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Murmures et Rédemption.



    « Un désert.
    Un étendue d’or et d’ocre à perte de vue, des dunes masquaient le panorama, l’obligeant à avancer sans réellement savoir ou il allait. Le soleil, aveuglant et brûlant, le vidait de ses forces, ne lui pardonnait pas la moindre erreur. A jamais, il se souviendrait de la brûlure, de cette morsure insidieuse, qu’était le sable sous ses pieds nus. A jamais, il se souviendrait du roi des cieux, et de ses rayons mordant ses épaules, marquant sa chaire d’une douleur terrible. Inoubliable. Une certitude naquit en lui, remontant le long de ses veines, glaçant son sang, alors que la chaleur lui cuisait la peau, pour se loger dans son esprit. Indéfectible. Il mourrait ici.
    Refluant cette pensée à un coin obscure de son cœur, il ne cessait de se vider l’esprit de toute pensée, sauf une. Ou peut être deux. Avancer, toujours et survivre, à jamais. La mort ne lui faisait pas peur, à contrario de la douleur, qui lui tordait le corps, mais, au fond de lui, une voix lui soufflait qu’il n’en avait pas terminé. Il avait des choses à vivre, certaines bonnes, d’autres terribles. Combat de la volonté contre son écrin, l’homme a un aspect pitoyable, plus cadavre qu’humain. Ses joues sont creusées par la faim, ses os saillants, alors que nu, il se bat contre le destin. Combien de jours étaient passés ? Combien de semaines ? Le temps ne comptait plus, le temps ne s’écoulait plus, tandis que les tempêtes de sable, elles, continuaient de souffler le désert. Et son cœur.
    Pourtant, jamais l’idée d’abandonner ne se serait vraiment concrétisée, parmi le tumulte de ses pensées. Donner du plaisir à ce qui le faisait souffrir n’était pas dans sa nature. Il ne se souvenait de rien, qui était-il, qu’avait-il fait pour mériter cette souffrance, cette punition… Le néant emplissait sa tête, tandis que les rayons solaires l’aveuglaient. Vide de tout souvenirs, à part peut-être d’un soleil ne se couchant jamais, de dunes n’en finissant à perte de vue. Si l’enfer existait, sans aucun doute que le pauvre homme s’y trouvait. En tentant de répondre à ces questions, il s’en posait d’autres. Quels méfaits avait-il commis ? Quel genre d’homme était-il ? Se doutant que le flot de ces interrogations ne se tarirait jamais, il abandonna, ne songeant plus qu’à une chose. Avancer, toujours…
    Le vent commença à se soulever, emportant le sable dans sa course folle. Brume disparate, le martyre savait qu’une tempête se préparait. Les grains fouetteraient ses cuisses et son torse, tel un millier de minuscules billes de plomb ciselant sa peau, mitraillant ses muscles, grêlant ses os. Douleur. Il vit son monde se désagréger. D’un souffle, un seul, les dunes furent emportées, le sol sembla tanguer, le ciel s’obscurcir, comme si le soleil venait d’être chassé. Néant. Nuit sans Reine.
    »

    Marie Joie.
    Près du quartier des agents gouvernementaux, une petite structure, mystérieuse, se dressait là, fièrement. Peu savaient ce qu’elle y faisait, encore moins pouvaient pénétrer à l’intérieur. Siège des plus éminents cerveaux du Gouvernement mondial, son accès était réglementé. Très réglementé. Taillé dans une pierre brute, grise, le bâtiment ne payait pas de mine. Architecture moyenne, anguleuse, pourvue de maigres fenêtres, sa fonction n’était pas de plaire, mais d’exister. Monstrueusement profonde, elle s’étendait sur plusieurs kilomètres de souterrains. Assemblage de boyaux et de grandes salles, un véritable labyrinthe se déroulait sous les pieds des marins. Sans qu’ils ne se doutent de rien, sans que jamais ils ne se posent de questions. Les murmures emportés par le vent soufflant dans cette obscure structure, n’étaient qu’échos sans écoute.
    Ce qui se déroulait ici était tout aussi obscur que les tunnels qui saignaient la ville. Et tout aussi glauque. Expérimentations commanditées par des dirigeants acerbes et avides de pouvoir.
    En descendant par l’accès central, puis en bifurquant à droite, on trouvait une étrange salle. A contrario des autres, elle possédait une porte totalement opaque, renfermant un lourd secret scientifique. Une arme humaine d’un nouveau genre, totalement expérimentale. Un investissement qui pouvait avoir un retour autant bénéfique que catastrophique. Hakumen, l’homme en blanc.

    « Son monde n’était que souffrance, douleur et interrogation. Les sables se déchainaient, les vent le faisait tomber. Son monde n’était que silence. Il ne pouvait entendre sa propre voix. Soudainement, un homme apparut puis s’envola en travers du rideau de gravillons. Seul ces contours étaient visibles, mais l’image c’était gravée en lui. Il criait. Vacarme assourdissant dans cette bulle de souffrance. Inaudible, l’homme souffrait une nouvelle fois, de ne pas savoir. »

    Un cri, un seul. Qui resta coincé entre sa trachée et ses lèvres. Un homme était étendu sur une sorte de lit, qui tenait plus de la table d’examen que du matelas. Musclé mais longiligne, sa carrure oscillait entre le moyen et l’épais, tant sa musculature semblait s’être développée rapidement. Presque avec violence. Brun, ses cheveux mi- long retombaient en mèches éparses et homogènes le long de son crâne.
    Se soulevant brusquement, empreint d’une énergie et d’une intensité rare, il ouvrit les yeux. Les referma avec violence face à la lumière qui l’aveuglait. Clignant des yeux, ses iris jaune se dilatèrent, s’habituant peu à peu à la luminosité, qui se réfractait sur les murs. Blanc. Son univers était d’un blanc immaculé. Tout, de sa couche jusqu’à la porte, n’était que blancheur… Mais pas de celle qui rassure, plutôt de celle qui inquiète. Aseptisée, comme s’il se trouvait dans un hôpital dirigé par quelconque maniaque de la propreté.

    Il n’était plus cet homme perdu dans le désert. Il était Hakumen, fer de lance du gouvernement, paré à intégrer les rangs de l’Etat Major. Seulement ? Il était plus que ça. Une âme en rédemption, qui ne connaît ses fautes, mais en craint les conséquences. Hakumen, l’homme en blanc.
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Dernière édition par Césare Di Auditore le Jeu 8 Sep 2011 - 22:44, édité 2 fois


    Le monde est plus grand que toi. Les autres sont plus nombreux que toi. Ces deux entités bougent, changent,se tendent, se déforment… L’important n’est pas d’essayer de les devancer, de tenter de les contraindre, mais de t’adapter, de te couler en eux. Tu sauras alors que rien ne pourra plus t’atteindre.

      Inspiration. Expiration.
      Il le sentait. Tout proche. Il pouvait tendre le bras, pouvait presque l’attraper. L’étoffe du monde se déroulait là, derrière ses paupières closes. Une certitude naquit alors en lui, la terre était belle et bien vivante ! Elle irradiait d’une force qui le laissait presque sans voix, transformant son cœur et son esprit, lui transmettant ces forces, mais aussi ses doutes, ses faiblesses.
      Inspiration. Expiration.
      L’homme assit en tailleur, les deux bras sur ses genoux, ne bougeait pas. Et pourtant, il ne semblait pas en totale immobilité. C’était comme si son corps n’était plus la seule composante de son esprit, et que chacune des secousses, même les plus infimes, se transmettaient jusqu’à sa chaire. Ondulant, comme un serpent, son image en devenait presque floue.
      Inspiration. Expiration.
      En harmonie avec son environnement, calme et posé, plus rien ne pouvait le faire trembler. Des questions plus importantes que son passé jaillirent en lui, ou de lui, tel un feu d’artifice qui n’avait attendu qu’une simple étincelle. Etonnant, que l’on ne puisse sentir un autre monde que les yeux fermés, sans jamais pouvoir le voir. Amusant, que tous ne puissent le percevoir, l’amadouer, le connaître. La Sérénité. Elle éclairait son chemin, tel un millier de lucioles, fées de passages, lui désignant ce qui lui était destiné.
      Inspiration. Expiration.

      Une voix métallique, sortant d’un haut parleur disposé dans un coin de cette pièce ombrageuse, vint briser cette sorte de rêverie. Ouvrant les yeux, il semblait redécouvrir l’endroit dans lequel il se trouvait, tant sa méditation l’avait enfoncé loin de tout. Il lui restait à découvrir où cela l’emmènerait.

      « Es-tu prêt, Hakumen ? ».

      Un sourire en coin se dessina sur le visage du soldat. La réponse fusa, évidente.

      « Je le suis toujours. »

      Toujours assis, il détailla l’espace avec une minutie bien particulière, même pour un combattant tel que lui. S’imprima en lui les sortes de trou de lumière, semblant cribler la pierre comme une peau est criblée de balle. Rectangulaire, un boyau sombre s’enfonçait derrière lui, tandis que son homologue faisait de même devant lui. De l’obscurité, cinq silhouettes s’avancèrent, hagardes et hésitantes. Assemblage hétéroclite d’hommes, petits et grands, carré et longiligne, gros et borgnes. Pourtant, un pressentiment se détacha de son esprit, pour prendre la forme d’une évidence.
      Pirate.

      Hakumen se demandait quand est-ce que ce genre d’entrainement absurde allait cesser. Par dix fois il avait combattu contre des hommes, armés ou non, son sabre au clair ou alors confiné. Par dix fois, il avait vaincu. Cela en devenait presque pathétique, et tira un sourire au soldat. Il avait pitié de ce gibier de potence, de ces malfrats qui n’avaient pu changer de voie.


      Uri Yaguro avait été depuis ses quinze ans, qualifié de géant. Avoisinant les trois mètres, pour plus de deux cents kilos, ou s’entremêlait muscles et abdominaux corrompus par la boisson, il ne craignait personne. Son impudence lui avait déjà causé des problèmes et sa confiance en ses capacités l’avait enfermé dans les geôles de Marie-Joie. Uri n’était pas le genre d’homme à tirer leçon de ses erreurs. Plus animal qu’homme, plus bête que cogitant, ses sens le guidaient plus que son intelligence. Lorsqu’on lui avait proposé une réduction de peines, en échange de sa participation à un combat, il avait tout de suite accepté. Il n’avait jamais rencontré de prédateur capable de le faire choir.

      Accompagné de trois autres hommes, il suivit les gardes dans un dédale de couloirs et de pièces, refluant ses plus bas instincts, tuer les marines et s’enfuir ! Un murmure lui soufflait qu’il ne sortirait jamais de là. Pénétrant dans une haute salle, ou la pénombre régnait en maîtresse inflexible, un éclat métallique lui attira l’œil. Comme à ses compagnons d’infortune. Etalage d’armes, accrochées aux murs, diverses, mortelles. Jaugeant son futur adversaire, il les jugea inutiles, se précipitant vers l’inconscient qui était assis en tailleur. Un sourire sauvage déforma ses traits, déjà hideux. Il allait lui faire payer cher son calme ! Foi d’Uri yaguro !

      Le poing arrivait. Il le sentait. Déchirant l’espace qui les séparaient, brisant la paisible quiétude de l’air. Chaque cellules de son corps pouvaient l’appréhender, l’entourer, le briser. Ses yeux jaunes se teintèrent d’un éclat impitoyable. Rien n’est pire que le sot qui ne sait pas voir ses limites. Il était l’une d’elles. Basculant légèrement en arrière, ses coudes le stabilisant, il décocha un puissant coup de pied. Atteignant sa cible aux genoux, un craquement sinistre accueillit sa venue. Ce n’était pas finit. Ne laissant pas à son adversaire le temps de s’apitoyer, il prit position sur une de ses mains, se lança.
      Son pied atteignit violement les cervicales du géant. Suffisamment fort pour le déstabiliser. Pas assez pour le mettre hors de combat. Se relevant prestement d'une roulade, la flamme qui brillait dans son regard n’indiquait qu’une seule volonté. Celle de continuer le fantastique travail de destruction qu'il avait débuté.

      « Argh ! Ca fait mal ! Je vais te détruire, Moi Uri … »

      Ses doigts repliés atteignirent la pomme d’Adam. Lui coupant souffle et verve. Il ne l’avait pas écouté, son nom et ses ambitions lui importaient peu. Le plat de sa main fouetta l’air, atteignit la jugulaire. Son pied brisa l’espace entre les deux hommes, alors qu’Uri venait d’avancer d’un pas, comme déterminé de commencer le combat. Sauf que celui-ci était déjà terminé. Depuis bien longtemps. Depuis qu’il avait passé le pas de la porte. Tombant lourdement sur le dos, il toisa celui qui venait de le vaincre. Qui ne lui prêtait déjà plus attention… Où qui ne l’avait jamais fait. Uri Yaguro ne se connaissait pas de prédateur. Jusqu’à aujourd’hui.

      Le soldat, vêtu de son costume, son masque cependant absent, ramassa son sabre, le tirant de son fourreau. Ses yeux jaunes semblaient lancer des éclairs, tandis que l’air s’épaississait autours de lui. Les quatre hommes le dévisageaient, tandis que sa voix grave s’éleva dans l’air. Synonyme d’une sentence. Irrévocable.

      « Je suis Hakumen, que ceux qui veulent mourir aujourd’hui avancent d’un pas. »

      Il avait prit sa décision. Pour un temps, l’homme se transformerait en instrument, en outil. Le plus efficace qu’il soit.

      [...]

      La porte se referme derrière lui. Un tintement métallique ricoche sur la pierre grêlée alors qu’il range le sabre dans son fourreau. Son visage est calme, apaisé, alors que derrière lui, il laisse le chaos reprendre son droit.
      Assemblage de corps ensanglantés, déformés.
      Chaleur intolérable.
      Mort.







      « De tout temps l’homme c’est rebellé. C’est plaint. C’est élevé en défenseur d’une liberté qu’il ne comprend pas.A présent, il serait temps pour lui d’accepter. »

        Le vent. Puissant, paradoxale. Le vent, si joueur et si sage à la fois. Porteur de messages, porteur de sensations fugaces, de sons, de couleurs. Il ne pouvait pas sentir sa caresse bienveillante à travers son armure. Des semaines et des semaines étaient passés, alors que ce désir ne faisait que croitre en lui. Voir le ciel, sentir le vent, enfin libre. Acceptant son fardeau, sa sérénité ne le quitta pas.
        Son regard parcourut la foule, claire et limpide, semblant chercher quelque chose qu’il lui serait bien impossible de découvrir. Sa démarche souple se coule parmi le flux d’homme trop pressés pour capter la beauté d’une telle organisation, l’harmonie qu’elle dégageait. Sa beauté, son harmonie mais aussi ses limites. Tout systèmes à ses failles, tout hommes à ses défauts, ce n’est là que petit tribu versé à la nature. Plutôt que de lutter contre sois même, ne valait-il mieux pas accepter l’inéluctable ? Tout homme ne peut être parfait. Les défauts sont tous aussi légitimes que nos qualités, lutter contre elles devient alors une aberration, une folie. Se fondre, accepter, ployer et devenir une nouvelle entité… Plus forte. C’était là le but d’une vie. Une vie d’apprentissage et de rencontre. Une vie que le soldat s'apprêtait à choisir.

        Pour l’heure, il avait une dette. Il payait toujours ses dettes.
        Se dirigeant vers ce qui devait être l’administration centrale, ne se formalisant pas des regards étonnés qui se retournaient après lui, il entrait dans la haute bâtisse. Conscient de pénétrer dans le noyau de toute une armée, de toute une organisation. Conscient de se trouver dans le centre névralgique, véritable cerveau commandant aux soldats tel que lui comme à des nerfs. Un grand hall, pavé de marbres et de meubles en acajou, vernis. Eclairé par des lustres d’argent placés à intervalles réguliers le long du couloir. A sa droite, un bureau était niché dans un renfoncement, duquel quelques mèches de cheveux dépassaient. Recentrant son attention sur son but plutôt que sur le chemin, Hakumen s’avança.
        Sa démarche était un concentré de force et de souplesse. Féline et imposante. Gracieuse et violente. Les gardes postés devant l’escalier le virent passer, presque rêve parmi les hommes. Ne crurent pas l’avoir vu, et lorsqu’il voulurent l’arrêter, ne purent le rattraper. Il évoluait dans un monde qui leur était inaccessible, qu'ils ne pouvaient même pas percevoir.

        Le contre amiral Kole était un homme droit. Littéralement. Sa peau blanchâtre et ses yeux délavés lui donnaient un air de vieillard, alors qu’il venait de fêter ses quarante cinq ans. Petit et presque ratatiné tant il croulait sous la paperasse, jamais son dos n’avait flanché, que cela soit sur sa chaise ou sur le champ de bataille. Toisant sévèrement l’inconnu qui venait de pénétrer dans son bureau sans s’annoncer, il termina de lire un rapport puis referma doucement le dossier. Que l’inconnu dissimulât son visage derrière un masque et une armure de l’impressionnait pas. Il avait déjà vu bien plus étrange.
        Son ton était presque monocorde mais laissait largement entrevoir le caractère péremptoire de ses paroles. Sèches et abruptes.

        « Asseyez vous jeune homme. »

        Hakumen obtempère sans discuter.
        Hakumen observait. Silencieux depuis plus d’une minute, il n’avait pas l’air de vouloir faire honneur de ses cordes vocales. Le soldat regardait son supérieur parcourir la table de ses doigts squelettiques, plus serres effilées qu’extension du corps. Réajustant ses lunettes en demi lune, le Contre Amiral ne semblait éprouver aucune crainte face à son homologue pourtant impressionnant. Il n’avait même pas sourcilier lors de son interruption, n’avait même pas hoqueter lorsqu’il avait vu l’immense sabre dont le pommeau dépassait de ses omoplates.
        Une moue soucieuse lui barra pourtant le visage, alors que ses yeux parcouraient la missive coincée entre ses doigts crochus. Ses yeux revinrent vers son interlocuteur qui, s’il était assis, n’avait pas décroché une parole, alors que l’ennuie semblait lui tordre la bouche.

        « Ainsi c’est donc vous… 'Le Repenti'. » Commença-t-il, les mains jointes devant lui.