Huitième Epoque: Le Bruit du présent qui est déjà le passé.



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- Bonjour m’sieur !
- Mh ? Sal
- TOM ! Qu’est-ce que je t’ai dit à propos des étrangers ! Rentre immédiatement !


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- Salut petite...
- Ayò ! Tu cherches quoi monsieur ? T’as l’air tout perdu !
- Je cherche... Je me cherche moi.
- Ben, t’es juste là, c’est idiot ce que tu dis ! Tu te trouves pas ? Moi je t’ai trouvé !
- C’est que j’ai changé dernièrement, vois-tu, alors je me trouve... je me tr... hmf... chi... je me trouve... mal...
- Mamaaan ! Le monsieur il est tombé raide !


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Entre mes yeux confus et la petite, il y a la silhouette ferme de Mamaan ! Le monsieur il a bougé ! qui me dévisage, son petit menton de vingt-sept ans fermement porté vers l’avant. Pas touche, pas bouger, le message est clair. Je me redresse quand même, j’ai gardé ce petit côté transgressif je suppose. Ça ne la fait pas sourire.

Même si moins, je suis encore et toujours un monstre. Ça sent bon, mes narines frémissent.

- Du bouillon. Quand vous aurez fini votre bol, je vous prie de partir.

Elle ne doit pas savoir, que je suis moins. Pas être au courant. L’effroi fait trembler sa lèvre.

- S’il vous plaît, je sais qui vous êtes.

S’il n’y avait pas son enfant, elle se serait terrée ailleurs et je serais seul dans cette cahute. Et je n’aurais rien à manger que des restes rassis. Elle fait un effort surhumain pour garder son regard fixe, ne pas sembler aux abois. Il paraît que les bêtes sentent la peur, et que jouer les effarouchées réveille leurs instincts chasseurs.

- Merci.

Ça la prend de court. La gratitude de la bête. Son air décidé vacille, se réajuste. Elle se relève, maintient derrière elle la fillette qui veut m’apercevoir à travers ses jupons, recule jusque me laisser seul dans la pièce. Sa chambre, j’imagine, et elle aura préservé de mon intrusion dans leurs vies le reste de la maison. Maison de peu, vie de rien, femme d’autant que possible. Pas d’homme ici, c’est dans les odeurs qui flottent hors la mienne. Je suis toujours bon à ça. Deviner, sentir, pressentir. Ce devait être à peine monstrueux, pas aussi digne des pouvoirs de Saladin que...

Même en me concentrant, c’est tout juste si j’arrive à percevoir le battement de la veine sur ma tempe. Hé. Un mur gourd a remplacé ma vision des cœurs et des fluides dans l’environnement. C’est ce qui m’a fait tourner de l’œil plus tôt, combien de temps plus tôt ? Ce vertige à être comme ankylosé, impotent.

- Tu manges pas ? Le bouillon de Maman c’est le meilleur !
- Tu as le droit d’être là, toi ?
- On dirait que ce serait un secret, d’accord ?

Futée, la marmotte. Elle n’a pas dix ans. J’ai manqué cet âge chez Izya, celui-là et beaucoup d’autres. Sans doute a-t-elle eu meilleure famille que ce que j’aurais pu lui offrir à l’époque avec ce forgeron et sa femme, mais peut-être que des choses auraient été différentes si. Sans doute. Curieux comme la viande n’a pas la même saveur quand le sang n’a plus son attrait.

- Ta mère a raison, tu devrais rester loin de moi.
- Pourquoi ?

Est-ce que je sais ? Principe de précaution. Prudence. Instinct de vie. Je ne réponds pas, me lève.

Là elle prend peur, détale quand je me décrasse les articulations dans un gémissement à peine contenu. Je suis si... physique, désormais. Quatre ans que je n’ai pas ressenti mes os, mes tendons, mes muscles en tant que tels. Même les menottes de granit d’Impel Down ne m’avaient pas fait retourner aux sources à ce point. Je suis moi tel que j’ai été fait.

- C’était un bon bouillon.
- Vous partez ?

Elle se décolle du chambranle de la porte quand je me dirige vers elle, je crois que je l’attire un peu malgré tout, encore un peu. Je suis sale, vieux, crasseux, mais je suis un monstre qui suinte l’aventure et je n’ai pas d’arme à proprement parler. Je ne suis pas agressif. Ses envies réelles ne me sont pas accessibles cela dit, sans doute faute de sentir son sang à proximité du mien, ses variations dans ses veines, ses élans, ses courants les plus intimes. Nous nous regardons l’un l’autre, un peu, à quelques pouces sans qu’elle se dérobe cette fois. La fierté qui tourne dans son œil bleu ressemble à celle dans l’ambre dont se drape Lilou. Et comme Lilou, ou plus que Lilou car elle n’a pas sa trempe hors-du-commun, m’imposer à elle serait... mal ?

Hors-propos. Je m’écarte. Elle se cramponne au mur dans mon dos pour encaisser le soulagement de mon départ.

La môme m’observe de son affût derrière la grande table de la pièce à vivre où s’étalent quelques maigres provisions. Toute la richesse d’un foyer perdu. Ma main pourrait aller sur sa tête, dans ses cheveux comme on flatte un rejeton. Je contemple un peu l’idée mais j’ai déjà remercié une fois. Et puis je ne suis pas son père, il ne faudrait pas qu’elle se méprenne. Je ne suis pas un père tout court, il ne faudrait pas que je me méprenne. Je ne suis qu’un type qu’elle devrait n’avoir pas croisé.

Qu’elles devraient n’avoir pas croisé.


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- Attendez !
- Le paysage a changé, San Tanza est bien sur cet îlot ?
- San Tan... oui, par là, mais pourq
- Ta fille a besoin de toi, rentre donc.
- Je voulais... Mon mari n’en aura plus besoin depuis que la Rua Anrior l’a accusé, jugé et...
- La Rua Anr... Ah, la secte.

Les femmes m’étonneront toutes. Elle me tend un sabre. Mauvaise facture, belle ligne, sobre. Un sabre de soldat, l’homme devait être parti en garnison quelque part dans les environs parce que ça payait mieux que la chasse au touriste, et forcément les locaux n’ont pas dû apprécier la trahison. Je décline doucement. Je n’en ai pas besoin et puis elle devrait le garder pour se défendre de gens comme moi.

- Vous n’êtes pas un homme mauvais.

Des flashs. Jaya, Izya, Stymphale. Les cris, la mort. Un ricanement désabusé m’échappe.

- Oh si.
- Je veux dire...

Sa fille est sauve, et saine. Je l’ai épargnée elle aussi. Je n’ai fait de mal à personne dans son foyer. C’est ça qu’elle veut dire, mais c’est stupide. Stupide comme son cadeau. Stupide comme cette rencontre. Il n’y avait pas d’habitations sur cette partie de l’archipel volant, en 1615. J’espérais qu’il en était resté de même.

Dans la direction qu’elle a indiquée, je tâche de percer les collines et la terre, mais je ne peux qu’imaginer, que ressentir les courbes du monde derrière la jungle. Je ne vois pas le triple sommet, je ne peux pas le toucher de mes yeux. Et je ne vois pas les chemins, et je ne vois pas la grotte. La femme propose de me montrer la voie.

- Remplace ton homme, mais tu ne veux pas d’un comme moi. Tu ne veux pas.

Elle se raidit, pique un fard. Elle ne veut pas, c’est un mirage. Le grand émoi de l’aventure. Elle ne veut pas quitter sa terre, pas avec un type dans mon genre. Ses paupières se font humides, ma réponse était cinglante.

Mais juste tout autant. Il est temps que je disparaisse.


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Sous mes semelles, les chemins de la jungle s’étirent. La poussière derrière mes talons abrite des moustiques qui me sucent comme jamais mais je n’ai pas un regret. Quelle légèreté dans mon pas, quelle vie dans chacune des ampoules qui éclatent contre mes bottes trop poisseuses ! Ce regain de masochisme me ramène des éternités en arrière, quand je n’étais que jeune et fringant, insouciant du futur qu’allait m’amener mon passé. J’étais soldat, j’avais des buts qui n’étaient pas les miens mais qui m’allaient. J’avais des femmes et pas d’enfant. s. J’avais l’âge d’être homme, la poigne de l’innocent qui croit que ce qu’il tient est à lui. Et j’avais le monde dans ma main. La mer dans mes yeux et le monde au bout de mes doigts. J’étais vivant.

Je suis vivant. Blessé, fatigué, à bout de souffle, mais vivant.

Vivant tu m’entends, Second Peace ? Vivant.

Hin.

J’ai un sourire. Le premier sincère, exempt de toute cruauté, de toute ironie, de tout cynisme, depuis... depuis que je suis né ? Non, quand même pas... Depuis que je suis mort, alors ? Peut-être, mais depuis quelle mort ?

Qu’importe.

Il flotte entre les arbres comme des saveurs sucrées qui remonteraient, non pas des fleurs environnantes mais d’une époque depuis longtemps révolue. Au-dessus du sentier de chèvre que je suis, un petit nuage familier de phéromones inconstantes. Pointes de joie, pointes de tristesse. Je balance des unes aux autres, au rythme chaloupé de mes jambes et de ma cuisse, débloquée puis bloquée de nouveau, puis débloquée encore. Les premières, heureuses, sont les plus fortes pour l’instant, c’est comme si ma jeunesse revenait, comme si Crimson Betty revenait. Nous venons de quitter la Psyché et nous nous dirigeons vers la nécropole de San Tanza en quête d’un trésor tiré de mes mensonges éhontés pour survivre.

En coin je la regarde, la pirate qui valait cent millions. Elle a l’âme vagabonde, elle papillonne d’une liane à l’autre, d’un intérêt à l’autre. Elle a la rate usée de ceux que les humeurs travaillent à mort. Le spleen jamais loin, jamais parti sauf pour mieux revenir. Et la grâce insouciante des enfants qui profitent de la moindre étincelle de vie tant qu’il y en a, chaque fois qu’il y en a. Je la plains maintenant, je la plaignais déjà à l’époque, mais je la plains maintenant que je connais l’issue pour elle. J’ignore s’il aurait pu y en avoir une meilleure, mais ce n’est pas celle que je lui aurais souhaitée. Elle était sympa, Betty. Perturbée mais sympa, un peu comme moi, un peu comme moi je crois. Les autres n’ont jamais cru. Un peu comme moi, un peu comme moi je crois.

- Alors lieutenant-colonel Tahgel, on approche ? Il vaudrait mieux pour toi, hihihi...

Ah, phase adulte. Ses cheveux bruns sous son chapeau rouge, et cette chandelle au fond de son regard, l’appât du gain mais surtout l’appât de la chaleur d’un bon feu dans une grotte au lieu de cette jungle humide et froide comme un hiver tropical. Oxymore, comme elle. Il pleut soudain, comme ce jour-là. Et mon moral part dans mes chaussettes, va baigner dans le jus de mes plaies à vif que n’arrive plus à secouer mon bassin. Je traîne la patte, reprend une béquille pour continuer. J’aurais dû accepter le sabre, finalement. Le fourreau aurait fait une bonne canne, solide et pas compliquée à dégoter parmi les troncs mous des plantes autochtones.

- Youpi !

Le ciel se dégage, une bourrasque d’air chaud nous décoiffe pendant qu’un arc-en-ciel nous éclaire la voie, par-dessus les trois dômes de l’autre côté de la plaine d’herbe maigre. Phase enfantine, j’abandonne aussi sec mon soutien bien physique pour une fébrilité mentale de pucelle. Franchir ces lèvres de pierre noire, là-bas, c’est comme embrasser une nouvelle vie, récupérer d’anciennes forces que j’aurais laissées ici juste avant de partir exploser en vol à Marie-Joie. Oui, peut-être bien que c’est ça que je suis venu faire ici.

Second Peace, apporte-moi la paix d’une énième résurrection.


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- Vous stopperez ici, Tahar.

Il y a des vous plus intimes que des tu susurrés à l’oreille.

Elle a changé. Vieilli. Mais elle elle n’est pas morte.

L’âge qu’elle a pris lui donne même un aspect plus féminin qu’avant, où elle n’était qu’un démon de plus. Une tête asexuée de la bête monstrueuse qui terrorise l’inconscient collectif. La patine prise par sa peau, ses cheveux plus rêches et plus raides, moins hirsutes, son dynamisme plus canalisé... si j’étais intéressé je trouverais bien qu’elle s’est bonifiée avec les années. Mais je ne suis pas intéressé, juste un peu surpris.

Encore que. Mettons seulement que je me suis figé pour savourer l’instant. Il est précieux. Dans la continuité de mon parcours jusque cette grotte, jusque cet antre taillé à même la roche de souvenirs plus vieux que moi.

- Bonjour, Céléno.

L’appeler par son prénom est un peu étrange, mais c’est plus dans l’ordre des choses que par son grade. Je ne sais même pas si elle est toujours commodore... Et à propos d’ordre, le sien à elle était plus pour introduire son apparition que pour vraiment m’intimer l’immobilité. Je fais quelques pas pour franchir le porche pierreux et la rejoindre à l’ombre d’une torche encore éteinte. Clac, clac, la voici allumée, et c’est parfait car la nuit tombe au dehors, dans un grand bruit sec qui fait s’envoler trois perdrix enrouées. Elle s’est un peu raidie mais comme prévu me laisse approcher sans heurts, sans dégainer son précieux sabre que je reconnais.

C’est toujours celui que je lui ai dégoté sans savoir qu’il allait lui revenir, dans une autre jungle dans une autre vie, déjà peuplées de sauvages qui n’en avaient qu’après ma chair et mon sang et ma vie. Toute mon existence.

Ses yeux toujours bleus sous son fard toujours rouge, mais pas forcément sanguin celui-ci, je ne sais pas, je ne sais plus, je ne sens rien, ses yeux me fixent tandis que les miens parcourent sa personne de haut en bas, de la garde de son arme jusqu’à son visage pour redescendre et me réapproprier cette silhouette que j’ai suivie partout, bon second que j’étais alors, pendant près d’un an. Le passé se mélange au présent dans le silence à peine déchiré par quelques ultra-sons de chauves-souris et, par superposition et,ou transparence, j’accède à ce qui a changé, à ce qui est resté. Ses formes se sont un peu affaissées, mais sa force vivante est toujours bien là, et il ne manquerait qu’un petit, qu’un tout petit déclic pour qu’elle relâche toute sa destructivité. Ça, je le sens. Ses hommes doivent toujours l’appeler la Harpie, ses supérieurs aussi. Ses hommes...

- Vous êtes seule, me semble-t-il ?
- Le Vagabond et son équipage sont mieux loin de vous.

Douce ironie, je suis content de cette complicité qui peut subsister entre nous. Me revient la promesse arrachée à notre séparation, celle que jamais je ne remettrai pied sur le navire auquel j’avais causé des dégâts sans précédents dans la bataille face à Crimson Betty. Me revient aussi le contexte de cette promesse : le dernier verre échangé et nos adieux tout en sobriété alors que je quittais son aile pour enfin aller épanouir mon potentiel en pleine capitale. Censément l’épanouir. Je respecte absolument cette femme, c’est rare.

- Je sais où vous allez, Tahar. C’est une mauvaise idée.

Je la sonde du regard, un peu surpris et pour de vrai cette fois. Sait-elle ? Je ne suis pas certain moi-même, et la meilleure preuve en est ma cuisse toujours rétive. Mais je présume qu’elle avait toutes les cartes, à m’avoir fréquenté dans les circonstances qui nous entouraient alors, pour deviner. Tout cela est très logique.

- Une très mauvaise idée, c’est pour ça qu’elle m’a plu... Vous m’empêcherez ?
- C’est l’une des peu de responsabilités dont je me sente investie, réellement investie.
- Et vous n’en êtes que plus admirable.
- Trêve de flatteries...
- Je le pensais.


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Elle comme moi avons passé l’âge, pourtant je crois bien l’avoir vue pré-sourire dans la lumière tremblante qui nous entoure. La plissure de ses rides aux tempes m’a rappelé cette moue coquette qu’ont toutes les femmes quand un compliment les touche. Quel que soit leur vécu, quel que soit leur degré de frivolité naturelle, la sincérité d’une appréciation sur leur personne les atteint toujours. Et, au moins, elle saura avant qu’on ne se quitte. C’est important, de savoir qu’on inspire encore le respect à d’anciens amis. Plus important sans doute même que d’avoir encore la crainte d’un ennemi séculaire, ou bien l’amour d’un ancien prétendant.

- Hum...

C’est un peu encombrant aussi, le respect. Ça empêche de se jeter l’un sur l’autre avec toutes les armes de l’indifférence. Maintenant que la reconnaissance de nos considérations mutuelles l’un pour l’autre s’est faite, l’envie de se taper dessus dans le noir d’une caverne fait peu d’émules, et ce n’est pas que de mon bord que je ressens cette lassitude avant même l’action. Il faudra bien, mais pas tout de suite, mais pas encore. D’abord, place à des futurs qui ne seront jamais présents. À des passés qui n’ont jamais eu d’avenir.

- Vous avez faim ?

Le bouillon dans la cahute des deux âmes en peine est déjà loin, la jungle a dévoré le temps pendant que je la traversais. Oui, j’ai faim. Mon ancienne supérieure saisit la torche et me tourne le dos sans gêne pour s’enfoncer dans les boyaux du fond. Je découvre après quelques dizaines de pas un camp dont la simplicité aurait fait de Truc-Que-T’as-Pas-Lu un grand seigneur plein de richesses à la maison pleine de conforts. Une peau à fourrure jetée à terre, une couverture roulée à côté et deux accessoires autour d’un foyer encore éteint.

- Je savais que vous reviendriez ici sur le trajet, mais pas quand.

Elle relance les flammes pendant que je fais le tour de la salle où elle a élu domicile. Une petite pièce qui, si je me souviens bien, ne communique pas avec la grande cathédrale de rocs où Crimson Betty a connu la fin de son calvaire bipolaire. Les parois s’éclairent à mesure que monte la chaleur, et les peintures vieilles de l’âge du monde s’animent des tressaillements incessants du feu. La vie est une perpétuelle mise en abyme et, dans ces histoires qui nous entourent, d’hommes et de peuples disparus depuis plus longtemps que je ne peux le concevoir, c’est nos histoires que je vois, nos histoires à nous, Céléno et moi, les histoires de toutes les bêtes solitaires qui font les mythes et les légendes, et les peurs le soir sous les couvertures quand le rouge dans la cheminée s’est éteint et que le noir de la nuit engloutit les terres, l’éther. Ça me rend silencieux, contemplatif.

- Je...

Elle attend, moi aussi.

- Oui ?

Je voulais savoir si vous aviez des enfants et s’ils avaient peur des histoires qu’on raconte sur vous, Céléno. Mais c’est ridicule. Une famille, des amis. Des proches, si vous étiez bien si solitaire que moi je le suis, que les autres bêtes auxquelles je pense ont l’air de l’être. Teach, Elize, Jack, Green Wolf, Saladin pour les plus proéminents. Jenv, Fuuryuko, Ela, pour les gentils. Adam. Layr. Lilou. Mais c’est ridicule. Ça y est, les flammes vont bon train, je vais m’asseoir à proximité, ma pelisse froissée sous mes cuisses que j’étends. J’enlève mes bottes, mes chaussettes, fais sécher ma crasse et mes ampoules comme si dix ans, comme si les dix dernières longues années n’avaient pas filé depuis ces soirées à bord où nous avons gagné cette confiance réciproque que nous partageons là. Demain, la bataille nécessaire et la séparation inévitable. Elle ne se défaussera pas alors qu’elle avait vu juste sur mon parcours, et je ne l’insulterai pas en esquivant le combat. Mais demain.

- Les pois sont chauds.

Elle me tend une des deux boîtes et sa fourchette, garde la cuillère.

L’empathie me confirme qu’il n’y a personne autour mais je serais curieux de ce que penseraient deux yeux qui nous verraient, nous ennemis et pourtant partageant cette cène sans arrière-pensée, sans mauvais espoir, sans projections mal placées. Deux anciens amis se retrouvent et partagent un repas.


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On néglige souvent l’importance du manger en commun.

Les dîners arrosés avec les Saigneurs où nous enterrions notre présent en tuant celui des autres.

Le banquet dégénéré avec les hommes de la Légion et la commémoration de la mort de Sergueï.

Les bouillies d’un ermite sous l’œil de sa chienne, après une première tentative d’en finir.

Les soupers à bord du Vagabond quand les missions le permettaient.

Le repas où le sergent Sar Akk-Ônor et l’amiral Pludbus Céldèborde...

Un coq grillé partagé avec une jeune brune, et avorté.

Les repas d’Impel Do

- NON !


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Personne ne dévore ma cuisse !


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Personne ne dévore ma cuisse.


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C’est pour ça que j’y ai mal ? Pour me rappeler ce que j’ai fait à ces corps ?

Le calme me revient.

Je ne sais pas si j’ai crié pour de vrai. Rien de moins sûr, les vampires suspendues au plafond n’ont pas l’air de paniquer et Céléno fait très bien celle qui s’agite juste un peu dans son sommeil de l’autre côté du foyer endormi. Je ne vois pas le blanc des cendres, juste un tas informe dans l’informe du gris qui m’entoure. Le monde est entre chien et loup, ou plutôt entre loup et chien, quand le premier rentre les crocs qu’il avait sortis la nuit pour vivre au côté de l’homme pendant le jour qui pointe. Aube ou crépuscule, j’aime autant les deux, moi le chien fou ni vraiment l’un ni vraiment l’autre. Je reste un peu assis dans ces limbes où tout se tait. Il n’y a que les odeurs de feu en fin de course et de nuit qui s’achève, pas un bruit d’insecte, pas un bruit de mort, rien que le grand blanc avant la renaissance, comme à l’hiver juste avant le printemps où tout éclot.

Il fait froid, me redresser force la reprise de contact avec le côté vivant des choses, celui où mon corps me parle et où j’entends mon corps qui me parle. Un genou craque, mes vertèbres une à une se délient. Je suis vieillissant moi aussi, et plus aussi imperméable au temps qui marque qu’avant. Céléno ne bouge pas. Avec un peu de concentration j’entends sa respiration régulière, peut-être un peu trop, mais c’est tout ce qu’elle est à mes sens, une respiration. Pas de pulsation, pas cinq pintes de sang dans un peu de chairs, juste une respiration dans un tas parmi tous les autres tas du tout petit matin. Je pourrais la tuer, là maintenant, ce serait plus simple. Mais je n’approche pas. Elle a sans doute la main sur son arme que je ne vois pas, sous sa couverture et ça forcerait l’affrontement alors qu’il est trop tôt. Trop tôt... Je laisse les faibles lueurs de dehors me détailler peu à peu ce que je vois d’elle, un morceau de sa nuque, des mèches en pagaille, un bout de joue et quelques doigts. Je pourrais la tuer...

Au lieu de ça je me demande quel âge elle a. C’est le genre de question personnelle qui n’est jamais venu dans nos conversations, comme sa famille. Elle ne doit pas être beaucoup plus vieille que moi, tout compte fait, peut-être cinq ans de plus, six ou sept au maximum, sinon ça se verrait. Même génération que Jenv, celle d’avant la mienne, mais pas au-delà. Je me demande si ça change grand-chose, son âge. Peut-être.

Je sors.

Et je contemple les cieux purs de Second Peace Island. Ils sont paisibles, dégagés. C’est quelque chose, d’être seul ou presque à bord d’un îlot de roche en lévitation à des encablures au-dessus de la mer, de la vraie. On ne voit pas beaucoup plus loin, avec la courbure du sol qui mène droit à un horizon de tous côtés, mais l’impression de dominer une partie du globe demeure vivace. Une partie, une toute petite partie de la destinée des autres, un peu comme un grade militaire donne de l’importance à qui y croit. Illusions. Je me souviens avoir eu le même genre de sensation du haut du continent entre South Blue et West Blue, à toiser le monde depuis un endroit où, en plus, personne n’avait sans doute posé le pied depuis des vies et des vies entières.

- Pas à dire, certains trucs valent le coup...

Elle est sortie sans que je l’entende. Comme quoi la mangeuse d’hommes a de la réserve.

Devant nous le soleil s’étire sur Grand Line, accueilli par les mouettes et le fracas d’un ou deux mastodontes dans l’eau loin en dessous ou à côté. Peut-être un navire qui a loupé son accostage sur un autre îlot, peut-être un de ces autres îlots qui est tombé subitement. Est-ce vraiment important ?

La scène est vue, revue et toujours unique. De ces trucs qui valent le coup. De continuer à se lever chaque matin même après tout ça de matins, pour en apercevoir une goutte, juste une goutte de temps en temps.

- Je n’ai pas très envie de vous tuer.


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Elle n’a pas répondu, s’est éloignée après un faux hochement de tête derrière le rideau de lianes et de plantes grasses qui entourent San Tanza. Pendant qu’elle n’y est pas, je retourne dans les entrailles de la terre. La grande salle met un temps à se laisser approcher, j’avais oublié toute la complexité du système de tunnels de la nécropole. Dans mon souvenir, tout s’était fait très simplement, avant comme après la mort de Betty. Sans doute parce que soit j’étais prisonnier, dans un sens, soit j’étais blessé, dans l’autre.

Les colonnes hautes et basses et les cristaux qui les strient me transportent dans une cathédrale d’un autre temps. Et à nouveau je me perds en fixant les murs millénaires de cet endroit, dans les reflets d’autres moi-mêmes que me renvoient les vitraux çà et là. Reflets déformés, reflets difformes. Il y a bien longtemps que je ne me suis pas regardé, moi simple humain avec ses poils qui dépassent sous la cravate par les boutons de la chemise, ses cicatrices sur une peau blême qui ressortent, ses asymétries partout et son regard moins vert qu’un marais. Je ne les vois pas vraiment, ces détails, mais je les extrapole à coup d’empathie et de mauvaise foi, à partir du peu que je perçois dans ces miroirs qui n’en sont pas. Mais pas besoin d’être grand savant parmi les savants pour savoir avec certitude que mes poils sont bel et bien plus gris qu’avant, plus blancs même pour certains. Que mon cuir est bel et bien plus abîmé, lardé de coups de toutes formes voire flétri par endroits comme celui d’un vieux bouc. Je dois bel et bien avoir le teint d’un cave, plus cave que cette grotte immense. Je suis selon toute vraisemblance en plein déclin, vieux chien-loup hirsute et pas bien beau à voir.

- Moi non plus, Tahar, pas tellement.
- HMF !

Encore, elle est revenue à quelques pas sans que je l’entende venir... La familiarité de sa présence exigerait que je sois plus attentif à ce que perçoivent mes sens, surtout le sixième. Je reprends mon équilibre à quelque distance d’elle, observe au travers de ma manche déchirée mon avant-bras tailladé. Du sang perle, pas grand-chose car j’ai plutôt bien esquivé sa fente, mais perle quand même. Étrange, ce sentiment de ne plus sentir.

- Vous avez une curieuse façon de le montrer.

Elle a un rictus désabusé. Je cherche dans ses yeux l’image que je donne à quelqu’un qui ne m’a pas vu depuis dix ans, j’aurais dû y prêter attention dehors quand il faisait jour. Là, les torches sont trop minimales pour permettre quoi que ce soit. C’est tout juste si je sens que son port est moins souple qu’hier au soir, moins détendu. Ses traits plissés révèlent la femme travaillée, taraudée. Doit-on vraiment se battre ? Sur son échelle de valeurs, tuer un ami, vaut-ce vraiment mieux que mettre en danger la vie de

- Que fait-on alors, si aucun de nous n’a l’envie ?
- C’est évident, l’amour pas la guerre...

Nos atermoiements filent sous nos rires fatalistes qui nous rapprochent l’un de l’autre. C’est si incongru, si absurde, si abscons. Elle a rangé sa lame. Familiarité devient proximité, proximité devient intimité.

- QU

Hm. Filent puis reviennent, assagis, asservis, relégués au simple rang de souvenirs tellement erronés. À peine vécu le présent se brise en mille morceaux de passé. Nidai Kitetsu boit le sang de sa maîtresse qui manque un souffle, recule, titube, s’effondre contre une stalagmite. Je l’accompagne, un bras sous son aisselle et l’autre retirant l’arme de la plaie avec délicatesse. Elle s’adosse en douceur, halète un peu, se cramponne en glissant au sol. C’est la surprise, la compréhension lui viendra plus tard. Derrière la douleur.

- Où est votre escargophone ? Dans l’autre salle ?
- Ta...
- Appuyez sur la plaie, là, comme ça.
- har...
- Ne bougez pas trop, je reviens.


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- Voilà, vos hommes ne vont pas tarder.
- Ingrat petit salopard ! Après tout ce que... j’ai fait pour vous !
- Gardez votre souffle, à nos âges il faut faire attention. Une blessure que je voulais bénigne mais incapacitante peut devenir seulement incapacitante si vous ne faites pas attention...
- ORDURE ! ET DIRE QUE JE SUIS TOMBÉE POUR VOTRE BARATIN COMME LA DERNIÈRE DES
- Baratin ? Je pensais tous les mots que je vous ai dits, Céléno. Bon, sauf l’amour, à la fin, vous savez...
- AHH !
- Mais le reste, si... Évidemment que si !

Sa rage n’a d’égale que sa frustration à ne pouvoir faire le moindre geste pour me réduire en miettes.

- Vous... avez une curieuse façon de le montrer.

Ah, voilà l’ironie revenue. C’est preuve que le premier pic de douleur s’estompe un peu, juste assez pour laisser place à un début d’entendement. Pourquoi aurais-je pu faire ça si je dis vrai ? Pourquoi...

- Vous n’êtes pas la première venue, il me fallait bien être original.

Et puis ça s’est un peu décidé au dernier instant, il faut bien que je l’avoue. À moi, que je me l’avoue à moi, ça ne ferait pas très professionnel si je le criais sur les toits. Même si des toits il n’y en a pas tant que ça autour. Céléno n’est pas la pire personne à laquelle confier un secret de ce genre : elle le garderait.

- Mais finalement c’était la seule solution. Vous sauvez la face, moi je continue, et
- W... Oui...
- Gardez le dos droit, ne vous penchez pas.
- J’ai déjà été blessée vous savez, Tahar.

Il est vrai que, ne serait-ce que la dernière fois où elle a quitté ce lieu en ma compagnie, c’était sur une civière également. Que de similitudes. La vie est un éternel recommencement, le temps rien qu’un grand cercle plat. Tous les passés, tous les futurs, ils ont déjà été et ils seront encore. C’est rassurant, d’un sens, ça laisse moins de prise à la décision et au choix puisque mêmes causes donneront toujours mêmes effets. Mais le présent me donne l’impression de n’être qu’une vaste fumisterie pour soulager nos consciences en nous laissant croire que nous en avons une. Conscience de ce que nous faisons, de ce que nous sommes. Alors que tout est déjà écrit depuis le moment où nous sommes nés jusque celui où nous sommes morts, qui en fait ne se produisent jamais l’un comme l’autre tout en se produisant en permanence tout au long de notre existence.

Second Peace, apporte-moi la paix d’une énième résurrection, hein ?


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- Tahar ?
- Mh ?
- Si vous ne décampez pas avant que mes hommes arrivent, je... vais vraiment devoir vous tuer un jour...
- Ah, oui. Vrai que vous perforer sans que ça serve au final serait plutôt mesquin.

Il me reste encore un peu de marge pas métaphysique avant que l’équipage du Vagabond ne nous tombe dessus, mais Céléno a raison. Je caresse la roche lissée par l’humidité, fais quelques pas le long des parois faites de squelettes fossilisés. Ma main m’évoque un papier de verre grossier à ce contact avec le Temps lui-même, le monstrueux Temps qui passe malgré tout sur moi, elle, nous, sur nous tous, nous tout petits points enfermés dans ce cercle qui nous fait l’effet d’une spirale sans faux-contacts, sans raccourcis, sans retours en arrière. Heureusement que le cycle perpétuel de l’éternité nous transcende et ne nous est jamais véritablement accessible, mentalement nous n’y résisterions pas.

J’ai failli ne pas y résister à Impel Down.

- Bon. Alors, hm, à plus tard ?
- J’en doute.


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Il fait plein jour maintenant quand je remets le pied dehors. Presque chaud déjà, alors que le soleil n’est pas encore à son zénith, quoi que ça puisse signifier quand on connaît les facéties des astres et de la météo sur Grand Line. Le silence du petit matin est mort, place à l’exubérance de la vie. La jungle devant moi bouillonne d’énergie primaire, primale, primitive, sous les frissons d’un petit vent qui agite la canopée. La terre, les cieux, la mer, tout est vivant et m’assaille, c’est comme si je sortais d’une surdité causée par la montagne de San Tanza. M’assaille et m’accueille, m’invite, me prend par le bras pour m’emmener au loin, là où je dois aller.

À moi la suite.

- Ta..har.. ?

Elle s’est traînée jusqu’à l’entrée dont me je viens de m’éloigner, incroyable n’est pas Céléno. Des images d’elle en train de ramper, luttant pour ne pas perdre tout son sang sur le trajet, me passent devant les yeux tout comme je continue mon chemin vers les arbres. Elle doit croire que je ne l’ai pas entendue, ses hommes doivent l’accepter quand elle leur dira que je suis trop loin. Et puis, deux cents pas de distance, c’est déjà beaucoup pour la voix un peu faiblarde d’une femme qui refuse de s’évanouir.

- Bonne chance, Tahar.

Elle, elle ne m’entendra pas.

- Merci.


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