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Un jour de pluie.

L'été pluvieux d'East Blue a quelque chose de grisant. Cette phase où la vie tourne au ralenti, pendant une dizaine, une vingtaine de jours voire plus parfois. On aime se laisser bercer par un rythme moelleux sous l'intempérie, anesthésié par le bien-être qui se dégage de ce climat à part. On ne voit pas le soleil, pourtant on le sait là, quelque part non loin de nous, à contempler bienveillant les petites fourmis que nous sommes et leur quotidien revenu au strict essentiel. On mange, on dort, on aime. On discute la nuit pendant des heures devant une bouteille, on se lève aux aurores pour aller pêcher sur une barque muette au milieu des flots assoupis, et on fait la sieste pendant la journée. L'atmosphère lourde reste sensuelle, elle parle aux corps et aux âmes. La pluie peut tomber sans discontinuer pendant des semaines sans que son charme n'en soit altéré d'une timide ride. Elle cadence la vie, oriente l'environnement entier vers quelque chose de plus mélodieux et délicat. Le parfum des arbres, de l'herbe mouillée, les perles d'eau qui s'écrasent depuis le feuillage sur les chemins de pierre dans leur symphonie. Et le contact de ces gouttes, chaudes, contre la peau moite. Elles se mêlent à notre transpiration, elle viennent coller notre chemise à notre corps et faire ployer nos cheveux sous leur poids, mais elles demeurent aimantes, réconfortantes. Aussi ne voit-on personne se hâter dans les rues; nul pas pressé, ni tête couverte. Les habitants savent les bienfaits de cette saison qui peut à sa guise vous faire miroiter un astre flambant dans l'azur immaculé ou un ciel chargé de nuages noirs qui ne laissent filtrer aucune luminosité. Et cette année, ce sera de la pluie.

Il doit être seize heures. L'humidité parfume tout, les bananeraies se drapent des fragrances du paradis et la terre mouillée qui se retourne sous chaque pas nous laisse admirer l'empreinte figée de notre passage derrière nous. Ce petit sillon labouré par mes godillots, c'est moi. Ce n'est pas grand chose, mais c'est moi. Déjà, les gouttelettes viennent remplir la trace. Petit spectacle sans prétention dont je suis friand. Je m'accroupis et observe patiemment le processus de noyade. Bientôt, il ne reste plus qu'une forme malpropre, dont les fondations fragiles s'effondrent et toute l'eau emmagasinée par ce mini-barrage se déverse sur les côtés. Chouette image. C'est un peu la vie en miniature. Quelque chose de grand et puissant laissera toujours une marque de son passage. Mais au final, peu importe la force ou le pouvoir de celui qui a découpé les flots ou l'horizon, rien de ce qui s'érige ne peut rester indéfiniment sans être bousculé ou renversé; la nature se chargera toujours de te le rappeler. C'est pour ça que tu dois toujours te remettre en question. Pour consolider tes certitudes, cultiver tes acquis et découvrir de nouvelles terres cultivables dans ton esprit.

Je me relève. J'ai envie d'une cigarette. Je remonte les rues faites de bicoques toutes identiques et me trouve un petit coin au sec, sous un store d'extérieur qui protège la terrasse d'un petit café déserté de ses clients à pareille heure. Oui, les gens se reposent, pour le moment. Il n'y a là que quelques anciens qui tapent les cartes dans un coin en souriant paisiblement, et un loubard débraillé aux cheveux blonds en pétard dans un autre. Ses doigts maltraitent les cordes d'une guitare qui renvoie des cris de bête blessée à l'averse compatissante. À moins que ce ne soit la complainte d'une âme à la dérive ? En tout cas, ça m'intrigue. Parce que le bonhomme n'a pas l'air contrarié de sa propre musique atrabilaire. Ses codes de musique serait à ce point différent des miens qu'il aimerait la mélodie corrosive qu'il tisse ? D'ailleurs, moi-même, derrière le côté dérangeant de voir mes propres notions musicales bafouées, je crois que j'aime presque ce petit goût d'accord inconnu qui n'a pas son pareil. Agresse t-il volontairement son propre instrument pour lui faire expier des maux dont il ne peut être tenu responsable ? Difficile à déterminer d'un simple regard. Une chose de sûre, on en apprend généralement beaucoup de quelqu'un en écoutant ce qu'il joue; et ces airs heurtés, ces partitions brusques à la cadence irrégulière, ce sont celles d'une âme en conflit. Ou tourmentée.

Et ça, ça incite à être curieux. Souvent, les gens sont curieux des mauvaises choses. C'est ce qui rend ce trait de caractère moins agréable chez autrui. Est-ce que t'aimes bien machin ? Est-ce que t'as entendu ce qu'a fait machine ? Toutes ces bêtises simplettes sans valeur. Alors que, une curiosité bien placée, elle, te guidera bien plus loin que tu ne l'aurais soupçonné en premier lieu. Elle t'offrira de grandir si tu sais l'écouter et acceptes de la laisser te guider vers les monts inconnus. Or, là, en une si exquise journée de douce pluie estivale qui diffuse la plus souple et délectable des paresses, voilà un noyau chargé de remous, à contre-courant. Ça, ça mérite de s'y intéresser de plus près.

J'finis de rouler ma clope, l'allume, aspire quelques bouffées que je déguste peinard en perdant mon regard dans le gris du ciel, et j'me retourne vers l'homme à la guitare concentré sur ses accords râpeux derrière ses sourcils froncés. Une scène où fusionne dimension dramatique et bucolique. Un artiste seul qui laisse s'évader sa vision de la musique dans la pluie.

J'ai un harmonica dans ma poche. Je le sors. Et je le montre au gaillard ébouriffé.

J'vous accompagne.

C'est pas tout à fait une question. Mais il dira non si ça l'emmerde. J'tire une derière taffe, jette la roulée au loin et souffle un accord ou deux pour chercher à rattraper l'autre qui est loin, très loin d'ici avec sa gratte et sa gueule barrée.


Dernière édition par Eustache Ier le Ven 3 Oct 2014 - 18:28, édité 2 fois
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La pluie, notre héros ne s'en révèle pas friand. Non pas qu'il a en horreur d'être trempé jusqu'aux os, ou qu'il constate que le paysage change de visage lorsque l'averse tombe, oh non. Ce serait bien même le contraire. Dans les grandes villes éclairées, à la nuit tombée, la pluie enfile sa plus belle robe et danse avec l'obscurité, offrant un spectacle de toute beauté. Ce qui gâche son plaisir lors d'un temps pluvieux, c'est cette affreuse odeur de chien mouillé qui s'incruste systématiquement. Sans se douter un seul instant que cette puanteur provient de son propre corps qu'il ne lave que trop rarement, l'agression olfactive lui est insupportable. Il a bien cherché une solution à ce problème, comme la pince à linge sur le nez, ou des boules de coton dans les narines, mais se balader avec n'est pas très agréable non plus. D'autant que la mauvaise odeur est tenace, joueuse, le suivant de près et ne voulant le lâcher tant que les rayons du soleil ne prennent pas le relais.

Admettre sa défaite, chose relativement rare chez ce personnage dont la stupidité égale sa pauvreté. Fuir les jours de mauvais temps, s'abriter à l'intérieur de café, ou sous les stores d'extérieur des terrasses. Il est arrivé à Cocoyashi depuis une semaine, environ. Plein d'espoirs, hurlant à s'en décrocher les poumons quelques vieilles chansons qu'il se réserve lors de ses déplacements d'une ville à une autre. A l’esprit, la furieuse envie de croquer dans l'une de ces si célèbres mandarines dont on parle sur toute l'île. Il ne s'en est pas privé, quitte à débourser les quelques centaines de berrys qui lui restait. Simple problème qui se pose ensuite, comment étancher sa soif la nuit si l'argent manque ? Le vol est à proscrire, l'intimidation pour obtenir des godets gratuitement également, ne reste qu'à gagner légalement quelques berrys. La logique aurait voulu qu'il fasse parler ses talents de Chasseur de Primes.

Chose ardue dans une ville qui n'a pas à se plaindre de violent pirate saccageant, pillant et tuant ses habitants. Il régnait à Cocoyashi une certaine sérénité, une absence de violence qui en était presque déroutante. Du moins, était-ce ce qu'il ressentait depuis son arrivée. Soit, s'il ne jouerait pas de ses poings, alors ferait-il vibrer les cordes de sa chère guitare. Bien à l'abri en terrasse, le dos en appuis sur une chaise, il s'imprégna un instant de l'ambiance des lieux, cherchant l'inspiration. Le martèlement des gouttes d'eau sur le sol, sur la devanture, dans les flaques grossissantes. Le bruit des cartes, le son grinçant des voix des anciens autour de la table. Trouvé. Y'a comme un éclair de génie qui frappe Belzébuth, son regard s'illumine d'une inhabituelle lueur d'intelligence, il semble tenir quelque chose de bon. Il laisse monter, se prépare, se racle la gorge. Ses doigts s'agitent, taquinent les cordes. Stâârk donne de la voix.

Et quelle mélodie affreuse, quel rythme abominable. Grincement de cordes, son vomitif, accords foireux. C'est un sans faute de l'échec le plus complet. Une musique parmi tant d'autres pour notre guitariste raté. Concentré, le musicien. Sourcils courbés, coin supérieur droit de la lèvre relevé, langue apparente, il y met du sien, ne veut pas perdre le chef d’œuvre qu'il tient entre ses mains expertes. Maltraitance d'instrument, passé maître dans l'art de la torture auditive, il ne s'arrête plus. Enchaîne les morceaux, passionné. Triste de constater qu'un être aussi exalté par la musique puisse être aussi peu habile dans le domaine. De s'interrompre, enfin pensent les rares clients à cette heure, lorsqu'un individu s'approche de lui, pour le sortir de sa bulle. Insonorisé au bruit agressif qu'il produit, la bulle, visiblement, pour être si peu soucieux de la qualité pittoresque de ce qu'il joue. Plongé dans son costard, la clope au bec, intrigué par ce qui se fait ici.

Fais-toi plaisir, l'ami.

Il sort un harmonica, inversement des rôles, c'est le gaillard ébouriffé qui affiche une mine curieuse. La rencontre entre les deux styles risquent d'envoyer du lourd, qu'il pense. Si le gars ne s'enfuit pas au bout de cinq minutes, qu'il ajoute à lui-même. C'est qu'il est pas habitué à la jouer en binôme. Il se lance, rigolard, content d'avoir trouvé un compagnon dans sa galère. Et tandis que l'un violente sa somptueuse guitare, l'autre à ses côtés entame le parcours du combattant de la synchronisation. Laborieux de coller aux accords d'un type à la gratte aléatoire, désordonnée et chaotique. Un habitué des salles remplies de groupies hurlant son nom ? C'est tout le contraire de notre future légende. Lui, on lui crache des injures à la face et le tabasse pour qu'il aille pourrir l'air d'autres malheureux. Tenace, l'homme s'accroche, bravant les obstacles symphoniques que le Rawson dressent sans s'en rendre compte.

Finalement, le talent de l'inconnu l'emporte un fugace instant, quelques dizaines de secondes seulement. Aux oreilles de notre héros écervelé siffle les prémices de ce qu'il perçoit comme être la plus grande prestation de sa vie. Cela aurait pu aller plus loin si l'excitation soudaine l'envahissant ne l'avait pas fait basculer ailleurs, et perdre le début de coordination que le seul réel artiste du duo était parvenu à alpaguer.

Yeah ! C'était d'enfer l'ami ! Dis, t'as un nom mon gars ? Moi c'est Jericho Rawson, content de croiser un type avec autant de talent que moi ! On se commande une bière et on s'y remet ? On tenait quelque chose je le sens !

Les tympans d'Eustach aussi devaient l'avoir senti passer...


Dernière édition par Jericho Rawson le Dim 26 Oct 2014 - 22:35, édité 1 fois
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Avec des dispositions pareilles, j'veux bien risquer d'user un peu plus mes tympans. Surtout que la picole aidant, y'a fort à parier que l'incontinente succession de notes mal léchées et qui chiffonnent pas mal mon amour de l'accord qui claque me paraitra plus douce. Faut avouer que ce sera pas de trop. Ok, j'ai une indicible tendance à tomber en extase devant des trucs que les autres n'évalueraient même pas comme potentiellement intéressants, ou intrigants; mais là, j'suis en proie à un léger sifflement, désagréable comme une insidieuse migraine, et même s'il m'en coûte de balancer, j'ai identifié la source de ce mal. Blondin. Fort heureusement, j'suis un mec cool. Et zen. Alors j'grimace pas, j'veux pas péter l'enthousiasme lumineux que je lis chez l'autre. C'est surprenant, d'ailleurs, de voir le visage de ce mec qui se situe à mi-chemin entre le traine-guenilles et le lascar solitaire capable de s'éclairer aussi soudainement. Il rayonne sur ses traits une telle bonne humeur que même si j'avais envisagé de décliner l'offre - ce qui est pas le cas - ben j'aurais quand même pas eu le courage de lui envoyer un refus dans les dents. Non, je laisse le rôle de fossoyeur de bonheur à d'autres, les grincheux sont bien assez nombreux comme ça; moi je cultive la bonne ambiance, je diffuse les bonnes ondes au gré de mes morceaux, je déguste chaque moment sans retenue. Et j'fais partager mon état d'esprit dès que possible. Bonne nouvelle, tomber un demi, ça fait partie de ces éléments qui te mettent en condition pour accueillir dignement le bonheur. Alors je hoche doucement mais d'un air convaincu la tête, et j'balance un :

Sûr. Ou même deux, c'est jamais un tort de prendre de l'avance. Bouge pas.

J'm'enfonce dans le bistrot pour aller passer commande. Les p'tis vieux ont l'air soulagé d'apprendre qu'on a pris le parti de faire une pause, même si ça fait pas bien longtemps qu'on joue. J'parie qu'en ce moment, ils blâment pas trop leur ouïe défaillante; c'est presque s'ils la remercieraient. Vrai qu'une fois l'indigeste bouillie musicale qu'on a servie dissipée, on entend de nouveau le crépitement des gouttes de pluie contre la devanture, les murs ou les fenêtres. Et, c'est nettement plus agréable. Si on prend bien le soin d'écouter attentivement ce délicat concert, on se rend compte que le son qui nait de ce contact entre l'eau et un élément rigide diffère en fonction de la matière qui constitue l'obstacle. Tantôt, c'est un son clair, pur, tantôt un son plus mat, ou plus étouffé. Un véritable petit orchestre se produit autour de nous. J'espère que chaque personne présente en est consciente, et reconnaissante. Le patron me voit arriver, avec mon harmonica encore dans une main. Il demande, un peu ronchon.

C'est vous, tout c'chahut ?
C'est nous.
Vous voulez faire fuir les clients ? qu'il soupire encore, de guerre lasse, sans vraiment me houspiller.

Je souris paisiblement.

C'est pour la bonne cause.

J'aide un talent égaré à se réconcilier avec son instrument pour retrouver son chemin. Le patron comprend pas, il hausse les sourcils et fait des yeux remplis de surprise. Je fais un petit non de la tête, il manque une petite note de magie pour que l'envie d'expliquer plus en détail ce que j'entends par là me prenne. Mais je lui dis en revanche qu'on va prendre deux bières, et ça il comprend. Et trente secondes plus tard, j'ai réglé l'addition - à défaut d'ajuster la note - et je suis de nouveau dehors avec deux verres en main. Bière brune, m'est avis que le bonhomme apprécie plus son caractère que la douceur d'une blonde. Je lui en tends une et on trinque. J'prends une bonne gorgée, et puis j'me présente parce que j'ai oublié de le faire plus tôt et que j'viens de m'en rendre compte. Oui, un nom, c'est rien d'autre qu'une étiquette, dans l'absolu, c'est pas le truc qui m'arrête le plus chez quelqu'un. Mais, comme j'suis poli...

Moi, c'est Eustache Ier. Un collègue musicos. Yo.

J't'écoutais jouer. J'sais pas si tu balances simplement ce que l'inspi te commande ou si t'as quelque chose de précis à exprimer par le biais de ta gratte mais en tout cas, t'as un style particulier, mec, tu sais ça ? Ça te vient d'où ?


Et puis j'me débouche un peu l'oreille droite et j'm'envoie une deuxième puissante gorgée parce que la première avait un goût de reviens-y. C'est l'cas de pas mal de choses. Comme notre improbable duo, par exemple, ça va être quelque chose quand on va s'y remettre. Bah, de toute façon, il pleut déjà.

Pour continuer, on a carte blanche.
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Va pour deux, ce n'est pas lui qui va s'en plaindre. Tant qu'il y a de la bière, y'a de la bière qu'il a l'habitude de dire. Il regarde l'étranger se lever et aller commander au comptoir, tandis qu'il grattouille les cordes de Stâârk, sa petite biche des îles. Heureux est Jericho, malheureux seront les pauvres spectateurs contraints d'écouter le carnage. Les fossiles jouant à une version du poker qui leur est propre, lui font à ce propos bien comprendre le malaise qu'il impose avec sa gratte. Que ça le fait marrer, le Chasseur de Primes. Qu'il leur adresse tout sa sympathie d'un geste vulgaire, d'un unique doigt dressé majestueusement vers les cieux. Aujourd'hui, à temps de pluie, comportement de pourri.

Ah ! La voilà, ma douce millésime, mon caramel glacé, mon piment extra fort, ma petite primpre... primpe... pimprelle... PRIMPRENELLELE !

Vague de postillons sur fond de hurlement victorieux lorsque le mot sort dans sa totalité. Mais qu'est-ce qu'une Primprenellele ? Mystère. Jericho, c'est un savoir insoupçonné et inexploité, qui surgit brusquement par instant, et illumine les cœurs. Ou un énorme volcan d'absurdités qui n'a de cesse d'entrer en irruption, ravageant les fonctions cérébrales. Il boit sa bière, brune ou blonde, cela ne fait aucune différence, ne rend pas le goût meilleur pour un homme qui ne sait pas l'apprécier. S'il en enquille autant de son vivant, c'est que depuis sa naissance, on lui a purgé le sang par de grands litres de moussante. L'eau, ce n'est pas fait pour être bu, mais pour se laver. Moitié du verre qui y passe, il a grande soif.

Un rot dans les règles de l'art, bruyant et triste à voir. Lèvres qui tremblent, bouche grande ouverte, expression faciale en soutient. Dans la famille, de père en fils, de mère en fille, on le vit quand on a une fuite de gaz dans l’estomac.

Eustache Premier ? C'est quoi ça, premier ? Y'en a eu d'autres avant toi ?

Il ne sait pas compter, vous l'excuserez. Il n'est pas vraiment allé à l'école, n'a pas reçu d'enseignement scolaire et les chiffres, c'est seulement utile pour savoir combien vaut la tête d'un criminel. Un style particulier ? Oh, évidemment qu'il le sait. C'est une légende en devenir, il ne le deviendra pas en jouant comme un vulgaire guitariste, il sait se démarquer. Pour les origines en revanche...

T'es pas mauvais non plus, Eusch !

Oui Eusch, et alors ? Ai-je choisis, suis-je responsable, faut-il me blâmer pour le génie maléfique qui habite cet attardé ? Sa capacité à trouver des surnoms est à l'égale de son intelligence, pitoyable. Il s'est interrompu pour s'inonder le gosier.

Ma musique, Eusch, c'est toute une histoire. Elle n'exprime pas ce que je ressens, elle... elle écrit l'histoire. C'est mon père qui m'a tout appris, c'est à lui que je dois mon talent.

Il appelle ça du talent, dur.

Je vois ça comme un livre sans écriture, un film sans image. Les notes racontent ce que j'ai vécu, ce que je vis et ce que je vivrai.

L'entendre parler, c'est comme écouter un psychologue sous emprise de la drogue, cela fait mal au crâne pour pas grand-chose.

Exemple, cette bière qu'on partage. Elle est bonne putain. Bah ça m'inspire un truc ! Tu m'suis ?

Le suivre, c'est tout ce que demande le Eustache, encore faut-il reproduire l'exploit. Belzébuth ne s'en préoccupe pas, il est plongé dans ce qu'il va interpréter. Les doigts s'agitent, les crissements et cris d'agonies s'infiltrent partout dans la terrasse, une voix s'élève...

La bière du vieux con, c'est nous qui la buvaine.
La bière du vieux con, c'est nous qui la buvons.

Buvons, buvons, la bière du vieux con.
Buvons, buvons, la bière de la vieille pimbêche,.

La bière du vieux con, c'est nous qui la rotène, 
La bière du vieux con, c'est nous qui la rotons. 
Rotons, rotons, la bière de la vieille pimbêche,
Rotons, rotons, la bière du vieux con. 

La bière du vieux con, c'est nous qui la pissène,
La bière du vieux con, c'est nous qui la pissons. 
Pissons, pissons, la bière de la vieille pimbêche,,
Pissons, pissons, la bière du vieux con. 

La bière du vieux con, c'est nous qui la chantène, 
La bière du vieux con, c'est nous qui la chantons. 
Chantons, chantons, la bière de la vieille pimbêche, 
Chantons, chantons, la bière du vieux con. 
Chantons, chantons, la bière de la vieille pimbêche,, 
Chantons, chantons, la bière du vieux con. 

La bière du vieux con, c'est nous qui la gerbène, 
La bière du vieux con, c'est nous qui la gerbons.

Oh Yeaaaah !
 

Dernier geste brusque sur les cordes, comme une vache des mers qui beuglent, Jericho est content.

T'as compris comme je fonctionne ? Toi, d'où t'as appris de jouer de l'harmonica ? 


Dernière édition par Jericho Rawson le Dim 26 Oct 2014 - 22:35, édité 1 fois
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Ça peut paraitre bizarre, mais j'aime bien l'loustic. Il est complètement à côté d'la plaque sur pas mal de trucs, mais il est animé d'un furieux feu à l'intérieur, joyeux, sauvage, qui le quitte jamais et ça rejaillit sur l'aura qui l'entoure. Quelque chose d'entier, de plein et d'autosuffisant. Forcément, quand t'es équipé d'ça, tu t'en fous de pas faire comme les autres, tu t'en fous des regards fuyants et des remarques acerbes. Parce que t'es déjà pas mal plus riche que la plupart des couillons notoires qui forment la masse, vu qu'toi, t'es content. T'as ton mojo, il t'envoie le script en continu, et toi, tu te contentes de te laisser guider par ce fil rouge en lequel t'as confiance. Ouais, j'comprends l'gaillard.

Jericho, t'es un sacré veinard mon pote.

J'dis ça comme ça, même si ça répond pas trop à sa question. Et j'mets pas d'mots derrière pour développer, pour pousser plus loin l'observation, parce qu'ils risqueraient de la flétrir ou lieu d'l'enjoliver. C'est vrai, parfois, les mots, ils sont piégeux. Quand ils résonnent en ton for intérieur, ils ont du charme, de la puissance et de la douceur à la fois. Mais une fois qu'ils franchissent la barrière de tes lèvres, ils s'enduisent d'une teinte de jugement, de reproche, de critique aux oreilles de celui qui écoute. Parce que chacun a sa sensibilité propre, et que personne n'interprète une phrase de la même façon que son voisin. Alors qu'une assertion simple, pacifique, nature, elle t'en dit beaucoup avec peu. Pour la faire coller à ton état d'esprit, tu joues de l'intonation, de la gestuelle, du regard, de la mimique... De toutes ces perles d'humanité qui offrent à partager un point de vue. C'est tellement plus beau et plus fort qu'une cascade de paroles, débordante, envahissante, agressive même. C'est pour ça qu'j'aime la musique. Elle est un vecteur unique de communication, de rencontre, d'échange, au delà des mots. Les notes viennent caresser l'âme, saisir l'individu avec une grâce et une délicatesse si rarement atteinte en parlant. Et l'harmonica, au delà de la magie des accords, c'est la simplicité des sons, l'humilité loin des sirènes et des projecteurs, qui te ramène à des choses faciles, sans mascara, sans appât du gain ni tromperie. C'est l'essence de la musique, ce pour quoi les hommes l'ont inventée à l'origine.

L'harmonica, c'est la musique au service de la Vie.  Sur un toit, dans une grange, seul en mer. Des notes chaudes qui s'offrent aux oreilles du passant; l'homme pressé, l'enfant rêveur, la grand-mère nostalgique. Juste la musique pour la musique et ce qu'elle inspire et offre aux Hommes.

J'me retourne en vidant le fond d'mon verre. Il tire une gueule pas nette. Hm. P'tetre que j'm'emballe. P'tetre que c'est juste une andouille aux tympans rongés. Noon, il est beaucoup trop cool pour ça.

'fin, tu vois l'genre, quoi... Tiens,  j'ai dans ma collection le son parfait pour nous ramener à nos charmantes addictions. Envoie la gratte, j'te montre l'accord.

Il a l'air emballé. Mais quand mes doigts viennent frotter les cordes, j'le suis moins. J'commence à comprendre le timbre étrange des notes que libère l'instrument. L'engin est absolument pas accordé, et le temps est pas le seul coupable de cette petite hérésie. J'bidouille les clefs un bon moment - parce qu'y' mine de rien un certain boulot - sous le regard étonné de Jericho. On dirait un gosse tout curieux qui regarde sa madre faire la cuisine sans trop comprendre comment ça marche. Ouais, l'a pas dû faire ça souvent dans sa vie. Qui sait, ça lui r'viendra p'tetre mieux aux tympans après ça. Ou pas, difficile à dire vu l'bonhomme. En tout cas, au terme de mes réglages, ça commence déjà à ressembler nettement plus à quelque chose selon mes critères. J'lui ai un peu fauché son bébé pour l'accorder à mon goût, alors j'me justifie en lui disant qu'ça correspond spécialement à ma manière de jouer, et qu'il est bien entendu libre de rechanger tout ça après mon morceau si ça lui plait pas.

Bon, alors, l'accord, il fait quelque chose comme ça...

J'le répète quelques fois, et j'commence à caler les paroles dessus.

C'était une p'tite cigarette
Qui voulait pas flamber trop vite
Elle se disait, la vie c'est chouette
Désormais les briquets j'évite

Alors elle a guetté discrète
L'occasion de pouvoir filer
Pour aventure, elle était prête
Elle a planté l'vieux cendrier

Adieu l'paquet, salut frangines
Le foyer à la nicotine
J'vais faire bronzette sous les cocotiers
Me dorer l'mégot sur l'sable chaud

Elle s'est offert une nouvelle vie
Dont elle écrit tous les chapitres
L'angoisse d'être grillée, c'est fini
Elle brûle la vie par les deux filtres


C'était une cigarette
Qui flambait comme une allumette
Juste une petite cigarette
Qui voulait parcourir la planète


Un beau jour en faisant du stop
Elle est tombée sur un bédo
Qui lui a dit : " Hé, on devient potes ?
Jm'emmerde un peu, dans c'caniveau. "

Avec lui c'était le bonheur
Elle voyait l'monde différemment
Elle découvrait d'nouvelles couleurs
Avec son parfum enivrant


C'était une cigarette
Qui flambait comme une allumette
Juste une petite cigarette
Qui voulait parcourir la planète


Ils roulaient leur bosse, de fête en fête
Y'a pas à dire c'était l'panard
Il lui faisait tourner la tête
Le fabuleux Mister Pétard

La p'tite clope vivait en plein rêve
Mais lui commença à s'lasser
Il l'a larguée, pour une de la  r'lève
Une belle gitane  bien plus corsée


C'était une cigarette
Qui flambait comme une allumette
Juste une petite cigarette
Qui voulait parcourir la planète


Et comme elle pleurait de mil' larmes
Il lui a dit : " Là, tu m'casses les couilles
Maint'nant ton caprice, tu l'désarmes
Sinon jm'en vais t'coller une douille

Toute ta vie partie en fumée ?
On va pas en faire un tabac
Retourne chialer dans ton paquet
T'pas la dernière qu'le joint roulera. "


C'était une cigarette
Qui flambait comme une allumette
Juste une petite cigarette
Qui voulait parcourir la planète
Juste une petite cigarette
Qui voulait parcourir la planète...


Du bon non ? T'en penses quoi ?


Les p'tis vieux en tout cas, z'ont bien aimé.
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Jericho, chançard ? Il s'imaginait être bien des choses, veinard toutefois, n'était pas ce qui percutait son esprit en pôle position. Pour autant, cela ne fut pas un motif de contrariété à l'écoute, l'effet inverse s'opérant, celui escompté par le musicien amateur de tabac. Un large sourire fendit le faciès du guitariste, peu habitué à masquer ses émotions. Eustache était un type bien, l'un de ceux avec qui il prenait plaisir à échanger, aussi bien verbalement que musicalement. Un pote avec qui on va boire une bière ou deux, le soir après le boulot, pour décompresser de la journée écoulée, que celle-ci soit bonne ou mauvaise. Peinard, sans prise de tête, sachant apprécier le plaisir des choses simples. Typiquement le genre de l'écervelé.

On ne néglige pas d'entretenir la relation avec son verre, lui rendre fréquemment visite histoire qu'il ne se sente pas seul, délaissé. Eh, ils ont une âme eux aussi, il faut savoir les respecter et pas seulement y faire appel pour s'abreuver. Règle essentielle dans la famille Rawson, tu n'abandonneras point ton verre. Oreille attentive, il écoute. Une sorte de miracle, de réduire au silence de son plein gré le phénomène Belzebuth, la légende des quatre mers bleues et plus loin encore. Ce qu'il y a de plus étrange, c'est qu'il assimile parfaitement ce que tente de lui expliquer son interlocuteur. Fait assez rare pour être noté. Pour tout dire, ils se voient comme identiques dans leur perception de la musique.

Jouer pour les autres, pas pour sa poire. Faire plaisir aux gens, pas qu'à sa petite trogne. S'éclater avec le public, non en solitaire dans son coin. Une musique pour le peuple, qui réchauffe le cœur et insère du fun dans la cervelle, chasse la misère et l'injustice...

La lueur dans son regard sembla étinceler à la prononciation de ces mots, et à mesure qu'il enchaînait, il donnait l'impression de subir une illumination. D'être touché par la main de dieu, ou quelque chose d'aussi complexe et improbable. Rien de tout cela n'était vrai, il se réjouissait seulement d'avoir déniché un zigue qui lui ressemblait.

HELL YEAH ! EVIDEMMENT QUE OUI JE TE COMPRENDS !

Un Jericho enflammé, c'est jamais bon pour les feuilles, particulièrement de celles à proximité, qui risquent de subir de plein pot tout l'enthousiasme du gaillard. Les anciens assis à une table, quelques mètres plus loin l'on bien compris, ils vont douiller. Pétrifiés d'effroi, ne pouvant décrocher des yeux les doigts de l'ambianceur, ces derniers retombant sur les cordes de l'instrument de torture. Une scène au ralenti, pour accentuer l'effet dramatique, laisser le soin au lecteur de songer à l'ampleur des dégâts. Les cœurs qui cognent comme des damnés, et une intervention céleste qui sauve les miséreux. Ici, le Premier des Eustache, voulant s'essayer à la guitare.

Tu veux faire gazouiller ma petite Stâârk ? Fais gaffe, elle est du genre capricieuse quand elle ne reconnaît pas mon délicat toucher.

Loin de se décourager, il pianote de ses doigts l'instrument, y apporte les réglages que son propriétaire n'a jamais été en mesure d'effectuer. Un manque de volonté. Sa Stâârk est une personne à part entière, sa voix ne se modifie pas. Qu'il en a besoin pour que cela colle avec son propre talent qu'il argumente l'autre, suffisant au blondinet pour acquiescer. Si c'est nécessaire, alors d'accord. Décision qu'il ne regrettera pas, la gratte de son compagnon n'ayant rien à voir avec la sienne, ni même son timbre de voix ou la composition des paroles. Un véritable artiste de scène. Le rythme entraînant entre en résonance avec l'âme de notre héros, qui se lance immédiatement dans l'accompagnement, usant de son corps comme d'un instrument.

C'est désordonné, désaccordé, irrégulier, mais vrai. C'est Jericho. Un sens du rythme abominable, mais une véritable affection pour la musique. Sa propre interprétation fait de lui l'être unique qu'il est.

J'en pense que t'es sacrément doué ! Nom d'une paire de roustons asséchées, c'est plus du talent à ce niveau, c'est... c'est... 'Fin voilà quoi, t'es un bon Eush !

Ce n'est pas du flan, il ne dit que ce qu'il pense. Déjà que c'est compliqué, alors s'il devait commencer à prononcer des paroles qu'il ne pense pas, son cerveau surchaufferait sous l'intensité. Il en a les poils qui se dressent. Frémissant, il termine sa bière, et se fracasse le verre sur le crâne. Sans prévenir, brusquement, volontairement. Heureux, le front qui saigne et les éclats de verre incrustés dans la chair, il tend les bras pour récupérer sa belle. C'est que tout cela lui a envie donner envie de jouer ! Serait-ce le fait d'être arrosé par le talent de son compagnon, ou simplement la violence de son geste précédent, mes les premières notes ne sortent pas trop mal.

Plus que pas trop mal, ce serait même plutôt bon. Du beau son.


Et quand tout semble bien fonctionner, pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? D'un signe de la tête, il invite son ami à l'accompagner de sa voix.
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Ça y est, encore un petit miracle. Toujours plaisant d'en identifier un juste devant soi, toujours plaisant d'y assister. Le grand sachem de la musique a apposé sa marque sur le front du blondin revêche et c'qu'il gratouille sur ses cordes commence sérieusement à ressembler à du bon son. Ou alors, c'est d'carburer au houblon et d'en consommer un max à la minute qui lui fait pousser des ailes. Ah, l'alcool, on trouve pas mieux comme désinhibiteur. En tout cas, même si j'sais pas exactement qui a éveillé la flamme de l'artiste chez l'autre, ça m'file sacrément la pêche. De base, on s'poêlait bien. On discutait peinards, on s'comprenait même sans parler le même langage musical et y'avait une bonne symbiose dans les intentions. Mais là, ça prend joliment forme et j'adhère totalement au courant qui nous traverse. On tient la bonne wibe.

L'a certes fallu que l'Jericho se fracasse une chope sur la boite à méninges, mais le résultat est assez exquis. On tient l'bon tempo. Dans tous les sens du terme. Et forcément, ça incite pas mal à alimenter ce feu joyeux de l'inspiration aléatoire qui nous berce. Ah, si Shurik'n était là, il cracherait pas sur la scène, c'est net. En avant toute, Eustache Placide Zaïtsev Ier, tu vas nous claquer du lyrics qui dépote.

D'abord, prendre le ton. Ensuite, savourer l'intro parce que là, ça ressemble à du travail d'orfèvre dans le schéma suivi, et qu'le rendu fait plaiz' aux oreilles. Et ensuite, envoyer de la voix qui surplombe juste ce qu'il faut les accords, avec cette nuance de grain tout appropriée en ces présentes circonstances. Et laisser vibrer les cordes vocales. Que les p'tis vieux en aient pour leur aprèm. Et qu'on se paye une tranche généreuse de bonne ambiance par la même...

Beer and magic in the air
I just want  music
All day long and everywhere
And I pleased the Lord, I need to know
How to find my way
With just my guitar and I will go

I look for the light
For the light
For tomorrow

Dream of a life made of sail
All around the world
Without battlefields and jails
Without the threat of all our words
Why can't we see
We make them sharp as our swords

I look for the light
For the light
For tomorrow


Petite outro bien touchée, travail propre; toujours sur fond de grabuge dans la lourdeur envoyée, mais normal, on va pas demander à un chien fou de donner dans la berceuse. On s'tait un coup. J'tombe ma bière. Et on sourit tous les deux en hochant la tête, convaincus. Ouais, on est d'accord, ça sonnait comme un truc franchement pas mal, pour le coup.

J'me retourne. Les papys sont pas ployés sous l'indécence musicale du truc. Ils nous regardent avec ces yeux caractéristiques des vieux contents. De la nostalgie, de la douceur, de la joie légère et sincère. Mazette. Et pour rien gâcher, ils se mettent à applaudir en riant doucement. Ok, ils sont p'tetre que quatre, mais c'est le genre de truc qui te touche. Vrai plaisir, là. J'parie que l'lascar à côté d'moi à pas souvent été servi en compliments après ses ballades chaotiques.

En tout cas, c'est chouette. Y'a même la pluie qui s'est arrêtée pour mieux écouter notre petite impro. J'adresse un signe de tête au gaillard tout surpris de sa prestation et d'sa réception par l'audience.

Classe, nan ?
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Les paroles venues se greffer à sa composition personnelle sont bien accueillies par Jericho. Il m'envoie une grimace qui a valeur de sourire chez un être écorché vif tel que lui, on se fait un rappel pour le plaisir. Nos deux approches de la musique, nos styles pourtant aux antipodes l'un de l'autre sont d'instinct en train de s'apprivoiser, d'approcher de la communion pour former un tout homogène, presque harmonieux. Il y a quelques minutes encore, notre audience hésitait à braver les intempéries pour trouver refuge loin du tourbillon indigeste de sonorités que l'on proposait. Elle écoute désormais nos improvisations sans bouder son plaisir. Alors, convaincus de tenir enfin la bonne vibration, on prolonge le divertissement en regardant la pluie tomber, bien abrités par le store banne sur lequel les gouttes inventent leur propre mélodie.

Quelques gammes plus tard, le patron se décide enfin à abandonner le comptoir pour venir nous rejoindre dehors et profiter lui aussi de ce concert impromptu. Il apporte à tous ses clients une pinte toute neuve en précisant bien que celle-là est pour la maison. Le geste est dignement apprécié, notre binôme de musicos suspend un temps son office pour prendre soin de trinquer dans les règles de l'art avec ses aïeux. Au passage, la bonne humeur nous pousse à tous nous présenter aux autres. Il y a là André, Jules, Fernand et Eugène, le tenancier du bouge. On s'échange deux ou trois formules de courtoisie et quand les anciens replongent dans leur partie de cartes, on s'équipe de nouveau de nos grattes et on repart sur quelque chose de presque mélancolique, en hommage à ce temps morose. Même Jericho pour qui l'exercice se révèle inédit, se prête au jeu de bon cœur.

On continue après ça de boire doucement et de jouer à peu près juste encore deux bonnes heures. J'abandonne bientôt la sèche pour me concentrer sur l'harmonica, Jericho cale parfois sa voix rêche au milieu de nos partitions et le temps passe, sans hâte, bienheureux. Lui aussi nous écoute jouer, pourquoi se presserait-il ? Enfin, arrive un moment où la faim trouble les esprits artistiques et Jericho le premier dépose les armes pour partir en quête de sa pitance du soir. La patience n'est pas à la liste de ses vertus, il serait vain de le retenir. Et, même s'il aurait bien été tenté de finir sa journée comme il l'avait entamé, à la bière, ses économies ne lui accorderont pas cet honneur. Je n'insiste pas. La gueule cassée se redresse de son tabouret subitement, on se salue sans cérémonial et mon acolyte du jour part affronter le mauvais temps. Je regarde sa tignasse blonde se balancer de droite de gauche jusqu'à ce qu'elle se fonde dans l'obscurité naissante et disparaisse. Après lui, ce sont les trois habitués qui désertent, résolus à retourner à leurs épouses sans attendre que la pluie ne cesse. La partie n'est pas terminée et c'est tant mieux; ils auront tout le loisir de la reprendre dès le lendemain. Et puis, un retard au domicile conjugal donnerait lieu à des remontrances inutiles. Après un au revoir chaleureux, André met sans tarder cap vers l'intérieur des terres, Jules et Fernand remontent eux vers le littoral en échangeant quelques mots.

Et puis vient mon tour. À la nuit tombée, il pleut encore. Eugène me dit qu'il est désolé, mais que personne d'autre ne viendra aujourd'hui, et qu'en conséquent, il va fermer. Il ajoute qu'il doit se rendre sur Loguetown demain pour affaires et que se coucher tôt, c'est l'assurance d'être en forme pour affronter cette journée importante. Je comprends. Je caresse une dernière fois les cordes et range ensuite délicatement l'instrument dans son étui. Je suis sur le point de me mettre en route lorsque le patron, presque soucieux, me glisse :

" Vous savez, si vous remontez ce chemin sur deux lieues, vous arriverez à Kokoyashi. Vous y trouverez encore des échoppes ouvertes à cette heure. Si l'idée d'une mandarine et d'un gîte pour la nuit vous séduit.
Elle pourrait, oui. Merci. "

Je charge la guitare dans mon dos et garde en main l'harmonica. Et paisiblement, j'emprunte la direction que m'a indiquée le gérant en improvisant quelques airs de blues.

Toujours sous la pluie.
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