Appuyée sur sa hache, le cœur battant et la langue pendante, Leo contemplait d’un demi-œil le morceau de tissu qui lui barrait la route. De derrière les motifs dorés s’élevaient des rires insouciants, des soupçons de conversations passionnées, des musiques entremêlées, de subtils relents de sueur et quelques grains de sable portés par le vent en même temps que l’enivrante odeur des épices indigènes. Il lui semblait qu’une infinité de curiosités l’attendait derrière ce pan de fortune et que tendre sa main aurait suffit à s’emparer des merveilles de cet univers inconnu. Le tourisme n’était pas vraiment la première de ses priorités, mais après les remous nauséeux des vagues et l’aridité éreintante du pays, il lui tardait de franchir cet obstacle incongru. Pour l’heure, elle reprenait son souffle. Il n’y avait pas de raison particulière à sa présence sur l’île, si ce n’était un besoin de voyage fulgurant et une place à bord bon marché. De telle sorte qu’il lui paraissait avoir le temps de tout et le besoin de rien. Un homme la dépassa pour s’aventurer dans le passage mystérieux. Vexée d’avoir été ainsi doublée, la demoiselle replaça l’arme démesurée sur son épaule et envoya ses doigts à la conquête du rideau. Immédiatement enveloppée dans un flot de senteurs, elle le laissa retomber dans son dos pour mieux se perdre parmi les innombrables blandices de la capitale.
L’allée s’étendait loin devant ses yeux. Ce sillon creusé entre deux gigantesques bâtiments de pierre était bouché par des stands qui ne laissaient à leurs clients qu’un mince filet de sable pour progresser. Alors, tandis que leurs pieds soulevaient des nuages de poussière, les corps s’entrechoquaient dans un bruit sourd. De cet amas de chair ne remontait que la mélodie entremêlée du cri des marchands, des salutations polies d’habitués et des exclamations de surprise des touristes. Une cacophonie qui étirait sur les lèvres de la jeune femme un sourire ravi. Sans plus attendre, elle s’enfonça à son tour dans la masse informe qui glissait le long des étales. Les devantures s’affrontaient dans un bras de fer silencieux, abritant du vent cruel aussi bien des figurines de terre que des colliers d’améthystes. Ici, des faucons en cage reluquaient d’un œil jaune les ornements délicats d’une robe en soie. Là, le fumet de plats traditionnels s’élevait vers les narines d’un soldat au garde-à-vous. Déposées dans un crin de velours, des broches en or renvoyaient des reflets dorés sur le tranchant des épées d’en face. Partout, on attirait le client. La foule progressait lentement et laissait à chacun de ses membres l’occasion de dépenser son argent. Tiraillée, Leo ne savait que choisir. Chacun des articles lui semblait plaisant et elle relevait régulièrement la tête à la recherche du propriétaire qui, bien souvent, parcourait d’un regard cauteleux sa marchandise tandis que sa bouche distribuait sourires mièvres et promesses vides. Le nombre de passants facilitait le vol tout en le rendant plus risqué. Elle venait de dérober quelques noix de cajous quand son regard s’arrêta sur un produit bien plus tentant. Une silhouette qui se pavanait près d’un étalage de cigare. Un marine. Malingre, il se prenait quand même au sérieux. Ainsi on le voyait réclamer des autorisations de vente aux commerçants, saluer les passants, s’excuser du dérangement et faire la morale aux apprentis chapardeurs. Orgueilleux hypocrite. Il exhibait son uniforme comme les putains dévoilent leurs seins. Qu’il était fier ce blondinet. Comme il aimait à se montrer, à faire valoir une loi superficielle et capricieuse.
La révolutionnaire ne le quitta plus des yeux. Elle sortit peu après lui de la rue marchande et continua à le suivre au travers de la ville. Malgré son pas assuré, le garçon prenait de longs détours inutiles et s’arrêtait parfois plusieurs secondes pour chercher son chemin. La traque commençait à se faire épuisante quand il obliqua dans une petite ruelle pour échanger quelques paroles avec un inconnu. C’était l’occasion qu’elle attendait. Bien sûr, il lui faudrait également s’occuper de son interlocuteur, mais l’un et l’autre étant de faibles constitutions, ce n’était qu’un détail. Les conditions étaient idéales. Elle se décolla du mur, se saisit de l’un de ses couteaux, le soupesa et l’envoya vers le torse du soldat d’un mouvement vif et sûr. En un rien de temps, le sifflement de la lame avait laissé place au son distinctif du corps qui s’effondre. Il lui fallut un moment pour comprendre que le vent venait de dévier son projectile du cœur du capitan vers celui du civil.
Léopoldine resta bouche bée. L’idée de commettre un meurtre, justifié ou non, ne l’effrayait pas. Aucune question métaphysique, aucune interrogation sur le bien et le mal ne lui vint à l’esprit quand le cadavre de sa victime s’écrasa à quelques mètres de ses pieds. C’était dans sa nature, elle aimait ça. En revanche, l’idée de sa propre fin, celle-là lui plaisait beaucoup moins. C’est pourquoi il lui fallut moins d’une seconde pour faire demi-tour et détaler loin de sa cible initiale quand celle-ci se saisit de son arme et commença à appeler des renforts. À vrai dire, ce fut là l’une des meilleures décisions qu’elle eut jamais prise. En effet, à peine le maigrichon avait-il saisi son escargophone que des uniformes pointaient le bout de leurs nez à chaque coin de rue. Pliée en deux pour éviter les tirs, la fugitive tenait à pleines mains son arme pour faciliter sa course et soulager son dos. Ça ne suffisait pas. Les échappatoires se faisaient plus rare et les ennemis plus nombreux. Une balle lui érafla la jambe rendant sa fuite plus difficile encore. C’est au détour d’une avenue qu’on la saisit par le col pour la trainer derrière une porte.
La suprématie des noix de cajou
-Tu fais chier Izumi franchement je suis déguisée comme une pouilleuse.
-Tu préfères garder les mômes une journée de plus Alia? Laisse donc Sanders s'en occuper pas sur que ça faisait partie des tâches qu'elle peut effectuer sans blessures mentales.
-T'es vraiment la pire des...
Mais l'armure n'écoute pas le reste de la phrase, le soleil tape sur son heaume et la pirate se dirige à travers les rues vers un but quelconque encore indéfini, concrètement Hinu Town était censé ravitailler l'équipage et surtout permettre à chacun de prendre du bon temps après un rude voyage. Les gamines étaient restés dans la pagode et Alia fidèle amante/nounou/garde-folle se chargeait de visiter la ville avec l'armure. Depuis quand désormais partageait-elle sa vie? Il lui semblait que cela faisait une éternité, il semblait à l'ancienne catin de Las Camp que Izumi sortait des girons types de la piraterie. Elle n'était pas plus pirate que n'importe quel personnage sortant des sentiers battus de la morale. Izumi n'était pas discernable, Izumi se laissait faire par les rencontres et les situations mais toujours la force et ce rempart même avec des proches. Cette solitude qu'elle s'imposait ne se briserait pas de sitôt.
Même si elle devait geler dans le froid de Borea, même si elle devait couler ou que la pluie rouillait les morceaux de son deuxième corps jamais ô grand jamais la blonde n'abandonnerait son bien le plus précieux. Clope à travers la fente du heaume elle tirait dessus sans relâche, elle se cherchait elle cherchait un but à son existence. C'était bien beau d'être riche et avec des troupes mais si la tête ne pensait pas alors le corps dépérissait hors ce n'était pas ce que voulait Izumi. Elle voulait que même après sa disparition ceux avec qui elle avait partagé un instant de vie puissent continuer à avancer. Ce butin qu'elle amassait y était donc destiné pour le moment.
A travers les échoppes elle laissa sans aucune remarque Alia flâner et acheter des babioles aussi utiles qu'un chauffage dans un désert. L'armure observait une autre scène, la marine était présente mais étrangement l'envie de faire disparaître ces hommes fidèle au gouvernement ne lui venait pas en tête. D'ailleurs de mémoire la jeune femme se souvint qu'elle n'avait aucune haine en particulier contre ces pingouins. Ils faisaient leurs jobs et c'était même bien, bien qu'ils tentent d'arrêter des cas comme elle.
Puis la figure d'une femme qui se distingue de la foule par son comportement. Presque primitif tant la chasse est lisible dans ses actions. Et Izumi attrapant Alia par la main suit cette figure étrange et surtout attractive et la prostituée se plaint, que la dernière fois elle a rencontrée une borgne et des brutes et surtout qu'elle y a laissé son armure mais ces vérités ne sont rien à cet instant. Lorsqu'en filature elle entend un sifflement et un cri ce n'est plus Izumi qui s'y précipite mais bien sa compagne. L'armure elle a déjà une main sur le fourreau de menteuse et l'autre contre la ceinture prête à dégainer un pistolet à allumer les formes menaçantes. Au détour d'une ruelle elle attrape néanmoins la fouteuse de trouble et la colle contre le mur, tandis qu'Alia ouvre une porte comme par magie, avant de sortir de l'ombre et de cacher ce passage dérobé à la vue des marines qui déboulent en nombre à la suite de la criminelle. Trop nombreux pour un combat rapide et probablement trop pour qu'elle s'en sorte sans dommages collatéraux. L'un d'entre eux dévisage la boite de conserve avec un regard suspicieux mais l'équipement conséquent de la montagne d'acier lui fait emprunter un autre chemin. Après tout Izumi n'est pas recherchée et est donc une parfaite bonne citoyenne des mers de ce monde.
Bon après les pingouins on s'occupe de l'ours, pense la blonde en ouvrant la porte de ce qui semble être un cagibi abandonné. Elle intime à Alia de sortir et de la prévenir si jamais les bleus sont de nouveau de sortie dans le coin. Elle se colle contre un mur poussiéreux, sort une clope de sa poche en propose une à son interlocutrice et l'allume à travers le trou de son heaume avec une once d'amusement dans sa démarche.
-Semblerait bien que tu ais manqué ta cible. Semblerait bien que celle ci cherche maintenant la petite fouine que tu es non? Tu sais apprendre à viser c'est pas bien compliqué tu me sembles pas aveugle.
Un rire qu'elle ne cache pas. Elle se moque, elle défie chacun après un acte de grâce. Du tout au tout, l'armure taille dans lard sans doute. Elle agit et observe la réaction de l'autre.
-Faudrait pas que tu sortes de sitôt alors en attendant si tu me disais pourquoi tu tiens à tuer des marines dès que t'en croise? Je t'accorde le fait qu'ils sont chiants et probablement imbus d'eux même m'enfin tout de même.
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