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Sable et sang

Pute borgne !
J’vais pas m’laisser fondre comme une motte de beurre au soleil. N’y compte pas, petit enfoiré d’mes deux. Y a trop de ces gens avec moi pour que j’crève.
Non, je n’tomberai pas, pas encore, jamais.

« Allez, ne traînez pas des pattes ou vous allez y passer. Couvrez-vous bien et ne buvez pas d’eau avant que je n’vous l’dise. »

Je sais ce que c’est de rationner un repas, c’est cruel, mais nécessaire. Eux n’ont pas tous fait ça. Ils ne savent pas forcément que c’est pour leur bien. Un chef, ça doit être dur, des fois. Pourtant, j’ai eu l’espoir de leur épargner de souffrir.

Même de ma part, c’est plutôt con comme idée.

Devant, à perte de vue, il n’y a rien. J’ai bien essayé de monter en haut des dunes pour voir quelque chose au début. Après, j’ai laissé tomber. Il n’y a rien à voir, voilà la seule vérité. Alors, j’ai arrêté de foutre en l’air mes efforts. Et maintenant, on marche là où on peut surprendre un peu d’ombre. Il faut croire que la chaleur qu’il fait ne laisse nulle place à la fraîcheur, mais le peu qu’on y trouve nous fait beaucoup de bien.

Je regarde l’état de ma colonne, ils vont mieux que je ne l’aurais cru. Malgré les heures de marche et la déshydratation, ils tiennent le coup. Il faut dire que l’on n’est qu’une vingtaine, pas plus. C’est le garçon qui m’inquiète le plus. Du coup, c’est celui que je garde dans mon ombre en l’abreuvant régulièrement de ma gourde.

On marche vers l’horizon qui frétille étrangement. J’ai déjà vu ça auparavant, mais je ne me le suis jamais expliqué. C’est la chaleur qui fait ça, je crois. Ma tête me lancine depuis des heures et la douleur prend place derrière mes deux yeux. Mes membres se sont alourdis et je me traîne difficilement. Le gamin commence à traîner, les hommes aussi. Alors, je le mets sur mon épaule et je continue.

Pour m’occuper l’esprit, je pense à mon bateau abandonné plusieurs milles plus loin. Il est dans un tel état qu’il faudrait être parfaitement branque pour le voler. On n’a pris que des vivres, des armes et de l’argent. Le reste a été laissé en arrière. J’ai pris tout le monde avec moi. Si on se sépare, on a peu de chance de se défendre efficacement. À cause du commodore, je n’ai pas pu recruter assez d’hommes et je compte bien arranger le coup ici.

Quand tes yeux n’ont vu que le jaune du sable et le bleu du ciel pendant une plombe et d’mi, t’es sur le cul quand tu vois aut’ chose. Et là, bordel de cul, du vert et du brun. Je m’frotte les mirettes comme si elles se foutaient d’ma gueule. Comme j’entends tous mes gars réagir, je m’dis qu’on n’est pas si condamnés que ça finalement. Je rajuste le morpion sur mon râble et je raffermis mon pas. Et pendant que le soleil finit de nous rôtir la caboche, on marche enfin vers un but.
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Bon sang, ce qu’il peut faire chaud dans ce pays, pour sûr qu’il s’agit d’une ville dont je ne voudrais pas être le souverain. Moi qui me plaignait d’avoir froid sur Drum, je ne m’attendais pas à avoir un décalage de température aussi important. Grand Line et sa météo déréglée, y a des fois où j’m’en passerai volontiers, un climat normal et stable serait il trop demandé ? M’enfin, c’est toujours une adresse utile où envoyer le personnel inutile le jour où je serais au sommet de nouveau. D’ailleurs, me semble bien qu’une forte personnalité gouverne l’île, la famille…Mégèretarie ou un truc du genre. Bref un royaume pas si important vu le peu de choses qu’il pouvait offrir, j’veux dire… Faut voir un peu leurs terres… C’est pas eux qui allaient pouvoir fournir des vivres ou de l’eau… A la limite on pourra leur emprunter leurs forces militaires. Du moins… S’ils ne se déshydratent déjà pas en cours de route… Non décidément, peu importe comment je voyais les choses, cette île ne pourrait pas m’apporter profit à l’avenir.

Arf… Décidément, on y arrivera jamais, on n’en voit pas le bout, ça m’étonnerait pas que ces incapables aient pris la mauvaise route et que l’on se soit perdus… Ah, mais dans quoi je me suis fourré moi… Heureusement, le vieux est là pour faire son rôle de majordome, comme tout bon vieux qui se respecte. Bon, il pourrait soigner un peu plus son apparence et son hygiène histoire que le tout ne soit pas trop déplaisant pour moi maiiis, c’était un bon début, j’pouvais reposer mes muscles.

Sans l’avoir remarqué, je m’étais endormi, je devais vraiment être fatigué, faut dire que ça faisait aussi un moment que je n’avais pas pu profiter des joies d’une petite sieste en pleine journée, ça me rappelle le bon vieux temps quand j’étais encore riche et puissant…. Mais j’regarde surtout les autres personnes autour de moi qui courent. Une oasis, z’êtes sûrs que c’en est bien une ? Pas envie de tomber dans le piège classique du mirage, manquerait plus que je gaspille mon énergie pour rien… Bon, visiblement c’en était bien une, j’prendrais bien une ptite buvette dans ce cas. Sans parler, le vieux gars me repose à terre, en voilà un qu’a presque tout compris, une bonne formation et j’pourrais presque lui donner du crédit en tant que futur servant.

Arf, c’qu’il fait chaud nom d’un chien, quelques mètres de marches et j’ai déjà l’impression d’être à bout de force. Mais fallait que je reste humble, hors de question de m’abaisser au niveau de ces malpolis et de me plonger la tête dans l’eau à quatre pattes comme un chien le ferait… Tiens, j’me disais bien que ces gars y ressemblaient d’ailleurs. Bref, j’me met sur mes deux genoux, et attrape un peu d’eau de mes deux mains, pouaf, ça fait du bien, y a pas à dire, pour une eau gratuite, elle était pas si mal… Enfin, façon de parler, c’est surtout que j’avais pas le choix.

Tout le monde s’installe tranquillement, le désert avait eu raison d’eux… J’me pose à l’ombre d’un palmier en buvant ma gourde fraichement remplie. Bon, fallait que je réfléchisse à un plan. Lequel ? Celui de m’emparer de l’argent du vieux bien sûr. Le problème, c’est le désert, pas sûr d’avoir les capacités physiques requises pour pouvoir y retourner seul… Et c’était bien trop risquer que de me faire des complices. Pour l’instant, j’vais suivre le groupe jusqu’à trouver une opportunité.
    À l’ombre des palmiers, les gars soufflent comme des forges. Faut dire que la nature est furax dans l’coin. Pas une goutte d’eau, pas un semblant d’ombre. Nib. Du coup, la gueule en terre et le visage en feu, les mectons s'roulent dans la flotte comme des clebs.

    Meh.

    Je n’leur en veux pas. Le brun à la pogne qui gratte a déjà pris la tangente, c’est tant mieux. C’est pas l'genre de type à garder près d'soi. Pour le reste, il y du local de Drum, élevé en enclos. Forcément, ils ne sont pas équipés pour le climat local. Puis, un fumeur de cigares qui en a un peu plus dans le futal que le reste. Il a bu un peu et s’est installé dans un coin tranquille pour s’en fumer un. Enfin, le gosse dont tout le monde se fout, sauf moi. J’essaye de faire le tour du périmètre comme à chaque fois que je décide de m’poser. C’est le deal quand t’es à la rue, ouvrir les mirettes ou se prendre une dague dans le dos, le choix est vite fait.

    On a quand même la chance d’être peinards. Du moins, pour l’instant. Et, même si ça peut ne pas durer, je m’agite pas plus que ça. Quinze bornes avec le soleil dans l’pif m’ont séché et j’m’sens pas l’envie de jouer au chef brise-zob.

    Alors, je m’suis allongé dans un coin pas trop dur sur une feuille de palmier larguée par son arbre et j’ai piqué du nez sans même le voir venir.

    Au réveil, j’avais une gueule de bois comme jamais. La langue en feu et la tête éclatée, je m’suis traîné vers l’eau et j’ai lampé ce que j’ai pu. Puis, j’ai appelé les gars pour becter. Du poisson avec du sel et quelques dattes pour dessert. Autant dire que j’ai graillé comme un Dieu. Il n’en faut pas plus pour ma gueule. Avant d’aller nous coucher, j’ai choisi les mecs pour monter la garde et le reste est allé s’allonger quelque part, au hasard des affinités.

    Depuis que j’ai cette nouvelle capacité, j’ai du mal à me reposer la nuit. Trop de trucs entendus dans l'crâne et clairement pas l’habitude de supporter le bruit qu'ça fait. Il faut dire que c’que les gens ont dans l’ciboulot n’est pas fait pour être écouté. Heureusement pour moi, je ne capte pas tout, un peu par-ci par-là, les idées fortes. Le reste est au niveau du murmure, comme une simple conscience de leur présence.

    Faut quand même que j’roupille un peu ; demain, ça va chier.

    Encore faut-il arriver jusqu’à demain. Vers le bout d'la nuit, quelque temps avant l’aube, un p’tit paquet de crétins a sorti de la lardoire pour nous dézinguer, sauf que j’étais pas d’accord. Et j’étais pas l’seul à réagir. Les deux montagnards baraqués en faction ont bien donné l’alerte, braves types. Même si l’un d’eux l’a payé d’une lame dans l’gras du bide, il est resté en vie. Je m’suis levé vite fait, arme au clair, prêt à bourriner. L’épée veut c’qu’elle veut et elle demande du sang. Je suis l’gars qui rend service, moi, alors j’lui en donne. Le cœur sur la main, pas l’mien, hein, faut pas déconner. Je distribue d’la taloche comme l’aut’ qui multiplie les pains. Place nette autour de ouam, les globuleux en éveil et le transistor de l’âme en marche, j’dégage du loufiat à la serpette. Pas bien solides les connards d’en face. Tout juste bons à finir en brochettes, gueule de travers et l’palpitant en sourdine.

    Quelques cadavres plus tard, un grand qui a bien dégommé deux d’mes gars s’est pris une tarte sur la tronche. Il s’est quand même relevé pour la deuxième, décidé à pas s'laisser faire. Et puis, il a fallu que je sorte le grand jeu pour l’aligner. Une bonne occasion d’éprouver mes nouvelles capacités.

    Il s’est bien défendu, le garçon. Vif et fourbe, comme j’aime écraser. Un style tout en souplesse avec la touche de sauvagerie en plus des trouducs qui s'croient au-dessus, toujours au-dessus. Un jeune con qui vient d’apprendre à la dure de s’tenir à carreau. Et c’est quand même au bout d’une bonne demi-heure, à m’feinter, m’sortir ses faux trucs de génie et ses putain de coups d’butoir à m’arracher l’bras. J’m’en suis quand même sorti avec une plaie à l’épaule gauche et le souffle court.

    Bilan : aucun mort pour nous. Pour eux, je m’suis assuré qu’ils y autant de crevés que d’invités. C’est la politique de la maison.
    Mais, pas mal de boulot pour le doc. C’est bien qu’il soit encore là. Y a d’quoi s’faire du mourant pour trois des hommes de Drum, le reste tient l’coup.

    Du gosse, pas une trace. Y a de quoi s’faire du mourant. Ils l’ont tout de même pas fumé ces fils de putes ?

    Bibi part donc à la recherche du morveux rafistolé par un toubib barbu et, déjà, sa blessure à l’épaule appartient à un passé qui ne compte plus ses morts.
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    Bien, tout le monde dormait, il y avait certes des gars pour surveiller l’endroit, mais sans doute ne remarqueraient-ils pas quelqu’un venant de l’intérieur s’échapper. Il fallait que je profite de cette chance pour retourner au bateau. La nuit est froide mais c’plus supportable que la chaleur, ça fatigue moins. Et puis, après avoir testé l’autre île de Drum, j’pense pas que ce soit les nuits froide du désert qui arriveraient à me geler aussi facilement.

    Mon plan aurait été parfait si, en effet les bons gardes de la sécurité n’avait pas étés utile… Sérieusement… Quel endroit pourri j’vous jure… Car v’là arriver un ramassis de brigands du désert qui guettaient sans doute l’endroit en vu d’attaquer les gens affaiblis par la traversée pour les dépouiller. C’est qu’ils sont pas si bêtes. J’me relève vite, l’vieux gars a vite fait d’être prévenu. Mais c’pas grave, le chaos ambiant peut aussi me profiter. Un des bandits s’approche de moi, pensant sans doute être en face de l’otage idéal. Ce n’est pas pour autant que je me laisse impressionner… Sauf peut-être de son manque d’hygiène mais ça c’est autre chose. Rapidement, je sors mon stylo spécial, je vise le premier « allié » à portée de main et lui dessine mon color trap rouge. L’attaque m’étant destiné est dirigé vers mon compagnon. Non, ton sacrifice ne sera pas vain, tu auras au moins servi à quelque chose pour une fois dans ta probable pitoyable vie de pauvre.

    Je lève les voiles, je cours en direction du désert, pas trop vite non plus, faut pas que je m’épuise. J’me souviens à peu près du chemin, ou du moins, j’ai mes repères, étoiles, boussole et machin chose, chuis pas si bête pour me perdre dans ce désert… Même si j’dois avouer que c’est assez effrayant. Mince, fait quand même assez froid… Et puis honnêtement, j’me sens pas de marcher des heures durant… Et puis naviguer seul sur Grand line était impossible… En fin de compte, ptet que c’pas la meilleure des idées… J’regarde au loin, l’oasis est encore dans mon champ de vision… Ouaip, bah pas le choix, j’dois y retourner, je n’ai qu’à attendre une meilleure occasion comme l’arrivée dans une vraie ville.

    Cela n’avait fait que quelques minutes et pourtant, de retour à l’oasis, les bandits avaient étés décimés. Ils les avaient vraiment tués… C’était la première fois que je voyais des morts… Des cadavres… Ca faisait bizarre… Un peu flippant j’dirais même… Mieux valait pas énerver l’vieux gars, plus robuste qu’il en avait l’air… Ils s’approchent de moi en trottant, ouaip,  ils me cherchaient visiblement. J’profite du fait que j’tremble vraiment devant la vue de ces cadavres, j’fais couler quelques fausses larmes, et j’sors ma voix toute mignonne.

    « Je…Ugh… Pardon… J’ai eu peur et me suis caché… Chuis… Chuis content que vous allez bien… »

    Ils ont l’air attendris… Enfin pas tous. Mais depuis le début, j’avais bien pris soin de caché ma vraie personnalité, donc mon jeu d’acteur marche bien. Ils m’amènent dans un coin plus calme à l’abri de cette vision sanguinaire. L’odeur, elle,  persiste. Des barbares, voilà ce qu’ils étaient. Personne semble se douter de quoi que ce soit de ma part. Je ne suis que l’innocent petit enfant du groupe. Et finalement, je passe la nuit ici.

    Et après une énième nuit désagréable en l’absence d’un vrai lit, tout le groupe reprend la marche, moi aussi, hors de question qu’un de ces gars dégoulinant de sueurs me porte. Même si c’est pas les propositions qui manquent. On a fait le plein d’eau, j’ai pris trois gourdes, hors de question de partager avec quelqu’un, et j’ai besoin de m’hydrater régulièrement.
    Aucune notion de temps n’est possible dans cette traversée. Et après une longue marche, quelques couleurs apparaissent au loin, ceux de toits. Des bâtiments, de la civilisation, enfin. Les hommes pressent le pas, j’les suis sans me hâter pour autant. J’vois aussi de l’eau, ptet que y a moyen de prendre direct la mer d’ici.

    On arrive, attirant le regard curieux de certains habitants ici, ptet un peu craintif à ce que je vois… Je m’approche d’une habitante, une bonne femme âgée tout ce qu’il y a de plus banale, si bien que j’visualise même pas son visage, inutile de m’en rappeler j’l’oublierais après toute manière.

    « Hum… Bonjour madame ! Excusez-moi de vous déranger mais… Comment s’appelle cette ville s’il vous plaît ? »
    « Ah ? Oh, pardon, c’est la ville de Katorea ici mon garçon. »
    « Oooh. Y a vraiment beaucoup d’eau ici pour une ville du désert ! Est-ce que c’est une ville portuaire ? »
    « Ha ha, oui, en général les villes sont construites sur des points d’eau pour des raisons pratiques. Sinon, même si l’endroit peut sembler un peu vide comparé à la grande ville de Nanohara, nous sommes fier d’avoir les meilleurs marins et navigateurs de l’île. Et puis nos spécialités culinaires n’ont rien à envier à ceux des autres grandes villes ! »
    *Purée c’qu’elle est bavarde celle-là…. *
    « Vraiment ?! Je vous remercie pour tous ces renseignements madame ! »

    « Ha ha, de rien mon garçon. »

    On a quelques infos sur la ville, les autres écoutaient aussi. Moi, j’ai surtout retenu que y avait de bons navigateurs ici, j’ai une germe d’idée en tête. Reste à savoir ce que l’vieux gars à l’intention de faire ici.
      Cette île me crève. L’impression que l’soleil est la poêle à frire et ma gueule l’œuf. Trempé dans ma sueur et puant comme un porc, je m’fais secouer colline après colline. Les mecs du coin se tapent des piafs. Apparemment, ils sont rapides, apparemment. En tout cas, le mien s’il l’a été, ne l’est plus. Il traîne de la patte et n’est pas enthousiaste vu mon poids et celui de ma ferraille. J’ai quand même l’impression que je n’progresse pas si vite que ça, du moins pas plus vite qu’à pied. Et ça, ça me gonfle.

      Les gars qu’on s’est coltinés à l’oasis on en parle comme des terribles. Moi, j’en ai connu des terribles de tous les genres. Ils font d’aussi bons morts que les sympas. En tout cas, ceux-là, j’ai bien vérifié qu’ils étaient cannés. Leurs potes vont surement venir m’emmerder, mais, mes gars sont prêts et en forme. Ils s’en sortiront, probablement. Il faut bien qu’ils s’mettent sur la gueule sinon, pas moyen de chasser du trouduc en pleine mer.

      Je vois l’bateau. Il a une sale gueule. Je sens que le type ne va pas apprécier. D’ailleurs, il a l’expression d’un mec qui a perdu son temps. Et il le dit :

      « - Sérieux ?
      - Bah, tu vois bien qu’on s’est pas fait quinze bornes dans un four pour me faire marrer.
      - Approche-toi un peu pour voir. »

      On s’approche du bazar. C’est encore plus immonde de près. Il passe sa main sur la coque et sort un maillet de sous son pull. Et là, il commence à faire des trucs que je capte pas et je le laisse faire parce qu’il faut bien. Au moins, je suis à l’ombre et j’ai emmené avec moi un peu de flotte que je lampe en attendant. Je m’allonge sur le sable et je réalise qu’il est pas mal frais. Je m’dis que ce réparateur de bateau n’a pas l’air terrible. Il fait sérieux quand il bosse, mais quand même. Pas mal ébouriffé, la gueule de traviole et une odeur à décoller la peinture. Faut surtout pas te mettre en face de lui quand il cause, c’est un coup à perdre ses tifs. Mais bon, là aussi, pareil, c’est pas parce qu’il fait négligé qu’il est mauvais. Et puis, de toute façon, j’ai pas bien d’espoir pour ce tas de bois.

      « - Je veux bien l’examiner de l’intérieur, mais il ne pourra plus jamais aller en haute mer. A la limite, pour de la navigation fluviale, il tiendrait le coup, mais tu ne vas pas en tirer grand-chose.
      - Bon, ben, allons-y alors. »

      Le même cirque recommence à la cale. Il va pas vite le charpentier et je ne lui en veux pas. Pendant ce temps, je m’éclipse vite fait pour tirer un somme dans ma cabine. Le lit est un peu défoncé, mais je sais m’y caler depuis l’temps et j’roupille presque sans m’apercevoir.

      Réveil brutal. Haleine de souffre en plein pif. Sans ouvrir mes mirettes, je sais qui c’est. Il a appelé ses gars pour remorquer l’tout. Il veut bien m’en donner un petit million pour récupérer des morceaux, mais il n’ira pas plus loin. Dégoûté, j’accepte. Je m’dis que ça mieux que de l’abandonner et que j’ai de quoi me repayer un truc propre ici. Et c’est avec quelques billets en sus et l’râble calé contre mon matelas que j’entame le retour vers le port. Le reste du trajet, je le fais sur un deuxième piaf, un peu plus actif qui me ramène presto à ma baraque. J’ai comme l’impression de m’être fait baiser.

      Avec mes biffetons en poche, j’arrive dans le quartier où on s’est tous mis et j’ouvre ma perception pour chercher mes gars. Je n’sens rien. Puis, j’vois la porte défoncée au détour de la rue et je m’dis qu’il doit y avoir eu une couille.

      Mon palpitant pète une durite pendant que mes pattes me portent dans la bicoque en bois. Je pousse la porte et le chambranle manque de me tomber dessus. Là, l’horreur. Bain de sang, corps démembrés, visage éclatés à la hache et odeur de mort ambiante. Je tâte les pouls, j’vérifie s’il y en a un qui respire encore, que dalle. Je n’l’ai ai pas connu longtemps, mais il m’a fallu très peu de temps pour les apprécier, pour les voir comme une nouvelle famille. Une famille qu’on m’a arraché sans pitié.

      Dans la pénombre qui précède le soir, je m’écroule sur le sol, dos appuyé contre les restes d’un meuble que je n’identifie pas. Sur ma tête, je sens l’étau d’une douleur horrible. J’ai déjà vu des morts, plein, à ne plus les compter. Mais, là, ce sont pour la plus part des petits jeunes qui m’ont suivi. Moi, sans penser qu’ils finiraient morts. Dévasté, je vomis mes tripes sur le sol.

      Puis, je sens venir une sourde résolution qui enfle mon cœur. Je vais fumer les enfoirés qui ont fait ça jusqu’au dernier et je vais y prendre un putain de plaisir. Furieux, j’ajuste mes deux épées et mes couteaux de lancers. Le visage couvert et les sens en éveil, je me lance sous le couvert de l’obscurité naissante sur les traces encore fraiche de mes ennemis.

      La traque a commencé.
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      Accroupi sous le porche de la piaule, je cherche un indice, quelque chose, quoi que ce soit. Mes yeux scrutent le moindre détail, ma main fouille le sable. Une saloperie se fiche dans mon doigt et manque de l’arracher. Je la retire du sol sans m’occuper du sang qui s’égoutte. C’est une tête de flèche. Je balance le bazar au loin et me reconcentre. Là, miracle, mes mirettes qui repèrent dans l’obscurité naissante une trace de sang. Un peu plus loin. Peut-être un survivant à qui poser des questions, j’y vais. J’oblique à droite une fois et je reste immobile. La nuit commence à s’installer et il n’y a personne dans la rue. Pas un chat. Les maisons qui la bordent ont leurs volets fermés, certaines sont probablement abandonnées vu leur état.

      A force de patience, je perçois une lourde respiration, comme un râle discret. Je suis le bruit et je m’agenouille près un jeune qui a tout laissé tomber pour me rejoindre. Il a dit avant de partir qu’il reviendrait certainement leur raconter ses aventures. Il se tient devant moi, le thorax défoncé par une masse, probablement à rendre son dernier souffle.

      « - Capitaine.
      - Calme-toi garçon, économise ton souffle. Je vais te chercher de l’aide.
      - Me mentez pas. Je sais que je suis foutu.
      - …
      - Ils sont partis par là. Ne laissez pas ces fils de putes s’en sortir. Je crois qu’ils ont le gamin. J’ai essayé de les arrêter, mais.
      - C’est bien, brave petit. Je m’occupe du reste. »

      Ce dialogue a dû épuiser ses dernières ressources car, tout de suite après, il a laissé échapper deux ou trois inspirations courtes avant de s’affaler. Je lui passe ma main sur les yeux et me relève, plus haineux que jamais, sur leurs traces.

      Parvenu à l’orée de la ville au pas de course, je ne retrouve aucune piste et je commence à m’impatienter. Ces gens sont insaisissables selon la rumeur. J’aurais dû écouter, faire plus attention. Ces jeunes étaient sous ma responsabilité. J’aurais dû faire tellement plus pour eux. Maintenant, leurs corps sont à peine reconnaissables.

      Il m’a fallu toute la force de ma volonté pour me calmer et pouvoir écouter les voix. Un groupe de personnes se déplace quelque part devant moi, un peu à droite. Ils ne sont pas bien loin, mais on les voit pas. Je me lance sur leurs traces en m’accrochant à cette intuition qui, seule, me guide vers eux. Difficile de contenir la rage qui gronde en moi. Malgré toutes mes tentatives, je ne suis jamais arrivé à mater la colère quand elle me prend et me bouffe de l’intérieur. Là, je peine à maintenir un semblant de calme avec la froide résolution de laisser libre cours à mes instincts le temps venu.

      Le vent tape dur en ce début de soirée et me fouette régulièrement les yeux. Dans ma précipitation, j’ai pas prévu quelque chose pour me couvrir les globuleux. Si bien que je passe mon temps à regarder le sol. Mais, le fil ténu qui rattache leurs consciences à la mienne me donne la force de continuer. Et je pense que j’ai dû marcher plusieurs heures sans boire ni manger. Pourtant, je ne ressens ni fatigue ni douleur, juste l’envie d’écraser ces enfoirés jusqu’au dernier.

      A un moment, j’ai entendu un plus grand nombre de voix. Ils se sont arrêtés et j’ai pu les rejoindre. Ils sont plus nombreux que je ne l’aurais cru. Et maintenant que je suis assez près, je distingue clairement des enfants et des femmes parmi eux. C’est plus un village qu’une troupe d’ennemis. Par contre, vu l’absence de bâtiment, ils sont nomades. Ça veut dire que si je les perds maintenant, je ne les retrouverai jamais.

      J’observe de loin la disposition de leurs tentes. Ils ont en huit dont une centrale et sept en couronne autour. Il y a plus de femmes que d’hommes, mais plus d’adultes que d’enfants. Et leurs garces ont l’air armées et pas bien jouasses. De front, je vais probablement y perdre plus qu’y gagner. Alors, je décide de les grignoter peu à peu. Au plus noir de la nuit, sans feu dans les alentours, je suis aussi invisible à leurs yeux qu’eux aux miens. Cependant, j’entends la voix des deux sentinelles dans ma tête. Leur position, je la devine plus que je ne la voie. Silencieux, je m’approche de ces deux gars dont j’ignore les pensées et les égorge sans bruit. Je les allonge sans qu’ils mouftent, baignant dans leur sang. J’essuie ma lame sur le manteau de l’un d’eux et progresse prudemment dans le village. Après l’attaque, il semble que tout le monde soit allé se coucher tôt. Ces gens-là ne fêtent pas leur victoire. Ou alors ils sont en deuil de leurs compagnons.

      De ce que j’ai vu, tout le monde se bat dans leur village, même les enfants. Mais, il me semble qu’au bruit des ronflements que les hommes logent au centre. Drôle de façon de protéger les leurs. La main sur la toile, je m’dis que ça ferait un putain de bon feu. Et que ce serait le meilleur moyen de prévenir d’éventuels renforts tout en dégraissant des enfoirés. Je sors mon briquet et je jette sur la tente la gourde d’alcool que je me traîne toujours avant d’allumer le feu à distance respectable. Puis, avant qu’ils ne se mettent en alerte, j’entre dans la tente et j’embroche un, puis deux, puis trois et encore un quatrième de leurs hommes avant que les premiers ne commencent à réagir.

      Là, je me retrouve rapidement encerclé par des vétérans qui se connaissent sans doute très bien. Cela dit, par ma nouvelle capacité, j’arrive à lire un instant avant leurs mouvements et je romps leur formation par deux fois en prélevant pas mal de gus dans l’processus. Dehors, ça gueule fort, ils essayent d’éteindre le feu, mais celui-ci progresse. Je l’sens à la fournaise qui monte dans mon dos. La tente menace de s’effondrer sur nos gueules. Pourtant, je ne vois pas mes ennemis reculer. La peur ne les travaille pas. Tant mieux. Je ne suis pas d’humeur à faire preuve de pitié. Méthodique, je démembre, je décapite et découpe ces salauds. Sans me soucier des blessures qu’ils m’infligent quand ils arrivent à me toucher, je persiste debout au milieu des flammes qui dansent et des arceaux qui échappent de longues plaintes à distribuer des beignes.

      Et puis, sur un mot sec, ils se sont retirés et un homme maniant deux sabres m’a fait face. Je reprends mon souffle en tentant d’évaluer la force de mon adversaire. Enfin, bon ou pas bon, je m’promets de m’le faire. Notre face à face prend un moment avant de s’engager, juste le temps qu’il faut pour qu’une femme entre dans la tente :

      « Ygrène, nikt ! »

      Moment de distraction dont j’ai profité pour briser la garde de mon adversaire et planter mon épée dans son épaule. La femme tente de se précipiter sur moi et je recule d’un grand pas.

      « Ygrène, c’est un ordre : emmène tout le monde, ne prends que l’essentiel, rien qui te ralentisse. Je m’occupe de lui et je vous rejoins. »

      Elle ne cille pas, le rouge qui lui monte aux joues est la seule marque de son désaccord. Par contre, elle se barre et on reste à deux alors qu’un pan de la tente s’est déjà écroulé faisant entrer un courant d’air qui ravive les flammes.

      « - Etranger, tu as rendu mes frères au sable, tu vas maintenant...
      - Ta gueule, gros con et défends-toi. »

      C’est pas l’jour de m’les briser, faut croire. Lui par contre, j’ai rien contre lui péter deux ou trois os histoire de l’calmer. Le choc de nos lames est terrible. Ce gars a de la force dans ses bras, assez pour m’arracher la tête si je le laisse faire. Cela dit, avec nos deux épaules en écharpe, on a quand même un combat équilibré. Et puis, sa flamberge arrive presque à me démonter le coude à chaque coup. Par contre, à sa tronche, il ressent le contrecoup.

      Plein duel, le regard vissé sur l’adversaire, les jambes en mouvement, chacun cherche la faille, l’interstice où coller la beigne à l’autre. Et, déjà, ça recommence. Il attaque vif, tout en finesse. Et moi, j’ai de la peine à tenir le rythme surtout parce qu’il me presse trop pour maintenir mon pouvoir en éveil. Il m’est même arrivé de lâcher prise un court moment, sauvé comme par miracle par un réflexe impromptu. Ebranlé à chaque coup de sa flamberge, effleuré de plus en plus souvent par son sabre, je ressens le tranchant de ses lames sur ma peau et la force de son bras jusque dans mes os. Et puis, sa concentration fait qu’il reste imperturbable malgré mes feintes et mes ripostes. Cet homme se bat avec la foi qu’il a en sa victoire.

      Et moi, je lui mets sur la gueule avec la rage dans l’bide. Pas fini de voir ces gamins me mirer sans m’voir, figés dans des positions improbables. Tripes à l’air et odeur de viande rance. Voilà ce qui m’pousse à l’défigurer lui, à l’passer au fil de ma lame encore et encore. Et puis, plein l’cul de voir venir, de combattre sagement, d’analyser. Mon cul. J’ai toujours été un animal sauvage et c’est toujours comme ça que j’ai combattu. La paix avec moi-même, et me voilà déjà plus réceptif à mes propres sens. Alors, rageur, je reprends le dessus, je lui jette à la gueule mon épée courte et garde ma bâtarde garce dans mes deux mains. Coup de butoir après coup de boutoir, je brise sa garde en lambeaux. Je crame comme la pièce qui nous entoure et qui menace de m’frire la tronche, et à lui aussi. Moi, je m’sens en transe, comme une bête sans laisse, un chien sans muselière et je déballe toute ma colère sur lui. Et c’est dans cet état où je suis moi, tout entier que j’écoute la voix de ses coups le mieux. Jouer au maître zen n’est pas mon truc et c’est au hachoir que je lui refais la façade en repoussant ses pathétiques ripostes que j’entends venir avant de voir son bras partir. J’insiste sur lui, matraquage vertical à peine interrompu pour me remettre dans l’axe. Lui, les deux épées en opposition, à peine assez de vigilance pour bloquer. Je sens ses craintes effriter sa concentration. Il n’a jamais eu de combat aussi difficile.

      « T’inquiète, petit, c’est ton dernier. »

      Dans son visage, la stupéfaction de m’avoir entendu lire ses pensées. Et puis, un poignet qui visse mal sa prise et mon épée glisse et entame salement son épaule. Il titube, tombe à mes pieds, transi par une douleur qui irradie dans mon crâne. Je l’finis, chancelant, à peine debout d’un estoc au cœur.

      Presque crevé le Julius, mais il aurait tué un sacré paquet de connards dans la vie. Là, j’ai plus tellement l’espoir qu’il va s’en sortir. Il s’est baisé seul et tout ce carnage ne va pas lui ramener ses gars. Non.

      Marrant comme Mark n’en avait rien à foutre qu’on lui dézingue du pécore, il les vengeait, mais c’était seulement pour son image.

      Julius, mon gars, t’es vraiment trop con. T’as jamais pu capter qu’à force d’ouvrir ton palpitant pour y loger des gus, ils finissent morts ou pire. T’es pas l’genre de compagnie qu’on recommande aux bonnes personnes. Et puis, est-ce si grave que tu meurs, là ?

      Pas tellement, ta fille te hait, ta femme te hait, tous ceux qui te connaissent vraiment. Un boucher, c’est tout ce que t’es, un bon à rien, un déchet.

      Tu crois vraiment que c’est pour venger ces personnes que tu t’es fourré là-dedans ? Tu te goures, gros con. Si tu le voulais vraiment, t’aurais juste pris ton temps, trouvé du renfort et le moyen de les prévenir discrètement. Tu voulais juste clamser avec l’excuse de l’héroïsme. Ce que tu n’piges pas, c’est que personne ne pleure les assassins, non personne. Ils ne meurent même pas dans l’indifférence, mais dans le soulagement.

      Le seul héros ici est cette poutre qui t’as éclaté le crâne.
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      Une fois en ville nous nous étions séparé du vieux capitaine, il devait vérifier l’état du bateau ou une bêtise du genre. Ce qui me laissait le feu vert pour mettre mon plan à exécution. Le plus malin était parti après tout, il n y avait plus grand obstacle sur ma route. Pour passer la nuit, la petite troupe avait commencé à installer un genre de quartier général. De mon côté, je regardais avec attention où est ce que les bons petits soldats allait mettre le butin… Le repérage fait, je n’avais plus qu’à attendre qu’une opportunité se présente.

      Certes, j’avais des projets que certains auraient pu considérer comme mauvais, mal, fourbe et autres adjectifs du genre… Mais je ne me serais rabaissé à aller aussi loin qu’à me souiller de sang pour les achever. Une attaque surprise de bandits, encore ! Visiblement, c’était la vengeance qui les animaient, des compagnons des autres qu’étaient tombés à l’oasis… Nos gars sont trop faibles, ils font pas le poids… Et le vieux qu’est pas là… Les uns après les autres, ils tombent tous… Un horrible spectacle… Mais n’était-ce pas là l’opportunité rêvée ? Je me précipite à l’intérieur de la base, dans la salle où se trouve nos ressources financières. Un bon gros sac, lourd, mais j’arrive à le soulever sur mon dos, je l’attache comme un cambrioleur le ferait des bien dont il se serait emparé puis je me dépêche de prendre la poudre d’escampette…

      Mais ce ne serait pas tâche aisée… Ces maudits pilleurs étaient partout. Je les vois s’approcher, mais deux gusses s’interposent entre eux et moi. Je reste figée quelques secondes. Ils me crient de fuir, ils croient que je sauve l’argent sans doute… Suivant leurs conseils, je file. Quelques secondes plus tard, de grands cris… Ils sont tombés… Et pas qu’eux, d’autres aussi… Je pourrais bien rester et leur donner un coup de main. Mais au vu des évènements, ma survie n’est pas assurée. Ces braves hommes se dévouaient à me protéger, moi le benjamin de la bande. Je suis une de leurs convictions dans ce combat.  Je ne suis pas sans cœur, je me devais de leur laisser cette motivation, qu’ils meurent en pensant qu’ils ont combattus jusqu’au bout et fier.

      Je traçais mon chemin à travers les combats qui se déroulaient. Un des bandits avait voulu me bondir dessus mais j’eus vite fait de réagir.

      « Color trap : Le rouge du taureau ! »

      Usant vite de mes capacités, j’eus vite fait de tracer mon symbole sur le sol pour que l’autre abruti ne viennent s’acharner dessus, ne comprenant qu’à moitié ce qui venait de se passer. Moi ? J’avais déjà vite fait de continuer ma route. A la fin, j’avais réussi à m’en tirer… Mais le reste des troupes n’était déjà plus que souvenirs… Perché sur une dune, je voyais les décombres de notre quartier général… Puis plus loin la ville de Katorea. Certes, ces jeunes chasseurs de primes étaient répugnants, pitoyable et misérable pour la plupart… Mais méritaient-ils ce sort ? Eh bien, c’était sans doute la manière de vivre d’un chasseur de primes. Quelles idées de choisir cette voie alors qu’ils étaient si faibles… Le pauvre vieux allait avoir une surprise en rentrant. Qu’il se rassure, sa fortune ne tombera pas en de mauvaises mains. Si je n’avais pas été là, il serait en leur possession. Du coup, on peut dire que d’une certaine manière, cet argent m’appartient désormais ? Ce n’est donc pas un vol. Oui. Je ne suis pas un voleur, hé hé.

      Maintenant, tout ce qu’il me restait à faire était de marcher jusqu’à la ville… Celle-ci était dans mon champ de vision, non loin… Mais pourquoi me paraissait-elle à des années lumières ? Marcher dans ce désert était vraiment une plaie… La chaleur rendait tout mouvement lourd et m’épuisait rapidement… Et puis surtout… Ces jambes qui n’arrêtaient pas de trembler…

      J’ai beau avoir l’esprit d’un génie… Faut croire que j’ai toujours le mental d’un enfant… J’ai frôlé la mort d’un peu trop près. Effrayant… Mais tout va bien… Personne n’est vraiment mort à cause de moi, ils ont combattus de leurs grés,  je n’ai pas à avoir leurs morts sur ma conscience. Ils sont tous morts hein ? Personne ne viendra me trouver maintenant… Je n’ai pas à avoir peur, je suis en sécurité… Oui…

      Ces minutes à marcher dans le sable chaud m’avaient paru si longue. Mais j’étais enfin de retour en ville. Les gens me regardent… Ah ? Du sang sur mes vêtements. Celui de mes camarades qui étaient tombés au combat. Je crois bien que je peux leur pardonner cette fois. Je marche en ville à la recherche d’un endroit calme et moins peuplé, je trouve un bar un peu plus luxueux, maintenant que j’avais de quoi me payer un peu plus de luxe, inutile de m’en priver hein ? J’entre, je m’installe, je demande une boisson histoire de m’hydrater un peu, un bon cocktail, j’pointe l’argent pour lui montrer que je suis un vrai client. Puis j’vais dans les toilettes, prenant mon butin avec moi au cas où. Quelques minutes le temps de me changer et de me débarrasser de mes vêtements plein de sueurs et de sang.

      Tandis que je revenais en salle, le barman me tendait ma boisson que je sirotais tranquillement. ENFIN ! Je me sentais revivre, enfin un établissement un peu plus correct que ce à quoi je m’étais habitué. Lisant le journal du monde dans un fauteuil bourré de coussins orientaux à la recherche d’actualités pouvant me servir tandis que je réfléchissais à un plan pour quitter cette île.

      Après ce long moment de détente, lorsque je sortis de l’établissement reposé et frais, ce fut là que j’aperçu un gros trait de fumée voler au loin… Combien de temps s’était il écoulé ? Le vieux gars, il était sûrement revenu et avait fait des siennes… C’était ce que je me suis dis… Et pourtant, avait-il la moindre chance seul ? Bah… Qu’importe, un mort de plus ou de moins… Et pourtant… Sans que je ne m’en rende compte j’avais fini par atterrir devant une clinique médicale… Tandis que j’entrais, le docteur qui la gérait m’accueillit rapidement. Faut croire que y a pas foule dehors… Encore un autre pauvre…

      « Bienvenu gamin, qu’est-ce que je peux faire pour toi ? »
      « Hm. Vous voyez dehors ? Là d’où provient la fumée. Vous y trouverez un vieux gars seul, probablement en mauvais état si vous ne lui prodiguez pas les premiers soins. »
      « Vraiment ? Dans ce cas je ferais mieux de me dépêcher. »
      « … »
      « Un problème ? »
      « Difficile de croire que vous me prenez aussi sérieusement… »
      « … Tu m’as l’air très futé petit. Je ne pense pas que tu sois en train de plaisanter. Et puis… Je suis intrigué par toute cette fumée. Hé hé.»
      « … Bien. Dans ce cas je vous laisse vous en occuper. Son nom est Julius Ledger. »


      Ce gars était bizarre... Mais bon, d’un air nonchalant, je marche vers la sortie… Mais avant, ouvrant légèrement mon butin, j y prend quelques berries que je dépose sur le bureau du docteur. Ce vieil homme… Il survivra. Je ne sais pas ce qui m’amène à penser cela… Mais j’me dit qu’il pourrait être capable d’assouvir sa vengeance… Ou pas, j’n’en sais rien… Mais comme pris d’un remord, sans même que je ne comprenne moi-même tout ce que je faisais, j’en étais venu à faire cette action. Je remarche en ville, continuer mon propre chemin seul. Je regarde une dernière fois vers où se trouve le vieux gars… Probablement.

      « Avec ça, ma dette est payé. Ta vie vaut au moins bien ces quelques berries, n’est-ce pas ? »

      Cet argent m’est désormais légitime. Maintenant, je peux dire au revoir comme il se doit aux « Justiciers ».


      Dernière édition par Eriko le Ven 28 Mar 2014 - 21:46, édité 1 fois
        « - Capitaine ?
        - Quoi ?
        - Il y en a qui respire encore.
        - Appelle le toubib, il nous l’faut vivant. J’veux comprendre tout c’merdier. »

        Trimballé comme un vieux sac de patates. Au moins, il semble que cette poutre ait décidé de pas me refaire la face. Ce vieux crâne n’est pas encore prêt à gerber sa matière grise au sol.

        Pourquoi faut-il qu’il y ait toujours un toubib au-dessus de moi ?
        Ça fait un bail que je passe à ça de crever, à un cheveu, à chaque fois.
        Au moins, j’aurais tué ces fils de putes.
        Et alors ?
        Alors, je ne sais pas. Tuer, c’est tout ce que je sais faire.
        Je crois que je devrais faire une dernière chose pour ces gosses. Les ramener chez eux.

        « Ouais, je crois.
        Tu ne peux pas encore te lever, tu sais. Calme-toi un peu, on est bientôt arrivés. »

        De toute façon, j’ai pas la force de gigoter, il me faut un plan.
        Il faut encore que je puisse réfléchir. Entre l’hémorragie et les calmants qu’ils me filent, je suis pas sorti d’la merde.
        Le gamin !
        Je crois que cette poutre m’a quand même salement arrangé ou dérangé, je ne sais plus.
        C’est pas comme si j’pouvais m’lever.

        Enchaîné, captif. J’ai les pattes dans l’étau et la tête dans l’cul. Sale réveil avec un goût amer à la bouche, mélange entre de la bile et du sang. Pire qu’une gueule de bois, un corps entier qui souffre à en crever, qui crame comme sur un bûcher. Et autour de moi, les yeux à peine ouverts il fait nuit noire. Y a personne, la douleur, reste, lancinante, immuable. Elle brise le train de ma pensée et je sombre à nouveau.

        Second ou troisième réveil. De toute façon, j’ai jamais eu la bosse des maths. Aujourd’hui, il y a des gens autour. La douleur revient et cogne contre mon crâne.

        « - Il lui faut encore des incisions de décharge.
        - Je crois qu’il est foutu.
        - Chut, il est réveillé. »

        Même pas eu la politesse de lui envoyer mon poing dans sa face avant de m’évanouir.

        Autre réveil, cette fois la douleur est plus insidieuse, le mot classe pour exprimer un caractère de pute. Par contre, elle est toujours là, toujours. Cela dit, j’arrive à bouger un peu, je tire sur mes liens. D’une voix rauque et faiblarde que je reconnais à peine, je demande de l’eau. Personne ne répond. Alors, j’vais chercher dans mes tripes la force de hurler. Il faut encore le temps que ça vienne, mais ça vient, et je me rendors sitôt ma soif étanchée.

        « - Votre nom est Julius Ledger.
        - …
        - Vous ne répondez pas ?
        - Non.
        - Pourquoi ?
        - Pas une question.
        - …
        - Qu’est-ce que vous me voulez ? Pourquoi m’attacher comme ça ?
        - …
        - Répondez-moi !
        - Non.
        - Pourquoi ?
        - Pas envie.
        - Me faîtes pas chier, j’ai pas envie de vous casser la gueule.
        - Ce serait con que je me fasse cramer.
        - Vous n’êtes pas drôle.
        - Quelle superbe réponse à brûle-pourpoint !
        - Vous allez la fermer ?
        - Je ne vais pas insister. Remarque, petit conseil de ma part, si vous voulez qu’on ne vous fasse pas chier, évitez d’emmerder les gens.
        - Vous allez me dire pourquoi je suis attaché oui ou merde ?
        - Pour vous empêcher de vous lever. Vous n’étiez pas en état de le faire. Pourtant, vous avez essayé. On a dû le faire quand vous avez assommé le stagiaire. J’avoue ne pas pouvoir le blairer aussi, mais c’est pas une raison.
        - Et là ? Je peux y aller ?
        - À vrai dire, maintenant que vous êtes en pleine possession de vos capacités mentales. Hum, vous êtes bien en pleine possession de votre intellect ?
        - Qu’est-ce que ?
        - Laissez tombez, disons que vous êtes au mieux. Tout ça pour dire que vu votre durée de séjour, la garde royale a fini d’enquêter avant d’avoir pu vous poser des questions. Vous avez des projets d’avenir ?
        - Je dois retrouver le gamin. Un jeune petit con, avec une mèche et un sourire de fiotte. Il traînait avec nous.
        - Si c’est celui auquel je pense, je le sais sain et sauf.
        - Comment vous le savez ?
        - C'est lui qui m'a dit de suivre la marine quand elle est partie.
        - Hum. Il est où maintenant ?
        - Il m'a dit qu'il partait, qu'il avait pris peur et qu'il ne pouvait plus rester avec des hommes aussi dangereux.
        - Tant mieux. Il ne me reste plus qu'à vous quitter.
        - Vous vous imaginez pouvoir le faire ?
        - J'ai jamais parlé d'envie. »

        Et là, j’ai su que je devais me lever, et je me suis levé.

        Pour tout de suite retomber sur le lit. Je suis encore attaché. Quel enfoiré, ce mec. Il se retient à peine de rire.

        Une fois réellement détaché, je me suis mis en route, l'âme pleine de morgue et la soute pleine de cadavres. La transilienne prend le fric qu'on lui donne et avec cette prise, j'en ai un peu plus.

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