La tête pesante, lourde, et l'esprit embrumé. Ouvrir les yeux est un effort réel, combattre la puissante lumière du jour en est un de plus. Les piques ardentes du soleil s'immiscent jusqu'à ma rétine pour en mutiler la surface. Raah… L'air est sec, j'ai la bouche pâteuse, la tête dans un étau. Seulement la tête ? Non… Je m'habitue à la lumière, puis parvient à ouvrir les yeux. Mes poignets me brûlent, bloqués dans les étaux du pilori. Déjà deux jours que je suis là, les genoux écorchés contre les dalles du macadam, le dos perclus de courbatures, le cou irrité par la morsure du bois. Voilà ce qu'ils font, sur Poiscaille, aux adversaires politiques, ils les châtient puis les humilient. Ils les butent, les tabassent et les rouent de coups, puis ils les exposent comme ça sur la place publique. Ils les montrent comme des œuvres d'art. Comme pour dire regardez nous sommes forts. Regardez nous étions vingt contre lui et nous avons vaincu. Puis c'est la mise en cadre. On encadre cette représentation fière et belle de la tyrannie des plus corrompus à l'aide d'un vieux pilori au bois sec et aux gonds grinçants.
De la nourriture pour cette si belle prise qu'est le Capitaine Percebrume ? Non. De l'eau ? Peuh ! Non. À la table des Cruels il n'y a pas de siège pour la Pitié. Si bien que je suis là, seul, entravé et tuméfié, ignoré ou moqué par les passants. Quelle frustration que celle d'être ainsi montré ! Autant je répugne ces badauds immondes qui me pointent du doigt et s'esclaffent devant l'absurdité de mon sort, alors qu'ils ne savent en rien ce que j'ai tenté pour eux, autant je bouille de rage à constater l'indifférence de d'autres ! Raaah ! N'y a-t-il point pire châtiment que de ne plus être humain aux yeux de ses semblables ? Désigné comme une bête ou un paria par les uns, alors que les autres ne daignent même pas vous accorder une once d'attention. Je suis peut-être prisonnier de ses étaux, mais je suis avant tout prisonnier de leurs regards à tous. Ces regards que je ne peux éviter… qu'ils soient de pitié ou de hargne, moqueurs ou hautains, ils savent tous éveiller en moi la plus injuste des frustration ! NE VOIS-TU PAS QUE J'ÉTAIS CELUI QUI DEVAIT TE SOUSTRAIRE À LA CORRUPTION DES ÉLITES, POISCAILLE ?
…
Bien évidemment, tu ne peux le voir. Puisque la plaque de bois m'intitulant préfère me qualifier de "pirate et anarchiste notoire."
Je les ai tous perdus dans l'opération, mes compagnons. Landacier et Kurn, disparus dans un guet-apens. Uriel, Dimitri et Erik, évanouis dans la jungle urbaine. Blop, le maire, lui, s'est bien targué de garder ses fonctions de gras et pathétique homme corrompu, puisque désormais les odieux pirates qui le gardaient captif n'étaient plus que souvenirs… L'échec est amer, même à la bouche de celui qui ne mange plus depuis deux jours. Hier, mon estomac ne cessait de gémir et de grincer, me triturant le ventre comme si un poignard s'y était planté. Ce matin, il semble bien que ce soit ma tête qui me fasse savoir que l'eau manque gravement à mon corps… Misère. Elle est belle, la vie de pirate, lorsqu'on se confronte à l'échec.
Moi qui ai voulu faire connaître la vérité aux habitants de Poiscaille, je me suis retrouvé trahi par ces derniers, vendu à la Marine comme le simple pirate que je suis. Ces Malsouin, Keudver et Portdragon, bourgeois richissimes et hautement corrompus, ont bien fait d'étendre leurs racines gangrénées sur toutes les strates de la population locale, si bien que, du sommet de leurs brillants feuillages, ils sont désormais indétrônables. Si on me libère avant que je ne crève de ces carences, je jure de ne plus jamais me laisser ainsi jouer par les Élites. Moi qui les ai si longtemps côtoyé pourtant, quelle ironie. Qu'est-ce que je ne donnerais pas pour retrouver Napoléon, mon brave compère capibara, et pour reprendre la mer ! Depuis ma capture, je n'ai plus eu de nouvelle de mon sage compagnon rongeur, et encore moins de ce qui était advenu de mes hommes… Tant d'inquiétudes que seule la mer pourrait apaiser. Et qu'est-ce que j'ai soif.
- Hé… Vous… Un peu d'eau pour un pauvre damné assoiffé ?
Dernière édition par Maxwell Percebrume le Jeu 3 Sep 2015 - 0:54, édité 2 fois