Un assassinat. La mission que Egao s’était vu confier par Tiger n’avait cessé de lui tourner en tête. Quand il avait quitté le bureau de l’instructeur en chef pour aller retrouver ses compagnons d’arme, les futurs soldats de la Marine d’élite semblèrent soudain se rendre compte que personne ne l’avait plus vu depuis un moment et que personne ne se rappelait avoir entendu son nom lors des promotions. Se rappelant que l’ordre lui avait été donné de ne rien révéler de sa mission — jusqu’à l’existence même de cette dernière — Egao prétendit qu’il s’était rendu au bureau de Tiger afin de demander des explications quant à sa non-nomination. Il avait ensuite expliqué aux hommes que l’instructeur s’était rendu compte de son oubli et l’avait rassuré en lui disant qu’il avait été promu au grade de soldat d’élite. Les sourcils se levèrent d’étonnement à l’écoute de ce mensonge car beaucoup pensaient justement que le jeune garçon recevrait le grade le plus important de la sélection en récompense des prouesses qu’il avait effectué pendant l’ensemble de la formation.
*C’est pourtant bel et bien la seule part de vérité dans ma petite histoire*, se dit-il à lui même.
La journée de repos, la première depuis six mois intensifs, passa à la vitesse de l’éclaire. Dès le lendemain matin les hommes furent appelés les uns après les autres pour constituer des groupes de missions. Comprenant en général deux à trois recrues, les missions allaient — comme l’avait annoncé Tiger à Egao la veille — de l’escorte de noble ou de marchand à l’attaque de pirates récalcitrants résistant à la Marine régulière. Les soldats partirent les uns après les autres jusqu’à ce que le jeune garçon se retrouve seul au camp en compagnie des instructeurs.
Quand son tour arriva, Egao ne fut pas convoqué dans le bureau de l’instructeur en chef mais dans celui du commandant Kaiser Jugo.
— Entre Egao, fit Tiger qui l’attendait à l’entrée du bureau.
Nous t’attendions. Le jeune garçon pénétra pour la première fois dans le sacro-saint de la Ferme — le nom donné à la base du BAN. Aucune recrue n’avait jamais pu prétendre à avoir foulé le sol du bureau du commandant et Egao commença malgré lui à se sentir nerveux. Le lieu était semblable au reste du camp : austère et froid, il était là pour l’efficacité et le travail et le luxe en avait été banni. De nombreuses décorations de la Marine étaient accrochées sur les murs mais le garçon ne trouva aucune des récompenses octroyées aux officiers supérieurs habituelles. La rumeur selon laquelle la plupart des opérations effectuées par Kaiser Jugo étaient classées Top Secret lui revint alors en mémoire. Au milieu de la salle trônait un large bureau de bois sombre sur lequel une quantité impressionnante de documents trainaient de manière désordonnée. Pour finir, une large bibliothèque emplie de livres de stratégies et de règles de combats ainsi que de nombreux plans de constructions de navires recouvrait le mur du fond et donnait à l’endroit un air d’érudition imposant.
Le commandant Jugo et son second le lieutenant McKclean étaient déjà dans la pièce, plongés dans des documents de toute apparence de première importance.
— Voici la recrue messieurs, annonça Tiger quand Egao fut entré.
Si vous le souhaitez, nous pouvons commencer. Kaiser Jugo se leva et observa Egao, le jaugeant des pieds à la tête. S’il fut troublé par l’âge du garçon il n’en laissa rien transparaitre. Il s’empara d’un dossier bleu qu’il jeta vers le nordien. Celui-ci s’empara du document au vol.
— Voici l’ordre de mission. Tu as le temps que tu veux pour le lire et le mémoriser tant qu’il ne sort pas de cette pièce. Préviens moi quand ce sera fait. Surpris, Egao ouvrit le document et commença à lire. La photo d’un homme aux traits fins et à l’allure joviale apparu suivie de quelques commentaires :
NOM : Ethan O. Connery
PROFESSION : Boulanger
LOCALISATION : Boréa – Lavallière – quartier des écluses
AFFILIATION : Résistance
MISSION : Élimination
Egao releva les yeux.
— C’est bon, lâcha-t-il.
McKclean repris le dossier des mains du garçon et le rendit à Jugo qui le jeta sur le haut de sa pile.
— Bien qu’elle ne soit pas très importante, la mission est classée Top Secret, fit le commandant. Toute divulgation d’information sera synonyme de trahison conduisant au mieux à un renvoi au pire à Impel Down. La cible doit être éliminée sans témoin et le corps ne doit jamais être découvert. Tu agis seul, sans avertir quiconque de ta mission. Des questions ?Egao assimila les informations.
— Qu’est-ce qu’il a fait pour mériter ça ? Demanda-t-il.
— Ceci n’est pas une information qui te sera utile pour remplir ta mission. Au travail soldat. Kaiser Jugo replongea alors ses yeux dans ses dossiers comme si Egao n’était jamais entré dans son bureau. Quelque peu abasourdit, le jeune garçon balbutia un salut et sorti en compagnie de Tiger.
— Suis moi, lui dit celui-ci une fois dehors.
Le jeune nordien suivit l’instructeur jusqu’à l’armurerie. Tiger ouvrit la porte et se planta au milieu de la salle avec Egao.
— Tu as le droit de te servir, lâcha-t-il.
Tu peux emporter tout ce qui te semblera nécessaire au bon déroulement de ta mission. Tu recevras aussi une barque de qualité et des vivres en suffisance pour le voyage. La mission n’a pas de date d’expiration mais je te conseille vivement de faire au plus vite. N’oublie pas qu’il s’agit de ton test final en plus d’une mission Top Secret. Sur cette phrase, il laissa Egao seul dans la pièce.
— La barque est dors et déjà apprêtée, tu pars quand tu veux, dit-il avant de fermer la porte.
Une fois seul le jeune garçon tenta de se détendre. La mission qui venait de lui être confiée était à la fois un honneur et une horreur, et il ne savait pas encore vers quel penchant tombait son cœur. Il repensa à la localisation de la mission et ses pensées s’envolèrent alors vers Boréa. L’image de Midnight Santana s’imposa à son esprit. La commandante avait eu foi en lui, et elle faisait aussi partie de la Marine d’élite. C’était la vocation qu’il s’était choisie et il allait persévérer, quoi qu’il lui en coute.
Egao parcouru le vaste étalage d’arme que proposait la pièce et arrêta son choix sur deux dagues d’acier qu’il glissa à sa ceinture. Il y accrocha aussi une vingtaine de petits couteaux de lancer et attacha finalement une lame secrète sous sa manche au niveau de son avant bras. Une fois satisfait de son équipement il se dirigea vers la zone d’affrètement des navires de visite de l’île. Autant partir immédiatement.
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Le voyage fut beaucoup plus cours que lors de son premier départ de Boréa et Egao constata à quel point l’enseignement qu’il avait reçu lors du BAN l’avait transformé. Il atteignit les côtes de Boréa en seulement deux jours et ne rencontra aucune difficulté sur le chemin. Une fois sur place, il dissimula la barque dans un coin isolé non loin de Lavallière et se dirigea vers la ville.
Egao évita les hérauts de l’aurore et se fondit dans la masse de la population. Il avait déjà pris soin d’étudier la carte de Lavallière lors de ses cours particuliers avec Tiger et il se demandait maintenant si le vieil instructeur n’avait pas prévu le coup depuis un bon moment. Le quartier des écluses était une zone peuplée non loin du port de la ville. Dans le souvenir qu’il gardait des explications de Tiger, il s’agissait d’un quartier de classe moyenne où régnait peu d’agitation.
Le garçon chercha une boulangerie des yeux, se demandant comment il s’y prendrait pour savoir s’il s’agissait du bon établissement. Après seulement quelques minutes de recherche il tomba sur un bâtiment sobre arborant une impressionnante vitrine de pâtisseries en tout genre. Sur le dessus de la porte, un panneau délavé indiquait « Connery : Au royaume de la baguette ».
— Eh ben je m’en faisais pour rien… marmonna-t-il.
Il entra dans la boutique avec son air le plus jovial.
— Bien le bonjour ! L’accueilli immédiatement la copie conforme de la photo que Egao avait vue dans le dossier bleu.
Que puis-je faire pour vous mon petit monsieur ? Constatant qu’il s’agissait bel et bien de sa cible et jugeant qu’il avait toutes les informations nécessaires, Egao acheta simplement une pâtisserie qu’il dégusta ensuite dans la rue. La journée était déjà bien avancée et la nuit n’allait pas tarder à tomber. Il savait à présent ce qu’il devait faire.
Le jeune nordien se hissa sur le toit du bâtiment d’en face et attendit patiemment la fermeture de la boulangerie. Quand il vit sa cible fermer derrière lui et partir, il la fila sans un bruit. Le boulanger s’arrêta une centaine de mètres plus loin et entra dans sa maison et Egao patienta plusieurs heures, le temps de voir la lumière de l’habitation s’éteindre et attendant que sa cible s’endorme. Il crocheta alors la serrure et pénétra silencieusement dans la maison.
Le boulanger était endormi dans son lit et ronflait bruyamment. Egao s’approcha et sorti l’une de ses dague, l’approchant de la gorge de la victime. Le jeune garçon savait qu’il s’agissait du dernier moment où il pouvait encore faire marche arrière et tout abandonner. Mais l’idée de revenir annoncer son échec à ses supérieurs le révolta. Après tout, si cet homme avait été désigné comme cible par la Marine, c’est qu’il devait le mériter.
Conscient qu’il commettait là un acte qui allait changer sa vie entière, Egao trancha la gorge de Ethan Connery, le tuant proprement dans son sommeil.
Le sang coulait sur les draps du lit et Egao comprit qu’il venait de faire une erreur monumentale. Tellement absorbé par le duel qui faisait rage dans sa tête sur l’idée de commettre ou non un assassinat, il en avait négligé la suite de son plan. L’ordre de mission stipulait clairement que le corps de la victime ne devait jamais être découvert et Egao se retrouvait donc avec un cadavre et des draps ensanglantés sur les bras. Tentant de maitriser sa panique, le jeune garçon fouilla la maison dans l’espoir de trouver une idée pour se sortir de là. Il repéra alors deux énormes sacs de farine dans la cuisine et un plan germa dans son esprit.
Muni de l’un des sacs pratiquement vide, il lutta pour y entrer le corps du boulanger ainsi que les draps tâchés de sang. Par chance la lame aiguisée de sa dague avait permis à la blessure de ne pas trop saigner et le matelas n’avait pas été touché. Il entreprit ensuite de fouiller la garde robe pour refaire le lit afin de tromper d’éventuels enquêteurs et fourra la clé de la maison dans sa poche. Personne ne penserait alors que l’homme était bel et bien arrivé chez lui après son travail et les autorités allaient certainement conclure à une simple disparition.
Une fois revenu dans la cuisine, Egao transféra le reste de la farine d’un sac à l’autre et recouvrit ainsi le corps du boulanger. Sachant que le subterfuge ne résisterait pas à l’ouverture du contenant, le sac dans lequel le corps se trouvait ressemblait à présent à s’y méprendre à un sac de farine normal. Du moins en apparence extérieure.
Egao sorti le sac par la porte d’entrée, refermant à clé derrière lui. Son objectif était d’atteindre le port et de jeter le tout au fond de l’eau avant de quitter la ville. Il fallait qu’il fasse vite et qu’il évite de se faire repérer par tous les moyens.
Alors qu’il était à quelques centaines de mètres d’atteindre le port, une patrouille de hérauts de l’aurore arriva dans sa direction. Pris au piège, Egao senti la peur resserrer peu à peu l’étau sur son estomac. Il n’avait aucun moyen de les éviter et transporter le sac jusqu’ici, malgré l’entrainement intensif qu’il avait reçu au BAN l’avait fait transpirer à grosses goutes. Il prit alors son courage à deux mains et tenta le tout pour le tout :
— Eh ! Eh ! Messieurs ! Cria-t-il aux hérauts qui arrivaient vers lui.
Les hommes se rapprochèrent alors méfiant, puis se détendirent quand ils virent qu’ils avaient à faire à un jeune garçon d’une petite quinzaine d’années.
— Qu’est-ce qu’il y a mon gars ? Demandèrent-ils en observant le sac que Egao transportait avec curiosité.
— S’il vous plait messieurs, implora le jeune garçon de sa voix la plus innocente et angoissée.
Je devrais déjà être chez moi depuis des heures mais mon chariot s’est cassé en route. Je suis presque arrivé chez moi mais je suis à bout de force et si je ne ramène pas le sac de farine à mon père avant de rentrer il va être furieux. Comme vous êtes des hommes forts je me demandais si vous pourriez m’aider…L’audace dont il faisait preuve épatait Egao lui-même. Mais dans tous les cas, si les gardes avaient posé des questions il aurait été découvert. C’était le moment de profiter de son âge, pour une fois que ça allait lui être utile.
Les hérauts rirent entre eux.
— T’inquiète mon gars, on va te donner un coup de main, firent-ils en se saisissant du sac.
Où veux tu qu’on te dépose ça ? Egao les guida jusqu’à une petite habitation à moins d’une dizaine de mètres de la jetée. Une fois arrivé à destination, il remercia chaleureusement les gardes pour leur aide et leur gentillesse et affirma qu’il rentrait se coucher en entrant par la porte de derrière. Pas un seul des soldats ne remarqua la nuque trempée de Egao ni les énormes gouttes de sueurs qui parcourait son front tout au long de la marche. Si le sac s’était rompu ou si un soldat avait senti le corps à travers la farine, s’en aurait été fini de lui. Une fois qu’il fut certain que les hommes s’étaient éloignés pour de bon, le jeune garçon traina une dernière fois le sac vers le bord du quai, ajouta toutes les pierres qu’il trouva à proximité dans ledit sac pour faire bonne mesure et jeta le tout dans l’eau le plus délicatement possible. Il se fondit alors une nouvelle fois dans l’obscurité et sorti de la ville.
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Le retour vers l’île du BAN fut aussi rapide et calme que l’allé. Lorsqu’il se retrouva seul en mer, le stress retombé et sa mission accomplie, Egao sorti la clé qui était toujours dans sa poche et l’observa. Dorénavant, il était un soldat au service de la Marine. Si on lui donnait l’ordre de défendre la veuve et l’orphelin, il le ferait le cœur empli de joie. Si on lui ordonnait d’assassiner un homme, il le ferait le cœur triste. Mais son devoir passerait avant toute autre chose. C’est la promesse qu’il se fit à lui-même en jetant la clé dans les profondeurs de l’océan, afin qu’elle rejoigne les secrets que les générations d’hommes et de femmes avant lui avaient déjà confié aux abysses.
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— Travail superbement exécuté mon garçon, le félicita Tiger lors de son compte rendu.
Je n’en attendais pas moins de ta part.Le commandant Jugo approuva d’un hochement de tête et tendit là main à Egao.
— Bienvenue dans la Marine d’élite soldat. Le garçon serra la main du commandant qui retourna ensuite s’asseoir à son bureau.
— Dorénavant vous faites officiellement partie de la Marine. Vous aurez donc droit à tous les avantages et privilèges qui se rapportent à votre grade. De plus aucune affectation particulière ne vous est imposée pour l’instant, vous avez donc droit de parcourir les Blues à votre guise afin d’intervenir là où vous le jugerez nécessaire. N’oubliez cependant pas que vous restez à la disposition de la Marine qui pourra faire appel à vous à tout moment. Egao s’inclina devant son supérieur, le regard neutre.
— Merci mon commandant.