Le royaume de Goa. La quintessence même d'une société que je méprise. Des nobles autant engraissés qu’enorgueillis, qui se vautrent dans leurs privilèges comme des cochons dans de la fange. Mais vous n'êtes que de simples réseaux d'artères qui n'attendent qu'à être tranchées, dans l'univers d'un assassin tel que moi. Le savez-vous, habitants de Goa ? Si c'est par le sang qui coule dans vos veines que vous êtes montés sur le piédestal, vous pourriez très bien en retomber quand ce même sang s'en écoulera. La vie, la mort... Tout ceci tient à si peu de choses : il y a tout un monde, entre un cœur qui palpite, ressent, aime, bat... Et un simple abat. Pourtant, seule la mort sait à quel point la frontière est fine. A quel point les âmes sont soumises à une simple nuance... Cette nuance, je l'apporterai dans ce royaume. Tel un professeur, j'inculquerai la plus amère des leçons à ces élèves indisciplinés... Et je couronnerai du bonnet d'âne le pire cancre de cet endroit.
Oui, l'Homme-Chien périra de ma lame.
Pourquoi ? Parce qu'il en a été décidé ainsi. Cela peut sembler injuste, cruel, ignoble, d'arbitrairement se donner le droit de vie ou de mort sur un pauvre hère tel que lui. Est-ce dans ce cas parce qu'il relève plus de l'animal que de l'homme que je peux le tuer ? Encore une réponse qui ne convient pas. La vérité est souvent des plus simples. Pour un assassin, un contrat est un contrat. Une poignée de mots jetés à l'encre sur une feuille de papier, un avis de recherche donné, quelques ordres reçus. Les mots, les paroles, les actes... Dans mon esprit, tout ceci ne veut rien dire. Seule la mort brille encore à mes yeux comme au premier jour.
Et l'Homme-Chien mourra pour que resplendisse ma lueur.
J'entre dans une taverne d'Edge Town. A l'instar de la zone dans laquelle elle se trouve, elle est crasseuse. Elle sent la pisse, l'alcool, le tabac, le sexe et le sang, des odeurs que je connais bien : ce sont les effluves de ceux qui vivent la nuit, de ceux qui travaillent dans l'ombre, de ceux qui vivent les cauchemars quand les autres rêvent. Edge Town est le royaume des pauvres, mais des pauvres ayant encore une once d'espoir. Ceux qui l'ont définitivement perdu sont à Grey Terminal, décharge d'âmes, bidonville d'hommes. Je reluque les murs entre lesquels je me suis enfermés. Cet endroit n'est pas pour moi. Le masque rangé sous les guenilles, je m'assois tout de même à une table. Il me faut prendre des forces, et surtout, recueillir des informations. Je ne peux pas me permettre de me rendre à Grey Terminal sans y être préparé : ce contrat ci peut me rapporter gros, mais il est trop risqué pour que je m'amuse à laisser libre cours à mes pulsions et à massacrer à tours de bras. Je commande au tavernier une assiette de fèves et de viande, et il m'apporte une sorte de mixture immonde dans laquelle baignent ce qui semblent être des morceaux de gadins et de rat. Voila l'aubaine d'enfin goûter à une spécialité locale.
- "Dis, t'as entendu la nouvelle ? Y'paraîtrait qu'un mec 'achement r'cherché aurait débarqué dans l'royaume.", murmure à son voisin un homme assis à une table non loin de la mienne. Je tends l'oreille.
- "Ouais, Slicky m'en a causé pas p'u tôt qu'ce matin, d'un gars à lui qu'est dans la milice. Mais 'pparemment ce s'rait qu'un ramassis d'conneries. Y'z'ont un peu fouilloté par-ci par-là et ça a rien donné."
- "Un plan foireux de Hound pour coller les miquettes ceux qu'voudraient lui che'cher des crosses ?"
- "Ce s'rait pas la première fois."
- "Vrai. D'autant que... Limite il aurait dit qu'c'était des types de l'homme-clebs, j'veux bien... Mais là, j'ai entendu dire par Burgler qu'c't'une tête d'affiche 'pparemment le gars. "Assassino" qu'j'crois que c'est son nom. 'Fin bref, t'as bien raison. C'est sûrement des histoires."
J'arrête net de suivre leur conversation, et ouvre avec empressement une petite sacoche que je porte à la ceinture. J'en extirpe des papiers de mort, que je feuillette discrètement. Et là...
- Spoiler:
Rafaelo Di Auditore141.000.000Rafaelo Di Auditore. Il Assassino. Une telle légende dans le milieu de l'assassinat qu'on ne compte même plus le nombre de cadavres fumants qu'il a pu laisser derrière lui. Un véritable prodige, incroyablement doué pour tuer. Un autre qui a dépassé sa condition de misérable mortel pour devenir un ange de la mort. Un homme de ma trempe, qui me fait ressentir un besoin grandissant de le rencontrer... Et de le tuer. J'ai besoin d'attiser ce désir brûlant d'exister, d'étancher cette soif insatiable de me sentir vivre. Ma cible est l'Homme-Chien, et rien ne doit me détourner de sa mort. Mais... Passer à côté d'une telle aubaine... Alors qu'un homme au visage de mort se trouve si près... Ce serait rater une occasion d'enfin vivre. Je dois assassiner cette homme. Un deuxième collet est posé, pour une deuxième cible. La traque commence quand l'un des deux soulards se lève et quitte l'auberge. Après avoir réglé, je l'imite.
Il prend une petite ruelle exigüe, puis une deuxième, puis une autre. Je gagne les hauteurs.
Il s'éloigne de plus en plus des grandes avenues d'Edge Town. J'enfile mon masque.
Il s'arrête pour pisser contre un mur... Et je plonge sur lui.
Ma main tombe sur son épaule, le faisant chuter lourdement au sol, la braguette ouverte et l'engin toujours à l'air, s'en mettant sur le pantalon et les godasses. Je colle mon masque de mort à son visage, de façon à ce qu'il puisse sentir le souffle froid de la fin, et lui appuie ma lame contre sa pomme d'Adam. Profite de tes derniers instants, petite brebis qui s'est égarée du troupeau de la vie. Le berger ne te cherchera pas, le grand méchant loup t'as déjà attrapé entre ses griffes.
- "Dis moi tout ce que tu sais sur "Assassino". Choisis bien tes mots. Parle peu, et vite, si tu veux vivre.", lui susurré-je, mentant ouvertement à cette pauvre âme.
- "Oui, oui ! J'vous dirai tout ! Y'paraît qu'y's'trouve dans Town Center ! Mais c'est qu'des on-dit ! Demandez à Burgler ! Il est au courant d'tout c'qui s'passe dans l'coin !"
- "Burgler ? Je note. Je le retrouve comment ? Et me raconte pas de conneries. C'est ta seule chance de... Vivre...", continué-je, en appuyant un peu plus ma lame sur sa gorge, laissant couler un mince filet vermeil sur son cou.
- "D'mandez le ! Tout l'monde sait qui c'est ici ! Pitié, laissez moi vivre ! J'ai une femme et des gosses !", implore t-il. Tentative ratée. Je lui tranche la gorge, le laissant s'étouffer dans son sang. Quel plaisir, quelle délivrance, quel salut... Voir la vie le quitter pour venir remplir mon cœur creux et desséché. Cette sensation doit perdurer. A jamais. Je me redresse et range ma lame à la ceinture. Diretion : Town Center.
Il n'y a pas de fumée sans feu.
- Assassin's meeting:
Hum.
"Rafael ?"
Hum. C'est bizarre. Cette sensation.
"Rafael ?!"
Une voix. C'est comme une voix, oui. Mais c'est pas la sienne. Pas celle de Césare. Un autre. Un autre qui a parlé. Puis ... puis le noir. Comme si on avait jeté un caillou dans la mare et que les ondes viennent faire osciller sa barque. Comme une flamme allumée un instant dans les ténèbres. Comme s'il se souvenait d'une chose qu'il n'avait pas écouté. Flippant.
"Rafael !"
Hein ?
"Rafael, bon dieu, écoute moi !" fit Céline, secouant l'épaule de l'Auditore.
L'assassin hausse un sourcil, la regarde sans comprendre. Que venait-il de se passer ? Elle ... elle lui parlait, il voyait ses lèvres former des mots. Ses lèvres. Mais aucun son n'en sortait. Assourdi par un écho lointain, il l'entendait à travers un filtre. Il se massa les tempes et secoua la tête, chassant cette mélasse qui enrobait son esprit. Ce mantra, c'était étrange. Il ne comprenait pas tout, ne maîtrisait pas tout. Mais plus ça avançait, plus il percevait des choses nouvelles.
"Oui, oui, j'ai entendu, c'est bon ..." répondit-il après une énième tentative de la jeune femme.
Celle-ci soupira, puis jura en levant les mains au ciel. Depuis qu'ils s'étaient retrouvés, ils étaient devenus bien plus proches et elle se permettait des choses qu'elle n'aurait osé faire lors de son apprentissage. Elle possédait le rang d'Assassino après tout, ce qui en faisait son égal. L'assassin s'empara de son arme qui était posée en travers de la table, puis se leva.
"Où vas-tu ? On doit attendre le signal de Vengeance, pour aller le voir quand la voie sera libre." lui rappela-t-elle, faisant une moue boudeuse avec ses lèvres.
Elle était plutôt jolie, il fallait l'avouer. Mais il la voyait avant tout comme une soeur, il la voyait au travers de son masque d'assassin. Pas comme Lilou, pas comme Rachel. Pas comme toutes les autres. Alors il soupira, lui renvoya un sourire amusé, puis mit la capuche sur sa tête.
"Besoin de faire un tour, guette le signal pour moi." lui répondit-il, avant de s'éclipser dans un nuage de fumée.
Bon dieu, elle détestait ça. Sa manière de disparaître, sa manière de lui cacher des choses. Il se comportait comme un gosse immature par moment, et ça l'énervait au plus haut point qu'un homme de cet acabit soit autant irresponsable. Autant prisonnier de ses émotions. Il n'était plus l'homme qui avait fondé le crédo. Il était devenu plus humain. Plus froid, et plus ... chaleureux aussi. C'était étrange de voir à quel point la mort de son frère l'avait changé. Puisqu'il était mort, hein ? Même ça, elle n'osait l'aborder devant lui. Elle le surprenait de temps en temps à proférer son nom et à ricaner comme un bienheureux. Trop de mystère autour de cet abruti de Rafael. Rafael qui était dehors maintenant, se pavanant dans son costume neuf, alors que le monde entier ne parlait plus que de Toji Arashibourei. C'était une diversion acceptable, ne cessait-il de répéter. Mais une diversion pour quoi ? Ton retour sur les blues, ta vengeance ? Un autre coup que tu préparais, Rafael ?
L'assassin réapparu en se reformant sur le toit de leur cachette. S'il avait senti ça, c'était que ce n'était pas si loin, non ? Quelqu'un avait dit son nom, puis une voix avait disparu. C'était ce qu'il avait perçu, vécu. Il ferma les yeux, laissa ses oreilles et son âme lui indiquer la voie. Le sang, la mort. Les cris. Oui, on avait trouvé un mort. Quoi de mieux qu'une traque pour passer le temps ? Un gibier qui tuait en parlant de lui, ça ne pouvait pas être un ami. On ne tuait pas au nom d'Il Assassino, on tuait au nom de sa justice. Quelqu'un qui le traquait ? Ici ? Il n'avait pas été très discret, il fallait l'avouer. Mais la nouvelle de son évasion avait déjà du courir à travers tout ce beau monde. Autant que son alliance avec Ombre. Personne n'était encore au courant de son nouveau statut au sein de la Révolution. Mais sous peu ... ils s'en mordraient les doigts. L'assassin prit son élan et sauta, auréolé de fumée, sur une bâtisse située quelques mètres plus loin. Sans un bruit, la fumée n'en faisait pas. Et il l'incarnait du mieux qu'il le pouvait. De nouveau, il prêta l'oreille. Oh. Quelque chose bougeait pas loin. Vite, rapide. Quelqu'un qui avait peur ? Quelqu'un qui fuyait ? Oh. Sur les toits. Oui, il ... il le sentait. Dieu que c'était bizarre. Un mélange entre sentir et percevoir. Comme si le ...
"Rafael, tu vas le louper, bouge toi, il va passer par là-bas." fit la voix, attirant l'attention de l'assassin sur un balcon non loin.
Tsss. Toujours ce même ton insolent. Mantra ou pas, cette émanation pouvait se montrer bien énervante. Il acquiesça cependant et disparu dans une gerbe de fumée pour glisser sous la forme d'un mince filet jusqu'à sa destination. Il se recomposa sur le toit de la demeure, s'asseyant sur le parapet. Il se posa tranquillement, et sortit une cigarette de l'intérieur de son armure. Il l'alluma négligemment et attendit les trois secondes qu'il faudrait à l'homme qui escaladait pour le voir. Sûr de lui ? Toujours. Et puis s'il s'agissait du type qui le traquait, l'impression serait forte. On ne traquait pas Il Assassino sans qu'il ne l'apprenne. Vachement utile ce mantra. Et si c'était un fuyard. Bah. Il se pisserait dessus.
"Hoy." lâcha-t-il, tirant sur sa cigarette.
C'était pas n'importe laquelle, elle provenait du paquet que Ombre lui avait laissé. Pour dire.
"Rafael ?"
Hum. C'est bizarre. Cette sensation.
"Rafael ?!"
Une voix. C'est comme une voix, oui. Mais c'est pas la sienne. Pas celle de Césare. Un autre. Un autre qui a parlé. Puis ... puis le noir. Comme si on avait jeté un caillou dans la mare et que les ondes viennent faire osciller sa barque. Comme une flamme allumée un instant dans les ténèbres. Comme s'il se souvenait d'une chose qu'il n'avait pas écouté. Flippant.
"Rafael !"
Hein ?
"Rafael, bon dieu, écoute moi !" fit Céline, secouant l'épaule de l'Auditore.
L'assassin hausse un sourcil, la regarde sans comprendre. Que venait-il de se passer ? Elle ... elle lui parlait, il voyait ses lèvres former des mots. Ses lèvres. Mais aucun son n'en sortait. Assourdi par un écho lointain, il l'entendait à travers un filtre. Il se massa les tempes et secoua la tête, chassant cette mélasse qui enrobait son esprit. Ce mantra, c'était étrange. Il ne comprenait pas tout, ne maîtrisait pas tout. Mais plus ça avançait, plus il percevait des choses nouvelles.
"Oui, oui, j'ai entendu, c'est bon ..." répondit-il après une énième tentative de la jeune femme.
Celle-ci soupira, puis jura en levant les mains au ciel. Depuis qu'ils s'étaient retrouvés, ils étaient devenus bien plus proches et elle se permettait des choses qu'elle n'aurait osé faire lors de son apprentissage. Elle possédait le rang d'Assassino après tout, ce qui en faisait son égal. L'assassin s'empara de son arme qui était posée en travers de la table, puis se leva.
"Où vas-tu ? On doit attendre le signal de Vengeance, pour aller le voir quand la voie sera libre." lui rappela-t-elle, faisant une moue boudeuse avec ses lèvres.
Elle était plutôt jolie, il fallait l'avouer. Mais il la voyait avant tout comme une soeur, il la voyait au travers de son masque d'assassin. Pas comme Lilou, pas comme Rachel. Pas comme toutes les autres. Alors il soupira, lui renvoya un sourire amusé, puis mit la capuche sur sa tête.
"Besoin de faire un tour, guette le signal pour moi." lui répondit-il, avant de s'éclipser dans un nuage de fumée.
Bon dieu, elle détestait ça. Sa manière de disparaître, sa manière de lui cacher des choses. Il se comportait comme un gosse immature par moment, et ça l'énervait au plus haut point qu'un homme de cet acabit soit autant irresponsable. Autant prisonnier de ses émotions. Il n'était plus l'homme qui avait fondé le crédo. Il était devenu plus humain. Plus froid, et plus ... chaleureux aussi. C'était étrange de voir à quel point la mort de son frère l'avait changé. Puisqu'il était mort, hein ? Même ça, elle n'osait l'aborder devant lui. Elle le surprenait de temps en temps à proférer son nom et à ricaner comme un bienheureux. Trop de mystère autour de cet abruti de Rafael. Rafael qui était dehors maintenant, se pavanant dans son costume neuf, alors que le monde entier ne parlait plus que de Toji Arashibourei. C'était une diversion acceptable, ne cessait-il de répéter. Mais une diversion pour quoi ? Ton retour sur les blues, ta vengeance ? Un autre coup que tu préparais, Rafael ?
L'assassin réapparu en se reformant sur le toit de leur cachette. S'il avait senti ça, c'était que ce n'était pas si loin, non ? Quelqu'un avait dit son nom, puis une voix avait disparu. C'était ce qu'il avait perçu, vécu. Il ferma les yeux, laissa ses oreilles et son âme lui indiquer la voie. Le sang, la mort. Les cris. Oui, on avait trouvé un mort. Quoi de mieux qu'une traque pour passer le temps ? Un gibier qui tuait en parlant de lui, ça ne pouvait pas être un ami. On ne tuait pas au nom d'Il Assassino, on tuait au nom de sa justice. Quelqu'un qui le traquait ? Ici ? Il n'avait pas été très discret, il fallait l'avouer. Mais la nouvelle de son évasion avait déjà du courir à travers tout ce beau monde. Autant que son alliance avec Ombre. Personne n'était encore au courant de son nouveau statut au sein de la Révolution. Mais sous peu ... ils s'en mordraient les doigts. L'assassin prit son élan et sauta, auréolé de fumée, sur une bâtisse située quelques mètres plus loin. Sans un bruit, la fumée n'en faisait pas. Et il l'incarnait du mieux qu'il le pouvait. De nouveau, il prêta l'oreille. Oh. Quelque chose bougeait pas loin. Vite, rapide. Quelqu'un qui avait peur ? Quelqu'un qui fuyait ? Oh. Sur les toits. Oui, il ... il le sentait. Dieu que c'était bizarre. Un mélange entre sentir et percevoir. Comme si le ...
"Rafael, tu vas le louper, bouge toi, il va passer par là-bas." fit la voix, attirant l'attention de l'assassin sur un balcon non loin.
Tsss. Toujours ce même ton insolent. Mantra ou pas, cette émanation pouvait se montrer bien énervante. Il acquiesça cependant et disparu dans une gerbe de fumée pour glisser sous la forme d'un mince filet jusqu'à sa destination. Il se recomposa sur le toit de la demeure, s'asseyant sur le parapet. Il se posa tranquillement, et sortit une cigarette de l'intérieur de son armure. Il l'alluma négligemment et attendit les trois secondes qu'il faudrait à l'homme qui escaladait pour le voir. Sûr de lui ? Toujours. Et puis s'il s'agissait du type qui le traquait, l'impression serait forte. On ne traquait pas Il Assassino sans qu'il ne l'apprenne. Vachement utile ce mantra. Et si c'était un fuyard. Bah. Il se pisserait dessus.
"Hoy." lâcha-t-il, tirant sur sa cigarette.
C'était pas n'importe laquelle, elle provenait du paquet que Ombre lui avait laissé. Pour dire.
- "Hoy."
Un simple mot, craché à la figure par un spectre que je n'avais pas senti approcher, me fait m'arrêter brusquement dans ma cavalcade nocturne. Je suis la mort, la menace fantôme, le Charon de ce monde. Comment n'ai-je pas pu le sentir arriver ? Qui donc s'adresse à moi dans la brume ? Qui donc croit pouvoir s'échapper du royaume des ombres, alors que le visage macabre est porté par son messager ? Je me retourne vers l'âme que j'emporterai bientôt avec moi dans les ténèbres de la nuit. Viens, pauvre habitant de Goa. Viens donc danser à ce bal masqué dont tu es l'invité de marque : je t'offre la danse de ta vie... Ou plutôt de ta mort. C'est une valse que tu oublieras dans quelques instants, lorsque tout sera terminé.
Allons, viens, prends ma main. Je t'apporte une délivrance à tes souffrances de simple mortel.
Allons, viens... Bientôt, tout sera terminé.
Mon sang se glace quand je m'aperçois de l'identité de la victime que la fortune m'a désigné. Il lâche un mince nuage de fumée de sa cigarette, qui vient s'écraser sur mon masque funèbre. Le brouillard me rentre dans les narines, pénètre mon corps, et me fige sur place. La sensation de pétrification m'envahit peu à peu. Méduse, ô Méduse... Toi qui d'ordinaire est ma muse meurtrière... Toi qui d'habitude me sert à faire même cesser de trembler de peur mes cibles... M'aurais-tu abandonné ? Je veux rester dans tes bras, pour l'éternité, tandis que je marche seul sur la voie du cimetière. Je veux sentir ton baiser m'insuffler la vie tandis que la prends. Colle tes lèvres aux miennes, douce déesse des déments, par miséricorde... Mais ne me laisse pas seul. Pas avec lui.
Je dégaine ma lame, et d'un geste rapide mais assuré, lui plante dans la carotide. Coule, coule, coule, sang ! Fluide écarlate, échappe toi de son corps, montre moi comment la vie fuit devant moi. Montre moi comment cette vie lâche se débine lorsque la mort s'approche. Mais il n'en est rien. En lieu de sang, s'échappe simplement de la fumée. Beaucoup de fumée. J'essaie d'essuyer ma lame, mais il n'y a rien dessus. Il Assassino n'est plus qu'un nuage de brume vaporeuse... Qui se reforme lentement pour lui redonner pleinement son corps. Il termine de fumer sa cigarette comme si de rien n'était, comme si je n'avais rien fait. Comme s'il déniait mon existence au profit de la sienne. Je croyais que Rafaelo Di Auditore était comme moi, un ange de la mort, mais c'est bien plus que ça. J'empoigne à nouveau fermement ma lame, et tente de lui porter de nouvelles attaques. Aucune ne passe tandis que le voile nuageux qui l'entoure ne cesse de s'épaissir. Un individu que je ne peux pas sentir, que je ne peux pas tuer, mais qui lui le peut. Un être qui a dépassé sa condition de preneur d'âme au point qu'il peut traquer et occire n'importe qui sans problèmes. Un messager des ombres... Volatile comme le parfum de la mort. Un véritable Dieu, l'enfant chéri de dame Mort, qui diffère en touts points du garnement abandonné que je suis. Le véritable Grim Reaper se tient devant moi, impavide.
Je pose un genou à terre, laissant tomber ma lame.
- "C'est un véritable honneur de vous rencontrer, Il Assassino... Si les mots comme "honneur" signifient encore quelque chose pour quelqu'un comme moi...", murmuré-je, baissant le regard.
Il frappe. L'assassin ferme les yeux. Il ne mourra pas ainsi. Ce fut donc avec un sourire amusé qu'il accueillit le premier coup. Il aurait du lui arracher la carotide, répandre son sang sur le sol. C'était bien le type qui semblait le chercher, pourquoi donc pensait-il pouvoir l'avoir ainsi ? L'assassin tira sur sa cigarette, reprenant forme humaine. Toujours ce sourire arrogant. Enfin la tempête cessa. Il se trouvait face à un homme au masque glacé, un autre assassin. Bien. Rafael se releva, surplombant cet être qui s'agenouillait devant lui. Une manière d'obtenir son pardon ? Une façon de réclamer la survie ? Un instant, l'Auditore hésita. Il resserra son gant faisant cliqueter les plaques métalliques qui le constituaient. Cet homme avait tenté de l'occire, s'était mis à sa poursuite. Il l'avait traqué, avait espéré le défaire. Cela signifiait donc qu'il l'avait vu, et avait suivi sa piste. Avec lui risquait de disparaître la seule information quant à l'identité de ce qui pouvait le traquer. À moins que ce ne fut un traqueur solitaire. Un assassin parmi d'autres. Fort. Plus que d'autre, mais face à Ombre, Yusuf. Il n'était qu'un homme parmi les autres. Comme lui, ou presque.
"Relève-toi. Stupide que tu es." grogna Rafael, jetant le mégot au loin.
Il fit un pas, éloigna la lame du bout du pied. Aucune raison de prendre un risque supplémentaire. D'un geste de la main, il ramène à lui la fumée que cet homme a fait dériver, manière d'éviter qu'on ne le repère ainsi. Maintenant il pouvait observer son masque, inexpressif. La chose suffisait à faire peur à elle seule. Du moins, quand on avait pas déjà affronté des créatures au faciès monstrueux, pareilles à Krabbs ou autres monstruosités.
"J'espère pour toi que t'es pas un homme de l'Umbra. Eux aussi ont un petit problème avec ce mot." lui fit-il, connaissant déjà la réponse à cette question.
Pas besoin de beaucoup de mots pour exprimer ce que l'assassin pouvait ressentir. Ce concentré de colère, de haine. Tout comme cette froide résignation. Il ne ferait plus l'erreur de se considérer supérieur à un ennemi, mais que son interlocuteur continue à le croire, cela ne pouvait que jouer en sa faveur. S'il avait été un homme de l'Umbra, il ne l'aurait pas attaqué ainsi : ils avaient envoyé un gars avec une dague en granit marin la dernière fois. Et il ne pouvait pas être fou au point de s'attaquer au fondateur de l'ordre sans être pareillement équipé. Une personne qui n'avait rien à voir dans ce conflit. Un mystère donc. Un mystère qui avait su le traquer, et Rafael voulait savoir pourquoi. Ce n'était pas le Gouvernement non plus. Un bandit de la cité ? Non. Un gars du milieu ? Assurément.
"Enlève ton masque. Je veux voir ton visage. Juste avant que tu m'expliques ce que tu fais ici, et pourquoi tu me cherchais." ordonna Rafael.
Il n'oubliait jamais un visage, alors il voulait vérifier. On n'était jamais sûr de rien. Et puis il n'avait pas le choix. S'il désirait résister, il ne ferait que se débattre dans la fumée. Quoi que ... l'assassin était apparemment ouvert à la négociation : cet homme vivait encore.
Tentative ratée. Mignon petit trésor, pourquoi ne veux-tu pas jouer avec moi ? Nous sommes tous les deux des enfants, mais tu me laisse tout seul sur ma balançoire... A osciller, abandonné, entre la vie et la mort... Pourquoi ne veux-tu pas jouer avec moi ? J'adore les jeux. Comme un petit garçon. Tu es cap', ou tu es pas cap' ? De blesser ? De faire souffrir ? De tuer ? Moi je suis cap' de tout. Du plus horrible comme du plus répugnant. S'il faut plonger mes mains dans la merde et dans le sang pour rendre hommage à ma maîtresse la mort, je le ferai sans hésiter. A condition de sentir son étreinte autour de mon cœur, autour de mon cou, jusqu'à l'étouffement. Oui... Je veux m'évanouir pour elle, fermer les yeux en sentant son regard plongé dans le mien. Je veux qu'alors que mon âme se remplit, au fur et à mesure que je pourfends la vie autour de moi, sentir ses lèvres boire ma noirceur. Je veux la combler, l'honorer comme un prince déchu, en lui déversant mon flot de haine dans le gosier. Je veux qu'elle se noie dans le sang que je lui donne, qu'elle croule sous les cadavres que je lui porte en offrande.
Et toi, Il Assassino ? Ton autel macabre est-il poussiéreux, rouillé par l'oubli, encrassé par les sables du temps ? Es-tu encore celui que tu étais ? Un des choisis de dame Mort ?
Je me relève, alors qu'il a dégagé du pied mon instrument de mort. Sa douce musique, son chuintement métallique, ce doux crissement... Il me manque déjà. Je suis désormais au niveau de Rafaelo, mes yeux mécaniques foudroyant silencieusement les siens inexistants.
- "Mon visage ? Vous l'avez devant vous. Ma peau a fondu à cause de la pestilence de la mort il y a bien des années, laissant ce crâne à vif. Voila quel est mon visage, désormais. Un rictus funeste qui s'arrache de mon âme fétide d'homme, et fait de moi un Cavalier de l'Apocalypse, un messager de la fin. Ne cherchez pas à savoir qui je suis, ne cherchez pas le visage d'un homme, car je ne suis plus quelqu'un. Je suis un symbole, un cauchemar, une force contre laquelle on ne peut lutter. Peut-on empêcher les abysses de noyer ? Les flammes de brûler ? Les ténèbres d'engloutir de pauvres âmes désemparées, avec une voracité que l'on ne peut réprimer ? Cette nuit et comme toutes les autres, je suis l'envoyé de la mort. Un tissu de mensonges qui relie quelques morceaux de chair autour d'une âme aussi noire que l'ébène. Je n'existe pas...", lui dis-je tout simplement. Je poursuis, après une courte pause et un silence attendu : "... Et je cherche à exister, à ressentir la vie et non le sang couler dans mes veines. Ce que je fais ici ? Cela n'a ni importance, ni explication, car la fatalité guide mes pas sur le sentier du meurtre. Au bout du chemin se trouve la grille d'un cimetière dont vous êtes le fossoyeur, Il Assassino. Ce que je veux ? Les clefs que je pense que vous détenez. Notre mère me l'a murmuré à l'oreille... Vous les avez en vous.", continué-je. Je lui tourne désormais le dos, et reprends : "Je sens au fond de moi une bête respirer, ronfler, gargouiller, et dont l'estomac crie famine. Cette chose vomit la vermine qui grouille sous ma peau et me ronge le cœur et les os. Ce monstre, je le nourris, je l'abreuve, et je le chéris, le confortant dans la misère des hommes. Il s'est lové dans mon âme, et croît de nuitée en nuitée. Vous l'avez en vous, vous aussi. Vous ne pouvez mentir à votre frère de sang. Nous sommes pareils à deux lames forgées dans les ombres. Nous sommes de la même trempe. Je voulais m'assurer de votre tranchant. Vous êtes aiguisé tel un rasoir. Je veux recouvrer cet affût, moi qui ne suis qu'une épée émoussée. Je ne veux ni vivre, ni survivre. Seulement ressentir autre chose dans ma poitrine que les battements sourds d'un organe qui est déjà mort."
Vivre, c'est aimer, haïr, pardonner.
Survivre, c'est se nourrir, boire, éviter de mourir parce qu'on a du mal à vivre.
La définition de la vie, c'est la mort. C'est paradoxal, mais c'est la seule vérité que ce monde de misère porte fièrement. La vie, la mort... Des problèmes d'hommes. Je suis la frontière. Une nuance perdue dans le flot du temps. Et toi, Rafaelo ? Es-tu un grain de sable porté par le vent ? Ou souffles-tu sur ces pauvres âmes, en divin tourmenteur de leurs maigres existences ? Répondras-tu à un homme dévoré par sa propre folie, tes instincts réveillés par le cri la bête ?
Que de belles paroles. Des mots enrobés de sucre, des mots qui se veulent percutants, incisifs. On aurait pu le targuer de fou, amoureux qu'il était de sa propension à distiller vie et mort par sa main. Cavalier de l'Apocalypse, ange funeste. Nul doute que cet homme était doté d'un ego qui en aurait fait pâlir plus d'un. Mais un symbole ... cela ne lui rappelait que trop de choses. Outrepasser l'homme, outrepasser la légende pour s'affranchir du monde et de ses réalités. Devenir un symbole pour guider les égarés et les mener sur la voie de la justice. Vérité. Tout cela, tous ces mots. Rafael les avait autrefois prononcés, crus. Mais aujourd'hui ... c'était différent. Il n'avait que trop vécu par le sang et la violence pour espérer gagner une quelconque rédemption. Il était un assassin, sa condition outrepassait son âme. La réalité était telle. Lorsqu'on tuait par l'épée, on périssait par l'épée. Rafael ferma les yeux. Tous ces cadavres laissés dans son sillon. Une marée inhumaine grouillante, putride. Un véritable cimetière en effet. Mais de là à se targuer de fossoyeur ... Cet homme semblait aussi fou que lui, épris d'un désir de mort bien plus délétère. Que penser donc, que faire ? Il avait tenté de le tuer certes, mais le châtiment n'étai pas la peine encourue par tous. Il y avait souvent un moyen d'utiliser, de canaliser. De faire face et de combattre. Pourtant, il se trompait sur une chose.
"Nous ne sommes pas forgés du même métal. Tu arpentes les ombres, tu te proclames ténèbres." grogna-t-il, avec un sourire mauvais.
D'un pas, il passe à travers lui, pareil à un fantôme. Frôle sa peau, lui fait comprendre que chacune de ces particules grises pourrait être une lame dissimulée dans son essence. Les mots ne suffisent pas. La peur, non plus. L'art de la mise en scène de la duperie. Toute Révolution passe par le sang. Et là où il y a du sang, il y a des assassins. Il se reforme derrière lui comme s'il n'avait été qu'un mirage, un fantôme. Une brume diaphane aux volutes cendrées.
"Je suis l'ombre, les ténèbres se plient à moi." continua-t-il, entrant dans le jeu menaçant de l'homme au masque.
Ou elles le feraient sous peu. Même les êtres d'exception pouvaient connaître l'échec de temps à autre. On ne se forgeait que par la souffrance et les difficultés. Nul être humain n'échappait à cette règle. Que retenait-on de l'histoire sinon de ses échecs et de ses mauvais tournants ? Plus jamais cela, réclamait-on. Pas l'inverse.
"Alors si tu ne veux ni vivre, ni survivre. Si tu veux plier cette chose qui gronde en ton sein. Ce n'est pas un cimetière qu'il te faut arpenter. Les tombes ne sont pas l'apanage des assassins. Elles ne sont que les témoins éphémères de leur épopée. Un homme qui se plie à sa bête, à sa rage n'est qu'un meurtrier. Un homme qui voue sa lame à la gloire d'une cause, morale ou non, devient un assassin. Un être dont le bras et la sentence n'ont qu'une seule vocation." poursuit Rafael, faisant un vague mouvement vers la Lune qui surplombait Goa et ses demeures plongées dans la nuit.
"Tu me dis légende. Tu me dis Il Assassino. Qu'en sais-tu vraiment ? Ce monstre, ce que t'as murmuré la mère de la nuit ... Penses-tu vraiment que j'en sois victime ? Penses-tu réellement que je sois esclave d'un désir ? Non. Ce monstre, c'est lui qui me nourrit. C'est lui qui se plie à ma volonté." continua-t-il, ricanant sous l'effet d'une douce folie latente.
Ces mots, ces mots ... Celui-là savait réveiller la bête qui sommeillait en Rafael, la chose que Céline avait caressé chaque jour. Ce que l'assassin avait oublié de nourrir depuis quelques temps. Cette chose qui criait vengeance et qui donnait à son bras une implacable force. Cette chose, qui n'était autre que sa propre âme. Ce monstre qui s'était plié à sa volonté lorsque les instruments avaient labouré sa chair. Cette créature qui hurlait au fond de lui. Vengeance, haine. Ténèbres. Un sourire se dessina sur son visage, de mauvaise augure. Une flamme démente brilla au fond de sa pupille. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas laissé transparaître cet aspect de lui-même. Sa véritable nature, après tout. Sang, carnage et désolation. N'étaient-ce pas là les compagnons de route d'un assassin ? Non. Car lui, il se vouait à la Cause.
"Sache, assassin, que je suis pourtant magnanime. Ma lame ne mérite pas de boire le sang de tous ceux qui croisent mon chemin, certains se montrent méritant de la vie qu'ils arpente. Et toi, que penses-tu mériter ? Ne réponds pas, je connais déjà la réponse ... La question, la vraie question. Celle qui met ton être en ébullition, qui nourrit ta passion et ta haine. Celle qui se cache derrière ta lame sanglante. Serais-tu mieux vivant ... ou mort ?" lui demanda-t-il, oscillant entre phrases sibyllines et non-dits.
Ce faisant, Rafael fit jaillir sa lame secrète de son gantelet, entourant de ses doigts cette lame scintillante. Rougie par le sang d'un millier de morts, forgée dans la souffrance et la victoire.
Il s'approche de moi, la lame sortie. Ô Destinée ! Est-ce aujourd'hui que, de ta belle main décharnée, ta plume va poser le point final du livre de mon histoire ? Ou n'est-ce tout simplement que la fin d'un chapitre ? Je suis dévoré d'une impatience rare. Je ressens l'excitation. Je veux tourner la page, savoir ce qui se passe ensuite. Mais quoi que tu décides pour moi, dame Destinée, sache que comme j'ai accepté ton amour et tes ordres, j'accepterai le sort que tu me réserve. C'est le lot de toutes les âmes, qu'elles soient mortelles ou non. Après tout, nuit après nuit, j'ai fait accepter le leur à tous ceux dans qui j'ai plongé mon épée. Secrétaire du diable, j'ai apposé à la cire le sceau des enfers. J'ai tamponné l'acte de mort de bon nombre de perdus à l'encre des cauchemars.
Mais tu te trompes, Rafaelo. Je ne peux pas mourir. On ne peut pas tuer ce qui est déjà mort, et qui ne l'est pas encore à la fois.
- "La vie est un cadeau de Dieu, et la mort son châtiment. A moins que ce soit la vie la punition, et la mort la récompense. Quel est votre avis ? Non, ne dites rien. Je sais quel genre de mots sortiront de votre fumée, en réponse à mes tirades alambiquées de désœuvré. Vous par contre, vous ne trouverez pas la solution à votre problème. Vivre, c'est avoir de quoi aimer et de quoi souffrir. Je ne suis plus en vie depuis bien longtemps. Pourtant, je me tiens devant vous, donc je ne suis pas non plus mort, même si je l'ai été. Avant même de planter votre lame dans mon cœur, je suis déjà un cadavre. Vous pouvez tuer ce qui vit. Mais moi, vous ne le pouvez pas.", dis-je lentement.
Je le traverse entièrement, le laissant se dissiper en fumée. La brume qui m'entoure s'éloigne et reforme son corps juste à côté de moi. J'avance jusqu'à ma lame, me baisse et la prends. Je me tourne vers lui.
- "Sachant cela, serais-je "mieux" vivant ou mort, d'après vous ? Avez vous enfin compris que j'étais une nuance ? Une ombre qui ne sait pas de quel côté de la ligne funeste elle se trouve ? M'occire ne vous apportera rien. Vous êtes un assassin, et non pas un meurtrier. Donc vous ne me tuerez pas pour rien.", murmuré-je, pointant du doigt sa lame. Je reprends : "Je vous crois quand vous dites que vous commandez à votre bête intérieure. Et c'est là que nous sommes différents. J'ai, il y a quelques années, adopté cette petite créature, puis l'ai abandonné au fin fond de mon être. Je pensais qu'elle mourrait de faim, mais elle ne s'est pas laissé faire. Elle rongé mon cœur, et dévoré tout ce qu'il y avait de vivant de moi. Elle à grandi, grandi, et encore grandi. Je n'ai pas réussi à ignorer ses aboiements gutturaux bien longtemps. Assassiner, c'est le seul bâton que j'ai trouvé pour lui envoyer. Malheureusement, ma bête, fidèle et répugnante, me le rapporte sans cesse. Ne me parlez pas de gloire, de cause. Tout ceci n'est qu'une fade illusion, dont le goût amer vous arrachera langue et palais. Vous vous en rendrez compte lorsque les ulcères du mensonges vous feront cracher votre sang."
Je fais tourner ma lame entre mes doigts, l'empoigne et la relâche. Une épopée ? Une cause ? Une légende ? Une vocation ? Fadaises. Balivernes. Je m'approche de lui. Près, très près. Je colle mon masque à son capuchon, qui laisse échapper un peu de fumée.
- "Je m'étais trompé à votre sujet. Nous sommes tous les deux des assassins, mais nos opinions divergent. Vous tuez par choix, et prêchez une autre religion que l'originelle, celle de dame Mort. Je tue par nécessité, parce que c'est la seule chose qui me fait exister et entendre une musique résonner en moi, un vacarme suffisamment fort pour recouvrir les hurlements de mon loup. C'est la seule et unique chose qui compte à mes yeux. Tant pis s'il s'avère que ce monstre est audiophage. Tant que cela l'anesthésie, même temporairement, tant que ma déesse se complait dans le sang que je lui verse, alors je suis satisfait. N'étiez vous pas fait ainsi ? Avez vous délibérément décidé de vous éloigner de la voie de la vie pour emprunter celle du carnage ?"
La suie est pareille à la neige. Le blanc, le noir. Le bien, le mal. La vie, la mort. Ce qui les différence, c'est une simple teinte que les yeux des hommes interprètent. Et moi, comme vois-je ces couleurs ? Oui, c'est "vrai". Si la vérité est encore une valeur qui vaut la peine d'être recherchée.
- "Mes yeux sont comme mon âme et mon corps, crevés... Je suis aveugle dans les ténèbres, me repérant à la seule voix de ma muse, la mort, et aux cris de mon guide, ma bête. Il n'y a pas la lumière d'une cause, dans les ténèbres grandissantes de la fin des temps.", lâché-je à voix haute.
Et toi, Rafaelo dont je ne peux voir le regard... La flamme qui brille dans tes paroles est-elle la même que celle qui m'a brûlé les yeux ? Étincelle t-elle tes pupilles autant que tes mots ?
N'est pas mort ce qui à jamais dort. Et au cours des siècles peut mourir même la mort. Peu importait ces notions diffuses et élastiques aux morales de leurs gardiens. Et lui qui proclamait qu'il ne pouvait le tuer. Soyons réalistes une seconde. L'assassin laissa échapper un rictus moqueur, il y avait quelque chose qui le retenait de le frapper tout de suite. Ses paroles ? Certes, il aimait écouter ses proies, les voir se débattre. Ses convictions ? Un tissu calomniateur et revendicatif. Il s'était arqué autour d'une pseudo-vénération vénérienne de la mort. Cet homme avait sombré et ne présentait qu'un amas de chair perclus de sa soif de sang et de destruction. Tuer pour se sentir vivre, voilà ce qu'il en retenait. Pourtant, derrière ces yeux sans vie il y avait quelque chose qui intriguait l'assassin. Ce n'était pas une question de mantra ou autre. Un sentiment, un instinct. Deux prédateurs, peut-être. Bien qu'il y ait une différence de taille entre les maillons qu'ils incarnaient. Si Rafael n'en était pas le sommet, il pouvait se targuer de l'effleurer. Quant à cet énergumène ... il était tel que l'Auditore avait autrefois été. Un instrument. Mais un instrument ne pouvait éprouver, sentir. Il ne pouvait regretter et concéder. Il exécutait. Dans tous les sens du terme.
"La vie est ce qu'on en fait. Mais toi qui semble si bien me connaître, dis-moi. Dis-moi si cet homme le méritait ? Dis-moi si ce pauvre civil innocent dont la voix s'est éteinte 'méritait' la mort. L'as-tu tué pour rien ?" lui fit-il, caressant le fil de sa lame.
"Alors, je me demande quelle est l'illusion, assassin. Mais tes paroles sont instructives." poursuivit Rafael, échappant un rire de gorge.
Puis, sans crier gare, il frappa. De la paume de la main, au niveau de son diaphragme. Sa lame secrète remonta aussi sec sous son gantelet.
"Le foie. Toi qui est déjà mort, cela ne devrait rien te faire ... et pourtant. " ironisa-t-il, s'emparant du poignet de son interlocuteur.
D'une torsion brève, il le retourna. Il se saisit de son coude, le forçant à se baisser puis le fit avancer et bloqua sa cheville. Son adversaire fut forcé de goûter au sol, glissant sur le toit. Juste une démonstration, rapide et efficace. Il s'avança, baissa sa capuche, se révéla au monde.
"Tu es un instrument rouillé. Un meurtrier. Tu sais ce qu'il y a de plus puissant que de servir une notion ? Une Cause. Une raison pour laquelle tu te bats. Lorsque tu sers une notion, tu finis toujours pas baisser les bras. Mais une Cause ... elle te pousse à survivre, pour eux et pour toi." poursuivit l'assassin, avançant vers son interlocuteur.
"Je déteste les types qui parlent plus que moi. Ainsi que ceux qui pensent se sevrer de ma justice." continua Rafael, faisant avancer la fumée jusqu'à l'assassin à terre d'un geste de la main.
Les volutes s'emparèrent du corps de l'homme, le soulevèrent et le continrent. Les volutes diaphanes roulèrent sur sa tenue, glissèrent sur son masque. Pareil à des centaines de tentacules, ils s'enroulèrent autour du meurtrier, s'agrippèrent à son être et le portèrent à hauteur de l'assassin. Rafael tourna la tête sur le côté fronçant les sourcils, raffermissant sa prise. Lentement, il avança sa main vers le masque. Il voulait voir, savoir. Ses doigts se posèrent sur l'objet, l'enserrèrent et le retirèrent.
Il me tient à sa merci. Emprisonné par une véritable cage de fumée, je peux à peine remuer le petit doigt. Un oiseau pris dans une volière, dont les plumes tombent et dont les ailes peuvent être tranchées à tout moment. Un moucheron capturé par une toile, et qui sent l'araignée approcher à grands pas. Je ne ressens pas de peur particulière. Je reste calme, froid, et incisif comme une lame prête à prendre une vie. Il se rapproche de moi, la capuche baissée de façon à ce que je puisse discerner son visage : c'est le comble de la honte, pour un assassin. Notre identité doit toujours demeurer secrète, mystérieuse, et notre identité anonyme. Nous sommes des ombres, des spectres, des fantômes. Pas des hommes. S'il a fait ça... C'est qu'il va me tuer. Séparer mon âme de mon corps. Je reste impavide. C'est donc ça que l'on ressent, quand notre âme se prépare à quitter ce monde ? C'est inintéressant. Aucune excitation. Aucun charme. Aucune douce odeur qui rentre dans mes narines et endort ma bête, comme lorsque je tue. Je la connais à présent, la réponse, Rafaelo. Je ne veux pas mourir. Je veux vivre, et continuer à tuer.
Il pose sa main sur mon masque. Je comprends ce qu'il essaie de faire. C'est pire que de me prendre la vie, la mort, ou quelque autre force qui anime mon corps. Il agrippe mon visage, mon masque de mort. Non. Ne le fais pas. C'est ça, qui me tient en vie. C'est ça qui fait de moi le symbole de la mort. S'il me le prend, là, je serai mort, à l'intérieur. Cela signifiera l'échec de ma mission. Dame Mort me crachera à ma figure de mortel, elle m'abandonnera. Je ne serai plus son protégé, son disciple. Là, tu as raison, Rafaelo, je ne serai plus qu'un meurtrier, avec un nom apposé sur ma face. Un homme que l'on peut enfermer, et reconnaître. Immuable. Inconnu. Voila comment il faut être vu. Comme un messager de la mort. Une harpie funèbre qui vole au dessus des pâturages de brebis égarées.
Sa main accroche fermement mon "crâne".
- "Vous êtes le bras de la justice. Je suis le bras d'une notion. Votre justice est mortelle, et la mienne n'a pas de sens pour les humains. La plus grande illusion, mon frère, c'est la vie. Le sentiment d'exister, de servir à quelque chose ou quelqu'un... Tout ceci n'est que... Fumée...", commencé-je. Il commence à tirer sur mon masque. Je reprends : "Si vous enlevez mon visage, je ne serai plus qu'un amas de chair. Un agglomérat de morceaux de corps que l'on aurait animé, sans aucune âme vivante à l'intérieur. Est-ce vraiment ce que vous voulez ?"
C'est ce qu'il veut.
Il arrache mon masque de mon visage et le jette au sol. Je ne suis plus qu'un homme. Autant dire que je suis mort. Adieu, ma mie... Adieu, mon amante des soirs chauds d'été, et des nuits froides d'hiver. Je me débats, comme un homme qui tente de s'extirper de l'eau en pleine noyade. J'essaye de remonter à la surface. De respirer. La fumée se dégage. Je suis libéré. Délivré par la mort de ma morne existence. Je m'écroule par terre, titubant, rampant comme un insecte, une vermine. J'ai mal. Mal à mon corps. Tu n'as rien compris Rafaelo. Ma souffrance n'est que physique, pas mentale. Je ne ressens pas la douleur que seul un être qui aime peut éprouver...
Il peut désormais faire ce qu'il veut de moi. Mon vrai visage, celui que j'ai oublié il y a longtemps, celui avec lequel je n'ose croiser un miroir, lui fait face.
- "Vous voyez un cadavre, désormais. Un macchabée. Un corps sans âme. Un simple vagabond, à la recherche d'un destin. Que vous inspire ce visage si... Banal ? De la colère ? Une soif de sang irraisonnée ? La vérité, Il Assassino, c'est que les ténèbres ont rendu aveugles ces yeux que vous fixez... Je ne suis qu'une enveloppe, qu'une coquille vide, sans ce masque que vous avez arraché... Un morceau perdu dans les ombres... Sans qu'aucune lumière ne puisse m'atteindre...", conclué-je...
Les fous s'accrochent à des symboles. À des grigris qui renforcent leurs convictions. Rafael ne faisait pas exception à la règle, bien qu'il soit attaché à un symbole plus qu'à un objet. Lorsqu'on lui avait ôté sa capuche, l'avait identifié, c'était comme si on lui avait volé son âme à l'époque. Alors infliger cela à cet homme ... délectable. Ce n'était qu'un meurtrier après tout. Il regarda dans les pupilles vides de l'objet, sourit. Puis le jeta au loin, roulant sur le toit. Déçu. Oui et non. Ce n'était qu'un simple homme, aux yeux habités par une lueur incandescente qui n'était pas sans rappeler quelque chose à l'assassin. Triste, impavide. Pourtant si tourmenté. Ironique.
"Ouvre les yeux, meurtrier. Regarde ton destin en face, puisqu'il ne peut en être autrement." fit Rafael, se rapprochant de lui.
La fumée avait relâché son emprise, et il le dominait de toute sa stature. Il s'accroupit, ricanant de le voir ramper. Il montrait son visage de plus en plus souvent ces temps-ci. Il fallait dire qu'il commençait à se faire connaître. Drum, South Blue. L'assassin n'était qu'un ersatz de ce qu'il était à présent. Certes, meurtres et justice étaient toujours son apanage mais il était ... au delà. Temps de cesser de représenter le symbole, temps de le devenir. Alors il se baissait au niveau de ce meurtrier rampant, alors il le regardait, amusé. Comme si cela ne suffisait pas de le tuer, il fallait lui faire réaliser ses erreurs, son péché.
"Un corps sans âme ? Ce que je vois, c'est une lamentable erreur. Quelqu'un qui ne verse le sang que par lubie, non pas par conviction. L'incarnation la plus délétère de la mort. Impartiale car injuste. Pourquoi, donc, se réserver un sort aussi funeste ? Car cette chose que tu nourris de sang et de meurtre. Il y a d'autres façons de l'abreuver." poursuivit-il, se grattant le menton.
Il semblait perdu, hagard. Une erreur de parcours ? Pas vraiment, Rafael se doutait bien que cet homme était un meurtrier dans l'âme. Pourtant ... cela ne ressemblait pas à un numéro. Ce n'était pas une ruse, il était réellement aveugle face aux fils du destin qui s'emmêlaient en face de lui. Il était de ceux qui plongeaient tête baissée dans ce mélimélo inextricable. Alors que Rafael se targuait de pouvoir en démêler les liens d'un simple coup de dague. Deux visions opposées, mais pas incompatibles. Quelque chose retenait son bras, c'était amusant. Cette coquille vide et creuse pourrait-elle lui être utile ? Assurément. Oserait-il l'employer puis la jeter par la suite ? Probablement. Il lui avait ôté son masque, son âme. Il pourrait bien le nourrir avec autre chose. Quoi, c'était un meurtrier ? Et alors, lui aussi. Il fallait être fou pour penser que tous les hommes qu'il avait tué sur le champ de bataille étaient tous coupables. Coupable d'avoir choisi le mauvais camp, certes. Ce n'était pas la même chose que ce pauvre civil que son interlocuteur avait tué. Mais ses ennemis ne le verraient pas venir par là. Après tout, qui ne tentait rien ... n'avait rien. Il se saisit de son briquet, l'actionna.
"La voilà la lumière, assassin." lui fit-il, avant de la souffler d'une vague de fumée.
"Il n'y a pas de fumée sans feu. Il n'y a pas d'assassin sans cause. Ta notion est une cause, ma justice est une cause. Or, la justice n'est qu'une façon dérobée de vouer les âmes damnées au courroux de la mort, non ? La différence entre nous, c'est que je sais choisir mes victimes. Des défis à relever, car tout cela passe par la traque, le plaisir de la chasse. Tu sais cela, oui. Mais c'est ce combat qui te remplit l'âme, qui nourrit ton bras et ton ... monstre." poursuivit-il, faisant revenir le masque vers lui grâce à sa fumée.
"Imagine donc vouer ton bras à la protection des innocents, et le destiner aux forts qui abusent d'eux. Ces hommes puissants et malavisés qui constituent, eux, une véritable insulte à notre crédo, à mon crédo. Des défis, véritables. Alors que tes actes minables jusqu'à présent ... ne te valent que ma justice. Je ne te parle pas de rachat, je te parle d'un véritable combat. D'une véritable traque, d'une véritable justice. Quelque chose qui te fait lever la tête chaque jour que le monde fait. Quelque chose qui fait de la mort ta compagne, ton amante. Chaque combat n'est qu'une valse macabre dont seuls nous, les assassins, avons le secret. Regarde moi, je ne suis plus un homme. Je me suis affranchi de cela." continua Rafael, avant de se relever, masque en main.
La fumée l'entoura, remonta jusqu'à lui. Puis, d'un geste, il la fit disparaître. Il avait le masque de son interlocuteur en main, et ricanait doucement. Il lui lança.
"Il faut devenir un symbole. Et si je suis clément, ton masque en deviendra un, autant que ma tenue fait frémir mes cibles. Ton visage n'a aucune importance, ce n'est pas ainsi que l'on te reconnaîtra. Réfléchis, pourquoi penses-tu avoir vu mon visage ce soir ? Parce que tu vas mourir ? Peut-être. Mais aussi, parce qu'il n'a plus d'importance. Les rituels changent, les moeurs aussi. Nous évoluons avec le monde, et c'est au tyrans de prendre juste mesure de notre existence. Il fut un temps où nous nous cachions. Désires-tu encore vivre ainsi ?" termina Rafael, auréolé par la lumière de la Lune.
Bien entendu, les effets fumigènes et de lumière suivaient. On ne pouvait pas se permettre de posséder autant d'égo sans y mettre les moyens. D'autant plus qu'Ombre avait bien participé à lui remettre les batteries pleines lors de leur rencontre à Alabasta.
- "Je ne me cache pas.", dis-je lentement. Je me relève, profitant que ses fils de brume ne m'enserrent plus. Je reprends, en lui tendant une main aussi désespérée que glaciale, pointant vers mon visage dérobé : "Rendez le moi. Rendez la moi, la simili-existence qui anime mon corps. Vous avez beau laisser s'échapper de votre gueule les plus philosophiques des paroles, votre haleine chargée de mots fétides ne fait que se heurter à l'urne vide que je suis. Rendez le moi."
La seule chose qu'il me rend est un coup de poing dans les cotes, placé pour abîmer mon bois. Car sans ce masque, sans ce visage de renaissance, je ne suis qu'un pantin désarticulé. Une marionnette dont les fils ont étés tranchés, et qui retombe inanimée au sol.
- "Tu n'as rien compris, assassin.", me lance t-il, aussi froidement qu'une dague peut l'être au moment de faire verser le sang.
- "Vous, vous n'avez rien compris. Notre existence doit être reconnue. Notre existence en tant qu'assassin. En montrant votre visage, vous compromettez, corrompez, fourvoyez cette existence. Au moment ou votre visage d'être humain est aperçu, c'est votre crédibilité, votre essence, même, qui s'envole comme un oiseau que l'on aurait libéré d'une cage. Un assassin n'est pas un homme, ce n'est qu'une lame. Un assassin n'applique pas de sentence, car la mort n'en est pas une. Elle survient, au détour des ruelles du destin. La mort ne se provoque pas, elle arrive sans prévenir. Ce n'est pas une tempête que l'on pourrait prédire par une augure, ou en observant de noirs nuages se former. La mort frappe, invisible, anonyme, sans raison, et surtout injustement. Ne venez pas me parler de justice quand son absence définit justement ce qu'est la mort : une fatalité. Et la preuve est qu'il n'y a aucun objet de la vie dont on ne puisse recoller les morceaux, si ce n'est ce qui fait que la vie est ce qu'elle est : la mort. La vérité, même si vous la voilez à travers des paroles brumeuse, vous crache aux yeux. Vous n'assumez pas ce que vous êtes. Vous vous cherchez des excuses pour justifier vos actes. Parce que votre conscience vous brûle, pareille à une braise dans votre coeur. Je ne suis pas comme vous. J'ai troqué sur le marché de la mort cette voix intime contre une autre.", lui dis-je, lui jetant un regard aussi noir que le ciel. Je continue : "Vous me demandiez si cet homme méritait de mourir. Je vais vous répondre que non. Personne ne mérite de mourir, pas même ceux sur lesquels vous pensez avoir droit de vie ou de mort. La mort se contente de survenir, au fur et à mesure que notre mère lance les dés et tire les cartes."
Il ne dit mot. Il est de ces silences qui veulent tout et rien dire. Son regard est amusé, peut-être par le fait qu'il pourrait me planter sa lame dans le coeur quand il le désire. Peut-être par autre chose. Peut-être qu'il attend quelque chose de moi. L'autre enfant s'est approché de moi et de ma balançoire. Il vient de me proposer un jeu auquel je ne peux que perdre mes billes. Mais puisqu'il est venu rompre la solitude et me proposer son jeu, et bien jouons. Je mise ma cause, et tu mises la tienne. Marché conclu ? Allons-y, mon mignon. Jouons ensemble dans la grande cour de récréation qu'est ce monde terne et sans rêves. Débattons en vain, insectes méprisables et si fragiles. Jouons au jeu de la mort.
- "Expliquez moi. Qu'est-ce qui nous différencie, puisque votre justice et ma notion sont toutes deux des causes ? Qu'est-ce qui vous fait croire que votre combat est plus véritable que cette force qui dépasse l'entendement qu'est la mort, et que je sers ? Pourquoi devrais-je me plier à votre justice ? Le plaisir du meurtre, de la traque, de la chasse reste le même. Tuer un homme ou bien autre, cela ne change rien. Seulement, vous, vous servez une cause qui ne concerne que les mortels, tandis que moi, je suis un chien lâché dans une battue par des maîtres immortels et qui s'affranchissent des problèmes des hommes. En quoi votre cause est-elle donc "meilleure" que la mienne ? Parce que je suis un être fait de chair et de sang ? Peut-être que je le suis, mais seulement en apparence.", dis-je, perçant le silence de la nuit.
Tel un arc, je t'ai lancé une salve de questions. Maintenant que vas-tu faire ? Les esquiver, ou y répondre ?
- "Il Assassino... Vous formez de belles phrases. Mais vos mots ne m'atteignent qu'en surface. Expliquez moi ce qu'une cause comme la votre peut m'apporter de plus. Dites moi pourquoi je devrais aller dans la lumière et non pas rester dans ces ténèbres où je me sens si bien. Cessez ces tirades sans sens aucun qui n'embrumeraient que l'esprit des imbéciles..."
Répondras-tu "Sinon je te tue." ? Allons, allons, mon petit camarade, ce serait tricher. Et tricher n'est pas jouer. Joue donc le jeu avec moi, jusqu'au bout. Prenons nous la main, si cela doit être la dernière fois, et dansons. Accorde la moi, cette valse macabre dont nous seuls avons le secret...
L'assassin ricana. C'en était insultant. Il toisait son homologue, plein de morgue et de suffisance. Il en oubliait presque les épreuves par lesquelles il était passé. Les moments d'errance et d'égarement. Tous ces évènements qui avaient forgé sa lame et l'avaient rendue plus tranchante que nulle autre. Mais il lui fallait avancer. Encore et toujours. Quel était le plaisir s'il ne fallait pas s'écorcher au passage ? Mais il se retint de ne pas l'empaler sur l'instant. Ce ton suffisant que l'autre lui renvoyait, miroir de sa propre insolence. La Cause. Le crédo. Tout ça, c'était un écran de fumée. Presque. Cela le catalysait, le menait sur un sentier où ses dons servaient l'humanité ou du moins, s'en targuaient. Alors si se contenta de rire, doucement. Le tuer, ça le démangeait ... mais il était fou. Autant que lui. Alors il pourrait le canaliser, le forger. Trouver un métal prompt à être façonné, c'était rare. Surtout depuis la trahison de ses frères. Un meurtrier ? Et alors. Une vie de rédemption ... Une vie au service de la cause. Combien étaient-ils, ceux qui n'avaient jamais failli ? On pouvait se tromper de voie : il suffisait juste de se racheter avant de devoir le payer.
"La tenue, voilà le symbole. Voilà pourquoi mon visage importe peu : nous sommes Légion." continua-t-il à ricaner, plantant son regard océan dans les yeux vitreux de son interlocuteur.
Oui, il avait besoin de répondre à cette pique avant de continuer ce triste jeu. Un jeu qui lui plaisait, cela étant. Un jeu qu'il aimait jouer, et qu'il ne disputait que trop souvent aux portes de la mort de ses victimes. Et si la mort était de mise, en cette funeste soirée, peut-être ne serait-elle pas au bout du chemin. Pour une fois.
"Tout d'abord parce que ma Cause ne te fait pas renoncer à la tienne. Parce que ma Cause te donnera un nom et une lumière. Regarde." fit-il en montrant de sa main les murs de High Town, souriant doucement.
"Regarde cette marmaille grouillante. Dis moi, quelle est la différence entre un civil et un Roi ? Dis moi, quel est l'utilité de tuer un homme qui ne fait que protéger sa pauvre famille de son âme et de son corps ? La mort n'en voit pas, tu ne la nourris pas comme elle le souhaite. Un homme parmi tant d'autres, hein ?" poursuivit Rafael, revenant vers le meurtrier.
"Alors qu'un Roi ... un peuple. Des tyrans, des meurtriers." continua-t-il, remettant sa capuche.
"Sous ce tissu, il y a plus que de la chair. Sous cette capuche, il y a une idée. Les idées sont à l'épreuve des balles. Et toi, carcasse indolente, qu'es-tu ? Mon idée, ce que j'incarne. Elle, elle fait frémir ces hommes qui se pensent à l'abri de la mort, à l'abri de leur châtiment. Ceux qui se murent derrière des défis censés impossibles pour des assassins tels que moi. Et peut-être toi. Tuer un homme dans la rue. Ou tuer un homme engoncé dans ses murailles d'acier et de chair. Dis-moi donc, quel châtiment réserves-tu à ces impudents qui se pensent être à l'abri de la justice, de la mort ? Aucun ? Restes-tu dans l'ombre, destinant ton épée au pauvre homme qui croisera ta route, sans raison aucune ? Pourquoi ne pas te vouer à un objectif, à une idée ? Car l'idée peut épouser la notion. Mais la notion ne peut que pervertir l'idée, vois-tu." trancha Rafael, faisant un nouveau mouvement vers les murailles d'High Town.
"Mais je ne te montrerais pas tout par la force des mots. Il y a des choses que l'on ne peut que voir. La mort est une compagne retorse, et il y a que peu de moyens de la contenter." conclut-il, se retournant vers le bord du toit.
"Suis-moi, et tu recouvreras la vue. Suis-moi, et tu sera de nouveau entier. Sans lumière, il n'y a pas d'ombres, et pour créer tes propres ombres, tu auras besoin de trouver la lumière." lui fit-il, jaugeant les ténèbres du regard.
Trouver de quoi lui montrer, lui faire comprendre, ne serait pas ardu ici-bas. Goa, une terre de péché et d'infamie. Il suffisait simplement d'arpenter les rues, se fier aux voix et aux cris. Et alors, frapper. Encore et toujours. Tuer, faire frémir. Entendre ce sang lui battre les tympans. Artères, veines. Autant de choix et si peu de temps. Hm. Parler avec cet individu faisait remonter de bien mauvaises choses en lui. Qu'importait après tout ? Il était un assassin, un tueur froid et implacable. Pire que ça, il voulait changer le monde et détruire tout ce qui s'opposerait à lui. À sa cause. Le sort en était jeté. L'assassin ferma les yeux puis prit un pas d'appui avant de se lancer dans le vide. Il atterrit sans mal sur le toit d'en face, réalisant un bond impressionnant. Il n'allait pas laisser un assassin le suivre sans lui en remontrer un peu. D'autant plus qu'en modulant la densité de son propre corps, il pouvait faire des choses incroyables. Tricher ? Non. Il n'était plus qu'une arme au service d'une Cause, au service de la Révolution. Rapidement, il trouva ce qu'il était venu chercher. Des cris, des pleurs. Toujours les mêmes qui se faisaient agresser, à croire. Martyriser. Le sexe faible ? Il n'y croyait pas, seulement une question de choix. Il fallait savoir se rebeller un moment donné, il fallait se lever et se battre. Les deux hommes s'arrêtèrent en haut d'une bâtisse, sans que Rafael n'ait quitté un seul instant des yeux le meurtrier. Lui donner une chance. Une femme, cinq hommes. Des gardes, bien entendu. Le même schéma, encore et encore. D'ici, il ne pouvait voir si elle portait la marque d'une esclave. Mais l'un d'eux commençait à défaire sa ceinture, alors que les autres s'occupaient soit de la maintenir, soit de vérifier que personne ne passait par là.
"Une Cause. Celle de la justice et du peuple. Que penses-tu que ta déesse te montre ici ? La laisser finir ainsi, car ce n'est pas ton problème. Ou alors, lui offrir un ballet digne de son espérance en défiant le cours établi des choses. Devenir le grain de sable qui fait sortir la roue de la fatalité hors de son ornière. Voilà ce que t'offre la Cause. Et toi, que choisis-tu de faire ?" lui proposa Rafael.
Le pantalon du soldat était à ses pieds et sa main fourrageait les jupons de la pauvre femme. Le meurtrier n'avait plus que quelques secondes pour faire son choix. Non pas que Rafael lui forçât la main, mais cela y ressemblait fort. Qu'est ce qu'il avait à y gagner, après tout ? La réponse était évidente. Rien. Seulement, en frappant dans la fourmilière, cela ne faisait que déclencher une cascade fortuite d’événements. Et c'était grisant, en un sens. L'assassin sentait bien qu'il était inutile de lui confier la gloire de la Cause, seulement lui en présenter les aspects les plus alléchants pour lui, et l'utiliser. Uther Dol ne penserait jamais que l'Auditore irait jusqu'à recruter ce genre de types après tout. Tout comme il commençait à se faire une petite idée sur ce qu'il allait advenir de Goa. Il avait passé beaucoup de temps à réfléchir dans la cellule du Léviathan, et il pressentait d'autant plus la raison pour laquelle Vendetta ne s'était pas mêlé des dernières affaires. Il fallait être sourd pour ne pas entendre le grondement du peuple.
Je le rejoins sur le toit, de quelques sauts et prises d'escalade. Ses capacités dépassent l'entendement. Aucun homme normal n'aurait pu réussir cette traversée d'un saut. Es-tu réellement ce que tu prétends être, Rafaelo ? Je commence à y songer de plus en plus. Les vers du doute font leur chemin dans la pomme qu'est ma tête, rongeant à chaque seconde qui passe un peu plus de ma lucidité. Folie, folie, folie... Ô Folie ! Inonde mon corps, maintenant qu'il a été évidé. Mes entrailles se répandent dans l'abattoir. Mon sang coule à flots. La lumière de cet homme ne rend pas la vue. Elle brûle jusqu'aux derniers recoins de peau d'esprit.
Et là, j'aperçois ce qui l'intéresse tant, ce qui le fait malicieusement sourire. Voila la suite du jeu ? Un test ? Voila donc ce que tu avais à me proposer. J'ai passé l'âge des bancs de l'école de la vie, Rafaelo. Je n'ai plus envie d'être mis à l'épreuve. On m'a déjà enlevé tout ce que j'avais pu aimer. J'ai déjà fait tous les sacrifices qu'un mortel peut faire. J'ai brisé les seules chaines qui me rattachaient à ce monde ci. Dieu n'a plus rien à me demander.
- "Je décline votre offre.", lui lancé-je en m'approchant du bord du toit. Je tourne la tête vers lui, et continue : "Ce que je vais faire, ne le voyez pas comme une quelconque réponse à votre "invitation". Vous me donnez juste une bonne occasion d'étancher ma soif, sa faim, et son avidité."
Je mets mon masque et plonge sur l'homme qui s'apprête à faire sa besogne de la plus répugnante des manières. Tu devrais avoir honte, mon cher ami, de faire ce que tu fais, même si cela ne me fait personnellement ni chaud ni froid. Répondre à ces besoins si primaires, comme un animal... Voila qui est bien pitoyable. Quoi qu'à y réfléchir, je souffre du même mal. Doute, ô Doute. Va t-en ! Éloigne toi de moi ! Laisse moi faire mon funeste travail comme un bon garçon le ferait ! Fuis, fuis mon cerveau !
Et surtout, dame Mort... Ayez pitié de ma trahison. Fermez les yeux, et... Ne m'en voulez pas.
Ma lame lui perfore la carotide. Je la retire aussitôt, et la plante dans le coeur d'un autre des hommes.
Je viens de prendre égoïstement deux âmes. Quand, devant les portes du purgatoire, ils raconteront à mes maîtres ce qui s'est passé... Non ! Je dois me ressaisir. Les enfers sont une invention des hommes, pour calmer leurs angoisses. Pardon, dame Mort, pardon...
J'occis le troisième homme en l'égorgeant. Son sang est projeté sur mon visage. Je vois les gouttes chaudes du fluide vital entrer en contact avec ma peau de fer. J'ai mon symbole solidement vissé sur le crâne. Je ne suis pas un assassin, à l'heure actuelle, mais un meurtrier. A moins que ce ne soit l'inverse... Je ne sais plus...
J'ai failli. Les larmes se mêlent au sang. Pardonnez moi. J'accepterai tout châtiment, mais par pitié ne m'abandonnez pas. Je tourne la tête vers Rafaelo. Il sourit à pleines dents. Il jubile d'extase.
Le quatrième homme tente de m'attaquer, profitant que je regarde ailleurs. Je l'attrape à la gorge de ma main gauche et lui fait une clé pour le déséquilibrer. Il s'empale sur mon arme. Je le pousse au sol pour extraire le morceau de métal de son abdomen.
Le dernier s'enfuit. Je jette mon épée courte en l'air, l'attrape par la pointe, et lui lance dans le dos. Elle se plante entre ses deux omoplates. Il s'écroule, et meurt dans un râle.
Je sens le regard de Rafaelo planer au dessus de moi. Il est aux anges, souriant comme un démon.
Je sens le regard de ma mie planer au dessus de moi, et me foudroyer. J'ai pêché. Pitié, soyez miséricordieuse. Pitié... Je vais me racheter, je le promets, je le jure sur votre nom et votre pouvoir... Je vais me racheter...
- "Vous les avez tous tués ?", sanglote une voix féminine. "Mais... Merci, qui que vous soyez !", dit la jeune femme que je viens de "sauver", alors que me tourne vers elle. Elle reprend, toujours sous le choc, en tentant d'essuyer ses larmes, tandis que je pars récupérer mon arme, tremblotant : "Je n'oublierai jamais qui vous êtes et ce que vous avez fait !"
Je m'approche d'elle... Je colle ma lame sur sa gorge. Voilà, mère... Cette offrande sur votre autel est misérable, mais considérez la comme une caution... Je paierai le reste de mon salut bientôt, je le promets. Ayez pitié... Cette pauvre créature se demande sûrement pourquoi je fais ça. Et moi aussi. Il n'y a pas de raison.
Le sang commence à couler le long de son cou. Mon bras s'arrête alors de bouger, immobilisé par des rets de brume. Je sens une dague m'effleurer le dos, tandis que la jeune femme s'enfuit à toutes jambes.
- "Tu l'a suffisamment nourri. Le festin est terminé.", murmure derrière moi Il Assassino.
Je lâche ma lame au sol, terrassé par la colère, la honte, le regret, et surtout la peur. Des larmes sèches coulent le long de mes joues d'acier. Il y a bien longtemps que je n'avais plus ressenti cela. J'ai failli, dame Mort. Dans quelques instants, cet homme va m'envoyer vers vos bras. Pitié. Étreignez moi dans une dernière embrassade, ne m'étranglez pas.
Je devrais pourtant savoir que le mot "miséricorde" vous est inconnu. Quel être pathétique je suis. Je vous ai désobéi. Vous feindrez de m'aimer, et m'égorgerez. Je ne suis plus digne. J'ai trahi. Et j'ai peur, peur d'assumer la sanction. Peur de votre jugement, aussi froid que votre coeur. Je pose les deux genoux au sol. J'arrache mon masque et, tremblant, le laisse choir sur les cadavres de mes victimes. J'ai échoué.
Je ne veux pas mourir.
Il frappa, tua. La mort dansait avec lui, certes. Mais l'assassin ne perdait pas une miette du spectacle, guettant les moindres réactions de ce meurtrier masqué. Fou qu'il était. S'il ne répondait pas à son invitation, à quoi répondait-il sinon ? Rafael essayait de lui parler sur la même corde, faire vibrer cette douce folie qui l'animait. Mais il n'était pas apte à se plonger aussi loin dans la psyché de cet individu. Oh, il avait ses propres travers, mais il ne rendait pas de comptes à une pseudo déesse aussi sordide. Tout ce qu'il faisait, il le faisait pour la cause. Et un peu pour lui, certes. Mais il n'était pas aussi fou, il ne faisait que répandre la justice et frappait ceux qui le méritaient. Bien que le goût du sang soit ... Assez. Assez, Rafael. Tu savais ce que tu valais, tu savais contre quoi tu te battais, inutile de creuser plus loin. Pourtant, ce besoin vital, tu le comprenais toi aussi, hein ? C'était pour ça que tu te condamnais aux ténèbres, restait dans l'ombre. Autrefois, car à présent tu avais d'autres projets pour le monde. Du moins, c'était à quoi tu pensais en le voyant descendre, lever son arme. Tuer, encore et encore. Et puis hésiter. Oh. Intéressant. L'assassin ne le laissera pourtant pas aller plus loin. Il atterrit en douceur, alors que le meurtrier s'approchait de la femme. Posa sa lame sur la jugulaire. Merde. Dans une gerbe de fumée, Rafael se recomposa derrière lui, s'emparant de son coude. Sa lame chatouille ses côtes. La femme s'enfuit. La vie d'un innocent dans la balance, encore une fois ?
L'assassin le retourna, voulant lui faire face pour la sentence. La lame du meurtrier chut à ses pieds. Un sourire malsain se dessina sur les traits de Rafael, alors qu'il sentait sa proie frémir sous sa poigne. Alors qu'il s'apprêtait à appliquer la sentence, pour la troisième fois ce soir, son bras était de nouveau retenu. Oh, une leçon à en tirer, n'est-ce pas ? Au lieu de ça, il se contenta de le pousser contre le mur, la lame suspendue à un millimètre de son oeil de verre. Un léger sourire commença à se dessiner sur les traits de Rafael, voilà qui illustrait parfaitement ses propos, après tout. Cet homme venait de renoncer, il avait failli outrepasser les limites que s'imposait l'Auditore. Mais, il se résignait, du moins cela y ressemblait. Il ... il ne le voyait pas, mais il percevait cette voix. Ces sensations. Le mantra, encore une fois ? Il ne comprenait décidément pas tout à cette capacité, c'était comme s'il ressentait les intentions, et par là sa ... peur ? Oui, cela y ressemblait. Oh cruelle ironie. C'était donc cela que percevaient ses victimes ? Non, lui était plus fort, plus solide. Ce n'était pas de Rafael qu'il avait peur, serait-ce de cette funeste déesse à qui il vouait tant d'admiration ? Autant enfoncer le clou. L'assassin le lâcha, rétracta sa lame.
"Tu n'es qu'un homme, finalement. Un homme qui frémit devant sa propre notion." lui lâcha-t-il, reculant d'un pas.
Le sang des cadavres s'épanchait lentement autour d'eux, ce ne serait plus qu'un question de secondes avant que l'on ne vienne les déranger. Le tuer, il en avait envie, ce n'était qu'un meurtrier. Ce ne serait pas à cause d'un gars comme lui qu'il se remettrait en question, pas plus qu'entre les mains d'Alheïri à vrai dire. Mais, il sentait qu'il pouvait peut-être en faire quelque chose. Briser la volonté d'un homme pour en faire un allié, étaient-ce là ses méthodes ? Voyons, ce n'était qu'un meurtrier. Qui s'en souciait réellement ... D'autant plus qu'il était assassin, il pouvait presque le comprendre.
"Je suis déçu. Voilà donc que tu cesses de te battre, tu te résignes et abandonne. Voilà une chose que nous ne partagerons jamais. Tristesse, tu aurais pu faire tellement mieux. La vois-tu, cette différence qui nous anime ? Cette notion, qui flanche devant ma Cause ?" continua Rafael, guettant les réactions de son interlocuteur.
C'était un jeu mesquin et cruel. Mais pourquoi s'encombrer de tels sentiments lorsqu'on faisait face à bien pire ? Le Gouvernement ne se privait pas, alors lui non plus. Encore moins sur un meurtrier. Oui, voilà. Ce n'était pas une excuse, c'était un fait. Combattre le mal par le mal, devenir le moindre mal d'une nation décadente. Et franchement, comment appeler autrement ce monde ? Ou même ce Royaume putride, Goa. Lui aussi passerait par le feu et le sang, et ce jour arriverait certainement plus tôt qu'il ne le pensait.
Comme un enfant devant son père plus qu'ivre. Un père qui pourrait, dans un accès de colère, lever la main sur un gamin et le couvrir de bleu, de noir et de rouge. Les yeux baissés, l'échine courbée, et une soumission des plus totales. Une tristesse, aussi. Pourquoi, pourquoi ferais-tu cela, papa ? Je croyais que tu étais mon camarade de jeu, mon confident, mon rival. Pourquoi, enlevant ton masque d'innocence, as-tu arrêté la partie ? Tu es mauvais perdant, je suis mauvais perdant. Mais tu gagnes au jeu de la vie, et je perds au jeu de la mort.
- "Votre cause...", commencé-je lentement, en relevant la tête. Je continue : "Comme une flamme à l'horizon des ténèbres. Une simple justification, une simple excuse. Vous avancez vers elle, aveuglé par cette seule lueur que vous pouvez discerner. Mais est-ce que vous vous rendez compte que vos pieds baignent dans le sang que vous faites couler, vous qui êtes si occupé à fixer cette lumière de crainte qu'elle disparaisse ? Votre cause, ma notion... Au final, le résultat est le même. Vous pensez que la fin justifie les moyens. Je pense que la faim justifie les moyens. Deux pensées différentes, je le vois bien, mais la même lame dans la main. L'acier, c'est l'acier. Vous tuez ce qui est contre votre idéologie. Cela apaise t-il vos souffrances, vos remords ? Oui, car ce n'est qu'une excuse pathétique. L'excuse pathétique d'un homme qui se saoule pour oublier sa misère. Et votre cause, que vous dicte t-elle de faire ? Pourquoi ne pas m'avoir tué directement ? Selon votre justice, je suis un meurtrier. Selon vos mots, je suis un meurtrier. Selon mes actes, je suis un meurtrier. Trois bonnes raison que vous aviez pour m'occire. Et pourtant, vous ne le faites toujours pas alors que vous le pourriez. De la compassion ? De la pitié ? Je n'y crois pas. Votre cause ne peut pas flancher devant de pareilles illusion."
Je marque une pause. Rafaelo fait sortir sa lame, comme pour me montrer que toute provocation est inutile, et qu'il peut me tuer quand ça lui chante. Donc c'est qu'il ne veut pas me voir mort.
- "J'ai trahi ma notion, ma mère, ma muse, en laissant cette femme m'échapper. La mort est ce que je mérite, c'est le châtiment que les dieux me réservent. Pourtant, ni vous ni moi semblons d'accord. Je ne veux pas mourir, vous ne voulez pas me tuer. Alors répondez, qu'est-ce que vous voulez de moi ? Attendre de me briser ? Me tenter par mes interdits et mes péchés, me briser avant de me prendre la seule chose qu'il me reste ? Que voulez vous de moi ?!"
[hrp : désolé, internet en rade et j'peux me co' qu'au taff ... du coup, en retard ! et puis j'étais en pseudo vacances, aussi ^^']
"Ma cause n'est pas une flamme, ma cause est un canalisateur." répliqua-t-il "Ce sang souille mes mains, je n'oublie jamais un visage. Encore moins celui de mes cibles."
Il était difficile de faire flancher cet homme. Rafael s'était trompé en pensant pouvoir le chambouler et l'intimider de sa lame. C'était stupide et puéril. D'autant plus que cela ne menait nulle part à présent. Voulait-il en faire un allié ? Voulait-il surprendre Uther avec de telles recrues ? Il n'en savait plus grand chose. Cet énergumène était un assassin de la pire espèce. Et il s'y connaissait en pourriture. Il ne tuait que pour sa petite lubie. Comment le retourner en ce cas ? Comment l'utiliser, car il s'agissait bien de cela, à ses fins ?
"D'autant plus que tes paroles sont réductrices. Je ne tue pas ce qui se dresse en travers de mon idéologie. J'élimine ceux qui pensent se soustraire à la justice. Ceux dont la mort sera utile. À quoi bon tuer tout ce qui passe, sinon finir comme un vulgaire criminel ? Chose que tu es assurément. Ne crois-tu pas qu'il y a meilleur dessein pour employer ces talents qui semblent être les tiens ?" poursuivit-il, tentant d'aiguiller la chose sur une autre pente.
Sembler. Pas vraiment. Il avait vu que cet homme était doué, plus que la plupart des recrues qu'il avait pu voir dans sa courte vie. Tout meurtrier qu'il était, Rafael lui concédait au moins ça. D'autant plus qu'il semblait plus fanatique de sa déesse qu'autre chose. Le danger avec les fanatiques, c'était leur obstination. Et si cela continuait, il ne tarderait pas à régler cette histoire dans le sang, respecter sa justice. Pour une fois.
"Ce qui retiens mon bras, c'est cela justement. Ta mort n'engrangerait rien sinon la survie de tes prochaines victimes. Alors que ta vie ... tu es assurément l'un des hommes les plus doués qu'il m'ait été donné de voir. Employer tes talents à mauvais escient, cela fait de toi ma cible. Les utiliser pour châtier ceux qui se soustraient à la justice, c'est autre chose. N'as-tu jamais ressenti cette fougue lorsque tu élimines un homme qui se pensait au dessus de toi, un être qui pensait pouvoir échapper à ton bras ?" poursuivit Rafael, lorsque quelques éclats de voix se firent entendre au loin.
L'assassin se raidit regarda en arrière. Certainement que l'état de la femme avait du alerter quelques personnes. Et des cadavres, cela ne restait pas longtemps discret. Il soupira, rengaina sa lame secrète et attrapa le col de son interlocuteur, avant de le plaquer violemment contre le mur. Un peu plus fort qu'il ne l'aurait voulu, cependant.
"Alors ? Bats-toi pour moi, et fais-toi un nom ou prends trente secondes d'avance." le menaça-t-il, plantant son regard océan dans ses pupilles opaques.
Plus qu'une menace, c'était un décompte. C'était un peu extrême comme mesure, mais il n'avait pas le loisir de continuer cette petite discussion alors que la foule n'allait pas tarder à arriver. Ils n'étaient pas censés être vus ainsi, d'autant plus qu'il préférait ne pas trop ébruiter sa présence pour l'instant. L'habit avait au moins ça comme avantage : les profanes pouvaient le prendre pour une vulgaire assassin de la Confrérie. Bien que l'Umbra arbore un nouveau symbole et une tenue similaire à présent. L'assassin raffermit sa prise pour presser son interlocuteur à répondre.
Un homme, c'est faible.
Ca se laisse dominer par des pulsions. Sexe et meurtre.
Ca se laisse diriger par des addictions. Alcool et cigarette.
Ca se laisse gouverner par des sentiments. Amour et colère.
Ca se laisse berner par des illusions. Innocence et force.
Et ça se laisse intimider par des hypocrisies. Menace et flatterie.
Des menaces et des flatteries, voila exactement ce que venait de proférer Rafaelo. Adoucir l'esprit, enrober de miel et de caramel l'ego pour se le mettre dans la poche en me disant doué... Et ensuite me faire fermement comprendre que si je ne le rejoins pas, il me tue. Si je n'accepte pas sa proposition, mes chances de survie sont de un contre un million. Rien qu'à travers les légendes urbaines qui se répètent de bouche à oreille, on peut déjà se faire à l'idée à quel point Il Assassino est doué. Alors quand, en plus, on a de ses propres yeux de quoi il était capable, et qu'il s'avère doué de pouvoirs surnaturels... Il est vrai que je pourrais tout simplement mourir. Plus personne ne m'attend chez moi, et beaucoup de gens seraient enchantés d'aller faire couler salive et urine sur mon épitaphe. Pourtant, d'après ce que pense Rafaelo, un des plus grands - si ce n'est le plus grand - assassins que ce monde connaisse, je peux me rendre utile. Utile à quoi faire ? Débarrasser le monde de ses impuretés ? Donner le sourire aux enfants quand ils parlent de moi ? Faire chuter du haut de leur trône les nobles de Goa ? Mais... Mais... C'est de la poudre aux yeux ! Un ramassis d'illusions qui donnent l'impression d'être un homme bon au moment où on passe les portes du purgatoire ! Je n'y crois pas. Un tueur reste un tueur, quoi qu'il fasse. Si je suis devenu un chasseur de primes, c'est pour pouvoir tuer sans trop d'ennuis. Si un de mes objectifs principaux est d'intégrer le célèbre Cipher Pole 9, c'est pour pouvoir tuer sans ennuis du tout. Un tueur reste toujours un tueur, quoi qu'il fasse. Mais ce n'est pas pour autant que je souhaite mourir.
J'ai failli à ma tâche, certes. La mort n'est pas une compagne facile à "vivre". J'ai failli, et elle me le fera payer, ma muse, ma mie, mon gouvernail, sitôt que je me présenterai devant elle. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas voir ses yeux remplis de haine se poser sur moi, et me quitter. Je ne veux plus la voir. En moi, c'est l'effervescence, l'ébullition, l'étincelle puis l'explosion. Dame Mort... Vous m'avez injustement volé ce que j'avais de plus précieux. Je ne suis pas tombé dans vos bras glacés, vous m'y avez attiré. Ce que vous m'avez infligé est d'une cruauté sans bornes. Alors que je pensais être un Fou sur votre échiquier, je me rends désormais compte que depuis le début, je ne suis qu'un Pion. La pièce sacrifiable par excellence. Mais, ô ma Maîtresse... Savez vous qu'un Pion qui arrive au bout du damier peut devenir un Cavalier ? Le savez vous, Dame Mort, que je peux me montrer tout aussi cruel que vous ? Je n'ai plus rien à perdre désormais. Et quels que soient les obstacles que vous pouvez dresser sur ma route, tant que je reste en vie, que pouvez me faire ? Mieux encore, si j'envoie des gens comme moi devant vous, je vous narguerais en plus de me montrer insaisissable à tous vos pièges les plus retors ! Que dites vous de cela, hein ?! Le petit Pion est libre de faire ce qu'il veut, tant qu'il reste en vie !
Et rester en vie et narguer la mort, ça veut dire plier l'échine devant Rafaelo. Allons bon. Tant qu'à se soumettre. Autant que ce soit contre quelque chose de concret. Contre quelqu'un qui, lui, peut vraiment me tuer.
- "Ce n'est pas la peine de continuer le compte à rebours. Je prends en main l'épée de Damoclès que vous suspendiez au dessus de mon crâne, et la mets à votre service. Dites moi qui tuer, et vous n'en entendrez plus parler.", dis-je lentement. Un sourire s'esquisse sur son visage. Je continue, pour clarifier : "Ne me demandez pas pourquoi j'accepte. Ce n'est pas que je veux rester en vie à tout prix. Je viens juste de me rendre compte de quelque chose que j'aurais du comprendre il y a bien des années..."
Pour toute réponse, la lame de l'assassin se rétracta. Un sourire amusé se peignit sur ses traits, transpirant sa suffisance. La menace était toujours efficace. Etrangement, sa réputation l'y aidait un poil. Une pile monstrueuse de morts s'étalait derrière lui, et ce n'était pas sans orgueil qu'il y pensait. Le nombre d'hommes qui avaient rencontré la terre pour avoir eu le malheur de le croiser n'était qu'un simple score à ses yeux. Certes, il accordait de la valeur à la vie. Tout comme il en accordait à la mort. Ainsi, il savait reconnaître le moment où il fallait se servir de l'un ou de l'autre. Pour l'heure, la vie de cet homme était plus utile que sa mort. Bien entendu, sa psyché n'allait pas jusqu'à faire de lui un allié. Juste un outil, une lame dans le noir. Un endroit par lequel ses ennemis ne le verraient jamais venir, un homme qui représentait tout ce qu'il combattait. Encore une fois, ce terme était flou. Si ses idéaux n'avaient pas changé, il avait conscience des raisons qui le poussaient à faire cela. Le destin aurait pu faire de lui un justicier, un pacifiste. Il n'en était rien : le sang appelait le sang. Et c'était avec plaisir que l'assassin y répondait.
"Quel est ton nom ?" lui demanda-t-il, relâchant son étreinte.
Il ne lui demandait aucune allégeance formelle. Tout ce qu'il souhaitait était que cet homme soit dans la peur constante de son châtiment, qu'il le pense apte à le frapper à tout instant. Gouverner par la peur ? Assurément. Mais avec un objectif bien précis.
"Le jeu n'est pas de tuer. Le jeu est de semer le chaos. Frapper la fourmilière, mettre le feu à la souricière. Que penses-tu que je fasse ici, à Goa, sinon déclarer la guerre au Roi ?" répliqua l'assassin, remettant sa capuche.
Les gens se pressaient, il les entendait. Les sentait plutôt. Percevait leurs voix. Il fit signe à Grim de le suivre et gagna les toits en quelques bonds. Là, il se posa à l'abri des regards, gardant la vue sur la ruelle où les cadavres trônaient. Histoire de s'assurer qu'on ne lance pas une traque à la sorcière, et qu'on ne remonte pas facilement leurs traces. De la même manière, il désirait étudier les méthodes de traque de la garde. Il lui fallait apprendre à connaître ses ennemis s'il voulait les devancer. En fin de compte, rien de plus que les manies habituelles.
"Tu comprendras bien assez vite que la Justice n'est pas la seule force motrice en ce qui me concerne. Chacun d'entre nous a son propre but. Pour la plupart, c'est une histoire de vengeance. Pour d'autres, c'est le hasard. Rares sont ceux qui sont ici pour le goût du risque et du ... challenge. Le reste revient à faire des choix pour que d'autres n'aient pas à les faire. Tu verras en temps voulu, m'est avis." fit-il, continuant à observer l'attroupement qui se faisait autour des cadavres.
"Seras-tu capable de retenir ta lame lorsque je te le demanderais, la prochaine fois ?" lui demanda-t-il, toujours sans le regarder.
Les humains étaient pareils à des mouches qui s'agglutinaient autour d'un festin. Goûtant la peur et l'horreur avec une fascination morbide qui l'écoeurait. Peut-être parce qu'il en avait trop vu, peut-être parce que c'était cette caste de moutons qui faisait empirer les choses. Cette curiosité malsaine les poussait dans leurs derniers retranchements, les faisait admirer ce royaume décadent. Nul doute, il faudrait changer leurs mentalités. Un trop plein d'horreur ? Un trop plein de sang ? Hé hé. Ce n'était pas vraiment l'objectif, mais il aurait mis son autre main à couper qu'ils en auraient assez vu d'ici la fin de cette Révolution. On ne pouvait vivre à l'intérieur des murs de cette ville et en ressortir en gardant les mains propres. Tout était affaire de corruption et de malversation.
"Regarde-les ... ce comportement m'a toujours écoeuré." fit-il en revenant dans l'ombre.
Il en avait assez vu. Les gardes avaient lancé des patrouilles sans prendre le temps d'évaluer la précision de l'attaque et la façon dont ces hommes étaient morts. Les meurtres devaient êtres courants par ici, bien qu'en général cela se passait dans l'autre sens. Certainement concluraient-ils sur un esclave plus coriace que les autres. Un homme qui finirait par repeindre le mur de son sang un de ces jours. Pathétiques idiots, ils ne verraient pas leur fin quand bien même elle leur ferait signe. Rafael soupira. Il était temps d'expliquer à Grim ce qu'il attendait de lui, et il ne le ferait que dans un endroit sécurisé. Les murs n'avaient que trop d'oreilles.
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