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Dans l'ombre de la Justice.


Des tréfonds de Marie-Joie jusque dans les hauteurs de ses tours, remontant les macadams humides des bas-quartiers ou filant dans les ruelles de banlieues huppées, s'immisçant dans les recoins des bouges infréquentables ou jusque dans les arrière-boutiques des plus grands magasins, il y a ce doux murmure qui incite au secret. Il règne dans l'atmosphère de cette ville comme une indécrottable malhonnêteté, une tendance au subterfuge qu'on peut presque humer du bout du nez. La racaille la plus crasse en est infectée, les grands bourgeois de salon eux-mêmes s'y adonnent si facilement, même les grands nobles, altiers et justes, ne peuvent dérober à cette tradition presque sacro-sainte entre les murs de la capitale du monde ; ici, tout le monde se prélasse dans l'occultisme de l'existence des autres. Chaque jour est une enquête, un triller, une chasse à l'histoire, une foison de rumeurs qu'on s'échine à récolter sans relâche. C'est ça, Marie-Joie, le cœur du monde. Un repaire d'intrigants et d'intrigués, tous assoiffés d'une même prétention au savoir qu'ils reprochent aux autres comme une assemblée d'hypocrites qui s'ignorent. Ce murmure putréfié qui souffle son halène viciée par des siècles de trahisons et de cachotteries, il s'infiltre même dans le grand manoir des Caddenhead, villa monumentale aux jardins cerclés de hautes barrières de fer forgé, joyau inestimable d'architecture, perle aux murs envahis de plantes grimpantes chaque jour entretenues dont la végétation splendide et bariolée coupe drastiquement avec les structures austères des hautes bâtisses impériales du centre-ville. Même entre les fontaines, les longs bancs de pierre blanche, les odorants bosquets de lilas, d'hydrangées, d'hémérocalles et de roses, le murmure occulte de Marie-Joie rampe et pourri chaque bouches et oreilles des habitants de la villa. Il s'infiltre même jusque dans cette diligence de bois laqué qui quitte les jardins de la villa Caddenhead pour s'engager dans les rues animées du cœur du monde.

Là, on s'écarte et on chuchote, on pointe et on complote, à la vue de la majestueuse diligence suintant de tout ce secret. On le fait car à l'intérieur, il y a la silhouette immanquable et voutée d'un homme impassible. Le visage impénétrable, comme de cire, son haut-de-forme posé sur les genoux, il jette un regard glacial sur la populace qui grouille des deux côtés du véhicule. Ils ne peuvent prétendre qu'à leurs puérils secrets, jamais ils ne sauront que les destin du monde, lui, il le décidera un jour dans un bureau d'où il les dominera tous bien plus. La Justice récompense la vérité, lui ne se défilera de rien devant elle. D'un geste de routine, Edwin Morneplume tire une cigarette de sous son costard, la fiche entre ses lèves puis l'allume d'une allumette qu'il gratte contre la porte de la diligence.

- Une promenade en ville ne pouvait que vous faire du bien, n'est-ce pas, Mademoiselle ?



En face de lui, sur l'autre banquette de la voiture, Annarosa de la Ventura, nouvelle chef sacralisée de l'ancestrale et vénérable famille Caddenhead, se ronge un ongle avec une mine agacée. Sa longue chevelure rosée tressée en une longue natte sous son bocal, son scaphandre sertie d'une robe de pierreries, toute sa prestance de nouvelle matriarche s'envole derrière son air de jeune adolescente frustrée.

- Ce n'est qu'une question de formalité, Mademoiselle, vous le savez bien.
- Ça Morneplume cesse de me le rappeler ! Regarde comment ils te pointent, tous ces gens… combien tu crois qu'il peut y avoir de révolutionnaires là-dedans ?
- Suffisamment pour nous rappeler que nous valons bien mieux qu'eux, Mademoiselle.
- Ça faisait bien longtemps que la délégation diplomatique de Luvneel n'était pas venue à Marie-Joie… Quel bordel t'as pu foutre là-bas…

Elle cesse un instant de se ronger les ongles, puis lève des yeux malicieux vers son cerbère qui, impassible, la fixe en consumant sa cigarette.

- Allez…
- Hm ?
- Dis-la.
- Plait-il ?
- Dis-la !
- Vous voulez parler de…
- Oui ! Dis-la ! Ta phrase !
- Mademoiselle… c'est un jeu tout à fait enfan-
- MORNEPLUME ! Dis-la !
- Bon… "Je n'ai fait qu'appliquer le châtiment que la Justice leur réservait, Mademoiselle."

Elle s'esclaffe d'un rire sardonique en se trémoussant sur son siège, renversant la tête dans son bocal sous l'effet du plaisir. Morneplume, lui, soupire en crachant un nuage de fumée.

- J'adoooore quand tu dis ça ! Tu sonnes comme un super-héros !
- Hm. Aussi bien dire que je suis votre super-héros, Mademoiselle.
- Et ne tâche pas d'être celui de quelqu'un d'autre… surtout pas de ces idiots de Luvneelois.
- Nous y voilà, Mademoiselle.




L'endroit en question est une imposante bâtisse impériale. Devant, d'imposantes statues impériales donnent la pose, toutes représentant des personnages dont peu pourrait toujours donner le nom exact,  des vestiges de l'histoire du Gouvernement Mondial. L'Assemblée des Nations, centre névralgique du monde, se dresse dans toute sa majesté sous le ciel gris de fin d'après-midi. À l'entrée, devant d'immenses portes encadrées d'un incalculable nombre de colonnes romaines, c'est une haie de soldats d'Élite qui attendent Morneplume et sa protégée. Un valet vêtu d'un ignoble tabard serti d'une croix gouvernementale s'étale de tout son long devant miss de la Ventura lorsqu'elle pose le pied hors de la voiture. Il balbutie d'inaudibles explications, n'osant relever la tête, l'air hautain et cruel de la Caddenhead étant tout aussi dissuasif que la stature monumentale de son gardien. Une chose, néanmoins, reste claire : ils sont attendus.

Escortés, ils s'engagent côtes à côtes dans un vaste couloir où s'enchaînent les clés de voûtes. Sur le plancher nacré, les pas de la cohorte résonnent en échos, mais moins que les talons-hauts d'Annarosa. Partout, ce sont des halls vides qui les attendent, mais Morneplume sait très bien où ils vont : directement dans la grande salle parlementaire de l'Assemblée, là où un grand public de politiciens blasés les attend sagement avec quelques remontrances au bout des lèvres.

C'est une délégation diplomatique venue du Royaume de Luvneel qui a la chance de s'être dégoté un si grand public. En effet, suite à l'Opération Théolinus grâce à laquelle il a hissé sa protégée sur le trône des Caddenhead, Morneplume s'est néanmoins vu la cible d'un blâme royal. Son erreur ? Détruire le centre historique de Luvneelgraad pour se débarrasser de Richard Bradstone et Christopher Nash -la nouvelle de la mort du premier, d'ailleurs, ne lui avait fait ni chaud ni froid-, deux teignes révolutionnaires ayant suffisamment sévies sur North Blue. Le résultat ? Un règlement de compte à l'Assemblée des Nations où Edwin doit comparaître pour présenter ses plus plates excuses à la royauté de Luvneel, la famille Flemingo.

Il les abhorre, ces larves pathétiques qui se vautrent dans leurs trônes et se permettent de laisser fermenter chez eux l'engeance révolutionnaire. Ils sont eux-mêmes des traîtres à qui l'on a refilé une couronne. Dans les villes de Luvneel, sans doute, on retrouve ce même murmure porteur de tant de trahisons et de rébellions, comme une infection qui sert d'engrais à tout ce qu'il y a de mauvais en ces terres. Luvneel est corrompue jusqu'à la moelle, ses seigneurs baignent dans la fange qu'est le subterfuge et le mensonge. Et lorsque Edwin et Annarosa pénètrent tous deux dans la grande chambre parlementaire, devant une assemblée de politiciens parqués derrière de massifs bureaux sénatoriaux s'élevant jusqu'au sommet d'une colossale rotonde, le Lieutenant sait que lui aussi il devra se résigner à bien ajuster ses gants et plonger à son tour dans toute cette mascarade.

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