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Réquisition

Le Limier avançait à grande vitesse, découpant les flots en laissant traîner dans son sillage une écume blanche. Le soleil était haut dans le ciel, dans lequel se promenaient néanmoins quelques nuages cotonneux. La visibilité était donc idéale, facilitant le travail de la vigie depuis son nid de pie. Un bon vent soufflait, gonflant aisément les voiles qui donnaient au navire sa fantastique impulsion. Les hommes d'équipage semblaient plutôt serein malgré la mission qu'ils auraient à mener à bien. Le capitaine leur avait tout expliqué la veille, des informations de base jusqu'aux moindres détails du plan qu'il avait élaboré.

- Nous allons devoir récupérer nos hommes, emmenés sur Koneashima par les mouettes en col blanc. Nous allons procéder de la manière suivante.

Il s'était interrompu et avait plaqué une grande feuille sur laquelle figurait un plan grossier de l'île et de ses eaux. Il avait dessiné deux points au sud de l'île, l'un plus gros que l'autre. Il s'était de nouveau focalisé sur son auditoire.

- Le Limier ne rentrera jamais dans le port, c'est impossible. C'est pourquoi il nous faut un nouveau navire, plus discret, plus habituel. Koneashima se trouvant à l'est, nous aurions dû arriver par l'ouest de sa position. Mais nous allons faire un détour rapide et capturer un navire de pêche non affilié à l'île, pour des soucis de discrétion.

Une fois de plus, il s'était tourné vers la planche et avait dessiné deux trajectoire. Celle du bateau de pêche se dirigeait droit vers l'île et son port tandis que le brick décrivait un large virage autour de l'île pour venir se positionner de l'autre côté, au nord de la montagne sur laquelle était bâtie la ville. Il était enfin revenu à ses hommes.

- Le premier groupe sera celui qui ira dans la ville. Il sera composé par les meilleurs hommes, les plus aptes à gérer des situations où l'improvisation et le sang-froid sont de mise. Mais il auront un problème: leur nombre. Seulement cinq personnes pourront se rendre sur l'île.
- C'est trop peu!
- Ils ne vont pas y arriver à cinq!

Philips avait attendu quelques instants que la tension s'apaise avant de continuer son exposé.

- Ce sera extrêmement complexe. C'est pour ça qu'ils auront trois rôles différents. Le premier d'entre eux devra s'engager dans la Marine, pour avoir un infiltré dans leurs rangs. Il nous faudra donc du sang frais et inconnu de la Justice. Un autre sera chargé de faire diversion au sein de la caserne, en se montrant le plus ennuyant possible pour les soldats. Les trois restants auront pour tâche de faire du grabuge en ville, et de mettre le feu au patrouilleur des soldats de Torino, qui détiennent nos vétérans.

Un silence s'était installé à la suite des mots du Chien. Les regards étaient allé de personne en personne, à la recherche de candidats capable de mener à bien la mission. Finalement, Thomas s'était avancé en tant que volontaire. Le jeune homme se sentait une responsabilité vis à vis de ces hommes. Personne n'avait rechigné. Deux autres forbans, qu'il ne connaissait pas bien, s'étaient avancé à leur tour. Puis Amanda, troisième flibustier dans la hiérarchie les avait rejoint. Pour finir, le capitaine avait complété le groupe.

Depuis ce moment là, ils avaient vogué à toute vitesse pour rejoindre l'île des deux d'artifices au plus vite, prenant un cap sud-est. Ils recherchaient maintenant le fameux navire de pêche qui leur permettrait de mener à bien leur plan. Mais aucune embarcation de la sorte ne s'était montré jusque-là. Du moins jusqu'à ce que Thomas pose ses yeux sur une forme au loin, derrière le brick. Il avait grimpé les échelles de cordes à une vitesse folle avant d'indiquer la direction à Falp, vigie de son état. Ce dernier avait dirigé sa longue vue vers l'objet, avant de crier un puissant:

- Navire de pêche en vue à six heures!

Le Limier avait détourné son cap, tandis que les forbans aiguisaient leurs sabres. L'affrontement ne tarderait plus.
    - Papa, il y a un navire sans pavillon qui fonce dans notre direction!

    Angus se tenait sur le toit de la cabine de pilotage, tenant la longue-vue entre ses mains tremblantes. Il avait aperçu le brick bien après que ce dernier ait fait demi-tour et il sentait bien que quelque chose ne tournait pas rond. Il jeta un regard à son petit frère, Lauk, qui pêchait tranquillement à l'arrière du navire. Roland émergea finalement de la cale, montant auprès de son aîné pour détailler le navire qui arrivait. Deux autres hommes sortirent également du même endroit. C'était les frères Gupe, qui travaillaient comme matelots sur ce navire. Le père tapa sur l'épaule de son fils et lui désigna son jeune frère.

    - Prends Lauk et cachez-vous dans la cale.
    - Mais je peux me battre, j'en ai...
    - Angus. Maintenant.

    Face à cette autorité soudaine, l'adolescent acquiesça et s'occupa de prendre le petit garçon sans pour autant lui donner un motif d'inquiétude. Les trois marins qui restaient dehors regardèrent le navire qui s'approchait. Ils savaient très bien ce que l'absence de pavillon et l'attitude de ce bateau signifiaient. Le capitaine ne fut pas long à donner ses instructions.

    - Tom, va chercher les fusils et les sabres. Bom, jette l'ancre et rabat les voiles. La fuite est inutile.
    - Bien, capitaine.

    Les deux frangins avaient répondu d'une même voix. Ils s'exécutèrent tandis que le vieil homme restait au même endroit, fixant la menace qui s'approchait. Cette journée aurait dû être plaisante, remplie de la joie d'une famille partie à la pêche en haute-mer. Et ils allaient maintenant subir la fureur d'un équipage criminel probablement affamé. La peur avait saisi son être. Pas pour sa propre vie, mais surtout pour celle de ses enfants. Il avait servi jadis dans la Marine, aussi se savait-il capable d'emporter quelque soit pirates avant d'être submergé. Mais qu'arriverai-t-il à ses enfants une fois qu'il ne serai plus là pour les protéger? Sa situation semblait désespérée.

    - Tout est prêt capitaine. Qu'est-ce qu'on fait maintenant?
    - On se rend poliment, sans faire d'histoires.
    - Pourquoi avoir pris les armes alors?
    - Pour leur donner en gage de sincérité.

    Les deux hommes restèrent silencieux après ça. Ils avaient vogué de longues années avec Roland et avaient rencontré le danger plusieurs fois. Jamais le capitaine n'avait abandonné. Mais c'était différent aujourd'hui et ils le comprenaient. Les deux frères se lancèrent un regard de soutien alors que le brick entamait une manœuvre pour flanquer le frêle navire de pêche. Sur le pont, les forbans s'étaient aligné, leurs armes à la main, prêts à en découdre. Un homme habillé de vêtements peu adapté à la vie en mer s'approcha du bastingage pour observer les pêcheurs. C'est lui qui prit enfin la parole.

    - Je suis Matthieu Loiseau, second de l'Équipage des Chiens Fous. Je suis dans le regret de vous annoncer que vôtre navire est maintenant le nôtre.
    - Avez-vous vraiment besoin d'une embarcation si ridicule, puissant pirate?

    Flatter l'égo d'un homme de son genre n'était, habituellement, jamais une mauvaise chose. Mais quand on parlait de Loiseau, rien ne pouvait être considéré comme habituel.
      - Qui vous permet de juger ce dont j'ai besoin ou non?

      Loiseau avait sauté sur le toît de la cabine de la frêle embarcation sans sourciller, ignorant les deux frères qui gardaient leurs fusils braqués sur lui. Il se savait couvert par l'équipage et il entendait bien disposer de ces hommes là comme il l'entendait. Cela faisait trop longtemps qu'il ne s'était pas retrouvé face à des civils en position de faiblesse. Il s'avança vers le trio, se délectant de la peur qui se dégageait de l'expression des jumeaux. Le chef du navire de pêche restait néanmoins stoïque, concentré sur la situation. Il répondit au second en le prenant pour le capitaine.

      - J'imagine qu'un capitaine comme vous à ses raisons pour réquisitionner un navire aussi insignifiant que celui là.
      - Vous imaginez bien, en effet. Le problème étant que votre présence est un fardeau pour cette acquisition.

      La fratrie se raidît soudain et leurs mains se mirent à trembler tandis que les pirates souriaient à pleines dents. Ceux-là qui étaient postés le long du bastingage étaient pour la plupart des serviteurs fidèle de Loiseau, qui avaient rejoint l'équipage à sa suite. Thomas, qui se trouvait auprès d'eux, pouvait sentir la rage incroyable qui se dégageait de ces flibustiers. Il reporta son regard sur le second qui attendait la réponse de celui qui répondait au nom de Roland.  

      - Je comprend tout à fait, monsieur. Vous pouvez prendre nos vies mais en échange épargnez mes deux garçons...
      - Roland! Tu ne peux pas nous...

      Un violent coup de sabre trancha l'un des deux bras de l'homme qui venait de parler, Tom, tandis que Loiseau écartait de sa main libre le canon du fusil de Bom. Une balle alla se perdre dans les airs tandis que d'un mouvement habile la lame du pirate perforait le ventre du frère qui avait osé tirer sur lui. Roland s'était reculé, effrayé par l'aura meurtrière du forban. Les deux frangins se retrouvèrent agenouillés l'un face à l'autre. Loiseau les dévisagea et plaça sa lame sous la gorge de Tom. Il regarda l'autre frère qui tenait son ventre pour empêcher le sang de s'échapper. Il sourit avant de rompre le silence.

      - Tu tiens à ton frère n'est-ce pas?
      - Ou-oui...
      - Alors va me chercher les enfants dans la cale sinon je le ferai souffrir plus que tout ce que l'enfer pourrait lui réserver!
      - Bom, non!
      - Tss Tss Tss, restez silencieux Roland, vos hommes m'ont déjà contrarié et ça me briserait le cœur de devoir seulement m'en prendre à vos enfants.

      Le vieil homme ne trouvât rien à ajouter et resta silencieux, suppliant son subalterne du regard. Mais celui ne pensait qu'à sauver sa seule famille, quitte à sacrifier celle de son chef. Après tout, il avait failli les vendre pour permettre à ses enfants de survivre. Il descendit dans les profondeurs de l'embarcation et alors qu'il tendait la main vers le marmot, celui-ci s'empressa de le mordre en signe de résistance. Mais son grand frère l'attrape par les épaules et ils remontèrent ensemble à la surface. Loiseau les laissa s'approcher. Quand enfin Bom émergea, la gorge de Tom fut tranchée d'un coup sec. Le frère restant, choqua par lève retournement soudain de situation, s'élança dans un cri enragé en direction du second. C'était sans compter sur les forbans qui ouvrirent le feu, criblant le pauvre pêcheur de balles. Sentant que la situation pouvait déraper à tout moment, Thomas se faufila hors du regroupement, cherchant le capitaine dans le navire alors que Loiseau s'exclamait, sadique comme toujours:

      - Se fier à la parole d'un pirate c'est comme faire un marché avec le diable. C'est toujours lui qui obtient ce qu'il veut!
        Thomas traversa le pont à une vitesse folle, son cœur faisant des bonds incontrôlables dans sa poitrine. Le jeune homme se demandait pourquoi le capitaine n'intervenait pas alors même qu'il pouvait observer la scène depuis le château, étant positionné derrière la barre du navire. Le chroniqueur monta les marches quatre à quatre et vînt se planter devant Philips, audacieux comme jamais. Le blond pirate ne lui prêta que peu d'attention, reportant son regard sur la famille qui était entraînée à bord. Une colère sourde grondait dans l'esprit du jeune homme qui ne put s'empêcher de protester.

        - Pourquoi vous n'intervenez pas?! Il massacre des innocents sous vos yeux!
        - Parce que si je l'en empêche, c'est la cohésion de l'équipage qui est mise en danger. Ces hommes sont de véritables fauves, et ils n'avaient pas pu se nourrir correctement depuis un long moment. Ce ne serait pas correct de les restreindre.
        - Les enfants ne mourront pas.

        Sans développer, Thomas tourna le dos à son chef et revint sur le pont supérieur, caressant la poignée de son sabre. La famille avait été agenouillée aux pieds de Loiseau, qui comme à son habitude jaugeait leurs aptitudes et leur potentiel à être utile dans l'équipage. Le sang monta aux tempes du jeune homme quand le forban dégagea le plus jeune enfant d'un violent coup de botte. Le garçonnet roula et se mit à pleurer, alors que des hommes du second s'approchait de lui, lames dehors. Ils s'interrompirent quand Thomas s'interposa entre eux et le gamin.

        - Qu'est-ce que tu fous, Solomon?! Mêle toi de tes affaires!
        - Vous toucherez pas aux gosses, compris?
        - Répète un peu pour voir!

        Sans attendre, le chroniqueur envoya son poing dans les dents de son interlocuteur, lui arrachant les incisives supérieures au passage. Deux de ses compagnons sautèrent sur lui mais leur forts gabarits lui permirent de se glisser rapidement derrière eux en les évitant. Il frappa dans l'arrière des genoux de l'un d'un coup de pied vif avant de propulser l'autre contre le bastingage, où ce dernier se raccrocha. Thomas s'approcha et lui colla une beigne qui le fit passer dans le monde des songes. L'ambiance s'était soudainement tendue, et une aura glaciale s'échappait du second qui avait maintenant son regard fixé sur le jeune homme qui se tenait face à lui.

        - Je crois que tu ne sais pas te tenir à ta place, vermine. Laisse moi te le rappeler!

        Dans un élan maîtrisé, il se rapprocha et lança sa rapière dans la direction du chroniqueur, visant un point vital d'emblée de jeu. La fine lame siffla dans l'air avant de s'arrêter sans bruit près de son but. Thomas la tenait dans main ensanglantée mais intacte. Ce genre d'arme n'avait pas la capacité de trancher l'os avec un métal si fin. Les tranchants étaient faits pour sectionner des tendons tout au plus.

        - Vous ne toucherez pas les enfants.

        Tout autour, les regards étaient rivés sur les deux opposants qui s'affrontaient maintenant du regard. Le sang-froid du jeune homme impressionnait ses camarades, qui n'avaient jamais vu Loiseau être défié par un simple sbire.

        - Tu as vraiment du cran, Thomas. C'est dommage que je doive te tuer.

        Il sortit alors un pistolet à silex de sa ceinture à l'aide de sa main libre et il actionna le chien.Thomas ferma les yeux instinctivement. Un bruit se fit entendre.
          - Ça suffit, personne ne touchera qui que ce soit maintenant!

          John Philips était enfin descendu de son perchoir et s'était rapidement interposé entre les deux hommes qui auraient pu lancer une bataille générale du fait de leur querelle. Car des hommes s'étaient ligués derrière Thomas, Braxta à leur tête. Le vieil artificier n'avait jamais aimé Loiseau et ses hommes mais s'en était toujours caché. Jusqu'à présent. Les esprits se calmèrent néanmoins quand le chef du navire se manifesta. Tous à l'exception des deux belligérants qui n'entendaient pas lâcher prise sur leurs positions. Le capitaine exposa donc son idée.

          - Puisque vous avez un différent, réglez-le. A mains nues, le premier à terre pendant dix secondes ou plus perds le combat et l'autre obtient gain de cause. Mais ces enfants ne seront pas tués. Que mettez-vous en jeu?
          - Mon poste de second de l'équipage. Si cet avorton peut me battre, je n'en suis pas digne.

          Des exclamations et des sifflements se firent entendre. Le pari était risqué pour Loiseau malgré sa confiance aveugle en ses capacités. Thomas ne put s'empêcher de sourire et adressa un regard à ses supporters qui avaient visiblement confiance en leur outsider. C'était néanmoins à son tour de mettre quelque chose en jeu et il n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait offrir.

          - Je ne possède rien. Qu'est-ce que mon adversaire a à me proposer?

          Loiseau afficha de nouveau un sourire et répondit presque immédiatement. Il dégaina un petit couteau et le fit tourner dans sa main, légèrement.

          - Si tu viens à perdre, je te torturerai pendant toute une journée après le sauvetage.
          - Ça me va.

          L'expression d'euphorie dans laquelle baignait le visage du flibustier indiquait clairement la démence qui rongeait son esprit. Il ne vivait que pour le sang et la souffrance. Thomas allait lui en donner autant que possible. Le jeune homme n'attendit aucun signal et s'élança en direction de son adversaire. Mais trop peu attentif, il fut balayé par un habile coup de pied qui faucha ses jambes. Il se rattrapa de justesse et se positionna défensivement, prêt à recevoir les attaques du second.

          - Et bien, on cherche à perdre à ce que je vois?
          - Ferme-là...
          - Et en plus il est susceptible!

          Loiseau avait mis ses mains dans les poches de son manteau et s'était tourné pour rire avec ses hommes. Le chroniqueur n'attendit pas plus longtemps pour lancer son deuxième assaut. Poings en défense, il bondit vers son adversaire avant de lancer un uppercut à son opposant. Mais le coup n'aboutît tout simplement pas. Le second s'était repositionné à une vitesse folle et avait usé de son allonge extraordinaire pour envoyer la paume de sa main dans le visage du jeune chroniqueur, frappant à la jonction entre l'arrête du nez et le front. Le jeune homme vit successivement le monde en noir puis en blanc, avant de s'effondrer après une ultime frappe dans ses côtes, au niveau de son foie. Quand il reprit ses esprits, Braxta était penché au dessus de lui, un air consterné sur le visage.

          - J'ai perdu, c'est ça?
          - Si ce n'était que ça... On a choisi ceux qui descendraient à terre après votre altercation.
          - Qui ira sur Koneashima?
          - Toi, moi, Tara, le capitaine et Amanda.
          - Ce qui signifie qu'on laisse le navire à Loiseau... Je le sens mal.
          - Je te le fais pas dire...
          - Espérons que notre instinct nous joue des tours...