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Un voyage de labeur

L'Ayatollah était loin de Shell Town à présent. Keiran était en train de passer le balais dans l'un des espaces de stockage du bâtiment. Il ne savait ni l'heure, ni la météo. En fait, il ne savait pas grand chose, à part les consignes reçues : "Nettoie la zone !" Et donc, il nettoyait. Inlassablement, depuis des heures.

La fatigue guettait gentiment le moussaillon de corvée. Ses bras faiblissaient légèrement, ses tendons ne se relâchaient plus, ses muscles restaient crispés après l'effort. Il posa le balais au sol, prenant appui de ses deux mains sur le manche. Ses yeux se fermèrent, sa respiration se fit lente et profonde. Keiran tentait de calmer son cœur, battant fortement dans sa poitrine. Machinalement, il porta sa main droite à son bras gauche deux-trois fois, malgré que ses muscles n'appréciaient pas le traitement.

Au fur et à mesure des respirations, le mécanicien s'emplissait de l'air de la liberté. À chaque instant, il se sentait de plus en plus libre. Toujours, il voudrait garder ce sentiment. Il y avait goûté, n'avait pu en découvrir toutes les saveurs pour l'instant mais souhaitait ardemment pouvoir le faire. Désormais, plus question de revenir au stade de génuflecteur. Plus jamais.

Il ouvrit les yeux calmement, sa respiration ainsi que les pulsations de son cœur s'étaient calmés. Un sourire de satisfaction étira son visage. Non seulement il n'avait pas rêvé, il était bien à bord et libre, mais en plus la zone était propre. Prochaine étape : la serpillière.

Lorsqu'il termina, le Responsable Propreté de la Cale Arrière sortit pour annoncer l'achèvement de son œuvre. Son chemin impliquait de passer par le pont principal et, logiquement, en face de la mer. Cette dernière attira l’œil du bougre qui ralentit, voire s'arrêta un instant. Un grand sourire apaisé vint se peindre sur son visage. Oui, il était vraiment là. À aller vers des destinations inconnues. Cette pensée rendit Keiran léger et lui donna une sorte de second souffle.

C'est presque en sautillant qu'il se présenta à Moïran Grinvert, l'intendant. Un homme suffisamment âgé pour avoir une bonne partie du visage fripée, son expression faciale, car il n'en changeait quasiment jamais, affichait un air de confiance inspirant le même sentiment chez ceux amenés à lui parler. Le regard plein de vigueur malgré l'âge, on pouvait deviner que Moïran avait vécu de très nombreuses expériences et l'assurance ainsi que la capacité d'analyse qu'il en avait retirées n'étaient pas pour rien dans la force de son regard. Ses longs cheveux poivre et sel étaient noués en une queue de cheval qui atteignait le haut des scapulae. Ce dernier le regarda un peu intrigué, rares étaient les chargés de corvées qui venaient chercher du travail avec autant de positivité. Cela dû lui plaire car un léger sourire en coin pouvait se voir.

- Tu as fini ? On va vérifier.

Keiran savait que la vérification n'était pas ciblée sur lui, Moïran faisait son métier correctement et s'assurer que l'équipage en fasse de même en faisait partie. De plus, étant nouveau, il fallait constater que le travail était fait convenablement, sans rien oublier, afin de pouvoir lui confier d'autres tâches par la suite.

L'intendant Grinvert pénétra dans la cale et fit un tour des lieux. Il était satisfait du travail effectué.

- Pas trop fatigué ?

- Non, m'sieur ! Si vous avez autre chose à me conf...

- Siley, le cuistot, t'attend. Tu seras sous ses ordres jusqu'au coucher. Va.

La bonne nouvelle que voilà ! Siley semblait détester Keiran depuis leur première rencontre. Après, le mécanicien n'appréciait pas le cuisinier-chef plus qu'un cafard traînant dans sa chambre. Keiran salua son interlocuteur avant de s'en aller. Il ne traîna pas cette fois sur le pont et prit directement la direction des cuisines. Un léger fumet s'échappait de la porte entrouverte. Il frappa un coup avant d'entrer, par politesse.

Les cuisines de l'Ayatollah étaient plutôt spacieuses. Pas forcément au top de l'hygiène, tout comme son chef cuisinier Siley Vander. Keiran ne l'appréciait pas beaucoup. La première chose qu'il avait noté chez Siley était son gabarit imposant ; le cuisinier devait mesurer facilement deux mètres pour près de deux cents kilogrammes. Et pour couronner le tout, le bonhomme n'était pas un sympathique personnage ; toujours à se plaindre de tout à voix basse, regarder les autres avec un air méprisant. Non, décidément, ce personnage ne revenait pas à Keiran.

** Ce type serait le méchant que ça ne m'étonnerait pas. Mais ça serait cliché... **

C'est ce que pensait le mécanicien à chaque fois qu'il apercevait le cuisinier-chef. Cette fois-là ne fit pas exception.

- Kestveux ?

Le moussaillon cligna des yeux deux fois avant de comprendre que ce que voulait dire Siley était "Qu'est-ce que tu veux ?" L'animosité de Vander décontenança Keiran temporairement.

- Euh... Je viens de la part de Moïran, il v...

À nouveau, il se fit interrompe. La deuxième fois en moins de dix minutes.

- Int'dant Gr've'

L'articulation avec la mâchoire serrée ne semblait pas être le fort de Siley. Le nouveau à bord prit à nouveau quelques instants avant de comprendre qu'il s'était fait corriger son appellation trop familière de l'intendant. Il reprit sa phrase en apportant la correction. Il est bon de noter qu'à chaque instant de pause de Keiran, Siley Vander ne disait mot et fixait d'un air meurtrier le bonhomme. De même, à chaque fois que Keiran se touchait le bras gauche à cause de son tic, Siley poussait un léger grognement, semblant s'énerver un peu plus à chaque fois.

- Je viens de la part de l'intendant Grinvert. Il m'a ordonné de vous seconder dès à présent.

La nouvelle tomba comme un couperet sur une nuque. Et le silence de mort accompagnant en général les décapitations vint s'ajouter dans la cuisine. L'insonorité était quasi totale dans la zone, à l'exception des bruits des plats qui cuisaient. Le chef devait sûrement bouillonner plus fortement que ses pâtes à l'heure actuelle. Sans dire un mot, il reprit son activité. Cependant, on voyait que l'annonce lui apportait un plaisir extrême aux gestes saccadés, brusques et maladroits qu'il avait désormais.

Après plusieurs minutes de mutisme, le chef-cuisinier avait fait tomber une dizaine de pommes de terre. Le regard qu'il adressa à Keiran indiquait clairement qu'il aurait volontiers fait un usage non initialement prévu pour des féculents à bord d'un navire sur le moussaillon. Siley grogna quelque chose que l'aide-cuisine imposé décoda comme étant "épluche des patates."

Après avoir épluché une bonne quinzaine de ces féculents, une autre tâche lui fut confiée : éplucher des oignons. Vingt-cinq oignons pour être précis. Il fallait nourrir tout l'équipage et c'était une tâche éprouvante. À chaque oignon, le corps et l'esprit du mécanicien d'origine assimilaient ce fait. Il n'osait imaginer la quantité de travail que cela devait représenter pour un homme seul. D'ailleurs, pourquoi n'étaient-ils que les deux ? Nourrir un équipage entier n'était pas une mince affaire, surtout pour un homme aussi gros et ralenti par son propre corps. Il devait sûrement y avoir un autre assistant pour la cuisine mais qui n'avait pas été affecté aujourd'hui.

Le repas fut finalement prêt. La nouvelle soulagea Keiran ; l'ambiance de la cuisine était si lourde qu'il en avait eu mal à la tête. Fatigué par sa première journée à bord de l'Ayatollah, le moussaillon mangea d'un air las et avec peu d'énergie. Il était ravi de manger mais était malgré tout épuisé. Il réunit le peu d'énergie qui lui restait pour se lever quand il aperçut l'intendant Grinvert.

- Excusez-moi. Pourrais-je vous parler un instant ?

Les deux hommes partirent sur le pont, désert à ce moment-là. Ils s'appuyèrent sur le bastingage bâbord. Moïran sortit un paquet de cigarettes, en plaça une en bouche et l'alluma. Il en tira une longue bouffée, faisant rougeoyer l'extrémité du cylindre, avant de laisser s'échapper la fumée dans une très grande expiration, évacuant sûrement le stress de la journée.

- Je t'écoute.

- Vous saviez que Siley Vander me déteste. Pourquoi m'avoir imposé à lui ?

Il souffla du nez, un air de "je m'en doutais" clairement présent sur son visage.

- Siley n'a plus d'aide-cuisine depuis notre dernière escale. Il savait qu'il était obligé de t'avoir, malgré ses avis. D'ailleurs, vous avez travaillé ensemble malgré la tension palpable et avez réussi à ne pas vous entretuer. J'en connais plusieurs à bord à qui tu as fait perdre de l'argent de paris aujourd'hui.

Keiran fut surpris. On aurait dit que l'acte avait été volontairement fait pour amuser l'équipage.

- Je ne comprends pas très bien...

- Pour faire simple, je testais aussi ta résistance. Tu as pu travailler avec Siley qui ne te porte pas vraiment dans son cœur, comme tu l'as si justement remarqué. Aujourd'hui, tu m'auras montré que tu sais agir pour le bien commun, et pas seulement pour toi.

Le mécanicien n'en revenait pas. Il avait été testé toute la journée ! Il se demanda, à juste titre, si le narrateur l'avait prévu ou l'avait décidé soudainement sur un coup de tête. Dans le premier cas, il aurait pu le préparer mieux que ça franchement...

- Hé bien... Euh... Merci, monsieur.

- Fais pas trop tard mon gars. Demain, c'est debout tôt. T'auras d'autres tâches, et tu vas assister Siley jusqu'à Cocoyashi au moins.

En voyant l'air choqué et intrigué de Keiran, il ajouta.

- La prochaine destination. Et tâche de maintenir une qualité de travail comme aujourd'hui. Sinon, tu vas pleurer et regretter d'être venu à bord.

L'intendant Grinvert s'en alla, laissant Keiran digérer leur discussion. Décidément, l'entrée dans le "grand monde" du mécanicien ne se faisait pas comme il l'avait imaginé !
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