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Naufragés

Hngh…

Heingh…

J’émerge quand le type commence à fouiller les poches de mon fut’. Ma main le choppe à la gorge mais j’suis à peu près aussi en forme qu’un nourrisson. Du coin de l’œil, j’le vois ramasser son gourdin, posé juste à côté de lui, puis le brandir au-dessus de sa tête. Son expression reflète rien d’autre que celle du travailleur blasé et légèrement irrité que sa proie lui résiste un brin. Vexant, que j’songe confusément.

J’relâche ma prise sur sa gorge le temps de faire jaillir le couteau qui s’cache dans ma manche. J’ai juste assez de force pour donner le coup d’poignet qu’il faut et trancher la carotide. Il porte sa poche à son cou d’un air surpris, laisse tomber son assommeur en essayant d’endiguer le flot de sang. M’éclabousse pas mal, mais c’est le cadet de mes soucis.

Ca fait chaud, et c’est là que j’me rends compte que j’me les gèle. J’ai soif, aussi, horriblement soif. J’roule sur le ventre, puis j’me redresse à quatre pattes. J’me râcle la gorge et j’crache un coup pendant que Machin, à côté de moi, termine de mourir.

Puis j’lève la tête.

J’suis sur un genre de plage, moitié sable, moitié caillasses. Fait gris moche, et on doit approcher l’aube. Putain, ça m’revient… J’me relève en titubant un peu, et j’écarte les bras pour garder mon équilibre le temps que l’étourdissement passe. Un regard plus approfondi m’permet de voir des collègues au bord de la flotte aussi.

J’vais à eux, j’les hisse plus haut, loin de la ligne d’eau. Ils commencent déjà à gigoter, signe qu’ils sont pas encore morts. Un peu plus loin, j’escalade quelques rochers pour trouver Jadieu en train de ranimer des hommes. Il a un énorme bleu au visage, mais semble indemne sinon. Sa moutache est trempée et ressemble pas à grand-chose. J’lui indique où sont les autres.

Dans le calme de la fin de nuit, on entend des voix plus loin. Le genre un peu agressif. J’repense à mon dépouilleur malchanceux. J’trottine au plus vite, en manquant de m’vautrer plus d’une fois dans l’obscurité. Maintenant que j’y pense… Mon empathie m’permet d’identifier deux groupes, une dizaine d’hommes avec la présence rassurante de Surin devant, et en face un autre groupe plus menaçant, quatorze.

Quand j’arrive sur scène, suivi par Jadieu et quelques gars assez gaillards, les échanges sont déjà devenus plus vifs, les prises sur les armes se sont raffermies et les pilleurs ont l’attitude de ceux qui vont pas tarder à passer à l’assaut. Leur chef est une armoire à glace avec deux hachettes en main et des bras gros comme mes cuisses. Il a un bide imposant, aussi, mais c’est pas ça qui marque en-dessous de son énorme poitrail et son cou de taureau.

Le genre brutasse-tyran-petit chef.

« Bien l’bonjour, que j’fais.
- Lieu… Cap’taine ! S’exclame mon nouveau sergent.
- Ouais, c’est moi, Surin. Ils sont à toi, les pilleurs de cadavres, gras-double ? »
Ses yeux s’étrécissent, disparaissent presque.
« Ouaip. J’ai droit d’pillage sur tout c’qui naufrage. Ton ‘quipage ?
- Ouais, c’mes gars à moi. Rappelle ta bande et barrez-vous. Le prochain qui dépouille un des miens, j’vous passe tous à la casserole.
- T’tiens à peine sur tes jambes.
- Pas besoin des jambes pour tirer au fusil. »

Derrière moi, Jadieu arme et tous les autres Marines font comme lui.

« Tch. Sonne l’corne. T’appelles ?
- Capitaine Angus. Pirate de fortune. Ou d’infortune, aujourd’hui.
- Suis Hartos. F’rait bien d’te souvenir qu’la côte est à moi. »
Sur ce, un type derrière lui souffle à pleins poumons dans une corne de brume, et ils se barrent. J’souffle un coup. La poudre des fusils devait être trempée, mais ils ont préféré pas tenter leur chance. Vais pas m’en plaindre.

« Surin, Jadieu. Prenez les moins amochés et faites le tour du coin, qu’on retrouve tous les naufragés qu’on peut. On se regroupe cinq minutes à pied par là-bas. J’vais tourner aussi et essayer de trouver ce que j’peux. »

Au bilan, on était quarante-deux. Onze morts ou disparus. Seize blessés graves. Tout le reste de blessés légers. Sur la plage, l’aube se lève enfin quand j’finis de faire le compte. Les nouvelles sont pas réjouissantes : on devait arriver comme des pirates relativement fortunés, avec une belle cargaison d’épices, et on n’a que nos fringues sur nous. Nos bourses, pour ceux qu’avaient des piécettes, sont majoritairement encore là.

Par contre, j’ai paumé l’escargophone blanc qui devait me servir à rester en communication avec le reste de la Vingtième, ceux qu’ont pas encore débarqué. Va falloir apporter des altérations au plan, mais d’abord faut qu’on trouve une base d’opérations et qu’on prenne la température du coin. Pour le moment, on a froid, et des soins à apporter aux Marines qu’en ont besoin.

C’est le petit matin quand on entre en ville, et j’peux dire qu’on n’a pas fière allure. Notre petite trentaine trempée respire la misère, et les seuls qu’on croise, c’est les types qu’on pas fini la noce de la veille. Le coin est assez crasseux, il vend pas du rêve. Les allées, pasqu’on peut pas vraiment parler de rues, sont au mieux boueuses, au pire souillées. Les barraques sont construites en bois flotté, et font pas rêver non plus.

Un pirate se fait finalement éjecter par un gorille à l’allure stupide de ce qui semble être une taverne de bas étage. C’est tout pile c’qu’il nous faut, alors j’m’approche.
« Toujours ouverts ?
- Jamais fermés.
- Bon… J’peux passer, maintenant ?
- Pourquoi ?
- Ben… Consommer.
- L’patron, y veut pas d’grabuge. »
Puis il jette un coup d’œil derrière moi pour voir notre magnifique bande de naufragés.
« D’accord, entrez. »

Le chef est un type sec comme un coup d’trique, qui flotte dans son large tablier. Quand il nous voit pénétrer dans son bouiboui, il a l’air méfiant, puis énervé, et enfin circonspect. On arrive en masse, quoi. Et c’est bien un rade sans trop d’espoir. Quelques déchets humains continuent de picoler avec entêtement, un nuage de fumée flotte en-dessous du plafond, et le sol est à peine plus propre que dehors, en plus d’être dans la quasi-pénombre.

Mais un feu brûle dans l’âtre, y’a des places assises, et l’odeur d’une nourriture indéfinissable arrive jusqu’à nous tout comme j’arrive face au tavernier.
« A manger et à boire pour trente et un.
- ‘Sûr. Ça mettra un peu d’temps à v’nir par cont’.
- Pas d’souci, on va s’asseoir tranquillement.
- Et vous payez d’avance. »
J’ergote un peu sur le tarif, pas longtemps, avant de lâcher les biffetons. C’était davantage histoire de, t’façon.

Une fois posés, on commence à examiner nos blessures, nos bobos. Quelques-uns plus pointus sur les premiers soins commencent à faire des bandages de fortune en déchirant nos fringues de pirate pour bricoler des attelles ou quoi. J’pondère le regard dans l’vide jusqu’à ce que la bouffe arrive.
« Nouveaux dans l’coin ? Demande le patron.
- Ouais, on vient de débarquer.
- Grosse tempête, nuit dernière.
- Sans déc’, on a fait naufrage.
- Ca s’voit. »
Connard.
« Ben pourquoi tu demandes, alors ?
- Fallait payer la taxe du phare.
- On l’a fait.
- ‘Sûr.
- Se sont plantés sur les caillasses avant nous.
- Ha ?
- Le grain s’est levé trop vite. »

Il finit de servir dans des bols et mes p’tits soldats se jettent goulûment sur la nourriture.
« Deux choses. Nan, trois, que j’reprends.
- Hm ?
- On peut crécher ici ?
- S’ra payant.
- On en recausera.
- Non, s’ra payant.
- On recausera du prix. Deuxième chose, un toubib dans l’coin ?
- Plusieurs, généralement s’occupent des esclaves.
- Sont bons ?
- J’irais pas jusque-là.
- On s’démerdera avec. Tertio. Les types qui gèrent le phare, sont où ?
- Pourquoi faire ? Demande-t-il, soupçonneux.
- Remboursement.
- M’étonnerait.
- On verra, ce sera ma merde. M’ont racketté un million par tête, j’ai perdu mon putain d’bateau, un putain d’quart de mon équipage et toute ma putain d’cargaison. Sans compter les éboueurs de la côte qu’ont gratté ce que le courant a ramené.
- Hm.
- Donc ouais, j’l’ai mauvaise.
- Juste, c’pas forcément un bon plan. Z’ont la côte avec les équipages présents, et ceux qui gèrent l’île.
- Personne gère l’île, m’semblait.
- Quelques têtes plus balaises que les autres s’dégagent.
- Ah, ouais, l’autre, là. Florin.
- Lui et d’autres. Son équipage est c’qu’on a de plus proche d’une loi.
- Pas d’lois.
- Ni dieu ni maître, confirme le tavernier.
- Ni dieu ni maître, que j’reprends. »

On lézarde quelques heures, les Marines épuisés somnolent sur leurs sièges. J’ai fait envoyer un toubib qui ressemble plus à un escroc civilisé qu’à un vrai médecin. Mais il fait suffisamment bien son boulot pour le prix qu’il demande. J’esquive les soins pour économiser des piécettes, mais pas Surin, qui s’retrouve avec un bras en bandoulière, et Jadieu, qu’écope de longs bandages sur ses côtes. Faut croire que l’vieux briscard faisait l’air de rien malgré des fêlures.

La taverne s’anime un peu au fur et à mesure de la matinée, quand les pirates qui pionçaient s’décident à descendre dans la salle commune pour finir de s’réveiller à l’aide d’une bière brune. La plupart marque pas plus d’un temps d’arrêt en voyant les nouveaux occupants, et devant nos mines patibulaires et fermées, cherchent pas spécialement à tailler la discute. Ça tombe bien, il commence à être temps qu’on s’balade un peu.

« Allez, faut qu’on s’remue, c’est l’heure d’aller adresser une réclamation. »
Le tavernier ricane derrière son comptoir et répond d’un hochement de tête à mon signe de la main. On sort tous en bon ordre et on commence à marcher avant que j’m’arrête et que j’foute une taloche à Surin en plein milieu de la rue.
« Ayez moins l’air de militaires, putain, que j’chuchote.
- Quoi ? Comment ?
- Démerdez-vous, imaginez que vous êtes en permission, et arrêtez de marcher au pas, merde. »
Il fait passer le mot et on ressemble un peu moins à une parade, en tout cas suffisamment pour pas attirer trop l’attention. Faut croire que c’est le lot de tous les nouveaux venus dans le patelin, de s’faire évaluer par les habitants. Voir si on est des proies faciles, si on a de la thune à dépenser ou à se faire voler, le lot de toute ville pirate.

Le phare est largement suffisamment visible qu’on y aille. La tempête de la veille n’est déjà plus qu’un souvenir et un grand soleil brille maintenant. Mes troupes sont ragaillardies et prêtes à aller semer la zizanie sur c’te putain d’île. Juste à côté du phare, une grosse barraque façon maison de garde gère le passage. Y’a même des genres de barricades, et c’qui semble être des petits abris en cas d’attaque. Y’a pas à dire, ‘sont bien équipés pour pas perdre les juteux contrats du phare.

Un type pointe sa tête, fait subitement des grands gestes et gueule un coup. Ses potes sortent de la maison, prennent position derrière les renforts en bois, pointent des flingues et des fusils sur nous. On s’arrête, j’sors une clope de mon paquet. Un peu de mal à l’allumer, vu qu’elle a pris la flotte. Et le goût est pas terrible, forcément.

Ça les désarme pas, et mes soldats à moi commencent à être nerveux. Ils veulent aussi pointer leurs fusils, qui sont quasiment tous en état de marche après vérification à la taverne. J’lève le bras en salut.
« Hey, du phare, on peut discuter un coup ?
- Okay. Par contre, vous rentrez pas tous.
- Trois ?
- D’accord. Les autres restent dehors et arrêtent de tripoter leurs armes. Et on vous prendra les vôtres.
- Pas d’souci. »

J’prends Chique, une Marine perpétuellement en train de mâchouiller et cracher son jus noir, et Pilier, un marmule qui doit approcher les deux mètres cinquantes pour un quintal et demi de muscle. Le genre intimidant. Et surtout, contrairement aux autres, si ça chauffe trop, ils sont pas en trop mauvais état.

Après avoir déposé nos outils de travail à l’entrée –six couteaux, des poings américains et une énorme masse, on est introduit dans une pièce qui fait quasiment tout le rez-de-chaussée. Des lampes éclairent un peu, pas beaucoup, et une partie des fusils qui pointaient par les étroites fenêtres sont tournés vers nous. Un type s’détache du lot, nous propose de monter à l’étage. Faute de mieux, on accepte. Là-haut, c’est un petit salon bien plus sympathique, avec des fauteuils autour d’une table basse. Un autre bonhomme est déjà assis confortablement et nous regarde entrer avec un petit sourire énigmatique.

« Il est encore tôt mais vous voulez peut-être un cognac ? Un café, plutôt ? »
Il a la voix suave et l’élocution éduquée. Sa tasse est posée devant lui et il en prend une gorgée pour nous faire croire qu’on craint rien. Avant qu’un de mes soldats se décide à commander un digestif, j’coupe court.
« Nan, c’bon. Puis tu voudras p’tet plus nous rincer quand tu sauras pourquoi on est là.
- Asseyez-vous, d’abord. »

On l’fait. Tant qu’à être là, autant se poser confortablement. Le fauteuile lâche un grincement de mauvais augure quand Pilier se laisse tomber en arrière et les pupilles du chef du phare se braquent immédiatement sur lui, sur le siège, avec une moue désapprobatrice. Ça disparaît rapidement pour afficher à nouveau ses dehors affables. Il pue le nobliau ou le bourgeois qu’a mal tourné, ou p’tet le ponte de mafia en exil.

« Bien. Capitaine Angus, n’est-ce pas ?
- Les nouvelles vont vite.
- Bien sûr. Je sais que vous avez fait naufrage la nuit dernière, que vous êtes ensuite entrés en conflit avec Hartos.
- Ca traîne pas.
- Suite à quoi, vous vous êtes réfugiés dans la taverne du Trésor Enfoui.
- Elle s’appelle comme ça ? »
Il a un sourire sans humour.
« Oui, elle s’appelle comme ça. Pas très renseigné, hein ?
- J’ai été un peu occupé, va savoir. Réfugié, quand même, le terme est un peu fort.
- Peut-être. Il reste évidemment quelques zones d’ombre dans le portrait que je viens de dessiner.
- Comme par exemple ?
- Pourquoi vous êtes des pirates. Je n’ai jamais entendu parler de vous ou de vos exploits. »

J’ricane ouvertement. Il hausse un sourcil interrogateur.
« Et tu t’attends à ce que je déballe tout, c’est ça ?
- Ca me semblerait être un échange de bons procédés.
- On va commencer gentiment, alors. J’sais toujours pas qui t’es.
- Ah, euh, oui… qu’il grommelle dans sa barbe. Erik Highsilver, pardon, je n’ai pas l’habitude de me présenter.
- Ben voilà, Erik, tout ça de parlotte pour en arriver là. »
Il a pas l’air jouasse de mon agressivité un peu soudaine. Faut le secouer un peu.
« Tu vois, si on devait parler échange de bons procédés, que j’reprends, on pourrait commencer par causer dettes.
- Ah.
- Ouais, hein ? Parce que tu vois, j’suis arrivé avec quarante-et-un membres d’équipages. Comme Alvel a la réput’ d’être difficile à accoster sans guide, avec toutes ces saloperies de récifs, on a gentiment raqué aux gens du phare pour être guidés à bon port.
- Effectivement.
- J’vais pas t’apprendre les tarifs. On parle d’un million par tête, pour, donc, quarante-deux millions. J’dis pas que mes cales étaient pleines à craquer d’esclaves et de soieries, mais on avait un paquet de tonneaux d’épices. Tu suis ? »

Il reste muet. J’reprends :
« Alors, évidemment, j’sais que vous avez aussi perdu un navire et des hommes, tout ça. Moi, j’ai perdu mes hommes, mon seul bateau, ma cargaison, et toute ma thune. Alors que j’aurais dû arriver pépère à Alvel, vendre ma marchandise, profiter tranquillement de l’escale pour me péter le bide et me vider les couilles. »
Toujours avoir l’air pittoresque, quand on traite avec des pirates.
« Que veux-tu, Capitaine Angus des Naufragés ?
- Dédommagement. »

Son regard se durcit. Terminée, la pose tranquille au fond du canapé, il a maintenant les coudes sur les genoux, penché en avant. Ses doigts se réunissent pour faire une petite pyramide qui s’arrête juste sous ses yeux. J’me retiens de croiser les bras sur ma poitrine, le geste est trop défensif à mon goût.
« J’ai également perdu un navire et des hommes expérimentés, tout comme toi. Je n’ai jamais entendu parler de ton équipage de branquignoles alors que nous sommes les pierres angulaires du commerce d’Alvel.
- J’ai jamais dit que j’voulais un dédommagement intégral. J’me doute bien que ça serait pas réaliste… En tout cas pas en une fois. »
Il plisse les yeux.
« Reste que j’suis coincé à Alvel avec ce qui reste de mes hommes et pas une thune à mon nom.
- Ce sont des choses qui arrivent.
- Ouais, la mort est une chose qui arrive. »

La menace flotte plusieurs secondes. Chique et Pilier se redressent perceptiblement, tout comme les autres occupants de la salle. Eux sont armés, mais ils ressemblent à du menu fretin. J’considère mes options. Ça doit être juteux, comme poste, responsable du phare, comme l’a si bien rappelé Erik… Ca pourrait faire une bonne accroche de départ pour préparer l’arrivée des autres de la Vingtième.

« Tu penses pouvoir tous nous tuer et t’en sortir vivant ? »
J’regarde aux alentours.
« Ouais. »
Il a un reniflement de mépris.
« Peut-être. Mais ça ne t’avancerait pas beaucoup.
- Ca me détendrait. J’pourrais piller le coin pour avoir une mise de départ.
- Une mise de départ pour quoi faire ? Mourir au milieu des sacs d’argent ? Je t’ai dit que nous étions importants à Alvel.
- Pierre angulaire, tout ça.
- Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une île pirate que personne ne maintient… Pas l’ordre. Disons plutôt une sorte d’anarchie contrôlée.
- Et t’as la côte auprès de ces gens-là, pas vrai, Erik ?
- On peut dire ça comme ça.
- Si tu crois que m’agiter la menace d’un grand patron suffit pour que j’remballe mes affaires, tu t’fous le doigt dans l’œil jusqu’à la clavicule, par contre. »
Il soupire.
« Oui, tu dois pouvoir faire figure d’autorité auprès de ton équipage, surtout après être venu ici.
- Ha.
- Et ne pas te laisser marcher sur les pieds, sinon cela présagera mal de ta situation sur l’île.
- Surtout. »

Tandis que je le fixe, j’étends ma perception vers l’extérieur du bâtiment. Mes Marines se sont un peu écartés, toujours armés, toujours face aux pirates d’Erik qui maintiennent le phare. Mon vis-à-vis semble chercher le compromis. J’connais pas les eaux de la baie, donc si j’dois tuer tout le monde ou prendre le contrôle, pas dit que j’puisse faire ça de façon fiable. Les hommes me seront pas fidèles. J’ai besoin d’eux pour continuer à faire venir la Vingtième.

« Allons-y. T’proposes quoi ?
- Cinq millions.
- Dix.
- Six.
- Avec six, je tiens à peine cinq jours. Et c’est qu’une fraction des quarante-deux.
- J’ai également quelques informations qui pourraient t’intéresser.
- M’étonnerait, les informations, ça s’mange pas, et on peut pas dormir dessous.
- Mais cela peut aider, dans certaines circonstances.
- Mouais.
- Donc, pour six millions ?
- Huit, pas moins.
- Va pour huit. »

Il fait un signe de la main, et un larbin part dans une chambre attenante pour compter le pognon.
« Et ces infos trop cool qui vont me permettre de nourrir mon équipage ?
- Tu te souviens d’Hartos ?
- J’suis naufragé, pas stupide.
- Hum, oui, certes. Il a continué à râtisser la côte.
- Ouais.
- La rumeur raconte qu’il aurait quelques esclaves à vendre, et des épices. En tout cas, il m’a renvoyé en fin de matinée des hommes à moi qui avaient fait naufrage la nuit dernière. »
J’serre les dents pendant que Pilier prend le sac contenant les huit millions. Erik tend la main.
« J’espère que nous pourrons continuer à collaborer de manière fructueuse et enrichissante. »
J’la prends.
« J’en doute pas un seul instant, que j’rétorque. »

Sur le chemin de la taverne du Trésor Enfoui, j’cogite la discussion. Le gars est malin. D’un côté, il me file un os à ronger, en se ménageant de la place. De l’autre, il me dirige sur Hartos. Ça s’trouve, ils ont une bisbille. Ou Erik veut reprendre le business très lucratif des pilleurs de la côte. Ça irait bien avec le phare, il tirerait quelque chose de chaque bateau qu’arrive à Alvel, que ce soit en payant ou en faisant naufrage.

L’a aussi agité la menace des autorités en place. Pas que ça m’ébouriffe plus que ça, on est là pour les buter. Mais c’est pas avec mes trente soldats qu’on va s’farcir toute l’île. Finalement, ça s’est pas si mal passé. J’peux aussi faire d’une pierre plusieurs coups. J’peux buter Hartos et montrer qu’on peut pas me marcher sur les pieds comme ça. J’peux récupérer une poignée de survivants supplémentaires. Enfin, j’peux gratter toutes ses richesses en plus des miennes que j’récupèrerais.

Mon estomac gargouille. Vrai qu’il est midi passé quand on passe la porte de notre Quartier Général du moment. La salle commune est plus remplie qu’au matin, et l’aubergiste n’arrête pas de courir entre les tables et la cuisine, pour amener à boire et à manger. Il est renforcé par une serveuse plus trop de première fraîcheur, ce qui l’empêche pas de prendre des mains au cul comme dans n’importe quel bouge du monde.

En nous voyant entrer, il hésite visiblement.
« C’est bon, on a d’la thune pour payer.
- Ah. Impec’ alors, m’sieur, prenez place. Piaules aussi ?
- Ouais, piaules aussi. On va s’tasser pour payer moins cher. »
Il éclate d’un rire bref avant de filer cuisiner.

J’me pose avec Surin et Jadieu à une table ronde dans un coin de la pièce, puis j’leur relate la discussion avec le dénommé Erik. Jadieu se triture la moustache, qui maintenant qu’elle a séché a bien plus fière allure. Surin tripote son couteau de chasse, quant à lui. Il manque de se lever quand j’parle des soldats potentiellement réduits en esclavage.
« Assis ! Que j’aboie. »
Il s’exécute de mauvaise grâce au moment où la bouffe arrive. Ça commence à l’occuper, en tout cas. Dans mon champ de vision, j’vois un type, genre jeunot, s’lever de sa table avec sa gamelle et sa choppe de bière. Il vient vers nous. Direct, tous les regards se tournent vers lui, et il hésite un peu sous la pression, avant de tirer le tabouret en face de moi du pied, puis de poser ses affaires.

Il fait jeune, très jeune. Il a un visage encore un peu poupin, mais le soleil l’a bien tanné, et le vent aussi. Il a pas le profil du marin d’eau douce, en tout cas. Ses pognes sont couvertes de cals. Par contre, les trois poils qu’il essaie de se faire pousser sur la barbichette lui donnent pas vraiment l’air adulte. Bah, on verra bien. J’fais un signe aux autres qu’ils se détendent, et ils retournent à leurs assiettes.

« Bonjour.
- Salut, que j’réponds.
- Manny Streisend, pirate de fortune et d’infortune.
- Angus. Des Naufragés, que j’dis en reprenant le titre gentiment donné par Erik.
- Oui, j’ai entendu dire.
- Encore un peu et j’vais croire que j’suis la nouvelle célébrité locale.
- C’est pas souvent que les guides du phare se plantent.
- C’est bien ma veine. »
Il frétille sur sa chaise.
« T’veux quoi ?
- Qui vous dit que je veux quelque chose ? »
Sur la défensive.
« Pasque sinon tu viendrais pas te foutre à ma table sous le regard de tout mon équipage. »
J’me sens pas d’humeur patiente.
« C’est un peu délicat.
- J’survivrai à un peu de délicatesse, va.
- J’ai entendu des rumeurs sur vos rapports avec Hartos.
- Putain, s’il est aussi balaise pour se battre que pour raconter des histoires, on est dans la merde. »
Mon commentaire attire un ricanement de Surin.

Les yeux de Manny s’écarquillent une fraction de seconde.
« Vous voulez vous venger ?
- Paraît qu’il retient des membres de mon équipage, et des fragments de ma cargaison.
- Ah ? Mince.
- Pas au courant de ça ?
- Non. »
Un peu de silence.
« Bon, sinon, Manny, tu voulais quoi ?
- Oui. C’était pour vous prévenir de vous méfier d’Hartos, il est rancunier. Y’a une fois, il…
- Nan j’m’en cogne de son histoire, que j’coupe. T’sais où il crèche ?
- Lui et son gang ont un coin avec trois maisons et un hangar du côté des docks.
- Sont combien ?
- Dur à dire. Une grosse cinquantaine, je dirais.
- On y va quand même, fait Surin.
- Bien sûr qu’on y va quand même. Le hangar, c’est pour la marchandise ?
- Pas que, ils ont aussi un coin où ils font la fête.
- T’as une idée de la configuration des lieux ? On est un peu en sous-nombre, là. »

Il se pause quelques instants.
« Ouais, j’suis con. T’veux quoi en échange ? J’suppose que tu fais pas ça pour la beauté du geste ou être un bon petit samaritain.
- Trois millions.
- Va t’faire.
- Deux ?
- Nan mais j’t’arrête tout de suite, Manny. Tu veux trois millions pour m’avoir dit qu’un type que j’vais buter est de mauvais poil. Sérieusement ?
- Je vais aussi vous aider à y aller et vous donner la configuration de…
- N’importe quel clodo dans les rues pourrait me le dire pour une bière.
- Ils sont moins fiables.
- J’te considère pas comme fiable.
- Mais en échange…
- Voilà ce qu’on va faire, parce que j’suis quelqu’un d’hyper honnête, tout ça. »

Jadieu toussotte, Surin ricane.
« Hé, soutenez-moi un peu, les gars ! Bref. Déjà, Manny, tu vas plus sortir de notre champ de vision pour le moment. Pas pour aller dans ta chambre, pas pour aller pisser, rien. Y’aura toujours deux de mon équipage collés à toi.
- Hein ? Mais pourquoi ?!
- Tu viens m’raconter comment Hartos est super rancunier et ensuite tu veux m’filer le plan pour aller chez lui. Tu m’prends vraiment pour un con, non ? Ca pue le traquenard à plein nez.
- Mais pas du t…
- Tututut. Mais j’te rassure tout de suite. On ira quand même. Pilier, Mirettes, que j’appelle, vous l’lâchez pas des yeux.
- Okay, cap’taine.
- Et maintenant, avant que j’te dégage de ma table, on va reparler d’à quoi ressemblent les lieux où on va aller cette nuit. »

C’est la fin de la nuit quand on s’met en route. Trop de fêtards avant, et j’veux pas que trop de membres de la bande d’Hartos se fassent la malle ou soient simplement ailleurs quand on arrivera. Effectivement, on s’dirige vers un bord des quais. J’marche en tête avec Manny pour montrer le chemin. J’ai quand même pris mes précautions en vérifiant ce qu’il disait auprès du tavernier, un gars vachement sympa qui bosse possiblement pour Erik.

On arrive enfin à un grand hangar qu’a une ouverture sur la mer. Mon jeune pirate pointe du doigt trois maisons faiblement éclairées. C’est du hangar que vient le plus de bruit. La lumière, les cris, et un accordéon. On se glisse dans un renfoncement sombre, puis j’m’accroupis à côté de Jadieu.
« T’en penses quoi ?
- Ca va être dur de faire une seule prise.
- Ouais. Le plus gros morceau, c’est le hangar.
- Oui. Il faudrait commencer par les maisons.
- Silencieusement.
- Ca serait l’idée. »

J’compte. On a même pris les Marines en trop mauvais état pour se battre. Au pire, ils tireront au fusil. J’les place en couverture sous la responsabilité de Mirettes. J’leur colle Manny dans les pattes, aussi.
« Jadieu, t’en prends sept. Surin, huit. J’vais en prendre six. »
Les groupes se forment rapidement et j’pointe les trois maisons qu’on va cibler. J’ai pris la plus lointaine.
« Laissez passer dix minutes le temps que tout le monde soit en place. On entre, on bute tout le monde silencieusement, et on se retrouve aux entrées des maisons. On signale le code habituel à la fenêtre du rez-de-chaussée. »
Ils hochent la tête. Heureusement que la Vingtième a jamais été une division à se foutre au garde-à-vous, sinon on n’aurait pas tenu une demi-journée.

On passe par des ruelles, derrière, avec Jadieu, jusqu’à ce qu’on se sépare pour prendre chacun notre maison. Mes gars fixent des baïonnettes à leurs fusils ou sortent des couteaux, suivant leurs préférences. Les armes trop longues sont rarement efficaces dans des couloirs, et j’veux éviter les coups de feu autant que possible.

La façade de la barraque est défraîchie. Comme il fait bon dehors, les fenêtres sont ouvertes, ce qui est un bon plan pour nous. J’fais passer mon haki sur les locaux, histoire de voir l’état des types à l’intérieur. Quelques personnes en bas, assises dans un genre de salon. Une poignée qui dort en haut. D’autres qui ont des activités plus physiques dans les chambres.

J’me hisse par-dessus le rebord de la fenêtre et j’tombe silencieusement au sol de l’autre côté. En quelques pas, j’suis collé contre le mur, à côté de l’embrasure de la porte. Rien n’a bougé. Juste derrière moi, les Marines entrent au compte-goutte. Le couloir suivant est simplement éclairé par les lumières du salon, dont des éclats de voix nous parviennent.

Le parquet craque, putain, j’déteste ça.

Ils sont quatre, avec des verres d’alcool et des cartes. Leur diction a déjà cette paresse du mec éméché. J’signale un trois avec mes doigts. Trois secondes plus tard j’saute dans la pièce. L’un d’eux éclate de rire, puis s’interrompt brusquement quand un surin se plante dans la clavicule du mec le plus proche. Un couteau de lancer s’enfonce dans l’œil d’un autre. Une baïonnette transperce le troisième.

Le rigolard prend une profonde inspiration pour gueuler, mais est stoppé par la lame qui rentre dans sa bouche et transperce son cerveau avant de ressortir de l’autre côté. En tout et pour tout, l’affaire a dû prendre deux secondes maximum. J’fais signe qu’il y en a d’autres en haut. J’guide mes gars vers les piaules, et ils entrent pour les tuer dans leur sommeil.

J’garde un Marine avec moi pour le couple encore occupé. Ils sont tellement distraits qu’ils voient rien arriver, c’en est une formalité. On redescend en essuyant nos armes. J’choppe une bougie que j’fous à la fenêtre, en la cachant par intermittence. Les autres maisons répondent pas encore. Elles étaient p’tet plus occupées que la nôtre.

Celle de Surin répond enfin que tout est bon de leur côté. J’lâche un soupir de soulagement quand j’entends un bruit de verre qui s’brise. Quelqu’un fait un arc en l’air en sautant de la barraque affectée à Jadieu et atterrit comme il peut au sol avant de partir en courant et en gueulant vers le hangar. Putain. J’cours vers la porte que j’ouvre brutalement juste à temps pour voir le lanceur d’alerte chuter par terre et ne pas se relever sous le son d’un coup d’feu.

Les chants du hangar se taisent rapidement, et seul l’accordéon joue encore quelques mesures avant de lui aussi s’arrêter. Tout semble retenir son souffle, puis les portes du grand bâtiment commencent à coulisser pour se fermer. Les choses s’annoncent mal, si y’a bien un truc que j’veux pas, c’est un siège dans lequel tous les autres gangs de la ville pourront venir foutre leur pif.

Rapidement, il devient apparent que c’est Mirettes qu’a flingué le fuyart. Nous, on reste à bonne distance, des fois qu’ils aient des armes à feu ou quoi. La façade semble aveugle, mais on sait jamais.
« Désolé, Capitaine, nous ne l’avons pas vu, dit raidement Jadieu.
- Tant pis, on va s’démerder. Y’a quoi d’autres comme entrées à part celle des marchandises ?
- Celle de la mer, et une porte derrière pour le personnel, fait Manny.
- La porte derrière, ça va être mort, et j’ai pas le temps de foutre le feu, surtout si y’a mes gars à l’intérieur. Ça va être opération amphibie. »

On est coupé par une grosse voix qui porte.
« Vous attaquez le gang d’Hartos. Z’êtes qui ? Qu’on sache quoi écrire sur vos tombes !
- Manny, c’est toi qui lui fais la causette. Au moindre mot de travers, Jadieu t’envoie direct ad patres. Faites illusion de nombre, j’en prends quinze, on va entrer par la mer. Ensuite, on essaiera d’ouvrir les portes. Foutez aussi une équipe derrière pour les empêcher de prendre la poudre d’escampette. »
Pendant qu’on s’met en place, j’entends Hartos et Manny échanger des rodomontades sur qui ils connaissent et va venir leur botter les fesses, des commentaires sur les mères et leurs occupations professionnelles, tout un genre de joyeusetés. L’eau est froide, et j’étouffe un frisson puis j’commence à faire des brasses.

C’est sûr qu’ils auront au moins une personne pour surveiller cette entrée. Une fois de plus, j’utilise l’Empathie pour anticiper le placement, et effectivement, ils sont même trois. Les yeux braqués sur le canal, des fusils en main, ils observent attentivement la voie maritime. L’avantage, c’est que dans le noir, ils doivent y voir autant que nous, à savoir pas grand-chose.

J’prends appui d’une main sur le quai. J’sens la présence des autres derrière moi. J’plie et j’déplie ma droite quelques secondes histoire de la réchauffer, puis j’envoie trois Shigan Bacchi d’affilée sur les sentinelles. Pas de bruit de coup d’feu, mais les corps font un bruit sourd quand ils tombent au sol. L’un d’eux roule dans la flotte. Plus bruyant, tout d’suite.

Un chuchottement nous parvient :
« Y’a quelque chose ?
- Non c’rien, que j’réponds d’une voix rauque. »
J’espère qu’avec la voix basse, ça suffit à faire illusion.
« J’viens voir, que j’entends. »
J’étouffe un juron et j’grimpe sur le rebord, rapidement suivi de mes petits camarades. La forme surlignée par le haki de l’empathie marche droit vers moi. En plus, il porte une lanterne, voilée pour le moment. Le bruits des gouttes qui dégoulinent rendent méfiant l’ennemi, qui s’arrête quelques instants, attrape le pistolet à sa ceinture.

Le Geppou m’permet de le survoler et de passer derrière lui. Quand j’plante mon surin et lui plaquant la main sur la bouche, il fait tomber sa lampe. Heureusement, un des Marines a la présence d’esprit de l’attraper au vol, en même temps que le poignet qui tient l’arme pour la lui arracher. J’l’allonge doucement au sol et j’reprends mon souffle.

J’en profite pour faire un état des lieux. Ils sont encore une vingtaine, moins nombreux que nous. Ils ont éteint les lumières pour pas être aveuglés, à part quelques-unes qui font une ambiance tamisée. On est dans un coin sombre derrière des piles de caisses et de tonneaux. En longueur, ça doit faire une bonne cinquantaine de mètres. Y’a un genre de balcon intérieur qui fait le tour du hangar, avec des chaînes et des poulies accrochées au plafond pour déplacer les cargaisons.

« On commence par en haut, que j’dis dans un souffle. »
Mes soldats hochent la tête. On commence à grimper à une échelle. Branlante, elle fait un peu de bruit. La guigne s’arrête pas. Un type qui faisait la sentinelle en haut est attiré et jette un coup d’œil par la trappe, pile assez pour nous voir. J’saute sur le côté, dans le vide, quand il fait feu. La balle s’enfonce en plein dans le crâne de celui qui m’suivait, et il tombe en entrainant un Marine dans sa chute.

La main gauche tendue, j’attrape une chaîne qui pendait. L’inertie m’fait me balancer, mais j’me hisse tout pareil. D’une pirouette, j’arrive sur le balcon avant que le pirate ait le temps de recharger son fusil. Il bloque mon premier coup de couteau avec son arme, mais voit pas venir le Rankyaku au ras du sol qui lui coupe les jambes à hauteur des chevilles. Il tombe en gueulant et j’l’achève aussi sec.

Ses cris ont attiré, immanquablement, l’attention des autres cons. D’autres coups de feu retentissent aussitôt vers nous, pendant que j’aide mes Marines à finir de grimper. Plaqués contre le mur, on écoute le son des balles qui ricochent sur le plancher de l’étage. Quelques-uns prennent l’angle mais ça suffit pas, et tout s’écrase au-dessus de nos têtes.

Y’a d’autres échelles qui mènent à l’étage, et c’est celles-la qui m’inquiètent le plus. Les caches des lanternes sont levés et tout le monde y voit subitement mieux, sans que ça fasse vraiment nos affaires. J’divise mes Marines qui sont montés vers les coins de la pièce. Les autres sont à couvert en bas. Tout l’monde cible en premier les gars qui grimpent, forcément. Totalement à découvert, ils font des victimes de choix.

Résultat, les pirates arrêtent vite ça.

On est coincé comme des cons pendant cinq bonnes minutes, à échanger des balles. J’sais même pas si qui que ce soit a été touché au-delà des toutes premières pertes. Puis on entend un grand fracas contre les double-portes de l’entrée des marchandises. Le bois grince audiblement, et attire l’attention de tout le monde.

Un ennemi marche dans cette direction pour empêcher la porte de s’ouvrir, et encaisse promptement trois balles, épaule, ventre, jambe. V’là qui vaccinera les autres. Une planche craque sous les coups de boutoir, rapidement suivie de ses collègues. Tout le monde fait feu à travers l’ouverture, maintenant. Sur un dernier impact, j’vois la massue de Pilier refléter la lumière des lanternes. Bon, il s’rend utile, j’devrais en faire autant.

Une fois de plus, j’utilise l’empathie pour scanner tout le bâtiment. Hartos devrait encore être là. Et ça manque pas, sa grande silhouette et son aura un poil plus brillante que celle de ses copains se détachent clairement. Maintenant que les pirates se battent sur deux fronts, ils sont clairement moins motivés. J’note aussi quelques présences, faibles, dans un coin du hangar, blottis dans ce qui semble être des cages. Ça doit être les rescapés des naufrages en attente d’être vendus aux esclavagistes de l’île. Mes Marines doivent s’y trouver aussi.

J’indique la direction approximative aux soldats qui sont montés avec moi. Ça leur fait un p’tit objectif pendant que j’pars en chasse. J’cours plié en deux, furtivement, le long du balcon. Un Geppou m’amène sur une des poutres qui maintient le toit, et j’fais mon funambule tout en observant la situation. Pris entre deux feux, les pirates offrent plus trop de résistance et tombent comme des mouches, surtout face à des Marines entrainés. On essuie probablement quelques pertes aussi, mais rien de comparable.

J’repère Hartos alors qu’il se dirige vers la petite porte du personnel. Il doit vouloir s’enfuir pour rameuter ses hommes, ses soutiens, ou quoi. J’me laisse tomber de plus d’une quinzaine de mètres et un Kamisori m’permet d’infléchir totalement ma trajectoire. D’une manière ou d’une autre, il sent la saloperie venir et s’retourne juste à temps pour écarter mon couteau. J’lui laisse juste une longue estafilade sur l’avant-bras, rien de très profond.

« Angus, heh ? J’aurais dû m’en douter.
- Ca aurait rien changé, mon gros.
- T’es pas l’premier à v’loir ma tête. »
Il montre les dents, et s’met en garde de catcheur. S’il m’choppe, j’vais pas faire le malin, vu la différence de gabarit. En plus, avec le chaos ambiant, j’vais devoir éviter de trop abuser du Rokushiki, ça serait moche si des rumeurs commençaient déjà à courir. D’un geste des poignets, j’dégaine deux couteaux, dont j’alterne la prise, lame en haut ou lame en bas.

Ramassé sur moi-même, j’le surveille.
« Viens t’batt’ !
- Pourquoi faire ? Tes boys prennent une taulée par les miens, et ensuite on te trouera à coups de fusil. J’vois pas pourquoi j’m’emmerderais.
- Il est où, l’panache d’la piraterie ?
- Rien à battre. »
Il charge brusquement, une main vers ma lame et l’autre vers mon visage. J’laisse mon surin dans sa paume et j’recule d’un pas pour esquiver son poing. Il l’arrache sans un mot, et le sang commence à dégouliner. Un autre couteau apparaît dans ma main. Une balle siffle à côté de moi, mais j’l’ai sentie venir, et j’évite d’un entrechat.

Il loupe pas l’occasion pour autant, essaie de m’attraper par le col. Il y arrive et j’en profite pour planter son bide. Ma lame s’pète sur ses abdos, c’qui semble pas tout à fait naturel. Une couche noire recouvre son torse, et il a un p’tit sourire supérieur. Saloperie d’armement, putain. Mon coup d’talon dans son genou manque de m’fracturer l’os du pied, mais un Tekkai Kenpo discret l’empêche.

Une de ses mains énorme enserre ma gorge et commence à serrer. Là, ça devient vachement moins marrant. L’autre essaie de chopper mon poignet, mais j’esquive et j’taillade avant que son armement s’mette en place. J’sens mon visage prendre une jolie teinte cramoisie et j’tente de planter mon dernier surin dans son œil. Il ferme la paupière et le fluide noir pare l’assaut. Il récolte juste une coupure sur la tempe.

Le manque d’oxygène commence à s’faire sentir et le cartilage de mon cou commence à plier salement. Il choppe ma seule main armée avec la sienne et j’me sens comme immobilisé. Sa bouche est ouverte sur un rictus figé. Merde, Shigan Bacchi ou Rankya…

La baïonnette ressort brusquement de la gueule d’Hartos, en cassant deux ou trois dents au passage. Il a un filet de sang au coin des lèvres et le regard surpris quand il lâche sa prise et que j’me laisse un peu tomber pour reprendre mon souffle. Le coup de fusil qui suit, à bout portant, éparpille des morceaux de boîte cranienne et de cervelle à trois mètres, y compris sur moi.

Mirettes m’adresse un regard inquiet de derrière le cadavre, et j’lui fais signe que ça va en respirant comme un soufflet de forge. Mes Marines finissent de nettoyer les pirates et allument les lumières à fond. On fait l’tour du hangar, et on reconnaît aisément nos tonneaux, encore marqués. Dans des cages, on trouve effectivement quatre disparus qu’on n’avait pas retrouvés sur la plage. Z’ont la peau sur les os, des hématomes, et des chaînes.

Pendant que mes soldats s’occupent d’eux, j’réfléchis à quoi foutre des marchandises. A trimballer, ça va être la mort. On commence à tout ouvrir pour trouver le plus précieux. L’reste, on y foutra le feu, j’pense. Ça fera joli, puis ça préviendra tout le monde de pas me marcher sur les pieds. Ou au contraire ça les attirera. Faut que j’pense à me méfier des survivants du gang, aussi. Ceux qu’étaient pas là. Ils l’auront mauvaise, à tous les coups.

Tout d’un coup, c’est Manny qui s’pointe.
« Ca va, Cap’taine ?
- J’suis pas ton capitaine.
- Certes. Angus, alors. Il y a des charrettes dehors.
- Ah ? Veulent leur part ?
- Non, c’est pour aider.
- Ben tiens. Genre des gens viennent m’aider.
- J’ai demandé à Dennis de nous rendre service.
- Dennis ?
- Le tavernier du Trésor Enfoui.
- Ah.
- Evidemment, il veut une commission sur les ventes, mais il aidera aussi à écouler la marchandise.
- ‘Videmment.
- Et il espère que vous continuerez à faire affaire, que vous resterez dormir et manger dans son humble auberge, dans ses propres termes.
- Ouais ouais, faudrait que les gens m’prennent pas trop pour la poule aux œufs d’or, quand même. »

C’est cool, tout le monde a ses p’tits plans pour moi, faut croire. Ça doit être le côté opportuniste des habitants naturels d’Alvel. Quelques torches suffisent à faire prendre le bois du hangar, surtout avec les barils d’huile de monstres marins qu’on a trouvé. Après, c’est les trois barraques qui y passent, et j’m’éloigne des flammes, bien trop chaudes, en me massant la nuque.

Assis à l’arrière d’une des charrettes, Manny s’gratte les trois poils qu’il a sur les joues. L’a l’air plutôt content de lui, il sait qu’il a gagné sa thune, sauf si j’décide de le planter là. Mais un allié, même peu fiable et qui bosse pour quelqu’un d’autre, ça peut toujours s’rendre utile. J’le ferai bosser jusqu’au bout.

Puis bon, ils ont p’tet des plans pour moi.

Mais j’en ai pour eux aussi.

Et ils vont pas leur plaire.
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