins s’amusant dans les prés en été, comme des lions enragés se disputant la reine de la savane.

Je sens son souffle rauque et chaud près de mon visage buriné. L’image en serait presque belle, deux hommes qui abandonnent tout savoir être pour arriver à survivre. Parce que ouais, là on est plus vraiment en train de prendre du plaisir lors d’une joute épique et stylisée. Là, on essuie des coups sales, bruts, puissants, en priant une divinité quelconque de nous laisser nous relever une fois de plus.

Y s’est bien placé, y m’a eu. À califourchon sur moi, ses jambes m’empêchent toute fuite. Non, c’n’est pas une scène voluptueuse tout droit sortie d’un film indépendant américain ou japonais, c’est juste un homme qu’en tient un autre sous sa coupe et qui va pas tarder à passer à l’action. Y me regarde de ce regard un brin soulagé et satisfait. Son premier coup me défonce la pommette. Je commence à perdre conscience. Les suivants ne font presque plus mal. Mes mains essayent d’attraper, de tirer, de répondre. Mais rien à faire, je suis en ce moment même en position de mise à mort, attendant qu’mon bourreau arrive à me faire passer l’arme à gauche. Plus d’instincts, plus grand chose, mes bras sont allongés au dessus de ma tête, palpant la terre meuble une dernière fois.

Je sens soudain un contact rugueux. Un rocher, une grosse pierre, quelque chose de dur et d’irrégulier. Ais-je encore la force d’en faire quelque chose ? Le métronome au dessus de moi ne se pose pas la question. Y m’avait prévenu, y m’avait dit que ça se passerait comme ça, que je pourrai plus voir la lumière du jour, que je pourrai plus penser à Marisa au petit matin, rêvant de me réveiller pour me rendre compte qu’elle est à côté de moi.
Est-ce que je vais la retrouver ? Tous les deux, en enfer ou ailleurs, quelque part où je sentirai la douceur de son étoffe, la chaleur de ses bras ? Non, ce qui m’attend c’est une solitude éternelle, c’est une pénitence exemplaire. Arrête de rêver Layr, t’as beau prétendre le contraire la mort ça a toujours été ta pire ennemie. À la fin tu te feras flouer, comme les autres.


Clong



« Encore... un peu. »


Le roc noir et lourd heurte le mafioso en pleine tempe. Le voilà qui hurle en se tenant le visage. C’est pas pour tout de suite mon heure, j’ai horreur de me répéter.
Je me dégage aussi rapidement que je peux. Mes mouvements sont désordonnés, ma vision est pas encore claire. Pas lui laisser le temps de se ressaisir. Je raffermis ma prise sur ma nouvelle arme sans me rendre compte que je m’ouvre la main au passage. Une pierre ovale rouge et noire, c’est forcément efficace.

Je réfléchis plus. Je martèle. Plus y crie et plus je martèle. C’est horrible. Si j’suis un tireur d’élite ou un canonnier, c’est parce que la mort des autres me gêne moins quand j’la vois de loin, en plan d’ensemble, focalisé sur le paysage ambiant. Tabasser parfois des péquenauds pendant une baston de bar ça passe encore, mais procéder à une exécution en très gros plan, ça me retourne l’estomac. Pire, ça s’ancre dans mon esprit pour venir me dire coucou certaines nuits funestes.

L’temps que je me remette, que mon moi reprenne le dessus, y reste plus grand chose du Bacchus qui me répondait encore un peu plus tôt. L’est pas mort, mais ses faibles gémissements et son visage méconnaissable me garantissent que c’est de la souffrance pure, celle qui précède le voyage vers le pays salé où le cul chauffe. J’manque de vomir. Heureusement qu’personne voit ça. Un Saigneur qui défaille pour quatre fois rien ça ferait mauvais effet.



« Tu mérites une mort...honorable. »



C’est dur de parler, même quand ça en jette. Je respire un grand coup pour me remettre les idées en place. Chope mon flingue, l’ouvre pour le nettoyer un peu. Y l’est presque sec, on peut tenter.
Je m’avance pour me retrouver au dessus de la future carcasse qui remue faiblement. Un de ses yeux est encore vif, y m’observe et je comprends qu’il a conscience de tout c’qui est en train de se passer. Des larmes commencent à couler. Je sais pas s’y maudit son impuissance ou juste s’y veut en finir. Ouais Gaston tu avais sans doute des rêves, on en a tous. Mais la fatalité c’est une sacrée salope, je vais pas te contredire.



Bang



Un coup en plein cœur, comme les grands guerriers de jadis. Repose où tu pourras, mon deuil passera par des cauchemars récurrents. Y faut que je me repose. Est-ce que les autres vont bien ? Pourquoi je dis les autres moi, à part Tahy j’dois dire que j’irai mettre ma main au feu pour aucun d’entre eux. D’accord Walty est plutôt sympatoche. Dans le même style, Jack a tout du mauvais samaritain appréciable. Oh et merde, qu’est-ce que c’est qu’ce bordel ! J’vais pas commencer à la jouer camaraderie, m’ont déjà tous oublié, j’en suis sûr.


Je suis coupé dans mes divagations par quelqu’un qui arrive. Je sais même pas si j’ai la force de soulever un de mes guns. C’est une silhouette encapuchonnée. Merde, me dis pas que...



« T’as encore réussi à t’en sortir. Je dois dire que je suis satisfait. »




La capuche tombe, le masque aussi. Mes sens se sont à peu près restaurés, je vois devant moi un morveux qui me fixe d’un regard torve, de ses yeux terribles qui me font frissonner d’effroi.
Spoiler:

Ces yeux, je les ai déjà vu quelque part. La couleur grise c’est pas non plus la plus répandue sur les mers, mon salaud de père pourra pas dire le contraire. Je sens mes veines bouillonner, comme si on me ramenait en arrière une fois de plus.
Ce faciès, je le connais ce faciès. On dirait... Putain, putain !



« T’es... t’es qui ? »



J’ai crié sans m’en rendre compte. Ce que mon esprit embrumé tente de trouver, que je sais pas encore mais qui me déchirera l’âme, c’est qu’en face de moi, me toisant de toute sa hauteur, y’a mon fils qui m’observe d’un air inquisiteur.

La dernière lueur de détermination qui me restait disparaît et je m’effondre sur le sol humide. Les larmes viendront bien plus tard, quand j’me réveillerai et que je devrai affronter la seule chose au monde à laquelle je suis pas préparé. Mais là, tout de suite, seules les limbes m’appellent encore par mon prénom.


Dernière édition par Rimbau D. Layr le Mer 13 Fév 2013 - 13:54, édité 1 fois
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La nuit tombe. Seul sur une vieille chaise en bois, Harvey fume un gros cigare. Ce cigare, il vient d’une boîte spéciale qu’il possède depuis plusieurs dizaines d’années. Une boîte que son père lui avait donné avant de disparaître. Un objet de valeur donc.

À l’intérieur, au départ, il y en avait huit des cigares. Harvey ne fume jamais en temps normal. Mais aujourd’hui, il est en train de consommer le quatrième sans tousser, sans regrets. Parce que ce qu’il faut savoir, c’est que les seules fois où Harvey se permet de faire ça, c’est lorsqu’il a une grosse décision à prendre ou une peine significative. Et ça ne lui arrive pas souvent. Aujourd’hui il a promis à quelqu’un de lui dire une vérité. Une vérité qui dérange un peu.


Un jeune homme entre dans la pièce. Il devrait sans doute cacher un tant soi peu un sourire indolent. Mais ce n’est pas le cas, parce qu’aucun rictus ne déforme ses traits. Ses dix-neuf ans il s’en moque, un gâteau d’anniversaire il n’en voudrait pas. Non, lui ce qu’il désire c’est une réponse à ses questions. Des questions qu’un jeune homme est en droit de se poser, encore plus lorsque comme lui il a apprit à réfléchir avec pertinence très tôt. Il passe négligemment une main dans ses cheveux teints et scrute son père de substitution avec intérêt. Il est temps.



« Je suis en droit de savoir Harvey. »



Un visage buriné par les ans et fatigué par les combats lui répond par un hochement de tête. Il ne l’a jamais appelé autrement que par son prénom. Le soldat en lui avait interdit tant de familiarité. Mais en ce moment, Harvey aimerait vraiment que le petit l’appelle Papa. Les liens du sang sont plus forts que tout dit-on.



« Assieds toi Dale, je vais tout te raconter. »



Voilà son prénom, Dale. Celui qu’il avait vu affiché au mur lorsque le petit était venu au monde. Celui qui lui revient de droit.
Le garçon, nommé jusque là Z, comprend. Il s’exécute donc sans rechigner, laissant pour quelques minutes son flegme légendaire de côté.

S’ensuivent des explications précises, des altercations piquantes et des silences profonds.


« Il est toujours vivant ?

- Peut être. Nous n’avons pas retrouvé sa trace. »


Là, Harvey ment. Très vite il a su où l’ancien jeune homme brisé s’était perdu. Errant comme une âme bannie, écumant les bars sans réfléchir, le pauvre était tombé après cet incident à une condition bien inférieure à celle d’un homme. Le tuer aurait sans doute était une délivrance pour lui. Harvey ne sait toujours pas si c’était de la pitié ou de la compassion, mais il l’avait laissé vivre. Tuer le père d’un fils qu’on commence à aimer aurait sans doute été trop dur à porter, même pour lui.


« Qu’est-ce que tu vas faire ? »


Une question bien idiote, qu’il pose sans attendre réellement de réponse.


Car Dale est déjà debout. Fier et déterminé, à cent mille lieux de son naturel décontracté. Ses muscles sont tendus sous sa veste et ses mains tremblent légèrement dans leurs poches.


« S’il n’a pas changé, je l’arrêterai, comme il le mérite. »



Sa voix est forte, pleine d’une force retrouvée. Dans son fauteuil, Harvey voit son seul fils s’éloigner, rattrapant un passé douloureux. Et alors que le jeune prodige disparaît dans l’obscurité, le vieux marine sort un cinquième cigare, le porte à ses lèvres sèches et fait flamber une des dernières allumettes de son paquet. Il a quand même de quoi être fier.
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