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Les infranchis

Qu’il est bon de séjourner dans le royaume de Luvneel, de s’enivrer des odeurs alléchantes des échoppes des artisans et commerçants bouffis de thunes à plus savoir qu’en foutre, de s’exalter devant cette vie trépidante et pas morne pour un sou de ces bourgeois aux comptes en banque garnies et à l’allure élégante, harmonieuse, qui sied parfaitement à leur rang et condition si singulières. Qu’il est bon de s’évoquer que toute la lie de la terre qui infestait autrefois les rues pavées et autres artères de notre belle cité, prolifère désormais à Luvneelpraad, là-bas, où le mauvais-goût, l’abjection et l’infamie sont monnaie courante. Qu’ils aillent donc copuler entre eux, tous ces roturiers, bon à essuyer et cirer nos pompes, tous ces parias, ces reclus et autres déchets insignifiants que le monde ne sait que faire.

Qu’ils se terrent dans leur friche désolé à l’assaut du vent et de la marée et viennent pas nous les briser, qu’ils s’estiment encore heureux qu’on fasse pas raser leur cité pouilleuse, comble de la souillure. Moi, j’aime tout ce fric qui suinte dans l’auguste cité et j’ai le pifomètre qui dit bon dès qu’il s’agit de métal sonnant et trébuchant, j’aime toutes leurs parures hors de prix et tous leurs petits parfums aux senteurs délicates dont ils s’aspergent la couenne toute la journée durant. Moi, j’aime toute leur verve, leur dédain outrancier, leur condescendance manifeste dès lors que ça se place au-dessus de leurs jolis minois à tous ces parvenus. J’aime toute la pompe dans laquelle ils s’évertuent à transparaître, leurs airs maniérés, leurs registres de langue  et toutes ces petites mimiques caractéristiques de leurs classes bourgeoises enorgueillies. Pourquoi j’aime tant cet état de fait ? Parce que ça les rend stupide, mon neveu. Ils n’ont que leur oseille à la bouche, ils se gorgent dans la parure, dans les fastes et la somptuosité en dénigrant tous ceux qui s’affairaient à être différents des codes et normes qu’ils ont établis si bien que ça finit par tellement leur tourner au coin de la caboche qu’ils en perdent le sens des réalités.

L’oseille c’est qu’un moyen et non une finalité comme ces demeurés ont semblé mystérieusement l’oublier dès qu’ils ont touché le pactole. Le flouze sans vision ne sert strictement à rien si ce n’est de s’adonner aux frivolités habituelles de nouveaux riches, de s’endimancher pour plaire et draguer les gourgandines des rues bondées de la capitale. Parce que figurez vous qu’à l’heure actuelle, Sharp Jones, il a pt’et pas de pétrole mais il a des idées dans le ciboulot, mon gars. Dieu sait qu’il lui manque juste un peu d’expérience dans le milieu, un peu d’oseille et le réseau qui va bien, pour se lancer à son compte. Suffit de me voir quoi, je suis beau et frais comme un gardon, pas de raison que je me rétame avant d’avoir concrétisé cette petite entreprise héhé.

Mais avant de faire mon propre beurre, il faut d’abord foutre les mains dans le cambouis. Ca a beau me faire suer mais faut dégraisser le bestiau, apprendre les ficelles du métier pour savoir où et comment frapper au moment venu. Personne connait le Sharp à Luvneel mais un de ces quatre, tous me craindront et me redouteront, parole de truand de la galère. Depuis le temps que j’arpente cette foutue ville, je la connais comme ma putain de poche, je pourrais presque faire le guide touristique. Du palais du roi Dayo aux boyaux mercantiles de la luxueuse capitale, des divertissements à gogo de Taraluvneel aux coins les plus malfamés de Luvneelpraad, je la connaissais sur le bout des ongles.

Fallait bien que je mette à profit ma connaissance du lieu et que j’en tire queq’ chose de foutrement juteux. J’avais creusé suffisamment mon petit bout de chemin pour qu’on s’intéresse en haut lieu à mon cas, fallait montrer que t’en avais dans le falzar sans pour autant passer pour une tête brulée sinon tu te ferais refroidir fissa. ‘Fin en haut lieu, je m’entends hein, disons suffisamment pour qu’un des sbires de Tempiesta veuille bien me convoquer, moi et une batterie d’autres lascars à la gueule foutrement avenante et au passé abscons. Se faire appeler par Tempiesta, ca a du bon pour la carte de visite et ca flatte l’ego, quoi de mieux pour un mec de ma trempe qui a besoin de faire ses preuves.
Il serait question d’un sacré coup, le genre de coup fumant qui paraitrait en première couverture si ca réussissait, enfin c’est ce qu’on m’a dit au den den mushi…maintenant allez savoir si ca sent pas le condé cette histoire. Mouais, je ne suis pas l’âne bâté de service qui se réjouit de tout et de hameçon qu'on me fourgue sous le nez, je demande à voir, je juge sur pièce moi Messieurs Dames. Et c’est d’ailleurs tant mieux puisque j’ai rendez-vous dans 1 heure pour voir si je fais l’affaire et au cas échéant faire un topo de la situation.

Vl’a que les vingt-deux heures sonnent et que je me présente dans le dock 44 où je suis censé montrer pâte blanche. Je frappe sur l’épais volet d’acier, un gars regarde à travers un judas, enfin un impact de balle transformé en judas plutôt et le lourd volet se lève dans une cacophonie métallique. Le temps de passer la fouille corporelle et que les gusses réquisitionnés pour me palpent les parties avec un sourire à peine dissimulé. Je pénètre dans un hall d’hangar, une lumière éclatante au centre de la pièce illumine un type étrangement fardé, un couvre-chef noir de jais qui fume, un collier de barbe relié à une moustache charnue et une foutue peau d’animal qui doit bien tabler dans les six zéros, parbleu.



Les infranchis Papyru49_imagesia-com_3442_large




L’énergumène me toise d’un œil inquisiteur, cambre sa moue et me fait signe de m’asseoir avec la petite assemblée réunie. Bientôt je sens une odeur d’iode, comme une odeur d’embruns dans le hangar et instinctivement je lève les yeux vers ce qui empeste cette foutue pestilence et je tombe nez à nez avec une enflure d’homme-poisson qui me reluque comme si l’ovipare qu’il était, comptait me becqueter. Le début des emmerdes, je vous le dis.


Dernière édition par Sharp Jones le Dim 18 Mai 2014 - 11:05, édité 6 fois
    Ça va aller, frangin. Ils veulent une brute, un tas de force sans langue, ni âme. T'auras qu'à jouer au roi du silence, ça leur suffira. A ce sport-là, t'es le meilleur, héhé.

    J'me repasse en boucle les mots du frangin. J'sentais bien qu'il avait la trouille, lui aussi. Il voulait pas que j'y aille. S'inquiète toujours tant pour moi qu'il a plusieurs fois essayé de me remplacer pendant le processus. Mais non... Ils me veulent moi, ils étaient décidés. Tark est arrogant, fonceur, prétentieux, instable. C'est pas le genre de mec que la mafia cherche pour ses basses besognes... Moi, je colle plus. Discret. Renfermé. Silencieux. J'peux facilement me faire passer pour une brute sans cervelle, tant que j'l'ouvre pas trop. Ma machoire, mon odeur, ma force.  

    Mais j'ai la voix grave, pétée, comme si elle avait déjà été usée par le monde, une camelote foireuse qui s'enraye au pire moment et dont j'ai perdu le mode d'emploi. Extérioriser ma mélasse intérieure ? Super blague. Avec ces sons un peu distordus et faiblards qui m'sortent de la gueule, cette peur d'pas être juste dans mes propos, cette révulsion à vexer, à blesser, à cracher, j'sais bien que j'ai rien à garder dans mes vocalises qui ressemblent, au choix, à des p'tits couinements hésitants d'animal malade, ou aux appels à l'aide désespéré d'une bête folle. Combiné à ma répartie inexistante et à ma foutue sensibilité, j'sais pas comment j'vais tenir dans un milieu de requins. J'veux dire. De VRAIS requins. Sitôt qu'mon armure d'erreur de la nature sortie des abysses est tombée, ma chair tendre s'retrouve toute exposée aux attaques des VRAIS prédateurs. Ceux qui m'rabaissent constamment pour se sentir exister, pour se sentir puissant de dominer une bestiole bien dotée, ou juste pour exorciser leurs peurs. Tout le monde a la trouille, hein ? C'est juste une question de degrés et d'façon d'échapper à tout ça...

    Secoué, inquiet, pensif. A peine j'ai retrouvé le frérot après qu'il soit revenu d'une putain d'mission cruelle, qu'on s'retrouve déjà séparé de la plus stressante des façons. Lui, resté à la base de fortune de notre détachement marine, et moi, lancé dans la merde. Il se sent mal de plus être capable d'me couvrir, et moi je me sens mal de pas être capable de faire sans. D'une certaine façon, c'est cool. Me montre que les choses ont jamais vraiment changé... Le monde nous rend toujours malades, chacun à notre façon. Lui, furieux de pas parvenir à charger contre. Moi, effrayé par chaque surprise qu'il me réserve.
    J'arrive... Dock 44. Putain, c'est bientôt. Faut que j'me reprenne. Le silence me suffira pas. J'dois aussi m'armer d'mon regard, montrer les dents. Utiliser tous les outils de morts qu'la nature a gaspillé en les conférant à une aberration incapable de faire de mal à une mouche, complètement dénué de la haine et de l'instinct d'ses confrères des océans. Mais j'dois leur faire comprendre dès le début que j'suis un monstre impitoyable, un prédateur de glace. Une bête d'instincts. Qui s'inscrit dans la lignée d'sa race maudite des terres. Si j'réussis à faire passer ça... J'imagine qu'ils me laisseront plus tranquille, après. Que j'ferai partie d'leur décor, que j'pourrai ruminer dans mon coin sans risquer de m'faire tacler. Ouais. Je fais ça. Devenir leur molosse tenu en laisse...

    Surtout, faut pas qu'ils comprennent que j'sais penser. Que la sale bête aurait envie de les mordre, si elle en avait les couilles. C'est le principal.

    J'bombe le torse, j'essaye de feinter détermination et froideur. J'serre les dents, j'les fige dans un rictus déplaisant qui devrait convaincre les mecs de pas trop m'percer les yeux avec les leurs... J'espère.
    C'est encore une de ces missions où j'ai l'impression d'être envoyé au casse-pipe. Seul. Ils m'ont juré que ça durerait pas longtemps. Un indic leur a dit qu'un coup s'préparait là-dedans. Mon rôle, c'est juste d'identifier lequel... Puis ça suffira. En principe. Saborder un peu l'tout, p'tet. Et me faire la malle à la première occasion. Et ouais. J'me ferai pas prier. J'louperai pas ce coche-là. Y a aucun doute que chaque minute passée dans cette grosse boîte rouillée sera un enfer. Pour ma conscience. Et pour mon instinct de survie...

    Grande volet de tôles. Froissé, troué. J'le sens mal. J'cherche à instaurer le Grand Vide en moi, j'extermine une à une toutes mes pensées parasites, mes craintes, mes regrets, mes sales idées, qui s'relèveront comme des morts-vivants d'ici quelques secondes, j'en doute pas. Me débarrasse pas d'mes éternels fantômes aussi facilement. Juste... Ils arrêteront de me hanter le temps de la fouille, et altéreront pas mon aura. J'inspire profondément. Et j'frappe une, deux, trois fois. Et ça va craindre...

    Ça y est. Déjà. Ça s'ouvre. M'font signe d'avancer. Ma gueule se déforme l'espace d'un instant et j'devine que j'dois tirer une mine déconfite. Qui m'aurait sauvagement trahi si ces mecs étaient déjà pas absorbés par une soudaine envie d'me tripoter les fesses. Et un peu tout le reste du corps. Je hais les fouilles. Mais j'me maintiens immobile. Me couvre de marbre. C'est dur, surtout avec ces regards affreux qu'ils me lancent. J'dois pas valoir bien plus qu'un vilain clebs, pour eux... Nouvelles idées noires qui germent en moi. J'espère qu'ils vont pas m'enchaîner et m'envoyer au marché des esclaves... 'tain Tark, tire moi de là...

    Pas loquace, comme le boss disait.
    Bah, c'est une poiscaille, quoi.

    L'autre me refout une main au cul, une espèce d'invitation à avancer. J'crois que je l'énervais, à rester statique, les yeux fixés sur le mur du couloir, les mains nerveuses.

    J'déboule dans une grande salle. Frisson dans l'échine. Tas de sales tronches. Et bien en évidence, au centre, triste sir en fourrure d'animaux dépecés. Et après on va dire qu'c'est moi l'prédateur. Sacrés humains.
    Original... son haut-de-forme. Me fait signe de prendre place aux côtés d'un type qui pue le louche. Ils le puent tous, forcément. Mais lui... L'est malsain aussi. Ils sont tous malsains... 'tain Tark. J'aurais tellement besoin de toi...
    J'réprime le coup d'oeil dans la direction du voisin. Faut pas chercher l'regard de ce genre de type. Aucun le laisse transparaître mais j'me doute qu'ils sont tous enragés, là-dedans. Folie du pognon, du pouvoir, des filles faciles. La colère des vices. J'suis pas de taille face à ça, moi et ma gentille sincérité inconsciente et touchante. J'sais c'que j'suis, j'ai conscience de ma faiblesse, et c'est bien ma seule force...

    Le grand gars cause à un autre sale type resté dans l'ombre. Quelques signes de tête en direction de notre assemblée. La pression augmente. Vraiment écrasante. En moi, en tout cas. J'bous intérieurement.
    Mon coeur pique. J'le sens battre. Mon armure de marbre s'effrite.

    Messieurs. Tout le monde est là. On ferme...

    Un grand barouf métallique qui provient de l'entrée, raisonnant par le couloir d'où j'venais. J'entends les pervers qui m'ont tripoté à mon arrivée débouler derrière moi. J'me retourne pas. J'fixe le "boss".

    ... et on commence.


    Dernière édition par Craig Kamina le Ven 16 Mai 2014 - 0:58, édité 2 fois
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    Silence solennel dans la masure, le genre de mutisme profond qui en dit long sur ce qui s’apprête à se tramer. Une sueur froide me perle le long de la tempe, il s’agit pas de se faire dessus maintenant, c’est ton galo d’essai mon vieux, bouffer ou se faire bouffer, c’est la seule loi qui prime. Le fardé a le souci des conventions, il nous mire un instant avant de poser sa voix mielleuse et sirupeuse à souhait qui sied si bien à ses deux-cents grammes de fond de teint. Des spots s’allument un à un sur les tronches amères des lascars que nous sommes, histoire que nos gueules luisent à la lumière pour paraître sous notre meilleur jour héhé, le souci des conventions, je vous ai dit. Chacun peut alors se figurer quels seront ses compères de fortune ou d’infortune qui composent la belle brochette de loubards que voilà.

    Je lève les mirettes vers les deux vieux briscards à ma droite, des mecs d’expérience qui ont du en voir des vertes et des pas mûres, des gars qui ont cravaché sévère leur vie durant pour taper les mines d’outre-tombe avec lesquelles ils me zieutent. Un autre quidam m’interpelle par ses fringues, une gueule de minet, l’anatomie fine et élancé, le rictus omniprésent sur le coin de la lèvre, sapé comme un archiduc du crime organisé, un peu trop bien pour le boulot qu’on se fait confier, le gars qui fait dans le falzar intérieurement et qui du coup trouve pas mieux que de jouer la carte de l’intimidation, histoire de pas perdre la face. Fillette va, tu mériterais presque qu’on te pousse dans tes retranchements, petite fiotte.

    Et le dernier luron aka la poiscaille de service qu’on réquisitionne pour respecter les quotas d’handicapés, encore une fois le souci des conventions je vous dis. L’olibrius, fort de ses gros muscles proéminents et des deux seuls neurones qui se battent en duel au coin de sa caboche pleine de flotte, en impose grave, le genre de gars à qui l’on ne cherche pas des noises passé minuit au risque de dérouiller. L’a l'air hargneuse la bête, il rentre bien dans son rôle de brute épaisse, on lui demande rien d’autre en même temps. Si ces foutus amphibiens avaient  ne seraient-ce qu’une once de discernement, ça se saurait depuis le temps qu’ils ont émergés des abysses dont ils auraient jamais du s’extirper.

    « Chers Messieurs, je me réjouis de voir que chacun de vous a répondu à l’appel de la famille Tempiesta. Vous avez été conviés ici-bas car vous êtes la crème de la crème dans vos domaines respectifs, de véritables pointures prêtes à donner du cœur à l’ouvrage si la chose paye grassement. C’est que vous avez des charges et que moi aussi figurez vous héhé. Notre objectif, messieurs, est la salle des coffres de la banque Tehmann Brotherz, autrement dit une pièce de 40 mètres carrés où une bonne partie de l’oseille royaume afflue jour après jour. De quoi, vous en mettre suffisamment plein les fouilles pour vous dorer la pilule le reste de votre vie à siroter des cocktails sur de longues plages de sable fin. «

    Il n’y a pas à dire, le gars a su mettre les formes pour nous l’eau à la bouche. M’est d’avis que faut qu’il rendre l’appât un peu plus consistant pour que je morde dedans, c’est que je suis carnassier et qu’il faut que le gibier en vaille la chandelle. Je ne voudrais pas que l’homme-poisson, vorace comme il est, tape dans la bête sans m’en laisser suffisamment pour que je puisse me retourner. Alors que je m’apprête à clarifier la question qui nous turlupine l’esprit à tous, l’un des briscards balance d’une voix gutturale :

    « Il y a combien à se faire au bas mot ? »

    « C’est une affaire à 90 millions facile. «

    Le montant de la somme laissait pantois un bon paquet d’entre nous. Nous savions tous que nous n’étions que des margoulins, des mecs prêts à donner de la niaque pour se faire accepter et  se faire reconnaître par la famille Tempiesta mais 90 millions nécessitait bien plus que de la simple niaque. Je regardais du coin de l’œil le minet, sa gueule me revenait guère pas, le lascar restait littéralement bouche bée. Ferme donc la bouche sombre idiot, tu vas gober les mouches.

    « Monsieur Jones, ici présent, a apporté les plans des égouts de la cité. Monsieur Jones, pourriez-vous nous en dire davantage sur la configuration des lieux ? «

    C’est ca, ouais, passe-moi donc le flambeau que je puisse me faire reluire le profil sous les feux de la rampe. C’est à moi de jacter et d’étaler ma science comme de la confiote sur un michton de pain. J’ai bien fait d’amener mon barda, ca donnera meilleur allure au truc et évitera que les plus navets d’entre eux ne s’aventurent à me les briser pour des clopinettes ou pour se rendre intéressant. Le fardé claque bientôt des phalanges et toute la salle s’illumine d’un seul tenant, un énorme tableau figure derrière l’énergumène.

    Je m’avance près du panneau, et placarde les plans topographiques de la cité sur le coin de celui-ci.

    « Hmmmmh La Tehmann Brotherz est ici les gars et si vous assez de jugeote pour le constater, elle a été bâtie au-dessus du réseau des eaux usés de l’ancien royaume, ce qui laisse présupposer qu’on a plutôt une chance de pouvoir s’en tirer à bon compte en empruntant la voie souterraine et en perçant à travers le mur d’enceinte. Maintenant, ca, ça reste les anciens plan du réseau de canalisations, il y a fort à parier que les petits fortiches de scientifiques et ingénieurs ont dû consolider les parois et condamner un paquet de canalisations désuetes. Bref, vous l’aurez compris, un gros boulot de repérage est à faire, va falloir recartographier la zone et obtenir des renseignements sur la sécurité du bâtiment. M’est d’avis que ca doit grouiller de dispositifs den den dernier cri là-dedans. «

    Vl’a que l’ami taulier à la fourrure esquisse un sourire. C’est qu’il a tout prévu dans les moindres détails l’animal, jusqu’au bout des ongles. Il jette un regard à l’un des deux briscards, visiblement un type qui semble en connaître un sacré bout sur la sécurité de ce genre d’établissement.

    « Monsieur Faiks, voulez-vous bien… »

    Le gus se lève et balance la sauce d’emblée :

    « Baaaaaah c’est que j’me suis renseigné sur la sécurité de la salle des coffres, j’ai un indic à l’intérieur. Et c’est foutrement bien gardé, plexiglas à retardateur d’effraction, paroi en acier trempé de chez Stahl & co, visio den den collés dans tous les angles et ça c’est sans compter les patrouilles de gardes qui se relèvent à heure tapante vingt quat’ vingt quat’. Un sacré bourbier que ca va être pour pénétrer dans ce fourbi, je vous le dis, parole de taulard. »

    L’homme-poisson me regarde d’un sale œil puis il n’a pas balancé un foutu mot depuis le début de la réunion, j’aime foutrement pas ca, il me zieute avec ses mirettes bleuâtres et son museau de trois pieds de long. Je n’aime pas les gars qui s’efforcent de rester silencieux quand il s’agit de causer et de soulager sa conscience. Bientôt, notre gars au chapeau reprend les rênes de la réunion, voyant qu’une tension palpable s’est immiscé entre les protagonistes, faut calmer le jeu et faire en sorte qu’on bosse ensemble donc ma crapule d’homme-poiscaille, va falloir vider ton sac mon gars.

    « Et vous Monsieur Sharkal, un avis sur la question ? «

    Sharkal ? Un mix entre Shark et chacal, un nom prédestiné au regard des relents nauséabonds qui se dégagent de sa carcasse poisseuse. Espérons qu’il ait au moins inventé le fil à couper le beurre, on gagnera du temps.
     


    Dernière édition par Sharp Jones le Dim 18 Mai 2014 - 11:03, édité 1 fois
      J'fais semblant d'écouter attentivement, mais j'suis ailleurs. Mes yeux voyagent de gauche à droite dans la pièce, mon esprit de gauche à droite dans la situation. Pas contrôlable. Heureusement qu'ils sont tous absorbés par les tirades d'leurs confrères. Me permet d'observer, de noter, de juger. Frénétiquement, j'laisse mes pupilles s'exciter dans leurs orbites. Et j'mire tout et tout le monde.

      Deux blocs de glace, dans un coin, qui semblent préoccupés qu'par les promesses d'or et de bonheur du grand patron à la fourrure. M'impressionnent pas, moi, ces conneries. J'sors d'un milieu bourgeois, moi, j'sais mieux que personne à quel point l'Avoir, ça bride l'Être. Tark et moi, on a jamais été heureux dans notre cage dorée. J'me mets difficilement à la place de toutes ces gueules d'anges plantés là comme des rats prêts à s'entretuer à tout moment pour faire gonfler leur part perso de rêve. J'suis moins naïf qu'avant, même si j'reste super fragile. J'sais bien que la camaraderie, c'est juste l'union d'âmes errantes réunies dans leurs besoins vitaux. C'est la survie, pour moi, c'est le pognon et les gonzesses, pour ces sales types.

      Joliment sapé, un jeunot dans son coin salive devant ces voeux de bonheur. M'paraît tristounet. J'lui donne pas plus que mon âge. Il s'est mis sur son trente-et-un, et semble vouloir faire comme les grands. Quand il dévie son regard vers moi, j'détourne les yeux, vite. Il a un rictus pire que les miens, j'pense discerner en lui une vraie niaque. C'est c'que j'me disais, jeunes comme vieux, préservés par leur naissance ou salis par la vie, 'sont tous réunis dans la frénésie d'en vouloir plus, drogués des richesses faciles. Quitte à sacrifier fierté, pitié, âme. Mais, j'suis qui pour parler de fierté, moi, lâche et craintif, fataliste et rancunier... Quant à la pitié elle-même, dans un monde aussi injustement brutal, j'pense que c'est autant un vice que la cupidité, ou bien la luxure. C'est Mon vice.

      L'dernier me lance des espèces de regards provocateurs que j'm'efforce d'ignorer depuis tout à l'heure. On dirait qu'il me cherche pour me jauger. J'suppose bien qu'il a envie d'se mesurer à un homme-requin. P'tete que ça consoliderait ses convictions, éloignerait les mauvaises ondes. Convaincu qu'il a le pouvoir, la maîtrise. Capable de tenir tête au monde ? Il a juste réussi à dévier les yeux d'un agneau déguisé en requin acculée sur un territoire de loups. Maigre victoire, mon gros...

      Bah, voilà... A l'anxiété s'ajoute le dégoût. Mes yeux de merlan errant terminent leur course maladroite sur le mec qui s'appelle Jones. Un des cerveaux de la troupe, non ? Enfin, pas dur d'être qualifié de cerveau au milieu de ces hyènes affamées à en perdre la raison. Merde merde merde, qu'est-ce que j'fous là...

      Et vous Monsieur Sharkal, un avis sur la question ?

      Ah bon, y en a encore un autre en plus ? C'est... dérangeant... Parce qu'on est que six, ici. 'serait encore un mec resté dans l'ombre, encore ? Il nous observe ? C'est le marionnettiste ? C'était clairement pas prévu. Variables impromptues ? J'suis bien loin d'me frayer une issue...

      ... Monsieur Sharkal ?

      Regards convergent vers moi. Le con. Le con. C'est mon nom. J'ai... oublié que j'avais un nom d'emprunt, bien sûr. Forcément. Sharkal. Mix entre shark et chacal. Pseudonyme tout trouvé pour un requin sur pattes là pour apporter son lot de sang gratuit et de dommages collatéraux à l'excursion. Le propre de ma race. Dressé, molosse du groupe est l'seul rôle qui me convient aux yeux de ces salauds. Recentre toi, recentre toi. C'est pas le moment d'imploser. Chasse les distractions, chasse les pensées. Tu dois PAS penser.
      Ok. Ok. C'était quoi la question ? Ils ont l'air de s'impatienter, là. Mon voisin m'jette un regard accusateur. Le malin, là, avec ses plans. Faut pas que j'sois dans son collimateur. J'reste les yeux fixés sur le boss. Je dérape pas. Me dégonfle pas. Zen. Respire intérieurement. Réprime l'inondation de gouttes de sueur.

      J'tire mon unique cartouche. Pourvu que ça marche.

      ... J'dégommerai tout ce qui vous gène. Ça d'vrait suffire.

      Silence, encore. Verdict. J'attends le verdict avant d'oser m'penser condamné, ça ferait qu'me décrédibiliser encore plus de mouiller mon froc avant l'heure.

      ... Très bien. Inutile de faire durer le suspense. Jones, Sharkal, partez en éclaireur. Vérifiez la justesse des plans, et déblayez le passage si besoin est. Faites nous gagner du temps.
      On vous revoit d'ici une heure. Allez !


      Jones. Se lève, moi juste ensuite. Motivé, énergique, hein ? Il file, j'suis encore derrière, j'lui colle aux basques. Plus envie d'prendre aucune initiative, maintenant. J'me sens toujours mieux derrière quelqu'un que devant, la sensation d'être suivi m'excite la parano. Suivi par n'importe qui. Alors, j'imagine pas ce que ça donnerait par un tordu en costard... Me retrouver seul avec lui m'enchante pas, mais j'trouverai bien un moyen de m'esquiver discretos sur la route.
      Hmm. Il a pas l'air d'aimer que j'sois derrière lui. Silence et pression lourdes. Ça pue, et pour une fois ça vient pas de moi...
      • https://www.onepiece-requiem.net/t10413-fiche-de-craig
      ... J'dégommerai tout ce qui vous gène. Ça d'vrait suffire.

      Ouais, on s’en serait douté l’ami visqueux, va donc savoir pourquoi j’étais intimement persuadé que t’étais pas tout droit sorti de la côte de Végapunk. Nous vl’a parti en vadrouille, on m’a flanqué l’académicien de la syntaxe aux basques, comme s’il allait m’être d’une quelconque foutu aide dans les canalisations. Remarque, l’eau stagnante et croupie, c’est davantage son affaire que la mienne, il devrait se sentir comme un poisson dans l’eau l’animal. Il aura au moins le mérite de tarter les éventuels gêneurs si on en croise, si tant est qu’il sait se servir des pâturons aux bouts de ses nageoires. J’essaye d’échanger avec la bête, de taper un brin de causette sur un peu de tout et rien, histoire que ca fasse un bruit de fond, histoire que je sache qu’il me bave pas derrière le dos avec l’idée fourbe de me croquer. La bestiole a du mal à se confesser au père Sharp, faut croire que ma gueule lui revient pas ou que je l’intimide plutôt, ouais ouais ca doit être plutôt ca, c’pas comme si la bestiole faisait aux alentours de deux fois ma taille pour deux fois plus de masse musculaire.

      On se dirige d’abord vers Luvneelpraad, le coin où tous les égouts du royaume affleurent dans une décharge à ciel ouvert, c’est plus sûr, je ne voudrais pas qu’on se fasse gauler par les patrouilles de la milice dans la ville haute. Le boss m’a filé le barda le plus élémentaire pour mener à bien le repérage. Foutu pingre qu’il était, il ne veut même pas nous procurer du bon matos. Des torches, des cartes, de l’encre et il avait refilé à chacun un den den mushi pour que si l’envie nous en prenait, on jacte dans l’appareil pour balancer du renseignement juteux pour les comparses. Il m’avait refilé tout l’attirail, préférant mes mimines expertes aux paluches maladroites de l’autre face de branchies. On arpente Luvneelpraad vers le point de descente, on s’enfonce dans le dédale des rues, croise des énergumènes mal lunés qui pensent plutôt à deux fois avant de vouloir se friter, la poiscaille est dissuasive comme je l’escomptais. Bientôt, on tombe sur la bouche d’égout que l’on convoite. Je fais signe à l’homme-poisson de donner du muscle pour dégager la plaque encastré, histoire que je me chope pas un lumbago à essayer de la dégager alors que la bestiole l’éclate avec le gros orteil.

      « Sharkal, tiens moi ça, tu veux »

      Je lui refile le matos quelques secondes tandis que je descends un à un les barreaux de l’échelle poisseuse, allumant par la même une torche pour que je vois plus clair dans le conduit. Lui faisant signe de se ramener et qu’il n’y avait aucune âme qui vive dans ce bourbier humide, le squale finit par me rejoindre, glisse sur le dernier barreau et se rétame dans la flotte. Je ne peux m’empêcher de lâcher un rire gras, bien lourdingue, l’occasion de se taper une bonne tranche de rire et de m’en servir comme point d’ancrage à une véritable conversation.

      « Bwahahahaha »

      Tandis que je me gausse comme un demeuré, des relents nauséabonds viennent bientôt nous chatouiller le tarin. Ca schlingue sévère dans le coin, bien pire que je me l’imaginais. On arpente les conduits avec prudence et minutie, ‘fin avec autant de minutie qu’un homme-poisson de deux mètres provoque comme remous dans une flotte stagnante depuis des lustres. On poursuit notre périple, des rats énormes nous filent le train, du bon gros rongeur des chaumières, de la charogne infâme qui appréhende même pas, même plus devrais-je dire, la présence d’un prédateur bien plus dangereux. Heureusement que l’homme est au sommet de la chaîne alimentaire, je vous le dis, on aurait du mouron à se faire sinon, à commencer par les hommes-poissons. Je coche au fur et à mesure sur le plan, les artères condamnées. La chose s’annonce mal, foutrement mal et en plus de ca, j’ai une dalle furieuse mais faut mener cette investigation à terme.

      Plusieurs heures se sont écoulés depuis qu’on a rejoint les canalisations. On est là comme deux paumés, à patauger dans la mélasse, on a bientôt plus de lumière mais on touche enfin au but. A l’encoignure de ce conduit, on devrait déboucher sur une porte de service, employé par le personnel pour la maintenance du matériel et pour effectuer des relevés de niveaux de flotte.

      « Baaaaaah Meeeeerde Bordel ! « lançais-je alors devant le mur de briques rouges fraichement bâti qui nous faisait dorénavant face.

      Ingénieurs à la con, fallait qu’ils aient aussi l’idée saugrenue d’empierrer celui-ci putain… Ces foutus salopards avaient réduit à néant la putain de stratégie que j’avais élaboré. J’entends bientôt l’estomac de mon carnassier de comparse gargouiller foncièrement. Il pense donc qu’à bouffer celui-là ?! Je me rapproche de la paroi et tapote avec la paluche afin de connaître l’épaisseur de la cloison. Il y a bien au bas mot une bonne dizaine de centimètres, ça va être coton pour l’abattre. Exit les explosifs, ce serait trop dangereux et ça risquerait de faire s’écrouler tout le conduit. On peut pt’et utiliser les poings de Sharkal pour attaquer le bâti. M’enfin, faudrait qu’il localise ses frappes sur les briques les moins exposés, les plus friables. Je décidais de prendre la température auprès des collègues avant d’intenter quoi que ce soit.

      « Allô…Allô. Test 1.2.3.4… Test 1.2.3… »

      « Tu vas pas la fermer abruti ?! »

      « C’est toi le minet ?! Espèce de tanche va ! Les autres vous m’entendez ?! «

      « Parle donc ouais mecton ! »

      « On a comme qui dirait un petit problème avec notre sas d’infiltration. Ces salopards ont rajouté une paroi d’une bonne dizaine d’épaisseur. J’ai dans l’idée d’utiliser Sharkal pour briser les parties les plus friables et nous glisser par le boyau le jour du casse. Faudra se procurer des murs de briques pour que notre ami se fasse la main au Q.G. Et de votre côté, ca donne quoi ? «

      L'un des deux briscard, décroche alors le combiné:

      « Mon indic’ dans la banque m’a refilé le modèle de coffre employé. C’est un Blindorlux 3000 dont le système de sécurité est relié tout droit via visio den den à la centrale de la milice du royaume. Des fines feuilles de verre recouvrent l’intérieur de la porte du coffre. Si l’on vient à en briser une, le verrouillage s’enclenche et on est marrons. J’ai dégoté du matos qui devrait faire l’affaire cependant. «

      « Hey Jones, passe-moi donc Sharkal, je veux entendre de vive voix qu’il peut briser la paroi sans alerter tout le pâté de maison. «

      « Sharkal, t'es là, bordel ?! »


      Dernière édition par Sharp Jones le Dim 18 Mai 2014 - 11:14, édité 1 fois
        Tout mouillé, mon joli costume d'espion noircie d'eau stagnante, j'sens, et c'est une des rares fois où ça m'arrive, que j'aurai besoin d'une douche en rentrant. Le rire gras d'mon triste comparse d'infortune me raisonne dans les oreilles presque comme une menace, mais j'm'efforce de me décrisper, d'oublier un instant ma situation et de rigoler un coup aussi. D'un rire timide et pas franchement assuré, mais, eh, on s'refait pas. Il revient vite à ses prérogatives, et s'lance dans les conduits, sans même m'aider à me relever ou sans même me gratifier d'un coup d'oeil de plus.

        Alors j'me tiens aux barreaux de l'échelle, me replace droit, maladroitement, dans vingt centimètres de flotte contaminée, et j'reglisse un coup. Puis finalement, j'me stabilise. P'tain, j'ai l'impression de réapprendre à marcher. Heureusement qu'il a pas vu ça, j'aurais pu lui confirmer que j'étais un intrus dans leur troupe de fiers bonhommes forgés par le crime, l'or et le sang. J'me dépêche de rattraper Jones, et me lance à sa suite dans les tuyaux. Moins bavard que tout à l'heure, il doit gamberger, tout comme moi. Mes méninges en ébullition cherchent une sortie. Une issue pour conclure la mission. N'importe quoi. Mais pas n'importe comment. Si j'me contente de fuir sans demander mon reste, ou pire, que j'essaye d'assommer ce type avant de filer la queue entre les jambes comme une p'tite bête apeurée, j'ai de grande chance de finir en tranches dans le menu poisson & riz du dingue des fourrures. Va falloir la jouer plus fine...

        Trouver un moyen de faire capoter leur plan, mais grâce à mon incompétence, non à mon intellect. Ce serait l'idéal. Ils pesteront contre moi, m'verront comme un moins-que-rien, une bestiole ratée qui échoue même au seul jeu où il devrait être le meilleur. Et alors ils auront aucun doute : cette larve des profondeurs est incapable de trahir quoique ce soit. S'faire passer pour plus con qu'on est est pas bien compliqué, suffit d'arriver à renoncer à sa dignité. Et faut croire que la dignité, c'est mon frangin qui l'a récupéré en entier, au moment d'la distribution des valeurs. Il s'est servi le premier, mon grand frère, il a tout pris, ce gourmand de dignité, de fierté, de volonté, de virilité. Moi, j'ai seulement écopé de tout ce qui plombait le courage. Pitié, prudence, réserve, tout les ingrédients d'une sagesse paresseuse. Le tout bazardé pêle-mêle dans un corps, une vraie machine à tuer, entre deux sentiments contradictoires. J'suinte l'ironie. Tarlouze que j'fais.

        Baaaaaah Meeeeerde Bordel !

        Me tirent d'mes pensées. Jurons élégants devant moi. En approchant mon faux complice, j'comprends un peu la raison de sa crise. Mur de briques rouges. C'était pas dans ses plans. Ça augure rien de bon. Enfin, pour eux. Pour moi, j'vois là une occasion de remonter, de repartir bredouille à la base, de dénoncer tout ce beau monde. Le frangin prendra le relais, et ira les dégommer à coup de dents et de palmes. Puis les coffrera. Travail d'équipe. Frères Kamina, médaillés. Joli coup de filet. Si on omet que le p'tit frère s'est pissé dessus mentalement plusieurs fois durant le processus, entouré de ces pervers, ces tordus bien maqués dehors mais tellement plus crasseux que moi dedans. Mmmhf...

        Jones sort son escargot. J'prie pour que ça s'arrête ici, mais j'ai pas trop espoir. Ces mecs iront jusqu'au bout, mmh. C'est pas un pauvre mur qui leur fermera la voie vers les jolies îles ensoleillé. Y vont sûrement me demander de détruire ce truc... J'pourrai facilement le faire, je suppose, mais c'est l'envie qui me manque. J'ai bien du mal à me focaliser sur leur discussion, car mes propres relents commencent à me donner des hauts de coeur. A force de vivre couvert de crasse, j'ai fini par me sentir invulnérable aux saloperies de l'extérieur. Mais ce voyage initiatique dans les canalisations m'redonnent pas mal d'humilité à c'niveau-là. Comme si j'en manquais, d'humilité, héhé...

        Hey Jones, passe-moi donc Sharkal, je veux entendre de vive voix qu’il peut briser la paroi sans alerter tout le pâté de maison.

        Me balance le den den, j'l'attrape par réflexe. Quel dingue, j'm'attendais pas du tout à ça. S'il était tombé, j'aurais eu plus qu'à plonger la tête dans ce bain fétide. Dieu sait que les quelques poiscailles morts flottant à la surface de cette croûte liquide m'donnent pas envie de boire la tasse ici... J'me pose vaguement des questions. Sur les aptitudes de survie d'ces drôles de bêtes, les escargophones. En principe. Peuvent-ils se noyer ? Ce sont des animaux, ou des objets ? D'où viennent leurs mimiques et c'est quel genre d'ondes qu'ils balancent à leurs compères à l'autre bout d'la planète ?

        Ce den den là a la face du jeunot. Et il me hurle dessus.

        Sharkal, t'es là, bordel ?!

        Euh ouais, ouais.
        Ça ressemble à quoi ? Tu peux péter ça sans faire de vague ?

        Haha. Sans faire de vague. Quel plaisantin.

        J'crois.
        Tu "crois" ?
        On va trouver autre chose...
        Ça ira, j'vous dis.

        La voilà, mon occasion. J'cherchais un moyen fin de saboter leur combine, et le destin me le sert sur un plateau, tandis qu'il utilise mes propres ennemis pour me lancer des indices. Moyen "fin". C'est discutable. Ça implique d'exploser un mur, de penser comme la brutasse qu'il faudrait que j'sois le temps de quelques secondes. J'suis prêt.

        Jones me reprend le den den.

        ... Je fais ?


        'tain. J'ai la trouille. J'espère que j'saurai simuler l'accident. Passer pour un demeuré, pas griller ma couverture. La tension s'échappe pas d'mon esprit, j'espère. J'suis pas bon acteur. Ma face se déforme vite sous les coups d'émotions fortes. L'autre me fait signe d'y aller. Face au mur, j'le mire fixement, comme un adversaire. J'essaye de visualiser. Faire un travail de sagouin, bruyant, mais pas trop.

        Prier, encore, pour que quelqu'un là-haut nous entende... Mmh. Pas Dieu. Juste un badaud, ça suffira. On doit être en-dessous d'un quartier fréquenté, hein ?

        J'frappe. J'ai bien vu les fissures du mur, les points faibles qui m'ferait économiser temps, énergie et risque, mais j'tape juste à côté. Volontairement. Parce que j'suis une brute, et non un chirurgien, aujourd'hui.

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        Le temps de récupérer le den den et de le fourrer dans ma poche de veston que vl’a que l’homme-poisson, visiblement épris, d’une envie de dérouiller tout ce qui bouge. Il frappe comme un sourd dans la paroi et même pas au bon endroit. Foutu miro, déjà que je t’ai pas dit la cogner présentement, t’arrives à l’exploit de frapper à côté. ‘Fin bon je suis mauvaise langue, ces espèces poisseuses voient peau de zob’ avec leurs pifs de trois mètres, ils n’ont pas une vision d’ensemble, physiquement comme psychologiquement d’ailleurs. La frappe de l’homme poisson a le mérite d’envoyer du pâté mais cet abruti a tellement cogné que la structure se met à trembler sur elle-même, nul doute que les baraques du dessus ont dû en entendre l’écho elles-aussi.

        « Pas maintenant, gros malin, tu vois pas que les autres sont pas là ? Faut qu’on répète au Q.G avant que tu balances tes gros biceps dans le décor Sharkal ! T’as été assez fin pour réveiller la méfiance des gars d’au-dessus, la cavalerie va pas tarder à débarquer dans le coin pour mirer ce qui se passe. Faut se casser d’ici fissa ! «

        Nous vl’a à cavaler dans les conduits comme des dératés dans le labyrinthe des canalisations à cause des bonnes idées de Sharkal, je le retiens ce gaillard-là. La lanterne se branle dans tous les sens et illumine tant bien que mal notre voie. Vl’a bien notre veine bordel, en plus j’imagine que lui non plus doit pas être foutu d’avoir une once de sens d’orientation en dépit de ses naseaux béants qui reniflent la chair à cent mètres, alors je suis obligé de vérifier à chaque intersection notre parcours, histoire d’éviter qu’on ne tourne en rond comme des attardés. On a beau se carapater aussi vite qu’on peut, on ne peut pas s’empêcher de se casser tantôt la tronche dans l’eau croupie, faute aux obstacles qui stagnent dans cette marrée croupie. Sauf que cette fois, on se fend pas la poire, sinon c’est notre poire qu’ils vont presser ‘tain.

        On finit par entendre des bruissements de pas dans les conduits avant d’apercevoir au bout de l’un des tunnels la lumière d’une lampe-torche. Pas d’échappatoire possible, il y a bien une canalisation sur le côté mais des barreaux nous empêchent d’y fourrer notre nez, surtout qu’elle trop étroite pour que lui y passe son aileron. Je fais signe à Sharkal de faire sauter les barreaux, histoire que moi au moins, je puisse m’y calfeutrer, chose à laquelle il s’exécute prestement. Je me fourre dans le réduit et prenant conscience que la canalisation est trop petite pour lui, la poiscaille se fend alors d’une réplique :

        « Et moi alors ? «

        « Bah t’vois bien, il y a pas de place pour deux ! Va donc te cacher dans l’eau croupie au bout du conduit, t’as des branchies, t’peux respirer dans cette mélasse ! Et quand ils se pointent, t’en ressors en beuglant comme un monstre abominable, ça devrait les faire déguerpir en cinquième hahaha »

        Il avait qu’à se débrouiller, c’était bel et bien de sa faute si on en était arrivé au point où nous en étions rendus. J’espérais bien que l’ami poissonneux n'allait pas s’adonner à cette petite mesquinerie élaboré sur le pouce. Je la lui avais balancé sans pour autant être véritablement sérieux, pensant que Sharkal allait trouver une autre alternative, un autre moyen de procéder.  A lui de se dépatouiller de tout ce fourbi, du moment que mes miches à moi sont au frais, ca me convient.

        Les pas se rapprochent, je me mûre dans le silence le plus total tandis que je vois mon comparse se barrer à l’autre bout du conduit et se terrer dans la flotte. Nom de dieu ! Est t-il seulement sérieux ?! Moi qui pensait avoir à faire à un être doté d’une véritable conscience à part entière… ne possède t’il donc aucun second degré ? Bientôt les importuns en les personnes de la milice royale, passent devant mon réduit sans prier garde à ma présence, ils poursuivent leur route, la boule au ventre, non rassurés quant à ceux ou à ce qui a déclenché cette vibration sur le tarmac du dehors.

        « Tu penses que c’était quoi ? Encore ces maudits rats tu crois ? «

        « Un rat capable de balancer une vibration pareille ? Nan mais t’as rien au coin du crâne ou bien ? Je penche plutôt pour la thèse de petits malins qui se sont fait remarquer sans le vouloir. «

        Rendu au bout du tuyau, l’impensable, l’inconcevable, l’inimaginable, Sharkal jaillit de l’eau en gueulant de tous ses poumons tout en prenant une pose carnassière comme s’il s’apprêtait à les dévorer tout cru. Un cri abominable émerge de ce qui lui sert de cage thoracique, Sharkal en a sérieusement dans le coffre et il le fait savoir dans un meuglement tonitruant et monstrueux, un meuglement d’outre-tombe qui m’aurait presque fait faire dans mon falzar si le bestiau m’avait surpris à l’image de ces petits intrus. L’environnement poisseux, l’heure qu’il est et l’obscurité jouent en notre faveur si bien que nos deux miliciens sont épris à l'unisson de la même terreur.
         
        « AAAAAAAAAAAAAAAAAAH, un monstreeeeeee. AAAAAAAH »


        Les deux énergumènes prennent leurs jambes à leur cou et se tirent du conduit, courant à toute berzingue comme jamais ils n’ont encore couru. C’est le genre de situation où ils ont dû comprendre le sens profond de l’expression «  avoir la mort aux trousses » héhé. Superbement joué le Sharkal, félicitations mon gars, c’était du grand art, un véritable acteur inné. Si tu venais à te planter dans le milieu du crime organisé, hésite pas à te recycler dans le cinéma, tu gagnerais un bon paquet de golden globe mon gars !

        Je m’extirpe du conduit et me précipite vers mon acolyte, vantant brièvement ses mérites d’acteur. Nous reprenons notre route comme des fous furieux, les miliciens font appeler la garde et réveiller le quartier dans bien peu de temps. M’étonnerait pas qu’une rumeur naisse du petit incident, je vois déjà les premières de couverture du royaume : « Menace dans les égouts du royaume ! «, «  Un monstre marin en dessous de nos pieds ! Mais que fait le roi ? ». Bwahahaha de belles tranches de rire en perspective.

        Après plusieurs minutes, on finit par voir le bout du tunnel et on débouche dans la décharge de Luvneelpraad, haletants et nauséeux par cette foutue chevauchée. Trempé de sueur dans des sapes qui ne valent pas un clou, on reprend notre souffle à grand renfort de bouffée.

        « Allez, retour au bercail, faut mettre au plan la stratégie du casse et mettre en commun les renseignements. T’as failli nous mettre dedans Sharkal,  t’avises plus de faire de bavure. Je dis ca pour toi, le mec de Tempiesta risque de l’avoir mauvaise mon gars.»


        Dernière édition par Sharp Jones le Dim 18 Mai 2014 - 11:25, édité 1 fois
          J'en aurai fait de belle, décidemment, au cours d'ma vie. J'observe les deux braves soldats décamper, hurlant comme des fillettes. J'les observe avec des yeux un peu vitreux, le museau dégoulinant d'immondices, et comme une graaande lassitude en moi qui s'est déguisé en rire jaune intérieur. M'suis précipité sur eux la gueule grande ouverte, bondissant depuis la vase et le purin, poussant un cri bestial qui raisonnera probablement à jamais à travers ce labyrinthe de cylindres rouillés, j'suis devenu un vrai démon des égouts. Et... c'était drôle, ouais. Même si j'aurais pas refusé d'le faire pour autant, au vu du terrain glissant sur lequel j'me promène depuis une bonne demi-heure, j'pensais que le plan de Jones me saperait une bonne fois pour toutes moral et fierté. Faudrait que j'me déride...

          En tout cas, lui se tord de rire. Ni dans ma tête pour relever mes émotions toujours autant foldingues, ni dans mon corps pour détester cette impression d'être allé respirer dans un bouillon toxique, il contente de s'en payer une bonne tranche d'un rire foutrement rustre. Et moi, me contente de lui adresser un sourire niais de tout mes crocs jaunis... Nan, maintenant ils doivent être brunis. J'y sens attaché quelques morceaux gluants, shlinguants, et dont j'ai absolument aucune envie de savoir de quel genre de lieu d'aisance ça peut avoir coulé.

          On s'fait pas davantage prier, et on décampe avant que les renforts viennent chasser le monstre des égouts. J'ai loupé le coche... J'ai raté ma gaffe. J'cherche bien à m'en vouloir d'avoir pas pu trouver un plan B lorsque Jones m'a donné ses ordres, mais, non. C'était juste pas encore le bon moment. Pour le coup, c'était une vraie gaffe. Du point de vue d'la mission. Si j'me plante encore une fois, j'suis bon pour me retrouver au fond d'un fleuve la jambe accrochée à un parpaing. Et éventré, bien sûr. Ces carnassiers se seront p'tet servi de quelques bouts là-dedans pour s'faire un brunch entre bouchers. Et une soupe d'aileron.

          Le camarade manque pas d'insister sur ma situation, et d'faire monter encore un peu plus la pression qui m'écrase les épaules et l'esprit. Comme si j'avais besoin de ça... J'suis à nouveau tendu comme un string. J'commence à sérieusement flipper, là. Je joue au funambule, c'est ma première, j'ai pas de harnais, j'ai pas de perche, et une foule de lions là-dessous qui me déchiqueteront à la première erreur. Gloups.

          Plus de bavures, d'accord. "Il dit ça pour moi". Ils vont l'avoir mauvaise. J'espère que lui-même me taclera pas trop devant le reste de l'équipe. M'étonnerait pas qu'avec son air d'ami des bêtes sympas avide de franche rigolade et de plans nets rondement menés, il soit un des plus vicieux de la troupe. Isolés, les autres tarés doivent pas être si impressionnants qu'ça. On fait demi-tour. J'crèverais d'envie d'lui demander gentillemment de pas me briser trop fort, mais forcément, ça ferait que l'encourager. La mission commence à m'paraître sacrément longue, et alors qu'on quitte Luvneelpraad, j'me sens toujours plus en danger. Surveillant le den den qui forme une bosse dans sa poche, des idées stupides me traversent la tête. Jouer au pick-pocket, assommer la crapule par derrière, dévorer le den den, faire disparaître le bonhomme puis me volatiliser à mon tour. Ça pourrait passer pour un réglement de comptes éclair. Si y avait pas dans les 90% de risque que tout capote à chaque étape du plan... J'dirais, plutôt dans les 120%, en prenant en compte ma poisse chronique. Mes malédictions. Mes variables à moi. Ma vie de merde.

          J'saisis tant bien que mal les quelques bribes de conversation qu'il me tend. L'a compris que j'étais pas causant, j'crois que j'ai bien planté le décor à ce niveau-là. Sans mal. J'lui rends à la volée des "Hmm", des "Ouais", des "Ok". Sur ton froid et autant monotone et vif que possible. Pour pas risquer d'me trahir de ma belle voix cassée et tremblante des mauvais jours.
          Non. Non. Guetter la vraie occasion. Alors qu'on pénètre de nouveau dans le vieil entrepôt. La triste troupe saute aux nouvelles. Le minet en premier, forcément. D'habitude impassible, j'saisis la fraction de seconde où mon baron du crime en fourrure grimace à l'écoute du rapport de Jones. Précisemment à cet instant où il conte mes exploits. J'serre les dents. Transpire à belles gouttes. Ma vessie menace d'ajouter un violent arôme de pisse à mon fumet de poisson pas frais.

          Monsieur Sharkal... Nous pouvons tout de même toujours compter sur vous pour la suite ?

          O-Oui, oui. Ça s'reproduira pas. Juste... C'était une erreur de calcul.

          ... Tenter d'me justifier était bien la pire des conneries à faire. Pas vrai ?

          J'espère bien, effectivement. Bref. Nous ne changeons pas nos plans. Passons aux derniers préparatifs.

          'tain. Bon. J'ai intérêt à me faire oublier. J'aurai pas trop de mal. Car ils se déploient, ils s'affairent. Ils font des... trucs... dans leurs coins. Comme d'hab, moi, réfugié dans un coin, m'fait tout petit dans l'ombre, et j'observe. J'scrute Jones, de retour avec ses plans. J'suppose qu'il les mets à jour.
          Le jeunot, dans coin, semble refaire sa coiffure. D'accord. Assurément, c'est l'heure de la toilette, ouais.
          L'un des truands de compétition à la tronche figée entretient une conversation animée avec le... "boss". Mmhf. Ça me fait mal de l'appeler comme ça...
          L'second, spécialiste en sécurité, je crois, s'est câlé dans coin et remplit une mallette de matos avec délicatesse, tirant la langue et semblant complètement absorbé par des espèce de plaques d'inox. Travail d'orfèvre, piratage et sabotage de la sécu' d'une banque côtée. L'aurait sûrement une précision de toub...

          T'as fini d'te tourner les pouces, poiscaille ?

          Me prend par le bras, me lance quelques sales regards. J'le reconnais, c'est le mec aux yeux défiants, qui semble chercher la savate en te fixant, qui te jauge ta confiance avec un espèce de cynisme corrosif rien qu'en se plongeant dans tes propres mirettes. Type observateur, mais con comme une brique, dont le regard doit être aussi glacial que l'coeur. J'préfère largement Jones et ses vannes sur les alligators géants des canalisations.

          Viens avec moi, on redescend là-dessous. Tu vas m'péter quelques murs. Tu vas m'connecter tes deux neurones et m'apprendre à évincer un obstacle sans mettre la moitié d'la ville sur le pied de garde.

          Me montre une plaque d'égout rouillée, dehors, m'fait signe de me dépêcher de la bouger et de descendre. J'm'exécute, pas le choix. Il me force à descendre en premier, sans jamais qu'son regard inquisiteur faiblisse. Me sens en bien mauvaise compagnie. D'retour dans la mélasse, j'essaye de soutenir son regard pour tenter d'me faire pousser une paire de virilité là où manifestement y a eu tromperie sur la marchandise. Mais quand il termine sa descente, le v'là qui glisse et se ramasse dans les eaux usées, m'éclaboussant au passage. Nerveusement, j'pouffe. J'évite de m'esclaffer, pour éviter de mécontenter le taré. Puis j'dois aussi ménager ma vessie... Entre coups de stress et de relâchement, entre moments fous et cocasseries déplacées, elle oscille, elle menace de craquer, elle est sous pression, exactement comme ma p'tite âme fragile.

          Hmmm. Besoin d'aide ?
          Ta gueule. Avance et commence tout seul.

          J'me lance, mon entraînement commence. Hâte que les choses sérieuses débutent. Vraiment envie d'en finir...
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          Le retour au bercail s’était fait sans malaise. Bien entendu, Sharkal s’était fait copieusement taillé par la petite troupe pour ses élans un peu trop impétueux, le genre de rengaine qu’on réserve aux bonnes âmes qui nous foutent dans la mouise. Le temps qu’on passe au crible les différentes étapes du casse et de répéter nos interventions, le Sharkhal était parti se faire la main dans les égouts, histoire que le petit incident ne se reproduise guère pour la grande messe, c’est que je j’ai le brolic qui me chatouille les phalanges lorsque les gars s’affairent pas à suivre le plan. Le gus à fourrure fait office de maître de cérémonie, il a fait en sorte d’isoler le bestiau en bas pour nous foutre dans la confidence au sujet du sort qu’il lui réserve.

          C’est que dans l’expectative que le casse se déroule comme il se doit, faudra grosso modo se tenir à l’ombre et la jouer discret pendant un paquet de lunes avant de revenir avec la fourrure de vison et les diams aux bouts de nos doigts crochus. Et notre ami tout couvert de maquillage s’est pas entiché d’une confiance unanime dans le Sharkhal, notamment à l’aune de la gaffe dont il venait de se rendre responsable. Il le croyait pas capable de la mettre suffisamment en veilleuse pour pas nous attirer des ennuis. Fallait bien dire qu’au regard de la carrure de la poiscaille, l’ami devait faire un sacré paquet de vagues dans la flotte. T’étais loin d’être le seul requin dans le bassin Sharkhal, et l’ami Tempiesta était un petit combinard de première, il en avait long dans sa manche et je suis d’avis qu’on n’était pas au bout de nos surprises. La perspective d’avoir une bouche de moins à nourrir, une part de pactole en moins à départager était fort alléchante et c’est naturellement que nous acquiesçâmes tous de concert quant à cette proposition. Liquider l’ovipare après qu’il ait accompli sa besogne pourrait à terme se révéler un véritable jeu d’enfant et ce fut au minet que fut confié la tâche.

          Le plan finement élaboré par le sbire Tempiesta reposait principalement sur trois pans étroitement liés. En premier lieu, on employait les talents de Sharkhal pour déblayer le passage et s’en servir comme force de frappe au cas où on rencontrerait un imprévu dans la banque. Puis Stockton le briscard se met au boulot et attaque la paroi avec son matos tandis que le Tempiesta  et le minet feront le guet sur l’asphalte, histoire de faire décamper les importuns qui se figureraient faire irruption dans notre petite machination bien huilée. En troisième temps, Malone, s’occupera du terminal de sécurité qu’il court-circuitera le temps suffisant pour que je m’attèle avec Stockton à percer le coffre. S’ensuit le remplissage des sacs avant qu’on se tire par les égouts, direction le quartier général pour qu’on fasse le décompte et qu’on distribue les parts. Tout semblait prendre une tournure excellente, nous récapitulions à haute voix uns à uns nos agissements pour que le plan s’inscrive au plus profond de notre cervelet… jusqu’à ce qu’un évènement vint briser en mille et uns morceaux nos espoirs de succès.

          « Les gars, il y a comme qui dirait un foutu imprévu. La secousse survenue dans les égouts la nuit dernière a rendu soupçonneux l’administration bancaire et a fait déplacer les fonds dans une salle au premier, identique  à celle du sous-sol, pour prévenir ce genre de menaces. Par ailleurs, suite au numéro de Sharkhal, des rumeurs font état d’un monstre marin qui pataugerait dans les conduits. «

          Il pouvait être fier de son coup, l’autre empaffé, il y aurait fort à parier que le roi avait aussi intensifié les patrouilles en conséquence, histoire que les bonnes gens puissent dormir sur leurs deux oreilles sans être inquiétés.

          Heureusement pour notre cas, la salle au premier est identique et de mémoire, on peut tabler sur une distance de quatre-vingt mètres entre la salle des coffres du sous-sol et celle du premier. Changement de topo oblige, on s’affaire à échafauder de nouvelles alternatives d’action la nuit durant.



          ***   ***



          Les heures s’écoulent tandis que nous touchons finalement au but, exténués par la longue nuit de labeur. Sharkhal est aussi revenu à bon port, toujours l’œil hagard, à moitié dans le gaz à se figurer ce qu’on attendait de lui.  Le rendez-vous est fixé le lendemain à minuit au quartier général en tenue. On se disperse bientôt dans toutes les directions sur les docks après que Tempiesta nous ait filé ses prérogatives.

          Le casse se profile foutrement bien, trop bien même à mon avis, j’ai du pif pour les coups idiots, j’en ai trop expérimenté de ces conneries et ce coup-là me semble puer le traquenard à plein nez. J’ai la désagréable sensation que le Tempiesta essaye de nous la faire à l’envers, il n’a pas bougé un cil ni même eu l’air de s’étonner une seule seconde du changement de plan avec toute sa foutue pompe et sa rhétorique posé. J’attends que la troupe de choc s’éparpille suffisamment pour revenir sur mes pas et faire comme qui dirait, une petite visite de courtoisie au patron. Pas moyen de passer par le devant, l’homme a placé deux gorilles alertes devant, du genre de ceux qui te brise la nuque en deuxcoups de cuillère à pot. J’emprunte l’escalier de secours sur l’envers du dock. Ma chance, c’est que le dock 44 servait autrefois à l’entreposage des espèces végétales exotiques en provenance de toutes les mers du globe avant d’être disséminé auprès des riches propriétaires terriens du royaume. Conséquence de quoi, le dock avait été aménagé en forme de grande serre où les rayons lumineux irradiaient d’une lumière diaphane la flore séjournant à l'intérieur. Le toit vitrifié allait m’être d’une grande utilité.

          Je m’engage sur ce dernier avec précaution, m’efforçant de marcher strictement sur les rambardes en acier trempé, liant les différents pans de verre. La chose se révélait presque être un exercice de funambule ou d’équilibriste et je réussis finalement à m’engager au travers d’un grand vasistas laissé entrouvert. En bas, une vive discussion semble se tenir entre trois hommes, je reconnais la voix de Malone, l'un des briscard, celle du minet et le timbre emphatique de l’olibrius de Tempiesta.

          « Ils ont pas marché dans la combine…ils ont couru dedans hahaha, quel bande d’idiots ! «

          « Ne le crie pas trop fort Malone, tu connais bien le proverbe qui veut que l’on pense que les murs ont des oreilles »

          « Héhé en effet, Messieurs. Vous seuls êtes au courant du pot-aux-roses ! Faudra vous arranger pour buter Jones avec le squale et Malone se chargera de son vieux pote Stockton qui a toute sa confiance. Mieux vaut 30 millions chacun plutôt que 7 ou 8 chaque héhé. J’aime votre sens des affaires, Messieurs »

          « Comment on va s’y prendre ?! »

          « Débrouillez-vous pour que Jones et le squale chargent les sacs et au moment où ils vous les auront donnés, Malone se chargera de réenclencher l’alarme pour que la lourde herse de fer forgé s’abatte et les emprisonne à l’intérieur comme des rats. «

          « Il n’y a pas moyen qu’ils nous balancent aux autorités ? »

          « Ils n’ont aucune preuve pour corroborer le recours à des complices, le matos sera à l’intérieur du coffre et ils n’ont en réalité que les noms d’emprunts que nous avons choisi dans cette affaire. Pas l’ombre d’une piste pour remonter la filière. Dès le casse terminé, vous récolterez vos parts respectives et prendrez aussitôt le navire affrété spécialement pour vous dans le port. »

          « Vous êtes génial, Patron ! «

          « Je le sais, Malone, je le sais, c’est bien pour ca que je suis le patron ! »

          Foutus salopards, ils nous avaient bien bernés ces maudites enflures. Toujours se méfier de l’eau qui dort disait ma mère, ils avaient rondement fomentés leur coup. Le mec de Tempiesta s’efforçait d’évincer un à un les témoins pouvant l’identifier dans cette magouille en faisant miroiter un pactole au « Minet «  et à « Malone «  puisqu’ils s’agissaient de leurs noms d’emprunt. Comment ces deux demeurés ne pouvaient t’ils pas se figurer que le Tempiesta finirait tôt ou tard par leur faire la peau ? C’est que ces trucs-là, c’est comme dans un panier de crabes, c’est le plus gros prédateur qui en ressort sauf en ayant dévoré tous les autres et au regard de l’appétit de la bête, on avait du mouron à se faire.

          Vous ne perdez rien pour attendre, bande de sagouins. Ne dupe pas Sharp Jones qui veut à fortiori lorsqu’un tel magot est dans l'escarcelle. Z’allez voir si vous envisagez de me rouler dans la farine, c’est pas ma gueule qui va se retrouver dans l’étau les mecs, oh que non. Je décide bientôt de faire machine arrière et de décamper du dock, histoire de pas éveiller de soupçons. Une longue journée m’attend, vingt heures pleines pour concocter ma marche de manœuvre. Bientôt, je décidais de mettre Sharkhal dans la confidence de la magouille qu’ils perpétuent sur notre dos, je passerai pour un bon pote auprès de lui, surtout que j’ai besoin d’un bouc-émissaire en bonne et due forme au cas où mes petites ruses viendraient à merdouiller.


          Dernière édition par Sharp Jones le Dim 18 Mai 2014 - 11:49, édité 1 fois
            Voilà. Relâché. Pour la journée. Pas le temps de traînasser, pour l'instant. J'aurai toute la journée à glander en attendant Minuit. Mais, pour l'instant... localiser une certaine poubelle près d'un certain dock qui renfermait un certain objet qui m'aidera à faire mon premier rapport. J'suis pas habitué aux rapports. J'rassemble mes miettes d'esprits, éparpillées tous azimuts. M'suis reçu une douche froide de la part d'ces gars. Je sens bien qu'ils m'en veulent à mort d'avoir fais ce que j'ai fais, mais aussi d'être c'que j'suis. J'espère que mon contact avec le commandant va m'laisser miroiter une porte de sortie... nette. Jusque là, j'ai la furieuse sensation qu'ils m'ont enfoncé dans la boue sans prévoir de manière de m'en extirper.

            La poubelle... Un den den noir qui m'attend, sous un sac plastique tout aussi noir de décoration. L'appel devrait plus tarder. J'l'embarque, et pars trouver un coin plus sombre aux alentours des portiques. Loin d'la civilisation. En cours de route, la sonnerie tombe. Les traits de l'escargot noir se déforment pour devenir plus carrés, plus durs, coupés au couteau, et surtout, des sourcils froncés qui tombent sur des yeux de pierre. Aucun doute, c'est l'commandant, ce dur à cuire.

            Kamina. Bonne pêche ?
            Euh, ouais... C'est un gros poisson...
            Oh, vraiment ? A quand la prochaine partie ?
            Ce soir, minuit... Tehmann Brotherz. Par en-dessous.
            Très bien. Le poisson est déjà ferré ? Pas de souci pour vous ?
            Ils mordent à l'hameçon. Mais j'reste sur la corde raide...
            Nous serons présents nous aussi. A l'intérieur et autour, en civil.
            Et...
            Nous nous chargerons de votre extraction dans le même temps que l'arrestation. Le lieu ne sera évacué qu'au dernier moment pour ne pas laisser planer le doute durant la journée. Les soldats en civil prendront alors la place des employés, votre frère y compris. L'idée est de provoquer le moins de casse possible, et d'intervenir avec vitesse et efficacité. Vous, tenez votre rôle jusqu'à la fin.
            C'est tout ? ... Allô ?

            Fin de la com'. Déjà. Un échange froid. C'est trop demandé au commandant... d'me lancer quelques pistes, me glisser un peu d'encouragement, d'se rappeler que j'suis pas assez mûr pour tenir bon tout seul face à tout ces fruits pourris ? Il en a rien à foutre de c'qui me passe par la tête. La v'là, ma raison d'être : Servir d'outil à tout c'qu'est mieux sapé que moi sur la planète, à tout ce qui a la main plus longue. Me défaire d'mes chaînes, c'est pas pour demain. Mais j'perds pas espoir. J'ai hâte et tellement envie d'me ramener victorieux devant le frangin. Ce sera une sacrée fierté. Et peu importe les dorures et les jolies broches qu'me refileront non-chalamant les grands et gros médaillés chagrinés de devoir partager la gloire avec une bestiole hideuse, seul le sourire et la tape dans le dos que j'recevrai sûrement d'mon Tark compteront. L'esprit libéré d'cette angoisse d'être un poisson rouge teint en gris dans un aquarium de requin, j'aurai tout le loisir de vider mon sac au frérot ensuite. J'stresse, je sais pas s'ils m'ont grillé. Une journée sans savoir ce qu'ils mijotent, à errer dans la ville dans mon accoutrement de corbeau en remuant les événements d'la veille. Comme un clodo, m'suis pris une bouteille pour la journée. Du jus de mangue. Et j'pars me poser dans un coin reculé des docks. Avec du jus de mangue. Vive la vie... J'ai pas l'air finaud. C'est bien...

            Avoir l'air plus con qu'je le suis en réalité, ça m'donne une longueur d'avance. Tark m'disait souvent ça, en parlant de lui, mais aucun doute que ça s'applique aussi à moi et ma dégaine d'alevin frais échoué loin d'son rivage, qu'a la raison dans les crocs, de la hargne dans les veines et l'envie d'se hisser hors de sa condition d'sale bête sauvage dans le coeur. J'bénis leurs foutus préjugés, et leur cupidité qui les empêche d'y voir clair. Les empêche d'penser qu'c'est p'tete l'homme-requin qui cogite le plus dans leur troupe de rats malades. Le fric rend accro sans qu'on ait besoin d'le palper. Retors. J'pane pas comment ça fonctionne. M'en branle. L'important, c'est que ces drogués sont dans mon viseur, qu'j'me sens blindé d'un redoutable acier, rare. Persuadé d'un coup que toute cette mascarade va bien s'terminer. J'sortirai d'ici grandi. Et l'frangin sera fier de moi. J'aurai vaincu. Une gorgée de jus. Gloub.

            Pulu pulu pulu

            Mon autre escargot... Ça doit être Jones. Même si j'fous rien et qu'étais totalement sur l'pied de garde, j'laisse tout de même s'échapper une ou deux secondes. Avant de décrocher. Paraître long à la détente, c'est comme les coutures d'mon déguisement.

            Hmmm ?
            Réagis plus vite, bon sang, Sharkal ! On est les dindons d'la farce de Tempiesta !
            Hein ? Comment ça ?
            Ils ont déjà projeté d'nous liquider une fois l'casse accompli.
            ... Ils feraient ça ? Euh, t'as un plan ?
            J'trouverai. Planche là-dessus toi aussi.
            Hmmm. Merci de m'avoir prév...

            Bouh. Lui aussi m'raccroche au nez. Alors c'est ça... La "camaraderie" des grands voyous. Pas de sens de l'honneur ici non plus. Rien d'neuf à signaler. Pas de sentiments nouveaux qui naissent à l'égard d'cette bande de timbrés. J'reste sur ma position. En tôle, ou six pieds sous terre, ils manqueront à personne. Et ces pauvres gens qui s'traînent dans leurs ombres pourront dormir sur leurs deux oreilles ! Ça s'rapproche à peu près de l'idée d'justice que j'me faisais, je crois... Si j'étais pas un pauvre pantin baladé par ses supérieurs, m'sentirais presque vertueux, tiens... Me demande ce qu'en pense Tark.

            Et Jones... j'me fie plus à lui qu'à n'importe quel autre de ces tarés parce qu'il est l'seul à m'avoir vraiment adressé la parole, même causé amicalement deux ou trois fois, et qu'il aime plaisanter. Maigre dossier. Mais je m'en contente. Je m'aventure pas dans le territoire des chacals pour faire copain-copain avec eux. A la fin, ils tomberont tous. J'espère. Et j'serai satisfait, moi, l'frangin, et mon jus de mangue. J'ai bien peu d'alliés sur cette Terre. Dans ces circonstances, j'considère plus Jones comme un compagnon d'infortune.

            J'laisse le temps couler. Les idées vont-et-viennent. Le den den posé à côté d'ma bouteille. Un frisson m'parcourt. La sensation d'être seul, isolé, et quasiment libre. Quelque chose que j'aurais aimé goûter en d'autres circonstances que celles-ci. J'laisse mon optimisme défendre sa forteresse. Rien n'pourra mal tourner, hein ? Tous les acteurs sont partis pour s'entretuer pour du pognon. Ils élimineront les personnages secondaires et j'doute pas qu'à ce rythme, Tempiesta lui-même doit s'voir volontiers seul survivant d'sa tragédie. Moi, juste figurant d'leur pièce. Un figurant qu'a la main sur l'envers du décor, dommage pour eux...

            ***

            C'est reparti, poiscaille...

            La fouille. De retour dans le repaire, j'les laisse de nouveau me tripoter l'corps de la croupe aux pattes. J'crois que j'suis encore un des derniers arrivés, comme hier. J'me suis endormi dans mon jus de mangue dans l'après-midi, et ça doit faire au max une dizaine de minutes qu'un fracas métallique m'a levé. Car même sous les feux des étoiles, on dirait que le port de Lunveel s'arrête jamais. Alors j'me suis tiré en sursaut d'ma torpeur, prié pour pas avoir loupé l'coche, bazardé ma bouteille, traîné ma veste dans plusieurs flaques avant de l'enfiler à l'envers puis sprinté jusqu'ici. Je caille, je pue, un peu voûté, une respiration rauque qui s'extirpe d'une bouche pâteuse, les yeux inexpressifs d'un déterré victime d'un long sommeil bondé d'rêves dont il se souvient pas, et forcément... j'suis aussi tâché de jus de mangue. Traîner par terre toute la journée m'a pas réussi. Mais au moins, j'ai récupéré. J'me sens gonflé à bloc, malgré mon coeur qui cogne dur dans ma cage thoracique. Et mon esprit qui virevolte partout dans ma pauvre tête encore dans les vapes.

            Magne toi.

            Le stress. Inévitable... Quand j'déboule, aucun regard n'se pose sur moi. Juste un coup d'oeil éclair de Jones. Z'ont pas pris la peine de m'attendre pour commencer leur dernier point. Normal, j'ai pas voix au chapitre. Mon rôle dans leur script se résume à des actes : frapper, tuer, puis mourir. Et j'espère réecrire mon personnage, oh que ouais... J'ai la confiance qui s'ébranle et la foi qui s'dissipe en repensant au sort qu'ils me réservent. Jusqu'à ce que les collègues me tirent de là, j'ai plus droit aux faux pas. La présence du frangin à l'intérieur de la banque me rassure, mais... j'ai un... mauvais présentiment. C'est qu'forcément, on s'ressemble pas mal physiquement, lui et moi...
            • https://www.onepiece-requiem.net/t10413-fiche-de-craig
            Se mettre dans la poche la poiscaille avait été une partie de plaisir, ce gros nigaud becquetait littéralement tout ce qu’on lui fourrait dans la gueule, il incarnerait le souffre-douleur idéal pour ma petite magouille. J’avais passé toute la journée à passer des coups de fil aux grands pontes du milieu, aux petits truands, aux petites frappes qui œuvraient dans la rue pour les gros poissons, tous ces colporteurs de renseignements, ces balances qui ne cessent de piailler dés qu’ils ont le surin sur la pomme d’Adam et qui rechignent à dessouder des gars quand on leur demande. J’avais fait en sorte de laisser planer le doute quant à ce qu’il allait se passer ce soir à la Thermann’, juste assez pour que ça suscite l’intérêt des grosses pointures et qu’ils calent des sbires en faction aux abords de la banque. L’affaire commencait à s’ébruiter en soutane et le temps qu’elle parvienne aux esgourdes de Tempiesta, ce sera trop tard pour qu’il corrige le tir.

            La Thermann’ allait devenir le théâtre d’une petite guerre des gangs et ce hormis le chien de ma chienne que je réservais à toute cette petite bande d’hurluberlus qui avait essayé de me flouer. De cette manière, même si ça venait à tourner au vinaigre, les alliés de Tempiesta allaient lui réclamer de sérieux comptes quant à l’affaire, sans compter qu’il aurait l’air finaud vis-à-vis des autres familles avec aucun pactole ramassé bwahaha.

            Me vl’a à l’aube du casse, une bonne heure avant même, à préparer tout mon attirail, à me mirer dans le miroir pour me saper, comme si j’allais chasser la gueuse au-dehors. Je m’agite machinalement, c’est mon premier casse et pourtant il y a de fortes chances pour qu’il capote et que je tire pas mon épingle du jeu. J'ai rêvé mieux comme entrée en matière, m’enfin j’ai le crâne dur et les nerfs solides, je saurai rebondir en cas d’échec cuisant. Leur petit stratagème de fouille à la con, je l’ai contourné aisément, je suis revenu dans la nuit et j’ai planqué un calibre par le vasistas que j’ai glissé dans l’humus d’une plante verte, malinx le Sharp. Nul doute que le Sharkhal a dû aussi prévoir quelque chose de son côté, j’espère juste qu’il aura assez d’intelligence pour pas se faire capter d’entrée de jeu, il ne ferait pas long feu auquel cas et serait capable de me balancer pour sauver ses branchies.

            Les douze coups tintent au loin dans le brouillard tandis qu’on est là, les culs juchés dans le repaire, Sharkhal qui se pointe à la bourre, jamais foutu d’être ponctuel ces espèces-là. Entre-temps, j’ai récupéré le calibre que je me suis glissé sous les sapes incognito. Dernière récap’ et on s’éclipse via les conduits dans un silence abscons avec votre serviteur en tête de file, le calme avant la tempête, celui qui nous fait ravaler trois fois notre salive avant de jacter, celui qui commence à peser sur l’estomac, celui qu’on rumine depuis dix putain de minutes en songeant à notre sort si ça tournait mal. Alors, on se mure dans notre mutisme, pas de remords ni de regrets, on a tous signé en connaissant les risques, tant pis pour les chiards qu’on se traîne comme casseroles, on n’aura pas à raquer pour les pensions alimentaires que réclament les vieilles harengères pour faire becqueter les marmots.

            Alors nous vl’a qu’on débouche finalement sur la paroi de briques,  à attendre le feu-vert de nos consorts. Là-haut, le mafieux et le minet s’affaire à zieuter de leurs mirettes toutes ouvertes si le champ est libre. Les derniers employés de banque, tout proprets dans leurs beaux costards rayés de bonne facture sur lesquelles s’accordent de même ton des gabardines opaques, verrouillent fermement la lourde porte en fer forgé du perron en ne se doutant pas une seule seconde que peut-être demain ils seront sur ce même parvis à chercher un nouvel emploi. Le minet vagabonde dans les venelles exiguës aux abords de la banque, s’assurant qu’il n’y réside aucune âme malveillante, sournoise. Le minet est un homme bien trop présomptueux, bien trop sûr de lui pour se figurer que le clochard qu’il vient de mésestimer est en réalité à la solde de la pègre, que la fille de petite vertu dont il vient de refuser les charmes subtiles se fait rincer par un autre truand. Le minet ne pense qu’à la maille qu’il va se faire et néglige l’instant présent. D’un signe de tête aussi discret que silencieux, il fait signe à son acolyte que la voie est dégagé, condition sine qua non à notre incursion dans l’enceinte. Le gros fardé n’est pas pour autant mieux que son compère et d’une confiance aveugle en ce dernier, décroche son escargophone pour nous donner le signal.

            « Allez-y les gars, lancez l’opération ! »

            Dans un silence solennel où la tension pourrait se trancher à la serpe, l’homme-poisson avance pas après pas vers l’obstacle sur notre route semé d’embûches, le premier jalon de l’opération nous nargue et c’est à Sharkhal qui revient de rentrer en scène pour sa grande première…et sans doute dernière fois. Stockton tâte quelque peu la paroi et vérifie qu’elle n’a pas été renforcé suite au petit incident de la dernière fois et histoire d’être sûr et certain que l’ovipare foire pas son coup, le briscard dessine un X rouge au centre de la cloison avant de coller une photo du minet par-dessus, manière d’attiser la haine chez le poissonneux pour qu’il fasse des étincelles. La bête se lance et fracasse dans tout son élan avec l’épaule le petit rempart au point de passer au travers. Sourires satisfaits sur nos trombines, le squale a rempli sa part du contrat, on peut désormais se mettre au taf’ comme il se doit. La troupe se met en mouvement, je pose ma main sur l’épaule de Sharkhal, témoin de reconnaissance pour le boulot accompli.

            On emprunte la fameuse porte de service indiqué sur la carte que j’avais dégoté et on arpente le long couloir obscur à l’oblique de la salle des coffres du sous-sol avant de monter un à un les barreaux de l’échelle de service. Faut dire que depuis que les grandiloquents et autres politiciens ont décidé d’instituer un système d’incendie d’urgence dans les banques, ca nous a facilité foutrement la donne, ce tunnel à la con n’aurait pas été percé auquel cas.

            On se faufile sinueusement à travers une trappe laissé entrouverte par notre complice dans la banque et on se dirige bientôt vers le premier étage via le fameux escalier en colimaçon. Tout se passe pour le mieux, tout se passe comme on l’avait prévu sur le papier. Mauvais pressentiment m’habite, d’abord parce que les choses ne se passent jamais comme on les prévoit et d’autre part parce que le den den mushi reste bouche close depuis un poil trop de temps.

            Qui se serait cependant douté que notre indic’, le gars dont on n’a même pas eu l’insigne honneur de se faire présenter, le mouchard qu’on n’a fait qu’entendre et jamais apercevoir, ait aménagé une petite porte d’entrée pour nos deux complices censés restés à l’extérieur. Pas moi en tout cas. Non, sûrement pas moi.


            Dernière édition par Sharp Jones le Dim 18 Mai 2014 - 13:11, édité 1 fois
              Une main me tapote l'épaule après que j'aie fracassé le mur en silence. C'est Jones, bien sûr. Car les autres savent tous qu'à la fin, restera plus de moi qu'un morceau d'aileron poisseux et indigeste. Ces chacals font pas gaffe aux sales coins où leur pitance et leur fric a pu traîner, et s'ils s'imaginent m'avoir déjà bouffé, c'est tant mieux, j'leur ôterais pas l'plaisir. J'suis en colère envers ces tarés qui voient la vie comme un bac à sable et la mort comme un jouet. J'vous retiens tous. M'empêche pas d'être tendu et d'interpréter chaque regard en ma direction avec mon bon vieux filtre paranoïaque... Et qu'j'arrive pas à me convaincre que j'crains rien, que j'suis rien de plus qu'un pauvre requin docile à leurs yeux, qui s'tient à carreau tant qu'on le nourrit et qu'on peut abattre comme l'animal qu'il est sans craindre de riposte et en s'complaisant dans un sadisme déchirant qui choquera personne d'autre que Moi. Vivement demain, j'serai apaisé, et j'me gausserai en vous imaginant les chaînes aux mimines et aux papates, ou vos jolis corps bien costumés dans un sac mortuaire. Pour une fois, j'ai aucun doute sur c'que j'fais. J'suis chez les gentils. C'est bien.

              Préoccupés, les copinous. Ça, j'le sens bien. Mais c'est pas à cause de moi. L'appel qu'ils attendaient arrivent pas, et leur plan menace déjà de sentir vinaigre avant même qu'ils ne tombent dans l'traquenard de la marine. J'espère qu'ils sont déjà tous prêts, là-haut. Au moindre imprévu, j'me taille. C'est c'que j'me suis dis. Je me fais la malle, m'planque quelque part dans la banque et attend que ça se calme. Mieux vaut être couard que mort...

              Silence pesant qui s'installe dans la troupe et moi qui penche mon museau curieux pour scruter les réactions des compagnons. Y a de l'inquiétude et des doutes. Un malaise s'installe et j'sens que tout le monde voit en son voisin un as des coups fourrés. 'vont quand même pas s'entretuer tout de suite ? Mon instinct de conservation, d'son côté, se fait aussi trahir par mes émotions. Car j'sue. Mes yeux baladeurs et mes poings serrés risquent d'me livrer les premiers. Faut qu'j'me reprenne. Calme. Calme. Reste un clébard. Reste docile. Reste statique. Reste neutre. Place tes yeux sur la brute observatrice, fixe le. Sois inexpressif. Tes yeux de merlan frit. Quoi de plus globuleux, insistants et dérangeants qu'des yeux de requin braqué sur vos mirettes, louchant un brin sur votre nez, encadrant une vilaine machoire de carnivore allongée et entrouverte, offrant une vue imprenable sur une dentition aussi aiguisée qu'pourrie ? Fascinant, hein ?

              Poiscaille, au lieu de gober les mouches, monte donc là-haut voir ce qui se passe.

              C'est bientôt fini. C'est la dernière ligne droite. Peu importe c'que trament vos potes, vous venez de relâcher la vraie bestiole indomptée de l'histoire. 'vous apprendra à sous-estimer un des frères Kamina. Bon, le cadet, le minet, le p'tit frère renfermé, le lent rêveur qui bave ses bons sentiments partout où il rampe. La tapette de service. Ils se sont fait bouffés par une tarlouze. Ça leur ferait mal d'le savoir...

              Et j'viens avec toi... M'assurer que tu fasses pas d'conneries. A tout de suite.

              Ah... Mon ballon d'entrain se dégonfle, d'un coup. Voilà qu'on grimpe et qu'on débarque dans les sous-sols de la banque, moi, et ce sale type là pour me materner... le plus hostile, le moins commode. C'est sûrement le moment ou jamais pour l'éliminer d'la scène, mais faut pas qu'on bâcle ça, pas vrai ? Les employés doivent déjà être les marines en civil. M'suffirait d'en croiser un seul pour qu'il donne l'alerte et m'aide à neutraliser cette enflure... Alors qu'on emprunte l'escalier de service, j'fais mon chieur. J'fais du bruit.

              J'le sens mal, pas toi ?
              La ferme.
              Où est Tempiesta, à ton avis ?
              Ta gueule...

              Ok, mauvaise idée. L'est stressé, le bougre. Je sens qu'il flaire le guet-apens et qu'la présence innocente du molosse docile de la troupe suffit pas à le rassurer. On va pas pouvoir aller très loin, à deux. Alors j'crains qu'il m'ordonne d'faire bientôt demi-tour. Pas envie de faire chou blanc, c'est l'occasion ou jamais. Alors que j'le vois ouvrir la porte du premier étage et jeter des coups d'oeils dans l'couloir, j'passe à l'attaque. J'trébuche sur la dernière marche de l'escalier. Feinte d'me viander, le bouscule et le fait tomber dans le couloir. Il jure. Gagné ? J'm'avance vers lui, passe dans le couloir. Il se relève... J'le quitte pas des yeux. Alors, vous foutez quoi ? Les renforts ? Personne ? Perso...

              J'en ai ma claque. Mort. T'es mort.

              M'saute à la gorge et essaye de m'étrangler ! Sa putain d'force me surprend... J... essaye d'avan...cer la mach...oire... le mordre... le mor...d... GNAP !

              S-S-SALOOOPE !!

              J'm'affaisse sur l'mur du couloir, le souffle tranché. M'tient la gorge. J'ai pu lui croquer l'avant-bras. Il pisse le sang, et j'ai un très mauvais goût de chair dans la bouche, en plus d'avoir la gorge serrée et brûlante. La langue pendue, ma salive devenue rouge qui goutte de mes dents sanguinolentes, j'le maudis d'm'avoir forcé à renoncer à mon végétarisme. Ignoble ! C'était horrible. J... Je me reprends ! Un peu, au moins... Et j'tends l'oreille, tout en me tâtant le cou. Tripotant mes branchies. Inspirer/Expirer profondément. Et en plus de mon profond souffle, et des hurlements de l'autre enfoiré, j'entends des pas... Ça court. On vient. Sauvé, on vient. Deux secrétaires s'ramènent, j'vois aussitôt au regard qu'ils posent sur moi en avançant qu'ils comprennent. Qu'c'est parti en vrille...

              Kamina ? Ça va ?
              Ou-Ouais...

              L'autre enculé continue à bouillir, m'lance un regard sauvage. J'sais pas s'il a déjà capté. Ouais ? Non ? Rien à foutre. T'es pas en position d'me refaire du mal, fils de pute... Tu garderas un... souvenir... La marque de mes crocs... t'pourras plus porter d'manches courtes sans être forcé d'mater cette rangée de trous sur ton gros bras poilu, haha...

              Les collègues lui passent les menottes. J'le vois comprendre. Comprendre qu'il y avait bien anguille sous roche. Tout un requin sous la roche, même.

              Vous êtes en état d'arrestation. Inutile de vous dire pourquoi...
              ... Et lui ? Et lui ?

              Les revoilà, les gros yeux défiants. Mais là, c'est pire. Me fusille du regard, une véritable envie d'massacre qu'émane de ses mirettes. J'suis pas assez fort pour supporter un tel viol oculaire. Alors j'détourne les yeux, j'feinte l'ignorance. J'me pare d'un sourire aussi narquois et malicieux qu'possible. Difficile quand on a une gueule comme la mienne. Faute de quoi, j'suppose que ça doit plus ressembler à un sourire de prédateur, ou de psychopathe... Pas vraiment c'que j'voulais communiquer.

              Oh le... J'te buterai, l'ovipare. J't'arracherai les tripes, putain. M'les ferai en friture. Putain ! PUTAIN !
              Embarquez moi ça !

              Et ils l'embarquent. Ses derniers mots m'ont bien picoté l'coeur, et j'doute pas une seule seconde qu'ce fada passerait à l'acte si j'lui en donnais l'occasion dans le futur. Il cesse vite de m'crier dessus quand son escorte l'fait passer par une porte de service. Mais c'est génial, il est mon premier sociopathe qui veut me voir empaillé. Faudrait marquer le coup... Moi, quand j'me suis enrôlé, j'pensais naïvement que j'entourerai de compagnons fidèles et que j'ferai plein de belles rencontres. La vérité, c'est que le légendaire sens de la camaraderie des soldats de la marine me crache copieusement à la gueule, tandis que j'lui adresse mon majeur pour tout ces espoirs de nouvelles amitiés qu'il m'a fait miroiter. Ouaip, la vérité, c'est que pour l'instant, j'm'intègre pas dans un monde d'humains en uniformes bornés et formatés, tandis que les rancunes fusent du côté des tarés qui ont pu voir le visage de la bestiole qui les a neutralisé. Rien de neuf de ce côté là. Tellement facile d'se faire des ennemis !

              Fringué en costard sur-mesure, paré de jolies binocles, les savates bien cirées. S'avance vers moi le faux directeur. J'reconnais l'commandant sous l'enrobage du jeune dandy pistonné, propulsé dans des hauteurs qui lui permettent de contempler les océans de billet dans lesquels ils se sent comme un poisson dans l'eau. Sauf que l'jeune dandy, là, il a la quarantaine. Commandant... Vous vous êtes réservé le plus beau rôle, p'tit coquin... Même si vous en avez clairement pas l'profil. J'devrais être à votre place.

              Bien, on a l'indic'. Retournez vite voir les autres, Kamina. Nos hommes à l'extérieur ont repéré des déplacements louches.
              Mais... c'est pas fini ?
              Pas du tout. Le reste du gang s'infiltre encore. Et votre couverture tient toujours.
              Tark fait quoi ?
              Votre frère a pris la place du préposé aux coffres.
              J'peux pas passer le voir alors...
              Ne vous relâchez pas, Kamina ! Retournez auprès de vos amis, exécution !
              Ils vont m'buter s'ils savent que...
              Ils ont une raison d'être au courant ?
              Non...
              Magnez vous !

              J'reviens. Demi-tour... J'espère que notre barouf est pas descendu jusqu'en bas. Ma respiration saccadée, mon pouls irrégulier, mon esprit dans lequel les pensées sombres s'développent comme une gangrène. M'sens pas en état de continuer. M'fait violence. Pas le choix. J'garde en tête que si ça craint, j'me taille, j'me planque, j'attends que ça se calme. J'me presse dans les escaliers. Rejoindre la joyeuse troupe. Ces mines de cires sombres, cynisme dans le sang et dont les foutus esprits ont jamais abrité une once de pitié. J'vous hais, putain. J'en ai marre, j'veux partir. Limites du craquage nerveux. Frangin, j'aurais vraiment besoin qu'tu me tires de là...


              Dernière édition par Craig Kamina le Ven 16 Mai 2014 - 16:19, édité 1 fois
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              Stockton a sorti le matos de compet’ et s’affaire déjà au perçage de la paroi en acier trempé, le gus est brave et nous sort qu’il devrait être bon d’ici cinq bonnes minutes. Cinq foutues minutes d’une anxiété du feu de dieu, cinq foutues minutes à redouter l’arrivée de la cavalerie ou à avoir l’œil rivé sur les confrères pour pas qu’ils me descendent, trois cent quarante putain de secondes à appréhender l’instant propice où tout finirait par s’embraser, presque une éternité pour des lascars comme nous. Je fixe le fameux Malone dans le dos, je le regarde se délecter du temps qui s’écoule, inexorable, prêt à dessouder son pote de toujours avec qui il a branlé les quatre cents coups. Je toise Stockton qui se doute pas du sort qu’on lui incombe qui s’acharne avec abnégation à la charge et je pense, ouais, je pense à ce que Tempiesta et le minet peuvent bien fomenter dans leur coin. Je me figure l’espace de quelques secondes ce qu’ils ont prévu comme point d’orgue pour ce règlement de compte de macaronis. Je suis déjà certain qu’ils ont pris les devants et creusé nos tombes à Taraluvneel, histoire de faire les choses comme les conventions imposent d’agir.

              Le croque-mort doit déjà se frotter les mains en préparant nos pierres tombales, pas de soubassement, pas même de cercueil, notre chair putréfié moisira six pieds sous terre, qu’importe les relents ils finiront bien assez tôt par disparaître et ces enflures pisseront sur les stèles comme les sales enflures qu’ils sont. On pourra lire sur nos épitaphes «  au regretté camarade, sache qu’on prendra soin de ta famille en ton absence », ca je veux bien le croire, ils liquideront toute la clique, histoire d’être sûr et certain qu’aucun n’ait l’idée saugrenue de jacter l’un de ces quatre matins.

              Sharkhal qui revient pas, j’aurais au moins eu la conscience tranquille, il a eu l’annonciation avant l’heure même si je commençais à me faire à ses petits yeux bleus mesquins qui me regardaient toujours en oblique, jamais de face, de peur de la confrontation qui s’ensuivrait. Entre-temps Stockton a fait céder la paroi et Malone a réussi à couper l’alarme sans vergogne. La salle des coffres se profile devant prête à se faire dépouiller de ses entrailles par des lascars qui se prennent pour des pointures du crime organisé alors qu’ils ne sont que de vulgaires brigands un peu trop présomptueux quant à leurs capacités. Et vl’a, le moment que j’escomptais depuis ces trois cents quarante putain de secondes, l’irruption inopportune de Tempiesta, du Minet et de toute une bande de loubards des bas-fonds aux mines renfrognées et grisonnantes. Calibre à la main, paré à faire cracher l’acier, froidement, sans même un silencieux, dans l’antichambre dans laquelle on est tous rassemblé.

              « Hahahaha, je vous avais bien dit que vous aviez le sens des affaires, bande d’ânes bâtés. Vous vous attendiez réellement à ce que l’on partage ? LA famille Tempiesta avec une bande de parvenus comme vous autres. Nan mais vous vous êtes bien regardés ?! Haha, allez envoyez donc les sacs ? «

              Cruel désilusion pour le père Stockton qui sent bientôt le canon froid sur le coin de sa tempe. Son compère Malone est à la manœuvre et fier de sa petite magouille ingénieuse, affiche toutes ses gencives.

              « Tu m’as bien roulé dans la farine sale enflure… »

              Vl’a qu’on se tient les mains en l’air, le Tempiesta attendant presque qu’on l’implore de nous liquider pour soi disant qu’on sauve notre putain d’honneur, parce qu’a l’entendre il y a que l’honneur et la volonté qui importent, le reste c’est du flan ou de la pommade qu’on aime bien se passer dans le dos lorsque la dure vérité est trop pénible à accepter.

              Coup de tonnerre, le Stockton est bientôt pris d’un rire abominable, un rire froid et calculateur, un rire presque sardonique, machiavélique même, comme si le gus était pris d’une démence subite.

              « Ou pas »

              Le bras de Malone se cambre et son flingue vise bientôt le Minet. Deux balles sourdes partent droit vers ce dernier, la première lui perfore la boîte crânienne tandis que la seconde lui transperce la pomme d’Adam. Le Minet s’effondre au sol, convulse quelques secondes avant de passer l’arme à gauche dans la stupeur générale. Raide, complètement raide, le minet, et ca même moi je l’avais pas vu venir.

              « T’arrêteras de nous avoir pris pour des cons, salopard va ! Tu croyais la faire à deux putain de briscard ?! On raflait déjà que t’étais dans le berceau à chialer après ta matrone. »

              Tempiesta se mord la lèvre, visiblement troublé par la tournure des évènements et est prêt à succomber à l’envie irrépressible de noyauter toute la troupe, pourtant il se contient, il se fait violence tant bien que mal.

              « Eh oui L’emmitouflé, tu ne croyais tout de même pas que les autres familles de la pègre n’avaient pas leur mot à dire sur toute cette maille dis-moi ? Ah, si ? Pauvre fou que tu es. C’est un coup à se mettre en bizbi avec la réseau, tu sais. »

              « Parce que vois-tu, moi à ta place, je dirais gentiment à tes gorilles de laisser couler et de nous laisser partir avec notre part car vois-tu, là au-dehors, figure tout une ribambelle de mecs bien dotés qui m’attendent bien précautionneusement et si par mégarde, il arrivait que je ne revienne en un seul morceau, ils donneraient l’assaut sur la banque. M’est d’avis qu’un sbire comme toi voudrait éviter l’incident diplomatique avec la famille Mancinelli n’est ce pas ? »

              Sacrée coup de théâtre. Je toise Tempiesta se morceler, se déliter au fur et à mesure des paroles délivrés par Stockton. Je bois ses paroles tant j’aime voir ce qu’elles évoquent chez le combinard au chapeau insolite, il en serait presque à se liquéfier sur place bwahaha. Pas le moment de sortir mon calibre, ca sent trop le sapin et ca risquerait de partir intensément en sucette, alors me vl’a à savourer l’instant présent et à attendre ma chance.

              « Tu bluffes Malone ! Tu bluffes ! «

              Dans un élan d’emportement, il appuie avec nervosité sur le chien et s’apprête à déclencher la détente. Un silence se fait ou plutôt non, une absence de sons, motus sur toutes les gueules, on sait qu’au beau de ce canon se profile les existences d’un paquet d’hommes, on sait qu’à la fin de cette tension transitoire, il y a un paquet de chances qu’on sorte les pieds devant dans un foutu bain de sang. Paroxysme de la tension, à l’apogée de nos craintes les plus noires, avec une seule idée qui nous triture le ciboulot, celle de se faire étaler dans les prochaines secondes. Alors, on essaye de bouger mais on n’y arrive pas, figés sur place comme des quiches, attendant l’heure fatidique, attendant la guillotine froide et implacable, attenant la faucheuse libératrice.

              « Les mains en l'air ! »

              Toute une meute de types en civils, nous tient désormais en joug, des mecs qu’ont l’air de savoir dans quoi ils trempent. Des subordonnés des familles pour qui Malone et Stockton bossent, pt’et bien ? Ouais, je sais pas, ils n’ont pas l’air très preux, c’est que certains tremblent à moitié, ils ne semblent pas aussi fiers qu’ils devraient l’être. La donne se corse sensiblement et bientôt un type se manifeste, cerise sur le gâteau, en nous sommant de lâcher l’affaire.

              « L’immeuble est cerné, vous n’avez aucune chance de vous en sortir, rendez vous de suite où l’on donne l’ordre de lancer l’assaut sur la banque ? «

              « Nom de dieu, mais vous êtes qui ? »

              « Tu veux pas le savoir loustic’ ou devrais-je dire Sharp Jones ? »

              Une gueule de poiscaille, encore une. Je me disais bien que ca commençait à sentir le poisson pas frais dans le coin, je pensais que c’était Sharkhal mais si je m’attendais à ca. Le pire dans l’histoire, c’est qu’il a un air de famille avec cette enflure de Sharkhal, il m’aura fait chié jusqu’au bout celui-là hahaha.

              Encore un spécimen à branchie, si c’est pas ma veine bordel, et celui-là, il nous braque avec le brolic en nous sommant de nous ranger à son avis. Mauvaise pioche mon gars, personne me dicte ma conduite, à fortiori pas une sous-espèce comme la tienne. L’altercation eclate, ça tire de partout, ça fait cracher l’acier comme jamais. Les balles fusent, sifflent dans tous les sens, perforant les carnes et les corps d’un paquet d’hommes ici-bas. Ca fait cracher la poudre, ca pète de partout et dans tout ce défilé de salves, je profite de l’occasion pour m’éclipser droit en direction des égouts, direction la trappe pour me faire la malle.  

              Je vois mon échappatoire mais l’autre ovipare me tombe dessus avant et me plaque au sol, s’ensuit une rixe sévère entre nous deux mais le poissonneux a l’avantage du fait de sa force physique. Alors je joue ma dernière carte, je fais mine de me rendre, je m’avance vers le tout bleu et je tends les paluches pour qu’il me passe les bracelets et au moment où il s’empare des menottes, je dégaine le flingue et lui fourre dans le gosier.

              « Hmeeu Hmeeeeeumeee. Hmmmm »

              « Ouais c’est ca mon gars, avec un canon dans l’œsophage, on prononce que les voyelles »

              Vl’a bientôt Sharkhal qui fait bientôt son entrée en scène, je le vois sortir de la trappe et se précipiter vers moi.

              « Content de te savoir en vie, mon gars ! Viens donc m’aider à dérouiller ce mec «

              Le civil s’agite, il bafouille tout un tas de bribes mais je bite rien à ce qui jacte, pas évident avec le canon sur le palais. Faut se grouiller, ils ne vont pas tarder à rappliquer. Alors me vient une idée de génie, je sors mon deuxième flingue et ce coup-ci, c’est Sharkhal que j’ai dans la mire, prêt à le trouer et à vider de chargeur.

              « Eh ouais mon gars, c’est la vie qui veut ca, rien de personnel. Concluons un petit deal pour que je te laisse la vie sauve, tu veux? Je t’épargne si tu descends ce mec froidement devant mes yeux hahaha. Marché plutôt équitable tu ne trouves pas ? »

              Je le scrute, son museau perle d’une sueur glaciale, il se mord le cuir de la joue et s’approche pas après pas vers l’acte fatidique qu’il s’apprête à perpétrer. Il finit par prendre la crosse du flingue, prend une grande respiration avant de donner la mort. Ca semble être la première fois pour lui, on se souvient toujours de sa première fois Sharkhal. Au bout du canon, une vie, des espoirs, un déchet d’homme-poisson qu’il évince de la surface de la planète, un de moins qui polluera nos réserves, un de moins qui répandra sa carcasse sur le monde des hommes. Un tir, une balle ou la mienne au coin de son crâne, de balle.


              Dernière édition par Sharp Jones le Dim 18 Mai 2014 - 14:06, édité 1 fois
                J'choppe la crosse, j'sens le fer froid derrière moi. Pas à bout portant, mais pas loin. Pas loin. J'relâche la pression qu'ce salaud faisait peser sur ta gorge, Tark, mais la mienne est à son paroxysme, de pression. Et déjà que j'suis tétanisé devant l'inévitable qui s'profile devant moi. J'pourrai certainement pas tirer. Alors j'vais m'faire tuer ici, devant toi, par une des trop nombreuses enflures qu'ce sale monde violent et hypocrite porte et allaite.

                J'ferme les yeux, j'laisse couler. Tu me vengeras hein, Tark ? Tu lui ravageras la face. De rage, tu lui arracheras des bouts. T'en mangeras, p'tet, qui sait. J'en suis presque sûr. Car quand ça touche à moi, tu réponds plus de rien. Merde. Merde. Navré. P'tain, Tark ! J'vais t'forcer à emprunter la voie du sang. C'pas c'que j'voulais, j'suis con. Situation. Situation. La faute à la situation ! Mon mauvais rôle. J'suis toujours entre deux feux, tiraillé entre tous les masques que j'peine à garder rivés sur ma gueule. Et du coup, du coup, m'retrouve à m'enfoncer les pieds dans ma propre merde, j'me fais violence, j'me force à provoquer un destin qui m'a jamais souri... J'méritais pas ça. Personne mérite ça. Toi encore moins, frangin, t'vas perdre ton p'tit frère aussi bêtement... parce qu'il est stupide, parce qu'il a rien vu venir, parce qu'il a rien dans l'slip...

                J'presserai pas la gâchette, frangin... J'recule mon flingue, j'vais laisser celui de Jones conclure ma pauvre vie d'requin édenté et d'toute évidence émasculé. Navré Tark. J'aurai pas eu d'burnes, jusqu'à la f...

                Tu m'rentres dans le bide, m'projette brutalement à l'arrière. J'voltige sur le sale type qui restait statique dans mon dos, une détonation raisonne et m'envahit l'crâne, et m'fait siffler les oreilles, et m'fait craquer les artères. Y a quelque chose qui m'a frôlé la tignasse pendant qu'mon coeur a failli m'lâcher. J'ai bien senti que cette bombe rouge qui s'débat dans ma cage thoracique a manqué une palpitation. Vertige. Et ça va trop vite. J'ai chuté sur le mafieux, et déjà qu'tu m'tire en arrière, Tark. M'rejette à la flotte poisseuse, mon élément, mon eau-de-vie. Vrai qu'ça m'colle bien, les égouts et les marais. Si mon esprit étroit et sombre était un milieu naturel, ce serait sans aucun doute un marais infesté d'essaims hurlants et d'grenouilles cannibales. Dans un décor d'arbres morts et d'averse permanente. Et tout au fond, dans un coin, une p'tite cabane dont j'serais l'seul à avoir les clés.

                La face dans l'eau souillée, j'ai les branchies qui m'semblent se boucher. J'refais surface comme un noyé, bouche grand ouverte, qui redécouvrirait un air aussi vicié que la flotte du coin est souillée. Frangin ! T'es là, debout, en vie, tu te frittes avec Jones qu'a perdu son flingue dans la flotte. Hmm. Faut que j'le cherche ! L'arme ! Les armes ! M'débat dans l'eau comme un maniaque et j'ratisse le fond. Ça t'échappe pas, au passage, et tu profites d'un instant de répit pour m'glisser un d'tes classiques.

                Frangin ! Ça va ?
                Ou-Ouais. J'crois.
                C'est pas passé loin, merde !
                Ouais. Ouais.

                J'ai encore les nerfs en pelote, et l'échine électrifiée. Vilain orage dans mon crâne et un frisson frais dans la nuque. La mort. J'viens d'échapper à la mort, là, hein ? C'était pas du tout censé tourner comme ça, hein ? Pendant que j'grelotte comme un crétin, y a Tark qui s'bouge et s'affaire à neutraliser Jones. Il se débat. J'le surveille. J'le fixe. Yeux grands ouverts. J'serais cette fois prêt à lui piétiner la face et à l'forcer à boire des litres d'cette eau croupie pour c'qu'il nous a fait. V'là que je mets la palme sur un des flingues, mais trop tard. T'as déjà tordu les bras du sale type dans son dos, et j'entends l'cric et le crac des menottes qu'on enfile aux vilaines mimines. J'vois à tes yeux qu'ça t'suffit pas. Tu te défoules, lui envoies ton pied dans le ventre en l'insultant comme un dément. Puis tu t'empares d'mon flingue par la crosse. T'serres fort les dents, t'as vraiment les boules. J'les ai aussi, et j'crains comprendre c'que t'es parti pour faire. Le menotter, ça t'a pas suffit, ouais. Déjà, tu lui braques la trogne comme il a braqué la mienne. Mais la perspective d'voir la cervelle du jeune mafieux flotter dans les ordures m'plaît bien peu. Faut vraiment que toujours tout s'finisse dans un bain de sang, hein ?

                C'est jouer leur jeu !
                Putain, Craig. C'est lui faire ce qu'il a fait à plein d'autres !
                Justement !
                T'sais qu'il manquera à personne. J'suis sûr qu'ce salaud a baisé tout ceux qui ont croisé sa route et qui ont pu lui faire confiance. On en a croisé trop qui s'en sont tirés, des comme ça. J'voudrais que lui puisse payer pour tous les autres.
                Tu le buterais comme ça ?
                ... C'est la vie qui devrait vouloir ça. Pas vrai, connard ?

                Tu lui reshoote dans l'bide. Mais t'as baissé ton arme.

                Quoi alors ?

                J'vois bien que t'hésites, mais j'suis pas certain du pourquoi. Est-ce que tu l'aurais déjà fais, si j'avais pas été là ? Ou est-ce que mettre fin à la vie d'ce sale type te révulse vraiment, malgré c'que tu débites ?

                Alors ? Ça a pas d'importance. On est d'la marine, c'est pas notre justice. On l'embarque. On peut pas faire plus.
                Le prend pas mal, mais...
                J't'en prie frangin, finissons-en juste.

                Bien c'que je pensais... Tu changes de jour en jour. Tu deviens... toujours plus révolté. Y a de la colère qui s'accumule et qui cherche une fissure par où s'déverser par torrents. J'sens que tu doutes de notre utilité. Tu doutes de la marine. Vrai qu'le Jones pourra s'faire d'autres relations, en tôle. Vrai qu'il sera relâché dans trois ans ou qu'il s'évadera avant. Car comme il est même pas primé... Il aura encore toute la vie devant lui à sa sortie, le Jones. Et la prochaine fois, il sera plus prudent dans l'choix d'ses alliés, et c'est lui qui mènera sa bande. Il sera p'tet trouvé des compagnons fidèles et aussi retors que lui au bagne, qui sait ? Et il sera devenu encore plus fin, encore plus efficace. Les événements lui auront rien appris d'autre qu'à être plus intelligent dans son infamie, plus subtil dans sa cruauté, plus raffiné dans ses vices. C'est la vie, ça aussi...

                Et moi, j'ose toujours plus regarder dans les yeux l'criminel. J'ai peur d'y revoir dans ses yeux l'étincelle de sadisme de tout à l'heure. Et d'être forcé d'revivre ça dans des flashs. Comme tant d'autres de minutes traumatisantes qui m'ont attaqué l'âme depuis que j'suis remonté à la surface. Mais. C'est la vie. Comme disait Sharp.

                Tu fous l'salopard debout, tu le pousses vers la sortie. Tu m'glisses quelques mots discrets au passage.

                Ça cartonne encore là-haut. J't'aide à le remonter, puis j'te laisse le ranger avec les autres prises. Tu m'rejoins après, d'accord ?
                Ouais.
                Me lâche pas, s'il te plaît.
                Pourquoi j'te lâcherais ?

                J'déteste ça. J'déteste quand tu lis dans mes pensées. Mon envie d'me barricader dans un placard et d'attendre que ça se passe est toujours là, et j'ai l'impression que tu la sens. On remonte le Jones. Il semble pas disposé à suivre les directives de deux poiscailles traîtres. J'crois qu'tu perds ton temps à lui d'mander de fermer sa grande gueule.


                • https://www.onepiece-requiem.net/t10413-fiche-de-craig
                Sacrée veine l’ovipare, la dragée lui avait sifflé au coin des tympans tandis que son comparse m’esquintait le minois, une grosse brute épaisse des chaumières qui compte tenu de sa condition de monstre n’avait pas eu de mal à prendre l’ascendant et à me flanquer une belle dérouillée. Ni une, ni deux, il s’était pas fait prier et s’était empresser de me passer les bracelets en vitesse si d’aventure je venais à lui faire faux-bond. Je savais bien que son faciès abominable plein de singularités qui dérangent, plein de ces irrégularités qui contrarient, qui mettent mal à l’aise le malheureux qui a l’audace de poser son œil sur cette calamité poisseuse, après en avoir été incommodé par les relents vaseux qu’il dégageait, avait un air de famille avec le père Sharkhal.

                Le Sharkhal et sa gueule mal foutue, sa face si ingrate soit t’elle, partageait un lien de parenté avec l’autre poisseux au verbe haut et à la gâchette facile. Vas-y donc mon gars, balance tout ce que t’as sur le cœur, et même sur la conscience tant que t’y es, joue moi donc ton numéro du chevalier blanc qui œuvre dans un monde de ripoux, un monde pourri jusqu’à la substantielle moelle, un monde de gus qui ne te ressemble pas, que tu ne comprends pas ou plus plutôt. Alors t’es là, les nerfs à fleur de peau, tu succombes à la tentation, juste une fois, une seule et unique fois pour donner de la consistance à toute cette haine rampante qui t’anime. Tu lui donnes une couleur, une expression humaine, celle de toute cette virulence que tu traînes en toi et que t’efforces de la maintenir dans ses gongs, bien qu’elle soit là toujours plus vile, toujours plus intense, toujours plus noire, toujours à te bouffer davantage et à te faire perdre cette humanité que t’as toujours haï, le paradoxe de ta misérable condition, celle de l'homme-poisson.

                Mais vl’a que ton chiard de frère te sauve la mise et t’empêche de commettre l’irréparable, celle qui aurait fait bavure dans tes états de service et aurait ruiné à jamais la carrière merdique à laquelle tu te figures prétendre. Sans compter que t’as pas l’air d’être un fin limier, plutôt une belle petite tête brûlé et ça risque de coincer pour monter dans les tours. T’es un peu le gars qu’a toujours le cul entre deux chaises, le type toujours à moitié sur le carreau, l’autre moitié sur le départ, l’homme-poisson qu’on intègre tant bien que mal pour se donner bonne conscience et pour ne pas déroger aux quotas de mixité dans les rangs de la mouette.

                T’es l’erreur statistique, l’olibrius qui dérange et qu’est obligé de laver plus blanc que blanc au risque de te faire dégeler par le boss qui t’a à l’œil, qui surveille tout tes foutus agissements parce qu’en fin de compte, personne a foi en toi, sauf ton frère on dirait bien.

                Au-dessus, ça n’en finit pas de balancer des pruneaux à tort et à travers, entretuez-vous donc vous autres, ça en fera moins sur mon dos lorsque je sortirai de taule. Tout le raffut a fini par réveiller toutes les bonnes âmes du quartier qui j’imagine, font à l’heure actuelle beaucoup plus d’huile pour leurs ronds que pour les existences des cowboys qui dessoudent en bonne et due forme du truand. C’est le revers de la médaille, on peut ne pas toujours se pointer avec les paluches bien en évidence sur le ceinturon en sirotant des cocktails et en dégainant le six-coups pour épater la galerie, faut donner du change parfois les gars.

                Ces types-là sont définitivement de la mouette, je l’ai repéré l’autre finaud du haut de sa quarantaine aussi à l’aise dans son costar que votre serviteur dans une poissonnerie en plein jour de marché. Le mec de l’ombre, celui qu’a planifié l’intervention dans les moindres détails, ‘fin plutôt celui à qui on accrédite l’opération, celui qui se sent pousser les bourses avec les couilles des autres et dont la testostérone monte crescendo à l'aune de la mort de ses hommes. S’il en avait un minimum dans le futal, il serait au-devant des siens à braver le danger et non à se morfondre comme un rat dans ce tunnel pouilleux.

                Le vl’a qu’il se rapproche, le sourire narquois au bord des lèvres, il jubilerait presque dans son falzar tant il savoure l’instant. Alors, je lui glaviote au nez et à la barbe parce que c’est tout ce qu’il mérite cette petite frappe, je veux que tous ses types soient témoins de ce que je viens de lui faire, que je brave sciemment l’autorité devant toute cette petite assemblée de culs serrés et de langues fourchues.

                « Héhé, tu l’as pas vu venir celle-là, petite trainée va ! »

                Je me mange une mandale commaque en conséquence, le genre de geste qui ne reste pas impuni à fortiori lorsqu’il est perpétré devant ses subordonnés, il remonte ses manches et s’apprête à donner de la phalange mais avant qu’il ne s’accorde ce petit plaisir, on vint bientôt le prévenir, que les choses avaient fini par se refroidir là-haut, au second sens du terme.

                « Capitaine, nous avons rétabli l’ordre dans la salle des coffres du premier étage cependant « Malone «  et Ruschianovsky Grichkof sont parvenu à se faire la malle dans l’affrontement qui faisait rage. Tous les truands et autres loubards ont été décimés capitaine. Mais… »

                « Et de notre côté ? »

                « Une petite douzaine d’hommes sont tombés au combat, Capitaine. Je, je «

                « Laissez tomber, la faute est mienne, c'est de mon ressort. Faites appeler de suite des renforts des unités médicales, on peut peut-être encore les sauver d’une mort annoncé. «

                Tournant son regard au-dessus de son épaule, il m’asséna l’un de ses regards sérieux et empli de détermination qu’eux seuls sont capables de lancer. Faute d’avoir autre chose sous la main pour se passer les nerfs, j’avais écopé du plein tarif pour boucherie de marines sur lit de carbonnade, le genre de souffre-douleur parfait pour un frustré dans son genre. M’est d’avis que le passage à tabac en cellule va être cocasse et que toute la maréchaussée va y aller de son petit gant en latex pour me trifouiller les viscères. Je dois me faire des petits vélos dans la tête, ‘fin j’espère juste qu’ils me fourgueront pas avec les autres loubards qui aiment la chair jeune et tendre et que je me retrouverais pas avec le coccyx en chou-fleur. J’ai toujours de quoi parlementer et de négocier au cas échéant donc je me fais pas trop de bile à tort ou à raison d’ailleurs.

                Alors on fait machine arrière, Sharkhal qui ouvre la voie tandis que l’autre me tient solidement les bracelets au niveau des poignets. J’entends les toubibs arriver là-haut et sortir les brancards, l’odeur de la poudre consumé me fait hérisser le poil et frétiller l’âme bordel. Le Sharkhal a pas l’air non plus très rassuré, c’est pt’et un bleu, il a pt’et quoi, quatre ou cinq missions merdiques à son actif, alors fort de cette présomption, je m’aventure à lui poser une question anodine sans vraiment attendre la réponse présumé.

                « Où vous m’emmenez ? Au poste ? En cellule de dégrisement avec les alcoolos…ou vous me réservez une destination plus…exotique disons ? «
                 


                Dernière édition par Sharp Jones le Dim 18 Mai 2014 - 14:53, édité 1 fois
                  L'opération est terminée, alors. Ça aura duré que deux jours... deux jours à me laisser rabaisser par de la pègre, deux jours à m'efforcer de contenir sueur et larmes. Avec le recul, deux jours parfaitement normaux dans une vie où j'ai pas le droit de résister aux Autres sous peine d'être taxé d'sauvage sans discipline ni morale. Répondre est pris comme une attaque envers l'genre humain, la moindre colère noire est une invitation à lancer un génocide chez les miens. Chez les ANCIENS miens. Que j'ai trahi aussi sûrement qu'mes rêves niais grâce auxquels j'ai trouvé la force de te suivre, frangin. On a pas de foyer, pas d'épaules sur lesquelles se reposer, pas de foi à placer en ce qui voudrait s'imposer comme notre nouvelle famille car... les gens d'la marine ne fonctionnent pas comme nous. Inadaptés, de A à Z. Ou inadaptables. J'sais pas. J'ai pas envie d'faire d'effort pour rentrer dans un moule aussi difforme et autant souillé par l'empreinte d'mes prédécesseurs.

                  Avance !

                  Ça s'est fini dans le sang, une nouvelle fois. Et encore une fois, j'ai eu le pot de pas me retrouver raide parmi tout ces corps en blanc. Qu'étaient certainement beaucoup mieux intégrés que nous dans la marine, qu'avaient p'tet même une vie là-dehors, qu'avaient p'tet d'autres passions que de tripoter l'intérieur d'un tombé au combat. J'détourne la tête, j'ouvre la voie. Je regarde plus derrière moi, je mire là-bas, vers la lumière qui filtre à travers l'entrée vitrée d'la banque. C'est toujours pareil. Regarder c'que je laisse derrière moi, ça m'rend fou.

                  Où vous m’emmenez ? Au poste ? En cellule de dégrisement avec les alcoolos…ou vous me réservez une destination plus…exotique disons ?

                  J'mets quelques secondes à calculer qu'c'est à moi qu'il cause. Ça paraîtrait plus naturel que ce soit à toi, hein, Tark ? T'as du lui montrer qu't'avais la langue bien moins nouée qu'moi. Et un tempérament plus propice aux échanges piquants et une affection particulière pour les conclusions tranchantes. Et pourtant, c'est moi qu'il provoque... Tu m'fais signe de l'ignorer, j'comprends bien pourquoi. Là-dedans, ça doit chercher à titiller la p'tite bête, littéralement. Chercher où a bien pu passer le cynisme et la brutalité du prédateur marin sous cette carcasse molle et odorante. Chercher l'âme de l'homme-poisson.

                  Tu vas passer un interrogatoire. T'as sûrement des choses à nous apprendre sur les familles du coin.

                  Ton sec et monotone, caractéristique de mes plus lents des jours dénués de soleil et de sens. Tu sembles un peu contrarié, Tark, et j'aurais voulu que tu saches que c'est volontairement qu'cette fois, c'est moi qu'ait joué son jeu. On sait jamais, hein ? Avoir l'apparence du gentil bleu tremblant qui survit dans les jupons d'son modèle de grand frère, ça pourrait m'faire un outil en plus si on me fait participer à l'interrogatoire. Un masque de plus. J'parviens plus à réprimer cette lassitude de jamais pouvoir être moi-même, d'être pas assez bien pour les autres, et pas assez fort pour c'que j'suis. J'sais que t'es pareil, Tark. Tu te bardes aussi d'maquillage pour camoufler cette violence, cette hargne, la révolte qui te tord les boyaux. Y a trois ou quatre ans, t'étais plus doux, t'étais plus compréhensif. Y a trois ou quatre ans, la vie nous avait pas encore vomit ses axiomes à la figure. On connaissait pas les règles. On pensait qu'on pourrait toujours vivre selon notre propre code d'honneur, suivre nos aspirations qui nous ont remonté jusqu'ici, sous le soleil de la surface. Et y a trois ou quatre ans, ce soleil me paraissait nettement plus brillant.

                  Et lui, hein ? Jones. Que peuvent bien cacher tes masques, sous c'visage prétentieux taillé au couteau ? Sous tes comportements de détraqués, sous tes rires grossiers et sous ton humour effronté ? Mieux vaut que j'le sache pas, hein ? Si j'plongeais dans ton esprit criminel, l'est fort probable que j'me noierais. J'ai pas les branchies adéquates pour respirer ton air. Pas la nageoire qui m'empêchera de couler comme un roc dans le bouillon noir-pétrole qui doit grouiller dans ton foutu crâne. Qu'est-ce qui te passe par la tête ? Pourquoi l'sadisme ? Pourquoi la cupidité ? Pourquoi la trahison ? Pourquoi la loi du plus fort ? Pourquoi le Mal ? Pourquoi j'suis autant naïf, autant borné dans ma recherche de sens pour un monde qu'en a pas, qu'en a jamais eu, qu'en aura jamais ? Monde de merde.

                  Beau travail, tout le monde. Rendez-vous entrepôt 11 avec les survivants pour les interrogatoires.
                  Les médecins s'occuperont très bien seuls de nos camarades...

                  Le commandant a dispensé les prochaines directives, et un cortège blanc et noir s'presse vers le grand bâtiment aux gouttières ruisselantes, là-bas, celui qui s'pare d'un gigantesque, orgueilleux mais mélancolique 11 à demi effacé, totalement verdit, bouffé, lui aussi, par l'temps et les orages. Ça m'tue de repenser qu'on est même pas sur notre territoire, ici, nous, les pseudo-représentants d'la pseudo-justice. On s'contente d'une trêve temporaire et de moyens miséreux.

                  En marchant, j'me concentre sur mes pieds faisant claquer les flaques. Le son m'raisonne dans la tête et m'change les idées.

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