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Departures [1625]

Monsieur Tahgel ?

Monsieur Tahgel, le coq a préparé un pavé de vachoratops spécialement pour vous…

Je le laisse devant votre porte, Monsieur. Comme hier et comme avant-hier.

Laisse, laisse donc, matelot Davis. Les pas s’éloignent dans la coursive, le garçon remonte sur le pont et va faire son rapport à l’ami rouge dans sa cabine de capitaine. Moi, je ne quitte pas ma couchette. Comme hier et comme avant-hier, je ne toucherai pas au plat, fût-il succulent. Je n’y ai pas le cœur, ou plutôt mon cœur n’y est pas. Après la nuit passée effondré sur le pont avec un trou dans la cuisse, le repas d’il y a trois jours au matin m’a grevé l’estomac comme si j’avais mangé toute une bête à viande et pas juste un pauvre filet séché récupéré dans un fond de cale. La nourriture ne passe pas, même pas l’alcool. Je suis à l’eau.

Enfin, à l’eau…

Même elle me met mal, celle de dehors, sur laquelle on navigue sans voir aucune côte à l’horizon. J’ai passé trop de temps sous terre et, moi le marin parti sur un bateau dès mes onze ans, je n’ai plus le pied qui va avec. Le sel dans l’air me ronge les narines, la fraîcheur la nuit me brise l’échine, et durant le jour mes os rouillent comme le fer dans mon sang, comme si ma cuisse continuait de saigner de l’intérieur malgré mon attention portée sur le moindre capillaire qui l’irrigue. Je ne suis plus habitué, j’ai soudain chaud, soudain froid, soudain un vertige me prend, soudain une envie de vomir. Moi le Saigneur des mers, moi le seigneur en mon seul royaume d’esprit, je ne suis pas bien sur un bateau. Et je m’isole dans cette cabine sans hublot. Dans le noir pour ne pas voir où je suis et pour ne pas voir dans les miroirs mon visage encore marqué d’acide.

Dans le noir pour me rappeler la cage où je suis mort et né et mort de nouveau.

Mais quand j’éteins, dans le noir qui monte qui monte, il y a ces images et ces voix que j’entends et que je vois comme en synesthésie, qui seront ou seraient si. Si ceci, si cela, et au bout d’un moment je rallume, pour ne plus ni voir ni entendre que ce qui m’entoure physiquement et maintenant. J’ai beau essayer, je n’arrive pas à isoler les informations qui m’arrivent et moi, fils de fortune et saint esprit mortuaire, j’ai peur du noir plus que du jour et je ne dors plus. Et dès le soir du premier jour depuis ma renaissance, j’ai su que le monde autour n’arrangerait rien. Il y avait Reyson et il y avait Rimbau, tous deux veillaient tandis que les autres dormaient dans leurs douleurs. Libre de tout je n’ai rien su leur dire. Le capitaine m’a déserté, il a coulé avec le navire de Pride au large de Dead End. Et depuis la compagnie des autres, qu’ils me craignent ou me respectent juste, m’est un handicap. Tahar Tahgel, chien fou sans morale et sans culpabilité, est agoraphobe.

Trop de monde dans l’espace, trop d’espace dans le monde.

Ces têtes et ces gens sur le pont et dans les couloirs, dans les vergues, à la barre ou aux corvées, tous, ils sont tous fous. Ils ne se rendent pas compte des dimensions qu’ils ont autour d’eux. En l’air, à côté, sous la quille. Le ciel, le large, l’abîme. Moi je vois et je sens tout ça, tout ça bien plus immense que ne le sera jamais le néant qui nous meut tous. J’en salive de malaise, et avant j’aurais réglé ça en asphyxiant mes neurones mais là je ne peux pas, je ne peux plus, ça ne ferait que m’envoyer plus vite au bastingage nourrir les poissons du reste de ma bile comme je nourrissais les vers de la cellule 27 en me déversant pendant l’isolation du niveau moins six.

Oui, il est encore là, lui, encore là et pour longtemps. C’est sans doute de lui que j’ai peur plus que du reste à vrai dire, et je le sens. Mais il n’y a pas grand-chose à ruminer de ce côté et je ne vois pas quoi faire pour m’en abstraire. Il est détruit, enseveli sous des décombres qui ne le laisseront pas tel qu’il est. J’en suis sorti et personne ne m’y remettra jamais. Je n’ai rien à craindre de cet endroit qui ne me soit déjà arrivé, que les souvenirs et les impressions fugaces qui m’en reviennent à la moindre occasion, au moindre instant où l’inconscience prend le dessus. Ne pas penser, ne pas ressasser.

Et rester éveillé. Et ne pas être dans le noir. Et ne pas être près des gens. Et ne pas voir dehors. Et ne pas manger ni boire. Rien de plus facile lors d’une traversée. Que me reste-t-il ? Izya ?

Je ne l’ai pas vue depuis le départ. En plus des nouvelles fraîches du monde et de vêtements pris dans sa nouvelle cabine, Rossignol m’a envoyé l’apprenti remplaçant le médecin exterminé par Kindachi murmurer à ma porte qu’elle était assommée d’antidouleurs. Le contrecoup des hormones paraît-il. D’autres y ont eu droit mais peu à son échelle. La surdose a un prix et peut-être bien m’arrange-t-il. Peut-être bien que le niveau moins six n’est pas ce que je crains le plus, ou peut-être bien que ce n’est pas ce que je crains vraiment. Je devrais aller la voir. Devrais. Tahar Tahgel, paralytique et paralysé.

Lâche.


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Va t’en.
Mais, enfin ? Tu n’as presque rien mangé !
DEGAGE !
T’as raison tiens ! J’me casse ! Ras le bol aussi de jouer les bonniches pour une pirate même pas fichue d’avoir un peu de reconnaissance ! T’as qu’à te démerder !

*Clac*

Me démerder… Si je le pouvais, je ne me serais pas énervée ainsi. Mais la réalité est là, et mon incapacité à bouger aussi. La seule chose que je peux faire, c’est pleurer. Pleurer ma frustration. Pleurer ma douleur. Pleurer ma solitude.

Pourquoi suis-je si seule ?

J’ai mal alors je les ai jeté, un par un. D’abord Lion, inquiet, qui ose me parler d’équipe après ce qu’il a fait à Mizu. Puis les autres, juste inquiet parce que je les ai réveillés la première nuit. Parce que toute l’action des hormones est partie d’un coup et que je me suis retrouvée fasse à l’état réel de mon corps.
Mon corps… qui ne peut plus bouger.

Mais me voilà si seule. Seule pour gérer toutes ces émotions néfastes qui m’envahissent. Et je ne voulais pas qu’ils me voient ainsi. Je ne voulais pas montrer ma faiblesse encore une fois. Alors oui, je suis seule.
Et j’ai peur. Peur de le rester. Peur de l’être à jamais.
Et j’ai mal.

On m’a droguée pour assommer cette douleur et les cris qui sortaient de ma gorge. Cris que je ne pouvais retenir, que je ne pouvais contrôler. Mon corps a totalement implosé. Il m’a totalement abandonné. Et me voici, allongée sur ce lit. Je ne peux me lever, m’assoir ou simplement bouger le bras. Ils sont obligés de me nourrir comme on nourrit un enfant.

Si faible.

Si humiliant.

Je refuse. Je n’ai pu en supporter plus. Et pourtant, j’ai si faim. Mais peu importe. J’ai beau être droguée aux antidouleurs, je ressens toujours ce mal dans mon cœur.

C’est lui qui inonde de larmes mes joues. Lui qui m’oblige à rester seule dans cette chambre et à rejeter toute présence amicale. Cette fierté mal placée me ronge. Mais je ne peux supporter d’avantage de honte.
Pourquoi…

Pourquoi suis-je la seule dans cet état ?

Pourquoi faut-il que ce soit moi la faible femme de l’histoire ?!

Celle dont on doit s’occuper parce qu’elle est devenue incapable de le faire. Celle qui n’a survécu que grâce à la chance et non grâce à ses capacités !

Je voudrais être loin de tout ceci, que rien de tout cela ne se soit passé. J’ai tout perdu dans cette aventure. Ma joie, ma fierté, mon corps et mes rêves.

Que me reste-t-il désormais ? Mes armes ? Oui, elles sont là, pas loin, mais je ne peux même pas les toucher. Alors quoi ?

Tahar ?

J’aurai aimé. Vraiment. J’aurai voulu qu’il soit là, j’aurai voulu lui parler. Je sais qu’il est au courant de mon état. Comment pourrait-il ne pas l’être avec le bordel que j’ai fait ? Mais non. Il n’est pas venu. Jamais. Surement a-t-il trop honte lui aussi. Trop honte de sa fille si faible qui n’a même pas été fichue de le sauver à la fin. Sa fille qui n’est même plus capable de bouger après cette fuite.

Avant même que je sache qu’il est mon père, je voulais le rendre fier. Je voulais lui montrer comme j’avais grandi et comme j’avais appris grâce à lui.

Mais je n’ai rien pu faire de tout ça. Je n’ai pu lui montrer que ma fragilité.
J’aurai préféré de jamais savoir, ne jamais le revoir.
Je ne suis pas digne de son sang, pas digne de sa force, pas digne d’être sa fille.

Pas digne de vivre.

Les antidouleurs ne sont pas bien loin… Et même si ça fait mal au moment de les attraper, après tout sera plus calme. Et je serai vraiment celle qui n’a pas survécu… Après tout, que me reste-t-il ? Rien. Alors je pourrais les prendre. Pourrais. Izya Tahgel, seule et faible.

Lâche.


Departures [1625] 1425067977-izya-sflagopr Departures [1625] 1465207581-signizya Departures [1625] 1lmh


Dernière édition par Izya le Ven 20 Sep 2013 - 21:43, édité 1 fois
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Et voila, sept ans de malheur.

Tout ça pour un regard de trop. Celui jeté machinalement dans le miroir sur le mur d'en face. Celui qui me rappelle brutalement ce que j'essaye d'oublier depuis que je me suis réveillé avec une manche vide à la place de mon bras. Le nouveau moi et son cortège d'adjectif.

Manchot. Infirme.

-Chef ? Tout va bien ?
...
-Chef ? C'est a propos de... Vous savez ? Il ne sort toujours pas...

Tahar. Et quoi Tahar ? Cloitré lui aussi. Pas foutu d'aller voir la môme qu'on a entendu hurler a s'en briser la voix une nuit durant pendant qu'elle se tordait sur son lit de douleur. Pas foutu d'aller voir sa fille ou de se bouger pour lui ouvrir sa porte quand elle s'est trainé en personne jusqu’à sa chambre. Pour n'importe qui d'autre j'aurais bien un début de solution, mais pour Tahar ? Qu'est ce qui peut bien lui passer par la tête ? Qu'est ce qui peut lui faire peur au point qu'il préfère retourner en cellule que l'affronter.

La peur je connais bien. Plus le temps passe et plus je m'aperçois que j'ai eu peur toute ma vie. Peur de mourir, peur d'échouer, peur de perdre. Je connais cette sensation familière de nœud au fond des tripes, cette main qui te tord le ventre et te scie les jambes, te laissant hagard et tremblotant dans le noir, incapable de faire autre chose que de maudire ton incapacité a surmonter tes angoisses pour agir.

Au sol les éclats de miroir me regardent en rigolant, me renvoyant encore les reflets de cette manche vide et ballante qui s'agite mollement à chaque fois que je remue. Ils rigolent et ils me parlent. Ils disent Hey Red, toi en ce moment tu fais quoi ?

Il me reste une main. C'est bien assez pour attraper quelqu'un et le tirer.

Même lui j’espère.


-C'est moi.
...

Dans mon dos la cloison de bois ne bronche pas quand je m'y adosse avant de me laisser glisser au sol dans le couloir désert. Et je bascule à gauche. Putain de manque. Je me rattrape et j'attends. J'attends qu'il me dise de partir comme il attend que je lui dise de sortir. Et on reste la...

Et je cherche. Lui parler d'elle ? Moi ? L'ex agent si expert en relations humaines qu'un regard en arrière ne me montre que des visages flous, des visages flous et anonymes. Juste des cibles, des ennemis. Lui parler de moi ? De mes erreurs, de mes peur à moi ? De tous ces instants de lâcheté ou je me suis retrouvé comme lui, prostré, vaincu ? Lui parler de lui ? De ce que je crois qu'il est ? Lui donner des conseils ? Lui dire que l'important ce n'est pas de rester debout mais de se relever. Lui dire ça à lui ?

Je ne sais pas.

Ou alors. Cracher à voix haute ce qui plane dans l'air et qui à un parfum de dégout et d'amertume.

-Alors Tahar, ça fait quoi d’être humain ?


Dernière édition par Red le Ven 20 Sep 2013 - 15:27, édité 1 fois
    Humain…

    Je ne connais pas ce mot-l…

    Cette fois le mordant reste dans ma gorge, il reste même plus bas, comme un murmure dans mes pensées aussi. Il est sorti dans les sous-sols d’Impel Down. Il est sorti quand, au cœur de l’action, il y a eu cet instant de vide où j’ai dû lui faire face. A elle, à Izya. Mon masque, ma barricade.

    Mais là je n’ai pas besoin de me défendre, pas envie, pas l’énergie. La fatigue est trop lourde, trop grande, trop vieille. Red est trop loin derrière la porte, il ne se laisserait pas abuser par mon rictus cynique que le noir a déjà avalé. Red est trop bon à ça, il entendrait juste les intonations de ma voix et il saurait comme il sait déjà.

    Ce que ça fait d’être humain, il expérimente aussi. Son bras, la fille dans les profondeurs, sa vie toute entière.

    Tous sacrifiés. Pour un dessein plus grand, forcément plus grand, mais jamais touché.

    Etre humain…

    Mal, ça fait putain de mal. Voilà. La vérité de base qu’on devrait apprendre aux gosses dès qu’ils naissent. Plutôt que de leur sourire et de leur faire risette et de Oh, c’est qu’il ressemble à son papa.

    Mal, ouais. Vérité de base que moi j’ai apprise quand je suis né dans ce trou là-bas, avec ce père là-bas.

    Vérité brutale, vérité crue.

    Etre humain.

    J’ai bouffé des gens, Corbeau.

    Le verbe acerbe, saccadé. Rauque. Les vieux noms d’avant. Des gonds sautent dans ma tête, la porte implose, défoncée par des… par des sentiments. Je sais ce que c’est, j’en reconnais certains. D’autres passent dans l’ombre, toujours l’ombre. Et le passé ressurgit, se déverse dans la cabine plus violent que la mer au dehors. Passé proche, passé lointain. Je dévale de la couchette. Impel Down, la vérité des profondeurs.

    Vérité crue, vérité brutale.

    Ce que j’y ai fait, ce pour quoi j’y étais.

    La vie du saigneur sans majuscule, meurtrier de bas étage, pilleur de gens biens, violeur même parfois.

    Ce que j’y ai fait, ce pour quoi j’y étais.

    La vie du bon marin qui s’est perdu pour une raison classique d’humain normal, minable.

    La vie du type qui s’est oublié dans trop de femmes pour se rappeler de tous leurs visages.

    Ce que j’y ai fait, ce pour quoi j’y étais.

    La vie du môme mort à dix ans sous les yeux d’un type qui s’en foutait, vie trop pleine de femme déjà. Sans s.

    Et elle me regarde comme si j’étais son dieu.

    Moi, digne fils d’un père indigne. Le fidèle héritier, celui qui a repris le credo familial et l’a déformé, amplifié, sublimé pour en forger un mythe qui terrorise tous les autres enfants du monde, tous les autres mais pas elle.

    Et elle croit devoir me mériter.

    Moi. Tahar Tahgel.


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    Bien sur qu'elle le croit. Tu es son père.

    Tu as vu comment elle s’accrochait à ton sabre ?

    Pense à ça Tahar. Pense à elle plutôt qu'a toi. Elle aussi elle a tout perdu. Elle était libre, elle avait un équipage, elle avait des amis, une famille. Regarde la Tahar, regarde la bien. Tout ce qu'elle possède maintenant c'est à toi qu'elle le doit. Tu lui as mis ton arme dans la main, tu l'as ramenée des enfers, tu lui as donné une nouvelle vie, un nouveau père. Comment veux tu qu'elle te regarde après ça ? Elle n'a plus que toi.

    -C'est une question de survie Tahar. Tu le sais comme je le sais. Tu lui as jeté une bouée et tu peux pas lui demander de la lâcher comme ça. Pas après ce que t'as fait. Et c'est ta chance aussi. Parce qu'elle se fout de notre déprime de vétéran, elle se fout de la cohorte de cadavres qui nous regarde en ricanant et qui nous attendent dés qu'on ferme les yeux. Et si tu la lâches tu vas la détruire. Elle va devenir comme nous avant l'heure. Dure, distante, solitaire.  

    Ou alors elle se trouvera un coin sombre et se taillera les veines dans l’indifférence générale pour arrêter de souffrir. Et la elle aussi elle sera comme nous, froide et morte.

    Je me souviens encore de ce gout de métal froid dans la bouche. Du choc du canon contre mes dents et de ce moment ou j'ai vraiment essayé de presser sur la détente pour en finir. Je suis sur que tu connais Tahar. Je suis sur que de ton coté de la cloison tu as les mêmes images en tête, les mêmes souvenirs. Et je me rappelle de Jenv aussi. Je me souviens de ton regard à Marijoa quand tu étais avec elle et à Orange ensuite quand elle n'était plus la. Je me souviens du type que tu étais à l’époque, avant de lâcher prise pour calmer la souffrance.

    Je sais qu'a ta place j'aurais fait pareil.

    Et je peux pas croire que tu l'ais oublié.

    Rappelle toi Tahar !

    C'est de lui qu'elle a besoin, c'est lui qu'elle a vu en prison la en bas, c'est lui son père.

    C'est toi.

    -C'est ta chance Tahar. Et si tu le fais pas pour toi tu dois le faire pour elle. Parce que putain, c'est ta fille !

    Et j'ai beau ne plus avoir qu'un seul bras, si tu m'obliges à défoncer la porte et a te trainer la bas de force je vais le faire.
      Laisse, elle ne t’a rien fait.

      La porte que je viens d’ouvrir sur ton dos, elle ne t’a rien fait. Alors laisse-la donc et jouons plutôt à un duel de regards comme nous les affectionnons tant. Toi contre la cloison, dos au mur et ta main sur mon bras, et moi encore à moitié dans la nuit de mon antre, dans une nuit que tu n’aimerais pas malgré tes pouvoirs, avec mon bras, le même, sur ta gorge. Déjà vu, hein ? Je sais, ça me fait la même. Trois jours ont passé et la même scène revient encore, juste les visages et les noms qui sont différents. Le public aussi, personne ne nous regarde.

      Les raisons, aussi. Je n’en ai pas vraiment.

      Je t’ai surpris ? Mon empathie à cette fois pris le pas sur la tienne ? C’est la colère en sursaut. Elle m’a fait oublier ma cuisse et maintenant je dois appuyer plus fort sur ta trachée pour me distraire de ma douleur. Ma cuisse, ma cuisse pour sa main… Reyson, dur en affaires. Je digresse, ça m’aide à me calmer, ça m’aide à retenir la rage sourde qui me ronge les tripes dans les limites de mon crâne, à contenir ce haki royal à bout portant comme je sens que tu t’efforces de ne pas répondre du tien, de ne pas venir chatouiller mon sang…

      Ma fille… ?!

      Il n’y a pas de spectateurs et je crache les mots à demi-ton pour ne pas les attirer. Je sais que je débloque, mais j’ai besoin d’évacuer toute cette frustration à être incapable. Et sûrement que tu t’en doutais, et sûrement que c’est pour ça que tu es quand même venu… Parce que depuis le tout début tu es l’alter ego que je ne pourrai pas tuer et qui ne pourra pas me tuer. Quelques points de parcours différents nous ont fait deux vies différentes, mais tout ce qu’il te manque pour être moi c’est somme toute à peine un bras et une fille.

      Je n’appuie pas plus parce que ce serait le signal de la fin de tout, du navire autant que de mes petits soucis d’humain basique, mais je rapproche mon visage du tien, mon œil du tien.  Je grince.

      Tu sais ce que je trouve amusant, là, Red ?

      Et dans un gémissement cette fois je te lâche et je me relâche, et à mon tour d’aller m’adosser à la cloison, celle d’en face. Retour au présent par la douleur, retour à cet amusement à l’effet d’un piment, qui creuse mon ulcère au lieu de me rendre le sourire perdu à Dead End, qui me broie l’intérieur et me rend pâle à défaut de jaune. Retour à ce maintenant où le temps s’égrène, que j’ai tant désiré et qui désormais que je l’ai me rend malade. Chaque instant que je laisse passer devant moi me force à contempler les vingt années que je n’ai pas passées avec elle, me montre comme en miroir la multitude de moments comme celui passé à Scarlet Town qu’il y aurait eu si. Si…

      Toi, ta fleur d’Impel, tu l’as bien lâchée…

      Et c’est très con, parce que je pourrais me dire que rien ne sert de regretter, autant profiter des instants qui viennent. Mais j’ai aussi passé des bons moments à ne rien savoir, et je ne suis pas sûr d’avoir envie de ne pas les avoir vécus, ceux-là. Et ça doit être ça ce qui me fige sur place, ça doit être ça. La culpabilité de ne pas savoir choisir, de ne pas tout regretter. Ne pas être sûr de, moi, la mériter…


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      Putain de merde.

      Corps immobile, corps blessé veut se reposer. Je lui propose le repos éternel contre un peu de souffrance et il n’est même pas fichue de l’attraper. Je souris jaune… Même ça, je n’peux pas le faire. Même ça…

      Et quitte à avoir mal, je regarde de l’autre côté du lit et tente d’attraper Narnak. Lui aussi pourrait m’alléger. Lui aussi pourrait m’apaiser.
      Mais alors que ma main l’effleure, le voilà qui trouve le moyen de tomber par terre. Putain, vive le soutient !
      Maintenant qu'il est là, il est hors de porté, forcement !
      Toujours trop loin. Toujours trop incapable ! Toujours trop faible !

      Et j’enrage encore un peu. J’ai encore souffert pour rien. J’ai envie de frapper pour me vider, mais quand je bouge j’ai mal, et quand j’ai mal j’enrage, et quand j’enrage…
      Bref, je ne m’en sors pas. Je m’apprête à hurler sous le coup de toute cette frustration mais je me retiens. Je ne veux pas qu’ils sachent. Je ne veux pas qu’on m’entende.

      Alors je reste là.
      Silencieuse.
      Vivante, oui. Mais morte dedans.

      Je sais que si je bouge, le cercle reprendra. Si je bouge, mon calme repartira.
      Juste dormir. Voilà ce que je vais faire. Dormir… C’est la seule chose que je peux encore faire. Et attendre aussi. Attendre que le temps me répare et que je puisse enfin me relever de ces épreuves. Ou simplement en finir.

      Alors j’attends.
      J’attends de pouvoir dormir.

      Mais après ces jours passés dans l’inconscience, dormir se révèle une activité difficile.
      Même ça, je ne peux pas…
      Même ça.


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      Attends…

      Je crois bien que je t’aurais laissé faire cette fois. Oui, sans doute. Frapper, laisser passer ta rage à toi aussi sur cette corde sensible que j’ai frappée. Ta fleur, ta raison d’être humain à toi et de te lamenter de ce que ça fait. Ta raison de venir te proposer de me soulager. Je crois bien que je t’aurais laissé faire parce que je le mérite, oui, sans doute. Sinon pour cette seule insulte à ta bonne âme de bon gars, de gars bon, au moins pour toutes les crasses faites aux autres dans tout mon passif de méchant homme et de mauvais père. La sanction d’une vie misérable et méprisable, plus radicale et plus tangible qu’une vie même d’enfermement dans le noir.

      L’exécution, en somme.

      Mais, donc, attends… Tu l’as senti comme moi ?

      Non, je me disais bien… C’est ma réaction que Red a senti, ma concentration soudain absorbée par cette perturbation dans l’environnement. Comme si mon sang ne faisait qu’un tour, littéralement, et s’arrêtait.

      Izya…

      Des images qui pourraient être, des images morbides, trop. Froides et mortes.

      Froides… Et mortes…

      Izya !

      Je regarde Red. Je te regarde, Red.

      Et je t’abandonne et j’abandonne là notre duel avorté. Parce que, malgré le poing noir de haki et de haine, tu compatis. Littéralement à nouveau. Nous souffrons, ensemble. Pas des mêmes choses mais pour les mêmes raisons. D’autres l’auraient su, habitués à partager. Tu l’as su, toi, je parierais. Et moi je commence à le savoir.

      Et quand j’arrive, claudiquant, face à la porte de la cabine de ma… fille, tu es encore là, pour être sûr que je ne me défile pas. Que je vais la voir et qu’elle va me voir. Tu me fixes et si je n’ouvre pas moi-même je présume que la tape que tu enverras sur mon épaule pour m’encourager me brisera la clavicule…


      Elle va bien, elle est juste endormie. Tu restes dehors ?

      Encore égoïste, j’avance dans la pénombre et m’avance jusqu’à surplomber la couchette. Le hublot masqué laisse filtrer un rai de lumière, trop mince pour m’éviter de percuter une lame que je reconnais sans mal, pas assez pour m’empêcher de voir son profil découpé dans les draps. Elle est à un pas de moi, je n’aurais qu’à tendre le bras pour la toucher. Je ne le fais pas, je ramasse plutôt Narnak et m’en sers comme d’une canne pour m’aider à m’asseoir sur la chaise où sont posés ses autres affaires. L’éloigner d’elle, lui qui a presque réussi à prendre ma vie un jour. Ces images froides, ces images mortes.

      Tahar Tahgel et Izya Sélindé, père et fille enfin réunis.

      Enfin, je peux la regarder avec l’illusion qu’elle ne me voit pas, avec l’espoir qu’elle ne me regarde pas. Je peux l’admirer, même par cette obscurité, et prendre le temps de réaliser vraiment qu’elle est autant la chair de ma chair et le fruit de mon sang que la fille de sa mère. Ses pommettes, je les ai déjà vues. C’étaient celles de ma mère. Ses doigts qui dépassent de la couverture, ceux de mon frère étaient pareils… Ma fille. Oui.

      Stupide Tahar, je ne devrais pas avoir besoin de ça pour le savoir. Je n’en ai pas besoin.

      Tu n’en as pas besoin non plus…

      Ma voix me fait peur, je ne pensais pas avoir ouvert la bouche. Plus peur que tout le monde autour dans ce bateau, que j’ai oublié. Plus peur que la mer autour à l’extérieur, que j’ai oubliée. Plus peur que toi. J’ignore si tu as entendu, ta respiration est trop régulière pour bien être celle d’une petite fille endormie, ou celle d’une femme, car tu en es une, endormie. Et je ne sais quoi dire pour rompre le silence qui s’élève, je ne sais pas Izya.

      Et comme tout homme, car j’en suis un, comme je ne sais pas quoi dire face à ma fille qui attend peut-être et je ne sais pas si tu attends, je panique et je mens. Je ne mens pas parce que ce que je dis est contraire à la réalité, je mens parce que je ne me souviens pas assez de la réalité pour dire assurément vrai à son sujet, mais je veux te faire plaisir alors j’invente. J’invente quelque chose qui devrait être bien.

      Elle était jolie, ta mère…  Séléna.


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      J’ai entendu des bruits de pas. Puis une voix. Sa voix.
      Il est finalement venu.

      Pourquoi est-il là ?

      Je ne sais pas, je ne le connais pas.

      Surprise par sa présence, je reste immobile, faisant mine de dormir. Il m’observe, je le sens et je le regarde discrètement. Et puis, le voilà qui parle de ma mère.
      Je ne m’y attends pas alors j’ouvre les yeux, intriguée. Nos regards se croisent un instant, et bien vite, je fuis. Je me rappele ma position, ma honte et je regarde vers ma couchette. Puis je tourne la tête.
      Ses yeux verts me font peur. Que pense-t-il de moi au travers ?

      Je ne sais pas, je ne le connais pas.

      Et, fixant le plafond, je repense à ma mère. J’ai peut être perdu ma mobilité à cause d’Impel, mais ma mémoire est restée intacte. Oui, je me souviens de ce que vous avez dis, toi et Red. Je me souviens que tu ne connaissais même pas son nom, à ma mère, que tu ignorais aussi ma propre existence en tant que ta fille.
      Je me souviens que je suis le fruit d’une histoire d’un soir entre toi et une inconnue. « Séléna, qu’elle s’appelait », hein. Ce sont tes mots, il me semble.
      Alors oui, je te crois quand tu dis qu’elle était jolie. Après tout, elle a fini dans ton lit, non ? A moins que tu ne sois pas regardant sur ce genre de chose… Mais ça…

      Je ne sais pas, je ne te connais pas.

      Et un nouveau silence s’installe. Ma faute, sans doute, je ne sais vraiment pas quoi te répondre. Quoi te dire. Pourtant, bon nombre de question me viennent.

      Pourquoi es-tu venu ?

      As-tu honte de moi ?

      Regrettes-tu de savoir ?

      Préfèrerais-tu que je n’existe pas ?

      Je… Je ne veux pas être un fardeau. Je ne veux pas être un poids. Si mon existence te gêne, dis le et je partirai. La seule chose qui me reste à faire en ce monde est d’aller voir les archives de Loguetown pour savoir plus de chose sur ma mère.

      Ma mère qui est morte.

      Ma mère que je ne verrai jamais.

      Donc si je ne sais pas, ce n'est pas si grave... Je ne la connaîtrai jamais, elle.

      Alors si je te gêne dans ta vie, je préfère encore en finir maintenant. Mes autres parents, ceux qui m’ont élevée, seront surement tristes, mais de toute manière, vu ce qui s’est passé, je ne les reverrai jamais. Ils n’accepteront pas ce que je suis devenue.

      Je le sais, je les connais.

      Toi, par contre, m’accepteras tu ?

      Je ne sais pas, je ne te connais pas.

      Mais si tu ne m’acceptes pas, je comprendrais. Je ne le supporterais pas, mais je comprendrais. Après tout, tu n’as rien demandé à personne. Et pourtant, te voilà père. Mon père.
      Mais tu ne m’as pas désirée, alors je n’ai rien le droit de te demander.

      Tu n’es pas obligé de rester. Je comprendrais.

      Et je tourne encore un peu la tête. C’est la seule défense qui me reste contre ton regard. La seule protection que j’ai pour cacher mes larmes.
      Oui, je comprendrai que tu es honte, que tu ne veuilles pas d’attache, que tu tiennes à ta vie et ta liberté.

      Je comprendrai.
      Mais…

      Reste Tahar. Je t’en supplie, reste. Ne m’abandonne pas, ne me rejette pas. Je ferai des efforts, je me relèverai, je deviendrai digne ! Je te le promets, je ferai tout pour que tu sois fier. Et si je n'y arrive pas, je pourrais toujours revenir en arrière.

      Alors s’il te plait.

      Reste.

      Je ne veux plus être seule.

      Je voudrais tant savoir, j’aimerais tant te connaitre.


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      Dernière édition par Izya le Sam 21 Sep 2013 - 14:22, édité 2 fois
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      Je vais rester

      un peu.

      Jusqu’à ce que tu ailles mieux, oui. Jusqu’à ce que j’aie appris ton nez et ton menton, tes yeux et ta silhouette. Jusqu’à ce que j’arrive à détacher le visage et le regard de ta mère de ce que je vois quand je t’observe pour n’y garder que toi. Tu es à peine plus jeune, plus vieille, que ce qu’elle était à l’époque, tu sais. Ca donne un nouveau vertige, ça lance de nouveau dans la cuisse qui se contracte pour garder l’équilibre sur cette chaise. Et quoi qu’il arrive je ne veux pas que ma mémoire de toi déraille comme celle de Séléna a déraillé avec les années, avec les autres femmes. Alors pour l’instant oui, je vais rester. Arrête de pleurer, je t’entends. Et puis je pense bien, en fait, que

      j’aimerais sans doute qu’on se connaisse

      un jour.

      Tu veux beaucoup sans doute, tu veux me ressembler j’imagine. Il n’y a qu’à voir comme tu tenais Narnak, c’est Red qui l’a dit. Mais moi je n’ai rien à te transmettre que des histoires de morts ou de violence, d’humains qui se déchirent parce qu’ils ne savent rien faire d’autre, et moi je ne suis qu’humain et je n’ai jamais rien su faire d’autre que ça. Je pourrais te parler de ta famille de mon côté, mais ce ne serait pas différent. Même avant de changer de bord, quand tu m’as connu ces deux jours, ma vie n’était déjà que ça. Même avant d’avoir un bord, ma vie n’était que ça. Mais Red avait raison tout du long, notre déprime de vétéran ne t’intéressera pas. Et pour l’heure je ne possède que ça. Alors il faudra que tu aies un peu de patience. Mais ne t’en fais pas, d’ici là,

      je resterai

      toujours.

      Garde la tête tournée si tu le préfères, mais ne crains pas, ne fuis pas mon regard, laisse-le courir sur ton ombre, j’apprends encore. Et sens ma main sur ton bras, sens mes doigts sur ta paume retournée. Vois comme même ta peau abîmée par l’usage que tu en as fait est neuve encore à côté de la mienne, salie du sang de milliers. Sache que je ne peux pas prolonger le contact à cause de ça. Je te ferais mal car tu réaliserais qui je suis et ni moi ni toi ne le supporterions. Sens, et détends-toi, je ne pars pas. Laisse ton cœur toujours sur le qui-vive se reposer, c’est lui qui t’empêche de dormir. Laisse ta vie couler, régulière, de lui vers ton cerveau, de lui vers tes pieds, et endors-toi paisible.

      Car demain je serai toujours là au creux de ta main entre ta ligne de vie et ta ligne de cœur, dans ce petit anneau rouge qui ne partira plus. Ton sang est le mien mais le mien n’est pas le tien. Il restera tel quel sans se mêler à tes veines, t’observera, te gardera, et tu sauras où je suis, où je vais, et si je vais, et si je suis. Il sera ton passeport pour notre prochaine rencontre car il y en aura une, mais aujourd’hui ce n’est pas possible. Dors bien.

      Plus tard…

      tu comprendras

      peut-être.

      Tu comprendras que je ne peux pas, pas maintenant. Le saigneur doit se faire seigneur d’un royaume que tu comprennes, d’une vie que tu comprennes. Et pour ça, je dois comprendre d’abord. Je t’ai apprise, déjà. Tu ne te fondras pas dans la masse des autres, de ceux qui comme toi existent sans doute, ailleurs, sans que je l’aie jamais su. De ceux qui n’attendront peut-être pas vingt ans, de ceux pour lesquels il est peut-être moins tard.

      Dors, dors encore.


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      Laconique jusqu'au bout. Méme acculé dans ses derniers retranchement le Tahar dispense ses mots comme les dernières gouttes d'eau du naufragés. Ouais, il a changé.

      La cloison dans mon dos aussi a changé, pas le reste. J'attends encore une fois derriére une porte fermée que quelque chose s'y joue. J'attends et j'écoute. Parce que je n'ai rien d'autre à faire et surtout aucune envie d'intervenir, parce que c'est un peu moi qui l'ai amené la. Et peut être enfin parce que moi aussi je veux savoir.

      Et je sais.

      Il part.

      La porte s'ouvre et cette fois nous ne disons rien. Elle dort enfin. J'aurais au moins contribué à ça, et ce n'est pas rien. Le pas du Saigneur s'allonge pendant qu'il se diriger vers le pont supérieur, et qu'évidemment je le suis.

      -Alors tu pars ?

      Je veux dire maintenant? Je veux dire sans elle? Je veux dire que j'ai entendu et que je connais les réponses à toutes ces questions. Et que même si je ne suis pas sur d'approuver. Je comprends. Et puis de toute façon, moi je ne suis pas père. Et je me demande si la aussi encore une fois il m'a devancé de peu. Peu probable hélas. Peu probable.

      La nuit du grand large nous appelle dehors. Nous avons quitté Calm Belt depuis plusieurs heures et un vent agréable aux odeurs de sel traverse le pont désert. La seule lumière est celle du barreur, tapi a l’arrière dans sa cabine. Nous sommes seuls et Tahar s'en va.

      Et moi comme toujours, je reste.

      -Tu te souviens ?

      Du QG de West et de la premiére fois ou on s'est retrouvé face à face? Alliés de circonstance douteuses du même coté de l'uniforme. Et de Marijoa? Et du duel sur la plage d'Orange? Tout ça pour se retrouver de nouveau du même coté de la barrière. Dix ans après. A se connaitre mieux que tous ses amis de passage qui ont croisés nos routes. Mon meilleur ennemi. C'est moi ?

      Ou toi ?

      -A la prochaine Tahar.

      Et je lui tends la main.
        Si j’ai changé ? Non, pas vraiment… Je dois changer. Il faut que je change.

        Je ne sais pas en quoi, je ne sais pas en quoi faisant, j’ai quelques idées qui me viennent, qui me sont venues, j’entrevois un avenir qui pourrait aller, un avenir qui n’irait pas. Mais j’ignore ce vers quoi je me tourne.

        Et même si je le savais, je ne saurais pas le dire, preuve que je ne suffirais pas tel que je suis maintenant. Suffire à quoi, je ne sais pas complètement non plus. Suffire à Izya, suffire à moi-même. Laconique, oui. J’ai la gueule, sans doute, j’ai le charisme, s’ils le disent, j’ai la liberté, maintenant je peux me remettre à le croire… Mais je n’ai jamais été un meneur véritable, mais je n’ai jamais compris comment ou pourquoi on me suivait.

        Oui, Il y a eu des hommes que j’ai réussi à fédérer vraiment, avec qui je partageais assez quelque chose pour croire en autre chose de supérieur. Il y a eu Sarah, la première, pour un coq à partager avant de nouvelles souffrances. Il y a eu Rimbau, le premier, avec qui j’ai recréé l’espace d’une soirée la fratrie que j’avais brisée. Il y a eu Lilou avec qui j’aurais pu réparer une maison comme nous avons réparé la Sublime. Il y a eu toi, Red, avec qui j’ai tant fait et tant défait. Au-delà de toutes les autres femmes qui, exceptée Jenv peut-être et encore, n’étaient que des proies ou des cibles ou des sacrifices au vide qui gouvernait ma vie, il y a eu ces quelques-uns.

        Oui, je me souviens…

        Mais les saigneurs, sans majuscules eux non plus, c’est un mystère. Mais les hommes du onzième régiment qui en auraient mérité, eux, des majuscules, mais tous ces gens qui se sont mis à me suivre alors que je ne faisais que tuer pour une raison sans cesse inexistante, je n’ai jamais bien compris. Je ne leur ai jamais promis quoi que ce soit, je ne leur ai jamais fait miroiter un trésor palpable de leurs mains ou de leurs âmes. Il n’y avait jamais derrière nos actions un but atteignable. J’avais des rêves, pour moi, j’avais des envies, pour moi, mais jamais rien n’a concerné une cause commune à laquelle se rallier. Il y avait moi, moi et seulement moi…

        Et puis maintenant il y a elle, il y a toi, Izya.

        Et c’est pour ça, pour elle, que je dois partir…

        Je dois me refaire, je dois refaire vingt sinon quarante ans qui n’ont servi à rien, qui n’ont abouti à rien que des monstres dans le noir sous le matelas ou dans le placard. Tu n’as pas d’enfant, Red, ou tu ne le sais pas, mais tu sais ce qu’est une vie inepte, vide de sens et pleine de vide. Si tu ne le savais pas, tu ne l’aurais pas sacrifiée, elle, la tienne, dans l’espoir qu’elle puisse s’en construire une, sans toi, une vie qui soit pleine de tout. Si tu ne le savais pas, tu insisterais comme et tu me ferais attacher au mât en haut duquel les deux zigues discutent.

        Mais tu ne le fais pas, mais tu sais.

        Que c’est mieux pour elle, que ce sera mieux pour elle. Si je parviens quelque part, si je deviens quelque chose de plus que ce que j’ai passé mon temps à déconstruire. Si je ne lui donne pas l’exemple que j’ai reçu.

        Mais tu entrevois. Mais tu restes. Et tu sauras aviser mieux que moi je ne le saurais, pour elle.

        Et cette fois, tu restes pour toi et par toi. Et cette fois, toi aussi tu es libre. Après la cour martiale, tu as continué à effectuer les basses besognes d’intéressés aux mains trop propres, et les dieux savent que Jenv était la propreté immaculée autant qu’incarnée. A Orange, tu t’es relevé pour continuer à courber l’échine et ce pendant bien dix ans encore avant qu’on ne lise ton nom dans les journaux. D’homme de l’ombre, tu deviens phare. Tu deviens fédérateur à ton tour et sans doute avec plus de légitimé. Toi aussi tu as changé. Finalement.

        Ennemi, ou pas. Alter ego, ou pas. Les rôles sont inversés ce soir.

        Alors on se revoit, oui. Un jour. Comme elle.

        Avec elle, qui sait.

        Je te fais confiance.

        Pour savoir lui expliquer, pour savoir prendre soin d’elle. Comme il faudra, le temps qu’il faudra.

        Pour qu’on se revoie quand il le faudra. Et qu’on discute à nouveau ou qu’on combatte encore. Qu’on se.

        Pour que le cycle reprenne ou pour qu’il s’achève. Pour que tout prenne sa place.

        A bientôt Red.

        A bientôt Izya.


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        Doux sommeil. Calme. Paisible.
        Réparateur.

        Ta présence m’a apaisée. Ton contact m’a rassurée. Tu es là, tu es resté. Encore maintenant, je la sens, ta main. Je la sens dans la mienne, je te sens près de moi. Tu me l’as dis, que tu restais, et tu es là.

        La peur est partie, je suis sereine. Toutes mes angoisses, toute ma frustration, tu les as balayées par ta simple présence. Je me sens mieux. Vraiment. Peut être même que je peux bouger, un peu.

        Juste un peu.

        Juste refermer mes doigts sur ta main.

        Mes doigts, sur ta…

        Rien.

        Réveil brutal. Surprise, j’ouvre les yeux d’un coup et me tourne précipitamment sur l’endroit où tu devrais être. Mais rien. Il n’y a que cette chaise avec mon chapeau et mes lames.

        Tahar ?

        Pas de réponse, je suis à nouveau seule.

        Et j’ai mal, encore. J’ai mal parce que j’ai bougé. Mais j’ai mal sans pour autant hurler.

        Une douleur supportable, bien plus que ton absence.

        Pourquoi n’es-tu pas là ?

        Je te sens près de moi, mais je ne te vois pas. Et quand je me demande où tu es, je sais où je dois aller. Alors j’y vais. Je me lève avec ce corps à peine remit. Ce corps qui tangue et bascule. Il me dit que je ne devrais pas le faire. Pas maintenant. Pas si tôt. Mais je l’ignore et je force. Je l’ignore et j’avance vers cette direction que me dicte mon sang. Mon sang ? Je ne sais pas trop, ça n’a pas d’importance pour l’instant.

        Tout ce que je sais, c’est que tu es par là.

        Alors je serre les dents et me déplace pour t’atteindre. Bien sûr, j’aurai pu juste t'attendre. J’aurai pu me dire que tu ne pouvais pas être loin. Que le bateau n’est pas si grand. Mais… Quelque chose me dit que si, tu es loin. Cette même chose qui me dit que tu es toujours là, près de moi.

        Bien vite et malgré mes souffrances, j’arrive sur le pont. Ce pont qui baigne dans la lumière du soleil matinal. Et sans un mot à qui que ce soit, je cours. Je cours dans la direction que je sais être la bonne. Et je comprends. Je comprends que tu es loin, bien trop loin. Et le navire se termine bien avant la fin du chemin.

        Appuyée sur le garde fou, je regarde l’océan. Je sais que tu es quelque part, là bas. J’aurai juste à aller tout droit pour te retrouver. Juste…
        Mais tu es parti.

        Je dormais, et toi, tu es parti.

        Comme à Scartel Town, comme il y a treize ans.

        Mais cette fois, j’arrive trop tard. Faut croire que je n’ai pas couru assez vite…

        Et me revoilà seule. Seule sur ce pont où il y a tant de gens.

        Et je glisse contre le bois de la rambarde. Et je continus de fixer la mer vers là où tu es. Si loin… Et pourtant…

        Suis-je vraiment seule ?

        Ma main me lance, comme pour me répondre. Je la regarde et je vois ce petit cercle rouge, ce petit cercle de toi. Car c’est toi, n’est-ce pas ? C’est ça qui me guide vers toi. C’est ça qui me dit que tu es là, avec moi. Et je souris, je ris même. Un peu.

        Décidément, je n’arrive pas à te comprendre. Dois-je te suivre ?

        Je le peux. Tu sais que je le peux. J’ai acquis un pouvoir qui me le permet. Mais… Ai-je vraiment la force de l’utiliser ? Je ne sais pas, je n’ai pas essayé depuis l’évasion. Alors je me concentre, je cherche les sensations ressenties. Et, toujours assise au bord de ce navire, je sens ma peau se recouvrir d’écailles. Je sens cette queue apparaitre dans mon dos et des cornes pousser près de mes oreilles. Mes pieds changent aussi, et au bout de mes doigts apparaissent des griffes acérées.

        Je réussis à me transformer, mais ce n’est pas la forme que je désire. Alors je me concentre, encore, et cette fois, mon corps s’allonge. Cette fois, mon cou grandit et ma tête change en même temps que le reste. Sous cette forme, mes ailes ne sont plus. Mais sous cette forme, je peux voler.

        La douleur de mon corps est toujours présente, mais me décrocher du sol pour avancer m’est moins douloureux que marcher. Alors je décolle et me dirige vers ma cabine où Narnak et mes autres affaires m’attendent.

        Puis, je reprends ta direction.

        Car, oui, je peux te suivre.

        Et rien ne m'en empêche…

        Rien ?


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        Dernière édition par Izya le Dim 22 Sep 2013 - 15:56, édité 1 fois
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        Mais il est déjà trop loin. Trop loin pour qu'un dragon encore faible puisse le rejoindre avant de sentir la fatigue l'alourdir pour le précipiter dans la flotte. En mer il n'y a que la mort pour ceux qui le suivent. Et malgré tous ses défauts ce n'est pas ce qu'il veut pour toi.

        Bousculant tout ce qui se trouve sur son passage le dragon surgit sur le pont, ses griffes raclent le pont, sa course folle pulvérise le bastingage pendant qu'elle s'élance dans les airs et que sa queue vient balayer le pont en fauchant tout ce qui s'y trouve. On dirait une flèche qu'on vient de lâcher, toute entière tendue vers son but, vers la cible qu'elle est seule a percevoir tout la bas au delà de l'horizon.

        Une cible qu'elle ne peut pas atteindre.


        Et dont je dois la détourner. Parce qu'il me fait confiance. Et que sans qu'on ait prononcé les mots j'ai accepté de le faire et de m'occuper d'elle au moins pendant un temps. Jusqu'a ce qu'il revienne ou qu'elle puisse l'attendre sans y laisser sa peau.

        Le dragon file dans les airs, prenant de l'altitude et laissant l'équipage regarder bouche bée l'aube qui se reflète sur ses écailles. Elle tournoie comme une plume porté par le vent puis s’oriente et s'éloigne. Faisant preuve d'une légèreté et d'une adresse sans rapport aucun avec sa taille.

        Et j'agis, avant qu'elle ne soit trop loin pour que je l’arrête. Ma main se lève, paume tendue vers elle, noire. Et je tire, tout mon corps tendu pour ne pas me faire arracher du bateau à sa suite. Je tire et nos pouvoirs respectifs font le reste. Le dragon s’arrête en plein ciel comme s'il venait brusquement de percuter un mur invisible, elle remue, grogne, hurle, se secoue. Et revient en arrière, attiré par le trou noir et l'attraction qui surgit de ma main.

        Sa queue laboure les flancs du batiment, ses griffes s'ancrent dans le pont pendant qu'elle tente encore et encore de prendre son essor pour décoller, et je saute pour l'attraper. Pauvre infirme qui tente de maitriser un dragon d'une seule main. Et je l'attrape. Et le temps qu'elle redevienne humaine je suis malmené dans tous les sens, mordu, griffé, mais je la tiens. Je la tiens et je la serre jusqu’à ce qu'elle s’arrête, jusqu’à ce qu'elle se fatigue et se calme assez pour n'avoir pas d'autre choix que m'écouter.

        -Arrête ! Arrête Izya ! Tu dois le laisser partir. Tu dois le laisser partir jusqu’à ce qu'il choisisse de revenir. Sinon ça ne servira a rien, tu iras mourir en mer ou tu le rattraperas et il fuira encore en te laissant derriére lui. Tu dois l'attendre et lui laisser le temps.

        Regard noir plein de frustration et de colère... Elle est impuissante encore une fois, et cette fois c'est de ma faute. J'ai l'habitude.

        -Tu n'as pas que ton père. Ce n'est pas lui qui choisit ce que tu es et ce que tu dois faire. C'est toi. Juste toi. Pense à Impel. Avant que tu ne saches qui il était. Est ce que tu veux vraiment mourir pour le forcer à tourner la tête ?

        Si tu veux je t'accompagnerais à Logue. On ira chercher ta mère, chercher d’où elle venait, chercher ta famille.

        C'est pas une fin Izya, c'est un début.


          Plaquée au sol par cette force que je ne peux affronter, je ne bouge plus et reprends forme humaine. Une fois encore, je ne peux rien faire. Et une fois encore, je ne comprends pas.

          Non, je ne veux pas mourir, et encore moins le forcer à quoi que ce soit. J’essaye juste de comprendre, mais tout me dépasse ! Il me fuit ? Pourquoi ?! Il m’a dit qu’il restait et toi, tu me dis qu’il me fuit ! Et il est parti en me laissant cette marque qui me dit où il est. Alors qu’est ce que je dois comprendre moi ?

          Je ne sais pas.

          J’ai l’impression que le monde me cache des choses, que je dois sans cesse tout examiner moi-même pour avoir les informations. Mes parents adoptifs qui ne m’ont jamais avouée la vérité. Léo qui ne m’a jamais dit ce qu’il pensait. Lion qui a oublié son allégeance sans rien m’expliquer. Et maintenant eux. Tahar qui part mais qui reste en même temps et Red que je ne connais pas et qui me retiens et m’offre son aide.

          Toujours chercher, tout le temps creuser, jamais rien d’expliqué. C’est fatiguant.

          Mais soit, si je n’ai pas d’autre choix, alors je chercherai. Et j’attendrai. Et si tu viens avec moi, Red, je ne serai pas seule et je pourrais avancer. Si tu viens avec moi, peut être pourras-tu m’expliquer et m’aider à comprendre ce que personne ne veut m’apprendre.

          Mais ta simple présence sera déjà bien.

          Parce que je me suis calmée, sa force qui me maintient au sol se relâche me permettant de m’assoir à ses côtés, les yeux rivés sur le sol égratigné par notre lutte.

          Je suis désolée.

          Je ne te connais pas et tu es là à jouer les garde-fous auprès de moi qui ne dois pourtant pas représenter grand-chose pour toi. Alors, oui, je suis désolée pour les coups de griffes, et désolée aussi de t’obliger à prendre soin de moi parce que je ne suis pas capable de le faire moi-même. Je ne te demande rien pourtant, je ne sais pas pourquoi tu le fais. Peut être parce que si ce n’est pas toi, personne ne le fera et que si personne ne le fait…
          Alors oui, désolé. Et merci, aussi.

          Mais tu sais…

          J’espère juste qu’un jour je vous comprendrai.


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          -C'est pas grave.

          C'est le Karma. J'ai la peau dure et l'habitude d'encaisser. Et celle de ne côtoyer que des femmes au caractère souvent un peu trop vif. Ma faute surement. Probable que dans une vie précédente j'ai été très méchant. Ou pas d'ailleurs.

          Je me cale une nouvelle fois dos au bastingage. Une nouvelle fois bien loin de la veille au soir. Dehors, au soleil, face à la mer ouverte plutôt qu'au pied du mur. Et du même coté de la cloison. Un changement agréable, tellement mieux pour parler.

          Surtout quand comme maintenant, je sens qu'on va rester la un moment.

          -La premiére fois que j'ai rencontré ton père, c'était au Quartier général de la marine de West Blue. Y'a vingt ans presque jour pour jour. A l'époque il était juste Caporal et il était aux fers. Il allait être pendu pour avoir déserté et pactisé avec des pirates. Moi j'étais chargé de lui éviter la corde. C'était ma premiére vraie mission d'agent du Cipher Pol. J'étais complétement à cran...

          Je ne suis pas ton père Izya.

          Je ne sais pas si tu vas comprendre.

          Mais on peut essayer.