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Les marchands de pluie

Rappel du premier message :

South Blue.
Quelque part au coeur d'un pays désertique...

Le mercure frôlait les cinquante degrés cet après-midi-là. A l'ombre de ses quartiers faits d'épaisses toiles en peau de chameau, le vice-amiral Swiffer Jones finissait les derniers rapports sur sa mission. Elle avait été très fructueuse et le déplacement en avait valu la peine quoiqu'en pût dire l'amirauté. Un "je-vous-l'avais-dit" ne serait pas de mise pourtant, il lui fallait au bout de la tâche. Il en avait conscience, le chemin serait encore long avant d'éradiquer de cette organisation : Ashura.
Il posa sa plume quand il entendit bruisser le rideau de l'antichambre. Quelqu'un progressait sans bruit sur le tapis à fourrure qui isolait la tente de la chaleur du sable sur lequel il reposait. Le nouvel arrivant entra dans le bureau personnel du vice-amiral, et en lieu et place du salut réglementaire, il posa un genou par terre dans un geste de profonde révérence. L'amiral n'attendait pas sa venue mais il n'en fut pas surpris pour autant.

- Je ne t'ai pas mandé, Lieutenant Kelly, dit l'amiral d'un ton ferme.

- Will Kelly vient vous demander audience, Maître.

- Si tu veux t'entretenir avec moi, passe par les canaux habituels. Et cesse de m'appeler "Maître", tu n'es plus mon élève, tu t'en souviens ? Sa voix était ferme et sans familiarité.

- Will Kelly vous en prie, supplia-t-il précipitamment en se prosternant, les deux genoux ainsi que son front touchant terre cette fois-ci. Will a compris son erreur, Will peut se rattraper. Will va se rattraper.

- Qu'as-tu compris, dis-moi ? demanda le Maître en se levant de son bureau.

- Que la vie des hommes de Will n'est pas un tremplin pour lui permettre d'atteindre les sommets. Qu'il est de sa responsabilité de les ramener vivants. Que surtout, Will doit réfléchir avant d'agir. Ses deux ans de suspension lui ont appris l'humilité, Maître. Will a été sur les quatre mers, présenter à genou des excuses aux familles des marines qui sont morts par sa faute durant l'opération Poséidon. Ça n'a pas calmé leur douleur mais...  
Will vous en supplie, Will veut revenir dans votre grâce. Depuis trois mois, Will suit votre mission à distance, se cantonnant à son rang d'observateur.


- Je sais. As-tu appris la patience ?

Silence. Le vieil homme connaissait la réponse à sa question avant de la poser. Il savait que son élève rejeté n'aurait pas supporté des mois d'inactions sans bouger. C'était aussi dans ce but inavoué qu'il l'avait placé en dehors du théâtre des opérations, pour couvrir les arrières des troupes et de parer à tout ratage. Le vieil amiral ne l'avouera jamais mais il comptait en quelque sorte sur la désobéissance caractérielle de son élève. Le vieux loup ne considérait pas condamnable l'indiscipline, il voulait juste inculquer à son élève à l'exercer avec prudence.
Il reprit de son ton sans empathie :

- Je sais que durant deux heures dans la soirée d'hier, tu as quitté ton poste d'observation. Je n'ai pas besoin de mes yeux pour voir. Où étais-tu et que faisais-tu ? Ça a un rapport avec cette odeur résiduelle de sang qui se dégage de toi, je suppose ?

Naturellement, il le savait, pensa le jeune élève en se mordant les lèvres. Rien n'échappait à ce vieux fou. Il devait alors présenter les choses dans sa lumière à lui, de sorte à se mettre en valeur devant cet énième fait d'indiscipline chronique.

- Will Kelly suivait le ratissage de la ville depuis ses jumelles, Maître. Il y avait une faille après la mort du sergent Blake, ses éléments ont mal couvert son secteur, et le Commandant était trop pris la bataille marine pour s'en rendre compte. Un suspect s'est échappé. Will l'a suivi, puis capturé.
Les deux heures d'absence, c'est le temps qu'il a fallu à Will pour lui arracher des aveux. Malheureusement, il n'en reste pas grand-chose, au cas où le Maître voudrait l'interroger lui-même.


La dernière phrase avait été énoncée avec une délectation non dissimulée. Il s'était humecté les lèvres, sortant sa langue de façon indécente. Le vice-amiral qui lui tournait à présent le dos connaissait ses moindres mimiques. Il savait qu'il avait pris plaisir à écorcher ce malheureux sans nom. Et comme toujours, la victime avait parlé.

- Will croit savoir que le bilan de votre opération de démantèlement est de quatre navires du réseau capturés, deux coulés et vingt-cinq hommes arrêtés et autant envoyé en enfer ? Mais aucune information probante récoltée, Maître ? On dit l'équipage avait dans ses rangs un sniper non identifié qui a réglé les comptes des principales pontes de la flottille et que ceux que vous avez sous la main ne sont que de vulgaires petites mains sans envergure ?

Il avait un plaisir certain à rappeler à son maître ses propres échecs ou limites pour accentuer ce que que lui-même avait à dire. Juste pour la bonne mesure, un peu en deçà du seuil limite de l'irrespect fatal, mais juste assez près pour sous-entendre au vieux fou qu'il avait eu tort de l'écarter.

- Bah, figurez-vous que celui qu'a capturé Will, c'est le Chef d'escale. Le second après le capitaine de la flottille, quoi, reprit-il souriant maintenant alors que malgré lui, le vice-amiral s'était tourné vers son ex-élève, lui prêtant toute l'attention qu'il désirait . Will Kelly a décortiqué et exposé à nue sa faible âme, Maître. Il lui a dit tout ce qu'il savait.

- Et que t'as dit-il dit exactement ? demanda Swiffer Jones, impassible à l'extérieur mais tout retourné à l'intérieur.

Des années qu'il dirigeait les opérations contre le réseau Ashura avec comme résultat plusieurs chimistes arrêtés ou tués en opération, des dizaines de bateaux coulés, mais voilà, la structure cellulaire et la hiérarchie décentralisée de l'organisation de contrebande lui avait évité un coup fatal. Ashura se relevait toujours.

- Il a dit : "Boréa". Leur flottille avait appareillé sur un petit îlot au large du pays des glaces. D'autres membres du réseau leur ont livré la cargaison de Dance Powder. Il tient pour certain qu'ils appartenaient à une cellule du nom de Tempest.

- Est-ce la Cellule Principale ? Celle que dirige leur boss ? Lavoisier ?

- Sûrement, Maître. En recoupant les informations accumulées et les itinéraires connus des flottilles du réseau, vous avez ciblé quatre royaumes de North Blue qui étaient susceptibles d'abriter le QG du réseau. Boréa était en troisième position derrière Zaun et Luvneel. Nous voilà fixés.

- C'est tout ce que tu as obtenu comme renseignement ?

- Vous savez à quel point l'omerta est de mise dans Ashura. Chacun se contente de sa tâche et celui qui essaie d'en savoir plus sur celle des autres est exécuté pour espionnage. La tâche du Chef d'escale consistait juste en la réception de la cargaison et à sa livraison ici, sur South Blue. Ce qui précède la livraison, il n'en sait rien. Mais ! Grâce à la douleur, il s'est souvenu de choses apparemment anodines que moi, Will Kelly, j'ai exploité à bon escient. Par exemple, les hommes qui leur ont livré les sacs de Dance étaient habillés de salopettes bleues avec les lettres "C&C" cousues sur leurs torses. Will s'est renseigné et c'est le sigle de Craig & Croupton, la plus grande entreprise de manutention de Boréa. Elle fait métier de charger les conteneurs sur les bateaux en partance du grand port de Lavallière. Quelque chose dit à Will Kelly qu'on ferait bien de jeter un œil sur cette piste avant qu'elle ne s'évanouisse, surtout que la rumeur du succès de votre opération risque fort de ne pas passer inaperçue.

- Tu m'as fait languir pour pas grand-chose, Will, dit Swiffer Jones après un court moment. Je pensais que tu avais en main des certitudes et pas juste quelques soupçons.

- Mais... balbutia Will Kelly décontenancé par le ton négligeant du vice-amiral.
Il savait que le vieux ne lui ferait pas le plaisir de le féliciter pour son travail mais de là à faire comme si sa trouvaille était risible...

- Comme tu l'as toi-même dit précédemment, j'ai déjà démantelé quatre cellules du réseau. Et quatre autres cellules les ont remplacées, mais avec des méthodes encore plus indécelables. J'ai mis Ashura à terre, et elle s'est relevée. Toujours. Ce réseau de contrebande de Dance Powder est à l'origine de cinq guerres civiles directement liées à l'utilisation de la poudre de pluie. Si leur boss, ce Lavoisier n'est pas encore primé au-dessus de 30 petits millions, c'est que le Gouvernement ne veut pas donner à cette affaire, toute l'importance qu'elle devrait.
Tu vois l'emblème d'Ashura non ? Le démon aux plusieurs bras ? Maintenant, sais-tu ce que nous ne devrions plus faire ? C'est justement de ne plus lui en couper, des bras. Nous devons viser la tête.
Cette organisation doit être étêtée.


- Donc la piste de Will...

- Donc ta piste est juste un petit sentier qui, peut-être, te mènera à une des nombreuses mains d'Ashura. Mais je t'accorde que le fait qu'elle soit sur Boréa est très intéressante, mais pas plus.  

- Donc le Maître ne va rien faire... ? demanda-t-il, au bord du désespoir.

- Donc tu vas te rendre là-bas, à Boréa et enquêter. Le pays est en trouble à cause des actes révolutionnaires de ce type, Alrahyr Kaltershaft. Toute l'attention du Colonel Earl Grey est concentrée sur lui, tu ne pourras compter que sur toi-même. D'ailleurs, je préfère cela, Ashura a presque toujours été prévenue de nos actions d'éclats. Les seuls au courant de cette mission seront toi et moi.

- Quels sont les ordres du Maître, précisément ?

- Tu demandes toujours, mais tu ne les suis jamais. Je ne vais donc pas t'en donner de précises. Juste, trouve quelque chose d'utile pour nous aider à éradiquer ce virus. Mais je te donnerais des conseils par contre. Ne sous-estime pas l'ennemi, et fais preuve de discernement. Cela implique de me contacter si l'affaire devient trop grosse pour toi. Ne plonge pas tête la première dans quelque chose qui te dépasse.

- Bien, Maître, merci de votre confiance, murmura Will tout en pensant qu'il le contacterait uniquement quand il aura la tête de Lavoisier plantée au bout de son katana.

Il se disait, Will Kelly, que ce vieux fou ne lui enlèverait pas la gloire qu'il méritait et à laquelle aspirait son destin. Après le massacre de Poséidon, il en avait trop bavé pour revenir dans les rangs. Obligé de se rouler à terre devant des veuves éplorées alors qu'il n'avait jamais regretté la mort de leurs misérables proches. Lui, Will Kelly, l'étoile montante. Lui qui était destiné à devenir le plus puissant amiral qu'ait jamais connu la marine. Quelle différence, un ou deux pions sacrifiés sur le chemin de la gloire ?
La fin justifiait les moyens.
C'est animé par cette foi certaine que Will mit "Orphelin", son katana sur ses épaules et prit le chemin de la sortie, un large sourire aux lèvres.

Will Kelly, "L'étoile montante"



- Will ? fit Swiffer Jones.
Prend un pull, il gèle à Boréa.

  • https://www.onepiece-requiem.net/t12978-fiche-technique-de-loth
  • https://www.onepiece-requiem.net/t10961-loth-reich-le-marchand-heretique

   
Je demeurai dans les vapes un bon moment. Plus de trente minutes en fait, je le réalisai après coup. Sur le moment, ce fut une odeur acre mais surtout la sensation de brûlure dans mon dos qui me réveilla. Après le suicide de Marie-Curie, l'onde de choc m'avait propulsé contre la paroi d'un wagon. La bombe incendiaire qu'elle avait auparavant lancée sur les voitures avait atteint sa cible et avait commencé à remplir son œuvre de destruction. Pour me réveiller, il a fallu que le feu soit conséquent au point de réchauffer les cloisons contre lesquelles je m'étais écroulé et me brûler au passage.
Je me relevai, frappé d'horreur. L'explosion n'avait laissé aucune chance à Will Kelly et je le regrettai. Dans la plaine, je vis ses lunettes fumées aux verres brisées et plus loin, des morceaux épars de membres et quelque part sa tête esseulée. Idem pour M.C dont le tronc supérieur soufflé alla atterrir dans une roche creuse. Le spectacle était macabre et à bien des niveaux, insoutenable. Mais j'avais vu pire.

Ma logique reprit le dessus et je me souvins de la raison pour laquelle la génocidaire avait incendié les trois wagons détachés. Des renseignements sur Ashura, sûrement. Deux des wagons étaient entièrement consumés par les flammes, mais le troisième, le tout dernier de la file commençait juste à se faire léchouiller par les braises. Sans hésiter, je me précipitai à l'intérieur.
Ce n'était pas le labo de Marie-Curie mais sa chambre, a priori. Les lieux étaient austères, les murs dénudés, sans décoration. Un lit à baldaquin entouré de rideaux en patchwork ornait un coin de l'intérieur. Je tirai la tenture aux motifs en mosaïque et fouinai. Rien à part une carte de Boréa épinglée au-dessus du lit. Je la décrochai et l'empochai. Sous le lit, je vis trois petits sacs d'environ dix kilos chacun. Ils contenaient de la Dance. Je m'empressai de les tirer de là et sans ménagement, je les jetai loin dans la plaine, loin du feu qui dévorait maintenant le plafond du wagon. La fumée remplissait l'intérieur, l'atmosphère devenait invivable. Il fallait que je sorte de là mais pas avant d'avoir fureté une dernière fois. A l'opposé du lit, un petit bureau de travail avait été installé. Des ouvrages de chimie en tout genre croulaient sur la table. Rapidement, je saisi tout ce que je pouvais et les fourrai dans ma sacoche qui se remplit à en déborder. Toussotant, les bras au dessus de la tête pour me protéger d'un éventuellement écroulement de la toiture, je sautai hors de la voiture avant qu'elle ne s'embrassât intégralement, engloutissant à jamais les souvenirs sûrement chers à Marie-Curie.

Je pris le temps de respirer l'air glacial et pur de l'arrière-pays avant de réfléchir à un quelconque plan d'action. Tout d'abord contacter un soutien. Dena'.
Notre conversation dura une petite minute, le temps de lui signaler l'essentiel. Venir récupérer la Dance et tout ce que j'avais pu sauver des flammes avant l'arrivée de la cavalerie. En parlant d'elle, je pris soins de contacter Phrâne Thompson trois heures après avoir contacté Dena' le temps de laisser à l'indic une certaine longueur d'avance.
J'étais seul dans un paysage magnifique. Une plaine gelée au sol rocheux. Au loin, au nord, je pouvais apercevoir les Crocs Givres. La forêt boréale environnant Mamelle était trop peu haute pour que je l'aperçusse. Vers l'ouest se trouvait sûrement la ville épisodique de Kalgan. J'étais seul dans un monde semblant désert, si on excluait que non loin de moi se trouvaient deux cadavres émiettés plus trois autres en train d'être carbonisés. J'étais bien seul et pourtant mon cerveau fourmillait d'activité. Je réfléchissais à tout ce qui s'était passé, à ces trois jours d'enquête, de mon départ de Jalabert en passant par Lavallière, Mamelle puis finissant ici, au milieu de nulle part. En voulant démanteler Ashura et me l'approprier, j'étais tombé sur Tempest. J'avais mis au jour un horrible génocide et le cerveau diabolique se trouvant derrière.

Assis sur un rocher plat, je feuilletais le journal personnel de Marie-Curie que j'avais sauvé des flammes.
C'était un cerveau de génie, dément, certes, mais incroyablement ingénieux, ambitieux et instable qui ne supportait pas la concurrence des autres chimiste-en-chef des autres Cellules du Réseau. Elle voulait faire de Tempest, la Cellule la plus rentable d'Ashura. Plus rentable que "Trinity", que "Black Box", écrivait-elle. J'appris ainsi le nom de deux Cellules du Réseau et je sus aussi où elles étaient implantées.

Marie-Curie avait raison de vouloir tout détruire par le feu, son égocentrisme par les informations qu'elle avait annotées mettaient en danger l'ensemble du système mis au point par Lavoisier. A mon plus grand bonheur, elle parlait de lui dans une de ses notes. L'homme, elle ne le nommait pas de son vrai nom -peut-être parce qu'elle n'en savait rien- mais elle décrivait ses traits de caractères qui à bien des égards ressemblaient à ceux de M.C. Elle lui vouait une sorte d'admiration qui confinait à l'amour, c'était d'ailleurs la raison pour laquelle elle désirait être appréciée en décuplant les bénéfices de Tempest. Une sociopathe amoureuse, que c'était touchant...

La mine d'or ne se tarit pas. La mégalomanie combinée à l'égocentrisme avait poussé M.C à violer l'omerta qui régissait Ashura. Elle avait enquêté sur l'organe dirigeant du Réseau et visiblement, elle ne supportait de ne pas en être. Plus de trois ans d'enquêtes si j'en croyais que ce qu'elle avait écrit. Il en était sorti (et là mon cœur s'était accéléré) que le Réseau était diligenté dans l'ombre par quatre individus rassemblés en un organisme appelé le Comité. Ces individus répondaient aux noms de code de : Lavoisier, Zéro, La Braise et Le Cafard.  
Lavoisier était bien-sûr le fondateur du Réseau. Sur Zéro et le Cafard, Marie-Curie n'avait semble-t-il trouvé aucune information probante. Mais sur La Braise par contre, elle avait fait les choses à fond. L'homme, parce que c'en était un, occupait le poste de chef militaire d'Ashura. Il était le N°3, juste derrière le mystérieux Zéro. La Braise commandait selon M.C près de mille deux cents hommes répartis sur une flotte de près de trente navires. Une véritable armada en somme. L'info qui suivit me donna la chair de poule. En bas de page, griffonné à l'écriture ronde et à l'encre rose de M.C, il y avait :
"Entrainements redoublent d'intensité à Crescent Island. Putch en préparation sur Boréa ?"

Elle se demandait si la faction militaire du Réseau se préparait à envahir le pays ? L'information était totalement inattendue et me laissa bien hagard. Pourquoi vouloir s'emparer de ce pays ? Si La Braise se lançait effectivement dans des exercices pour perpétrer un putsch, il ne pouvait, selon toute logique, qu'agir sur les ordres de Lavoisier. Pourquoi après plus de quinze ans passés dans l'ombre, voudrait-il s'exposer de manière si ridiculement tapante ? Après un génocide, maintenant un coup d'état ? Visiblement, les gens à la tête de ce business n'étaient pas aussi clairvoyants et discrets que je me l'étais imaginé.
Mais pourquoi Boréa ? Cela ne pouvait signifier qu'une chose. Si réellement Lavoisier désirait s'emparer du pays, alors il devait au moins être originaire d'ici. Et cette conclusion me réjouit au delà de toute mesure. S'il y avait des chances que le fondateur du Réseau fût natif de ce pays alors j'avais raison en deux points très cruciaux. La Cellule Principale, celle de Lavoisier se trouvait certainement ici et plus important que tout, Lavoisier était sûrement une des Six Lunes de Boréa. En effet, qui de mieux placés que ces maîtres marionnettistes pour tenter de prendre le pouvoir absolu ? Peut-être qu'un désaccord avec ses paires était à la source de la décision de Lavoisier de quitter le groupe et de se lancer dans une telle entreprise. Quoiqu'il en soit, ma cible se précisait et mes objectifs fusionnaient parfaitement. En trouvant et en me débarrassant de Lavoisier, je me débarrasserai d'une des Lunes.  
Mais pour le moment, j'avais une autre mission des plus urgentes, découvrir où se situait ce Crescent Island mentionné dans les notes et trouver un moyen de mettre hors d'état de nuire la branche militaire du Réseau. Milles deux cents hommes et trente navires... Ce début d'année se révélait décidément bien ardu pour moi.

...

Quatre heures plus tard, la silhouette de Déna apparut dans la plaine. La fumée des wagons le guida vers moi. Il chevauchait un beau pur sang couleur noisette et tenait par la bride un autre étalon tout aussi magnifique et sportif.

- T'as vachement morflé mec ! Vise ces méchantes brûlures ! Et ça c'est du carnage. Beurk ! C'est l'marine et M'Curie ?

- Ouais. Tu ne dois pas rester ici, prends la Dance et mon sac. Il contient tout ce que j'ai pu sauver. Va-t-en avant l'arrivée des Hérauts de l'aurore et de la Marine.

- T'as une histoire à leur servir à propos d'ce merdier ? Pac'que l'histoire du génocide et de l'arrestation de plus de deux cents personnes dans la forêt fait déjà le tour. Sois sûr qu'ils s'amèneront avec un troupeau de journaliste.

- Oh merci de me rappeler ce truc que j'avais zappé. Je ne dois l'exclusivité qu'à une seule journaliste. La duchesse Féodoravna... Pour te répondre, je leur dirais Ma vérité.
Que penses-tu de : Après le Réplicateur, j'ai été engagé par une tierce personne pour enquêter sur la faillite de C&C et de fil en aiguille, j'ai fait équipe avec le valeureux Lieutenant de la Marine Will Kelly. Nous avons remonté les traces de Tempest puis découvert que le labo était mobile. Durant notre traque de Marie-Curie, le lieutenant a vaillamment sacrifié sa vie pour empêcher la vile scientifique de faire exploser tout le train, sauvant ainsi des milliers de vies. Moi, j'ai détaché les wagons arrières du reste du train pour nous isoler puis ai survécu pour raconter l'histoire.


- Ça fait pas trop romancé ça ? Et puis, une nouvelle fois, tu feras encore la une des journaux alors que tu veux rester dans l'ombre.

- Le publique veut des héros, veut des histoires romanesques. Puis finalement, j'ai embrassé l'idée d'être connu. Être connu publiquement comme défenseur du bien, être connu dans l'underground sous un autre nom, que je choisirai quand le moment sera venu. Allez, file, on se retrouve demain sans doute, à l'hôtel habituel. J'oubliais, pendant ce temps, cherche-moi des infos sur Crescent Island, nous auront fort à faire là-bas.

...

Trois heures après le départ de Dena', sous les coups de dix-neuf heures débarqua la cavalerie armée jusqu'aux dents, comme à chaque fin d'une bonne histoire. La foule était essentiellement composée de Marines et de Policier de Fer. Sur les lieux mêmes, le Colonel Earl Grey en personne me débriefa et je lui servis Ma version de l'histoire. Lui-même la resservira au vice-amiral Swiffer Jones.
Phrâne Thomson était également sur les lieux mais nous fîmes semblant de ne pas nous connaître et discrètement, nous nous donnâmes rendez-vous dans l’hôtel que Dena et moi occupions à Lavallière. Je refusai tout interview jusqu'au moment où de la foule se détacha la Duchesse Anastasia Miroslava Féodorovna.

- Mon cherrr Loth. Ainsi donc vous tenez prrromesse !  J'en suis toute honorrrée, fit-elle avec ses manières bourgeoises et son accent snobe.

- Les sources et les promesses sont sacrées, nos deux métiers ne sont pas si différents. D'ailleurs, enquêteur est votre métier aussi, j'ai tendance à l'oublier.

- Prrrêts à me rrraconter votrre histoirrre ? Prrrêt à devenirrr le nouveau hérrros de Borrréa ?

Je lui servis également la même version que j'avais racontée à Earl Grey mais avec plus de détails. Je savais que demain, mon visage fera la une de tous les quotidiens de Boréa. Deux fois en trois semaines. Un des clous de la soirée fut l'arrivée sur les lieux du jeune roi Maximillian Nordin que je rencontrais enfin en chair et en os. Naturellement, il fit mine de ne me connaître que via la presse et l'histoire du Réplicateur. Il me remercia chaleureusement au nom du pays puis en son nom propre du coin de la bouche. Nous nous serrâmes les mains puis les journalistes affamés nous mitraillèrent de flashs.
L'autre moment chargé en émotion fut la levée du corps tant bien que mal assemblé de Will Kelly enveloppé des armoiries de Boréa. Un honneur militaire vibrant lui fut rendu et une série de médailles royales louant la bravoure et le sacrifice suprême lui fut décerné des mains du roi. En bon camarade de route, je prononçai quelques mots et m’interrompis en cours de phrase peiné par le chagrin.
Comédie que tout cela, j'avais bien fini par aimer le bonhomme mais s'il était resté en vie, je n'aurais pas eu l'exclusivité des informations récoltées et il aurait tenté de m'empêcher de m'emparer de la Dance. Sans hésitation, c'est moi qui l'aurais alors envoyé nourrir les poissons.
Finalement, tout était bien.

...

Le lendemain, après une grasse matinée bien méritée, une visite à domicile d'un docteur, j'étais avachi dans un hamac suspendu à la terrasse de la suite que j'occupais avec Dena'. Un jus de citron bien frais à la main, j’appréciais la vie calme et tranquille. Surtout quand je savais que j'allais pouvoir tirer au moins trente millions de Berry des sacs de Dance que j'avais récupérés dans la loge de M.C. Trente net pour moi, c'était le deal, Dena prendra directement sa commission car il revendra la poudre bien plus chère que ça.

- Trois jours d'travail pour ça, avec toi mec, j'fais des affaires en or ! Malgré tes blessures, tout a marché comme sur des roulettes n'est-ce-pas ? fit-il d'une voix ensommeillée après s'être bien repu d'entrecôtes d'agneau.

- Justement, j'ai eu le temps d'y réfléchir et je pense que certaines choses ont trop bien marché en fait. A Mamelle, j'ai eu la sensation qu'il y avait une troisième partie, quelqu'un dans l'ombre qui nous aiguillait.

- Hein ? dit-il en se levant en sursaut. Pourquoi quelqu'un aurait fait ça ? Tu veux dire qu'on vous a guidé directement sur Tempest ? Que quelqu'un avant vous avait découvert les machinations de M.C ?

- Mes pensées précisément. Je ne connais ses motivations mais cette personne a fait très peu d'erreur, d'ailleurs, elle n'en n'a pas fait. C'est juste que j'ai trouvé que les choses allaient trop bien et que certains détails étaient bien curieux. Comme par exemple la mort du Postier à Solitude.

- T'avais dit je crois qu'ils avaient piégé un entrepôt là-bas pour n'laisser aucune preuve non ? Parce que Will Kelly suivait le Postier après avoir tué le Coursier ?

- Justement mon pote, la suite m'a montré qu'il n'y avait aucune logique dans cet acte. Si Tempest fait exécuter le Postier parce qu'il était compromis, ça veut dire à coup sûr qu'ils connaissaient l'identité de celui qui le traquait, non ? Et même à défaut de cela, ils devaient au moins avoir identifié et fiché le visage de Will Kelly comme celui d'un ennemi non ? Puisqu'ils ont supposément fait sauter un de leurs membres pour empêcher qu'il lui mette la main dessus. Mais voilà, pendant des heures, nous nous sommes promenés à Mamelle, le QG de Tempest, à visage découvert, sans aucun problème, sans aucune méfiance. Ils nous ont pris pour des touristes, le Grand Matou a lâché par inadvertance des infos que j'ai pu exploiter après. Jusqu'à ce que ton pote Maine ne découvre nos deux identités. Or, Marie-Curie lui avait délégué la sécurité de la Cellule donc seul lui pouvait ordonner l'élimination du Postier par une méthode aussi radicale. Il ignorait notre existance, il ne pouvait donner un tel ordre.

- Donc qui a descendu l'Postier et comment au final Maine a-t-il su pour vos identités ?

- Bonne question, d'où la tierce partie dont je parlais. Je pense que pour une raison très précise, cette personne en voulait au Postier en particulier et voulait maquiller sa mort. Nous avons pensé qu'il avait été éliminé par ses collègues, et ses collègues ont sans doute pensé que nous l'avions éliminé. Ce meurtre était parfait.

- Mais attends, j'ne comprends pas. Pou'que ça puisse arriver, fallait que cette tierce puisse savoir que vous deux, ou au moins Will Kelly se trouverait à Solitude non ? Comment toi tu as trouvé Solitude ? Attends... attends... C'est pas la duchesse qui t'a envoyé là-bas ?

- Je suis content de voir que tu possèdes un bon esprit analytique. Elle n'a pas fait que m'envoyer à Solitude, elle m'a aussi envoyé, ou du moins, m'a suggéré d'aller à Mamelle.
Souviens-toi, j'étais parti lui demander la nature de sa source sur le scoop qu'elle avait écrit sur C&C. Elle m'a servi une histoire de lettre anonyme sur laquelle elle avait trouvé des pollens de Cèdres de Violate. Une histoire plus que probante, j'ai élucidé des affaires qui tenaient sur des indices plus minces que ça. Mais voilà, le Cèdre de Violate est une plante tropicale en voie de disparition, d'une rareté incroyable dans un pays froid comme celui. A partir de cet instant, les dés étaient jetés et le jeu pipé.


- Après l'boom à Solitude, vous n'aviez plus aucune piste. Si les cèdres se trouvaient là et à Mamelle, il se pourrait qu'il y ait également des indices à Mamelle, c'comme ça que vous avez raisonné.

- Yep, et en juste en dessous de l'endroit à Mamelle où ont été plantés les Cèdres, y avait un charnier.

- Mais Loth, t'as été interviewé par cette femme hier ! dit-il en colère. C'pas maintenant qu't'as découvert ça non ? P'quoi t'as rien fait ?

- Tu voulais que je fasse quoi, man ? Lui sauter dessus ? La couvrir de bisous de nous avoir guidé là-bas pour couvrir son meurtre ou lui trancher la gorge pour avoir donné nos identités à Oswald Maine ? Le fait est que j'ignore à quoi elle joue. Et tant que je resterai dans ce flou, j'avancerai avec des pincettes tout en lui faisant croire que son opération a marché. Si ça se trouve d'ailleurs, elle sait que je sais qu'elle sait. Rien n'est moins sûr.
J'ai eu l'impression qu'elle nous a envoyé dans ce guêpier pour voir comment nous allions nous en sortir. Ça ressemblait à une sorte de test, à un jeu de survie peut-être. J'en suis sorti vivant, elle m'a érigé en héros.


- Un jeu ? Pour quoi faire ?

- Je l'ignore. Elle savait pour Mamelle, elle savait aussi pour tout Tempest. C'était peut-être juste une coïncidence ironique si Maine a envoyé les documents incriminant C&C à la seule enquêtrice au courant des activités de Tempest. Pour découvrir à quoi elle jouait, il me suffira de me renseigner sur le Postier, de te renseigner sur le Postier. Mais j'ai la désagréable impression que si je m'engage dans cette voie, je ne contrôlerai jamais Ashura, ni ne déferai les Six Lunes. Si Anastasia en voulait réellement à ma vie, elle avait mille occasions de me tuer donc je ne m'inquiète pas pour ça. Laissons-la croire qu'elle nous a tous manipulé, laissons le temps au temps. Le moment viendra où je m'intéresserai de très très près à son cas. Pour le moment, reposons nous, nous aurons après un coup d'état à avorter.

- En parlant de ça, Crescent Island, c'est grande île inhabitée au large de Boréa, au sud, après Jalabert.

- Superbe pour installer la base d'une force paramilitaire en somme.

...

Le soir, alors que la léthargie ne nous avait pas encore quitté -d'ailleurs nous nous demandions si elle nous quitterait un de ces quatre-, nous reçûmes une invité en la personne de Phrâne Thomson. Elle était toute contente de mon opération mais disposait aussi d'une information que j'attendais avec hâte.

- Nous en savons plus pour le Conseil des Six Lunes ! dit-elle surexcitée. Nous devons tout ça au roi qui n'a cessé de creuser de son côté.

- Que savez vous ?

- Ben en fait, revois tes chiffres à la baisse. Tu ne chasseras pas six Lunes mais cinq. Elles étaient bien six au départ mais l'une d'entre-elle, celle qui a révélé leur groupe au roi est morte de vieillesse et de regret. Elle s'appelait Anne de Frimas, une bourgeoise de la cour qui officiait en tant que dame de compagnie de la défunte mère du jeune roi, pour dire à quel point les Lunes sont insérées dans les rouages du système. Elle, c'était la Lune d'Argent. Elle lui a dit que les autres Lunes se désignaient aussi par des couleurs. Donc il reste la Lune Bleue, la Lune Rouge, la Lune Jaune, la Lune Verte et la Lune Mauve.  

- Très intéressant. Continue.

- Il a aussi eu des échos après que tu ais révélé la présence d'Ashura dans le pays. Il semblerait qu'une des Lunes soit le boss tant recherché d'Ashura.

- Ça, je l'avais déjà deviné. Sa couleur, donne-moi sa couleur.

- A priori, Lavoisier serait la Lune Mauve, fit-elle d'une petite voie.

- Mauve... répétai-je. Décidément, il n'avait rien en commun avec moi, je détestais cette couleur. Merci pour l'information, Phrâne, au moins j'aurais mis une couleur sur le pseudo au lieu d'un visage.
Eh, Ôte-moi d'un doute, s'il te plait. Quand tu m'as confié la mission il y a quatre jours, tu m'as dit que ce qui avait déclenché vos suspicions c'était la mort d'un des hérauts toujours fidèle au roi, Aoba Yakushi, c'est ça ? Comment est-il mort ? J'ai oublié de te le demander.


- Aoba a sauté sur une mine anti-personnelle. Pourquoi, tu as des pistes ?

- Oui, je crois connaître quelqu'un qui aime bien quand ça fait boom. Tu peux m'envoyer le dossier de Yakushi s'il te plait ? J'aimerais affiner mes recherches.

- Bien sûr, je t'enverrai ça. Ciao.

- Anastasia a donc miné un héraut de l'aurore y a un mois, c'qui a fait dire au roi qui s'passait des choses étranges sur la côte ? Que son agent avait été zigouillé par les méchants. Ce qui l'a conduit à te confier une mission ? Ce qui a conduit à la mort du Postier, puis à celle de M.C ?
C't'un putain d'complot quand t'y penses !
fit observer Dena' une fois que Phrâne eût quitté la pièce.

- Sa signature, c'est la bombe et bien assez tôt, je trouverai ce que le Postier et cet héraut avaient en commun. Tu ne perds rien pour attendre, "Plume Vagabonde".

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Cher Journal,  
Finalement, j'ai réussi à filer le Cafard sans quitter Boréa. Maintenant je connais l'identité du N°4 d'Ashura, peut-être l'élément le plus vital pour le Réseau, en tout cas, c'est grâce à lui que l'intégralité de la contrebande n'a pas été démantelé depuis des années. Il est dans les rouages des forces de l'ordre, il prévient du mieux qu'il peut ses petits amis de l'imminence d'un coup de filet. Ça me fait doucement rigoler, Le vice-amiral Swiffer serait prêt à tuer pour avoir mon niveau de renseignement sur Ashura.

Force est de reconnaître alors la prouesse qu'a été d'abattre Tempest sans que le Cafard ne puisse intervenir. C'est la combinaison de la discrétion du vice-amiral qui a bien compris que le jeu était truqué depuis longtemps et de mon opération en solitaire. Bien-sûr, je ne saurai m'attribuer tout le mérite de ce succès, n'ayant en réalité que savamment dirigé mes pions sur l'échiquier. Ils se sont débrouillés tout seul après, ils ont trouvé tout seul le laboratoire après et ont vaillamment affrontés Marie-Curie. Dommage que Will y ait trouvé la mort, il aurait pu devenir une excellente recrue. Il se voyait comme une étoile montante, il aura été une étoile filante.

Mais Loth Reich a confirmé au delà de mes espoirs les plus fous. Il a même découvert, j'en suis certaine, que je l'ai manipulé en ce sens. A l'heure qu'il est, son cerveau doit bouillonner de milles possibilités quant à mes réels desseins. Il les découvrira bien assez tôt. Quand il tâtera de la Révolution.

Il cherchera, j'en suis certaine, parce que c'est dans notre nature profonde à nous autres limiers. La vérité, rien que la vérité. Il suivra la piste du Postier en sus de celle du criminel et héraut de l'aurore Aoba Yakushi que j'ai fait exploser pour inciter le roi à confier sa mission à un limier. A lui. Sans compter Bilal Ibn Faqîh que ma gentille piranha géante de mer "Lady Gwen" a dévoré pour donner à Loth une vraie piste. Il me cherchera, mon cher journal, et il me trouvera. Et seulement à ce moment, je viendrai à lui.

Ou du moins, le Plombier viendra à lui.

Je clorai cet épisode palpitant avec une citation chère à l'Agent Géomètre :

"Il est difficile de combattre un ennemi qui sait lire dans votre esprit."
Cordialement,
Ton cher Plombier.
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