Il ne fait guère bon de vagabonder dans les allées tortueuses de Carcimonia le soir venu, l'immense rocher plongé dans la pénombre révèle ses secrets les plus abscons dans les ombres naissantes, les démons qui dansent sur les parois de ses anfractuosités. La cité dévoile sa vraie nature, son identité la plus sombre et la plus vraie, son essence la plus pure, le constituant de son ADN: la corruption à grande échelle. C'est le nerf de tout ce qui se trame dans ce fief, cette enclave oublié de la marine, cette terre faite de vices et d'immoralité dans ce flot ininterrompu d'inconnus, d'anonymes, qui se croisent, se toisent sans un mot, sans s'adresser le moindre regard, accusateur ou coupable. C'est un vivier indolore où les plus grosses pourritures règnent en maître en toute quiétude, ils se livrent une guerre feutré, de stupre et d'opium, d'armes et de drogues, les plus vicelards creusent leurs trous dans le patelin tout en creusant le trou qui les accueillera les paturons devant l'heure venue.
Dans la baie, un corps noyé flotte au large du rivage tandis qu'une silhouette masculine sur la jetée époussette son costume et ajuste précautionneusement son borsalino avant de serpenter dans les ténèbres des ruelles. Il ne manquera à personne, il n'est qu'une goutte d'eau dans un océan de pêché, une victime de plus de cette sélection naturelle, Jacob Khairns est mort, petit truand local aux couilles dorées sur tranche, les mirettes plus grosses que le buffet, s'est éteint dans le silence d'une crique abandonné. Le révolutionnaire pistait déjà ses moindres agissements depuis des jours entiers, à dresser un état des lieux de ses allées et venues, de ses contacts, de ses liens avec le milieu et les pontes locaux, de son emprise sur les engrenages dentées du système, de ses pots-de-vin, de sa petite famille et de sa mauvaise graine. Il a attendu encore et encore jusqu'à guetter le moment propice pour le mettre hors-circuit pour cette nuit là, pour ce rendez-vous particulier avec une marchande d'arme, ce face-à-face qu'il a griffonné sur une page de calepin qu'il a engouffré dans sa poche de futal, pour cette femme à qui il a filé rencard au Paddy's Hall. Le révolutionnaire doit tirer l'affaire au clair, évaluer son degré de dangerosité tout comme les motifs qui la poussent à vouloir faire affaire avec Jacob, il n'aime guère ces marchands de mort, ces seigneurs de guerre qui aiment apparaître dans les travées des nœuds les plus sombres du monde. Il est un pacifiste invétéré mais il sait que pour prêcher la paix, il faut parfois préparer la guerre tout autant.
Au Paddy's Hall ce soir -là, l'ambiance feutrée est seyante à souhait, les chandails sur des tables en quinconce, la porcelaine et l'argenterie sortie du vaisselier, des tentures rouges carmin sur les murs, un velours rembourrée en guise de plancher, une atmosphère cosy et guindée faite de formalisme et servitude à peine déguisée. Le Paddy's affiche toujours salle comble, la clientèle d'occasionnels ou d'habitués, arrose de copieux pourboire pour que les grouillots soient aux petits soins avec eux, des volutes de cigares hors de prix qui s'entremêlent çà et là dans le hall de restauration , des moues plongées derrière l'éditorial des feuilles de chou locales. Son contact est une femme, Goldie, qu'elle se fait appeler selon les notes de Jacob, le révolutionnaire a d'ores et déjà sommé le personnel de rappliquer avec la demoiselle lorsqu'elle se manifestera sur le seuil. Wade tire une clope de son parka, la grille et tire quelques taffes pour mieux se fondre dans la masse silencieuse, le regard perché sur le miroir mural dressé au dessus du comptoir qui lui fait face. De précieuses minutes s'écoulent dans le sablier, il attend, circonspect, murmure son topo et ballade son regard dans cette foule d'anonyme et d'yeux inquisiteurs. Du moins jusqu'à ce que le personnel le sorte de sa torpeur momentané.
"Monsieur, votre hôte"
Elle a l'parfum qu'les anges devraient avoir. La femme dans toute sa splendeur. une silhouette appelant aux plaisirs de la chair, une chute de reins plus exquise encore que les chutes du Viagara. La tentation, Sublime, Magnifique, un Joyau brut, une Déesse. Goldie.
Dernière édition par Wade le Mar 8 Déc 2015 - 22:52, édité 1 fois