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Le goût amer de la liberté

La douce brise du soir... Comme elle lui avait manqué. Perché en haut du dernier mât intact du navire, Grey laissait le vent parcourir son visage, entrer dans ses cheveux, et lui rappeler qu'il avait fini par quitter Impel Down. Ca n'avait pas été sans mal d'ailleurs. La prison avait laissé sa marque plus longtemps que prévu. Après que le pirate se soit évanoui, il avait eut une forte poussée de fièvre qui l'avait maintenu alité pendant trois jours. Trois jours. A cause d'une blessure infectée pendant l'évasion. Le Doc' avait certifié qu'à présent il était tiré d'affaire, et que ce ne serait plus qu'un mauvais souvenir. Mais Grey voyait la chose autrement. Pour lui, c'était comme si Impel Down lui avait attrapé le pied quand il était parti, et l'infection était comme une griffure quand la prison avait dû lâcher prise malgré elle. C'était un avertissement. S'il y retournait, il n'y aurait pas d'autre miracle.

Une fois que c'était allé mieux, le jeune homme aux cheveux rouges avait laissé sa place de malade à un autre. Aujourd'hui plus que jamais il ne désirait pas être coincé entre quatre murs. Son idéal même, ça aurait été une forêt. De grands arbres où il aurait pu grimper  et se caler comme il fallait, pour ensuite se laisser aller au calme de la nature. Mais en mer, sur un bateau, c'était impossible. Alors il était monté sur ce qui ressemblait le plus à sa définition d'un arbre et de hauteur. Le mât. Le dernier qui n'avait pas été touché par un boulet de canon. Les autres tenaient encore, mais ils pourraient s'effondrer si trop de poids venait à leur tomber dessus. De là-haut, l'océan s'ouvrait à l'infini, invitant ses voyageurs à avancer, toujours plus loin. La mer jouait la gentille et naïve amie, alors qu'en fait, ce n'était qu'une façon de détourner l'attention de sa vraie nature. Agressive, turbulente, dangereuse... En sachant cela, comment espérer trouver la paix ? Ce qui était certain, c'était que ce soir, Grey ne dormirait pas.


- Ouais !! Réussis !
- Hé hé !
- On s'est tirés !

Trois jours s'étaient écoulés, mais certains fêtaient encore ça. Ils fêtaient... Juste autour de la marque qu'avait laissé l'Amiral quand il avait saisit le mec qui avait perdu son bras. Red qu'ils l'appelaient.

*Bande d'idiots*

Comment les qualifier autrement ? Rien que cette marque d'acide séché mêlé au cratère lors de l'atterrissage de l'Amiral aurait dû les arrêter depuis longtemps. S'être échappés ne signifiait pas la fin des problèmes. Au contraire, ce n'était que le début. Ravager et quitter la plus réputée des prisons, en plus d'avoir noyé un Amiral ? Le Gouvernement ne laisserait pas cet acte impuni. Non. Aucune chance.

En fait, peut-être que les matelots étaient au courant, et ils profitaient du peu de répit dont ils disposaient. Dans ce cas, comment les en blâmer ? Grey, quoi qu'il en soit, n'avait pas le coeur à la fête. Comment pourrait-il ? Jamais il n'avait été aussi près de la mort, et jamais il n'avait autant pris conscience de sa faiblesse.


- Dis, est-ce que c'est normal, que je ne puisse pas me réjouir d'être libre ce soir ?

Cette question, il la posait à celui ou celle qui venait de le rejoindre sur le mât. Car oui, cette personne s'était montrée remarquablement silencieuse. Mais ce soir, Grey avait ses sens particulièrement à l'affût, et rien que de respirer permettait au pirate de sentir une présence.
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J’ai eu du mal à récupérer. J’ai sans doute maudit toutes les saintes vierges du monde pendant des heures dans mon sommeil. Mais après deux jours de récupération, j’ai pu me relever.

On est libres. On est allé croupir dans l’entrejambe de l’enfer et on en est revenu. Et maintenant ?

Ouais, là bas, à l’intérieur, une fois l’opération lancée, j’avais plus à réfléchir, plus à me reprocher mes erreurs et mes mauvais choix. Là maintenant, faut que je pense. À mon futur de type recherché, à mon fils que je connais pas et qui me hait par procuration. Les temps sont durs pour les échappés. Tahar me contredirait pas. En même temps depuis mon réveil j’ai pas encore pu admirer sa belle gueule de grabataire brisé.

Je le vois, là haut. Le jeune, celui à qui j’ai sauvé la peau sans raison et qui me l’a apparemment rendu par pure politesse. Sacré bonhomme, à son âge j’aurais sans doute fini un trou dans le bide bien plus tôt.

« L’excitation est retombée, maintenant tu te rends compte de ce que t’as fait en nous suivant. »


Ouais, le temps des regrets est peut être arrivé. Moi tout ce que je sais c’est qu’enfermé je pouvais plus écrire, plus observer la nature, plus me nourrir d’une substance invisible pour la transformer en encre ordonnée.
C’est sûr petit, notre vie elle était pas folichonne mais maintenant va falloir assumer, c’est tout ce qui nous reste. Que tu sois seul ou en bande, à partir d’aujourd’hui c’est une méfiance permanente que tu devras garder.

Je regarde mes mains. Elles sont libres de faire ce qu’elles veulent. Je laisse quelques feuilles s’échapper de mes doigts. On peut penser que j’ai gagné un fabuleux pouvoir, mais c’est surtout mon âme que j’ai contaminée.

Le gosse paraît abattu. Pourquoi est-ce que je ressens un élan de compassion ? Je dois me faire vieux, ce sont sans doute les quelques cheveux blancs qui clairsemeront bientôt mon crâne qui me rendent faible à l’intérieur, qui comblent ce vide qui m’a pourtant toujours habité.

« Laisse les tromper le désespoir comme ils peuvent. »

Long silence. Il me regarde, doit sans doute se demander pourquoi je suis monté avec lui. Je vais pas te répondre. Pas simplement parce que j’en ai pas envie, mais aussi parce que je crois pas le savoir moi même.

« C’est quoi ton nom garçon ? Que je sache qui a sauvé ma putain de vie. »


Dernière édition par Rimbau D. Layr le Dim 6 Oct 2013 - 23:54, édité 1 fois
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- Jm'appelle Grey... Et je t'ai sauvé autant que toi tu l'as fait j'te rappelle. On fait une équipe pas trop mauvaise, ahah.

Mais le rire sonnait faux. Il était sans joie. Oui, quelqu'un avait rejoint le jeune pirate, mais son coeur n'en était pas plus léger pour autant. Comment faire, dans ce cas, pour trouver un peu de quiétude sur l'océan noir d'encre ? Boire, comme les autres ? Non. S'il avait été avec ses compagnons Bloody Sorrow, peut-être se serait-il laissé aller. Enfin, encore aurait-il fallu que Drogo et Galowyr lui laissent de quoi faire ! De toute façon, ça aurait fini en bordel, quoi qu'il en soit. Ca, ça lui mettait du baume au coeur ! Se remémorer le temps paisible sur North Blue. Mais ça ne durait pas bien longtemps, comme à Impel Down. Parce que ses compagnons étaient en danger. Et Grey ne pouvait rien faire pour eux.

- Tu sais, ce n'est pas comme si j'avais eu le choix. De vous suivre. Qu'est-ce que j'aurais pu faire d'autre ? Rester sur place, alors que la prison avait ses portes grandes ouvertes ?

Ouvertes. Ou défoncées. Mais ça, c'était un détail. L'important, c'était d'avoir pu les franchir.

- Non, hein ?

Silence. Sauf pour les mecs en bas, toujours en train de boire. Oui, si les camarades de Grey avaient été là, ils seraient sûrement en bas eux aussi. Aoï essayerait de se saouler, Maka, voudrait l'en empêcher, et tout le monde rirait.

- Tu sais, en cellule, j'arrêtais pas d'espérer, même si je savais que ça servait à rien. Je voulais croire fort que j'pourrais un jour sortir, et profiter de la vie à nouveau. J'pensais vraiment que j'en sortirais jamais après tout. Mais je n'avais jamais pensé aux conséquences, à... ce que ça voulait dire de sortir en vie de là.

Et maintenant, il le savait. Il le réalisait. Comme tout le monde, et ils buvaient. Pour oublier demain ? Ou pour oublier qu'ils buvaient ? On pouvait toujours se demander, avec les buveurs.

*C'est demain matin que la réalité les frappera de nouveau.*

- Et ce soir, je suis libre. Aussi libre qu'un mec avec la Marine aux trousses en tout cas. Je veux dire, j'étais déjà recherché, mais là, ils ne lanceront plus leurs petits navires de soldats. Ils vont envoyer du lourd. Je sais que mon équipage est quelque part sur Grand Line. Et si la Marine envoyait des types comme l'Amiral, histoire d'en finir avec tout ce qui relie les Evadés d'Impel Down ?

Cette pensée ne quittait pas Grey. Que ses amis puissent courir un danger encore plus grand qu'en temps normal, à cause de lui. Déjà qu'il avait probablement lancé un Commodore à leurs trousses. Peut-être qu'en restant à Impel Down, il aurait fait moins de dégâts.
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Pas étonnant qu’il soit tracassé. Se mettre le monde à dos à même pas vingt balais ça doit effrayer son for intérieur. Je sais pas si t’en as perdu des choses en mer, et ça me regarde pas, mais la mélancolie c’est jamais ce qui te fera avancer. Je sais de quoi je parle, elle a été ma meilleure amie pendant à peu près autant d’années que toi t’as vécu. Mais je me soigne, j’essaye de marcher sans oublier. Je suis pas encore un vieux croulant, mais dans mon âme c’est plusieurs vies qui se sont déjà consumées.

« Suis moi. »


Je saute bien haut dans le vide, attend quelques secondes le temps de sentir mon cœur remonter un peu, puis je me déploie. Alors que je repasse près du mât, le gamin se retrouve sur moi et on se laisse planer dans la nuit, on sent le souffle de l’océan fouetter nos visages éprouvés.

« Tu sens ce vent ? »


Je reviens au point de départ, me surprenant quant à la nouvelle maîtrise de mon engin, et me pose au même endroit.

« Tant que tu pourras ressentir ce genre de choses, tu seras jamais complètement perdu. »


Certains sont déjà détruits Grey, mais même moi je sais que ces stimuli je peux encore en profiter. T’as beau avoir peur, si tu te laisses guider par ta propre plume t’auras déjà tout gagné.


Dernière édition par Rimbau D. Layr le Dim 6 Oct 2013 - 23:53, édité 1 fois
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Deux fois en quelques jours que Grey planait sur le Paper Man. Il avait amélioré sa maîtrise du vol plané, ça se ressentait. Comme le calme d'une douce nuit en mer. L'air frais aussi se ressentait,  celui de la liberté. La vraie liberté. Pas celle qui au final était bardée de contraintes, de responsabilités, de conséquences. La liberté qui se vivait sur l'instant. De retour sur la mât, Grey n'était plus aussi dépressif qu'avant. Ses soucis n'étaient pas partis, sa vie n'était pas devenue meilleure non plus. Fondamentalement, aucune différence physique. Mais mentalement... Il avait été rassuré. Ses problèmes, il les prenait avec du recul. Oui, il y avait encore des choses sur lesquelles s'inquiéter, mais tout n'était pas si noir. Ses compagnons Bloody auraient peut-être des Marine aux trousses, mais Grey lui-même n'avait-il pas prévenu un Commodore que son équipage ne se ferait pas si facilement attraper ? Il en était sûr, ils sauraient gérer ça, d'une façon ou d'une autre. Et quand il les retrouverait, ils seraient invincibles ! Car le pirate ne comptait pas se tourner les pouces ! Il ne pouvait pas être le seul à rester sans progresser ! Alors, pour eux, il deviendrait plus fort ! Et dès que possible, il les rejoindrait !

- Merci, Rimbau.

Oui, il connaissait le nom du Paper Man. Le Doc le lui avait donné pendant qu'il était alité, pour le tenir au courant du type qu'il avait sauvé de la noyade. Les mecs en bas avaient fini de boire, ils partaient se coucher, pendant que d'autres, peu nombreux, surveillaient la mer. Grey pensa à ce qu'il devrait faire demain. Vérifier que les derniers canons étaient encore en état de fonctionner, et qu'il y avait assez de matériel pour s'en servir.

- Tiens... C'est...

Il se faisait discret, comme s'il fusionnait avec les ombres, mais la vue du pirate était bonne la nuit. Grâce à des années en forêt, il avait aiguisé ses sens.

- Tahar ! On dirait qu'il s'en va... Mais pourquoi, il faut le retenir ! Il n'est pas en état !

Grey s'était levé d'un bond, prêt à aller à la rencontre du vieux pirate, mais apparemment, il ne valait mieux pas. Puisqu'on l'agrippait.
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« Laisse le. »

Ma main robuste agrippe son bras.

« Il a pas besoin de nous pour son prochain combat. Pas besoin de moi. »

Je lui parle autant à lui qu’à moi. Mais je sais que j’ai raison. Dans les yeux de mon ami, j’ai pas vu de la reconnaissance ou de la combativité. J’ai juste aperçu une lueur de vide, la même qui continuera de m’emplir quand je me laisserai à nouveau abattre. Non mon garçon, son avenir proche il est pas à nos côtés.

« Je le reverrai sans doute un jour, peut être toi aussi. Mais pas dans cet état. »


Mon ton se grave et ma voix se noue quelque peu. Ce soir j’ai le temps de me laisser abattre. Mais à quoi bon ?  Je n’ai pas encore réalisé avec exactitude ce qui se passe dehors. Je ne sais pas encore que mon relatif anonymat n’est pas passé à la postérité, que ce sont huit zéros qui courent à présent derrière mes jambes lasses.

Est-ce qu’on deviendra de grands hommes ? Est-ce que nos chemins ténébreux inspireront des balades aux trouvères du futur ? Ce serait la farce ultime, que nos noms partent à l’assaut des siècles.


Comme un oiseau
Naître au sommet d’un monde
Un oiseau
Qui attend son envol
Un oiseau
Qui glisse sur ses larmes
Un oiseau
Qui aime en chantonnant
Un oiseau
Qui perd ses êtres chers
Un oiseau
Qui pleure et qui espère
Un oiseau
Qui revient sur la scène
Un oiseau
Qui reste pur et droit
Un oiseau
Qui cherche un autre part
Un oiseau
Qui trouve sa mémoire
Un oiseau
Qui voit ce qu’on attend
Un oiseau
Qui rend son tablier
Un oiseau
Qui chute en souriant
Un oiseau
Qui meurt comme un vieux cerf.



«  Dis moi Grey, tu penses lui donner quelle direction à ton existence ? »
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Grey ne s'en était pas encore aperçu jusque là, peut-être parce qu'il n'avait pas bien regardé. Mais en croisant le regard de Rimbau quand ce dernier lui avait attrapé le bras, il y avait lu plus de choses que sa voix n'en laissait paraître. Grey s'était beaucoup plaint de ses problèmes, il n'avait cependant pas pris en considération qu'il n'était pas le seul à avoir des soucis. Rimbau, lui, avait l'air d'avoir une profonde solitude. Et elle était liée à Tahar. Il le connaissait bien mieux que Grey. La preuve, il avait tout de suite compris que le vieux loup de mer devait poursuivre sa route seul, quelque soit son état, physique ou psychologique. Et ça, ça lui faisait mal à Rimbau. D'être laissé derrière. Grey aussi était seul sur ce bateau. L'unique pirate qu'il connaissait venait de prendre une chaloupe et partir. Et ils ne s'étaient pas parlés.

- Mon existence...

Il y avait peu encore, il n'aurait pas su quoi répondre. Parce qu'il ne voyait plus de futur, entre quatre murs sous l'océan. Et ils avaient pu en sortir, mais ça avait été si soudain. Trop rapide même. Pas vraiment le temps de comprendre. A présent, Grey commençait à s'en remettre, et on lui demandait déjà quoi prévoir pour la suite. Si Rimbau n'était pas monté sur le mât, le jeune pirate n'aurait pas su quoi répondre si un autre lui avait posé la question. En le réconfortant, il pouvait bien lui dire, à lui.

- Je pense... que je vais faire en sorte de rester en vie pour l'instant. Je t'ai dit que j'avais des compagnons, quelque part en mer. Alors maintenant, je lirai attentivement le journal, pour avoir de leurs nouvelles. Et quand je saurai où ils sont, j'irai les rejoindre.

Mais Grey ne s'imaginait pas que ce serait aussi facile. Depuis Impel Down, il l'avait compris, rien n'était facile. Il avait aussi compris que la force permettait de réduire les barrières entre ce qu'on voulait, et ce qu'on pouvait faire.

- Et je vais devenir plus fort. J'ai l'impression de n'avoir rien fait d'autre que courir et fuir depuis que je suis sur Grand Line. Je ne peux pas être un boulet pour les autres. Donc je suppose que ce ne sera pas pour tout de suite mes retrouvailles...

Il aurait pu s'arrêter là, et regarder les reflets de la lune sur l'eau. Mais il avait compris qu'il n'était pas unique. A avoir des ennuis, des doutes, et un possible avenir.

- Et toi ? Tu vas faire quoi ?
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Je pourrais lui dire que je vais replonger dans mon obsession envers une défunte. Que le souffle de sa respiration continuera de m’envelopper comme une douce brise un matin de printemps. Que l’arme à ma ceinture a bien plus de signification qu’un simple pétard de foire. Que l’âme de Marisa que j’ai si souvent pourchassé me fuira encore et encore, que je m’égarerai dans une brume indistincte, où un seul murmure me pétrifiera d’effroi.
Mais je ne peux rien garantir, car j’ignore tout de mon avenir.

«  Je crois que j’ai quelque chose pour toi. »

Je pourrais lui dire que je vais attendre le juste courroux de mon fils. Que cet être dont j’ignorais l’existence me pourchassera et que je ne chercherai pas le pardon. Que ma pénitence il la choisira lui même, il la taillera dans ma chair ou dans mes larmes. Que mon instinct paternel me poussera à le protéger, à faire un peu de place dans l’immense vide qui habite encore le cristal ébréché de mon esprit.
Mais je ne peux rien garantir, car j’ignore tout de mon avenir.

« Je crois que je peux faire ça. Ne bouge pas, ma main ne te veut pas de mal. »

Je pourrais lui dire que je vais partir à la poursuite du seul vrai ami que j’ai jamais eu. Que cette illusion de fraternité me guidera encore alors que nous nous connaissons si peu. Que cet enfer que j’ai traversé pour le rejoindre forgera nos os et nous emmènera aux confins du monde, là où mon art se déversera sans contraintes. Qu’il me sourira pour me rassurer, pour m’assurer que dans ce monde je ne suis pas seul, que je ne serai plus jamais seul.
Mais je ne peux rien garantir, car j’ignore tout de mon avenir.

«  Voilà, ça devrait être bon, c’est la première fois que je fais ça. Tiens, prends ce papier. »

Je pourrais lui dire que je vais errer à travers les âges. Que je me nourrirai de mes pensées et de mes écrits, et que cette ombre qui me cache me poussera à voyager aux quatre coins des mers. Que cette épopée se finira dans le sang, traqué par des hommes avides, jugé par une famille sans compassion. Que sur mes cendres certains ramasseront quelques feuillets, et que mon désespoir captivera une génération sans repères véritables.
Mais je ne peux rien garantir, car j’ignore tout de mon avenir.

«  Avec cette carte, tu sauras où je suis. Si tu as besoin de moi, tu pourras me trouver. J’en ai aussi une. Si tu es en danger et que je peux me le permettre, nous nous reverrons mon garçon. »

Je me lève pour descendre du mât, continuer mon chemin alors que la côte est proche. Oh, je n’ai pas répondu à ta question, c’est vrai. Il me reste encore une certitude.


« Ce que je vais faire ? Je crois que je vais essayer d’apprendre à vivre. »
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