Hostile

J'vous dit pas à quel point j'ai le bide vide, bouffer des maigres gardons cru péchés par chance ça le remplit pas d'énergie. Ça sert juste à dissimuler l'énorme faim en lui donnant l'illusion que l'estomac est alimenté. J'ai vraiment les crocs mais j'suis bien trop content d'être vivant que ça m'passe au dessus d'la caboche. Sourire aux lèvres, c'est le paradis qui s'offre à moi, ici il semble y avoir de la vie, des gens, j'suis sauvé. Regard en arrière et j'remarque que ouais, elle est en miettes ma barquounette. Au moins y'a pas de jaloux. T'as voulu me nourrir au minimum juste pour survivre alors j'te remercie, Mer, en te donnant l'équivalent. Des miettes et morceaux de bois, bon appétit quand même. J'suis pas un gars méchant dans le fond alors j'te regarde avec tes ondulations nocturnes et j'te souhaite que dans l'coin ou ailleurs, des navires coulent pour te satisfaire suffisamment.


Bon, c'est pas en restant planté là et bloqué dans mes pensées que je vais pour de vrai me remplir la panse. J'avance lentement, sûrement, en grimpant sur les rochers glissants. Dommage de ne pas avoir atterri sur une plage, je me contente de ce lieu. Je marque une pause pour réfléchir où prendre appui dans mon ascension, mon regard se lève au ciel et voit de la fumée épaisse. Doivent s'amuser à créer des nuages, faut que je me dépêche avant qu'ils y parviennent et que la pluie m'atterit dessus. Là je glisserai et à coup sûr j'y laisse la vie. Y'a déjà dix mètre de rochers entre moi et la mer, allez courage, plus que... Le quintuple ? Ouais, j'estime à beaucoup l'escalade qui se présente à moi, une vraie paroi rocheuse pour des hommes. Sans sécurité évidemment. Quoique j'ai encore un joker pour me sortir de cet exercice : le den-den dans la poche. Si ça tourne mal j'arrête et j'appelle les renforts. Pour le moment, j'suis confiant. Puis j'suis pas un mioche de seize hivers, j'en ai le double, alors des couilles et du mental j'en ai plus qu'il n'en faut.

Aucune idée du temps que j'ai mit, le principal est que j'ai réussi. J'en suis pas étonné et même si je serai pas contre une pause clope pour reprendre mon souffle, j'ai bien trop envie de visiter l'endroit. La fumée, c'est un feu de camp. Pas un de tapette en plus, un vrai bûcher énorme autour duquel j'vais pas m'gêner de m'incruster pour me réchauffer l'épiderme. J'en suis quand même loin et autant silencieux que j'ai été à monter que dans l'obscurité je suis, ils m'ont pas remarqué. Par contre, à une quinzaine de mètres, face à la bordure rocheuse, lui je l'ai remarqué. Plus j'avance plus je comprend ce qu'il fait le cul a l'air. Qu'il aille se faire a déféquer dans la mer, je lui serre pas la main. Même, je cesse mon détour et l'ignore ce porc qui ne mérite pas mes salutations. Mes yeux brillent à l'idée de m'asseoir autour des flammes dansantes, j'me dit que même un bateau peut le remarquer. Ils s'en servent peut-être de phare naturel, qui sait. Mais j'me demande bien ce qui alimente le feu.

Je m'arrête sur le chemin tant que je suis incognito. Toujours se méfier des inconnus. Toujours se méfier des inconnus. Oui j'me le répète dans la tête, une des règles de la survie. Je sais vraiment pas les accoster, alors...

Padam padam padam que les pas de ma course font sur le sol. En moins de deux minutes, j'suis tout près et là, sans réfléchir, c'est la glissade. Scriiiitch. Et hop. Me voilà parmi eux. Près du feu. Tellement apaisant que ça apaise mes jambes brûlées- avec le pantalon arraché- par les frottements du sol. Dans une seconde ils vont réagir alors je prend les devant pour prévenir un minimum de mon arrivée soudaine.

- Faites pas gaffe. J'fais que m'incruster. Fait tellement bon là.

Imprévu. Un énorme. Et bruyant. Venant de ma poche.

Pulupulupulup ! Pulupulupulup !

...

Yuki s'est fait accueillir comme il se soit. Si tous les mécréants présents -ce qu'il comprit bien vite tant ils ont été irritables et violents- avaient leur corps marqué de leur vie dangereuse, maintenant le Lieutenant peut se confondre dans leurs rangs tellement ses cicatrices seront nombreuses. Tranché partout à vif comme un vulgaire morceau de viande, le voilà recouvert de son sang qui s'échappe des nombreuses failles douloureuses. Un homme est pourtant intervenu pendant le vacarme que le désormais balafré a causé. Le voilà bâillonné et menotté à ses côtés, assis.

- Mouette échouée, regarde donc ce splendide ciel étoilé.

L'homme peut se confondre avec un fantôme tant le vêtement blanc qu'il porte dissimule totalement son identité. Le prisonnier ne regarde pourtant pas le ciel, il semble grimacer. En réalité il est en train de mordre et déchiqueter peu à peu le tissu noué à sa nuque.

- Regarde je te dis.

L'homme à la voix calme lui fait une nouvelle balafre au katana sur le torse. Déstabilisé et à bout de forces Yukj tombe en arrière et ce qui le rend muet se voit découpé en deux. Grande inspiration et profond soupir. Tête contre sol, il regarde les étoiles comme demandé. Le fantôme l'observe et ne dit rien pour le fait qu'il ne soit plus muet. De toute façon le menotté n'est pas idiot de s'épuiser davantage en injurant ses agresseurs.

- Tu vois cette forme de seize étoiles que l'on pourrait croire teintées de rouge ?

Sa main montre d'un geste là où regarder et le marine constate qu'il n'a pas d'ongles. Pire encore, comme s'il avait été torturé, il lui manque les cinq dernières phalanges. D'un signe de crâne aux cheveux bruns humides d'hémoglobine, il dit oui sans un mot.

- C'est la constellation du Léviator Rouge. Ne me demande pas quel scientifique lui à donné le nom, j'en sais fichtre rien, c'est comme ça. Toi tu as choisi de servir ce monde, moi de le révolutionner, c'est ainsi qu'est la vie et malgré le choix de chacun on cohabite ensemble sans plus se demander les aspirations profondes de chacun.

Yuki remarque que le dessin ressemble à un serpent puis change de pensées en se rendant compte qu'une clope passerait à merveille, mais il n'en a plus et n'a pas encore vu de fumeurs.

- Tu sais ce qu'elle signifie ?

L'ignorant hoche la tête pendant qu'il se relève. Il fait passer ses poignets menottés en dessous des jambes pour les faire passer devant. Puis, afin de ne pas provoquer le semble-t-il passionné d'astronomie, il se rassoit dans le calme ambiant.

- Granit marin. Qui êtes-vous ?

Ses premiers mots depuis deux heures, Et c'est bien en cette matière que sont faites les menottes. Lui demander qui il est, question idiote mais faut bien essayer.

En réponse, le katana adverse le tranche à nouveau en croisant la précédente ce qui en résulte un X sanglant.

- C'est moi qui pose les questions. Tu sais ce que cette constellation signifie ?

Sans explication ni raison logique, le Lieutenant lui crache sur le chapeau blanc qui recouvre intégralement son visage. Aussitôt attaqué, l'homme riposte en lui assénant un coup de crâne dans le front.

- T'as qu'à me dire si ça te fait tant plaisir. Cracha Yuki.
- Une colossale colère. Mais vois-tu, j'ai toujours décidé de mes choix en faisant l'inverse de ce que m'annonce le ciel. Ce soir, j'attendais déjà la venue d'un élément perturbateur car c'est un jour où je dois faire preuve d'une grande clémence et sans toi il n'y aurait eu aucun événement autre que la routine. Donc je vais te laisser repartir par tes propres moyens, en vie, vu que tu sembles supporter les blessures de bienvenue. Mais tu comprendras que je devrai t'arracher les yeux pour le simple fait d'avoir vu ma tenue, et même arracher t'es écoutilles pour avoir entendu ma voix. Mais la clémence en veut ainsi...

... Fouinant la poche de son blanc déguisement, il en sort un sachet dont la lueur interne traverse les parois de tissu. L'instant d'après, avant même que Yuki ne se rende compte qu'il s'est déplacé, seule la poussière au sol a bougé, ses yeux ambrés entrent en contact avec cette poudre. Tout devient flou. Les détails s'estompent. Sa vue baisse a une grande vitesse et d'instinct, devinant qu'il est en train de devenir aveugle, il ramasse de la poussière et s'en frotte les yeux avec. Irrités ainsi, le processus d'aveuglement s'arrête et Yuki retrouve la vue. Un détail a pourtant changé. Cela n'a pas été sans effet et ce n'est pas un remède qu'il s'est mit dans les mirettes. Les couleurs ont disparues. Il ne voit que du noir, blanc, ainsi que des nuances de gris. Ses yeux sont devenus fades et l'enfoiré stellaire le croit bel et bien aveugle.

Les couleurs sont parties des yeux de Yuki, le bûcher fait des flammes blanches, les visages sont gris et le ciel n'est plus bleu nuit mais noir intense pailleté d'étoiles blanches. L'homme s'en est allé en l'abandonnant à son sort avec la certitude que le marin ne représente aucun danger désormais. Le seul conseil qu'il lui à dit en dernier mot, c'est "Démerdes-toi et déguerpis avant que le jour se lève." alors pendant que les autres se marrent en l'ignorant sur ordre de leur chef, Yuki décide de repartir en mer avec une autre barque à rames qu'il vole sans mal.