Détective Comique #7
1626, North Blue, Île Inconnue– Présent
Ses yeux s'ouvrent de nouveau. Cette fois, il fait jour. Les rayons du soleil viennent l'étouffer sous sa combinaison défraichie. Le réveil est difficile, une imposante douleur au front l'empêche de réaliser réellement dans quelle situation il se trouve. De sa main gantée, il se masse le crâne endolori et découvre, sous ses doigts, une épaisse bosse qui, il en est sûr, n'était pas là avant qu'il s'endorme.
Qu'est-ce qui a bien pu se passer ?
- C'est qui le patron ? C'est moooooooooi ! Leeeee Patrooooon !
- Oui, oui, oui, monsieur Le Patron. Mais s'il vous plaît, laissez ma fille tranquille...
- Non, j'ai décidé qu'elle serait ma secrétaire. Elle est à moi maintenant. Parce que c'est moooooooooi ! Leeeee Patrooooon !Malgré l'alcool et la douleur, il perçoit les bruits de coups et les cris qui s'élèvent. Instinctivement, sans trop savoir ce qui le pousse à agir, il se lève avec difficulté et rejoint la foule, à la sortie de la ruelle dans laquelle il s'est réveillé. Devant lui, à même le sol, une jeune fille d'environ huit ans est traînée par les cheveux par un colosse de quasiment trois mètres de haut, et presque autant de large.
Par terre, un vieil homme se tient le visage, couvert de sang et de terre.
- Je vous en prie, laissez-la partir...
- Non ! Je t'ai dit qu'elle était à moi ! Parce que c'est moooooooooi ! Leeeee Patrooooon !Un sentiment étrange parcourt les veines et les membres de l'homme barbu au costume délavé, une sensation qu'il n'a plus connue depuis ce qui lui semble être une éternité. Ses bras tremblent, et pas seulement à cause du taux surélevé d'alcool dans son organisme. Le spectacle de désespoir et d'injustice le touche au plus profond de lui-même, la réaction chimique mêle dégoût et colère. Pourtant, au fond, quelque chose a changé. Une semaine plus tôt, il aurait sauté sur l'occasion et bondi sur ce colosse. Mais à présent... Le Chevalier Blanc de Gotham Island est tombé.
- Lâche-la !Toutes les têtes se tournent vers la source de cette interpellation : un petit garçon d'une dizaine d'années, lunettes de soleil sur le nez et veste sur le dos, balancée par le vent à la manière d'une cape.
- Je suis SuperKid ! Et c'est MA ville !D'un bond, le gamin atterrit tout près du colosse. La différence de taille entre les deux est risible, mais le garçon ne montre rien de sa peur. Il croit en ses convictions, il croit en lui, et est prêt à tout pour faire respecter la justice.
- Je t'ai dit de la lâcher !
- Petit, tu sais qui je suis ? C'est moooooooooi ! Leeeee Patrooooon ! Et le Patron a pas peur de cogner les enfants !Sans autre forme de procès, le Patron arme son bras et déclenche un coup de poing évité de justesse par son minuscule adversaire. Le gamin est rapide et agile, il saute, roule, plonge et recommence inlassablement, laissant la brute s'épuiser. Puis, quand il sent le moment propice, il sort un petit lance-pierres de sa poche, l'équipe d'un caillou et contre-attaque.
- Lâche-la ! Ou je te vaincrai, parole de SuperKid !Un des projectiles s'écrase entre les deux yeux du Patron, dans un "ploc" sonore. Son visage minuscule par rapport à son corps démesuré s'empourpre, il lâche la fille et fait craquer ses phalanges.
- Tu vas regretter ça, gamin. Parce que c'est moooooooooi ! Leeeee Patrooooon !Trop rapide, le colosse fond sur l'enfant en une fraction de seconde. Ses immenses poings, inévitables prédateurs, se préparent à écraser le corps tétanisé du gamin. L'impact est tout proche, imminent, et, pourtant, le Patron bascule en arrière et tombe au sol.
- Prends la fille et pars.Un instant plus tôt, le petit garçon priait tous les dieux existants de le sauver de cette mort certaine. A présent, le voilà qui contemple un homme en costume bleu sali, masqué et vêtu d'une longue cape mitée.
- Je t'ai dit de prendre la fille et de partir.D'abord hésitant, SuperKid s'exécute, attrape la main de la petite fille et la ramène auprès de son père avant de s'enfuir avec eux. Le Patron, lui, se relève enfin.
- Qu'est-ce qu'il m'veut l'ivrogne du coin ? Tu sais ce qui arrive aux gens qui s'attaquent au Patron ?Le petit courant d'air soulève la cape rapiécée et froisse légèrement les mouetteplumes du masque. Tout autour d'eux, les gens retiennent leur souffle. C'est la première fois que quiconque parvient à mettre à terre la terreur de cette île, Le Patron.
- Je suis ton pire cauchemar.Une boule de foin se met à rouler entre les deux adversaires qui se toisent en silence, avant de s'élancer simultanément l'un vers l'autre.