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Un brûlé au pays des noyés

Depuis un bon moment, il y a ce petit rêve que j'entretiens dans mon esprit. Ce désir brûlant, pourtant si simple, mais dont la seule pensée me réchauffe le coeur. Chaque fois que je ferme les yeux, j'entretiens l'espoir de voir ma mère en les rouvrant. Je veux voir son visage d'ange, traversé par une pointe d'inquiétude, qui me dit: «Tout va bien Atoum, ce n'est qu'un rêve, on est avec toi maintenant.»

Et pourtant, à chaque fois, lorsque mes paupières se relèvent pour m'offrir une vue sur le monde, je suis parcouru d'un éclair de déception. Comme en ce moment, où en lieu et place de ma mère, je suis fixé par un miséreux hirsute avec moins de dents de dans la gueule que de doigts à sa main. Enfin, je suppose que mon aspect n'est pas vraiment plus enchanteur. La seule vraie différence entre lui et moi, c'est qu'il peut se permettre le luxe d'avoir une barbe.

L'homme me regarde avec étonnement. Il devait être loin de se douter que cette masse de papier-cul renfermait en fait un être humain, le pauvre.

«Hé, boss, c'lui-là y'est toujours vivant!»

En relevant la tête, je réalise que mon gaillard est loin d'être seul. Tout autour de nous, des bougres à la physionomie similaire s'appliquent à récupérer ce qui reste du Cirque de l'Anormal. Pauvre navire. Quand je pense qu'après la mutinerie, il n'a même pas fallu deux heures à moi et aux autres membres de l'équipage pour perdre le contrôle et se retrouver ici.

Mon regard finit par s'attarder sur le boss en question. Et le moins que je puisse dire, c'est que pour un clochard, il ne manque pas de fantaisie. Sa barbe tressée et foncée est ornée de coquillages multicolores, tandis qu'il tente de couvrir sa calvitie naissante par une large perruque dont le blond platine contraste très fortement avec le reste de sa pilosité. J'imagine qu'il l'a récupéré sur une autre épave.

Lorsqu'il s'approche de moi, je remarque que l'étrange cape qu'il porte est en fait un Jolly Roger. J'imagine qu'une telle décoration pourrait s'avérer menaçante si elle était mieux entretenue. De nombreuses taches d'huiles et de crasse semblent s'être donné la mission de jaunir autant que possible le motif crânien, et elles s'en sortent très très bien.

Le patron sans nom, cherchant à faire bonne impression, décide de me tirer par les cheveux pour me relever. Ou plutôt, j'imagine que c'est ce qu'il souhaitait faire, vu la mine déconfite qu'il tire en voyant que mes cheveux ont préféré m'abandonner plutôt que de me livrer à lui. Braves capillaires, je ne vous oublierai jamais.

Avec dégoût, il secoue sa main pour se débarrasser de la touffe qu'il m'a arrachée, puis se décide enfin à prendre la parole. Lorsqu'il ouvre la bouche, une horde de mouches se précipite vers celle-ci, sans doute attirée par l'odeur affriolante qu'elle dégage. Je crois même qu'il vient d'en avaler une.

«T'pas en veine, fiston. T'viens d'tomber s'la bande d'pillards la plus ancienne de c't'île, les Vautours d'Clotaire.»

J'éructe un bon moment, histoire de purger mes poumons de toutes les cochonneries que j'ai avalées lors du naufrage, puis je prends la parole à mon tour. L'avantage quand je m'adresse à un homme mondain comme lui, c'est que je n'ai pas à m'efforcer d'avoir une prononciation correcte.

«J'présume qu'c'est toi, l'Clotaire?»

«Clotaire IVème du nom, fils de Clotaire, fils de Clotaire, fils de Clotaire. Actuel chef d'Vautours d'Clotaire. L'type qui t'a vu à ton réveil t't'à l'heure, c'mon fiston...»

«Clotaire?»

Le vieux pillard me fixe avec de grands yeux, comme si j'étais le plus grand des devins. Il cherche ses mots un petit moment, sous l'effet de la surprise, puis reprend la conversation.

«Écoute, j'désolé t'apprendre ça, gamin, mais t'es l'seul survivant d'ton naufrage. T'nous prends un peu au dépourvu, 'vec ton réveil. J'sais pas c'qu'on va faire d'toi.»

Je décide de tenter ma chance en lui balançant un: «M'emmener voir un médecin?»

Clotaire pouffe de rire. Son fils et le reste de sa bande, en le voyant ainsi s'esclaffer, décident de faire de même. Si le patron rit, c'est qu'il y a sûrement quelque chose de marrant. Pour ma part, j'étais assez peu amusé de la réaction.

«Un doc'? T'prends pour qui? Moi et mes larrons, on a pas d'quoi t'payer une visite au toubib. Et puis si ça s'trouve, sur c't'île, tu risque plutôt d'te faire vol...»

Il laissa sa phrase en suspens, les yeux ronds, soudainement frappé d'une révélation. Un sourire se dessine sur son visage. Je remarque même qu'il se met instinctivement à se frotter les mains. Lorsqu'il reprend la parole, c'est d'un ton exagérément poli, qui contraste fortement avec le personnage.


«Un médecin? Mais bien sûûûûûr! Mes garçons et moi, on va s'faire un plaisiiiir d't'emmener voir l'médecin!»


«Mais patron...» s'opposa Clotaire Junior.

«Shhh! Faites c'que j'dis. Allez, aidez l'pauvre type à s'relever, on va lui montrer toute la gentille dont l'vautours d'Clotaire peuvent faire part.»

Je ne suis peut-être pas le mec le plus perspicace de South Blue, mais il y a quelque chose de pas naturel du tout dans ce changement d'attitude. Je ferais mieux de me méfier de ces types. Mais bon, j'imagine que je n'ai pas grand-chose à perdre. Je laisse donc deux vautours me relever, et je les laisse me guider vers mon salut potentiel.


Dernière édition par Atoum le Jeu 15 Juin - 4:46, édité 1 fois
    Des deux gorilles - pardon, vautours - qui constituent mon escorte, j'ignore lequel est mon préféré.

    À droite, j'ai la chance de voir un illustre costaud qui porte ses cheveux en une extravagante crête iroquoise violette. Ses gros bras sont sillonnés de tatouages portant des messages outrageux, comme «Je bois de la lave et je mange de la vitre.» ou encore «J'ai déjà tué un homme en éternuant.» Bref, un dur de dur de chez dur.

    À ma gauche se dresse un autre homme tout aussi imposant, mais à la chevelure plus sombre. Une simple queue de cheval sert à retenir celle-ci. Ses yeux sont cachés derrière une paire de verres fumés très épais, et sa mâchoire plus carrée qu'une brique est traversée d'une large cicatrice en X.

    Ignorant le patronyme de ses deux nommes, j'ai décidé de leur donner à tous les deux un surnom par souci de commodité. Le premier est donc «Mange-vitre» et le second «Gueule de X». Ce n'est pas ce qu'il y a de plus original, mais ça a le mérite d'être clair.

    Clotaire nous ayant devancés depuis un bon moment, je me retrouve seul avec ces deux sympathiques personnages. Ma peau brûlée m'empêche de sentir leur prise, mais à voir les quelques déchirures qui se font sur mes bandages, j'ai l'impression qu'ils n'y vont pas de main morte.

    «Au fait, c'quoi c't'île?»

    Pas de réponse. Ni monsieur Vitre ni monsieur X ne daigne m'adresser la parole. Charmants personnages. Je décide donc d'examiner les lieux par moi-même, histoire de me faire une petite idée.

    La chose la plus frappante est bien évidemment l'omniprésence de bois. Le sol, les bâtiments, tout est fait à partir de vieilles épaves. Je ne peux m'empêcher d'avoir une certaine admiration pour les constructeurs de cette île, qui sont décidément capable d'en faire beaucoup avec peu. On peut même remarquer un certain sens de l'esthétisme, car beaucoup de ces baraques sont ornées de décorations en tout genre. Barres de gouvernail, coquillages, squelettes d'animaux marins. Une telle coquetterie est étonnante pour un lieu aussi miteux. Un peu comme Clotaire.

    Mes deux gentils gardes du corps et moi-même finissons par nous arrêter devant une vieille caraque. À l'avant de celle-ci, une croix rouge vient d'être fraîchement peinturée, ainsi qu'un écriteau sur lequel on pouvait lire «Maidessin». Clotaire sortit pour venir à notre rencontre. Il était maintenant vêtu d'un sarrau blanc, et portait un bandeau à l'avant duquel quelqu'un a accroché un couvercle de conserve.

    «Bonjour bonjour! J'suis le docteur Clo-....Claude! Oui, l'bon docteur Claude!»

    À la perplexité de mon regard, je crois qu'il comprit que je n'étais pas dupe, car il ajouta:

    «J'suis l'frère jumeau d'Clotaire. C'pour ça qu'on s'ressemble autant et qu'on a la même voix. Allez, entrez, que j'vous guérisse.»

    En ce moment, la dernière chose dont j'ai envie, c'est bien de subir une opération du Docteur Clotaire. Mais comme je suis toujours prisonnier du duo de malabars, je n'ai pas vraiment d'autre choix que de jouer le jeu.

    On m'emmène vers une grande pièce circulaire. Au centre de celle-ci trône une baignoire remplie de glaçons, entourée de trois rideaux plutôt suspicieux. Autour de ceux-ci sont disséminées quelques tables sur lesquels je peux apercevoir des outils tranchants qui sont très loin de me mettre en confiance.

    «Prenez place dans la baignoire, je vous prie. Ça fait partie de l'opération.»

    «J'ai pas d'peau. Si tu m'fous là d'dans, j'risque d'avoir mal...»

    «T'SEZ-VOUS! C'qui l'docteur, ici? C'moi, j'sais c'qu'est bon pour moi. Alors d'venez un homme et prenez place dans c'bain d'glace.


    Vitre et X me déposent - me balancent - dans le gros récipient métallique. Pendant une demi-seconde, je bénéficie de la sensation apaisante de la glace qu'on applique sur une brûlure. Puis celle-ci cède sa place au picotement très désagréable de la glace qui engourdit les muscles. Le Docteur Claude s'approche de moi et pose son stéthoscope sur mon pectoral droit.

    «Mmh, c'bien c'que j'pensais. Va falloir vous enlever un rein. Z'en faites pas, j'suis un habitué d'ce genre de procédure.»

    Lorsqu'il brandit son couteau, j'ai su que ce petit jeu commençait à aller trop loin. De toutes mes forces, je m'agrippe aux côtés de la baignoire et la fais basculer sur le côté, en direction de mes agresseurs. Les deux montagnes de muscles se jettent dans ma direction, mais trébuchent sur les cubes de glace. Fier de mon coup, je m'élance et glisse sous l'un des rideaux, puis me précipite vers l'issue la plus proche: un escalier à ma droite.
      Avec un peu de chance, j'aurais pu tomber sur une salle d'arme afin de dégoter de quoi me défendre. Ou alors sur une poudrière, qui m'aurait permis de marchander ma liberté. Mais non, à la place il fallait que l'escalier qui constituait ma seule issue m'emmène dans l'un des seuls endroits ne représentant pas le moindre intérêt pour ma liberté: la cuisine.

      Clotaire Junior était visiblement affecté à la corvée de patates pour la soirée. Avec les gros yeux qu'il me fait, je doute qu'il s'attendait de me voir débarquer ici. Il porte même un petit tablier sur lequel on peut lire «Embrassez le chef.»

      Hors de question de gaspiller mon effet de surprise. Sans perdre de temps, j'empoigne la tête du chef à deux mains et l'envoie résonner contre la casserole pleine de pommes de terres. Ça sonne creux, et quelque chose me dit que ce n'était pas la casserole. Tout près, dans la cage d'escalier, je vois apparaître la grosse tête laide de Gueule de X. Il me suffit de lui balancer la casserole sur sa...merde, c'est lourd ce truc...

      THUNK.

      J'ai échappé la casserole d'eau bouillante, qui représentait mon seul moyen de défense contre ce monstre. Avec désespoir, j'assiste au spectacle affligeant des patates qui roulent mollement hors de leur récipient tandis que l'eau crépite tranquillement sur le sol.

      Mon poursuivant franchit la dernière marche et se retrouve dans la cuisine. Nerveusement, je m'empare du couteau qu'utilisait Clotaire Junior et le brandit en direction de X. Celui-ci ne paraît pas du tout impressionné.

      Rira bien qui rira le dernier. Minutieusement, je positionne mes deux jambes à un angle de 45° l'une de l'autre. Mon bras droit se lève alors que je modifie la prise que j'ai sur le couteau. Transfert de poids sur ma jambe gauche alors que je jette le couteau en direction de mon ennemi, bien décidé à transpercer l'un de ses ridicules verres fumés.

      La lame tourne, tourne, tourne jusqu'à ce que ce soit finalement le manche du couteau qui percute le torse de Gueule de X. Celui-ci recule à peine, comme s'il venait simplement d'être piqué par l'une des mouches attirée par l'haleine de son patron. Paniqué, j'empoigne un autre couteau et réitère la manoeuvre, mais je le lâche trop tard et le fiche dans le sol. Moins de dix pas me séparent maintenant du colosse. Pire encore, je vois la crête mauve de Mangeur de Vitre qui est en train de monter les escaliers.

      Il me faut agir, et vite. Tout en reculant, je m'efforce d'analyser soigneusement les composantes de la cuisine pouvant servir à ma défense. Derrière-moi, un bassin poisseux était rempli à ras-bord de poissons plus ou moins frais. À ma droite, quelques armoires devaient sans doute renfermer d'autres instruments de cuisine. Je pourrais essayer d'assommer Monsieur X en les ouvrant, mais vu sa tronche de brique, c'est pas gagné. À ma gauche, une entrée donne sur le réfectoire. Quatre types y sont assis, attendant sans doute leur repas. Ils risquent de ne pas être bien content s'ils apprennent que j'ai dégommé le chef. Et puis ils ont la tête par excellence du subordonné de Clotaire.

      Réflexion. Idée. Eureka! Minutieusement, je positionne mes deux jambes à un angle de 45° l'une de l'autre. Mon bras droit se lève alors que je serre fermement la queue du poisson mort que je viens de saisir dans le bassin. Transfert de poids sur ma jambe gauche alors que je jette le pauvre poiscaille en direction de mon ennemi, espérant au moins aveugler mon ennemi.

      Le poisson tourne, tourne, tourne et vient s'éclater sur la vilaine gueule en X. Elle a un geste de recul, mû par un mélange de surprise et de dégoût face au jus poisseux qui se répand maintenant sur son visage. Profitant de la diversion, je m'élance vers les escaliers, où Mangeur de Vitre continue de monter. J'esquive le premier colosse et me saisit de la casserole de toute à l'heure, maintenant exempte de toute patate.

      Je la brandis fièrement devant moi. Cette casserole est mon bouclier, elle est mon charme magique. Et elle est surtout mon seul espoir de me sortir de cette situation épineuse. Avec la force de mon désespoir, je m'élance dans la cage d'escalier. Le visage hideux de Mangeur de Vitre vient épouser la forme de mon outil de fonte, produisant un bruit sourd. Il tombe à la renverse, moi sur lui, et me sert de luge de fortune pour descendre les escaliers sans trop d'encombre.

      Me revoilà dans la pièce à la baignoire. Aucune trace de Clotaire, à moins que celui-ci soit resté derrière les rideaux. Deux options s'offrent maintenant à moi: l'entrée par où je suis arrivé, ou bien une porte à ma droite au dessus de laquelle on peut voir un écriteau sur lequel il est écrit «Trésor». Étrange, j'aurais pourtant juré qu'il n'y avait rien d'écrit là toute à l'heure. Et la peinture me paraît bien fraîche.

      Mais bon, un trésor est un trésor! Et si je veux me payer un vrai médecin, il va bien me falloir des moyens. Déterminé, je fais fi de la sortie et je fonce vers la salle au trésor.
        Pas de trésor. Cette pièce ne renferme aucun coffre, ni même une caisse. Je n'y vois ni or, ni bijoux, ni objets de valeur. Ce qu'il y a, par contre, c'est une horde de clochards munis de barres à clous et de bouts de tuyaux, la rage au coeur et le meurtre dans les yeux. Rien de bien encourageant, tout ça.

        Mon bras droit est peu réceptif. Je crois que la petite glissade de casserole de toute à l'heure ne lui a pas fait de bien. Il a dû se manger l'impact. J'arrive à bouger mes doigts, mais sans plus. Dooonc, si je comprends bien, je vais devoir faire face à six poilus armés avec mon bras non dominant.

        J'observe les environs, mais je n'y vois pas le moindre objet susceptible de m'aider dans ma lutte. D'ailleurs, on n'y voit que dalle. La seule source de lumière provient d'une petite lampe à l'huile accrochée sur le mur gauche. À moins que...non...je ne peux pas faire ça...

        Un coup de tuyauterie dans la mâchoire me tire de ma torpeur. Je chancelle et trébuche un petit peu plus loin. Ils ne me laissent pas trop le choix, ces cons. Déterminé, je rampe en direction de la lampe pendant que les clodos se mettent à me marteler ad lib. J'arrive à sentir le choc incessant provoqué par les coups de barre à clous et de morceaux de bois. De belles contusions comme on les aime bien. C'est très incommodant, au point de m'en faire serrer les dents.

        Certes, je dispose d'un bon seuil de résistance à la douleur, mais si je me retrouve réduit en purée avant d'arriver à mon objectif, je suis pas sorti du bois. Dans une tentative d'esquive, j'exécute une roulade sur le côté et parviens à faire tomber le plus frêle des clochards. L'espace libéré va me permettre de me redresser et...ah merde, mon bras droit.

        Alors que j'essaie pitoyablement de me relever, le même bout de tuyère que tout à l'heure vient heurter le haut du dos et m'envoie embrasser le plancher. C'est finalement en rampant que je couvre le dernier mètre me séparant de ma lueur d'espoir.

        Sans hésiter, je referme ma main gauche sur la lampe à l'huile et je me l'éclate sur la main. Quelques gouttes de sang se mettent à perler, mais mes plaies sont vite cautérisées par les flammes qui se répandent sur mon bras. Et puis zut, je suis déjà brûlé! Quel est le pire qui puisse m'arriver?

        Je me retourne vers mes opposants, qui ont déjà reculé de quelque pas. Voilà enfin de quoi me redonner confiance. Prenant un air menaçant, je fais un pas dans leur direction. Mon avant-bras est maintenant sillonné de flammèches.

        «J'suis l'Dieu du Feu, mes p'tits gars...»

        J'ai des papillons dans l'estomac. Je vais enfin pouvoir le dire! Ma phrase cool, à réserver pour les grandes occasions. Elle va sortir, ça y est:

        «...et j'vais vous Atoumiser. POING ARDENT!»


        J'envoie un violent crochet du gauche dans la tronche du clochard le plus près, l'envoyant valser un petit peu plus loin. Sa barbe drue se met à crépiter, puis s'enflamme, sous les cris horrifiés de ses compagnons. Ceux-ci se précipitent vers la sortie, mais je n'ai pas l'intention de les laisser faire. Je m'élance et envoie un barrage (ou du moins ce qui se rapproche le plus d'un barrage quand on n'a qu'un seul bras utilisable) de coups dans leur direction, faisant valser les étincelles dans toutes les directions.

        En sortant de la pièce, une surprise m'attend. C'est ce bon vieux Gueule de X, mais cette fois sans ses stupides lunettes. Dommage, j'aurais bien voulu lui éclater les verres au visage. Mais je suppose qu'un coup de poing ardent fera l'affaire.

        Le colosse parvient à éviter mon coup. Je fais un pas sur le côté et réessayer. Raté. Je m'essaie à un petit jeu de jambes maladroit, esquissant quelques feintes, mais elles se soldent toutes par des échecs. Finalement, au diable la technique, je lui saute dessus et ferme ma main sur sa queue de cheval, lui enflammant les tifs. Il pousse un cri étonnamment aigu pour sa stature, puis se précipite en direction de la sortie. Je m'élance à sa poursuite. Pas parce que je veux l'achever, non, mais bien parce qu'il doit se précipiter vers un point d'eau.

        Car après tout, moi aussi je suis en feu, merde! Faut que je parvienne à l'éteindre au plus vite avant de finir en tas de centres. Les flammes se sont déjà propagées jusqu'à mon épaule au moment où je quitte la caraque.
          Notre petit cortège enflammé attira la curiosité de tous les passants. Il faut dire que ce n'est pas tous les jours que l'on assiste à une procession d'hommes en feu pourchassés par une torche humaine. J'aimerais bien que l'un d'entre eux fasse preuve d'un peu de logique et nous balance un sceau d'eau à la figure, mais ils ne semblent manifester rien d'autre que de l'amusement. Je sais vraiment pas sur quelle île j'ai échoué, mais visiblement, la populace a de drôle de goûts en matière de divertissement.

          Après ce qui m'a semblé une éternité à sillonner les rues de bois d'épave, les Vautours enflammés et moi-même finissent par franchir ce que j'imagine être l'entrée d'un port, car je vois au loin quelques jetées. Amarrées à celle-ci, il y a de vrais bateaux. Enfin, on dirait plutôt des épaves à moitié reconstituées, mais ça flotte, alors je suppose que ça peut prétendre au titre de navire.

          Un à la suite de l'autre, les clochards braisés se jettent à la mer. Je fais de même, déterminé à annihiler ces flammes qui sont rendue un peu trop près de mon visage.

          Plouf!

          Douceur, volupté. Enfin une sensation digne de ce nom. La mer m'enveloppe et m'apaise comme une mère le ferait à son nourrisson. Je prends mon temps pour remonter à la surface, me complaisant dans cette fraîcheur inhabituelle. Ouvrant un oeil, j'aperçois les clochards de Clotaire qui s'empressent de retourner en vitesse sur le quai. Même ce gros lard de Gueule de X prend ses jambes à son cou. On peut dire que je leur ai vraiment foutu la trouille.

          En remontant sur la jetée, je tombe nez à nez avec un jeune rouquin qui était en train de remplir de provision un petit navire.

          «Oups, pardon!» dit-il en m'évitant de justesse. Puis, comme s'il prenait conscience de ma personne, il se mit à m'examiner de la tête aux pieds. Je décide de faire de même afin de prendre connaissance de l'ampleur des dégâts que les flammes et la déroute que je me suis prise tout à l'heure m'ont infligés.

          Pas de chance, ma manche gauche est ruinée, exposant ma chair brûlée à l'air libre. Le reste de mes bandages est noirci par la cendre et la suie, mais les dommages y sont plus superficiels. Je parviens à remarquer quelques ecchymoses ici et là. Après avoir déposé son chargement, le garçon se tourne vers moi.

          «Dites, z'avez pas une très bonne mine. Tout va bien?»

          «Ouais, ouais, c'rien. J'avais c't'e gueule avant d'arriver ici. Dis, te reste pas un peu de place dans ton bateau? J'cherche un médecin, tu vois, et j'ai pas l'impression d'être vraiment au bon endroit.»

          Le type considère ma proposition avec étonnement. Il se tourne vers moi, puis son embarcation, puis moi, puis l'embarcation.

          «Bah, mon esquif est assez grand pour deux mais...j'te connais pas, quoi. Qu'est-ce qui me dit que tu va pas me pousser dans l'eau à la première occasion pour me voler mon bateau?»

          Zut, il a percé mon plan à jour. Bien sûr que je vais pas lui piquer sa barque pourrave, il me prend pour qui? J'sais même pas naviguer. Mais bon, ça, il n'a aucun moyen de le savoir.

          «R'garde ma tronche, gamin. Entre nous, t'es pas mal certain d'avoir le dessus en cas de bagarre. J'suis qu'un pauvre grand brûlé qui cherche à quitter l'île avant de se faire voler son rein par une bande de clochards pillards. Emmène-moi avec toi, n'importe où, ça m'est égal. Et puis...»

          «PAAAAS UN GESTEEEUH!»

          Oh non, par pitié.

          «T'CROYAIS POUVOIR T'ÉCHAPPER, SALIGAUD! MAIS SACHE QU'Y'A JAMAIS PERSONNE QU'PARVIENT À FUIR LA COLÈRE D'CLOTAIRE!»

          Je me retourne pour faire face à l'énergumène en chef, et il me faut cligner plusieurs fois des yeux pour réaliser ce qui se passe. Clotaire est vêtu d'une espèce d'armure d'épave, un véritable exosquelette de bois trempé, de cordages et de poulies qui doit bien faire trois mètres de haut. Une construction qui, malgré son air très rudimentaire et peu solide, ne manque pas d'être intimidante. Pourtant, j'ai l'impression que quelque chose ne tourne pas rond...

          «T'AS HUMILIÉ MES HOMMES D'VANT TOUTE LA POPULACE D'LYON-SUR-LOQUES, ET ÇA, C'TUN AFFRONT QUI SE NETTOIE D'UNE SEULE FAÇON: DANS L'SAAANG!»

          Toute la façade frontale de l'armure est recouverte de lames plus ou moins aiguisées qui pointent férocement dans ma direction, telles une rangée de dents prédatrices. Mais ce qui m'effraie le plus, c'est le petit canon prostré sur l'épaule droite. Je prie très très fort pour qu'il ne soit là qu'à titre décoratif, et que ce ne soit pas une arme à la disposition du chef des vautours.

          Je tourne la tête vers le rouquin, qui s'est déjà réfugié dans son navire, sous une bâche. Et ben, on peut dire qu'il lui a pas fallu beaucoup de temps pour m'abandonner. Mais faut dire qu'à sa place, j'aurais fait pareil. Étrangement, il semble chercher quelque chose dans l'une des caisses situées à proximité.

          Déglutissant, je fais un pas vers l'avant et m'empare du seul objet susceptible de me servir d'arme: une bouée suspendue à l'un des piliers de la jetée. Celle-ci est solidement attachée à une corde traînant sur le sol. Tant mieux.

          Je me mets à faire tournoyer la bouée au-dessus de ma tête tel un fléau, dans une démonstration de force qui sert plus à me donner un brin de confiance qu'à réellement intimider mon ennemi.

          «Ça s'termine ici et maintenant, Clotaire. J'vais quitter c't'îlot pourri, et même toi t'pourras pas m'en empêcher.»


          Le gredin à la barbe ornée de coquillages se contente de sourire en guise de réponse. Le voilà qui tient quelque chose dans sa salle patte. Quelque chose de brillant. Une torche, peut-être?

          Une détonation retentit. La jetée vole en éclat avant même que je n'aille le temps de cligner des yeux. En désespoir de cause, je m'accroche à la bouée alors que je suis balayé par l'explosion.
            À Alabasta, les pluies sont perçues comme un signe de bon augure. J'imagine que cette croyance ne s'applique qu'aux pluies constituées d'eau, car la pluie de débris qui me tombe dessus depuis toute à l'heure ne semble m'annoncer rien de positif. Cordages et clous viennent me frôler puis partent tapisser le fond de l'océan, tandis que les nombreux morceaux de bois se contentent de remonter sagement à la surface.

            Quant à moi, je me démène tant bien que mal pour naviguer parmi cette mer de déchets avec mon unique bras valide et ma bouée. Soudainement, je suis aveuglé par un flash lumineux, et je comprends que Clotaire vient de balancer un autre boulet de canon. Un tir approximatif, dont le but était sans doute de couler le navire du rouquin, mais qui au final n'a qu'arraché la proue de celui-ci. J'avais pas l'intention de le mêler à tout ça, mais tant pis.

            Je pourrais peut-être me tirer en me servant de lui comme diversion? Sauf que je trouverai pas d'autre navire prêt à prendre le large... Surtout si l'autre barge continue de faire sauter le port de la sorte. Pas le choix, il va me falloir un moyen d'arrêter le Giga Clotaire. Que faire, que faire...

            Ma réflexion est interrompue par une autre détonation, cette fois dans la direction opposé. On dirait bien que le type du bateau à décidé de riposter. Ça devait être le machin qu'il cherchait toute à l'heure.

            Bon, pour affronter un tel colosse recyclé, je vais avoir besoin de toute l'aide que je peux obtenir. À commencer par le plus important: l'élément de surprise. Afin d'être plus discret, je longe la façade du port jusqu'à arriver deux jetées plus loin. Je peux faire autant de bruit que je le désire, car tout est enterré par le boucan des deux hommes qui se canardent à coups de boulets. Je me demande lequel va manquer de munitions en premier.

            Une foule a déjà commencé à se masser autour du port, intriguée par un tel vacarme. Mais encore une fois, l'assistance est trop curieuse, amusée ou effrayée pour agir d'une quelconque façon. Au moins, je peux me servir d'elle comme d'une cachette le temps de sortir de l'eau et de me faufiler jusqu'au champ de bataille. Comme ça, je vais pouvoir prendre Clotaire par derrière et...

            «KFAHFAHKFAHKFAHKFAH! *koff koff* KFAHKFAH!»

            J'y crois pas...c'est pas possible, ce type est sérieux? Et dire que pendant un instant, j'y ai cru.

            Je comprends maintenant ce qui cloche dans l'énorme «armure de combat» de Clotaire. Ce n'en est pas une. Il ne s'agit en fait que d'une façade en bois, représentant une impressionnante machine de guerre. Mais en réalité, derrière cette distraction, il n'y a que le chef des Vautours monté sur un échafaud, avec quelques uns de ses hommes qui s'affairent à recharger le canon et à faire feu. Ce n'est pas une arme, c'est une pancarte. Je me sens très idiot de ne pas l'avoir deviné plus tôt.

            Me dégageant de la foule, je m'avance en faisant tournoyer ma bouée. Avec autant de précision que possible, je la balance sur le pied droit de la structure, une vieille planche de bois moisie qui sert maintenant de lieu de villégiature à une pléthore de champignon. Celle-ci cède instantanément, entraînant Clotaire dans la chute. L'un des deux artilleurs se retrouve avec une jambe coincée sous les débris et quémande l'aide de son compagnon, qui est déjà en train de prendre ses jambes à son cou.

            Avant même de laisser à Clotaire l'opportunité de se relever, je me jette sur lui et utilise ma fidèle bouée pour l'emprisonner, coinçant ses bras et son ventre dodu à l'intérieur de l'anneau. Celui-ci se débat du mieux qu'il le peut en me balançant une pléthore d'injures.

            «'FANT D'SALAUD! C'PAS COMME ÇA QU'N TRAITE N'HOMME D'MA R'NOMMÉE! ATTENDS UN PEU QU'J'SORTE D'C'TE SALOPERIE D'BOUÉE QU'J'TE FASSE TA FÊTE!»

            Ignorant ses plaintes, je m'empare de la corde et le traîne mollement en direction de la foule, qui applaudit le spectacle.


            «QU'EST-CE QU'TU CROIS FAIRE, TÊTE DE PQ? T'PAS ASSEZ HOMME POUR FINIR L'TRAVAIL TOI-MÊME? T'AS PEUR QUE SI TU DONNES UNE MANDALE À C'BON VIEUX CLOTAIRE, TES P'TITES MIMINES EN PAPIER VONT S'DÉCHIRER? LOPETTE!»


            À mi-chemin, je m'arrête. C'est qu'il commence à être un petit peu trop bruyant, le bougre. Méthodiquement, je relâche la corde et marche tranquillement dans sa direction.

            «V'LÀ! J'AI TOUCHÉ LA CORDE SENSIBLE, FAUT CROIRE! ALLEZ, VIENS T'BATTRE, J'AI PAS PEUR! MONTRE-MOI QUEL GENRE DE COUP D'POING UN INFIRME DANS TON GENRE SAIT ENVOYER!»

            Je dépasse le râleur hirsute et poursuit ma route jusqu'à atteindre les décombres du Giga Clotaire.

            «HEY! DUCON, J'SUIS ICI! T'FAIS QUOI, AU JUSTE? T'ES SÛR QUE TES YEUX ONT PAS CRAMÉ AVEC LE RESTE?»


            La patte gauche de l'échafaud. Une bien belle pièce de bois, presque neuve. Elle a visiblement survécu à l'effondrement de sa structure sans trop se prendre de dégâts. Un gourdin idéal, juste assez léger pour être manié à une main, juste assez lourd pour faire bobo. Je m'en empare, puis tourne les talons et revient en direction de mon prisonnier. Une nouvelle lueur s'est immiscée au fond de son regard. Si c'est bien ce que je crois, l'arrogance est en train de céder à la peur.

            «WOOOH! ATTENDS UNE MINUTE, TU PEUX PAS FAIRE ÇA! PAS VRAI LES GARS, IL A PAS LE DROIT, HEIN?» s'exclame-t-il en se tournant vers la foule, cherchant un quelconque support au sein de celle-ci.

            «ALLEZ LA MOMIE, ENFONCE-LUI BIEN PROFOND!» répond une femme dans l'assistance.

            «ÉCLATE-LUI LE CRÂNE!» ajoute un vieil homme.

            «FAIS-LUI BOUFFER SES DENTS!» crie un enfant.

            J'ignore si la population de Lyon-sur-Loques déteste Clotaire, où si elle est simplement assoiffée de sang, mais ça m'est égal. Ma cible n'est plus qu'à deux pas de moi, maintenant.

            «AAAH! AAAH! À L'AIIIIIIIDE!»

            J'offre à Clotaire mon sourire le plus acéré, accompagné d'un regard meurtrier. Je veux qu'il voit, qu'il goûte, qu'il sente quel genre de «coup de poing d'infirme je peux envoyer». Je brandis fièrement le morceau de bois en l'air, au dessus de sa tête. Ma main le tient si fermement que je sens que mes jointures vont se fissurer.

            «PITIÉÉÉÉÉ!»

            KRAK.

            Mon coup passe juste au dessus de sa tête et va s'écraser sur le plancher de bois, en détruisant une partie et faisant éclater ma matraque de fortune. Ma victime cligne plusieurs fois des yeux, complètement abasourdi d'être toujours en vie.

            «Va par croire que j'vais salir mes p'tites mimines en papier avec l'peu d'sang qui circule dans ta cervelle. Ça où...»

            Je baisse les yeux vers la flaque de liquide jaunâtre qui s'est amassée sur son pantalon et à ses pieds.

            «...tout autre fluide corporel.»

            Plus un mot de sa part. Il se contente de me regarder avec de grands yeux remplis de larmes, son hideuse perruque blonde a un cheveux de lui tomber du crâne. Je sais pas si c'est de la reconnaissance où de la haine. Aucune importance.

            Je me retourne vers la foule qui me hue depuis que j'ai décidé d'épargner le pauvre homme.

            «V'là l'type qui a saccagé une partie d'votre port. J'sais pas c'que vous allez en faire, ça m'est égal. Tout c'que j'demande, c'est un sac de provisions et une embarcation pour m'emmener loin d'ici.»


            «POUR QUI IL S'PREND, LUI? ON VA T'REFILER QUE DALLE!» beugle le vieillard de plus tôt.

            «GARDE-LE, TON PRISONNIER! ON S'EN TORCHE, DU PORT! SI T'AS PAS LES COUILLES POUR L'BUTER, C'EST TON PROBLÈME!»

            Sur ces jolis mots, l'assemblée de citoyens se disperse. Étonnant, je me serais attendu à une certaine justice populaire de leur part. Après tout, leur comportement me rappelle bien ceux qui...nan, inutile d'y repenser. Une foule est une foule. Le QI collectif est divisé par le nombre de gens qui y sont présent.

            Du coin de l'oeil, je remarque le vautour dont la jambe est toujours coincée sous les débris. Je m'approche et utilise une planche de bois avoisinante comme levier pour le déprendre.

            «Dégage, et prends ton patron avec toi. J'veux plus vous voir.»


            Je n'eus pas besoin de me répéter deux fois. Terrifié, l'homme acquiesça vivement avant d'aller récupérer Clotaire et de déguerpir en courant. Il ne prit même pas la peine de retirer la bouée.
              Revenons-en à nos moutons. L'envie de quitter cette île commence à me donner de sérieuses démangeaisons, alors je me retourne et m'approche des ruines flottantes de la jetée. Au milieu de celle-ci, le jeune homme aux cheveux de feu est en train de réparer tant bien que mal son embarcation. Il ne semble pas du tout de bonne humeur. Ne sachant pas trop comment l'aborder, je décide de lui lancer un:

              «B'soin d'un p'tit coup de main?»

              «Ouais, et pas que d'un p'tit. Décidément ce type en voulait vraiment après ta peau. Enfin...»

              «...c'qu'il en reste, oui. Si j't'aide à rabibocher ton rafiot, tu m'laisse embarquer avec toi?»

              Comme pour appuyer mes propos, je désigne le ramassis de bois qui constitue les restes de son pauvre navire. La proue et le mat ont tous les deux été fauchés par des boulets de canon, et le flanc droit du sloop est percé en de nombreux endroits. Heureusement, à voir tout le bois qui flotte dans les environs, on risque de ne pas manquer de matériaux pour compenser.

              Après une brève réflexion, il finit par accepter.

              «Ouais ouais, c'est bon. J'cracherai pas sur un peu de compagnie, la route est longue jusqu'à Koneashima. Au fait, je m'appelle Kit. Kit Dayton.»


              Il me tends sa main droite. Elle est calleuse et noircie malgré son jeune âge. Je la lui serre avec fermeté.

              «Atoum.»

              Kit m'observe en silence pendant un moment, comme s'il attendait que j'ajoute quelque chose.

              «Atoum, quoi. Juste Atoum. Allez, donnons une seconde vie à c'pauvre navire!»

              Inutile de lui refiler mon nom complet. Sans rien dire de plus, nous nous mettons au travail.

              Les réparations prirent environ quatre heures. Au cours de celles-ci, je pus apprendre que Kit est un artificier amateur, qui rêve d'aller à Koneashima pour perfectionner son art. Ce qui explique la présence d'un canon sur une si petite embarcation. Un canon à main, certes, mais qui a su riposter avec ardeur aux tirs de Clotaire. J'ai aussi appris l'existence de Koneashima, car la géographie et moi, ça fait deux. Apparement, c'est sur East Blue, alors un très long voyage nous attends. Il va même falloir passer parce que mon jeune compagnon appelle «La Flaque». Avec un nom pareil, ça doit pas être terrible.

              Quant à moi, je lui ai révélé les grandes lignes de mon parcours. Architecte qui fait un bâtiment de merde, entraîne dans la mort 300 personnes, se fait foutre au bûcher par la populace. Puis mon bref passage à Rhétalia, le Cirque de l'Anormal, et comment je me suis retrouvé ici. Une histoire qui ne semble pas l'intéresser beaucoup, à moins que je sois un mauvais orateur. Je croyais pourtant que c'était assez rocambolesque, comme périple.

              Maintenant que nous nous connaissons un peu plus et que nous avons enfin un moyen de locomotion digne de ce nom, nous sommes fin prêt à quitter ce Cimetière d'Épaves. Le sloop est un peu à l'image des lieux: un vrai patchwork de bois de couleurs et de textures différentes, un navire Frankenstein, fait de cadavres de ses congénères. Un bateau qui est, admettons-le, très laid, mais qui devrait savoir nous porter jusqu'à notre prochaine destination.

              «Au fait, elle a un nom, ta barquette?»

              «Au départ c'était Le Dayton, mais maintenant qu'elle a cette gueule, je suis plus sûr de vouloir y associer le nom de ma famille.»


              «Clair. Un esquif hideux mérite un prénom hideux.»

              «T'as une idée?»

              Et c'est ainsi que Kit et moi quittèrent cet îlot de déchets pourris à bord de notre fidèle embarcation, Le Clotaire.