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Les trois font la paire

Suite des événements joués ici.



***



- T'sais Biutag....

- Capitaine Biutag !

Il y tenait. Brandissant son index, visage légèrement grimaçant après avoir rectifié son compère, ledit capitaine insistait de sa voix nasillarde pour qu'on s'adresse à lui en ces termes, lui, capitaine sans équipage et sans honneur.

- Si tu l'dis....

Machinalement, le Punk s'alluma un bâton à cancer et en savoura la première bouffée. Cela faisait à peine quelques heures qu'il s'encanaillait auprès du cafard, tous deux ayant fui Clockwork Island à bord d'une modeste embarcation, et déjà, il arpentait les méandres de la folie constituant l'inconséquence de son compagnon de cavale. Ce dernier lui avait fait état d'un plan dont lui seul avait le secret.

- J'disais donc... T'sais, j'ai pas mal fréquenté les autres loqueteux de la Flaque, ceux que t'as vu tout à l'heure. Des types pas franchement malins, mais qui savaient s'y prendre pour trouver du fric. J'en ai entendu des conneries venant d'eux, mais y'en a pas une qui rivalisait avec c'que tu viens d'me dire.

Aussitôt ces griefs exprimés, aussitôt Mahach vit de près l'escargophone noir que Joe lui flanqua contre le nez. C'était avec pareil engin que le cafard avait intercepté plus tôt une conversation des plus intéressantes. Il fallait croire que le sujet abordé avait été si captivant qu'il valait la peine que les deux fugitifs fassent demi tour. Sur Clockwork Island, suite à leurs méfaits, si ce n'est un lynchage en bonne et due forme, rien de franchement concluant ne les y attendait. Malgré cela, le plus cupide des flibustiers ne manqua pas de presser son punk de camarade.

- Mahaaaaaach ! Tu ne sais donc pas déceler le génie là où il se trouve ?! Un plan en or que je te dis ! Et je te parle d'or serti de diamants enrobé dans la soie. On y retourne, une opportunité comme celle qui nous attend là-bas, on n'en aura pas deux !

C'était peu, et pourtant, c'en était déjà trop. À pleine poigne, l'homme-baie se saisit du visage de Joe et, y enfonçant ses doigts, suréleva le sournois de service de près d'une vingtaine de centimètres par rapport au pont. Se débattant tant bien que mal, proie à l'agacement d'un ancien Saigneur, le "capitaine" ne faisait pas le poids.
Aigri mais calme, Mahach tira sur sa cigarette avant d'en expulser la fumée au visage du cafard.

- Réussir à s'tirer d'Clockwork après la merde dans l'quelle on était empêtrés, ÇA c'est une opportunité qui ne se présente pas deux fois. Alors on déguerpit, on se contente de c'qu'on a, et on verra après.

En fâcheuse position, position d'ailleurs inconfortable alors qu'il était suspendu de la sorte, Joe fit ce qu'il savait faire de mieux dans l'adversité : ricaner.
Gueule enserrée par la poigne de brute du punk, le cafard trouvait encore moyen de fanfaronner. Mais pour toute personne ayant été amenée à le fréquenter ne serait-ce que quelques heures, ce rire narquois n'avait rien de rassurant et s'annonçait précurseur d'un désastre. De par sa faiblesse manifeste, le cafard ne pouvait survivre à ses contemporains qu'en ayant un coup d'avance sur eux. Un coup qui prenait toujours violemment ses ennemis au dépourvu.

- Qu'est-ce que t'as à t'marrer cafard ?

En guise de réponse, le rire du forban s'accentua jusqu'à virer à la démence. L'hilarité était telle que Mahach mit quelques secondes avant de percevoir un son manquant de le faire tressaillir. De l'eau s'engouffrait dans la cale. Il le remarquait à présent, la proue côtoyait de plus en plus près ces vagues si légères, et pourtant, si menaçantes pour lui.
Relâchant soudain son étreinte, le punk commençait à paniquer en son for intérieur. Une fois leur embarcation sous les flots, Joe parviendrait toujours à retourner à la nage sur l'île dont ils percevaient encore certains bâtiments au loin. Condamné qu'il était par la malédiction des frugivores endiablés, Mahach n'aurait pour sa part aucune chance.

- J'en reviens pas.... T'as sabordé ce putain de bateau avant même de m'exposer ton plan...

S'essuyant la bouche d'un revers de la main, Joe abordait encore ce léger rictus de satisfaction, bien que ce dernier s'estompait peu à peu. C'est en allant chercher l'escargophone noir et en ayant intercepté cette conversation capitale qu'il en avait profité pour ouvrir une brèche dans la coque afin de contraindre Mahach d'accepter de faire demi-tour.

- On ne se connait pas encore très bien tous les deux, aussi.... j'avais peur que tu sois assez con pour répondre à la négative quand je t'aurais exposé mon plan.

Sa peur avait été motivée à juste titre.
Bien vite, la sournoiserie fièrement affichée par le forban laissa place à une grimace dédaigneuse. Son nez se renfrogna tandis que sa lèvre supérieure s'éleva légèrement pour appuyer l'arrogance et la hargne dont il était si coutumier.

- Jamais je propose ! Jamais je négocie ! Jamais je ne convie ! Naaaaan... Moi, j'exige, j'ordonne, et j'obtiens ! Quand je parle à l'impératif, c'est pas pour donner un conseil. Fous-toi ça dans le crâne, tu vivras plus longtemps.

Échauffourée physique, menace à peine voilée, c'était une collaboration pour le moins houleuse qui s'annonçait entre les deux hommes. Tel était le prix à payer lorsque deux personnalités aussi fortes que la leur se confrontaient. L'une cherchait irrémédiablement à prendre le dessus sur l'autre, telle était la nature humaine si tant est qu'il y avait quelque chose d'humain en eux.
Se pressant jusqu'à la proue après cette démonstration de mesquinerie, Joe prit la barre et fit volte face au plus vite pour retrouver cette contrée mortifère qu'ils avaient pourtant quitté avec hâte.

- Clockwork Island, nous revoilà Yahinhinhin !



Dernière édition par Joe Biutag le Ven 20 Jan 2017 - 10:36, édité 2 fois
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- Putain d’bordel de merde ! C’est que tu veux nous faire calancher, Biutag ?
- Capitaine Biutag !
- Ouais, c’est ça.



On s’est mis à manœuvrer tous les deux, un demi-tour brutal. Je soufflerais dans les voiles si ça nous permettait d’aller plus vite ... jusqu’à notre mort.


- Il est où ton impératif là ? Hein ? Assure-moi que je vais pas crever !
- Ta gueule et fonce sur Clock Work !
qui me beugle, presque énervé. Ou impatient. Pas sûr qu’il mesure le danger quand du fric est en jeu.
- Mais c’est ce que je fais, j’te signale ! Même si j’suis pas très sûr de la façon dont je veux crever. Rhaa bordel ! Tu mériterais tellement -mais tellement- que je prenne la direction opposée ! Que même toi tu t’épuises à nager sans jamais retoucher la côte !


Il se retourne, l’air amusé mais méchamment, il me fixe droit dans les yeux. On dirait une teigne survoltée.


- Ah ouais ? Bah vas-y. Fais-le !


Je le fusille du regard, les dents serrées. Après quelques secondes à lui tenir tête, je grogne un coup.


- Je préfère encore me donner une chance contre les amphibiens. Je pourrais p’t être en cogner quelques uns pour m’défouler avant d’passer l’arme à gauche.


Son sourire montre toutes ses dents maintenant. L’est vraiment flippant ! Et il prend même pas la peine de me regarder pour me répondre sèchement :


- Hmpf. Pisseuse, va !


Putain ! Je sais pas ce qui me retient de l’exploser sur place ! Ah. Si. Je sais. Le fait qu’il soit plus taré que moi, qu’il peut me péter à la gueule en moins de deux, et accessoirement, le fait qu’il peut me sauver la mise ... avant de me refoutre les deux pieds dans la merde. Du coup, je fais que resserrer mes pognes sur le gouvernail. Et même à lui je peux pas lui faire du mal, j’en ai encore besoin. Et ça, ça me fout encore plus en rogne ! J’aime péter quelque chose dans ces cas là -du matos ou des gueules- du coup c’est encore plus frustrant quand je peux pas.


Bon. Sinon. Plus ça va, plus le rafiot se traîne. Bah ouais, faut pas être con, il ira moins vite s’il a le bide blindé de flotte. Alors même les voiles grandes ouvertes, je parierais pas qu’on arrivera à bon port. Haha, putain d’ironie. Comme si celui de Clockwork pouvait être le bon ...


Quoi qu’il en soit, plus personne ne parle à bord. On entend que le bruit de la mer qui se brise sur la coque et le glouglou de l’air qui se débine dans la flotte. On a le glas ou le requiem qu’on mérite ...


Il nous faut un peu moins d’une heure pour qu’on voit enfin cette île de malheur grossir à l’horizon. Nous, on essaie de pas trop s’y dérober, à l’horizon, même si rien n’est fait pour. Ma colère a fait place au stress. Ouais, je crois qu’on peut dire que j’ai les miquettes de crever connement. Et je crois aussi que c’est la première fois que je prie. Pour m’en sauver indemne. Bon, j’ai déjà bouffé une partie des parois de la Flaque à grands coups de rapides dans la gueule et j’y ai survécu, mais mon corps s’en souvient. Tu sais, cette vieille douleur qui revient parfois. Ouais, celle là.


Heureusement, la nuit est tombée. Les ruelles à moitié inondées ne sont plus aussi bondées et les connards de cette île ne s’attendent pas à notre retour. Encore moins à notre retour aussi rapidement.
Quand on s’approche du port, la quille est à moitié pétée, le pont effleure presque la surface de l’eau. C’est putain de dangereux, mais on a pas réduit l’allure, sinon le rafiot aurait eu vite fait de couler sur place. Du coup, il reste sacrément ralenti quand même mais on arrive à temps.
Je prends les choses en main : avec un peu d’élan grâce à plusieurs rebonds de mes baies, je saute sur un navire pas loin du nôtre en train de couler sérieusement. Je dis à Joe de me rejoindre à la nage avec le Den den noir. Notre moyen de se tirer d’ici n’a pas notre chance : il n’atteindra jamais le port. Du moins, pas à la surface. Espérons qu’il ne percute aucun bâtiment, même si ça leur ferait les pieds à ces connards de poisseux hahaha !
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Clock Work, damnée île pour les grailleurs de fruits démoniaques. De la baille partout, on pourrait s'en noyer rien qu'en apercevant la quantité de flottes envahissant les lieux. Un seul faux pas, et me voilà à couler jusqu'au fond de l'eau comme une vulgaire enclume. J'ai horreur de cette sensation. Foutus chiards de chasseurs de primes, ils pensaient me faire une fleur en déposant mes miches ici. Ils m'ont condamnés les troufions, et ils paieront. Seul, sans moyens de naviguer un de ces engins maous comme un beuglant, il m'est impossible de quitter cette saloperie d'île. Je m'envoie une rasade de tord-boyaux au fond de la gargue. Quitte à crever de noyade, je préfère que ce soit par la gnôle. J'ai trop peu de berrys pour m'offrir une traversée, et je n'aurais pas l'aubaine de rejoindre l'île suivante gratuitement avec la Translinéeene. Ils doivent avoir ma sale tête de lard bien en portrait maintenant, je me ferai castagner à peine aurais-je pointé le bout de mon naseau.

Chienne de vie !

Que j'expulse un glaviot au sol, avant d'enquiller quelques gorgées du mazout dérobé tantôt. C'est là que mes châsses partent en couilles. Y'a un pendard qui déboule pas loin de moi, descendant du rafiot à côté duquel je chauffe le four. Je le zieute méfiant, lui et sa sale caboche. Il a la calebasse du zigue qu'il faut pas asticoter, dégage quelque chose de mauvais. Il fait pas attention à moi, qui le mire tout du long, les mirettes bien accrochées sur sa silhouette de forban. La cafetière qui s'illumine soudain, je viens d'avoir une foutue idée merdique. Une raclure dans son genre doit forcément savoir comment décarrer d'ici sans encombre, suffit de lui poser la question. Je m'avance vers lui tout en m'humectant la dalle une nouvelle fois, la dernière faut croire. A sec. Mortecouille. Rendu à sa hauteur, j'ai pas le temps de l'ouvrir qu'un autre peau de con sort le fion de la baille pour nous rejoindre. J'ai la fiole qui se déforme, envie de lui beugler de foutre le camp de là, mais quelque chose me dit qu'ils sont ensembles.

Foutrebleu... ! Joe Biutag ! Sale enfant de chienne ! Parbleu, comment un trou de balle, une raclure de pelle à merde de ton espèce a pu atterrir ici sans caner ?!

Furibard est Balior, cette fesse d’huître et moi avons de vieux comptes à régler, mais jamais je n'aurai cru que cette rognure d'abattoir survivrait assez longtemps pour que je puisse le foutre en pièces. C'était presque inespéré comme aubaine. De ma pogne, je le salut d'une bouteille projetée en direction de sa sale binette de rossignol à gland. J'le reluque. Il a pas changé depuis le temps, sa casaque de lâche a peut-être pris un peu de volume. Toujours la même sorbonne de sournois, le même air vicelard. Avec l'autre gusse, ils ont l'air de bien s'être trouvé chez les saliguauds. Ils me font penser au ventru et moi, de mon temps chez les Grognards. De vraies saloperies de forbans à l'ancienne, qu'on était. Ce sera facile de le dézinguer, mais j'y prendrais plus plaisir encore que de tambouriner le fion d'une traînée. Je vais lui faire becter sa casquette par le tarin à ce fumiste !

Approche que je te tombe sur le poil, sale empaffé ! Viens te faire tamponner le lard si tes minuscules roustons ont pas déjà décarré en lorgnant sur ce qui t'attendais ! Je vais t'emplâtrer Joe !

M'a foutu en rage le bâtard. Y'a le jus qui bouillonne à l'intérieur et ma trogne qui se déforme sous la rage. Furibard est Balior.
    - Joe Biutag !

    Par une nuit claire, la racaille était de retour. Comptant sur la discrétion que leur conférait les ténèbres apparents du voile nocturne dans lequel ils étaient drapés, Mahach et Joe furent importunés par la variable C qui leur tomba dessus sans prévenir. C pour Casse Couille. Incapable de déterminer d'où était venu ce cri du cœur, le cafard, nerveux, scruta les environs sur 360 degrés, manquant de se rompre le cou tant il bougeait la tête rapidement.

    - Eh mais... On m'a appelé là ! J'ai pas rêvé ?!

    Haletant déjà, il s'était attendu à ce que les locaux furent disposés à l'alpaguer et l'écorcher vif, mais jamais il n'aurait cru qu'on le repère à peine débarqué sur les quais miteux de l'île.

    - Sale enfant de chienne !

    - Ah ouais, y'a pas de doute, c'est bien d'toi qu'on cause.

    Difficile à brimer mais rancunier, Joe, sans même adresser un regard à son comparse lui écrasa les orteils d'un violent coup de botte menant Mahach à se mordre la lèvre pour mieux retenir le flot continue de colère qui sommeillait en lui. Enfin, les deux forbans avaient repéré l'oiseau de mauvaise augure piaffant du haut du pont sur lequel il était perché. Ce dernier leur offrit un coup à boire à sa manière en leur balançant une bouteille en guise de salutations.
    L'obscurité présente ne facilitait pas l'identification du loustic, et pourtant, à la voix et à l'odeur, le cafard n'eut aucun doute sur l'identité de leur comité d'accueil.

    - Tiens tiens ! Je savais pas que les carcasses ambulantes de ta race pouvaient échouer si loin des Blues ! Balior, Balior... Sinistre et facétieux fils de p...

    Sa voix se faisant plus hargneuse au fur et à mesure qu'il professait ces mots, une violente claque venue heurter sa nuque mit fin à son éloquence ordurière. Mahach avait encore frappé, littéralement. D'une part, ses orteils avaient crié vengeance, mais surtout, il cherchait coûte que coûte à éviter d'attirer l'attention. Une rixe nocturne était encore le meilleur moyen de s'attirer les ennuis.

    - Mahach...! Je jure sur le saint Berry que je vaiOUuFFf.

    Sa main serrant la mâchoire de Joe afin de mieux assurer la quiétude des quais, le punk chercha à éviter l'escalade. Comme son camarade de cavale, il n'avait qu'une trouille : qu'on les repère, cela aurait impliqué pour eux une mort aussi certaine que douloureuse.

    - Toi là-haut, qu'est-ce que tu veux ?

    - Ce que j'veux ?! En voilà une question ! La raclure de bidet qu'tu tiens, je m'en vais l'chignoler au sabre comme qui faut ! Toi, tu jartes !

    Mahach laissa s'échapper un long soupir, et, de sa main libre frotta ses yeux accablés par une fatigue aussi physique que psychique.

    - J'ai beau être plutôt réceptif à l'idée, mais... Ça va pas se faire, désolé.

    Il n'avait pas livré Joe à l'incongru de service et en était le premier étonné. Le forban à casquette était son boulet, s'il venait à couler, lui même ne tarderait pas avant de sombrer aussi profondément. Dans les circonstances les plus désastreuses, se débarrasser d'un camarade, même de la pire des ordures, était un luxe qu'il ne pouvait s'offrir.
    D'un bond, le vieillard posté sur le pont du vaisseau atterrit face au punk le défiant de sa face d'ivrogne.

    - Mets les voiles têtard. Le toutime, ça m'regarde, alors décloue des quais et fais toi forer le fondement.

    Balior et Joe étaient du même moule, un moule à cons dont on avait fort heureusement stoppé l'exploitation. Commençant à le réaliser, Mahach, pirate de son état se sentait captif d'une flibuste alternative, non pas celle des braves mais celle des caves. Des caves qui, insignifiants au premier coup d'œil, s'avéraient représenter la part la plus nocive de ce que la piraterie avait à offrir.

    - Bon allez... J'ai été diplomate pour la forme, maintenant t'vas morfler.

    Tout prudent qu'il avait été, un pirate restait un pirate. On ne pouvait souffler dans les bronches du punk impunément. Quelques phrases bien tournées ne vaudraient jamais un bon coup de pied au cul pour remettre les idées en place. Ça, les trois forbans le savaient.
    Lâcher la mâchoire du cafard un instant fut néanmoins préjudiciable, ce dernier ne manqua pas de trifouiller immédiatement dans son épais manteau, en sortant deux mousquets qu'il pointa sur ses contemporains.

    - Putain Joe, mais tu t'arrêtes jamais ?

    - Quand un monsieur te pointe avec un ustensile comme ceux que je tiens TU FERMES TA GUEULE !

    Contrarié, il l'était. Deux fois tenu en respect par Mahach en moins d'une heure, la vexation avait mené Joe à la rancœur. De toute manière, tous les chemins le menaient à la rancœur, il ne lui fallait pas de raisons pour tuer, mais des prétextes.
    Avisés mais teigneux, les deux forbans ainsi maintenus en joue levèrent les bras.

    - De toute façon tu tir'ras pas.

    Le cliquetis du silex de l'arme pointant Mahach se fit entendre.

    - Yahinhin ! C'est plutôt ironique comme derniers mots tu crois pas ?!

    Nerveux et lui aussi à fleur de peau, le cafard ne bluffait pas. Tenter de le ramener à la raison était vain. Une seule chose en ce bas monde pouvait encore tempérer ses ardeurs meurtrières.

    - Sans moi, ton plan tu peux t'le mettre au cul, et les berrys avec.

    Figé avec son rictus, Joe n'avait pas pu dissimuler à quel point il avait été pris au dépourvu. Son compère le tenait par la bourse. Rien ne valait les berrys pour désamorcer bien des massacres. Comme la paix sociale, le psyché de Joe ne tenait debout que grâce à l'argent roi.

    - Minute tas d'jouvencelles ! Si on jacte grisbi j'en suis !

    Le cliquetis se manifesta cette fois du mousquet pointé sur Balior.

    - Des clous. Toi je te plombe et c'est marre.

    - L'bute pas. De c'que tu m'avais rapporté, la conversation qu't'as interceptée parlait d'trois gusses non ?

    Armes résolument pointées en direction des deux forbans, Joe pencha la tête en avant et soupira d'exaspération. Mahach passait encore, mais le vieux boucanier serait une épine dans le cul dont il voulait se passer. Pesant le pour et le contre, le berry prenait toujours le dessus. Le punk comme Balior furent épargnés.
    Ayant cru un instant que Joe tirerait, Mahach s'offrit une nouvelle cigarette pour tempérer son anxiété.

    - Par contre la prochaine fois qu'tu m'braques ça va mal aller...

    - La prochaine fois que je te braque je tire sans sommation con de punk.

    - Gya-ha-ha ! Abonné à la puterie ! Tu changes pas !

    Joe rangea ses armes, alors emmitouflées dans son imperméable sale imprégné d'une odeur de poudre.

    - Que veux tu, j'ai appris à bonne école.



    ***



    Une demi heure. Il leur avait fallu une demi heure pour expliquer ledit plan à leur nouvelle greffe. Aviné et peu perspicace, Balior avait été difficile à instruire quant à son rôle dans l'affaire. Toutefois, il fit un effort. Même lui comprenait à quel point l'entreprise était cruciale et lucrative.

    - Que j'perde pas l'Nord... On choure leurs frusques et on attend juste que l'autre zig se pointe gentiment pour nous filer l'barda ?


    Déglutissant dans un "glouglou" aussi sonore qu'irritant, le cafard reposa la bouteille que sa nouvelle recrue avait laissé traîner sur le pont du vaisseau où ils s'étaient réunis afin de discuter affaire. Terminant sa rasade, Joe s'essuya la bouche du revers de sa manche.

    - C'est l'idée.

    - Putain mais c'est simple... On t'a dit qu'on avait capté une conversation entre révos avec l'escargophone noir de l'autre buse.

    - Alors toi déjà tu vas me causer meill....

    Sans s'interrompre et ignorant proprement les éructations frénétiques du cafard, Mahach poursuivit malgré le bruit de fond.

    - À Mandel Street, en périphérie, y'a trois couillons qui attendent une livraison sur le toit d'un bâtiment immergé. Le type qui leur amène notre cadeau est pas d'ici et viendra seul. On prend leur place à eux après les avoir butés, et on réceptionne.

    - Ouais ouais.... Mais j'capte pas pourquoi ces bites de clown filent pas l'coffret directement à leurs pisseux de chefs !

    Silence dans l'assemblée. Balior entre deux répliques à écorcher les tympans avait su faire preuve d'une réflexion insoupçonnée de sa part.

    - Bon, je suis pas un cador en révolutionneries et autres facéties de lopettes, mais pour avoir pas mal traîné mes guêtres dans le coin, je sais qu'ici, les chefs révolutionnaires sont planqués pour pas être attaqués. Ils passent par des tas d'intermédiaires pour qu'on remonte pas jusqu'à eux. Donc le type venu livrer aux trois révolutionnaires qui attendent, il entrera jamais en contact avec les grands manitous.

    Après ces suppositions pertinentes, Joe ingurgita une nouvelle coulée de rhum pour se huiler les méninges.

    - Y'a même fort à parier que les trois autres loques devront transmettre le coffret à un autre type, qui le refourguera à un autre, et ainsi de suite.

    - Ça s'tient.

    - Gya-ha-ha ! Avec moi, ces chacals vont cracher les biftons sans même chercher la chicane !

    Mahach et Joe s'observèrent en coin. Ni l'un ni l'autre ne recherchait le combat. L'idée était de tuer les trois révolutionnaires censés réceptionner le colis précieux, se faire passer pour eux, récolter le pactole sans altercation et se tirer avec.

    - Ouais... À s'propos... C'est pas du pognon.

    L'entrain habituel du vieillard se tarit soudain.

    - D'la gnôle ?

    - Non plus.

    - Un fruit du démon Balior. Avec mes réseaux, on peut refourguer ça pour cent millions si on se démerde bien.

    Assis à même le pont d'où avait tantôt sauté Balior, les trois flibustiers se représentaient déjà la petite fortune qu'ils obtiendraient suite à ce plan beaucoup trop simple pour être réel. Après avoir récapitulé le plan encore et encore jusque dans les moindres détails, on trinqua à une richesse prochaine. La transaction aurait lieu à l'aube, le tout était de se reposer jusqu'alors.
    En aparté, alors que Joe s'était endormi, exténué par ces derniers jours riches en émotions, Mahach s'en alla faire la connaissance du vieux forban.

    - Dis-voir, t'as vite mis tes différends de côté quand t'as entendu parler pognon. Faut croire que tu lui en voulais que pour des broutilles à l'autre cafard non ?

    Alors, le visage de Balior devint grave, d'un marbre indestructible que même un obus n'aurait pu égratigner. Pour le mettre dans cet état, le punk en déduit que le mal entre Joe et l'alcoolique était peut-être plus profond qu'il ne l'aurait cru. Après tout, le cafard avait l'art et la manière de contrarier son monde.

    - D'toi à moi, une fois que j'ai mon blé, je m'en vais escoffier cette petite chiure de mouche.

    Plus tôt, discrètement, Joe avait confié à Mahach qu'il ne partagerait pas la recette en trois, suggérant très fortement certains projets cruellement déterminés concernant l'ancien. C'était une collaboration maladroite qui s'annonçait. Maladroite et sanglante.


    Dernière édition par Joe Biutag le Ven 20 Jan 2017 - 11:05, édité 7 fois
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    Bon. La situation change un poil. Je reprends espoir. Un peu. Même si la boue dans laquelle le Cafard m’a foutue est montée jusqu’au genou avec l’arrivée du troisième larron. Mais ça reste une bonne chose dans le fond : on voit enfin le bout du tunnel. C’est pas le partenaire rêvé mais il fera l’affaire puisqu’on devra être trois. Reste plus qu’à traverser ce putain de tunnel boueux pour atteindre la lumière du jour qui a enfin daigné se montrer. J’y croyais plus. Je pourrais même sentir le courant d’air frais me caresser les joues, celui qui transportent des odeurs de sous-bois quand tu croyais plus sortir de ce merdier. Et ben ce petit vent bien agréable me fait même un peu tourner la tête. Il me donne des idées qui demandent qu’à être mises en place.


    Ouaip. Je vais planter ces deux zigs et me tirer avec le fric. J’en connais une qui sera contente. Quoi que. Elle pourrait tout aussi bien me casser les couilles en me demandant d’où il provient ... Teh, comme si elle n’avait rien fait de mal de sa vie ... Pis au fond, il sera pas si sale que ça.


    M’enfin, on y est pas. Pas encore.


    - Allez. Bougez votre cul, que je leur dis.
    - Oï, gamin ! T’es qui pour m’jacter sur c’ton ?
    - Vous voulez que j’vous serve le thé en attendant les premiers rayons du soleil p’t être ?
    - L’a raison. Plus vite on part ...



    Ah ! Tu m’étonnes ! Dès qu’on parle pognon, le Joe fait preuve de toute la meilleure volonté du monde ! D’ailleurs, je vais devoir m’en méfier quand je les doublerai ... Faut pas que je lui laisse la moindre occasion. On choppe le fric, je lui bourrine sa petite gueule de blatte fourbe et cassos. Un lâche dans toute sa splendeur : aussi faible qu’il est pute. Mais lui a le malheur d’être putain de vénal. Et pour le vioque, j’aviserai. C’est qu’un vioque, tout ce qu’il sait faire, c’est brailler fort.

    Du coup, on commence à bouger. On quitte le port en quatrième vitesse et on choisit d’arpenter discrètement les petites ruelles autant que possible.


    - Joe, toi qu’a déjà dû faire le tour de l’île, tu sais où c’est ?
    - Ouais, continue tout droit.



    Mais faudrait pas que je me les colle tous les deux à dos. Pour le moment, on est assez divisé, faut que ça reste comme ça. Diviser pour mieux régler. Ou baiser. La somme aussi faudra la diviser, et malgré ce que m’a dit Joe, je vais jouer là dessus.


    - C’est bien beau tout ça. Y’a pas d’bahut au Grey T mais j’viens de l’école de la rue, ou plutôt du dépotoire. Toujours est-il qu’on m’a appris à compter sur des biffetons. Bah cent millions, ça se partage pas en trois. Pas également en tout cas.


    Hahaha, ce silence ! Tu sens que j’ai mis le doigt là où il faut pas ? Là où ça fait mal ? Y’a que nos pas de velours qui résonnent un peu à cause du vide qui donne sur le flux et le reflux de la mer. Même en ouvrant la marche je les sens me fusiller du regard, je sens la tension entre eux ! Si on pouvait s’arrêter là tout de suite maintenant et se foutre sur la gueule, on le ferait. Et c’est pas parce qu’on est gentlemen qu’on le fait pas, c’est qu’on veut tous la part du lion. Intérieurement, on veut tous se tirer avec le max de blé, on cogite tous dans notre petite carafe pour planter les autres. Et je parie même que les deux crevures se disent que je suis une cible facile. Parce que je suis pas un fils de lâche -enfin si, parce que tout ce que je sais faire, c’est me foutre en rogne quand ça va pas. Et quand ça ira pas, ce sera déjà trop tard. Mais manque de bol mes cons, moi aussi je compte bien me barrer avec l’oseille. Il me doit bien ça, le Biutag.


    On n’a pas croisé grand monde, faut dire qu’on a même cherché à l’éviter, ce monde. Instant plus tard, c’est le vieux qui réagit le premier.


    - Beuh, moi j’croyais que vous marchiez tous les deux. Genre 50-50 entre vous et moi.


    Joe fait volte-fait, méchamment contrarié.


    - Je traîne pas avec lui ! Chacun sa part !


    J’étouffe un rictus sadique.


    - Et ça me semble évident que la plus grosse partie me revient, c’est moi qui ai eu l’idée !
    - Foutredieu ! Tu manques pas d’air l’arsouille ! Sans moi t’allais pas bien loin !
    - Vos gueules !
    que je tonne entre mes dents. “Mandel Street”. On y est.


    Hm ! Juste à temps ! C’est juste parfait, ils baignent dans leur jus !
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    Mandel Street, on y était. Si j'ai bien pigé le plan, y'a trois guignolos à transformer en macchabée qui attendent sagement dans le coin. On les zigouilles et on chourave leurs fringues, puis on attend qu'un autre gusse se pointe et on lui fauche le colis. Ensuite, on revend le fruit maudit et on s'en met plein les poches. J'ouvre grand les quinquets, à la recherche des carcasses à tambouriner. C'est Mahach qui les repère le premier, et nous file la direction à zyeuter. Ils ont pas l'air bien menaçants les zigues, mais sur cette foutue mer de tous les périls, j'ai appris à me méfier de tout le monde. Et surtout de n'importe qui. Si je m'écoutais, je foncerai dans le tas et les ratatinerait à grands renforts de coups de sabots bovin, mais c'est pas le cas. Fourberie et discrétion sont les maîtres mots ici.

    On se la joue à l'ancienne, le moutard ? Je capte l'attention, vous refroidissez ces pouffiasses ?Giah-ah-ah ! Gaffe à toi par contre, tu me la mettra pas deux fois à l'envers salopard.

    On est clairs là-dessus. Un autre coup foireux, et c'est ma pogne de soiffard qui va lui arracher le palpitant pour venir lui faire grailler par le fion. Maintenant que c'est dit, je laisse les deux forbans en place pour aller à l'encontre des rebelles. Démarche foireuse, chancelante, comme un véritable pochard complètement pâle des genoux. La margoulette qui s'active fébrilement, tremblotante comme le reste de ma carcasse, qui donne l'impression de subir le froid, la bibine, voir la vie en elle-même. Un vioque en fin de vie qui se réchauffe le gosier comme il peut durant ces derniers pauvres jours. Le genre de qui on ne se méfie pas, à qui on ne cherche pas de noises, et qu'on laisse s'approcher un peu trop près tellement il nous fait pitié de l'envoyer chier. Mais pas trop près quand même.

    Eh le croulant, va traîner ton cul périssant ailleurs tu veux.
    F-f-f-froid...
    Rien à foutre que tu meurs de froid, dégage.
    Surtout qu'avec tout ce que t'as l'air d'avoir picolé, tu dois pas manquer d'être chaud...
    Ayez pitiez... J-j-je m-m-meurs de f-f-f-froid..
    Bon, tu commences à me chauffer le système, tires-toi ou je t
    Yahinhinhinhin...
    Ou tu quoi ? Jacte plus fort raclure de pelle à merde, j'ai l'esgourde qui flanche ! Giah-ah-ah !
    Le vieux... 'Faut vraiment que t'essaie de l'ouvrir moins fort, l'idée c'est pas de rameuter tout Mandel Street...


    Il parle d'or, le salaud. Je ferme le claque-merde et mire autour de nous, personne. Pas un malheureux péteux qui a assisté à la scène. A mes paturons, trois corps raides. Le Cafard et le balafré sont venu les basourdir en se faufilant derrière leur dos pendant que j'attirais leur attention. On se secoue les miches et défrusque les trois zigues pour enfiler leurs fringues et devenir trois parfaits petits révolutionnaires. On fait au mieux pour s'attribuer les fringues le plus à notre taille. J'ai un pincement au palpitant quand les bâtards m' annoncent que je dois retirer mon tricorne, paraît que ça fait pas très rebelle. Je me retiens de leur distribuer des gnons à travers la fiole à ces chiassards, ou du moins les berrys le font. On attend. Pas un qui jacte. Tous qui cogitent à comment mieux la faire à l'envers aux autres.

    Y'a quelqu'un qui se ramène.
    Ce doit être notre gars.
    Je vais lui décoller les dominos de la margoulette ! Giah-ah-ah !
    Calme le vioque, tu vas nous faire une attaque.
    Il a un problème le rossignol à gland ?!
    Répète un peu enfoiré ?! Une beigne dans ta gueule tu brailleras moins !
    Fermez-la bande d'abrutis, vous voulez foutre tout le plan en l'air ou quoi ?!


    Je grogne. Il me fout furibard l'autre fesse d'huître. Y'a une furieuse envie de lui entrer dans le chou qui me prend. On se zyeute en chien de faience un moment, avant que le vilain de quatre races qu'on attendait se rapproche de trop. On calme nos nerfs pour faire face à ce qui se ramène par ici. Large d'épaule, haut de taille, fringué dans un costume que je pourrais jamais m'offrir sauf si je le fauche, les châsses à l'abri derrière des lunettes aux verres plus sombre que le fion d'un Bambarra. La tignasse taillé façon bigorneau, et de l'assurance. Tellement que ça me les brise d'entrée.
      Les parures révolutionnaires leurs allaient comme des moufles à un serpent. Un sentiment de malaise irrépressible était à prévoir si on portait le regard sur les usurpateurs. Mahach peinait à faire le fier avec sa veste trop menue pour lui arriver ne serait-ce qu'aux hanches, le pantalon, lui aussi trop court dévoilait ses chevilles velues. Il n'avait pas poussé le vice jusqu'à enfiler les chaussures assurément trop petites pour lui. Si Joe trouvait à en rire, il n'était pas le mieux placé pour se permettre telle arrogance. Même à retrousser ses manches perpétuellement, elles se retrouvaient systématiquement à pendouiller. C'était généralement ce qui arrivait lorsqu'on s'emparait de l'habit d'un long-bras.
      Imitant son acolyte de cafard, l'aîné de la bande s'était débarrassé de son couvre-chef. La coupe de ses vêtements semblait lui aller à priori lorsque le bouton de son futal fut soudain propulsé dans l'arcade du cafard qui essuya un mouvement de recul, manquant de chuter après avoir trébuché sur sa manche.

      - Bon Dieu de m... Rentre ton bide sagouin ! Pas envie qu'on se fasse repérer parce que t'as le foie gras !

      Dents toutes déployées, prunelles noyées dans un filet de veines rouges, Joe s'impatientait déjà. L'extase de l'or, la perspective de mettre la main sur un trésor, tout ça le rendait nerveux plus que de rigueur, le fait qu'ils étaient tous trois habillés comme des guignols n'aidait pas cette anxiété naissante qui l'amènerait à fauter s'il ne se calmait pas vite.
      Le punk avait repéré la jonque miteuse voguant en leur direction. Dès lors, le doute n'était plus permis, la rencontre s'avérait imminente.

      - Oubliez pas le plan, JE cause VOUS la fermez.

      - Si ça peut t'faire plaisir.

      - On avait un plan ?

      La petite provocation de Balior fit ricaner Mahach. Flibustiers jurant par la phalange et la brutalité, prendre Joe comme tête de turc était trop tentant pour eux. Ce dernier, pétri de lâcheté et prompt aux tactiques vicieuses faisait office "d'intellectuel" du groupe : l'équivalent d'un binoclard à tourmenter à chaque occasion que les circonstances leurs présentaient. Le cafard n'ayant pas manqué d'incendier verbalement le vieillard tenta de se tempérer au mieux, il n'aimait pas les grains de sable dans un rouage qu'il s'était attelé à huiler.
      Plus le vaisseau approchait pour se jeter dans la gueule du loup, plus les forbans paraissaient figés tels des statues de sel.

      C'était en effet un beau molosse qui se dévoilait à eux. Une paluche profondément ancrée dans sa poche, il débarqua avec un petit coffret dans l'autre main. Tout aussi laconique qu'il pouvait sembler, on le devinait prudent. Il balayait du regard l'horizon, scrutant chaque parcelle se dévoilant à son regard résolument planqué derrière ses lunettes noires. Tant de précautions amenèrent le cafard à se mordiller la lèvre inférieure, son regard ne pouvant s'empêcher de demeurer hostile. À croire que cela était dans sa nature.

      - Loron, au rapport.

      - La bienvenue gaillard ! On a fait bon voyage ?!

      - Balior, fils de p... Pardonne-moi d'être aussi cavalier l'ami, mais on a reçu des ordres de dernière minute. Est-ce que tu as de quoi certifier ton identité ?

      Malgré l'écart du vioque qui, avec entrain, avait désobéi d'emblée à la consigne maîtresse de son capitaine de circonstance, Joe avait su rebondir. C'était dans l'adversité qu'il se montrait plein de ressources.

      - Mon identité ? C'est une farce ?

      Homme de peu de mot, le dénommé Loron savait faire hausser la pression à chaque ponctuation. Après tout, il restait un homme de confiance de bien des pontes de la révolution, il ne fallait pas s'attendre à ce qu'il obéisse poliment à la moindre injonction du premier pisseux aux manches trop longues, manches que Joe retroussait frénétiquement.

      - On ne plaisante pas avec la sécurité par chez nous. Dernièrement, après une fouille des quais, on a mis la main sur du matériel de surveillance.

      Quelque peu ébranlés par cette révélation, Balior et Mahach s'observèrent en coin, ils s'interrogeaient du regard en se demandant ce que pouvait bien foutre le cafard qui vendait la mèche sans scrupule. Non seulement il dévoilait le pot-aux-roses, mais il poussait le vice assez loin pour exhiber l'escargophone noir à son poignet en guise de preuve.

      - .... Marine ?


      Dévoiler ainsi la manière dont il était parvenu à intercepter la conversation, en mettant ça sur le dos d'un intervenant extérieur fictif était en soi un gage d'authenticité et de crédibilité susceptible de gagner la confiance de leur livreur de fruit. Joe avait l'art et la manière d'acquérir la confiance de son prochain, ce n'était qu'ainsi qu'il pouvait trahir avec l'aplomb qui était le sien.

      - Ça pourrait être le gouvernement mondial comme ça pourrait être des trafiquants qui chercheraient à faire fortune. Si t'étais pas arrivé en temps et en heure, on aurait lancé une traque immédiate. Vu que tu t'es présenté, on est en droit d'envisager deux hypothèses.

      Retroussant une énième fois la manche de sa veste, il brandit l'index qu'il présenta à revers.

      - Uno. Tu es bien qui tu prétends être, et il n'y a pas eu d'interférence de nos communications.

      Délicatement, sournoisement même, au côté de son index, son majeur se dressa.

      - Dos.... Notre brave Loron repose en paix et nourrit la faune marine, et tu es venu pour nous éliminer afin d'être certain de n'avoir personne pour te traquer.

      Fautifs, coupables même de leur tentative de vol, les trois forbans, de par les perfides mystifications du cafard s'imposaient comme de scrupuleux révolutionnaires dignes de confiance et de respect. Du fait d'une pareille minutie et d'un méthodisme sans faille, Loron se montra bluffé. Soulevant une ride au coin de ses lèvres en lâchant un léger sourire en coin, le gaillard sortit sa main de sa poche pour se la passer dans les cheveux.

      - Pfiouuu... Vous avez pensé à tout.

      Cette simple réflexion aurait justifié que le trio de flibuste saute de joie, réaction qu'ils peinaient à réprimer en leur for intérieur maintenant qu'ils étaient persuadés d'avoir ferré leur proie. Tous faisaient déjà des plans sur la comète, réfléchissant maintenant à comment blouser leurs deux autres compères afin de ne pas avoir à partager le butin.
      C'était vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué.

      - Tout... Sauf de vous débarrasser convenablement des cadavres.

      Sûrs d'eux, presque arrogants, le mot "cadavre" fit tirer une grise mine aux trois pirates. De son doigt, l'unique révolutionnaire présent sur la plateforme émergée de Mandel Street pointa les flots rougis entourant le toit du bâtiment sur lequel ils étaient perchés.

      - Enfer et damnation... Putain de géronte à la manque ! Où est-ce qu'on t'a appris à planquer des corps ?!

      Foutu pour foutu, le cafard n'hésita pas à griller sa couverture qui ne couvrait d'ailleurs plus grand chose. Haranguant déjà comme un fou furieux le vieillard, il pointa à son tour du doigt les trois cadavres en caleçon-chaussettes flottants suspects autour du lieu de transaction. Après les avoir massacrés, Balior, désinvolte, s'était contenté de les jeter à la flotte sans se soucier des conséquences, se voyant déjà riche.

      - Houspille pas tes aînés lavette ! Surtout quand ils peuvent de décalquer les mandibules d'une pichenette ! Où voulais-tu que je carre ces bons à rien ?! T'avais qu'à l'faire si c'était si facile !

      L'engueulade dura le temps qu'elle devait durer, jusqu'à ce que le souffle manqua aussi bien au cafard qu'à son vioque de compère. Le temps durant, Mahach et Loron étaient restés immobiles, à s'observer, gênés de la scène aussi bien que de la tournure des événements, arborant un silence de recueillement alors que les deux autres s'attelaient à enterrer toute forme de dignité en s'écharpant comme les gosses mal élevés qu'ils étaient.

      - haaa haaa Tu sais quoi ? haa haa C'est pas grave haaa haaa Parce qu'on passe au plan B !

      Nonchalant, le punk s'était allumé une cigarette au milieu du tumulte, il tilta enfin lorsqu'on lui parla du plan B, semblant plus porteur que la déconfiture qu'ils venaient de subir.

      - Le plan B ?

      - B comme Balior Blackness !

      - B comme Biutag !

      - T'parles, B pour branleurs plutôt...

      Tout contrits qu'ils étaient à l'heure actuelle, la joyeuse troupe réinvestit aussitôt dans son capital vigueur, se débarrassant des frusques volés qu'ils avaient enfilés par dessus leurs accoutrements réguliers. Tricorne vissé sur le crâne de l'ancien, casquette sur celle du cafard, les choses sérieuses allaient pouvoir commencer. Poli, ou plutôt sûr de lui, Loron posa son coffret précieux à terre. Il avait besoin de ses deux mains pour applaudir.

      - De toute évidence vous êtes pas du Cipher Pol. Félicitations pour être arrivés jusqu'ici, vous verrez qu'il n'y a pas de honte à vous faire crever par plus fort que vous.

      Il n'en fallait pas plus pour heurter l'orgueil des trois boucaniers. En révolutionnaire chevronné, le lascar savait gérer ce genre d'olibrius, provoquer pour les mettre en colère et les pousser à la faute était encore la meilleure solution pour s'en occuper.

      - M'parole, quand on a une grande gueule comme l'tienne on va tailler des pipes, on joue pas les caïds.

      - Dites-voir, les pirates c'est juste de la gueule où ça sait aussi se bat...

      Loron eut sa réponse avant même d'avoir achevé sa question. D'un mouvement aussi vif que soudain, il avait évité la balle de plomb qui avait manqué de heurter sa tempe. Tournant la tête légèrement surpris, le cafard le pointait d'un canon de mousquet fumant, la hargne dégoulinant de son visage. Retors comme à son habitude, lui n'aboyait jamais avant de mordre.

      - Mahach ! Place-toi derrière et coupe-lui la retraite. Balior, mets-toi à  droite, faut qu'on l'attaque sur trois fronts.

      - Déjà, de un pour commencer tu m'donnes pas d'ordre quand il s'agit de castagne !

      - Sa droite à lui ou à moi ? Mordiable c'est lequel de côté la droite déjà ?!

      Général d'une armée d'incompétents et d'indisciplinés, Joe n'avait pas pensé à un plan de combat préalable. Lui aussi avait eu la prétention de croire que son plan se déroulerait sans accroc. Vœu pieu s'il en était.

      - Obéissez tas de gogols !

      Impassible, immobile, mains dans les poches toujours, le révolutionnaire ne semblait pas impressionné pour un sou de la tentative de stratégie qui s'établissait devant lui. Néanmoins prudent, il comprit d'emblée que pour éviter les coups foireux, c'était le minable à casquette et sans sourcils qui devrait casquer le premier. Si on ne voulait pas être étranglé par une chaîne, le mieux était encore de s'attaquer au plus faible de ses maillons.

      - Fini de vociférer.

      D'une intonation aussi sombre que la glace de ses lunettes, Loron s'imposa. Il n'avait pas eu le temps de réellement se présenter auprès de son comité d'accueil. Aussi, en guise d'introduction, il fondit sur sa proie et, d'un coup d'un seul, percuta de l'un de ses poings l'abdomen du cafard qui se plia en un parfait angle de quatre-vingt-dix degrés.

      - GnnOoofflUuRrK !

      - N'est-ce pas.

      Un homme à terre. Il n'en restait que deux à afficher au mur des trophées du révolutionnaire.

      - Pas besoin de me couper la retraite. Je ne partirai pas avant de vous avoir éliminés, ne le prenez pas personnellement, simple déformation professionnelle de ma part.


      Dernière édition par Joe Biutag le Ven 6 Jan 2017 - 10:59, édité 6 fois
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      - C’est toi que j’vais déformer, peigne-cul !

      Nan mais faut se ressaisir à un moment donné ! C’est notre plan F, comme Fric, qui tombe à l’eau là ! Alors comme ça, il veut pas essayer de courir par sa vie ? Bah il va jouer sur deux fronts, on finira peut-être par la lui prendre.

      Le gus me fait volte-face.

      - Il faudrait commencer à agir, pour ça ...

      Un rien le défrise et comme moi avant, il répond à chaque provocation. Ha, le con ! Surtout qu’il tourne le dos au vioque maintenant, vioque qui essaie d’appliquer une stratégie à agiter ses bras pour que je le remarque. Pas besoin de le regarder pour le voir, il veut qu’on se coordonne pour le frapper en même temps. Y’en a qu’appellent ça de l’opportunité, moi, j’appelle ça de la lâcheté. Et je suis pas un faible. Je fais les choses en face. Je les affronte.
      Bon, s’avère que je dégaine la pogne en même temps que le grisonnant porté sur la boutanche plie la jambe pour foutre un coup de tatane à ce Loron. Mais c’est lui qu’a voulu le frapper en même temps que moi, stratégie oblige. Sauf que.

      Sauf que le zig qu’on a tous les trois dans le collimateur est pas né de la dernière pluie. Nan, il se retourne en un éclair, crache une mandale au vieux soiffard qui décolle du plancher des vaches et va se vautrer en tas quelques mètres plus loin. L’a manqué la Dame bleue de pas loin. En même temps, ma beigne se perd dans le vent, je suis emporté dans mon élan mais le mec arrive à me caler un coup de saton dans le buffet. ‘Reusement que j’ai bouffé une merde fruitée parce que j’aurais dégusté sévère. Mais voilà que je me mets à me disperser en plein de petites baies rouges, noires, kaki et chair qui partent en arrière et qui se mettent à léviter. Reste plus que ma tête, fendue par un rictus désinvolte.

      - Faudra y aller au haki si tu veux me faire quelque chose, que je lui rétorque machinalement.
      - Je te renvois la pareille : malheureusement pour toi, je sais jongler.


      Ma grimace se transforme en un sourire amusé limite carnassier, toutes dents sorties. Je me permets un regard derrière lui, pour voir si Balior arrive à se relever. Pis un autre sur le côté, sur Joe. Je crois qu’il joue la comédie juste pour éviter le combat.
      Mais si dans cette position je crains pas grand chose à part une éventuelle maîtrise de haki de sa part, ce connard en profite pour se ruer sur le vieil aigri. Ni une ni deux, je vais noircir toutes mes baies et je les envoie à pleine balle sur le snobinard en costard en les concentrant en un point.

      Black Cannon Ball

      Ce fils de pute avait aussi prévu ce coup puisqu’il les évite toutes en faisant une roue du plus belle effet. Même son smoking ose pas se froisser. Le hic, c’est que mes baies fusent droit sur la gueule du vieux qui se relève à peine mais qui braille déjà.

      - Ma parole ! T’as pas la lumière à tous les étages ou quoi ?

      Faut dire qu’il a vu sa trop longue vie défiler devant ses petits yeux bouffis par l’alcool avant que je rappelle d’urgence mon corps morcelé que je vais pour rassembler juste après mais Loron me fonce dessus immédiatement ! Moi aussi je pars à l’assaut dans une charge où je fais rouler ma tête sur elle-même avec le front infusé de haki, et à la seconde suivante, mon crâne s’explose sur le sien ! Son dos percute violemment le sol et il rippe sur quelques mètres. Je me reforme, Balior s'assoit de tout son gras sur lui et commence à enchaîner les mandales, je cours dans leur direction, Loron parvient à placer son pied droit sur le bide du braillard et l’envoie valser plus loin ! Quand j’arrive à sa hauteur, d’un bref mouvement il me fait un croche-pied de la canne gauche, et au moment où je vais pour m’affaler sur lui dans ma chute, il dégaine un cran d’arrêt qu’il ouvre et me plante en plein bide. Je me vois tomber au ralenti, il m’évite d’une roulade sur le côté. Je bouffe le plafond sur lequel je dégueule une gerbe de sang.

      P-Pas ... moyen ! On peut pas le laisser filer comme ça ! J’essaie de me redresser, une idée en tête. Je veux porter un dernier coup, Balior se chargera du reste. Relevé, Loron me toise fièrement, épongeant d’un revers de main le sang qui dégouline sur sa jolie petite gueule, un petit sourire qui me donne envie de le lui faire bouffer.
      Grâce au Retour à la Vie, j’anime mes mèches. Je galère, sonné, mais j’y parviens. Je suis pire qu’une teigne, je lâche pas l’affaire, pas si près du but, pas après qu’il ait autant bouffé ! Ma crête ressemble davantage
      Je me relève à peine, courbé, je titube. Je rassemble tout le courage et toute l’énergie qu’il me reste. Je souffle comme un boeuf derrière mes dents serrées par la douleur vive, je vois rouge. Et je me mets à hurler dans une charge dûe à une perte d’équilibre et de son élan.

      - RHAAAAAAAAAAAAAAAAAA !

      Sauf que ...

      - Tire-toi !

      Sauf que derrière moi, c’est un Balior que je reconnais à peine derrière ses formes de Buffle. Lui aussi a bouffé une merde fruitée visiblement ... et il en train de nous charger comme un abruti qui veut plus faire de distinction entre ami et ennemi ! Au dernier moment, il dérape un demi-tour et je vois ses sabots se rapprocher violemment de ma tronchiole que j’ai retourné pour le regarder. Pas loupé, c’est moi qu’il sauce. Je bouffe une ruade du feu de dieu en pleine gueule, gueule qui du coup ne s’arrache pas du reste de mon corps mais qui part avec et vient, je présume, larder le corps de ce connard de Loron.

      Je présume, parce qu’il me semble que le dernier truc que j’entends et que je sens, c’est un bruit de chair lacérée et un liquide chaud qui commence à me dégouliner sur le crâne ...

      ... Et puis, le noir total. C’est dans cette obscurité que s’enfuit ma future trahison et donc, ma part du fric ...
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      Giah-ah-ah-ah ! Ca a la gouaille maous comme un beuglant mais ça tombe comme une mouche au premier gnon ! Giah-ah-ah !

      Que je me bidonne un coup en mirant le Cafard s'affaler au sol, dans les bras de ce bâtard de Morphée. La robustesse, c'est pas son fort au mioche. L'autre chiasse l'avait envoyé au tapis en un seul coup de paluche dans la bidoche. Et ce minable osait jouer les durs ? Quand on a pas la carcasse suffisamment solide pour encaisser les mandales, on s'écrase et on la met en veilleuse. Qu'il laisse les vrais couillus s'occuper de la castagne. Loron qu'il dit s'appeler, ce serait baratiner que de dire que j'en ai quelque chose à foutre. Quand on l'aura dérouillé, il sera plus qu'un macchabée de plus. J'tente de faire comprendre à l'autre couillon de Mahach qu'on gagnerait à aligner le gus en même temps. On le tente. On se rétame. La raclure a de sacrés réflexes et tamponne sec. Pendant que j'encaisse et me rétame dans la poussière, le zigue à la crète se disperse en un tas de billes.

      Giah-ah... Toi, t'as graillé une de ces merdes fruités maudites !

      J'ai rarement eu affaire à un de ces types qui en avaient avalé un, mais le peu suffit à me réjouir qu'il soit de notre côté. Mieux vaut s’assaisonner la fiole avec un gaillard sans pouvoir, qu'un damné de la baille. On sait jamais quelle sorte de conneries ils vont nous sortir du tricorne. Pour preuve, l'abruti est à deux arpions de me zigouiller en tentant de vouloir faire la peau à l'autre. Je lui fait comprendre de pas recommencer avant de retourner au charbon. Le Loron vient de chuter, mauvais temps pour lui. Je lui tombe sur le lard et fait pleuvoir les châtaignes, lui riant à la trombine, expulsant bave et morceaux de lards becté quelques heures avant. Ça a pas l'air d'être à son goût et il m’envoie prendre le large d'un coup de tatane qui me secoue la couenne au passage. Tout juste le temps de m'en remettre que le pignouf de punk se fait ouvrir le buffet. Foutue jeunesse incapable ! Qu'ils me laissent faire, j'ai ce qu'il faut pour bousiller l'autre face moche.

      ROOOOOOMPF !

      Ce beuglement si caractéristique, aucun des trois protagonistes présents aux côtés de l'Affamé ne l'avaientt encore jamais entendu. Et pourtant, il annonçait bien un changement drastique tant dans la psychologie que la morphologie du pirate sexagénaire. Un pouvoir puissant, mais encore dangereux entre les mains d'un individu qui ne le maîtrise pas correctement. Que le corps de Balior se change en un épais amas de chair, d'os et de poils n'était pas le plus inquiétant. Que la conscience de la bête bovine qu'il était devenu prenne le dessus sur la sienne en revanche... Incapable de distinguer l'allié de l'ennemi, il n'était plus que rage et destruction. Or, face à lui se présentait deux vulgaires insectes ne demandant qu'à être écrasé de ses sabots. C'est sans hésitation qu'il les envoya à travers la mâchoire de Mahach, ne se préoccupant même pas de ce qu'il devait par la suite. Ce que voulait la bête, c'était démolir le colosse en costard.

      Un autre utilisateur de fruit du démon, un zoan de surcroît...

      Il prit la peine de s'allumer une clope, de tirer une latte, de profiter de l'effet de la nicotine tant qu'elle emplissait ses poumons, avant d'expulser le tout calmement. Il allait falloir négocier autrement avec cet énergumène hybride. Nulle crainte à avoir de celui-ci non plus, seulement savoir adopter une stratégie différente. Laisser venir le buffle, esquiver son assaut, et lui abattre ses phalanges renforcé au haki sur le crâne histoire de lui faire passer l'envie de revenir. Comme il s'y attendait, ce n'était rien de plus qu'un gros taureau dépourvu d'intelligence, ce qui rendait ses mouvements moins prévisibles, mais pas impossible à anticiper. Il fallait seulement attendre le dernier moment. Buffalo Blackness déboula droit sur lui, beuglant et ivre de colère. Sa tête se mouva et ses cornes balayèrent le vent avant de venir tenter d'embrocher le révolutionnaire.

      Ce que tu es lent...

      Il l'évita aisément en pivotant sur lui-même, la jambe droite relevée et arquée, pour mieux la fracasser sur la gueule de l'animal. Qui à sa surprise, resta sur place. Certes, sa tête encaissa difficilement le coup, une gerbe de sang venant souiller la crinière grisonnante du cornus, son cou se pliant à l'impact, mais ne se brisa pas. La pupille injectée de sang vint transpercer le convoyeur derrière les verres de ses lunettes noires, qui compris instantanément qu'il avait sous-estimé la résistance du bestiau. Trois épais sabots vinrent le saisirent au sommet du crâne pour l'amener à hauteur de la gueule de la Bête. Le cri qu'elle poussa à trois centimètres du faciès de Loron traduisit à la fois sa douleur et la haine qu'elle pouvait éprouver. Celui-ci ne se démonta pas, en profitant pour lui asséner quelques droites de son cru, avant de ramasser le crâne du zoan sur le front.

      Tu commences à me faire chier, toi...

      S'il fallait faire preuve d'une sacrée robustesse pour endurer les frappes de Loron, il fallait l'être plus encore pour encaisser le coup de boule d'un buffle haut de trois mètres et plus épais qu'un catcheur mexicain dopé au chili-con carne. Ses lunettes avaient explosées, son front s'était ouvert en long, son nez déplacé, pissé également le sang, tachant le bas de son visage et ses fringues. Et lui était là, le regard dur, la bouche déformée dans une expression de légère contrariété, toisant la bestiole qui le tenait encore comme s'il ne s'agissait que d'une vulgaire sauterelle. Il fronça les sourcils, et sa tête toute entière fut enveloppée d'une couche noirâtre.

      Busoshoku no Haki. Ça, c'est du coup de tête.

      Il lui claqua son front enveloppé du fluide combatif en plein museau, faisant reculer la bête et lui faisant relâcher son étreinte par la même. Il enchaîna en répétant le même procédé au niveau de son bras droit qu'il envoya s'écraser sur le buffle. Celle-ci fut pliée en deux à l'impact, crachant le sang et mugissant, tentant de comprendre ce qui lui arrivait. La jambe durcie au haki s'éleva haut dans les airs, puis entama la chute en sens inverse pour venir faucher l'hybride sur le flanc et l'envoyer bouler hors du champ de vision du révolutionnaire. Et tandis que la bête passait au travers du moindre obstacle sur sa trajectoire, provoquant de lourds dommages matériels, le tout dans un vacarme monstre, Loron s'offrit le luxe de terminer sa clope, qui comme lui n'avait pas succombé à l'assaut du soiffard changé en bête.

      Et de trois...

      Spoiler:
        Lentement mais surement, la coalition corsaire se réduisait à peau de chagrin. Toute l'avidité du monde n'avait su les enthousiasmer suffisamment pour leur permettre de dépasser leurs limites. Naïfs qu'ils étaient, ils s'étaient attendus à ce que la révolution soit assez négligente pour laisser un fruit du démon entre les mains du premier venu.

        Pécher par orgueil ne leur avait décidément  pas réussi. Même l'increvable Balior avait rendu les armes à bout de souffle, le punk quant à lui n'était guère mieux loti, baignant dans une flaque de sang dont le rouge tournait peu à peu au cramoisi. Et pourtant, malgré cette débâcle annoncée, le cafard rampait toujours.
        Trop occupé à s'adonner à la contemplation bucolique, clope au bec, Loron n'avait pas encore remarqué que sa première victime ne gisait plus gentiment là où il l'avait laissée. Petit à petit, profitant que ses camarades prennent les coups à sa place, Joe avait tiré son épingle du jeu, se traînant centimètre par centimètre en une direction bien précise : un certain coffret que le révolutionnaire avait laissé à même le sol pour mieux se castagner des deux mains.

        Alea jacta est, et le mégot aussi. Loron observa encore quelques instant le soleil qui se couchait au loin avant de faire volte-face, se pétrifiant presque aussitôt lorsqu'il découvrit le spectacle s'offrant à ses yeux. Jusque là placide, imperturbable malgré le flot d'emmerdeurs s'étant déversé sur lui, son visage se décomposa presque.

        - Non... non non non non non non non noooooon !

        Bondissant de ses cannes encore endolories par l'effort de guerre qu'il venait de fournir, le convoyeur se propulsa jusqu'à se percher au dessus du cafard, étalé à plat ventre, gueule enfournée dans le coffret tant convoité. Malgré la patte puissante qui venait de s'abattre violemment sur sa colonne vertébrale, il jubilait. Ce ricanement si strident dont lui seul avait le secret fit frémir davantage le révolutionnaire. Même à terre, la gueule dans la boue ou l'épée sous la gorge : Joe s'arrangeait toujours pour avoir le dernier mot.

        Loron agrippa le boucanier par le col comme il aurait soulevé un chiot par la peau du cou. Les pieds du cafard quittaient terre, il se retrouvait nez à nez avec un révolutionnaire en colère. Pas dérouté pour un sou, riant à gorge déployée, le pirate n'avait plus rien à perdre et dévoila les morceaux de fruits coincés entre ses dents de carnassier des bas-fonds.

        - Si on peut pas l'avoir... Toi non plus ! Yahinhinhinhinhin !

        Par pure mesquinerie, sachant que cela serait peut-être la dernière chose qu'il pourrait faire avant d'y passer, Joe avait dégusté une pleine bouchée du fruit du démon. Foutu pour foutu, il avait tenu à exercer son potentiel de nuisance jusqu'au bout.
        Pourrir la vie de son entourage jusqu'à ce que mort s'ensuive, plus qu'une seconde nature, c'était un instinct chez lui.
        Enragé, gueule rougie de colère, dents toutes dehors, Loron était en situation d'échec et mat. Rien ne pourrait excuser auprès de ses chefs qu'il ait perdu un convoi aussi précieux. S'il rentrait les mains vides, il n'aurait pas de deuxième chance. Pour lui, à compter d'aujourd'hui, ce serait l'exil à perpétuité pour avoir lésé la révolution d'un trésor inestimable.

        - Un dernier mot enfoiré ?

        Peu à peu, le rire du cafard s'estompa. La dure réalité lui revenait droit à la gueule comme la mandale qui l'achèverait sous peu.

        - Que dirais-tu de... "Dans le cul la balayette" ; Pas très inspiré, mais de circonstance, tu en conviendras hinhin !

        Enfin, le convoyeur, depuis peu en retraite anticipée, comprenait à qui il avait affaire. Ce n'était pas un homme qu'il tenait à bout de bras, mais un concentré de vice et de perfidie dans sa forme la plus brute. Prenant de l'élan avec son poing encore libre, Loron voulait jouir de chacun des milliers de coups qu'il s'en irait administrer à sa raclure d'adversaire. Toutefois, son attention fut distraite. Quelque chose de massif venait d'onduler soudain sur son flanc droit. Le flagelle, sombre et sinueux s'agitait en l'air comme la queue d'un animal qui remuerait.

        Examinant l'appendice semblant émaner de sous la parka du cafard, le convoyeur ne comprit que trop tard à quoi il avait affaire lorsqu'une vive douleur pénétra sa moelle épinière. Blessé mais toujours vif, toujours résolu à maintenir le forban à bout de bras, de sa main libre, il se saisit de ce qui venait de lui perforer la colonne vertébrale avec tant d'aisance.

        - Que.... Qu'est-ce que c'est que ça...?!

        D'un mouvement sec, il retira l'instrument qui avait pénétré sa chair en un point aussi critique avant de s'effondrer. Le cafard reprenait alors ses droits, enfin dégagé de l'étreinte du valeureux révolutionnaire réduit à l'impuissance.
        Allongé, sa vision se troublant peu à peu, Loron avait une vue imprenable sur l'horreur qui se dévoilait à son regard hagard. Juché devant lui, presque impérieux, Joe, bras croisés, agitait la longue queue de scorpion agissant comme une excroissance de sa colonne. À son bout, un dard aiguisé, sinistre et noir laissait perler de son long les gouttes du sang qui l'en recouvrait. Il n'avait suffit que d'un coup vif et bien placé pour réduire à néant ce qui fut il y a encore peu un guerrier révolutionnaire de premier ordre.

        - Ça ?... Pour être tout à fait franc avec toi, je n'en ai aucune idée mais...

        Alors que le soleil se couchait, l'ombre naissante enveloppait le cafard de ses draps ténébreux. Seuls ses yeux vicieux et son sourire sanguinaire pouvaient encore se distinguer du reste de sa silhouette.

        - Ça ressemble à s'y méprendre à un cadeau de la Providence yahinhin !

        Comme vivant d'elle même, la queue s'arqua, demeurant immobile un instant pour mieux plonger sur sa victime sans défense qui gisait à terre. L'aiguillon meurtrier se stoppa avant de pouvoir pénétrer entre les deux yeux fermés de Loron qui n'attendait plus que sa sentence.

        - Je peux savoir ce que ça veut dire.... Balior ?!

        Ce n'était pas l'empathie ou une quelconque bonne attention qui avait retenu l'appendice assoiffé de sang du cafard, mais la main robuste de son acolyte qui s'en était saisi à temps et à pleine poigne. La sauvagerie des coups qu'il avait reçu n'avaient pas suffit à le mettre hors d'état de nuire suffisamment longtemps pour le contraindre à la sieste.
        Grimaçant comme il savait le faire quand on le contrariait, la cruauté jubilatoire de Joe s'était muée en une hargne féroce, ses yeux fusillant le vieillard qui avait osé le stopper dans son élan.

        - La sourdine cafard... Le zigue mérite de clamser mieux qu'ça. Çà moi qu'doit r'venir la besogne, pas à un pisse-menu d'ton engeance !

        Dégageant son flagelle de la pogne du vieux briscard, Joe ne comptait pas en rester là. Tel le scorpion dont il avait hérité une part de sa morphologie, sa queue se dressa derrière lui, ondulant sournoisement, menaçante. La flibuste se regardait alors en chien de faïence, le silence étouffant trouvait aisément sa place au milieu de cette atmosphère tendue.

        - Minute les gars, kof kof, l'autre baltringue... J'ai... kof J'ai un compte à régler 'vec lui, alors vous kof kof kof... vous y touchez pas où je vous crève dans la foulée !

        Chancelant, une main sur sa blessure la plus profonde, Mahach s'invitait à la fête. On n'était jamais assez de trois pour se massacrer mutuellement. Tous s'haranguèrent les uns les autres pour savoir à qui reviendrait le droit d'achever leur adversaire déchu. Le ton monta aussi vite que la testostérone, quand soudain, au milieu de la gueulante générée par le trio, Joe, dont l'appendice s'était rétracté prit note qu'il pataugeait dans une marre d'hémoglobine.

        - Vous pouvez oublier les joyeusetés d'usage... Il est mort.
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        Alors nous revoilà, le bec dans l’eau. On pourrait presque l’être littéralement, vu qu’on est salement amochés sur les plafonds de Clock Work. Mais heureusement, on l’est pas. Nan, c'est notre plan F et nos idées de trahison qui le sont, bien que le Joe s'en tire plutôt bien. Mais je lui en veux même pas, faut dire que cette foutue lardasse m’en laisse pas trop le temps non plus. Et puis ces sapes mal foutues, merde quoi !
        Au moment où je fais sauter la veste, je remarque après coup que la poche interne contient un minuscule pétard, une belle arme de faible. Le coude sur la blessure, je vide les balles de leur poudre à l’aide de mon cran d’arrêt que je sors juste pour bouffer ou m’en servir pour bidouiller. Je me bats pas avec ça, moi. Question d’honneur ça m’indispose. Je plaque dessus le contenu niché dans la paume de mon autre main, la poudre se mêle au sang encore frais et s’agglutine dessus jusqu’à former une belle croûte noire bien sanguinolente.

        - Oï, Biutag, ton briquet.
        - Capitaine Biutag, brosse à chiottes !
        - Ouais ouais, je lui dirais.


        Je le vois grincer des dents, je sais que ça lui plait pas, sauf que ça me fait marrer.

        - Bon, à trois, tu me brûles tout ça.

        Il allume son briquet.

        - Attends ! J’ai dit à trois, je vais mordre la veste pour éviter d’hurl...

        FILS DE PUUUUUUUTEUH !

        - Trois, hin hin hin.



        L'empaffé ! Le fils de foin de fumier ! Il a embrasé la poudre sans attendre ! J’suis sûr qu’il a fait ça juste pour se venger ! Me voilà à me tortiller de douleur sur ce putain de plafond qui nous sert de trottoir dans un hoquet de douleur arraché sans prévenir !

        - Rhoo, arrête de beugler comme une pisseuse, mauviette ! Moi d’mon temps...
        - Ta gueule ! Ton temps il est révolu et c’est pas plus mal ! T’aurais dû y rester avec même !
        - Tu vas va voir, pédale de coq ! J’ai p’t être plus vingt ans mais j’en ai encore dans la guibole !


        Et le voilà qui m’écrase les mains compressées sur la lardasse encore fumante avec son panard, me faisant dégueuler des cris d’agonie.

        - Oï ! Vous voulez peut-être que je vous serve le thé les deux vieilles filles ? Je vous rappelle qu’on est recherchés sur cette putain d’île ! Mais regardez plutôt ce que nous a laissé notre bon vieux convoyeur ...

        Il nous fait un signe de tête vers la flotte, nous on lui jette juste un regard noir avant que le vieux Balior m’aide à me relever et qu’on se dirige vers où Joe matait. Héhéhé, le rafiot du Gris fièrement accosté !

        - Bah en voilà un joli petit cadeau d’adieu.
        - Ouaip. Mais s’agirait d’pas tomber à la baille, on a tous bouffé des merdes fruitées, hein vieille enflûre ?
        - Bien vrai ! Bravo “Capitaine”, maintenant on peut s’asseoir sur nos millions et faudra qu’on fasse encore plus gaffe ...
        - Mais les gars, voyez plus loin que le bout de votre foutu pif ! Même si ce sera difficile pour toi, vieux soiffard ! On marche plutôt bien ensemble, nan ? Pensez au long terme et à la maille qu’on peut se foutre dans les fouilles !


        Pour toute réponse, je lui affiche un large sourire forcé en lui montrant ma plaie qui est en train de se rouvrir. Le Blackness, lui, se bidonne à gorge déployée.

        - Teh ! On s’est plutôt bien sorti de la merde non ?
        - Mais on y serait pas allé si toi tu nous y avais pas mis dedans ouais !
        - Quoi ? Viens me dire que t’as pas aimé notre petite fuite !


        Vrai que. Mais bon, ce qui m’inquiète au final, c’est Spica et Liam. J’avais pris la mer pour changer le monde. Ha ! Il est beau le daron ! Pis bon, à bien y réfléchir, à chaque fois que j’ai voulu faire bien, c’était jamais assez. Jamais.

        - Ouais, vendu. Mais j’ai mes raisons.
        - Si tu le dis. Et toi alors, le boeuf ?
        - Morbleu ! C’est un buffle, l’arsouille !
        - Ouais ouais ... Alors ?
        - ‘C’que j’ai vraiment l’choix ?
        - Nan.
        - Bah alors ta question est aussi conne que toi ! Sûr que je vous suis !
        - Bon bah voilà, les Blattard sont enfin officiellement formés !
        - Quoi ? Mais c’est quoi ce nom pourri ?
        - Ta gueule, c’est moi le Capitaine, c’est moi qui décide !
        - Capitaine, mon cul !
        - C’est moi qu’ai eu l’idée, c’est mon équipage !
        - Ouais, bon, on s’en fout, marchez.
        - Personne me dit si c’que j’dois faire !
        - Si. Ton capitaine. Alors marche.
        - Tudieu ! J’regrette déjà !
        - Trop tard !


        C’est comme ça qu’on a quitté Clock Work. Sous la nouvelle ère de la piraterie, les héritiers des Saigneurs, sous le nom des Blattards !
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