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Rouges draps, blanche couverture



BROOLLLMMM !!!

L'explosion avait retenti dans l'Académie depuis les étages supérieurs, comme si une avalanche soudaine avait fondu sur la façade nord du bâtiment, emportant dans son flot neigeux et glacé des pans entiers de murs du quatrième niveau. Affairée à bander le bras d'une enfant qui se l'était brisé en faisant de la luge, le fracas m'avait aussitôt interrompue dans mon travail. A l'instar de bon nombre de mes collègues, je m'étais alors précipitée dans l'escalier pour gravir les marches quatre par quatre jusqu'au dernier étage de l'Académie, celui qui était toujours en reconstruction et était censé être désert, hormis pour quelques rares médecins possédant leur bureau à ce niveau là.

- Elle respire encore !!

- Brancardiers ! Il nous faut des civières !

- Des poches de sang et de la gaze, vite bon sang ! INFIRMIÈRES !!

Malgré le chaos total qui régnait, j'avais réussi à approcher les malheureuses victimes tout en notant les particularités du décors. Il n'y avait pas eu d'explosion comme on pouvait le croire, cependant les murs étaient fissurés ou absents par endroits et une partie du plafond avait tout bonnement disparu. Çà et là trainaient des coulées marronâtres étranges d'une substance semblable à de la vase ou de la boue. La situation était aussi soudaine qu'inconcevable, étrangère au moment présent, incohérente. Qu'avait-il bien pu se passer ? Je retournais indéfiniment la question dans ma tête tout en soutenant de la main droite la partie occipitale du crâne de l'une des victimes. Elle respirait, elle bougeait les yeux et semblait capable de remuer les lèvres. Qui, quand, quoi, comment étaient les questions qui m'étaient venues instantanément à l'esprit.

- Que s'est-il passé ? lâché-je soudainement, emportée par cette satanée curiosité maladive qui me ronge perpétuellement.

Autour de moi, trois ou quatre médecins se regroupent pour entendre ce que la jeune femme a à dire eux aussi. Produisant de petits bruits égosillés, l'inconnue au teint et aux cheveux albinos emploie donc ses dernières forces pour répondre à la question, le corps parcouru de spasmes incontrôlés.

- Craig... Kami... na...

***

Je me tenais au chevet de la jeune inconnue aux cheveux blancs : assise dans un fauteuil relativement confortable destiné aux visiteurs, vérifiant de temps à autres l'activité cardiaque, la tension, l'apparition d’œdèmes ou de complication rénales, j'attendais patiemment son réveil pour saisir son identité et la communiquer à Adaggio. Car à contrario des deux autres victimes, cette même patiente qui quelques jours plus tôt avait donné le nom du prétendu coupable était une sombre anonyme sortie de nul-part, vêtue de pied en cape par son mystère jusque dans son porte-feuille. Pas de papiers d'identité, quelques billets, une trousse d'outils inusuels et un escargophone ; le tout était planqué dans un trois-quart noir garni de poches comme pas possible. Face à cette opacité rare et cette présence aux raisons aussi douteuses qu'inconnues, l'hypothèse que l'albinos pouvait être un autre agent du Cipher Pol n'avait pas fait que m'effleurer. Entre cela et les blessures rappelant étrangement le Rokushiki sur le corps de Carryline Sweetsong et de sa fille, que l'on ne retrouvait étrangement pas chez la présumée fonctionnaire, devais-je me douter de la culpabilité de la famille Sweetsong quant à ce qui avait bien pu se passer là-haut ? Les questions allaient et venaient, ne cessaient de germer dans mon esprit, me ramenant inconditionnellement aux éléments de cette terrible affaire qui avait tout de même fait pas mal de bruit dans le coin depuis. Et comme des réponses dépendait ma mission, prétextant un excès de zèle, je m'étais inscrite comme l'infirmière de garde de la jeune femme sur absolument tous les créneaux.

Or les jours et les semaines passaient et ma patience s'ébranlait progressivement, alors que l'étrangère ne se réveillait toujours pas, pour laisser place à l'envie de succomber à la facilité. Bien évidemment, il lui fallait du temps pour se remettre de ses contusions et de ses os brisés, cependant je ne pouvais courir le risque de me faire suspendre ma garde et de voir une civile lambda me faucher la place. Si plusieurs fois j'avais remis en cause l'idée de mettre fin à la vie de l'inconnue, la fatigue et le manque de sommeil avaient fini par me faire considérer l'idée et placer une échéance.

- Demain. Si demain elle ne se réveille pas, je devrai m'en débarrasser. me résous-je donc, voyant une énième aube se lever et éclairer chaudement la pièce d'une lumière orangée.

La mesure est drastique mais c'est le fonctionnement, la règle d'or pour éviter les fuites d'informations compromettantes, l'incrimination du Gouvernement Mondial lorsqu'il mouille dans des affaires pas très nettes. Ce ne serait pas la première fois, et ça ne serait absolument pas la dernière. Quant au fait qu'elle puisse être véritablement responsable de la mort de la doctoresse et de sa gamine de huit ans, je ne peux me sentir coupable de mettre fin à la vie d'une tueuse d'enfants. Mais le destin est farceur et la vie facétieuse, car au moment où je penche une énième fois la tête vers l'avant pour la fourrer entre mes bras nus et me replier sur moi-même enfoncée dans mon fauteuil, une voix sèche et rocailleuse chuchote dans le silence.

- J'ai... soif...


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Sam 19 Déc - 15:07, édité 2 fois
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- Je suis sa fille. Annabella Sweetsong.

Éberluée par la révélation, par l'identité réelle, sans avoir menti ou hésité une seule seconde et sorti sa couverture, par le nom de famille qui rajoute du crédit mais donne un côté malsain et empoisonné à la situation, je demeure grossièrement béate. Sweetsong...? Non, ça ne pouvait pas être possible, je devais reconsidérer tout mon schéma, toutes mes hypothèses, tous mes soupçons. Carryline Sweetsong était une femme adorable et une formidable mère, et même si je n'avais jamais entendu parler de sa première fille, je me doutais qu'elle avait dû l'élever avec autant d'amour qu'elle le faisait pour la seconde.

Sortie de son coma hier, la jeune patiente n'avait rien ajouté de plus jusqu'à ce matin. Pas de bonjour ni d'au-revoir, pas de parole en l'air et absolument aucune sorte de gratitude, elle n'avait laissé transparaître que son inquisition par rapport à l'état de santé de sa mère. Je m'étais donc fait une idée de la première couche du tableau que j'essayais de dresser vis à vis de la possible agente : malgré la beauté de sa plastique gâchée par l’œil borgne qui la défigurait légèrement, malgré l'aspect à la fois mystique et magique de ses cheveux étonnamment blancs et de son teint de lait, Annabella Sweetsong était une femme défraichie, mégère et méprisante dégageant une profonde impression de supériorité, de dédain. Je ne savais pas jusqu'où s'étendait cette personnalité et si l'énergumène était ce que je la soupçonnais d'être, elle était aussi qualifiable de monstre sans scrupules capable de tuer pères et mères, habitée par quelque chose d'inhumain, de machiavélique, cruel et incroyablement mauvais. Plutôt que de me rassurer, le fait qu'elle ne s'enquerrait que de l'état de santé de sa mère mais absolument pas de celui de sa jeune sœur me hérissait les poils de la nuque et me rendait nerveuse. A quelle genre de femme avais-je donc à faire ?

- C'est... c'est... Elle... me tenté-je, futilement.

Les mots ne veulent pas sortir alors que j'essaye de construire rapidement une réponse pour ne pas laisser la patiente dans le vague, alors que mes pensées défilent à cent à l'heure pour essayer d'adapter le profil de la demoiselle aux informations qui s'accumulent soudainement. Après des semaines d'attentes, deux mots avaient suffit à tout chambouler.

- Prenez votre temps, après tout, ma mère est peut-être dans le coma et je n'en sais rien, ce n'est pas si important. ironise-t-elle en réponse, affichant un air dur mais un léger sourire en coin, narquoise.

Désormais c'est certain en tout cas, je la déteste. Mais elle n'attend pas ma réponse, ne cherche pas à déchiffrer mon expression abusée, interloquée alors que ses jambes viennent toucher terre et qu'elle semble consacrer tous les efforts du monde pour tenir debout.

- Je veux voir ma mère. conclue-t-elle de façon brusque, comme s'il n'y avait aucune réponse à donner, comme si c'était une ordre auquel il ne fallait pas déroger.

J'ai la profonde conviction que je dois l'arrêter mais les mots buttent contre ma langue, refusent de former une phrase logique et tout ce qui en ressort est un stupide balbutiement que je n'ose même pas terminer.

- C-c'est... c'est...

Alors tout en affichant une moue sévère et dégoutée, le visage fermé et l'air désinvolte, j'accepte à contre-feu de prêter mon bras à la patiente pour lui servir de déambulateur et la guide jusqu'au service de réanimation. Et alors que l'on passe devant le panneau indiquant le bloc, je crois voir du coin de l’œil pendant l'espace d'une seconde un sourire mauvais se dessiner sur son visage.
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Tic, tac, tic, tac. Depuis plus de deux heures je fixais la grande aiguille défiler sur le cadran en espérant la reddition de la jeune femme au chevet de sa mère, muette. Rongée par la curiosité d'en savoir plus à son sujet, j'en étais rapidement venue à faire de même avec mon frein au fur et à mesure que les minutes s’égrainaient sans qu'elle ne délie la langue, sans qu'elle ne pose sa démission quant au poste de visiteuse qu'elle accomplissait merveilleusement mal. Car outre le fait qu'elle ne cessait d'alterner les sentiments voisins au désarroi et à la tristesse, l'albinos n'avait rien fait d'autre de plus superflu sinon de serrer dans ses mains la paume inerte de sa maternelle dans le coma. Sans rien dire, sans chercher à lui parler comme le font bien souvent les proches de victimes, non, simplement silencieuse, simplement émotionnelle. Et même si chaque réaction à une telle situation était différente, même si les émotions de la jeune femme semblaient sincères et les larmes sur ses joues rondelettes, pleines et brillantes, je ne pouvais m'empêcher de garder au fond de moi cette suspicion qui me dévorait le palpitant en songeant une seule seconde qu'elle était responsable des deux assassinats pour une raison obscure, mandatée par le Gouvernement Mondiale pour assassiner ses deux parents et inculper un révolutionnaire.

- Mademois... excusez-moi... fais-je finalement d'une voix tremblotante et timide, décidée à mettre fin à ce long moment de deuil inattendu.

Elle relève le regard vers moi, immobile, étrangère, comme si le moment ne lui appartenait plus et qu'elle songeait à autre chose, qu'elle n'entendait pas réellement mes mots.

- Oui, bien évidemment, je ne vais pas abuser de votre temps...

Les yeux cernés par la fatigue qui s'est inévitablement accumulée et les muscles tiraillés par l'absence de morphine, la jeune femme retrouve difficilement son équilibre avant de m'empoigner le bras pour enfin parvenir à quitter la pièce. C'est donc sans aucun mot supplémentaire que le voyage du retour se fait jusqu'à la chambre de la patiente où je l'assiste dans sa son alitement avant qu'une nouvelle dose de morphine ne l'aide à retrouver le sommeil du juste. Puis, cela fait, je m'éclipse presque directement pour profiter de ma soirée de repos bien méritée et contacter depuis mon chalet Adaggio, mon coordinateur.

***

Claquant la porte dans mon sillon, je m'étais aussitôt dirigée auprès de l'âtre froid pour gratter une bonne quantités d'allumettes et tenter d'y faire crépiter un début de feu. Jugeant les braises suffisamment incandescentes pour pouvoir commencer à réchauffer la pièce, je m'étais ensuite rendue jusqu'à mon bureau disposé près du coin cuisine pour y saisir l'escargophone gisant sur le plan de travail et joindre mon collègue.

- Ashtroff ? Tu as besoin de quelque chose ?

Sa voit étonnamment grave ne manquait jamais de me surprendre. Un peu décontenancée, comme à ma trop grande habitude, je mets du temps avant de former une réponse cohérente.

- Bonjour Adaggio. Oui, j'aurais voulu savoir si un agent de l'un des Cipher Pol avait été chargé d'une mission à réaliser dans le coin récemment. Il s'avère que j'ai une certaine Annabella Sweetsong en soins à l'Académie, suite aux derniers événements inculpant Craig Kamina.

- Le dernier attentat de Drum, c'est ça ? Ouep, j'vais voir si je trouve quelque chose dans la base de données et contacter les autres directeurs. Je te rappelle dès que j'ai du nouveau.

- Très bien, à bientôt.

Gotcha.

Reposant le den den mushi de façon plus ou moins négligée, mon regard se perd dans le vide avant de  s'aventurer vers l'évier où traine une pile de couverts sales dont l'accumulation de bactéries y foisonnant forme un véritable écosystème. Décidant de mettre un terme à ce développement trop écologique pour être sain, je profite de l'occasion de m'occuper les mains pour nettoyer la vaisselle ainsi que le reste de la baraque. Enfin, après plusieurs heures de dépoussiérage et de chasse aux araignées et aux souris, le bruit singulier de la sonnerie de l'escargophone m’interpelle finalement.

Puru Puru Pur-Captcha.

- Alors, des nouvelles ?

- Ouep, sans souci. Du coup, le nom que tu m'as filé, c'est effectivement celui d'un agent du Cipher Pol 8. Elle a été envoyée il y a une semaine dans le but d'enquêter sur Craig Kamina, un déserteur reconverti en Toubib Twenty suspecté de soigner des hauts criminels de la révolution.

- Je vois... On peut dire qu'elle a réussi à le démasquer pour le coup mais...

- Mais ?

- Non, rien. Merci pour l'information, je vais donc commencer à opérer. Je te recontacte sous peu pour faire mon rapport.

- Bien reçu, bonne soirée Ashtroff.

Gotcha.

Légèrement nauséeuse, tout en ventilant abondamment sous la pression qui s'accumule dans mes tempes, je m'effondre sur le fauteuil le plus proche pour tenter de résumer la situation. L'agent Sweetsong avait donc été envoyée pour enquêter sur Craig Kamina et l'avait vraisemblablement poursuivi depuis son domicile jusque dans l'hôpital. Là, pour des raisons mystérieuses, elle s'était retrouvée face à lui au dernier étage de l'Académie, avec sa mère et sa petite sœur, avant d'essayer de les tuer toutes les deux et d'échouer ensuite à capturer le révolutionnaire. Or, même si les circonstances du combat se précisaient légèrement, celles de la mort de la gosse et du coma de la mère n'évoquaient aucune réponse.

- Pourquoi a-t-elle fait ça ? Était-ce personnel ? Ça n'a rien à voir avec la mission en tout cas. A moins... qu'elles aient été témoins de quelque chose de compromettant ?

Dans ce cas oui, mais quoi ? Finalement rattrapée par mon manque de sommeil, la question me reste sur les lèvres sans apporter une véritable réponse alors que mes yeux se ferment lamentablement et que l'obscurité me plonge dans un rêve étrange... Un rêve où une fillette aux prunelles rougeoyantes vient me prendre la main et me dit tout en souriant :

- Tu vas m'aider à retrouver ma maman ?
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Et voilà, une de faite, plus que cinq. A l'occasion, je m'étais assise dans le fauteuil jouxtant le lit de ma patiente, les jambes croisées, remplissant la paperasse habituelle. Plus tôt dans la journée, j'avais eu l'opportunité de joindre à nouveau Adaggio dans le but d'obtenir plus d'informations à propos de la couverture de l'agente que je devais incorporer à son état civil. Apparemment, celle-ci se faisait passer pour une enquêtrice, une détective privée déjà connue sur les Blues pour ses hauts faits envers la criminalité, ce qui n'allait pas sans compliquer ma tâche bien entendu.

- Butterfly. Elizabeth. Femme. Vingt-huit ans. B positif...

Le plus difficile dans la falsification relevait du fait qu'Elizabeth Butterfly était une personne réellement existante, ce qui m'avait obligée à lui inventer un ordre de mission, une enquête expliquant sa présence sur l'île et les circonstances de l'accident. Rien d'évident, sachant que cela ne relevait pas vraiment de mon domaine de compétences. D'autant plus que dorénavant, l'agent Sweetsong était la dernière rescapée du drame - sa mère étant mystérieusement décédée d'un arrêt cardiaque dans la nuit - ce qui ne l'épargnait d'aucun interrogatoire et m'avait obligée à lui dévoiler, à mon tour, ma véritable identité et la raison de ma présence ici dans l'optique de faire cause commune, de faire en sorte que le testament sur papier corresponde avec son témoignage. Et même si cela avait permis de faire avancer considérablement ma mission, mon appréhension s'en était tout du moins retrouvée renforcée face à la facilité déconcertante avec laquelle la jeune femme semblait narrer son odieux mensonge.

- ...présente dans le cas d'une enquête... Craig Kamina, lié à des expériences... révolutionnaire assoiffé de sang... a essayé de se débattre comme elle a pu... a vu l'homme-poisson tuer de sang-froid la petite Sophia... n'a pas pu mettre le criminel hors d'état de nuire.

Alors que je couche un à un les mots sur papier de façon quasiment mécanique, mes yeux ne peuvent de temps à autres s'empêcher de zieuter fugacement l'institutionnelle du CP8. Elle sait aussi bien que moi que la vérité est toute autre, que deux membres de sa famille ont péri par ses mains pour des raisons inconnues. Et vu qu'elle ne semble pas vouloir aborder le sujet mais qu'il est tout du moins important que je connaisse les tenants et les aboutissants de l'histoire, je rapproche finalement mon siège avant de murmurer à voix basse.

- Carryline et Sophia Sweetsong, c'est toi qui les as tuées. Inutile de nier. Les marques sur leur corps, les blessures, elles s'apparentent à l'utilisation du Rokushiki. C'étaient ta famille, ta mère et ta sœur ! Pourquoi avoir fait ça ?

La jeune femme lâche un hoquet de stupéfaction. Pour la première fois, je remarque une expression humaine et naturelle sur le visage de ma patiente : la surprise avec une légère dose de peur dans les yeux. Pendant une trentaine de seconde, celle-ci reste coi, immobile, les yeux rivés sur moi, avant de finalement récupérer un visage froid et arrogant puis de se décider à me répondre.

- Carryline Sweetsong couvrait Craig Kamina. Elle savait ce qu'il faisait, elle savait de quoi il était capable et au moment où j'ai voulu le capturer, elle s'est mise entre lui et moi. Quant au fait que je sois sa fille, c'est vrai, mais elle n'a jamais véritablement été ma mère...

J'arque les épaules, dubitative quant à la véracité de cette version de l'histoire, même si rien ne la contredit, même si les éléments semblent bien s'étayer. Non, c'est juste que le personnage ne m'inspire pas confiance. Cependant je choisis de la croire et aborde un dernier point qui me tient à cœur.

- Et la petite ? Elle le couvrait peut-être ? Pourquoi avoir tué une gamine, ta propre sœur ?! m'emportè-je finalement.

L'évocation de la disparition de la gamine ne me laisse effectivement pas de marbre, notamment pour la simple et bonne raison que je n'ai jamais rencontré d'agent pouvant aller jusqu'à de telles extrémités. Si l'acte est justifié, je veux savoir pourquoi, je veux connaître la raison, comprendre pour quoi le petite est morte. Par ailleurs, cette deuxième question semble avoir touché davantage l'albinos qui affiche soudainement une mine blafarde, décomposée et un regard abattu.

- Je ne l'avais jamais vue jusque-là, elle n'aurait pas dû être là. Elle... Je n'ai rien pu faire, elle s'est jetée sur moi lorsque j'attaquais sa mère, pour la protéger... Je suis désolée.. bafouille-t-elle alors.

Même si jusque là l'agente n'avait semblé parler qu'en demi-vérités, la façon dont elle avait prononcé ces derniers mots laissait pourtant figurer de la culpabilité, du regret. Je réalise soudain que l'acidité dont je fais montre laisse beaucoup trop transparaître mes sentiments et m'induit en erreur, compromettant l'intérêt de ma mission, attirant le regard à demi-dévasté de l’œil unique de l'albinos sur moi. Et si ses propos échouent de peu à me convaincre, son regard débordant d'une foule de sentiments contradictoires le fait, lui. Reculant soudainement dans mon siège, je me pose la tête dans le creux de mes mains et essaye de me calmer, essaye de relativiser. Alors je me rends progressivement compte que non, c'est vrai, je ne suis pas censée être son ennemie, que c'est ma collègue, que j'imagine bien qu'elle n'a pas pu tuer sa propre sœur de sang froid par pur plaisir. Je rationalise alors, calme mes ardeurs et me rends à l'évidence : Annabella Sweetsong est un être humain qui a dû faire le choix de sa famille ou de sa mission. Et si une voix continue à gronder en moi que c'est un monstre qui a tué son propre sang, un chuchotement de plus en plus fort me rappelle constamment qu'elle n'a fait que prouver sa dévotion à la cause du gouvernement. Et c'est pour cette raison que je n'arrive pas à la comprendre, que j'ai peur d'elle, que je la déteste injustement. A cause de cette dévotion qui me dépasse et que je ne saurai jamais appliquer à un tel degré, que jamais je n'irai jusqu'à sacrifier mes proches pour mon métier.

Mais elle, elle l'a fait et désormais je me sens toute petite à côté d'elle.

- Je... Je comprends, désolée. V-voilà euh, j'ai terminé... conclus-je donc maladroitement en tassant les feuilles frénétiquement à la va-vite sur le bord de la table de nuit avant de les emmener avec moi dans ma déroute.

Tournant ultimement le dos à ma patiente, j'omets quasiment de lui délivrer une information importante de dernière minute. C'est donc dans un rapide volte-face que je la surprends brusquement :

- Ah, j'oubliais !! Après-demain, le juge Tyrell Sweetsong sera là pour les funérailles. J'ai pensé que tu voudrais probablement le savoir. Donc, s'il te demande des détails...

Je déglutis lourdement. Le mensonge, c'est mon travail, mais j'ai toujours du mal à m'y faire. Surtout lorsqu'il est aussi gros. La borgne vrille sur moi son œil unique interrogateur. Malgré les difficultés, je termine donc :

- ...tu sais quoi raconter.
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- Je promets que justice sera rendue, oh oui je vous le promets comme je me le promets à moi-même. Le Gouvernement Mondial fera tout pour que jamais plus une telle horreur ne se répète, ni ici, ni ailleurs. Nous continuons nos recherches et lorsque nous le trouverons... lorsque nous les trouverons, ces coupables, ces criminels, ces révolutionnaires, alors l'impitoyable sentence sera délivrée.

La foule en liesse, présente aux funérailles et encerclant le présentoir sur lequel se tenait le cinquantenaire, s'était empressée d'applaudir dès la fin du discours. Postée au côté de la borgne que je secondais pour sa sortie exceptionnelle, j'anticipais secrètement le moment où le juge Sweetsong allait venir lui serrer la main, chose qu'il avait finalement fait alors que l'endroit se vidait de ses visiteurs, une fois les bières rentrées dans le caveau et ce-dernier refermé. Une fois l'épouse et l'enfant enterrés, relégués au passé, pauvres victimes de ce nouvel attentat proclamé de la révolution. Prenant de la distance, je m'étais vissée sur l'une des chaises faisant face à l'autel où s'était déroulé l'éloge funèbre quelques temps auparavant, l’œil rivé sur la conversation entre Annabella et celui qu'elle savait être son père mais qui lui, en revanche, n'en savait rien.

- J'ai entendu parler de vous, mademoiselle Butterfly, vos actions ont permis de rétablir la justice en de nombreuses occasions et je vous en suis gré. Quel dommage que nous soyons amenés à se rencontrer dans de si terribles circonstances.

Droit comme un i, l'ancien officier de la Marine et actuel Juge d'Enies Lobby conservait un langage aussi poli que déférent. Sa voix tremblotante était maladive et faiblarde comme l'on pouvait s'y attendre, cependant elle demeurait rude et robuste, à l'image du personnage. C'était un juge et il s'adressait à n'importe qui comme le juge qu'il était.

- Je... je voudrais vous remercier. C'est grâce à vous que nous pouvons finalement rechercher activement le criminel qui a fait ça à ma femme... à mon enfant. Sans votre témoignage, nous n'aurions jamais pu deviner qui était le véritable coupable. témoigne l'homme, le regard humide et les yeux rougis par la tristesse, mais néanmoins empreints de sentiments chaleureux à l'égard de l'albinos transie.

Le fonctionnaire n'avait été mis au courant que de la version officielle, comme les civils et les autres personnes en dehors de la sphère très privée du Cipher Pol. Nous n'étions que trois à savoir ce qu'il s'était véritablement passé : moi, mon coordinateur et Ao Novas, le directeur du CP8. Pour tous les autres, Craig Kamina avait froidement exécuté les deux témoins de son horreur et Elizabeth Butterfly n'était qu'une pauvre victime de plus ayant réussi à échapper au funeste destin qui avait emmené les deux autres Sweetsong. Coi jusque là, la voix à peine audible de la jeune femme résonne finalement jusqu'à moi, alors que sa réponse s'évade difficilement de ses lèvres pour venir remercier à son tour son interlocuteur.

- Je... merci... J'aurais tellement voulu faire quelque chose... je suis désolée.

Hoquetant de surprise, je dénote le ton miséreux emprunté par la jeune femme, suivi d'une larme unique perlant sur sa joue. Convaincue qu'il ne s'agit pas là d'un jeu d'acteur mais de sentiments réels, je détourne un moment les yeux en ayant l'impression de bafouer l'intimité de l'agente. Car elle souffrait pour ce qu'elle avait dû faire, c'était désormais sûr et certain. Et lorsque je me retourne donc pour admirer le silence qui s'en suit, c'est finalement pour remarquer les deux individus, le père et sa fille, s'enlaçant tendrement.

- Ne vous en faites pas, Craig Kamina et tous les individus de son espèce seront punis par la Justice... Continuez à faire votre travail, nous avons de la chance que vous soyez encore parmi nous. dit-il tout en s'écartant lentement de l'étreinte qui les lie. C'est étrange, cette impression de vous avoir déjà vue... nous serions-nous rencontrés quelque part ?

Dévoilant un grand œil à l'iris rouge rubis larmoyant, la jeune femme ne peut s'empêcher de demeurer hébétée quelques secondes avant de se reprendre. Alors, séchant ses larmes et repoussant une mèche rebelle lui tombant sur le côté du visage, celle-ci conclue :

- Non... je ne pense pas.

***

Quelques jours plus tard, l'agente du CP8 avait enfin quitté le service hospitalier. Alors que tout était en règles, que sa couverture en tant qu'Elizabeth Butterfly sur les lieux avait été correctement fignolée, la jeune femme avait pris la route dans la soirée pour finalement quitter l'île comme prévu. Je l'avais escortée jusqu'à la porte, jugeant bon de garder un œil sur elle au moins jusqu'à la fin. Et c'était finalement dans le hall d'entrée qu'elle m'avait gratifiée d'un étrange sourire avant de me remercier pour ce que j'avais fait. Et d'ajouter :

- Il me reste une dernière chose à faire sur l'île.

Et elle s'en était allée et je n'avais plus entendu parler d'elle.

J'avais cependant eu la surprise, le jour suivant, d'apprendre qu'un nouveau drame s'était produit pendant la nuit en contrebas ans la vallée. Un village entier avait été réduit en cendres par les loups affamée de la révolution. Tout le monde s'était alors indigné de cet ultime acte barbare et tous les habitants de l'île s'étaient levés contre la bannière révolutionnaire, étendant la chasse à l'homme non plus seulement à Craig Kamina, mais à tous les anarchistes de Drum. Tâchant de faire peu de cas, j'avais choisi de rester dans l'ombre avec mon terrible secret que je ne devais avouer à personne, la véritable vérité que j'étais cette fois-ci encore la seule à connaître.

C'était l’œuvre d'Annabella Sweetsong.
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