Un million, deux millions, trois millions...

- Ecoute-moi bien, petite merde : je ne sais pas d'où tu viens, ce que tu fais, ce que t'aimes dans la vie, je ne sais pas ce que tu veux, ce que tu crois faire en venant me voir, ni même si t'es zoophile ou gay. A vrai dire je m'en bats les olives. Je fais même l'hélice avec mon poireau en gueulant un chant patriotique, juste pour oublier que t'es là ! Et si ça suffit pas : j'me fais une ceinture avec, histoire que t'aies bien la mort en plus d'être jaloux ! Alors la prochaine fois que tu viens m'emmerder avec tes "S'il vous plaît", pense à ce que j'vais te dire : on dit MONSIEUR avant de dire "S'il vous plaît"... D'ailleurs on ne dit pas "S'il vous plaît". Car non, ça ne me plaît pas. Même pas besoin de savoir ce que tu vas me demander. Rien que la gueule que tu m'tires donne pas envie. Va t'arranger un coup. On t'a jamais appris à être présentable pour des rendez-vous ? Ou pour sortir en général ! Tiens bah l'prochain coup, prend rendez-vous ! Au moins je m'attendrai à voir débarquer un gringalet drapé comme un animateur de foire mis à la rue pour faillite venant m'emmerder en début d'après-midi, alors que tous ces connards d'ouvriers, d'artisans et de commerçants font leur pause, sur toute l'île de Rokade ! T'entends ce que je dis ?! TOUTE CETTE PUTAIN D'ÎLE ! Donc maintenant tu prends ce papier avec mes horaires. Tu choisis un créneau et tu te CASSES !

   Le pauvre bougre d'en face ne répond pas. Déjà pas grand de base, il s'est ratatiné au fur et à mesure que je lui crachai mes quatre vérités à la figure. Un peu plus et il se pissait dessus ! Blanc comme un cachet d'aspirine, il recule en bredouillant quelque chose comme "seize heures", fait volte-face et quitte la pièce au milieu des brimades d'une clientèle moqueuse et bruyante à souhait.
  Oui, je viens de foutre la honte à un client potentiel au beau milieu d'une taverne. Faut dire qu'il avait mal choisi son moment : la pause syndicale des mécréants de Rokade est sacrée. Mon verre de Granty double-dose sur le comptoir l'est encore plus.
  Enfin bon, ça serait quand même con qu'il ait une requête sérieuse. Non pas que j'ai pitié des personnes vivant un drame, mais les appels de détresse rapportent toujours plus. Que voulez-vous ? Plus c'est grave, plus c'est cher ! Logique !

    Après quelques mots avec le tavernier et deux verres de plus, je sors faire des courses avant de rejoindre mes appartements qui sont également mon lieu de travail. Lorsque je franchis le seuil, il est trois heures de l'après-midi.
    Trois heures...
    Bah ! M'étonnerait quand même que quelqu'un soit passé pendant que j'étais ailleurs. Et de toute manière, je ne suis pas le seul à m'occuper des affaires des autres. Y a aussi Tao "Sait-Tout", le détective. Même si je ne peux pas le saquer. Un vrai trou du cul. Quand je pense qu'il demande pas moins de 5M de berrys pour jouer les fouines ! Et moi avec mes forfaits situationnels... je me fais bien marrer tout seul. D'un rire bien jaune. Comme mon Granty.
    On a aussi Igor l’Édenté, qui joue les gros-bras pour des petites tantouzes pas foutues de se défendre seules. Souvent des personnes qui se sont mises dans la merde jusqu'au cou, parfois des paranoïaques. Un jour, il a dit avoir rossé son client parce que celui-ci voulait qu'on protège son enfant et qu'on s'occupe de lui en son absence. Certains ont joué les choqués, mais moi je peux comprendre ce genre de réaction : je me vois mal faire la nounou pour un avorton et lui donner la becquée à table pour 5000 berrys l'heure alors que pour 100 000 je pourrai calotter un goujat et lui faire dire où il a caché la fille, ou la femme, d'un propriétaire terrestre. Surtout si la damoiselle en question n'est pas vilaine et suffisamment... ouverte et reconnaissante.

    Bon. Faudra quand même que je change mes forfaits. Trois suffiront : le forfait "Petit Service" à 100 000 berrys, le forfait "Service Standard" à 1M de berrys et le "Service Deluxe" à 10M de berrys pour les grosses affaires... Ouais. Ça me paraît bien comme ça.

- Hep ! Faudrait m'faire une nouvelle affiche avec ces prix-là ! Et qu'ça saute !

    Mon secrétaire, Monsieur Personne, apparaît à travers le cadre sur ma droite. Y m'regarde avec le même air las que moi.
   Normal : j'ai pas de secrétaire. Mais mon psy m'a dit que se parler à soi-même dans un miroir pouvait aider à la motivation et à la prise de conscience de soi, ainsi qu'à m'exercer pour la prise de contact en société... Autant dire que j'en avais rien à cirer. Sauf pour la motivation : ça marche du tonnerre ! Enfin quand mes jambes veulent bien se lever...
   En l'occurrence, la chaise sur laquelle je suis assis, derrière mon bureau en bois sombre, éclairé par la lumière du soleil filtrant à travers la fenêtre grande ouverte sur le mur de l'entrée, suffit à me mettre à l'aise. Alors la publicité attendra...

   En regardant autour de moi, je vois les deux photos suspendues devant et derrière moi. Des photos représentant les quais de Rokade et la Grande Roue de Suna Land. Ce sont les seules décorations de la pièce, si on met à part la plante en pot rabougrie dans le coin, près de la porte d'entrée. Juste en face, il y a une table basse avec deux chaises et quelques journaux datés. Paraît que ça aide à faire patienter d'avoir de la lecture.
    Personnellement je préfère encore lire "Anarchie et Soulèvement" de Jacky Méyeurvi plutôt que ce genre de torchon. Même si l'idée de propagande n'est pas pour me déplaire...

   C'est en voyant tout ça que je finis enfin par me ressaisir. C'est pas en restant planté là que je deviendrai Roi ! Ni de Suna, ni de nul part ailleurs ! Sauf que pour prendre le pouvoir, il faut de l'argent, des hommes, de l'influence et... de l'argent. Beaucoup, beaucoup d'argent. Pour cela, le plus concret reste de prendre le contrôle d'un maximum de commerces et d'entreprises, de se lier à des types au moins assez impressionnants pour susciter le respect sur une île et, bien entendu, trouver des larbins dévoués et suffisamment stupides pour suivre n'importe quel ordre.
   Ironie, quant tu nous tiens ! Pour fonder un royaume, il me faut d'abord fonder un empire...

   Toc. Toc. Toc.
   Comme vous vous en doutez, on frappe.
Je regarde ma pendule... Seize heures. Je me réinstalle confortablement sur mon trône, prend un air sérieux et détendu et dis d'une voix grave :

- Entrez.

    Un petit clin d’œil au miroir. Je ne me suis pas entraîné pour rien ! Ah, par contre niveau sourire c'est pas encore ça. Peut-être comme ceci ? Ou alors...

- Euh... Merci de me recevoir, Monsieur.

    Hein ? Ah ouais le client. Encore à m'interrompre celui-là. Tu m'étonnes qu'il se fasse victimiser tiens. Mais en tant que professionnel, je ne peux me permettre de me montrer froid. Pas trop du moins. L'histoire de la taverne ne compte pas, évidemment.

- Assieds-toi donc ! Prend tes aises. Pas besoin d'paraître si coincé.

   Je souris de toutes mes dents et, bizarrement, ça n'a pas l'air de le détendre.

- Qu'il est chiant c'con-là...
- Plaît-il ?
- Je disais : que puis-je faire pour toi ?
- Oh... Eh bien... Je...
- En abrégeant s'il te plaît. J'ai pas toute la journée.

   Bah quoi ? Faut pas pousser non plus ! Du coup il s'active :

- Je suis le jardinier de monsieur Pika Tomi, responsable des finances de Rokade. Il m'a chargé de vous contacter pour que vous le rejoigniez chez lui, près de la Rupture & Delivery Bank. Il a du travail pour vous.
- Et il pouvait pas venir en personne m'en faire part ? J'suis pas assez bien pour qu'il daigne se bouger le cul jusqu'ici ?
- Monsieur ne voulait pas... attirer l'attention sur lui.

   Ohoh... Ça suscite l'intérêt, ça.

- Je vois. Et quel genre de travail veux-t-il me confier ? Parce que je suis en train de refaire mes forfaits et j'aimerai savoir combien...
- Monsieur Tomi n'a pas souhaité m'en faire part.

   PAF !

- Plus jamais tu me coupes la parole. Compris ?
- C-compris.
- Bien. J'suppose que j'ai pas l'choix donc. J'te suis jusque là-bas. J'espère que ça en vaudra la peine.


Dernière édition par Dorian Silverbreath le Ven 14 Avr 2017 - 19:22, édité 1 fois
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Quand on est invité chez l'un des dirigeants d'une île de pirates, le mieux reste de faire profil bas. Même si sa tête ne nous revient pas. Surtout que chaque ponte de Rokade possède sa propre milice, ses propres employés et surtout son propre "budget à emmerdes". Suffit qu'un mec suive pas le mouvement et zip ! Une poignée de berrys par ci, une poignée par là et pfiou ! Plus d'anti-conformiste.
   Enfin ça c'est dans l'idée : la vérité, c'est que les récalcitrants sont envoyés soit à l'arène, soit aux travaux forcés. Du coup je suis le jardinier jusqu'au domicile du jeune Tomi, responsable des finances. Dans la cour de sa propriété, située plus en hauteur sur l'île, une allée de dalles blanches entourée par une pelouse impeccable et quelques massifs de fleurs. Face à nous, la demeure est large, haute de deux étages, les murs aussi gris que le reste de la ville et le toit aussi bleu que l'encre de mon vieux plumier. A l'entrée, deux gardes nous toisent, les bras croisés dans le dos. Ils tirent la gueule :

- Doivent pas être bien payés pour tirer cette tête.
- Non, c'est parce qu'ils ont un contrat à durée limitée.
- Ah ?
- Monsieur Pika a déjà viré et fait remplacé plus d'une trentaine de ses hommes.
- Ça rigole pas chez les Cinq.
- L'exigence d'un travail de qualité, tout simplement. Il faut beaucoup de compétences pour maintenir l'ordre sur une île où le peuple est composé en majorité de flibustiers et de bandits. C'est d'autant plus vrai lorsque l'on est en charge de l'économie.

   Pas faux. Un bon point pour toi et un bon conseil pour moi. J'aurais dû prendre mon calepin : je pourrais apprendre pas mal de choses en matière de gestion en tapant la causette avec Tomi Pika.
   Les deux gardes nous ouvrent la porte et nous pénétrons dans le hall, décoré avec soin et bien plus attrayant que la façade extérieure ! Là les murs sont blancs, les plantes sont disposées équitablement de chaque côté, le porte-manteau est recouvert de feuilles d'or et l'escalier central dispose de rambardes en marbre sculpté ! Il a même des trophées de chasse plus en hauteur ! Exactement comme dans mes rêves de gosse...

- Copieur !
- Plaît-il ?
- Hein ? Oh t'peux pas comprendre... Tu serais pas végétarien des fois ?
- Non, pourquoi ?
- Y a que les herbivores pour baisser l'échine comme tu le fais devant un prédateur.
   
   C'est gratuit, c'est cadeau. On continue.
   Un serviteur nous réceptionne enfin et nous montons à l'étage. Je laisse glisser ma main sur la rambarde et souris. Pas de poussière. Même le tapis sur lequel nous marchons est comme neuf. Les vitres des fenêtres brillent, alors que le soleil est derrière nous, à moitié caché par les nuages.
   Quand je dis derrière nous, c'est dehors hein. Soyez pas cons, réfléchissez deux secondes !
   Dans le couloir, nous croisons deux soubrettes en train d'astiquer le mobilier. L'une caresse le verre d'une armoire vitrée tandis que l'autre fait la poussière d'une table basse sur laquelle repose une amphore antique. Exactement ce que je veux chez moi ça aussi.
   Pas l'amphore, la soubrette. En jarretière s'il vous plaît. Faut vivre avec son temps.

   Le guide me fait sortir de ma rêverie en indiquant que nous sommes arrivés devant le bureau de Tomi. Et c'est à ce moment-là que le jardinier consent à me lâcher la grappe. Il pouvait très bien me laisser me démerder depuis l'entrée. Sûrement un manque de confiance ça, à tous les coups... Je ne vois vraiment pourquoi mais bon.
   J'ouvre. Je referme. Je frappe. J'attends.

- ... Oui, entrez.

   Je rouvre et j'entre.
   Devant moi, un gamin. Du moins en apparence : le trait délicat, le cheveu clair, l’œil éveillé, le vêtement à peine froissé par le mouvement de sa main, laquelle tient son stylo... le jeune responsable des finances a la vingtaine, tout au plus. Je le fixe en souriant. Il s'arrête d'écrire et fait de même, en soupirant :

- Dorian Silverbreath, je présume.
- Heureux de vous rencontrer également, monsieur Pika.
- Asseyez-vous, je vous prie.

   Je prend place face à lui. Il joint ses mains sur la table et baisse les yeux un instant, songeur... M'a l'air tendu. Affreusement tendu.

- Je vous préviens tout de suite, je ne m'occupe pas des constipations.

   L'a pas l'air de trouver ça drôle. Et moi qui essayait de le décoincer un peu... Il commence tout de même à se ressaisir et me lance :

- Je ne vais pas y aller par quatre chemins Dorian. Je suis embarrassé. Non... Contrarié.
- Respirez un coup, ça passera.
- Je ne crois pas non. Car ces contrariétés, c'est vous qui les provoquées. Vous travaillez bien en tant qu'auto-entrepreneur, je me trompe ?
- Tout à fait.
- Et vous vous occupez de requêtes diverses, comme l'espionnage, l'intimidation, la récupération, la protection et le mercenariat, n'est-ce pas ?
- Et les règlements de compte.
- Pardon ?
- Si on paie bien, je peux aussi faire disparaître un type exécrable, un patron despotique, un amant problématique ou un mari gênant.
- Vous vous rendez bien compte que ce genre de... "demande" est soumise à la juridiction des Cinq ? Et que de toute manière, même avec un mandat de notre part ou la carte des chasseurs de prime, il est interdit d'éliminer qui que ce soit simplement parce qu'il est gênant ?
- Bah ça dépend.
- De quoi ?
- Si le mari est vraiment moche, ça peut être considéré comme une gène, en plus d'être une nuisance visuelle. Je m'explique : si une femme, jeune et belle, se marie avec un type dégueulasse, c'est soit parce qu'on l'y a forcée, soit parce qu'elle a besoin d'argent. Alors en tant que professionnel, il est de mon devoir de satisfaire ma cliente sans poser de question embarrassante sur sa vie privée. Dans le premier cas, elle est libérée d'un poids, dans le deuxième elle hérite et je suis bien payé. Et tout le monde est content ! C'est du bon sens !

   Tomi sert les poings. Faut qu'il pense à sortir, parce qu'avoir le teint aussi pâle, ça lui réussit pas. C'est important de s'aérer l'esprit, ça aide à rester ouvert. D'après ce que j'ai compris.

- De toute manière, vos activités sont totalement illégales et désapprouvées par les Cinq.
- Quoi ?!
- Nous avons des règles ici, Dorian. Vous vivez ici depuis assez longtemps pour le savoir, et ces règles s'appliquent à tout le monde. Alors si vous vouliez faire ce genre d'activité sans réprimande de notre part, il aurait fallu en faire part dès le début ! Et ainsi payer votre impôt sur le revenu. Comme n'importe qui d'autre. Même Tao...
- Ah non ! Venez pas m'emmerder avec ce connard !
- Surveillez votre langage.
- Commencez par m'appeler par mon nom. Je n'suis pas votre ami, ni votre caniche !
- Voulez-vous aggraver votre cas et risquer la peine maximale pour outrage à un représentant, en sachant ce que réservent les hommes de Rokade aux rebuts et aux traîtres ?
- Continuez je vous prie, monsieur Pika.

   Putain. Il a beau être de dix ans mon cadet, ce gamin connaît son affaire. Il n'est pas l'un des dirigeants pour rien ! Même si depuis la prise de contrôle par Clotho, ça ne veut plus dire exactement la même chose...
   Par contre, y a un truc dans ce qu'il vient de dire qui me chiffonne... AH !

- Bon. Il se trouve que j'ai trouvé une solution pour vous permettre de rentrer dans la "légalité". Sous forme de travail.
- Ah oui ? Et quel genre de travail ?
- Bien que cela me tue de l'admettre, la maison Pika connaît une crise. Rien de dramatique, mais... disons que nos chiffres de rentrée sont incorrects.
- Il y a plus ou moins d'argent ?
- Moins.
- Evidemment.
- Nous pensons que le problème vient du Centre d'Acheminement des Ressources.
- Près des docks ? Pourquoi ?
- Parce qu'il s'agit d'une structure placée à la fois sous ma législation, celle de Bob Runo et celle de Pat Doti. Et comme s'occuper ensemble d'un seul bâtiment risquait d'entraîner des problèmes et pour ne pas empiéter sur le travail des autres, nous avons décidé d'élire un Intendant Central pour gérer l'ensemble et nous rendre des comptes par la suite. Le problème, c'est que cela implique aussi les rapports quant aux rentrées et aux sorties d'argent et de ressources.
- Je vois... Vous voudriez que je le fasse avouer ?
- Oui, mais pas seulement : s'il s'avère être le responsable, je veux que vous l’éliminiez en faisant passer cela pour un accident.

   Eh ben, rien que ça ! Comme si le personnel administratif allait risquer sa vie en allant sur le chantier !

- Et vous voulez qu'il meurt de quoi ? D'overdose de paperasse ?
- A vous de vous débrouiller.
- En plus c'est stupide : si vous êtes tous d'accord pour qu'il soit mis hors d'état, vous pouvez le faire vous-même !
- C'est un peu plus compliqué que ça... Disons que par souci d'équité, cet homme a été promu par Odin Tomé...
- Un militaire ? Et alors, ça change quoi ? Il fait quand même partie des Cinq !
- ... A la demande de Clotho.

   Ah. Là oui en effet ça change tout. Si ce pirate apprend qu'un homme qu'il a fait placer à un poste stratégique s'est fait assassiné, ça risque de mettre de la tension dans les relations des uns et des autres. Clotho a pris le pouvoir. Il sait ce qu'il se passe ici, malgré la distance. Même les petits détails. Les Cinq ne peuvent pas se permettre de se mettre à dos leur protecteur. Il suffirait que "Polochon" l'apprenne et on est bon pour la dictature. Mais comme je l'ai dit plus tôt, j'ai un détail à éclaircir :

- Bon. Admettons que je le fasse. Qu'est-ce que j'y gagne ?
- Vous serez rayé de notre liste de travailleurs illégaux. Vous n'aurez plus à vous soucier de rien, si ce n'est l'impôt sur le revenu, et aurez la reconnaissance des Cinq de Rokade. C'est déjà pas mal, quand on sait ce qui vous aurait pu arriver sans que je vous fasse cette demande...
- Alors mettons tout de suite les choses au clair, monsieur Pika. Vous me prenez pour un con et je n'aime pas être pris pour un con. Alors aussi con que je vous paraisse, il y a quand même un truc pour lequel je suis doué, en plus de mes talents d'homme-à-tout-faire : retenir l'essentiel de ce que l'on me dit. Et vous m'avez dit très clairement que cela faisait longtemps que vous saviez pour ma situation.

   Tomi semble réfléchir. Au moment où son regard s'assombrit, je sais qu'il a compris où je veux en venir. Mais il n'ose pas me répondre :

- Alors pourquoi ne pas m'avoir interpellé plus tôt ? Soit vous vous en êtes rendus compte pendant que vous cherchiez quelqu'un pour faire le sale boulot à votre place et avez sauté sur l'occasion, soit mes activités n'étaient pas si gênantes qu'elles en ont l'air et alors je n'ai pas à me sentir menacé.
- Vous restez cependant dans l'illégali...
- Parce que planifier l'assassinat d'un de vos employés véreux c'est pas illégal, peut-être ?

   Je le domine de toute ma taille. Le jeune homme ne sait pas quoi répondre. Son amour propre a dû en prendre un coup lorsque l'idée de se débarrasser de leur Intendant a été votée à la majorité. Tout le monde sait qu'il est l'homme le plus intègre et le plus juste de Rokade. Ni ambitieux ni cupide... Un pauvre petit ange coincé au milieu d'une bande de démons. Impitoyable, je lui tapote l'épaule :

- Allez ! Je vais le faire. Mais je me permets de changer les termes du contrat : d'abord, je conserve mon statut indépendant. Pas d'impôt pour moi. Ensuite, je veux être payé pour ce service que je vous rends.
- Mais si quelqu'un voit que de l'argent a disparu de nos caisses...
- C'est vous le responsable des finances. Vous êtes le plus à même de changer un chiffre en un autre. Et puis si on pose la question, vous n'aurez qu'à mettre ça aussi sur le dos de l'Intendant Central. Donc : je veux être payé.
- ... Combien ?
- Cinq millions. Ni plus ni moins.

   Le jeune homme reste pétrifié sur sa chaise un moment, l'air niais. Je ne saurais dire s'il trouve la somme trop importante ou trop ridicule... La prochaine fois je dirais vingt millions. Juste pour être sûr. Il hésite. Ses doigts commencent à frapper le bord de la table en cadence. Je frotte doucement le manche de mon bâton.
   Il finit par se prendre la tête entre les mains et déclare :

- C'est d'accord. Vous avez carte blanche. Débrouillez-vous comme bon vous semble mais pas de bavure je vous en prie.
- Comptez sur moi... Et comptez les billets !
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- Alors ça ressemble à ça, le Centre d'Acheminement des Ressources hein...

   Près des docks, un grand bâtiment semblable à un énorme entrepôt. Un plafond de verre, des poutres d'acier tous les trois mètres, une zone d'amarrage pour la réception des bateaux et de leurs marchandises, le tout supporté par un immense hangar de transit. Des dizaines et des dizaines d'ouvriers fourmillent autour.
   J'ai reçu d'un des hommes de Pika toutes les informations sur l'Intendant Central. Un certain Larry Tournel, trentenaire, cheveux mi-longs, bruns, une balafre sur la joue gauche, un éternel manteau rouge rapiécé au niveau de la manche. Il parle fort, a tendance à se gercer la lèvre inférieure en passant la langue dessus et sort rarement de son bureau sauf pour manger et rentrer chez lui, au 4, Allée des Recrues. Il se déplace toujours accompagné de son ami et voisin, Dimitri Pitch, un gringalet barbu en habit de marin. Ce qui rend l'élimination sur le trajet délicate. Surtout que le quartier est bourré de monde.

   Mais ce n'est pas grave en soi, puisque j'ai carte blanche. Je souris de toutes mes dents. "Trois jours" que j'avais dit au responsable. Un délai nécessaire, bien que court. Mais pour Cinq millions de berrys, autant faire bonne impression !
   Et puis parler de meurtre avant de savoir s'il s'agit bien du responsable, c'est vite dit. Heureusement je sais déjà à peu près comment agir. Me manque seulement le papier nécessaire pour accéder aux docks. Et la seule personne agréée pour me fournir le pass, c'est le secrétaire du Centre. Et devinez qui est le gratte-papier que je dois rencontrer ?

- Hep, toi là : t'as pas l'air d'être un ouvrier... qu'est-ce que tu fiches ici ?

   Un travailleur s'approche de moi, les sourcils froncés. L'a une sale gueule de commère en plus d'avoir l'air d'être une sacrée balance.

- Tu tombes bien toi : j'suis Darius Méfey, du bureau des finances. J'viens voir monsieur Pitch pour qu'il m'permette de contrôler nos stocks de condiments.

   Merci la couverture offerte par Tomi : nous approchions en effet d'une date de contrôle. Hé oui : c'est pas parce que nous sommes sur un territoire de hors-la-loi que nous devons manquer de logistique et de prudence. Quand on a toute une île à nourrir, mieux vaut avoir une administration solide pour être sûr que les ressources importées soient consommables. Du coup l'autre ahuri se gratte la tête, un peu gêné de sa connerie, et me dit :

- Arf, excusez-moi m'sieur. C'par là-bas, à côté du hangar, à l'étage. J'vous y amène si vous voulez.
- Eh bien pourquoi pas ? Guide-moi mon brave... Comment qu'tu t'appelles tiens ?
- Greg m'sieur.
- Eh bien en avant, Greg Missieu !

   Nous passons devant ses collègues qui ne tournent même pas la tête pour dire bonjour. Grossiers. Et affairés. Comme je le pensais, j'me tape bien le seul curieux du lot, dès mon arrivée. Super. En plus il commence à m'poser des questions sur ma vie. Ce que je fais, ce que j'aime faire, mon repas de la veille, en quoi consiste mon job...

- Oh là, je t'arrête de suite Greg : j'aime pas trop les interrogatoires. Pour la simple et bonne raison que d'habitude, c'est moi qui pose les questions et les autres qui répondent. J'me suis tapé suffisamment d'études pour plus avoir à faire d'exposés bidons sur l'économie supra-légale et le droit incivique. Tu vois ce que j'veux dire ?

   Je sais même pas de quoi je parle. Mais je suppose que lui non plus puisqu'il me regarde avec un air encore plus stupide qu'avant. Des études j'en ai fait, c'est pas la question. Mais pas dans ce domaine-là précisément... Remarque maintenant qu'on en parle, ça m'intéresse.

   Nous arrivons enfin devant le bureau du secrétaire. Greg se barre, je frappe, je rentre. J'vais finir par m'habituer à ce genre de scène :

- Bonjour, monsieur Pitch ! Ici Darius du bureau des finances !
- Bonjour euh... Oh ! Le bureau ? On ne vous attendait pas avant la semaine prochaine ! Ca nous prend un peu de court...
- Oh disons que le grand patron s'est dit qu'une visite surprise serait plus amusante. Et puis au moins, comme ça, les choses seront réglées plus vite ! N'est-ce pas ?
- Ahah oui... Plus vite oui...

   Oulah, m'a l'air bien tendu. Ça aussi je commence à y trouver redondant. Ils ont tous un balai dans le cul et la gueule du condamné qui tente de desserrer la corde autour de son cou ! Mais je vais éviter les blagues puisque mon humour n'est pas bien perçu chez les bureaucrates, apparemment.
   Il se gratte la barbe d'un geste nerveux et tente de se reprendre :

- Je suppose que vous voulez mon accord pour accéder à l'ensemble des docks ainsi qu'au hangar de transit ?
- Bah c'est le but oui.
- Très bien...
- Pétez un coup.
- Je vous demande pardon ?
- Faut vous détendre hein, c'est pas comme si vous aviez des choses à vous reprocher !
- N-non vous avez raison ! Je m'excuse ! Une mauvaise journée voilà tout...
- Pour sûr qu'elle est mauvaise : il fait un temps dégueulasse.
- Euh...
- Bon, pas de crachin, pas de vent non plus, mais alors ces nuages là... M'est avis que c'est un mauvais présage.

    Dimitri Pitch tire une de ces têtes... Vous devriez voir ça ! J'ai beau la jouer détente, les accusations sont là et lui il a clairement l'air de se reprocher quelque chose. Ou alors il est sacrément nerveux et c'est pas bon quand on a son poste. L'a de la chance d'être pote avec l'Intendant tiens.
   Mais qui dit "pote" dit souvent "confident", voire "complice". Si celui-là n'a pas l'air net, qu'en est-il de son supérieur ? Je vais certainement devoir m'entretenir avec le coordinateur en chef pour que tout devienne clair.

- Au fait : est-ce que monsieur Tournel est dans les parages ? J'aimerai m'entretenir avec lui un instant.
- C'est que... Monsieur Tournel est occupé et je doute qu'il ait du temps à vous consacrer.
- Bah ! C'est pas grave.

   Mais ça m'fait chier.
   J'ai pas l'habitude qu'on me complique la tâche. Surtout sans le faire exprès ! Quoi que, ça se discute. Enfin bref, je sors de la pièce, papier en main, et je commence mon inspection très officielle de l'endroit. Derrière la vitre, le secrétaire me suit des yeux en se triturant les doigts. Puis il décroche son escargophone.
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- Ici, c'est l'endroit où nous stockons les matières premières : des métaux du Cimetière d’Épaves que nous recyclons ; du bois d'Endaur d'excellente qualité ; des pièces diverses et variées du Royaume de Bliss...
- Je sais d'où provient tout ça.

   En fait non, mais faut bien coller à notre personnage du moment, n'est-ce pas ? En tout cas ça suffit à faire fermer sa gueule à Greg. Je viens de lui demander gentiment de me faire visiter les lieux et nous avons déjà fait le tour de la plupart des docks et du hangar de transit. Rien ne m'a semblé anormal dans l'ensemble : chacun s'atèle à sa tâche sans broncher, sans outrepasser ses droits ou ses directives, la communication est au rendez-vous et la rigueur également... Je pense que certains feraient de bons sous-fifres. Mais chaque chose en son temps.
   J'ai noté les relevés de chaque gestionnaire, ainsi que la quantité de chaque matériau. Le tout m'a pris la quasi-totalité de ma journée. J'ai même vérifié l'inventaire des archives de la semaine et calculer les biens acquis. Au berry près. Il me suffirait d'envoyer le compte-rendu à n'importe quel entrepreneur pour qu'il m'embauche comme comptable, à n'en pas douter !

   Tout ça pour ne pas griller ma couverture... et trouver des erreurs quelconques. Mais rien n'y fait. Je suis face à un mur en granit marin aussi grand et large que les portes du Triangle Floriant.
   Seulement il me reste un endroit à vérifier : la zone A de l'entrepôt. Où se situe le bureau de l'Intendant Central. Je lève la tête vers le plafond de verre, maintenu par la charpente en acier, et regarde les nuages sombres, annonciateurs d'orage. Le vent commençait d'ailleurs à se lever... Et j'avais oublié de prendre une veste.

- A partir de là, j'pense que j'y arriverai seul. Merci bien l'ami !
- Pas d'problème m'sieur... Hésitez pas si jamais z'avez encore besoin d'moi !
- Mmh... J'y penserai !

   Oh que oui. On a toujours besoin d'une fouine pour chercher là où on a fait que survoler. Sait-on jamais.
   Je me dirige donc vers la zone A, passant délibérément devant le bureau de Larry Tournel, à côté de la salle de stockage du matériel d'entretien. Mais je ne vois personne à l'intérieur. Le secrétaire n'a peut-être pas menti... Pourtant je ne peux m'empêcher d'avoir une impression désagréable. Comme si on m'avait demandé de me retourner en tout innocence pour me foutre un doigt près du fion, dans l'attente que je recule sous la surprise.

   Enfin bon, je fais mon affaire comme si de rien n'était. Je rend visite au gestionnaire sur les lieux, griffonne deux-trois mots lisibles que par ma personne, je compte, j'observe, je questionne, je recompte, je furette, je requestionne... Mais rien, je ne trouve rien d'étrange. Et ça ne me plaît pas, puisque je suis bel et bien CENSÉ trouver une couille dans cette énorme soupe d'anguilles... Pas sûr que ce soit l'expression exacte mais l'idée est là.

- Je peux vous aider ?

   Je tourne la tête et vois un grand type, les bras croisés et le regard hautain. Il a une balafre sur la joue et porte un manteau rouge abîmé. Mon homme. Je souris, confiant :

- Vous tombez bien ! C'est vous que je souhaitais voir aujourd'hui. Votre secrétaire m'a dit que vous étiez occupé alors j'ai commencé mon travail par les zones extérieures, histoire de finir par votre bureau. Je suis...
- Monsieur Méfey, oui : Dimitri m'a prévenu de votre visite.
- En personne ?
- Par escargophone. Cela prendrait trop de temps de se déplacer d'un coin à l'autre de ce bâtiment pour ce genre d'information.

   Pas si occupé que ça donc, si le secrétaire prend la peine de l'appeler. Mais une réponse qui a le mérite d'être logique. La voix de l'Intendant est rauque, le ton sévère. On ressent l'agressivité de l'ex membre des forces armées. C'est un homme de poigne. Raison de plus pour douter de son honnêteté : ce sont souvent ceux dont on ne peut discuter les ordres qui ont le plus de chance d'agir en toute impunité. J'en sais quelque chose !
   Je soutiens son regard sans défaillir, mes lèvres de plus en plus étirées et demande :

- Auriez-vous donc un peu de temps à m'accorder ?
- Suivez-moi.

   Il m'entraîne jusque dans son bureau. Je m'installe confortablement dans la chaise qui lui fait face. Il en fait de même et croise les doigts devant lui. Là encore un mauvais point : les politiciens disent souvent de sacrées conneries en étant dans cette position. Alors un bureaucrate...

- De quoi veut parler l'envoyé du responsable des finances ?
- Eh bien de choses basiques mais primordiales, je pense. Tout d'abord, je voulais savoir si tous vos ouvriers font bien leur travail. Avez-vous eu des soucis récemment ?
- Rien de la sorte, non. Pas de problème particulier. Pas d'incident à déplorer non plus. Un exploit quand on sait ce qui peut arriver lorsque les cordes retenant une caisse de plusieurs centaines de kilos lâchent sans prévenir.

   Menace ou fait avéré ? Peu importe. A retenir cependant : Larry aime aller à l'essentiel. Soit un manque de temps, soit une nature froide. Soit...

- Est-ce que les rapports que j'ai recueillis auprès de vos gestionnaires sont à jour ? Je sais que vous êtes le premier à voir l'inventaire de chaque cargaison et que vous dispatchez ensuite le tout entre les différentes zones.
- Mon secrétaire réceptionne le tout et me les envoie. J'ai rarement le temps de me déplacer jusqu'aux quais ou jusqu'aux voies routières de moi-même. Mais je suis le premier à étudier l'ensemble et à le transférer, en effet.
- Et vous certifiez donc n'avoir rien vu d'anormal dans les derniers rapports ? Ni dans les derniers inventaires ?
- Où voulez-vous en venir ?
- Je veux dire par là que nous sommes sur Rokade. Les magouilles, les entourloupes, les fraudes, les échanges douteux... personne n'est dupe. On ne se fie jamais entièrement à quelqu'un ici. Sauf peut-être ses parents. Et encore !
- Je vous arrête tout de suite : je ne suis pas du genre à me laisser entuber par des petites frappes. J'ai été choisi par monsieur Odin Tomé, responsables des forces armées, pour mon sens du devoir et pour mon application à la tâche. Et j'ai confiance en ma capacité de jugement. Tout autant qu'en Dimitri. Ma seule famille à l'heure actuelle. Et je peux dire que votre tête ne me revient pas. Je ne vous ai jamais vu avant et j'espère ne jamais vous revoir à l'avenir. Avez-vous d'autres questions ou en avons-nous enfin terminé ?

   Eh beh.
   On ne peut pas dire qu'il soit du genre sympathique quand il accepte de s'ouvrir aux autres. En temps normal je lui aurai collé mon poing dans la figure mais le travail m'oblige à rester professionnel. Au moins le temps que je sache où se situe le problème.

- J'en ai une dernière malheureusement : avez-vous embauché de nouveaux travailleurs cette semaine ? Si oui, j'aimerai en avoir la liste. Ainsi que la liste de toutes les cargaisons et leurs transports.

   Le visage de l'Intendant se trouble légèrement et il commence à se mâcher la lèvre inférieure, passant sa langue dessus à plusieurs reprises. Il finit par s"exécuter. Je regarde la première feuille et y voit le nom de deux personnes : Jimmy Raidot et Bruno Adams, la vingtaine. D'anciens mousses reconvertis. Au dessus de nos têtes la pluie commence à s'abattre sur les plaques de verre.

   Je suis trempé jusqu'aux os lorsque je retrouve Greg. Il rentrait tranquillement chez lui quand je l'ai reconnu de loin. L'aurait pu m'attendre un peu ! Il m'avait dit que je pouvais lui demander ce que je voulais quand même... Putain.

- Z'avez besoin de moi, m'sieur ?
- Non, j'viens seulement te souhaiter la bonne soirée... Evidemment que j'ai besoin de toi, andouille ! T'crois vraiment que je t'aurais couru après si j'avais rien à te demander ? Et mes documents qui sont trempés, bordel de m...
- D-désolé, m'sieur...

   PAF !

- C'est bon t'es excusé ! Maintenant écoute-moi bien : je vais avoir besoin que tu fasses quelque chose de spécial pour moi demain. Rien d'illégal rassure-toi, c'est pour peaufiner mon travail d'aujourd'hui, je n'ai pas eu le temps de finir et j'ai une autre mission demain. Alors pourras-tu vérifier pour moi l'ensemble des cargaisons notées ici ? Et si possible en parler avec le capitaine de chaque navire les ayant apportées.
- Compris !
- Merci bien. Et à titre plus... sécuritaire : pourrais-tu surveiller ces deux personnes ? J'ai relevé certaines incohérences cette semaine et cela coïncide avec leur arrivée. Tu seras récompensé, crois-moi.

   Je lui souris d'un air innocent. La fossette sur ma joue trahit mon envie de rire. D'un rire mauvais.
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Tout se goupille enfin comme je le souhaite. Je vais pouvoir passer à l'étape numéro deux, ma préférée dans l'histoire : l'aveu du coupable et la résolution du problème. C'est un peu comme faire une omelette ! Et j'aime les omelettes. Encore plus quand c'est moi qui casse les œufs.

   Cette commère de Greg m'a offert toutes les infos que je souhaitais : les chiffres exactes de tout ce qui est arrivé par navire, l'argent réceptionné dans les convois, l'heure d'arrivée à quai des différents bateaux... J'en ai même appris davantage sur les deux nouveaux : deux foutus jeunots qui n'ont jamais causé le moindre problème majeur. Aucune ambition, aucun acte conséquent, aucune prise de décision... Des moutons quoi. Rien qui laisse supposer qu'ils aient pu détourner d'eux-mêmes de l'argent et des ressources.
   Du coup j'ai demandé à Greg de rassembler le maximum de ses collègues avant la fin de leur journée. Nous sommes déjà en début de soirée et il me reste quelques détails à régler.

   Le deuxième jour touche à sa fin, et cette mission sera bientôt marquée du sceau de la réussite. Je me sers d'une caisse d'armes en guise d'estrade et regarde la belle bande d'employés manuels qui me dévisagent sans trop comprendre pourquoi ils ont été rameutés ici. Il ne faudra pas longtemps avant que n'intervienne le secrétaire pour voir ce qui retient l'équipe, alors j'ai intérêt à faire vite. Et bien.
   J'inspire un coup, j'écarte les bras et lance :

- Messieurs ! Certains d'entre vous m'ont certainement aperçu hier. Je suis Darius Méfey du bureau des finances et je viens vous avertir d'un problème majeur qui concerne votre condition à tous ! Et croyez-moi, elle est déplorable !

   Quelques murmures, deux-trois ricanements étouffés. On est entre l'étonnement et l'amusement. Mais je ne suis pas là pour plaisanter. Du moins c'est ce qu'il faut que je leur fasse croire :

- Soyez attentifs à ce que je vais vous dire : vos supérieurs se paient votre gueule. J'ai étudié la qualité de votre travail hier, j'ai vérifié les dossiers concernant la majorité d'entre vous, et je suis tombé sur ça !

   J'agite devant eux un document jauni portant le sceau du Centre d'Acheminement des Ressources. Certains, même de loin, reconnaissent le papier :

- Oui. Oui ! Il s'agit de votre feuille de paye ! Ici est indiqué la part de ce que vous touchez pour tout le travail fourni. Sans distinction de classe, de zone ou d'ancienneté. Laissez-moi vous dire que même si certains d'entre vous s'en contentent, il faut que vous le sachiez. C'est une HONTE ! Ceci est le salaire d'un ouvrier lambda, sans grande responsabilité. Mais vous travaillez plus que cet ouvrier-là, votre tâche est plus importante que la plupart des autres et vous devriez vous contenter de ce que touchent les petites gens ? Méritez-vous vraiment d'être traités comme de vulgaires larbins ? Votre qualité de vie doit-elle être dictée par deux bureaucrates, placés là en se faisant pistonner ? N'est-ce pas odieux ? N'est-ce pas injuste ?

   Je laisse un temps. Ma voix grave et forte, mon geste net et précis, mon assurance ferme et déconcertante sont la clé pour leur offrir un discours convaincant. Ça et l'appât du gain : rappelez à ces bosseurs qu'ils furent autrefois des pirates, des bandits et des criminels de toute sorte et la possibilité de s'enrichir davantage redevient leur principale motivation. Je ne fais que réveiller leurs désirs enfouis. Une trop longue vie de sédentaires soumis à des règles strictes les a rendus faibles. Mais leur instinct premier est intact. Il faut juste que je les motive un peu plus :

- Mes amis, vous valez mieux que ça. Vous, vos proches, vos parents peut-être, avez connu la vie. La vraie vie ! Celle où l'on agissait selon notre envie, sans savoir de quoi demain serait fait ; celle où la déception de l'échec s'accompagnait des joies d'une réussite que l'on s'empressait de fêter à la taverne d'à côté ; celle où l'on était maître de notre destin, ne laissant personne nous dire que nous avions tord ; celle où nous étions libres ! Alors je vous le dis encore UNE fois : est-ce là la récompense tant attendue ? Je vous le dit comme je le sais depuis que je suis au bureau des finances, mais en réalité vous méritez tous... 15% de plus.

   Au départ, un grand silence. Puis un bras se lève accompagné d'un cri de ralliement. Puis un deuxième. Puis l'ensemble de l'assistance, enfiévrée par l'effet de groupe, se met à scander le nom de leurs supérieurs, suivis de surnoms sympathiques :

- Pitch, le Maudit ! Tournel, la Pucelle !

Certains applaudissent tandis que d'autres appellent aux armes. Avant que je ne les arrête, par crainte d'en avoir trop fait, d'autres leur font barrage en appelant à la grève. Bientôt les trois quarts de l'assemblée forment un syndicat pacifique, obligeant le dernier morceau à suivre le mouvement. Au final : la peur de perdre leur poste et leur salaire les fait raisonner.

   Pendant que tout ce beau monde s'agite du côté des docks en l'attente de ma personne, attirant l'attention du secrétaire Dimitri Pitch, scandalisé, je me dirige vers le bureau de ce cher Larry Tournel. Je me baisse pour ne pas être visible à travers la vitre. Je regarde par le trou de la serrure : il est occupé à ranger des dossiers. Il me tourne le dos.
   J'ouvre la porte doucement et m'approche silencieusement de lui, mon bâton en main.
   Et je frappe.

   Lorsque l'Intendant se réveille, il est attaché. Il se débat vainement et finit par me voir, tout sourire. Il se raidit, l'air grave. Je me délecte de cette vue avant de lui dire :

- Tséhéhé... Mon cher Larry, je crois que nous avons beaucoup de choses à nous dire tous les deux.
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- Enflure... Je savais que ta tête ne me revenait pas.

   Larry m'a vu, Larry m'a répondu. Mal en plus. J'avais bien dit que c'était un homme de caractère. Il me plaît d'autant plus... L'envie de m'amuser grandit en moi et je caresse doucement le manche d'Argument du bout de mes doigts. J'ai hâte de savoir jusqu'où il pourra me résister. Dommage que le temps me soit compté. Seul point positif : il peut crier autant qu'il le souhaite, peu de chance que ses hommes l'entendent vu le bruit venant de l'extérieur. Surtout que nous sommes à l'intérieur de l'un des stocks de la zone C. Celui où est entreposée et salée la viande des bêtes trimbalées par convoi.

- C'est toi qui a provoqué cette pagaille dehors ? Joli travail. L'efficacité va s'en faire ressentir.
- Ironique venant de toi, mon petit Tournel.
- Pardon ?

   Je lui décoche un coup en pleine mâchoire. Pris par surprise, il se mord la langue et gémit de douleur, du sang plein la bouche. J'attend de voir si le choc ne l'a pas trop sonné et reprend :

- Allons... Tu sais pourquoi je suis là, j'en suis sûr.
- Non, je ne sais pas.
- Alors je vais te rafraîchir la mémoire ! Parce que nous sommes tous les deux au courant de ce qu'il se passe ici. N'est-ce pas ?
- Au courant de quoi ? Tu es cinglé...
- Tu es sûr que tu veux jouer à ça, là tout de suite ?
- Je ne suis pas très joueur.
- Ça tombe bien, moi non plus !

   Ah... Ironie.
   L'argent percute l'estomac de l'Intendant qui se plie en deux. Et il crache par terre, le dégueulasse ! Aucun savoir-vivre ! Ça me donne d'ailleurs envie de lui en remettre une dans l'épaule... Du coup je le fais. Et... Voilà il se redresse. Continuons :

- Je vais t'expliquer quelque chose : je suis envoyé par le responsable des finances.
- Tomi... Pika ?
- Exactement ! Et je suis sûr que tu as entendu parler de son intégrité légendaire. Alors crois-tu qu'il m'aurait envoyé s'il n'avait rien trouvé d'étrange ici, au Centre d'Acheminement ?
- Je ne comprend pas... Je...

   Il panique. Je le sens. Il perd son assurance et j'y vois un signe de culpabilité. Il faut que j'arrive à lui faire cracher le morceau.

- Il m'a envoyé parce que les dernières rentrées ne concordent pas avec ce qu'il était censé obtenir. Du moins d'après ses calculs. En se renseignant, en farfouillant par-ci par-là dans les différents documents, dans les différents rapports, en interrogeant les bonnes personnes... Nous en sommes venus à la conclusion que quelqu'un au C.A.R. était responsable de ces malversations. Quelqu'un de suffisamment indépendant pour ne pas être emmerdé par les Cinq.

   L'autre voit très bien où je veux en venir. Ce n'est pas un imbécile. Par contre, qu'il est borné :

- Je ne suis au courant de rien. Vraiment.
- Mauvaise réponse.

   Une côte en moins.

- Argh ! Non vraiment je ne sais rien !

   Deux côtes en moins.

- Je... Ne suis pas... Responsable !

   Le genou maintenant. Qu'est-ce qu'on s'amuse.

- AH !

   L'opération continue ainsi jusqu'à ce que la moitié des os de son corps soient réduits en miettes. Ecchymoses et contusions éclosent indéfiniment sur sa peau attendrie par le martèlement régulier de mes coups.
   Las de cette pratique, je range Argument et sors mon couteau. Le faire parler s'annonce plus compliqué que prévu. Et j'ai beau l'intimider à force de menaces et de preuves avérées, il refuse catégoriquement d'avouer. Je commence à perdre patience et, à l'extérieur, les cris et les protestations des ouvriers sont de moins en moins virulents.
   J'attrape la main de Larry et la maintient fermement contre l'accoudoir de la chaise, toutes phalanges apparentes.

- Bon. Vu que je manque de temps, je préfère passer à la vitesse supérieure. Désolé, j'aurai préféré terminé là où j'avais commencé mais... puisque les os se ressoudent, il n'y a aucun véritable intérêt. Tu dois en être conscient. Je vais donc m'assurer que la peur de la punition s'insinue en toi... Morceaux par morceaux...

   L'Intendant Central est affaibli, mais pas totalement déphasé de la réalité, et celle que je lui promets l'effraie sincèrement. Il trouve le moyen de s'agiter de telle sorte qu'il me faut redoubler d'efforts pour que sa main reste stable. Je maintiens ses doigts en posant les miens par dessus et approche mon couteau au dessus de son annulaire gauche. Au niveau de la première phalange.

- Je vais compter jusqu'à dix. Tu as donc dix secondes pour me dire ce que tu as fait de l'argent et des biens manquants. Si tu ne me dis pas ce que je veux, je tranche et je recommence... Tu as cinq doigts par main. Un total de vingt-quatre phalanges... Quand on y pense, ça fait beaucoup ! Ce serait dommage que tu passes les deux cent quarante secondes qui vont suivre dans la douleur, sans moyen de faire machine arrière, n'est-ce pas ?
- Pitié... Pitié, PITIÉ ! Arrête ! Je ne sais rien, je le jure, je...
- Un.
- S'il te plaît...
- Deux.
- Putain...
- Trois. Quatre.
- Mais c'est...
- Cinq.
- ... pas moi ! Je ne...
- Six.
- ... sais rien !
- Sept.
- Je le jure !
- Huit.
- Je t'en prie...
- Neuf...
- Non non non NON !

   Tchac.
   Le petit bout de doigt tombe par terre. Le sang coule de la plaie tandis que les larmes de mon jouet  coulent jusqu'à tomber au niveau de ses lèvres grimaçantes. Il n'a pu s'empêcher de crier. Heureusement que l'endroit est bien fermé : manquerait plus que ça alerte mes grévistes.
   Et devinez quoi ? Je suis obligé de recommencer plusieurs fois l'opération. Dix-huit fois en tout. Mais ne soyez pas tristes : ça ne m'a pas tant dérangé que ça.

   Le problème, c'est que le bougre n'a plus que deux doigts intacts sur la main gauche. Le reste n'est que plaies béantes et flots d'hémoglobine tandis que l'autre main n'est plus qu'un moignon rouge immonde reposant sur un accoudoir visqueux et noirâtre. Et je ne vous parle pas de l'odeur... Je plains le mec qui viendra nettoyer ce merdier juste après ! Heureusement que j'avais choisi le jour où l'on éventrait les porcs : personne ne se posera de question, en voyant les tripes et les boyaux qui se baladaient sur l'un des plans de travail, près des crochets à viande.
  On entrepose vraiment n'importe quoi dans cet endroit, quand même ! Mais ce n'est pas le moment de s'émerveiller.
  L'autre bave, la tête penchée en avant. Il n'a plus la force de hurler, ni même de lutter. C'est à peine s'il est encore conscient. Je l'entends pourtant murmurer, entre deux bruits de gorge, des mots à peine audibles et incohérents pour la plupart, sauf :

- ... Pas moi... 'ien fait... Sais pas...

   Il faut admettre que là, il est fort. Mais ce n'est pas logique. N'importe qui aurait craqué ! On ne protège pas une fraude avec autant de ferveur ! A moins d'être complètement débile ! Et au risque de me répéter, lui n'est pas un imbécile.

- Alors pourquoi ?!

   C'est vrai ça ! Pourquoi ? Qu'est-ce qui le fait garder le secret ? S'il dit qu'il ne sait rien alors... C'est... Qu'il ne sait vraiment rien ?
   Putain. Ça me fait bien chier là ! Interroger de la sorte un type innocent, sans aucun indice pour continuer... Ça s'appelle se faire baiser ! Avec le poing en plus ! Ça m'apprendra à partir confiant, tiens ! Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même pour avoir été aussi con et borné !

   Bon. Je fous quand même un coup de pied dans ce pauvre Larry. Parce qu'à la limite, ça lui changera pas grand chose. Faut que je me défoule là ! Et que je réfléchisse...

  J'ai vraiment dit "aucun indice" ?
  ...
  Non. C'est faux. J'en ai un : les paroles de l'Intendant lors de notre rencontre la veille. Je lui ai demandé s'il était bien le premier à vérifier les stocks des marchandises et qui comptait l'argent acquis lors des transactions. J'ai considéré que sa réponse le plaçait comme suspect principal mais... Il a pourtant clairement dit que ce n'était pas lui, réellement le premier à VOIR les-dites marchandises. Ni les berrys. C'était Dimitri Pitch.

- Oh le con !

  Je me frappe le front deux fois. A la troisième, je tapote l'épaule de Larry pour tenter de le faire émerger le temps que je lui parle :

- Hé ! Désolé l'ami... Je te crois maintenant. Tu dois t'dire que c'est un peu tard mais bon? Comme disent les gens biens : "Mieux vaut tard que jamais !" Alors essaie de pas en tenir trop rigueur... D'ailleurs j'pense que tu t'en fous un peu désormais. T'as qu'une envie, et comme ça s'rapproche de c'que je veux faire, bah je vais t'accorder cette dernière volonté.

   Lentement sa tête se tourne dans ma direction. Dans ses yeux se mêlent la résignation et le doute. Au moment où ma lame s'enfonce dans sa poitrine, les dernières larmes coulent de ses paupières mi-closes et sa bouche se serre, la mâchoire inférieure entre les dents.
   
En fin de compte, il ne voulait pas mourir. Mais au point où j'en suis, je n'en ai clairement plus rien à foutre.
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Je me casse le cul à ramasser le corps et les phalanges éparpillées par terre. Je jette la chaise aux ordures et je nettoie un peu le sol, histoire de rendre l'endroit plus... propre ? Je nettoie mes armes. Je cours jusqu'à la barque que j'ai planqué près de la baie désaffectée, servant aujourd'hui de dépotoir pour le Centre d'Acheminement, et y dépose Larry. Je me débarrasse également de ma chemise, souillée durant l'interrogatoire, et la remplace par un haut sale d'ouvrier maritime.
 
   Je me précipite vers le bureau du secrétaire et entreprend de fouiller ses tiroirs. Au bout d'un moment, je tombe sur un coffret fermé, assez grand pour y mettre un chat adulte, et le fracasse à coups de bâton.
   Pas le temps de chercher la clé !
   Et là je trouve une mine d'or.

   Tous les documents originels, avec les chiffres exacts des quantités de ressources, des gains lors des échanges, des transactions, des pillages... Tous les foutus papiers prouvant que les quotas n'étaient pas respectés. Ne me manque plus qu'à trouver l'endroit où sont entreposés tous ces biens acquis de façon malhonnête. Et je ne compte pas sur cette connasse de Providence pour m'y aider...

   CROUIIIC.

   Ah. Peut-être m'a-t-elle entendue ! Car face à moi se tient le secrétaire. Monsieur Pitch vient de rentrer, tandis qu'au dehors le calme est revenu. Le teint de plus en plus pâle, il me pointe du doigt et me dit :

- V-vous n'avez rien à faire ici ! C'est mon bureau !
- Certes. Mais ceci n'est pas à vous, je me trompe ?
- Ces documents... Rendez-les moi.
- Et pourquoi le devrais-je ?
- Parce que vous ne savez pas dans quoi vous vous embarquez !

   Il frappe dans ses mains et aussitôt rappliquent Jimmy et Bruno, les deux petits nouveaux que j'avais fait surveiller par Greg. Des moutons, ça oui ils en sont bels et biens ! Mais pas si innocents au final. Comme quoi les suppositions... C'est décidé j'arrête les missions où l'on doit enquêter !

   Les deux s'élancent sur moi sur ordre de leur petit maître, tout paniqué d'être ainsi démasqué. Le premier, Jimmy, m'attrape le bras tandis que le deuxième, plus grand, me décoche un coup de poing dans la figure. J'encaisse le coup en grimaçant. Malheureusement pour eux, j'ai toujours mon arme de sortie et je la fais tournoyer pour les repousser. Je la tiens alors des deux mains et, à la manière d'un batteur au base-ball, j'envoie voler l'un dans le décor, prenant sa tête pour une balle. A l'atterrissage, celle-ci tombe et forme un angle bizarre par rapport au reste du corps. Les vertèbres ont dû être sectionnées.
   L'autre revient à la charge par derrière, mais je le réceptionne avec mon coude. Puis je lui flanque mon pied dans le rein et mon crochet dans la mâchoire. Une fois à terre, je le frappe à nouveau, histoire d'être certain qu'il ne se relèvera pas. On est jamais trop prudent. Même si cela se rapproche plus de l'habitude que de l'instinct de survie.

   Désormais seul, Dimitri se met à trembler. Je lui jette un regard assassin. De la sueur dégouline de son front :

- Je suis désolé... Je... Faut me comprendre...
- Toi mon petit... T'as réussi à m'indisposer. Mais d'une force... T'imagine même pas.
- Pardon... Je ne...
- Me faire perdre une journée pour fouiller l'ensemble de ce fichu entrepôt. Me forcer à employer un homme plus candide qu'intelligent. M'obliger à buter ce pauvre Larry qui n'a rien demandé...
- Oh merde... Ecoutez...
- Et envoyer devant moi deux gosses au casse-pipe... Un beau gâchis ! T'en tiens une couche Dimitri. J'sais vraiment pas comment tu peux rattraper le coup là... Ou si en fait.
- Prenez l'argent ! Prenez tout !
- Bien. Conduis-moi à ton trésor, l'ami.

[...]

   Nous sommes proches du dépotoir. Je dépose tranquillement le corps des deux jeunots sur la barque avec Larry. Dimitri me conduit jusqu'à un peu plus loin, près d'un quai plus en arrière de l'île, peu utilisé. Là se dresse une petite caravelle arborant un Jolly Roger. Un petit navire de pirates, discret et pas effrayant du tout. Le genre de bateau qui fait gentiment sourire la plupart des habitants de Rokade. En somme le genre de bâtiment dont on ne soupçonnerait pas l'importance :

- C'est là-dedans... C'est le navire d'un équipage que je côtoie depuis quelques temps... N'ont pas une très grande influence sur ces eaux-là, pour ne pas dire qu'ils n'en ont aucune. Seulement nous avons réussi à nous entendre. Eux et leurs rêves de rapines et de gloire et moi et mon désir de m'enrichir. Comme nous tous ici d'ailleurs, non ? De ce fait nous nous sommes mis d'accord pour obtenir des fonds suffisants pour lancer notre partenariat, et ma position au Centre était ce qui allait nous y aider : tous les mois, de nouveaux ouvriers arriveraient, comme Jimmy et Bruno, sortis tout droit de cet équipage. Ils m'aideraient à frauder et à déplacer discrètement et rapidement une partie des ressources, jusqu'au jour où nous aurions assez pour nous offrir d'autres membres, du meilleur équipement et, surtout, pour prendre le contrôle du C.A.R.
- Un bien joli plan en soit. Une belle ambition. T'remontes presque dans mon estime Dim' ! Dommage qu'on en soit arrivé là !
- Vous allez récupérer les biens du bureau des finances ?
- Non. Le responsable Pika s'en chargera. Moi j'ai mieux à faire.

   Ma lame se loge une place près de son coeur et la soudaineté de l'action le transperce d'émoi et d'ébahissement. A moins que ce ne soit de la stupéfaction ? Quoi qu'il en soit, son regard se voile et son corps s'affaisse :

- Je me débarrasse des éléments gênants.

[...]

  Tomi Pika me regarde sans montrer la moindre émotion. Pourtant le tapotement de ses doigts sur la table de son bureau trahit son contentement :

- Félicitations, Dorian. Du très bon travail. Comme convenu, vous empochez de cinq millions de berrys et obtenez notre silence quant à vos activités.
- Un plaisir de faire affaire avec vous ! Mais par simple curiosité : qu'allez-vous faire pour l'argent ? Il est sur un bateau pirate quand même... Voulez-vous un coup de main pour l'en sortir ?
- Non, nous nous en chargerons. Il suffit d'un rien pour faire pression sur des faibles de ce genre... Et je pense que voir foncer sur eux une barque remplie de cadavres et d'explosifs depuis un dépotoir finira de les convaincre de nous dédommager. Surtout si l'information circule comme quoi les cadavres sont ceux des supérieurs du C.A.R et que leur mort entraîna une mutinerie au sein de l'équipage, provoquant ainsi l'incendie de leur caravelle... Et personne ne tient à ce que ce genre d'information circule.
- Ce qui veut dire que ma visite au Centre juste avant les événements ne sera pas révél...
- Personne. Pas d'information. Les Cinq sont tous d'accords pour faire en sorte que toute trace de votre présence sera effacée. Et pour Clotho... Il apprendra ce qui doit être appris : le projet d'une bande de pirates de basse-marée tourne au drame. Un point c'est tout.
- Et moi qui pensais recevoir les honneurs.
- Oh mais vous avez l'immense honneur d'être toujours en vie et non dans l'Arène. N'en demandez pas trop Dorian, votre anonymat est la récompense la plus importante que l'on puisse vous faire. Vous n'imaginez pas à quel point il est précieux pour la souris de rester cacher quand sortent les chats sauvages. Sur ce.

   Je quitte ainsi le bureau, alourdi de quelques millions et refroidi par des paroles pleines de sens. Ce gamin... Je ne peux pas l'écraser. Déjà parce que je n'en ai pas le pouvoir et ensuite parce que d'autres forces en oeuvre autrement aussi puissantes risqueraient de me le reprocher.
  De toute manière, il a raison sur un point : rester dans l'ombre me convient. Il serait dommage de faire trop parler de moi maintenant, alors que j'en suis au commencement de mes projets. Ce serait ajouter des problèmes inutiles.

   Tout ce que je peux dire, c'est que je n'en ai pas fini avec les Cinq. Et bientôt, je devrais m'intéresser à Clotho...
AH PUTAIN ! Faut que je retourne buter Greg ! Faîtes comme si c'était chose faite.
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