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Des mots et des idéaux.


Les docks, une brume timide qui atténue la lumière des torches qui en éclairent les pavés. Pas d’étoiles ce soir, ni de vagues, juste la tranquillité de la baie de Navarone. Ce silence qu’on peut qualifier de calme, lorsqu’on l’écoute sincèrement. Sur Grand Line, et je l’ai appris à la longue, il y a bien deux types de tranquillité. Celle du guerrier, celle où on ne dort pas vraiment, où on ne fait qu’attendre le prochain combat, la prochaine tempête, la prochaine crise de colère. Cette tranquillité là, elle est éphémère, friable, faible et trop facile à perdre. Mais la tranquillité dans laquelle baigne la plus imposante base de la Marine est d’un tout autre calibre. Elle parle à chaque homme, chaque femme, elle leur susurre des rêves de tendresse et de sécurité. Une tranquillité qui permet de passer une vraie nuit sans inquiétude, de quoi rasséréner même le plus rustre des navigateurs. Certain marins sont peut-être insensibles à ce genre de fluctuation de l’ambiance, mais je ne suis pas de ceux là.

J’ai bien une ouïe supérieure à la moyenne, et elle me permet bien de détecter quand le calme et le silence s’harmonisent pour entonner une mélodie qui déverse un linceul d’aise sur les environs. Quand les seuls sons réellement perceptibles sont les soupirs de bonheur et les ronflements profonds. Assis sur la rambarde du Léviathan, près d’une lanterne dont la lucarne est entrouverte, je goûte ce calme avec respect, une cigarette à la commissure des lèvres.

J’ouvre une main pour laisser les restes calcinés d’une lettre prendre leur envol dans le ciel nocturne, braises emportant avec eux les derniers écrits d’un traître.

Smile s’est tiré, et avec le fruit du démon. Rien que ça. Comme si me fendre en quatre pour discipliner les nouvelles recrues n’est pas assez, il faut en plus que je me tape le rapport de désertion, l’explication pathétique au Vice-amiral et l’envoie d’une trentaine d’hommes à ses trousses. C’est bien la seule raison pour laquelle je suis toujours éveillé, le rapport tout juste rempli, les explications données au bureau du responsable, une chape de plomb bien trop lourde sur les épaules pour vraiment avoir la tête à dormir.  

Personne sur le pont, encore moins sur les docks. Juste ce bon vieux Dark pour me tenir compagnie tandis que j’écoute la nuit raconter ses aventures dans le silence le plus total. Mais je ne serai bientôt plus seul. J’entends ses pas qui se veulent silencieux gravir les marches menant au premier pont. J’ai construit ce bateau, j’en connais chaque planche, chaque vis, chaque boulon, chaque couloir, ces connaissances mélangées à une ouïe surdéveloppée ainsi qu’un odorat canin m’empêchent de me tromper quant à la personne s’approchant.

-Lieutenante Porteflamme.

Elle est là, derrière moi, dans la pénombre. J’expire une bouffée de cigarette, puis me détourne de la baie de Navarone, toujours assis sur la rambarde du monstrueux navire. C'est drôle, simplement la savoir tout près m'arrache ce même sourire narquois que j'ai eu pour elle le jour du recrutement.

-Étonnée de voir que je t’ai quand même recruté, hein?


Dernière édition par Oswald Jenkins le Dim 12 Jan 2014 - 22:21, édité 1 fois
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-Non, pas vraiment.

J'ai lâché ça sans réfléchir, debout sur le pont. Oups. On dirait que j'ai pris l'entrée en matière de Jenkins pour une attaque personnelle, c'est jamais franchement engageant de se faire aborder par un type qui vous tourne le dos. Bon, on souffle un coup, et on rattrape. J'vois bien qu'il tire une drôle de gueule (encore que, ça change pas des masses de d'habitude), alors j'le mire droit dans les yeux. Dans l'œil. L'autre est absorbé dans sa moitié de face bouffée par la nuit, y'a juste un éclat jaune qui brille. Flippant.

-Andermann m'avait dit que c'était conclu d'avance. Sauf votre respect, mon commodore.

Je l'aime bien, ce « sauf votre respect ». Deux fois que je le lui balance en pas quarante-huit heures pour faire passer crème des vérités qu'ont une gueule de rébellion dans l'armée. Pas le droit d'être sincère, d'exprimer la moitié de ce que t'as dans la tête, ou le quart de ce qui pulse dans ton cœur à t'en faire péter les ventricules. Alors t'en racontes le minimum quand tu t'es pas tout à fait résigné à fermer ta gueule. Merde. Je vais passer des mois, peut-être des années à bord du Léviathan, si je commence à mentir à tour de bras pour coller à mon rôle de petit soldat, je vais éclater. Puis j'ai juré que j'y mettrais un peu de bonne volonté. A bord d'un bateau, je sais pas comment ça se passe les mutations. Mais de toutes façons, j'ai dit que j'essayerai d'arrêter.

Et non, désolée, le manque de franchise, ça sert la convention et le prestige de l'uniforme ; pas les valeurs que le commodore avait l'air de vouloir plus ou moins défendre.

A condition que ça ait pas été que de l'esbroufe, comme j'ai tendance à le penser. Faut avouer.

Tu sais pourquoi je suis venue, Jenkins. J'veux savoir qui est mon nouveau chef. J'y ai pas été invitée, tu m'as pas dit de dégager. Alors maintenant, tu te débarrasseras plus de moi avant que j'ai eu mes réponses. Mais t'en fais pas, j'suis pas si terrible que j'en ai l'air ; pas si terrible que mon dossier le dit. J'veux bien faire. J'te promets que c'est vrai. C'est le monde qui me rattrape à chaque fois, c'est Satan qui s'attache à ma jambe avec sa fourche.

Je marche dans l'ombre du malin,
Du soir au matin...


J'sais. C'est moi, le malin.

-Mais puisque vous saviez pas que je savais, je comprends mieux les épreuves de l'autre jour. Je pensais que vous vous moquiez de moi.

Je sais, je sais, me regarde pas comme ça. Un bon soldat n'admet jamais qu'il pense devant un supérieur. Mais je te teste. Voir si Andermann a un peu compris qui j'étais, ou si je me suis bel et bien plantée sur son compte.


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Quand je détaille sa silhouette bravache dans la pénombre, je ne peux m’empêcher de réaliser avec une pointe de frustration que je ne pige rien à sa façon de penser. Je ne comprends pas ce qu’elle attend, là. Que je lui explique pourquoi elle se trouve sur ce navire? Que je lui refasse le discours d’hier? Que je lui montre que j’ai l’étoffe d’être son capitaine? Ce n’est pas clair, et c’est pourtant ce qui fait qu’elle me semble spéciale. Cette Serena… elle a quelque chose de plus que les autres. Non elle n’a pas un afro bleu, non elle n’est pas une ange aveugle, non elle n’a pas un sourire infatigable. Elle n’a pas l’air d’un monstre non plus, elle n’a pas de maladie d’ostéogénèse défaillante non plus. Alors, outre le fait qu’elle a l’attitude d’une adolescente rebelle, qu’est-ce qu’elle a de plus que toutes ces autres recrues?

Qui es-tu réellement, Serena?

Je souffle une bouffée de cigarette, puis quitte la rambarde d’un petit saut. Je saisi la lanterne, puis m’approche d’elle. Arrivé à sa hauteur, je tire du pied deux caisses qui traînent au sol et m’assoit sur l’une d’elle. Je dépose la lanterne, puis remonte un peu mon manteau sur mes épaules.

Silence. Nouvelle bouffée.

-Alors…

Alors. Si tu t’assoyais? Alors, si tu cessais de jouer à la louve effarouchée? Alors, si tu essayais juste un instant de me donner l’impression que « Rhinos Storms » est plus qu’un simple mot pour toi.

-Pas plus tard qu’hier, j’ai parlé à un nouveau ici. T’as dû en entendre parler, il s’appelle Oliver Queen, un drôle de phénomène, et c’est moi qui le dit. Il avait une sacrée difficulté à s’intégrer comme il fallait par chez nous, pas besoin de préciser qu’il a apprit à la dure. Ce qu’il faut peut-être préciser, cela dit, c’est que je lui ai affirmé qu’il faudrait au moins qu’il en vienne à tuer un membre de cet équipage avant que je n’me résolve à signer ne serait-ce qu’un seul foutu papier de renvoi.

Le calme de ce soir paisible retombe, mes mots se perdent dans la baie de Navarone. Pensif, je termine de calciner ma cigarette avant d’en écraser le mégot sur le pont. Alors Serena, quelle carte vas-tu me jouer, cette fois? Personne n’est ton ennemi, ici. Pas même le monstre avec une sale tronche qui te fait face, assis sur une caisse de bois.

-Maintenant que ça c’est précisé, vide donc ton sac. Qu’est-ce que tu penses de ton énergumène de capitaine? Est-ce que ça t’intéresse vraiment de rejoindre les Storms? Vide donc ton sac, la nuit est longue, tu sais.

Sourire. Pas un narquois, cette fois. Juste un petit sourire, gentil, comme ça.

Le sourire de quelqu’un qui aime son boulot, aussi ardu celui-là puisse-t-il être.
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-Mmh...

J'en attendais pas tant. Les lèvres de Jenkins s'étirent dans un sourire à la lueur des torches. Pas inquiétant. Il a rien pour lui, ni la gueule, ni la réputation, mais sur le coup, j'peine pas à passer outre.

Bon, d'accord, j'apprécie pas des masses la comparaison avec Queen. Lui et moi, c'est pas la même. La preuve, il est monté en grade, et il a pas fini... y'en a pour lui faire confiance, et pour cause. Les valeurs de la Mouette, il y croit. Comme tout le monde. Sauf moi. Et toi aussi, tu y crois, mon Commodore. T'y peux rien, c'est comme ça, y'a un gouffre entre nous.

Et je t'envie, putain. Comme j'envie Queen d'être toujours un môme. Ses emmerdes avec la hiérarchie, c'est ça. Non, t'inquiète, il butera jamais personne. J'aimerai tellement pouvoir en dire autant, et le jurer sur tout ce qu'il y a de plus sacré...

Mais ça fait longtemps que je jure plus. Pour pas trahir, c'est pire que de refuser le serment. Un peu d'indétermination et de peur du vide, ça vaut mieux que le grand élan et le grand basculement dans l'abysse du mensonge.

-J'vous connais pas, mon commodore. J'pense rien sur vous.

J'mens pas, d'ailleurs. L'autre jour, j'en pensais des trucs. Tout un tas, avec des « merdes » et des « chier » dedans. Mais j'pensais qu'il savait que j'savais, tout ça. Un autre temps. Y'a pas mal de mes réserves qui tiennent plus, et j'sais l'accepter. J'ai des défauts. Mais j'ai toujours su reconnaître mes erreurs. Au moins depuis le jour du premier meurtre.

Les assumer, c'est ce qui est le plus dur.

-Et pour être honnête, j''ai pas demandé à rejoindre les Storms. C'est une idée du vice-amiral.

C'est vrai aussi, mais j'commence à être pas si fâchée de l'aventure. Déjà, j'baisse un peu ma garde. J'me pose en face de lui. J'le regarde dans les yeux. Dans son œil clair, en fait, l'autre m'inspire pas confiance. L'espace d'un instant, je me demande s'il arrive vraiment que le côté yang de sa trogne de symbole yogi prenne le dessus. D'y penser, j'en ai le frisson qui monte. Dire que j'croyais plus être à ça près.  

-J'ai juste entendu ce que tout le monde raconte pour Drum. On fera souvent la guerre, je crois. J'ai pas peur de ça.

J'ai pas peur de mourir, d'ailleurs. Mon âme est déjà aux côtés de Dieu, qu'il y ait ou non un après. Si je me suis pas flinguée, c'est parce que j'ai pas envie de lui rendre un cœur moins bon que celui qui m'est venu en naissant. J'veux progresser vers la vertu, avoir de vrais objectifs pour y arriver, et jamais perdre de vue cette intuition selon laquelle tout ça vaut la peine. Mais comment est-ce que tu veux que je te dise ça ? Que je veux me battre pour savoir pourquoi je me bats ?

-...

Je pourrais au moins te parler de Joseph, du Grey T., de ma volonté de me souvenir pour pardonner, de pardonner pour pouvoir vivre un peu mieux. Et même plus que ça. Vivre en fille de bien. Arracher le Crack aux Saigneurs, l'aider à bouffer sa haine sans s'étouffer. Est-ce que j'déteste le cosmos ? Ouais, okay, encore. Mais que dans les moments de rage, des moments où j'suis pas moi-même, parce que trop moi-même.

Au fond, j'lui voue un amour sans bornes et j'le reconnais comme une médiation vers Dieu, le cosmos. Dans mes moments de grâce, au moins. Ceux où j'suis vraiment moi-même parce que j'suis plus moi-même.

Ces moments rares qui me font vivre.

-Dites... vous avez déjà pris du plaisir à tuer ?

Oups. J'sais pas d'où elle m'est sortie, celle là. Mais si je pouvais encore rougir, si j'en avais jamais été capable, je crois que je rougirais. Mélange confus entre l'idée de la guerre, le chaos dans lequel j'évolue, la peur que j'ai de sombrer. Bilan total, une coupe nette et franche alors que je pensais dire « désolée, commodore, je tâcherai d'être à la hauteur. Merci. Bonne nuit ». Il se serait pas figé avec sa clope au bout des lèvres, j'aurais cru l'avoir dit.

J'ai les mains glacées, incroyablement glacées. Je souffle dedans, mais elles font que me renvoyer de la buée. Putain. J'ai vraiment du aller trop loin pour que mon corps me le fasse savoir. Fait rare.

Je baisse les yeux.
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Les muscles qui se crispent. La bouche qui s’assèche. La sueur froide qui descend le long de mon échine. Cette boule dans la gorge qui se forme. Ce sont des facteurs, des facteurs qui mettent inconsciemment mon corps en alerte. Déjà le sentiment de peur me prend, comme si, soudain, Il était là, derrière moi, et que son ombre insidieuse approchait avec la lenteur mortelle d’un fauve. Voilà, j’ai peur. J’ai peur, parce que je sais que je vais devoir parler de lui, de Dark.

Et parce qu’il y a des peurs dont on ne peut se débarrasser. Au même titre qu’il y a des sujets qu’on ne peut éviter.

Par quoi commencer… inévitablement il faudra en parler. De lui, de ça, de Dark, du sujet qui fait mal. Aussi bien commencer par l’Asile, oui, l’Asile de Luvneel, là où tout a déboulé, là où cette graine d’horreur s’est épanouie en véritable calamité. Six ans. Six ans à croupir et à maudire le monde dans une cellule, enchaîné comme une bête, muselé et ferré. Je l’ai vécu l’horreur, la dépression, la période sombre, mais pourtant, je ne sais pas s’il faut vraiment commencer par là. Si c’est la bonne approche à avoir avec elle, avec cette femme indéchiffrable qui pose des questions si percutantes, si ébranlantes.

-Par ou commencer…


Tu as peut-être posé une question bien simple Serena, du genre qui pourrait se répondre par « oui » ou par « non » et puis « bonne nuit ». Mais si tu veux vraiment faire partie de cette famille, il te faut savoir, il te faut jauger si j’ai vraiment la trempe du vétéran que je suis. Si ce qu’on dit dans les couloirs de Navarone est vrai… ou bien pire…

-« En 1612, Oswald Jenkins est arrêté par les autorités de Luvneel dans le bâtiment de la Faculté d’Ingénierie Navale de Luvneelgraad après avoir perpétré le meurtre par étranglement d’un membre de son cours. Il est envoyé à l’Asile de Luvneel, sans procès, et pour une durée indéterminée par le gouvernement. »


Silence gêné. Mon regard se perd dans les flammes de la lanterne comme je revois la brochure du journal, l’œil vide, revivant à travers mes propres mots une époque terrible. Toujours cette boule au fond de ma gorge. Par réflexe, je ne peux m’empêcher de jouer avec mes pouces, comme pour chasser mon stress.

-J’imagine que c’est bien la première fois où j’ai tué par plaisir.


Mon ton est amer, mon regard, vide.

-Et le pire avec tout ça, c’est que j’ai beau le regretter aujourd’hui, je sais que si j’avais à le refaire, là, tout de suite, j’y prendrais autant de plaisir que cette fois, à Luvneel.

Un froid s’installe, d’une seule bourrasque qui chasse même la flamme de la lanterne. Le noir recouvre le pont un seul instant, un maigre instant où on ne peut plus apercevoir autre chose que la lueur glauque de mon œil gauche. Un court moment où, soudain, les ombres semblent bien plus effrayantes qu’elles ne le sont vraiment. Un frisson vient même à me parcourir, moi aussi j’ai peur, quand il s’éveille.

J’ai peur qu’il s’éveille, ou quand il s’éveille?

Le brûleur à alcool réanime la flamme de la lanterne, la lumière revient, quoique plus diffuse qu’avant. Elle n’a pas bougé, eh ben, c’est une dure.

-Appelle ça comme tu veux, un sociopathe, un psychopathe, moi, j’appelle ça un monstre. Mais le monstre en question, il fait tout pour mettre son problème au profit de ceux qu’il aime. Pour les protéger.

De deux doigts, je jette ma clope à moitié consumée au sol et l’écrase du talon. Je n’ai plus envie de fumer. Je ne veux pas penser à Alh’, dans ces moments là.

Je lève mes mains, les regarde avec cet air désolé qui me va si mal. Combien d’hommes ces paumes ont-elles broyés? Combien de rêves ces jointures ont-elles écrasés?

-Si tu savais ce que ça fait… De sentir l’impuissance de quelqu’un sous sa poigne, de goûter sa détresse et sa souffrance, de le torturer comme un vulgaire insecte et de savoir qu’au bout de ces effusions de sang, il ne sera plus qu’une pathétique poupée gisante…


La brume devant mes yeux se dissipe comme je réalise ce dont je parle. Elle tremble, mais n’a pas bougé. Mes mains aussi tremblent, elles sont fermées, les jointures en sont blanchies par la force de la poigne. Avec amertume, je réalise qu’un dur frimas s’est installé dans mes doigts qui ont pris la dureté et la froideur du métal. Saleté de pouvoir démoniaque.

-Toi, ça ne sert à rien que je t’épargne. Si t’es là, c’est bien pour savoir à qui t’as à faire. Beaucoup auraient prit leurs jambes à leur coup en apprenant ça. D’autres se seraient fâchés. Mais personne ne comprend, parce qu’il n’y a qu’un Double Face. Un seul être qui veut à la fois le bien et le mal, la vie et la mort, une créature à l’ambivalence mortelle. Certains diraient que je suis le Démon, le Malin, moi je crois plutôt que je suis une victime du Destin.

Mais ça ne m’empêche pas de toujours vouloir le défier.


Ce Destin. Ce salaud qui m’a tout prit en échange de cette partie noire de mon corps. Cette entité abjecte qui, chaque jour, me met au défi, teste ma capacité à lui rire au nez, à survivre malgré tous les obstacles qu’il place sur mon chemin. D’abord, ça a été ce pauvre étudiant qui se moquait de moi, ensuite, ça a été Barry. Barry Le Boucher, un autre psychopathe de l’Asile. Une seconde, une simple seconde sans attention, et je lui sautais à la gorge. Trois minutes. Trois minutes pour que les gardes armés de perches électriques réagissent, mais déjà, c’était terminé. L’efficacité du fauve, la puissance du démon, la cruauté de l’humain, une recette bien dangereuse canalisée en un seul humain qui n’avait jamais rien demandé de tout ça.

-La première fois où j’ai compris que j’avais assassiné un homme de sang-froid, j’ai sombré. Sombré comme jamais on ne peut sombrer. Ma cellule n’était plus une prison, elle était la fosse dans laquelle on me tenait enchaîné aux côtés d’un monstre. J’ai hurlé des nuits et des jours entiers, pour ne plus entendre sa voix obscure me redonner ce goût du sang. J’ai pensé à tous les stratagèmes possibles pour mettre fin à mes jours et libérer le monde de mon fléau. J’ai frappé ma tête contre les murs pour qu’elle en explose. Je me suis mordu comme jamais pour crever d’une hémorragie. J’ai enfoncé ma tête dans un oreiller pour m’y étouffer. J’ai avalé de travers ma nourriture pendant des jours pour m’étouffer et en mourir. J’ai cessé de manger, puis de boire, puis de dormir, puis de penser, puis de vivre.

Et je suis devenu un monstre.


Puis j’ai rencontré un homme.

Plusieurs années après L’Asile. Plusieurs années sombres où je ne savais pas vraiment ce que je savais. Où je vivais sur le bras de la Marine qui m’utilisait comme une arme. J’ai rencontré un homme du nom d’Alheïri Salem Fenyang. Il était le chef d’un grand pays. Un pays où tout le monde est ami, où tout le monde se connait et parle la même langue et tous s’acceptent comme ils sont. Ce pays, c’était le Léviathan. Ensuite, j’ai rencontré une fille, rien de moins, une rousse comme toi, une rousse qui n’avait rien de plus spéciale qu’une autre, si ce n’est cette aura qui fait d’elle la plus merveilleuse femme des océans.

La suite, tu la connais.


Je tends la main vers elle, relève son menton pour lui relever la tête. Et tu sais quoi? Elle ne tremble plus. Tu sais quoi Dark? Tu fais peur, mais pas tant que ça. Car c’est humain d’avoir peur de ce que l’on ne connait pas, de ce que l’on ne comprend pas. Mais moi, j’ai appris à ne plus avoir peur de toi depuis longtemps, ce dont j’ai peur, c’est le résultat des atrocités que l’on peut commettre, toi et moi. Elle aussi, Serena, elle a peur, elle doute, elle craint, elle regrette aussi, je le sais maintenant. Sinon elle serait partie depuis le début de mon discours.

Tout le monde a des démons, il faut simplement savoir les cerner, les amadouer ou les accepter. On ne peut s’en débarrasser ou les vaincre, parce qu’il est impossible de revenir en arrière.
Et ça, ce bon vieux Destin me l’a durement enseigné.

Elle ne tremble plus. Et elle comprend peut-être un peu ce que c’est, que d’être un meurtrier.

-C’est notre boulot de combattre pour une cause. On tue, parfois. Et c’est comme ça. Je ne veux pas mettre quiconque dans le même panier que moi, mais il y a du bon dans mon histoire, j’en suis certain. Sinon, je serais déjà au bout d’une corde depuis longtemps. Si hier, je vous ai tous demandé de me flinguer, c’est parce que je sais que je suis près à mourir pour le bien de ce pays que m’a légué Salem. C’est ça, pour moi, vivre avec mon démon à moi.


La boule dans ma gorge se dénoue un peu. Juste assez pour que je me sente mieux. Bon sang, ces temps-ci j’en fais, des longs discours. Je ris, un peu, mais le cœur n’y est pas :

-Héhé, maintenant, avec tous mes beaux discours, t’as matière à te faire une idée de moi…

Un ange passe. Juste assez longtemps pour que je tire de la poche de mon manteau une nouvelle cigarette, que j’enfonce entre mes lèvres, et à laquelle je mets feu.

-Et toi, Serena, en as-tu, des démons?
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Après le coucher du soleil, il m'est souvent arrivé de trembler. Toujours dans les mêmes circonstances, toujours quand je parle à quelqu'un. Ça commence avec les jambes, puis ça remonte la colonne et ça serre le bas du crâne comme un étau. Je peux le contrôler. Mais ça nuit toujours un peu à ma concentration, et il faut que je me tende, que je me crispe, que je me replie en moi-même. Le fait que tu me balances tant de choses en si peu de temps n'aide pas. C'est tout mon corps qui est glacé. Cette fois c'est certain, j'ai du chopper une crève Grandlinesque. Mais quand tu t'arrêtes enfin, que tu cesses de dépeindre l'horreur de ta condition et de tout ton fardeau, Jenkins, je me sens brutalement passer au chaud. La fièvre ? Une fièvre bizarre, alors. J'ai pas de frissons. Juste mon problème avec les nerfs, et encore, la vague de chaleur dans laquelle je me sens flotter m'a calmée.

Parce que je me sens salement assiégée, d'un coup. T'as tout dit, tout ce que j'aurais pu vouloir savoir. Sauf que j'en demandais pas tant. Maintenant, tu penses que j'vais faire pareil que toi, pour pas me sentir redevable. Mais non, c'est mort, mec, même pas en rêve. Pourquoi j'veux pas ? Pas par caprice. Juste parce que d'une, j'vois pas par quoi j'pourrais commencer ; et d'une autre, j'ai pas envie de m'mettre sur le même plan que toi. Tu m'inspires pas de dégoût, pas de haine, contrairement à ce qui a l'air de te foutre les foies. Juste de l'incompréhension.

J'ai jamais cru au destin. Ni à la maladie mentale.

On est ce que le monde a fait de nous, et ce que nous avons fait du monde. Les deux, et en même temps. Mon regard s'allume.

-Oui, mon commodore.

Je suis lancée. Mais j'ai pas envie de faire dans le mélodrame... parler du frangin, de ma vie de fille des rues, des journées vides et sans espoir. Tout ça, ça sortirait mal. En haché, en résumé, en caricaturé, ça sonnerait pas juste. Et je pourrais pas supporter de trahir mon existence en essayant d'en parler.

Alors, j'réponds plutôt à ma propre question.

-Moi aussi, j'ai tué. C'est mon absence de nom de famille et le soutien de l'ex-amiral Céldèborde qui ont fait que j'ai pu entrer dans la marine.

Plutôt que d'être traquée comme une criminelle. J'étais connue un peu partout. Mais sous le visage d'une furie rousse anonyme, souvenir de fin de soirée, mauvaise rencontre, bagarreuse détraquée, petite tapin mal payée. Y'a jamais que les meurtres qu'auraient pu me valoir une prime. Mais qui incriminer ? Pas de nom, juste un prénom... souvent pas de souvenir de mon visage. Et puis, pourquoi ? J'ai jamais tué que des semi-malfrats, la raclure des fonds de cale, des gens de mon niveau. Pour ces gens là, on ne sort pas la grande artillerie, personne n'ose aller sonner l'alarme au poste du quartier. Ça se règle en famille, ou ça se règle pas.
Et c'est très bien comme ça. Mon propre châtiment, ma propre potence, je la construit mentalement à chaque nouveau débordement. Depuis la Mouette, c'est plus jamais allé jusque là. Je peux commencer à me pardonner...

-Je sais pas pourquoi. J'ai jamais aimé faire ça. Mais je l'ai fait, pas qu'une fois, et bien avant d'avoir la bénédiction de l'uniforme.

Première fois que tu m'entends parler autrement qu'en réponses mécaniques ? Profites-en, c'est rare. J'sais que c'est moyen crédible que j'parle si bien alors que j'ai pas la tête à faire une phrase compréhensible au-delà des limites d'un terrain de pétanque. Mais c'est comme ça.

-Je peux pas avoir peur de vous, commodore.

Surtout si tu estimes pas être le seul maître à bord. Moi, je le suis. Est-ce que c'est possible de le nier au point de devenir comme toi, de faire de tout ce qu'il y a de pesant passif et d'indifférencié une entité obscure et vivante à part entière ? J'ai la réponse devant moi, je crois. Mais j'sais que tu le vois pas comme ça. Une victime du destin hein ? ... foutues conneries.

-Vous dites que vous êtes un monstre, que vous prenez du plaisir à tuer. C'est la seule différence que je vois entre vous et moi d'après ce que je sais...

Brusque montée de sang au cerveau ? Ça me passe dans les yeux et dans la gorge, j'suis plus tout à fait mesurée. Mes propos filent avant que je les calcule, comme j'en ai pris depuis longtemps l'habitude quand je m'adresse à un supérieur. Ça sort, comme un fil qu'on tire, ça glisse sur la flamme de la lanterne qu'un coup de vent manque d'éteindre de nouveau. Je la protège de la main, et j'ai la surprise de la voir reprendre vie en une fraction de seconde, bien plus forte qu'auparavant. Ma main est brûlante. Je m'inquièterai un peu, si toute cette fièvre ne m'était pas déjà montée au cerveau.

Je crois que je suis malade. Et je peux pas accuser les gâteaux de Barbie, j'ai rien à l'estomac.

-Je crois que j'ai à me battre contre la folie. Je ne vous raconterai pas tout ça dans le détail, commodore, mais vous devez me croire quand je vous dis que j'aurais eu tout ce qui faut pour mal tourner. Pour vouloir détruire la terre entière sans autre volonté que d'exprimer ma propre colère. Même pas par vengeance, la violence est pas assez pensée pour prendre cet aspect là chez moi. Juste par colère. Et je dirais pas que cette colère, c'est un autre moi-même. C'est bien moi. C'est elle qui m'a poussée à vivre, aussi. J'ai toujours été trop en colère pour vouloir mourir. On se suicide dans un élan de désespoir, pas de rage. Vous le croyez pas, commodore ?

J'attends pas de réponse. J'ai peur d'être un peu abstraite. Mais c'est là. Je cause pas souvent. Je crois que j'en profite.

-Moi, je le crois. Vous avez raison de me regarder avec ce regard là. Je suis dangereuse pour moi-même et pour les autres. J'ai jamais porté préjudice à mes hommes parce que l'armée nous cadre bien dans ce sens. Elle canalise la violence. C'est pour ça que j'en suis là, et de mon plein gré. Vous comprenez ?

J'ai besoin d'un corset pour me tenir droite. L'uniforme est assez serré pour remplir ce rôle là. C'est ça quand la vie te fait prendre de mauvaises positions, et que tu en prends conscience qu'au moment où tu es déjà complètement tordue... c'est dur de revenir en arrière, de comprendre ce qu'il faut faire quand tu n'as rien ni personne à qui te référer. J'ai eu des modèles, mais tous sont partis. Leur enseignement, je l'ai gardé, mais c'est pas la même que de rester auprès d'un maître comme c'est raconté dans pas mal des mes bouquins. Ces sages qui vivaient ensemble pour être des sages ; leur pensée et leurs œuvres sont admirables, mais ils ont du avoir la vie douce. Je les aime pas trop à cause de ça, ceux-là. J'aime mieux les histoires de prophètes solitaires qui s'en allaient gueuler leurs quatre vérités sur les foules, et qui menaient une vie exemplaire, parce que conforme à leur raison et en harmonie avec tout l'univers. Humbles dans tout leur éclat. Sereins tout au fond de leur rage. Calmes au milieu de leur propre tempête.

Mes seuls pères sont de papier et d'encre.


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Une ancienne de Celdéborde… donc. Une du même genre qu’Andermann, qui ne doit sa place qu’à une malicieuse faille du système qui n’a été que trop exploitée par les erreurs d’un leader irresponsable. On a tous un dur passé à quelque part, on a tous quelque chose à cacher, ici. Lilou, moi, Wallace, puis maintenant Serena. Chacun d’entre nous a un dur secret, une histoire qui nous a forgés, qui nous forgera, aussi.

L’histoire de ce monde s’est écrite dans le sang, il ne faut pas croire que c’est anormal, vu notre métier, de tuer. Il ne faut pas non plus penser que c’est normal d’aimer ça, et c’est bien pire de s’y pousser. La Serena qui se trouve désormais devant moi me semble bien plus jeune, bien moins forte, son moral qui me semblait plus tôt indéfectible s’effrite à mesure qu’elle parle. Comme si chaque mot qu’elle prononce se trouve à être un morceau de cette façade qu’elle se crée se détachant de la paroi de son cocon.

-Je comprends. Le suicide, c’est… quand rien ne va plus, voilà. Quand tout n’est plus que non-sens et désespoir.

Et je sais de quoi je parle.

-Cela dit, on ne peut pas vivre par colère Serena. On ne peut pas simplement se trouver une institution en espérant pouvoir contrôler ce problème, sans jamais y trouver cure. Quand la Marine m’a sorti de l’Asile, quand on a décidé d’utiliser mon problème comme une arme, j’ai cru que le corps militaire règlerait mon problème et canaliserait ma colère. Mais ça n’adoucit la situation qu’un temps, ça atténue le mal sans l’étouffer. C’est comme éteindre un feu sans en piétiner les braises.

Il faut plus pour véritablement calmer cette colère inhérente. Il faut un objectif ou un but à atteindre, quelque chose à défendre. C’est seulement lorsqu’on réussi sincèrement à rediriger toute cette colère que l’on évolue, que l’on cesse d’être régie par nos démons. Toutefois, ce n’est pas à tout le monde que la chance est donnée de se libérer de ces chaînes invisibles, Serena n’est apparemment pas de ceux là. Elle a vécu avec le mal, elle ne peut s’en défaire si aisément.

-Lorsqu’on se sent perdu, lorsqu’on est rongé par un mal, il n’y a rien de pire que de croire qu’on peut revenir en arrière. Il faut évoluer, progresser, utiliser cette colère à bon escient et la transformer en quelque chose de beau, d’utile, de respecté, d’apprécié.

Mes mentors à moi furent de ténèbres et de lumière. Toute ma vie fut bâtie autour de ces concepts jusqu’au jour où un troisième s’est ajouté. Famille. Amour. Fraternité. C’est fou à quel point une simple idée peut transformer un homme. Depuis que j’ai moi-même compris l’efficacité de ces pensées, j’ai toujours voulu les transmettre à des gens comme elle, des gens qui cherchent leur étoile.

Des idiots qui, au final, ne réussissent qu’à lancer leur destinée aux vautours en espérant quelque chose de meilleur.

Cependant, moi, j’ai été à la fois l’idiot et le vautour.

-Tu n’es dangereuse pour personne, ici. Parce que chaque homme et chaque femme entre ces murs possèdent quelque chose de bien assez solide pour écraser n’importe quel danger : la confiance.

J’expire une bouffée de cigarette, puis regarde les volutes de fumée se perdre dans le noir, rêveur.

-J’ai eu le meilleur des mentors pour comprendre tout ce que je t’explique. Et même s’il n’est plus là, je continue de faire vivre ce qu’il a bâtit. Que ce soit à la fois ce navire ou toutes les valeurs qui se sont construites autour.

Parfois, on n’a pas nécessairement besoin de comprendre les écrits des grands sages ou des éminents philosophes, pour trouver quelque chose qui sera en outre beaucoup plus significatif.

-Tes démons, comme les miens, comme ceux de qui que ce soit d’autre ici, on les vaincra. Parce que tu ne pourras pas vivre toute ta vie en les traînant avec toi. Tu as entendu parler de Stark Lazar? Lui, ses démons l’ont rattrapé, et Salem s’est assuré que ce soit une fois pour toute.

Même le plus laxiste des hommes sait quand il doit faire respecter sa loi pour donner un exemple, aussi violent cet exemple soit-il.

-C’est loin d’être une menace, mais plutôt une mise en garde. Je ferai tout pour protéger n’importe quel membre de mon équipage.

Dans la nuit, une main complètement noire se tend au dessus d’une lanterne, vers une rouquine assise sur une caisse.

-En attendant, il te faudrait bien un mentor non? Qui se ressemble, s’assemble, c’est ça?
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J'ai senti que j'aurais pu me voir dans tes yeux et lire ma propre vie à-travers la tienne, au moment où j'ai parlé du suicide et où t'as presque rien dit. Pas par narcissisme. J'sais ce qu'on est tous. Une essence, du cérébral, de la matière et des éléments en même quantité pour tout le monde, un tas de matériaux inertes qui tiendraient dans un petit sachet si on se desséchait complètement. Puis à côté de ça une existence, une singularité, un genre de souffle sacré qui fera que jamais personne pourra jamais se décharger du poids de sa propre vie. On sera toujours libres.

Ouais, je l'ai retrouvé sous plein de formes dans un paquet de mes bouquins, ça. Mais t'iras pas dire que c'est pas vrai. J'aurais pu voir et sentir cette drôle d'identité entre tous les humains quand t'as dit oui, pour l'histoire du suicide. J'aurais pu oublier à quel point t'étais différent. J'aurais pu me raccrocher à l'espèce entière pendant quelques secondes, voir un chemin s'ouvrir et ma solitude se consumer.

Pourquoi, pourquoi il a fallu que t'en rajoutes ?

Pour l'histoire du projet, évidemment que t'as raison. Je t'ai pas attendu pour le penser. Et si, on peut vivre par colère, j'en suis la preuve. Ou du moins, je l'ai été. C'est plus à l'ordre du jour. Des projets, hein ? J'pourrais faire la liste, à la façon d'un punk que j'connais pas.

-J'ai pas tout dit.

Dans ma voix, ça sonne comme une menace. Mes yeux sont brûlants, comme mes mains. Mais quand j'cligne des yeux, j'sens pas la buée. C'est la fièvre. Ce soir, faudra quand même que je dorme un peu. Mais j'reste concentrée.

-Vous m'avez peut-être fait le résumé de votre vie et de votre carrière, commodore, mais c'est pas mon cas.

J'ignore la main tendue. J'le regretterai p'têtre plus tard, mais il a dit de vider mon sac. Il aurait juste pas du m'interrompre avec le ton de celui qui a tout réglé, qui peut tout régler chez moi aussi. T'es pas mon grand frère. Il est mort y'a des années de ça. Va pas essayer de le remplacer.

Ça, c'est ce que je sens s'agiter confusément au centre de ma gorge, derrière mon cœur ou tout au fond de mon cerveau. J'le formule mentalement, mais avec peine. C'est l'irritation et la frustration qui dominent. Le frangin avait jamais ce ton là. Péremptoire, l'air de tout savoir. Il disait juste que ça allait, qu'ensemble, on s'en sortirait. Sans arguments. Il me laissait penser, m'inquiéter, rêver, mais il était là. Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? La fraternité authentique, c'est en deçà du langage. Ça se vit, ça se dit pas. Et s'il est possible que tu deviennes un frère comme Yoru, jamais tu seras mon père. J'en ai jamais eu, j'vais pas commencer maintenant.

-Vous mentez. Les démons, ils sont impossibles à tuer. La seule chose à faire, c'est d'attendre qu'ils se calment et qu'ils s'endorment, et trouver par où les porter pour qu'ils soient pas si lourds. Et quand on sait les porter, faut encore prendre leurs forces pour pouvoir faire ce qu'on a à faire. Les projets, comme vous dites. Ça tombe bien, j'en ai plein. Et vos vérités, je les ai comprises il y a déjà quelques temps de ça.

J'ai pas haussé le ton, je l'ai baissé. Sans trop le vouloir. Pourtant, je suis en feu, c'est toujours le moment où je parle plus vite que je pense. Et où ça sort plus vrai que quand c'est encore en moi, tout embrouillé et confus. J'ai l'verbe clair qui taille comme une dague. Jenkins a l'air de s'trouver moins à son aise, d'un coup. Pourtant, je cherche pas à l'humilier ou à l'envoyer dans les cordes. Juste à être sincère. Mais ma sincérité à moi, elle sort jamais autrement que sous la forme d'un ours en colère.

C'est comme ça.

-J'ai un ami d'enfance en perdition à retrouver ; un chemin intellectuel et moral à inventer. Vous voyez comment je parle ? Je m'en sors déjà pas si mal, pour une fille des bas-fonds, non ? Bon. Et je cherche aussi à vivre en me rapprochant le plus possible...

De Dieu ? Ça va te paraître con comme ça m'aurait semblé taré y'a trois ans. Mais ça l'est pas. J'ai contemplé et accueilli le principe de tout l'univers, le bien, le beau, le vrai, l'absolu, l'Un, la source, l'Être transcendant, l'ineffable, le Même, appelle le comme tu veux tant que tu t'imagines pas un vieux type avec une barbe qui fait la brasse sur un nuage dessiné à la gouache. Tout sauf ça.

-J'cherche à être fidèle à tout ce qui m'a sortie des ténèbres. Et rien que ça, c'est un projet en soi. Le cadre de la marine, pour moi, c'est pas une fin. C'est juste un moyen, le petit coup de pouce dont j'ai encore besoin pour le moment.

C'est pas parce que j'ai un fond de néant qui s'étale comme une tâche bien large sous ma conscience que je suis que ça. Je suis la lumière et je suis l'obscurité. Je suis aussi Double-Face, même si le noir est plus visible. En pensant ça, je retiens pas le sourire que j'sens monter. Pas de raison.

-Et maintenant que j'ai dit tout ça, autant me permettre d'aller jusqu'au bout, commodore. J'ai pas besoin d'un mentor. J'ai besoin d'un ami.

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Elle n’est pas d’accord. Elle ne l’a pas prise, ma main. Froissé, mais aussi déçu de voir que mes paroles n’ont pas trouvé une oreille compréhensive, je retire ma main, mal à l’aise. Je reprends ma cigarette, souffle une bonne bouffée. Je l’observe alors qu’elle termine de parler. La flamme vacille alors, projetant une ombre qui occulte dans les ténèbres la moitié du visage de la rouquine. La moitié de son sourire disparait dans l’ombre, ce qu’il reste du mien s’effrite complètement à la vue de ce jeu d’ombres.

« Chaque humain possède un Double Face qui attend son heure. »

Cette constatation a sur moi l’effet d’un seau d’eau glacée. Une véritable douche froide avec laquelle le murmure de Dark agit comme un frisson me parcourant l’échine. Comme si Le Malin venait lui-même poser une main se voulant réconfortante sur mon épaule. Une main qui n’a pour moi qu’une seule signification terrible : Il y a devant moi une femme assez téméraire pour subir chaque jour le supplice de ses démons. Assez forte pour vivre avec son passé et supporter le poids de ses erreurs et de ses remords sans ne jamais défaillir.

Comme si se battre contre son Dark à elle n’était qu’une simple tâche quotidienne.
Parce qu’elle est sortie des ténèbres… et qu’elle ne veut pas réellement oublier ce qui l’a poussé hors de l’ombre.

Parlant d’ombre, cette dernière ce retire de son visage alors que la flamme regagne en constance, faisant luire mes yeux pétillants et impressionnés qui ne peuvent se détacher de cette femme forgée dans le plus solide des métaux.

J’en connais une autre, comme elle. Une autre rouquine avec la même force de caractère, avec elle aussi un passé dur. Une femme dont je suis tombé amoureux parce qu’elle a bien été la première à pouvoir apaiser mes démons, à remettre la bête en cage. Toutefois, elle, juste là, devant moi, elle incarne en elle-seule ce que je peine à accomplir depuis près de six ans déjà. Elle est jeune, et pourtant, elle a trouvé et comprit seule ce que je ne cesse de ressasser depuis près de deux ans. Elle n’est pas une vétérane, mais elle est déjà bien devant moi dans toute chose.
C’est une sainte. Une Double Face qui s’est tournée vers la lumière.

-Commodore?

La lumière qui l’irradie s’estompe alors que ma contenance me revient. Ça fait peut-être déjà quelques minutes que je la fixe avec ce regard presque passionné sans ne piper mot.

-Euhm… Ahem… euh… Besoin d’un ami?

Je me secoue. Souffle un nuage de fumée secondaire.

Un sourire. Voilà. Juste un sourire. Du genre qui ne s’affiche que du côté blanc.

-Moi aussi, j’ai besoin d’une amie. Ma liste est courte, tu peux y avoir une bonne place.


Quand je la regarde, désormais, je comprends mieux. Je vois mieux au-delà du mur impénétrable dans lequel elle s’était complètement enfermée. Je vois une sainte qui a survécu aux ténèbres. Je vois un objectif vers lequel j’aurais dû avancer depuis des lustres déjà.
Mais surtout, je ne retrouve plus cette rouquine renfrognée et irritable.

-Et ça peut te paraître comme étant une attitude beaucoup trop excessive, mais mes amis, moi, je les protège au péril de ma vie. Ça fait moins de deux ans que j’en ai réellement. Après tout.



Cela dit. J’avais bien cru que tu montais ici pour voir qui j’étais vraiment. Ce n’est plus le cas?
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-Y'avait de ça, ouais.

Je réponds sur un mode absent. Les variations de chaleur de mon corps sont devenues plus fortes, plus fréquentes, plus embrouillées. Et franchement, ça me perche la tête au-dessus des étoiles comme jamais. Ahah, commencer mon service à bord du Léviathan par une gentille semaine de perm' à l'infirmerie, j'aurais pas cru. Moi qui fait partie de l'élite des survivants du Grey T., des durs à cuire qui tombent jamais malade, qu'ont un corps de fer et un cœur de pierre, voilà que mes premiers pas sur Grand Line sont rattrapés par la fièvre. Un frisson. Je me réchauffe en frottant mes deux mains contre mes avant-bras, mais c'est comme recevoir l'effet d'une brûlure. P'têtre que ça donne de l'eczéma cette saloperie ? J'ose plus, du coup. D'ailleurs, j'me reconcentre. Ça vaut mieux, j'serais malade plus tard.

-J'crois que vous êtes un type bien, commodore. Si c'est ce que vous vouliez prouver, c'est réussi.

Plus qu'avec ta démonstration de force, l'autre jour à la base, ça, c'est sûr.
Je me cale mieux sur ma caisse, j'fais abstraction de la chaleur qui cogne à mes tempes. Et je plante mon regard dans ton œil d'homme, le seul à me renvoyer une lumière qui me dise quelque chose qui vaille. Me protéger au péril de ta vie ? Laisse tomber. J'ai pas le temps de raisonner que ça sort comme ça, brut de brut.

-Vous vous emballez, commodore.  

A donner sa vie pour ceux qu'on aime, on leur rend pas service. Au contraire, on meurt avant eux. On leur fait porter le poids du deuil pendant qu'on s'en va flâner au pays des anges. Et quand la faucheuse loupe la carotide de celui qu'elle visait, elle tranche toujours son petit bout d'âme à vif, tout sanguinolent dans sa paume d'os rouges. C'est son trophée de chasse, histoire de pas être tout à fait quitte et d'avoir un souvenir de sa proie authentique. Comme si ça lui suffisait pas d'être certaine d'y revenir plus tard.

-J'vous avais dit que j'aurais tiré sur vous si j'avais eu moins mal à la main, et que j'serais toujours capable de le faire. Maintenant, je vous jure que je le ferais pas, quitte à désobéir à un ordre.

Tu t'es présenté comme un ami ? Alors je verrai plus tout à fait de la même façon les galons sur tes épaules. C'est bien pour ça que la plupart de tes semblables, ils mettent un gouffre grand comme ça entre eux et leurs hommes. J'obéirai par respect et par amitié, mais je conserverai mon pouvoir de juger. Avoir des amis, c'est accepter d'être contredit.

J'ai la voix claire. Je parle avec l'insolence qui me va bien, celle dans laquelle je retrouve le mieux les images violentes qui me courent dans le crâne en permanence. Cette espèce de sincérité rauque qui s'accorde si mal avec les joies de l'uniforme, qui doit se cacher sous une brusquerie de réponses toutes faites et de garde-à-vous pour pouvoir survivre. Cette voix, c'est moi. J'en ai la conviction, là, tout de suite. Et ça me pose plus que ça m'enflamme.

-Par contre si jamais vous vous amusez à mourir pour me protéger, je vous préviens, je reviendrais vous tuer. J'sais pas encore comment, mais je le ferais.

Bon, j'ai dit ça en déconnant, clairement. C'est pas mauvais de dédramatiser quand on en vient à parler comme ça. Les dialogues sincères, c'est comme la liqueur. C'est intense, mais à trop en abuser, on sature et on dégueule dans tous les coins.  J'ai un grand sourire sur les lèvres, le genre trop rare mais qui fait du bien. Pas que j'sois avare de ce côté là. C'est plus les occasions qui manquent. Et à force d'occasions qui manquent, on finit par prendre le pli des occasions manquées.

-C'était pour rire. Dites, j'y pensais pas vraiment en venant, mais tant que je vous parle... vous pensez que ça serait possible de me faire changer de cabine ?

Parce que je ne supporte pas la lieutenante qui me tient compagnie, tout simplement. Je n'aime pas ce qu'elle dégage, ce qu'elle me renvoie et ce qu'elle essaye de montrer. Je déteste cette fragilité mêlée de désir d'indépendance illusoire et capricieux, cette fausse sagesse construite sur une fausse souffrance dont je ne veux rien savoir.

Ah, tiens, je m'échau...

-Ah !

J'avais les mains posées contre le tronc de la lanterne, pour les garder tièdes. Quand je les regarde, maintenant, elles sont pleines de ferraille fondue, et l'huile tombe sur le pont goutte à goutte. La ferraille aussi, elle se solidifie pas. Elle me glisse sur les mains. J'suis brûlante de fièvre, je le sens plus que la douleur contre mes paumes. Et c'est peut-être ça qui me fait le plus peur.
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Les yeux ronds comme des billes, je fixe les restants de la lanterne qui bouillonne contre le bois du pont. Comment elle a fait ça? Juste en appuyant dessus? Je reste paralysé un long moment, soufflé par le tour de force de la rouquine. Je ne connais pas dix-huit façons de parvenir à ce genre d’exploit. Et s’il y en a une parmi toutes les autres qui me semble la plus plausible en l’état des choses c’est celle qui implique que Serena…

-…T’as bouffé un fruit du démon…

En prononçant ces mots, je réalise enfin que la pauvre n’a vraiment pas l’air dans son assiette. Son visage est rouge et elle sue à grosses gouttes, son front est d’ailleurs couvert de… de frimas? Pourtant il ne fait pas si froid. Pourquoi une fine pellicule de glace ce serait-elle formée sur sa peau alors? Pellicule de glace qui, au moment où je fais un bilan du cas de Serena, s’évapore à une vitesse surprenante. Les mains de la lieutenante rougeoient comme elle chasse vivement le métal fondu de ces dernières.

-Enfin… si t’avais aucune idée de comment me tuer… maintenant t’as ce pouvoir sous la main… ou sur les mains… ou … bon.

Je cesse de m’étendre en palabres et je piétine avec véhémence le feu qui commence à se répandre sur le pont. Mais je n’ai pas oublié ce qu’elle m’a dit. Ne pas m’emballer. Ne pas donner inutilement ma vie pour les autres, c’est ça? Ne pas protéger mes raisons de vivre? J’ai difficulté à croire que je peux me plier à ce que me conseille la rouquine. Ce serait comme abandonner ce pourquoi je me bats non? Ce pourquoi je continue de servir. Ou peut-être ces objectifs ne sont-ils pas ceux auxquels je dois me vouer? Peut-être qu’au fond, je ne l’ai pas trouvé, ma Légende Personnelle…

-Pour ton changement d’local, ça attendra, hein, là faut calmer cette brûlure.

Avec empressement, je cherche un seau d’eau que je m’empresse d’offrir à Serena pour qu’elle y trempe ses mains. Le temps que je trouve des bandages quelque part. Mais le temps, il manque cruellement, car à peine trois secondes passées les mains dans l’eau, le liquide s’est changé en glace. Un épais cylindre de glace dans lequel sont figées les deux paluches de Serena.

-Bon… euhm… problème réglé?

Et au fait. Appelle-moi Oswald.

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J'comprends pas. Un fruit du démon, c'est pas possible. Exclu. Faut le vouloir pour trouver ces trucs, et je l'ai jamais voulu. Ça vaut de l'or. C'est bien gardé, ou bien caché. C'est pas logique. Ça a pas pu arriver, c'est ma raison qui me le gueule sous mes deux oreilles.

-C'est pas possible, commodore... je le saurais. Ça arrive pas comme ça... ça doit être la fièvre. Il y a bien des maladies bizarres sur Grand Line, non ? Vous avez du en voir...

Mais j'vois bien que je me donne des raisons qui en sont pas. D'autant plus qu'un petit souvenir s'est mis à me titiller l'estomac de manière désagréable. Un souvenir lié à du thé, à du rose, des paillettes et surtout...

-Les gâteaux...

J'me sens m'affaisser sur ma caisse en bois, avec ma main qui fond dans son baquet de glace. La glace qui fond, plutôt, mais c'est pareil. J'me demande même pas pourquoi. Me dire « la commandante... », ça suffit à tout expliquer. A tous les coups, j'vais retrouver un petit mot dans mes fringues... celles qu'elle m'a forcé à acheter avant de quitter la base... j'ai toutes les implications qui m'tombent dessus d'un coup. Un pouvoir que j'sais pas maîtriser, moi qui maîtrise déjà mal tout c'qui m'concerne de près ou de loin. L'eau de mer... maudite par l'océan auquel j'ai écrit une lettre y'a pas deux jours. Celui vers lequel j'suis toujours revenue, duquel j'ai toujours beaucoup espéré. Et il me tourne le dos. J'gagne un pouvoir de destruction, je perds une bénédiction.

J'ai envie de tuer des poneys. Je crois.

-Elle m'a vraiment empoisonnée, la garce...

C'est pour la vie ; ça s'enlève pas. Comme un péché, sauf qu'un péché, on peut se le pardonner, s'en purifier, s'en nourrir pour plus recommencer, et commencer une nouvelle route. Le fruit, c'est pas ça. Ça vient pas de toi. C'est de la magie occulte et ancienne. Un truc qui connait pas de pardon, pas de seconde chance. Je suis maudite, et pas que pour aujourd'hui. Un démon de plus dont je pourrais pas me débarrasser, à-travers lequel il faudra que j'apprenne à tirer ma subsistance. Mais c'est même pas un des démons dont j'ai l'habitude ! Le Grey T., le deuil du frangin, mes mains couvertes de sang, ce sont des choses qui ont grandi avec moi ; elles sont un peu moi, j'suis un peu elles. Ce fruit, j'l'ai mangé sans savoir. On a pas de passé commun. J'héberge un parfait inconnu duquel j'pense rien, mais qui m'impose direct ses habitudes, qui module mon corps.

J'enrage tellement que mes mains posées sur mes genoux commencent à consumer mon treillis.

-C'est la commandante Kensaru. Elle m'a fait manger des gâteaux ignobles. Je savais pas. Faut me croire !

Je m'inquiète pour rien, j'vois bien que tu me crois... du coup, je respire. Ça sort sous forme de buée. La torche s'est éteinte. J'me lève.

-Je crois que je vais aller me reposer en essayant de pas mettre le feu partout... merci pour tout, commodore. Oswald, oui, comme vous voudrez.

Je vais pour rentrer dans mes quartiers, avec l'aveugle que j'ai complètement oubliée entre-temps. Et au moment où je repense à cette inimitié, y'a un visage qui me revient comme pour compenser. Un visage et un nom.

-Au fait. J'ai appris qu'un homme de l'élite, Sengoku, c'est son nom, venait d'arriver à Navarone. C'est un vieil ami, et un type bien. Si jamais il vous manque quelqu'un pour assurer vos effectifs et que vous avez un pouvoir de décision... enfin, je vous commande pas, hein. Juste comme ça...
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-J’y penserai, Serena, j’y penserai. Bonne nuit.

Je souris dans la pénombre en la regardant s’éloigner. Elle dont des volutes de vapeur émanent de son corps. Elle dont les cheveux frémissent sous la brise nocturne. Elle qui marche dans la lumière en portant ses démons comme un fardeau. Elle qui sans le savoir a fait un pacte avec lui, le démon. Je fixe mes paumes ouvertes. Le temps qu’elle quitte le pont, je m’amuse à crisper mes articulations et mes muscles pour les métalliser. Mes doigts s’aiguisent et prennent momentanément la forme de crochets acérés.

Il y a du bon dans chacun de nos démons. Serena.

-À toi de l’apprendre par tes propres expériences.

Mon murmure s’envole dans la nuit.

Et devant moi, je recrée la silhouette de cette jeune femme inébranlable qui est venue, à peine une minute plus tôt, me montrer quel bois on avait brûlé pour faire bouillir le métal dans lequel elle est trempée. S’il y a bien un élément parmi toutes ses recrues que je ne peux négliger et qui est sûrement ma meilleure prise sur Navarone, c’est bien Serena Porteflamme.
Car elle est plus qu’une simple lieutenante avec un dur passé. Elle est plus qu’une irritable rouquine ayant un problème avec les figures d’autorité. Elle est plus qu’une rebelle ne pouvant piffer sa camarade de chambrée.

Elle est la Femme d’Acier. Inébranlable et plus solide que le roc.

Je ramasse les restes de la lanterne en fusion que je jette dans le seau d’eau déjà revenue à l’état liquide. La tête pleine d’une rouquine qui a su me marquer en si peu de temps. Nous sommes nombreux, sur ce navire, à avoir de lourds souvenirs et un passé à la fois triste et dur. Et nous sommes probablement nombreux à porter ces souvenirs dans nos cœurs sans jamais les oublier. Et s’il y a bien un Double Face en chacun de nous, d’un côté, on peut aussi admettre…

…Qu’il y a aussi un peu de Serena en chacun de nous.
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