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Homo Mecanicae


Début 1626

La chaleur est intense. Insoutenable. Le sang qui goutte de tous ses ports ou presque s'évapore instantanément quand il touche le sol surchauffé. Il s'en dégage une odeur de souffre. Sa vision est trouble, écarlate à cause du sang qui ruisselle. Son bras gauche est inutilisable et sa jambe droite en compote. Dans son champ de vision brouillé, le plus haut des volcans de Punk Hasard crache un colossal jet de lave en fusion. Le volcan. Le juge. L'arbitre. Ses éruptions ont ponctué ce combat et donné la cadence des attaques et des contremesures. Comme s'ils étaient dans un jeu de stratégie au coup par coup.

Sauf qu'ici, son équipage mort ne reviendra pas. Pas au prochain redémarrage. Encore une fois, son attaque est vaine. Détournée par cette paume singulière. Une énième fois. Il s'écrase sur le sol chauffé. Elle est beaucoup trop forte. « Je devrais arrêter de lire les journaux. Dire que je vous ai poursuivis jusqu'ici parce que j'espérais un combat digne de ce nom ! Kidd Blackbone ! Ton nom et ta prime étaient promesses d'un combat exaltant ! Tu me déçois énormément. Vous me décevez, Kidd Pirates ! A jamais, disparaissez de ma vue. Forever Goodbye ! »


- Ah ! Ah ! Ah !

Il se réveille en sursaut en gesticulant. La porte d'à-côté s'ouvre et laisse entrer un petit homme chauve dont la moitié du visage est fait de métal. « C'est un cauchemar ! Juste un cauchemar ! » s'empresse-t-il d'ajouter en essayant de calmer son protégé terrorisé. Il lui faut un quart d'heure pour retrouver ses esprits puis un autre quart durant, il laisse émerger une colère noire en cassant tout ce qu'il trouve à portée de main. « JE CROYAIS QUE ÇA DEVAIT S'ARRÊTER ! » qu'il beugle à son toubib nain. « POURQUOI JE LA VOIS ENCORE ENCORE DANS MES SONGES ? POURQUOI JE CONTINUE DE VOIR SLOTH, HEIN ? » Cassant un dernier bidule pour la forme, il s'en va vers les sources thermales, la démarche raide. La rage et la rancœur le consument tel un liquide corrosif. A l'image de cette coulée de lave dans laquelle s'est achevé sont combat contre la Corsaire Anaha Douri.

Devant un grand miroir, il passe sans s'arrêter. Inutile de s'y mirer, il sait déjà ce qu'il y verra. Un corps intégralement fait de métal à l’exception de la tête. Cette trainée lui a tout pris. Ses rêves, sa vie, son humanité. Après sa douche, un ribambelle de servantes aux corps aussi mécanisés que le sien prennent soin de l'habiller. La colère est moins vive mais toujours présente. Le quitterait-elle jamais ? Comme d'habitude, il y repensera le lendemain, quand il se réveillera encore en sursaut. Ses journées sont quasi identiques depuis plusieurs mois. Cauchemar, réveil, bain, office religieux, sermons barbants, réunions avec ses vices-gourous. Ce jour-là, une foule plus compacte qu'à l'ordinaire l'attend sur l'esplanade. Il est le Gourou des Dieux, leur messie, tout cagoulé et emmitouflé dans une large cape qu'il soit. Ils le vénèrent tel le guide et le demi-dieu qu'il se proclame être. Ils mourront pour lui, il n'a qu'un ordre à donner. L'ivresse de ce pouvoir lui fait oublier tous ses tourments. C'est bien d'être un dieu.  

- J'ai baptisé que vingt personnes aujourd'hui. Hier y en avait le double, la fois d'avant cent onze ! Pourquoi le nombre de mes nouveaux fidèles décroit à chaque messe ?!
- La faute aux pièces, Vot' Sainteté, répond Durahcel, le ministre du recrutement.
- On a une liste d'attente longue comme l'bras ! On arrive pas à suivre la d'mande, renchérit un autre.
- Ben qu'est-ce-que vous attendez pour vous fournir en pièces ? Une intervention divine ?
- Ce... ce s'rait pas mal, Vot' Sainteté. Not' attaque contre l'entrepôt a échoué. On a perdu six hommes... Aaaurrgh !
- Y a un autre incapable qui veut me sortir des excuses bidons ? Hein ?

Non. Pas quand le dernier qui l'a ouvert est en sang, la tête concassée par une assiette. Tous regardent fixement leurs mets sans broncher. Furieux, le Gourou des Dieux quitte le buffet. Il est rejoint plus tard dans ses appartements par le vieux toubib nain. Le Pr. Birom est son confident, le seul qu'il écoute, le seul à même de lui dire la vérité sans perdre son intégrité charnelle. « Ils sont nuls ! Des incapables ! Des vauriens ! Je devrais les livrer à la foudre ! Comment je peux recruter plus de fidèles s'ils sont incapables de leur offrir ce qu'on leur promet, hein Birom ? » qu'il postillonne abondamment. Le vieux scientifique acquiesce du chef pendant toute la diatribe du Gourou puis répond : « Ne sois pas trop dur avec eux, Jin. Si tu te mets à tuer tous tes fidèles, il t'en restera plus un seul. Chacun a ses limites. A l'impossible, nul n'est tenu. Durahcel n'a pas tort, c'est maintenant qu'il faut une intervention divine. »  


[...]

Ploc ! Ploc ! Ploc !
BLITZ! BRAOUM ! SCRAAAAAATCH !


Il pleut, voilà qui est inhabituel sur Raijin Island. Une constellation d'éclairs zèbrent le ciel, s'entrecroisent et finissent sur les milliers de parapluies qui ornent les toits des grattes-ciels. Le vent souffle et fait voleter sa cape et ses cheveux blonds. Une petite équipe l'accompagne à travers les boyaux de la cité labyrinthique. Dans ces ruelles exiguës, ils sont à l'abri des tombées de foudres. Pour la première fois depuis son arrivée dans ce pays, Jin s'aventure à l'extérieur. Pour la première fois depuis Punk Hasard, il va se battre. Du moins, va-t-il intervenir. Les dieux ne se battent pas. Ils interviennent. Ça sonne bien. L'entrepôt visé est dans le Vieux Quartier, au croisement de la 32e rue et d'Edison. Bien protégé. Ils dénombrent trente-et-un gardes tout autour du bâtiment de deux étages et deux forteresses de sac de sables surmontées de mitrailleuses lourdes. C'est une place forte.

SCRAAAAAATCH !

Quelque part, une décharge plus puissante que les autres vient de s'abattre en les illuminants d'une lumière crue. D'autres éclairs suivent. Ça ne s'arrête jamais par ici. Mais Jin s'y est acclimaté. Que faire ?  Se débarrasser des chiens de gardes, naturellement. Comment ? Avec classe, de telle sorte que ses sous-fifres en parleront à d'autres subalternes, histoire que sa déité ne soit jamais remise en cause. Alors, il s'avance tout seul dans la rue au devant de dix gardes qui le mettent en joue et lui défendent de faire un pas de plus. Sa cape volète mais sa capuche reste bien ferme sur sa tête baissée et dissimule son visage. Il n'y a pas si longtemps, il n'était pas un messie. Mais un conquérant certifié par le pouvoir qui est dévolu à sa caste. Un pouvoir incroyablement rare qui souligne sa destinée grandiose. Puis vint Douri... Non. Il réprime la haine qui point au prix d'un effort considérable. Le sentiment qui doit l'animer, c'est l'ambition. Celui d'avancer. Le ciel est la limite. Rien ne lui sera plus impossible. Rien.

Quand il relève la tête, une onde de choc souffle l'assistance. Elle est à peine palpable, ne leur inflige aucun dégât physique. Par contre leur volonté est meurtrie, broyée comme de la ferraille dans une casse. La pression de son Ambition écrase les leurs et réduit leurs esprits à néant. Dans un mécanisme d'auto-défense, le cerveau disjoncte et débranche la conscience. Ils s'affalent. Dans les vapes. Ses hommes sont babas, exultent de joie et viennent vers lui en rampant. Rats qu'ils sont devant leur dieu. Mais les réjouissances sont de courtes durées. Les rafales tonnent, les projectiles fusent. Plusieurs de ses suiveurs sont fauchés. Il est ici des gens plus forts que la moyenne. Le messie ne bouge pas. Contre sa cuirasse, les balles ricochent. L'attaque vient du premier étage, au balcon de droite. Il lève une jambe et baisse son centre de gravité. Comme s'il s'apprête à shooter dans un ballon.

- Châtiment du ciel !


[...]


- C'était un piège Birom ! Ils nous attendaient !
- C'était à parier. C'est eux qui ont coupé le bâtiment en deux ?
- Non, ça c'est moi. Mais c'est eux qui ont activé l'autodestruction pour nous emporter avec eux ! Les lâches ! Tout le monde est mort sauf moi.
- L'explosion était très puissante. Tu n'as même pas un circuit grillé. Comment ? s'enquiert le nain avec une excitation qu'il peine à contenir.
- Comme ça.
- C'est... cette pellicule anthracite... c'est ça le Busoshoku ?
- Il agit comme une armure. En plus de mon armure de métal.
- Tu es invincible ! éructe-t-il. Mais qu'est-ce-qui te chagrine ? ajoute-il en remarquant la peine dans la voix de son protégé.
- Ma Malédiction consume en moi les derniers vestiges de l'humanité. Bientôt, je serai qu'un être mécanique.
- Et ? Tu seras la perfection incarnée ! Notre idéal à tous ! Le premier de l'espèce. Homo Mecanicae ! On donnerait tous cher pour avoir ta chance ! C'est ça le but du groupe ! Avec toi en Gourou des Dieux, En Marche ! va propager la nouvelle donne ! On doit mécaniser la race !
- Je sais, je sais. Mais seuls les êtres biologiques peuvent utiliser le Haki. Si toute humanité disparait en moi, j'en serai plus capable !
- On créera des alliages pour pallier au Busoshoku ! Je travaille déjà sur un composé de granit marin et de fibre de verre. On créera des moyens de détections insoupçonnés pour remplacer le Mantra ! Et pourquoi tu aurais besoin du Haki des Conquérants quand tu auras des millions de gens se prosternant à tes pieds pour toute l'éternité ? C'est une question d'angle de vue, Jin ! Les êtres biologiques sont limités par leurs conditions. Ne laisse pas l'humanité empoisonner ta motivation ! L'immortalité, une vie sans maladie, c'est notre dogme !
- Tu... t'as sûrement raison. Comment on va faire pour nous approvisionner en organes cybernétiques histoire de contenter nos fidèles en attente de greffes ?
- Ne t'inquiètes pas pour ça. On achètera les greffons au marché noir avec la guilde des Bricoleurs. C'est pas prudent de s'attaquer aux entrepôt de Indra pour l'instant.
- Pour ça, on doit gagner en puissance et contrôler la ville !
- Sûr. D'ailleurs suis-moi. J'ai un nouveau gadget à t'installer.

    1626
    Un bar à chicha
    Mechanicae Emporium East
    Raijin Island


    - Hey, z'avez lu l'journal, les gars ?
    - Ouais. Giscard est...
    - Osef d'ce squelette vivant ! J'parle de l'ARP !
    - L'journal d'l'extérieur ? demande un type comme si la perspective le dégoute singulièrement. Genre, t'as pas assez d'news ici avec l'emprise d'plus en plus grande d'la secte En Marche ! pour lire des bêtises d'ailleurs ?
    - Tu fais quoi comme taf, toi ? s'enquiert l'apporteur de nouvelles.
    - Chargeur d'batteries. Au port, répond l'autre entre deux bouffées de fumée.
    - Bah, t'as plus d'boulot.
    - Comment ça ?
    - Si tu lisais les news, tu l'saurais.
    - Quoi ? Tu racontes quoi ? Fais voir ton papier ! fit-il en le lui arrachant des mains. Intrigués, d'autres fumeurs s'ameutent pour lire.
    - TORESKHY EST MORT ?!!!! vocifèrent-ils à l'unisson.

    Oui, le Seigneur d'Ivoire n'est plus. Quelques heures après l'annonce de sa mort, les mers de ses possessions ont viré à l'écarlte. Les flottes marchandes qui jouissaient d'une certaine bienveillance des pirates de Toreskhy sont attaquées en désordre. Trois flottilles de bateaux-générateurs de Raijin ont été coulés et le Mechanicae Emporium a décidé de suspendre jusqu'à nouvel ordre ses livraisons aux nations du Cercle d'Or. Ainsi, Chad le chargeur de batteries va se retrouver au chômage technique.


    [...]
    QG d'En Marche !
    Mechanicae Emporium North
    Raijin Island


    L'ambiance au quartier général de la secte suprématiste est à la fête. Avec l’annihilation des dernières poches de résistance dans la préfecture de Vamampour et de Wichita, c'est toute la moitié nord du Mechanicae Emporium qui est tombée sous leur coupe. En un trimestre, ils ont agrandi leur territoire de plus de cinquante pour cent. Avec ce succès se pose le problème désormais vital de l'approvisionnement en cyber implants dont manque cruellement la secte. La victoire est donc en demi teinte car c'est dans l'autre moitié sud de la mégalopole que se situent les plus grosses réserves d'organes artificiels. Et jusqu'à présent, malgré l'intervention personnelle du Gourou des Dieux lui-même, ils furent incapables de franchir "L'équateur", la ligne de démarcation invisible entre le nord pauvre et le sud élitiste.  

    - On est pas encore assez forts ! Il nous faudrait encore un an pour conquérir le sud où on affrontera les vrais cyber monstres de l'Indra, déclare le Pr. Birom.
    - Tu proposes qu'on stoppe notre campagne ? Hors de question !
    - Laissez-nous ! ordonne le toubib aux vices-gourous. Comprends-moi Jin, ajoute-t-il après le départ du troupeau, je dis juste de le sursoir. Notre empire naissant s'effondrera si on est pas capable de le diriger. La priorité ne devrait pas être d'engranger plus de territoire mais de satisfaire les besoins de notre peuple. Pour qu'il soit content et que les rangs de nos combattants grossissent.
    - Pourquoi tu les as fait sortir ?
    - Tu es leur guide ! Je ne vais pas te contredire devant eux !
    - Alors tu devrais pas ! Je suis...
    - Tu es un idiot ! éructe le nain. Bon sang, Jin, ta vie passée ne t'a donc rien appris ?! Tu veux foncer tête baissée ? On a essayé, on s'est confronté aux forces de L'équateur, elles nous ont repoussé. Aisément ! La Sloth de tes cauchemars est loin d'être le seul monstre au monde ! Ils sont là, juste à quelques kilomètres d'ici. Tu veux goûter à une autre humiliation ? S'ils lancent une controffensive maintenant, on ne pourra pas tenir nos territoires, c'est moi qui te le dit ! On doit consolider et gérer nos acquis d'abord !

    Les mots "Sloth" et "humiliation" lancinent le corps métallique du Gourou qui se tasse comme un enfant sermonné. Voyant l'effet de sa remontrance, Birom prend un autre ton plus doux et plus conciliant. Pour beaucoup de vices-gourous, le vrai maitre de la secte, c'est lui. Avec des mots moins agressifs, il explique donc à son protégé que rien ne sert de courir. Le temps, ils l'ont pour accomplir leurs desseins. Jin se sent infiniment reconnaissant à son sauveur alors il se range de son côté et avale les velléités de rébellion qui émergent en lui. « Pour nous dépanner, j'ai acheté une info aux Bricoleurs. Il y a un cargo en provenance de Mégavéga pour les pays du Cercle d'Or qui devrait passer la Mer des Inconnus. Ses cales sont remplies de cinq tonnes ou plus d’implants et de nécessaires à cybernétisation. Bref, le rêve pour nous. Si on met la main dessus, on aura largement de quoi satisfaire la liste d'attente pour au moins un an. Il faut piller ce cargo ! »


    [...]


    La mer. Son immensité. Ses remous. Son sel. Ses embruns sur le visage. Adossé au grand mât, les bras croisés, le Gourou des Dieux a l'esprit au-delà de l'horizon. Piller un cargo. Le pirater. Quelque part au fond de lui, dans sa poitrine où bat son cœur cybernétique, ce mot éveille un caléidoscope de souvenirs. Il était jeune, insouciant, épris de liberté. La mer était sa maison, le monde sa nation. Combien d'abordages comme celui-ci a-t-il réussi dans sa courte mais impressionnante carrière ? Il était le cauchemar des routes commerciales. Un an après l'arrêt brutal de son cheminement, le voilà de retour sur les flots. Et son cœur métallique saigne de nostalgie. Il se surprend à repenser à son rêve. Celui de tous les pirates. Devenir le Roi. Qu'en a-t-il fait ? Qu'est devenu cet idéal ? Il l'a remplacé par un autre. Devenir le dieu d'un monde où l'humanité telle qu'on la connait aujourd'hui aura disparu. Un règne des Homo Mechanicae où pour la première fois de l'histoire de l'humanité, les humains prendraient le contrôle de leur évolution.

    La mer. Ses excentricités. Pour rallier la mer des Inconnus, ils descendent une pente-mer, passent par un océan formé d'un million de tourbillons où la route parfaite est une question de centimètres, débarquent dans une autre mer où des geysers apparaissent aléatoirement. Mine de rien, l'équipage de la secte y est rodé. Jin n'oublie pas qu'il leur doit la vie, que sous la houlette de Birom, ils l'ont transporté plus mort que vif de Punk Hasard à Raijin. Ils y furetaient à la recherche de l'ancien laboratoire de Caeser Clown, ils y trouvèrent leur Élu. Avec un équipage comme celui-ci, pourquoi ne pas sérieusement s'exporter ? Retourner à nouveau sur les flots ? Mais comment concilier son ancienne et nouvelle vie ? Avant qu'il n'ait trouvé un début de piste, les vigies donnent l'alerte. Un navire battant pavillon noir leur barre le chemin. Il en pullule des pirates depuis l'annonce de la mort de Toreskhy. Des rookies aux plus confirmés, chacun veut se tailler la part du lion dans l'immense gâteau laissé par le Seigneur d'Ivoire. Avec une pointe de douleur, Jin s'imagine qu'il aurait été des leurs, s'il n'avait pas croisé cette Faucheuse.

    Pas le temps de s'attarder sur Douri, les boulets fusent. Le navire ennemi se rapproche rapidement. Ils veulent les aborder. Un sourire étire les lèvres de Blackbone. il a oublié l'adrénaline des combats en mer, la préparation à l'abordage, la satisfaction de la victoire, l'ivresse du pillage. Tout cela lui manque cruellement et c'est maintenant qu'il s'en rend compte. Pour les ennemis d'en face par contre, la route s'arrête là. Ils finiront avec Davy Jones car tel est le destin des faibles. Avec une seule main, il carbonise leur nef grâce au pouvoir domestiqué de l'ancien Amiral Borsalino. Sa nouvelle arme réduit le navire en copeau et ses occupants en charbon. La jubilation est au rendez-vous. Comme avec son ancien équipage. Sauf que ceux-ci sont davantage des serviteurs que des compagnons. Bien mieux donc.

    Ils arrivent en mer des Inconnus et ne tardent guère à localiser le cargo. Il est énorme, c'est un galion. Escorté par deux cuirassés et un croiseur du G-11. Les plus aguerris des marines du Nouveau Monde, preuve que la cargaison est précieuse. En Marche ! n'est pas la seule intéressée cependant, d'autres pirates arrivent. Les sectaires se préparent au combat mais leur prophète les stoppe. Le sermon de Birom a fait son effet, Jin veut se prouver qu'il est un nouvel homme. Que le jeune impulsif et irréfléchi est bien mort sur Punk Hasard. Avant, il se serait jeté dans la mêlée, affrontant simultanément ses rivaux et la Marine. Aujourd'hui, il décide de rester en retrait et d'attendre l'occasion idéale ; quand ils auront fini de se taper dessus pour ramasser les restes. Moins d'effort, plus d'efficacité. C'est vrai, il a changé. Mais le fils de la mer en lui s'est réveillé. Définitivement.

      1626
      Un champ
      Accalmie
      Raijin Island


      CLCLCLCLCC ! BLITZ ! BRAOUM ! SCRAAAAAATCH !

      - Si ça continue, ça va être notre last récolte.
      - L'a des chances papy, acquiesce un jeune, houe à la main. Cactusland est en plein milieu d'la zone que s'disputent les prétendants Yonkous. C's'rait un miracle qu'les graines nous parviennent avant que ça s'soit tassé et qu'l'plus fort gagne.
      - C'ment tu veux qu'il y a gagnant dans c'te histoire ? Y s'foutent sur la gueule, en foutent sur la gueule du GM mais comme si ça suffisait pas, l'Malvoulant aussi vient les tancer.
      - On dirait qu'y veut contrôler lui aussi l'territoire d'Toreskhy ? Ça lui a pas suffit d'le zigouiller, veut maintenant être double Empereur ?
      - Y a jamais eu ça dans l'histoire, assure un homme baraqué à force de travailler la terre foudroyée. Un Yonkou, un empire. Pas deux.
      - L'roi des Pirates, t'en fais quoi ? C'lui qui s'accapare les quatre empires pirates d'vient roi, j'te dis ! L'Malvoulant veut pas juste foutre l'boxon, il veut éliminer toute concurrence.
      - J'y crois pas moi. Chui sûr qu'il joue juste. Comme un lion qui vient s'mêler du jeu des quelques faons.
      - Un lion bien cauch'mardesque alors, conclut le vieux cultivateur. Putain d'merde, nos s'mences !


      [...]
      1626
      Un club de lecture
      Accalmie
      Raijin Island

      - Face à l'oppresseur mes frères, nous devons prôner la résistance passive ! La non violence doit être notre voie !
      - A quoi bon ? En Marche ! ne l'entend pas de cette oreille ! réplique un intello à la barbe hirsute. Moi je dis qu'il faut combattre le feu par feu ! Œil pour œil, dent pour dent ! Quels enseignements tirez-vous de l'incident de Black Waters ?

      L'évocation de ce drame qui eut lieu un mois auparavant jette un voile sur leurs regards. Black Waters, un quartier d'Accalmie, célèbre pour n'abriter que des humains "à 100%", non Bots, non ADN, fut bonnement soufflé par la pire série d'attentats jamais commise par la secte suprématiste. Une première déflagration pour attirer du monde et des secours, puis plusieurs autres pour frapper ces derniers. Plus de deux cent morts au final, un immonde carnage qui souligne l'importance et la dangerosité de la secte. Ce n'est plus une force négligée, pour tous les dirigeants, elle est devenue l'ennemie public N°1. Quant à la population, elle reste définitivement divisée sur la marche à adopter. Beaucoup sont séduits par les propagandes de la secte qui promet de banaliser l'immortalité et de jour en jour, ses rangs grossissent. Autant que la peur des idées qu'elle véhicule pour une autre frange du peuple. Le spectre de la guerre civile, chaque jour davantage, se précise.


      [...]
      1626
      Eugénésia
      Raijin Island

      Debout sur les hauts remparts de la ville cachée des feuilles, le soldat de première classe Pau Arryn a la main crispée sur sa hallebarde. De temps à autre, preuve de son anxiété, un arc électrique éphémère jaillit de son poing, parcourt sa lance avant de se dissiper dans l'air ambiant. Dans le ciel, des éclairs bien plus imposant déchirent la voute par milliers dans une ineffable cacophonie. Machinalement, Pau rajuste son gilet en fourrure isolante et son grand chapeau conique symbole des soldats d'Eugénésia.

      Devant ses prunelles violettes s'étale l'immensité du plus grand écosystème de Raijin : la forêt de Tlaloc. Elle les nourrit, les vêtit et a vu naitre le premier de leur genre : ADN. Des humains somme toute assez normaux, vus de l'extérieur. Mais dans les tréfonds de leur code de vie s'est effectué un changement radical induit par trois cent ans de survie dans cet environnement improbable. Telles des anguilles, les ADN sont capables de libérer des décharges électriques. Pau aperçoit du mouvement dans les arbres. Ils sont nombreux, se déplacent rapidement sous la frondaison. Leurs étendards claquent au vent.


      Sous la noire bannière blasonnée d'un humain décapité frappé d'interdit et d'un robot vert criard marchent des humains, des géants, des cornus, des longues-jambes, des longs-bras, des cous-de-serpents et même des hommes-poissons, tous fortement cybernétisés. Ils veulent "mécaniser la race" et tout ceux qui se revendiquent humains "100% bio" ou anti-implants sont leurs ennemis. Folie que tout cela pense avec conviction Pau Arryn dont l'emprise se fait plus ferme sur son arme. Sur les remparts, les cors de combat barrissent et portent leurs décibels au-dessus de l'orage perpétuel qui gronde.

      Les ADN se préparent à cette confrontation depuis trois siècles. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'un clash des idéologies ait lieu. Mais tous les plans de batailles de jadis tablaient sur une guerre avec le Mechanicae Emporium. Nul n'aurait imaginé l'émergence d'une secte si puissante que même l'Empire des Machines en serait dépassée et aurait perdu la moitié de son territoire. Du moins, c'est ce que prétendent les rumeurs. Pour le jeune sous-officier, une seule chose est certaine, c'est qu'il défendra ses convictions jusqu'à la mort.

      Pour tous les ADN, l'évolution est le fruit du hasard et de l'environnement. En aucun cas, elle ne saurait être contrôlée par les humains eux-mêmes, surtout pas pour devenir des êtres de métal, dénués de toute humanité. L'humanité a des inconvénients, conçoit-il, mais aussi bon nombre de plaisirs qui valent la peine de vivre, aussi courte soit la période. Ces gens ne sont que des lâches, mort de trouille à l'idée de mourir. Et pourtant, ils viennent au devant d'une mort certaine à s'en prenant à Eugénésia. La contradiction est au cœur de ce dogme qui disparaitra aujourd'hui, en ce quatorzième jour du huitième mois de l'an 1626. Il en est convaincu. Comme ses frères d'armes, il saute des murs et atterrit au pied des fortifications. A sa lance, il imprime un mouvement hélicoïdal qui génère une multitude d'arcs électriques. Les ennemis sont juste en face. Le soldat de première classe, Pau Arryn part en guerre.

        QG d'En Marche !
        Mechanicae Emporium North
        Raijin Island

        Toc ! Toc ! Toc ! Toc ! Toc !

        - Ouvre cette porte, Jin !
        - Continue comme ça et tu vas la défoncer, dit-il en l'ouvrant juste assez pour qu'un œil soit visible.
        - Tu fais quoi là-dedans ? Il faut qu'on parle ! crache Birom.
        - Ouh là, tu m'as l'air bien en pétard le vieux. Ta voix est si aiguë que bientôt seules les chauves souris pourraient t'entendre.  
        - Ouvre cette porte !
        - Tu sais pourquoi je me suis enfermé dedans.
        - N'insulte pas mon intelligence en me faisant croire que c'est parce que les derniers lambeaux de chair de ton visage se métallisent ! Je sais ce que tu trafiques, je suis au courant de tes projets !

        Avec un effort étonnant pour sa petite taille, le Pr Birom pousse la porte qui s'ouvre avec fracas. Debout dans le chambranle, Jin le laisse pourtant passer. Le vieux docteur est hébété, estomaqué et épouvanté par ce qu'il voit. Il n'y a plus un seul pan de cloison visible tant les murs sont tapissés de toutes sortes de papier imprimé : des affiches de recherches des pirates de la génération "Arc-en-ciel", des grands noms de la piraterie, des présents Empereurs ainsi que la prime gelée de la corsaire Anaha Douri. Les imprimés restants sont des gros titres faisant la part belle à la guerre des pirates pour s'adjuger le trône de Toreskhy. Une espèce de place d'honneur sur le mur est réservée aux faits d'armes d'Amber Frost, le plus sérieux prétendant au titre du quatrième Yonkou. Le dernier article en date fait état de sa confrontation avec l'amiral Green Wolf. Birom est pris de vertige, la situation est bien pire que ce qu'il craignait ! Hystérique, il se jette sur les coupures de journaux que ses doigts cybernétiques griffus mettent en lambeaux. Le Kidd le laisse faire, toujours dans l'embrasure. « INGRAT ! » assène le vieux, haletant.

        - Je le savais ! Tu veux redevenir un pirate ! Voguer comme un scélérat !
        - Pas tout à fait. Mes plans ont évolué. Laisse-moi t'expliquer, Birom.
        - Y A RIEN A EXPLIQUER ! Ma plus grande erreur c'est de t'avoir mis sur cette mission de pillage ! Tu veux abandonner ce qu'on a durement construit ! Tu veux tout plaquer pour... faire cette guéguerre ridicule de pirates !
        - Non.
        - Alors explique-moi pourquoi un millier d'hommes sont en train de prendre d'assaut Eugénésia sans toi ? Je me souviens que je devais faire des pieds et des mains pour t'empêcher de participer aux combats tant que tu n'avais pas retrouvé ta puissance d'antan ! Aujourd'hui, tu es plus puissant que tu ne l'étais quand tu as croisé Sloth ! Bien plus ! Alors, pourquoi tu ne soutiens pas tes troupes hein ?! Simultanément, tu as aussi lancé une expédition contre la flotte des E-Boat ! Tu crois que tu pourrais me cacher ça ?!  
        - Non, je voulais t'apprendre la bonne nouvelle moi-même. L'attaque contre Eugénésia n'est qu'un coup d'éclat. Le résultat n'est pas important, seul le symbole compte. Et puis, mille hommes c'est même pas suffisant pour passer les remparts de la ville. Par rapport à la flotte des E-Boat, ouais, je veux qu'on s'en empare. Avec ces sous-marins électriques, on sera les rois de l'attaque surprise !
        - Mais... mais à quelle fin ?!
        - Être l'Empereur des Machines.
        - Q-quoi ?!!! bégaye-t-il, hors de lui.
        - J'ai trouvé le moyen de concilier ce qu'on fait ici et mes rêves. Quoi de mieux pour étendre nos idéaux que de devenir un Empereur pirate hein ? Regarde Kyoshi par exemple. Elle est vénérée comme une déesse, y a un culte pour elle. Des millions de gens lui vouent dévotion et respect. Des millions, Birom, des millions ! Raijin, c'est même pas trois millions d'habitants ! Faut voir grand ! En régnant sur mon empire pirate, je pourrai toucher un plus large panel de gens !
        - Et... ici ? Tu... comptes... faire quoi ?!
        - Sursoir. C'est bien ce que tu avais dit il y a 6 mois non ? Ben je sursois tout. Je veux d'abord annoncer mon retour au monde, faire la conquête des territoires de Toreskhy, être intronisé Empereur puis revenir ici avec la puissance qui sera mienne en ce moment là. J'aurai aucun mal à écraser Eugénésia et Accalmie. Je ferai de Raijin la capitale de mon Empire. Comme tu en rêvais. C'est pas ça ?
        - Ce... que... je... vou...lais, marmonne-t-il en détachant chaque syllabe, c'est bâtir un idéal ici ! J'ai placé en toi tous mes rêves ! Je t'ai sauvé des flammes de l'enfer ! Je t'ai même donné mon plus précieux trésor à ingurgiter quand les soins n'ont pas suffit à te guérir ! J'ai fait de toi le Gourou de plus d'un demi million de personnes ! Tout ça, je l'ai fait pour mon rêve !
        - Ben je le partage ! On va juste procéder autrement ! Je comprends pas pourquoi t'as les boules.
        - Ce que moi je comprends, c'est que tu laisses tout en plan et te tires ! Tu plaques tout ici pour t'adonner à ton ancienne vie mais tu es trop lâche pour le reconnaitre !
        - Quoi ? Moi, lâche ?!
        - Ouais, lâche ! Ingrat ! Stupide petit avorton ! Pas étonnant que Sloth n'ait fait qu'une bouchée de toi ! Le pire investissement de ma vie ! J'ai cru que tu étais celui qui porterait le flambeau de mes rêves ! Vas-y donc ! Va donc ajouter du tien dans cette mer de sang ! Va servir de nourriture aux poissons comme tous ces triples idiots qui se bouffent le visage ! Fais moi plaisir, quand tu couleras, pense à la puissance qui aurait été tienne si tu avais conquis Raijin avant de t'exporter ! DEGAGE ! HORS DE MA VUE INGRAT !
        - Avec plaisir.

        D'un geste vif et sans effort, Jin cisaille les yeux de son bienfaiteur lui arrachant un cri avant de planter sa main dans sa poitrine. Elle se referme autour de son cœur artificiel qu'il sent battre. Il l'arrache et le visage de Birom se fige dans un dernier rictus de surprise et de douleur. Il s'affale, face contre terre et son cœur toujours palpitant d'huile et de sang est jeté sans ménagement par terre. Il tourne le dos au cadavre et se rend dans sa sale de bain d'un pas nonchalant. Dans sa hâte de faire de lui sa marionnette, Birom a dû oublier qu'il est et demeure un pirate. Insoumis par essence, belliqueux de nature et meurtrier de métier. Il a franchi la ligne invisible une fois de trop. Malgré tout, il n'a tiré aucun plaisir de cet acte. Il lui demeure reconnaissant.

        C'est pour cela qu'il fera l'impossible, se dit-il, pour porter haut le rêve de Birom qui est devenu le sien celui de milliers de fidèles. Ils étaient à la croisée de chemins à adopter pour y arriver, c'est tout. Le laisser en vie aurait nuit à ses plans. Harmoniser ses rêves de piraterie et de Gourou n'est pas impossible. L'accomplissement du premier servira les desseins du second. Depuis sa disparition aux yeux du monde, le jeune pirate blond a muri, est devenu plus calculateur, plus patient. Tout a changé. Son sang est devenu huile, ses nerfs des fils électriques et sa peau, une cuirasse métallique. Lentement, il entre dans son bain pour profiter des dernières sensations de l'eau chaude sur sa peau. Du moins, ce qu'il lui en reste. Son humanité s'en va, aussi surement que les Pirates du Kidd feront leur grand retour sous l'emblème d'En Marche !.