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Arnaque, cuite et distillerie

_ A ce prix là, je suis désolé mais vous avez intérêt à me livrer quatre caisses par semaine. Et pour chaque alcool!
_ Vous m'assassinez là, monsieur. Tous ces alcools sont d'excellentes qualités, directement importés des meilleurs brasseries de North Blue. Ainsi que du vin de Luvneelgard, réputé pour son excellence.
_ De la qualité j'veux bien, mais faut quand même pas déconner, c'est jamais que du jus d'fruits qu'a tourné!


Cela faisait plusieurs heures que Sunbae faisait le tour des revendeurs d'alcools du port de Nordland et cette énième négociation commençait à lui faire regretter sa venue. Pourquoi donc était-il là d'ailleurs, me demanderez-vous. Et bien c'est très simple.
Depuis que la Rainbow House, le bordel dans lequel il avait des parts, avait fait l'acquisition d'un bar pour hydrater ses clients, le balafré s'était mis en tête de servir du bon alcool. Pas de la merde faite dans la baignoire. Non, la maison close avait été rénové et dégageait désormais une certaine classe, selon lui, elle se devait donc de respecter un certain standing. Y compris dans ses boissons.

Dorian, son associé, n'avait pas rit de son idée mais lui avait clairement fait comprendre qu'à titre personnel il, je cite, "s'en battait les couilles comme de sa première rotule brisée" et lui laissait donc le soin de s'en occuper. Ni une, ni deux, le Roona avait monté son expédition.

Et expédition était bien le terme exact. Car oui, l'importation sur Rokade était une vraie panacée. Deux solutions s'offraient à vous. La première, basée sur la piraterie, était très simple: des pirates pillent, volent et rentrent sur le rocher où ils revendent leur butin à la criée, un peu comme des pêcheurs. Généralement c'est rapide, pas trop cher mais ça manque de régularité et tu peux pas vraiment passer commande au Capitaine. Du coup, c'est emmerdant quand t'as une entreprise de denrées consommables à faire tourner.

Il existe donc une seconde solution: la contrebande. La différence est subtile en terme de définition, un contrebandier n'étant jamais qu'un pirate en plus discret. Mais sur Rokade, cela signifiait également autre chose. Les contrebandiers ne s'occupaient pas uniquement de produits illégaux mais aussi de transactions parfaitement légales et un système, compliqué mais efficace, avait été mis en place. Par l'intermédiaire d'un prête-nom, une entreprise fut créée sur Rhétalia et sert depuis de point de passage pour l'importation rokadienne. En gros, si vous êtes un patron de bar souhaitant vous fournir régulièrement en alcool sans avoir à subir les aléas de la piraterie, vous contactez ces contrebandiers qui se chargeront d'obtenir pour vous les différents produits, de manière légale ou non, puis de les faire passer sur Rokade.
Çà vous coûte plus cher que si vous étiez un patron légal sur une île légale, supplément pour l'importation oblige, mais c'est le seul moyen d'avoir un approvisionnement tout à la fois régulier et de qualité.

C'est avec ces derniers que Sunbae avait traité, ils lui proposèrent plusieurs entreprises avec lesquelles ils avaient déjà des accords mais le Roona avait décidé qu'il choisirait lui même ses produits. Après tout, ses dernières expériences avec des contrebandiers avaient résulté en son arrivée sur Rokade. Pas question d'être un pigeon une seconde fois. Après, n'y connaissant absolument rien en alcool, mais originaire de North blue, il s'était mis en route pour Luvneel et le Luvneelgard, seul endroit qu'il savait être réputé pour ses produits liés à la fermentation des fruits.

Nous passerons sur le voyage, long et fastidieux, ainsi que sur la fin des négociations, parce que c'est chiant, et qu'on peut les résumer par:

"6 tonneaux! Non 2, pas plus! A moins de 5 ca vaut plus le coup! Au dessus de 3 vous me mettez le couteau sous la gorge! On dit 4 alors? 3 et un sauciflard! Ah ben forcément, si vous mettez des sauciflards dans la négociation...."

A la place nous allons nous intéresser au moment où le balafré alla fêter la réussite desdites négociations...en jouant au casino.

Certains diraient probablement que l'homme se devait de remettre en question sa définition du mot "pigeon".

*
***
*

_ Allez, fiouh....allez, un sept, un sept et j'suis champion...

Ces paroles prononcées aux dés qu'il tenait dans la main sonnaient presque comme une prière. Pourtant, ce soir-là, la chance avait été avec lui et il sentait que ça allait continuer. Il enchainait les 7 et les 11 depuis le début de la soirée alors pourquoi cela changerait-il maintenant?

Sa main s'activa et les dés roulèrent.

_ Huit, point, déclara l'un des employés de jeux.

Mais je sens que vous êtes perdu.

Le craps est un jeu aux règles complexes que nous n'expliciterons pas ici mais pour résumer: vous avez deux dés et devait essayer de faire 7 ou 11, ne me demandez pas pourquoi je n'en sais rien. Si vous ne faites ni l'un ni l'autre alors essayez de ne pas faire un 2, un 3 ou un 12. Si vous ne faites aucun de ces cinq chiffres alors vous devez relancer les dés, ce qu'on appelle "point", mais cette fois il ne faut surtout pas faire 7 mais un des chiffres non cités jusqu'à maintenant. Le 7 devenant perdant et le 2, le 3, le 11 et le 12 amenant un nouveau lancer de dés.

J'vous avais dis que c'était velu. Surtout que vous pouvez jouer sans lancer les dés mais en misant sur la victoire ou la défaite du lanceur de dés..

Mais passons sur les détails et reprenons notre récit.

Ayant fait un 8, il devait relancer les dés. Sunbae se saisit des cubes de bois et les serra dans sa main. Il souffla sur les dés, adressa une prière à une quelconque déité qui passerait par là et actionna son geste.  

Le destin, à moins que ce ne soit le scénario, décida alors qu'il était temps de pimenter un peu tout ça. Et alors que le Roona s'apprêtait à lancer ses dés, dans son emportement, il heurta une personne derrière lui qui renversa son verre suite au choc. Appréciant peu la situation la jeune femme, puisque c'était une femme, poussa le mécréant qui venait de gâcher son alcool.

La poussette, étonnamment puissante pour une femme de ce gabarit, fit faire au balafré son lancer avant qu'il ne l'ait souhaité.

Il regarda les cubes de bois rebondir sur la table de craps, rouler puis s'arrêter. Ils affichèrent un 4 et un 5 qui l'emplit d'une joie qu'il laissa éclater dans un cri tout aussi guttural que ridicule.

_ YEAH! ROOOOOOOOOOOOOH!!! C'est qui l'patron!?


Une fois l'excitation du gain évacuée par ce barrissement presque animal, Sun' se tourna vers l'instigatrice de sa victoire. Une femme aux cheveux blancs, à moins que ce ne soit du blond très clair, longs mais en bataille. Elle portait des vêtements sombres, avait une peau très pale et un œil qui l'était tout autant. Oui, un seul œil, le second étant caché par un cache-œil qui gênait le jeune homme. Légèrement ivre, il ne remarqua pas l'air renfrogné sur le visage de la demoiselle et se permit d'être plus direct qu'à l'accoutumée.

_ Pardon, j'voulais vous demander un truc mais d'abord je dois savoir...j'dois regarder l'œil ou le bandeau? Nan parce que c'est confusionnant puis j'ai un peu bu et la pièce elle tourne.
_ Tu me cherches, c'est ça? Déjà tu renverses mon verre, et franchement ça se fait pas. C'est un peu la base du respect: pas touche à la picole!
Commença-t-elle, énervée, si tu veux que je te défonce, il suffit de demander, pas besoin d'être mesquin. Du rhum millésimé conservé en fût de chêne putain! A la limite j'boirais de la pisse, je dis pas, mais là c'est presque criminel! Vous êtes un criminel, c'est ça? Lui demanda-t-elle, maintenant plus déprimée.

De toute évidence, la jeune femme était dans un état d'ébriété bien plus avancé que Sunbae, il décida donc unilatéralement de la regarder dans le bandeau. Elle l'avait fait gagner et son instinct de joueur, ou son addiction, lui soufflait que ce n'était pas qu'un hasard. Il devait d'abord vérifier...

_ Mais pas du tout! Je suis un honnête citoyen et je me propose de remplacer votre verre par le mien et même de vous en offrir toute la soirée, déclara le balafré en appelant une serveuse.
_ Mouais...c'est quoi l'embrouille?
_ L'embrouille c'est que vous jetez les dés pour moi.

Joignant le geste à la parole, il lui tendit les dés qu'il venaient de ramasser et l'encouragea à les lancer. Elle le regarda un instant avant de se dire qu'elle ne risquait pas grand chose à  essayer.

Les dés roulèrent.

_ Sept, annonça le croupier.

Le Roona regarda de nouveau la jeune femme, l'observant cette fois plus longuement et avec un œil intéressé. Pas par les charmantes courbes de la demoiselle, qu'il reluqua tout de même au passage, mais bien parce qu'il l'avait sentit: elle puait l'argent. Ce soir, elle était sa déesse de la victoire et il ne la laisserait pas partir avant de s'être remplit les poches.

Non, il ne devait pas se laisser emporter, c'est comme ça qu'on dilapidait ses gains. Il devait d'abord s'assurer qu'elle avait réellement la chance de son côté. Il l'invita à lancer de nouveau.

*
***
*

Trois heures plus tard, le duo était dans la chambre d'hôtel de Sunbae et fêtait ses gains autour d'une coupe de champagne. Les deux étaient passablement éméchés et de fort bonne humeur. Surtout le Roona.

_ A la votre ma chère Elizabeth! S'exclama Sun' avant de boire sa coupe et d'enchaîner, je peux vous dire que j'ai jamais autant aimé offrir à boire que ce soir. Sacré descente d'ailleurs.
_ Boarf, c'est beaucoup d'entraînement surtout...
_ Haha, z'êtes drôle, on vous l'a jamais dit?
_ Pas ça non.
_ Ben savez quoi? Parce qu'il faut savoir se faire plaisir, je vais vous sortir un truc vous m'en direz des nouvelles.
_ Ah?


Le balafré se leva de sa chaise alla vers des caisses entreposées dans un coin de sa chambre. Il en ouvrit une et en sortit une bouteille de vin. Il se saisit de deux verres plus adaptés à la consommation du raisin fermenté et les remplit avant d'en tendre un à son invitée.

_ J'ai acheté ça à un négociant du port, un cru de Luvneelgard, je l'ai gouté et franchement, il tabasse.
_ C'est de la merde
, affirma Elizabeth juste après avoir avalé le contenu de son verre.
_ Pardon?
_ Ben c'est de la merde ton vin. Il a pas de gout, il est acide, il sent le vinaigre, tu me sers ça dans un resto je t'allume tellement vite que t'auras plus jamais besoin d'un four. Me demande même s'il est pas bouchonné ton truc. Bref, c'est de la merde.
_ Z'êtes sur?
_ Tu nourris pas dix ans d'alcoolisme sans en apprendre un peu sur la vinasse.
_ Logique.


La demoiselle semblant particulièrement sûr de son fait, Sun' posa les lèvres sur son verre et pu le constater directement. Effectivement, c'était de la merde. Bien loin de la qualité de ce que le marchand lui avait fait gouté lorsqu'ils s'étaient mis d'accords.

_ Mais...mais...c'est pas du tout ce que j'avais acheté. Merde, merde, merde!
_ Bah, détends toi, on peut toujours se bourrer la gueule avec. Faut juste habituer son palais, t'envois le petit frère?
_ Non mais c'est pas juste pour se bourrer la gueule. J'viens de signer un accord pour plusieurs dizaines de litres par an, et puis c'était pas du tout ce vin là.
_ Et t'as signé que pour du vin ou y'a d'autres alcools?
_ Y'en a d'autres, rhum, whisky, tequila et vodka, quelques échantillons dans chaque boites.
_ Du coup, on est obligé de continuer sur la piquette?
_ Non mais du coup, on continue rien! J'dois aller rendre une petite visite à ce marchand et m'assurer de la qualité de ce que je viens d'acheter.
_ Tu veux que je vérifie de la qualité des autres alcools de la caisse?
_ Désolé mais la soirée doit s'arrêter là, il faut que je m'occupe de c't'escroc!
_ Ca veut dire qu'on boit plus?
_ Ca veut dire qu'on boit plus.


Mue par ce qui semblait être une force mystique, Elizabeth se releva violemment et se saisit du Roona par le col.

_ Aucun escroc revendant de l'alcool frelaté ne sera laissé en liberté sous ma surveillance. Ou je ne m'appelle pas Elizabeth Butterfly. Il est où ton marchand!?

Tout à coup effrayante, le ton de la jeune femme ne laissait place à aucune discussion et le balafré se contenta donc de lui répondre.

_ Sur le port. "Alcool Hic à nos Hymnes" qu'elle s'appelle sa boutique.
_ Alors allons-y: direction les "Alcool Hic à nos Hymnes"!


Et ainsi le duo s'élança.

Dès qu'ils auraient réussi à ouvrir cette satané porte.

"Nan mais c'est fou, faut pousser ou tirer? Puis on a fermé a clés ou pas. S'compliqué c't'histoire..."

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Dans quoi s’était-elle encore fourrée ?

Elle ne savait pas, elle était totalement bourrée. Mais à un point… Si depuis sa dernière opération, l’agente était beaucoup plus sensible aux effets secondaires de l’alcool, elle venait à présent d’en repousser les limites. Oui, elle avait bu un nombre incroyable de verres et mélangé toutes sortes de mixtures alcoolisées, mais d’habitude elle tenait bien la baraque malgré tout.

Là, c’était tout juste si elle parvenait encore à tenir debout.

Le monde tournait autour de sa tête, revêtue du plus beau scaphandre qu’il lui ait été donné de voir.

« - Je suis encore… à peu près sûre de ce que c’est, d’être bourré. Eeeeeeeeeet je me sens parfaitement bien. » hurla la blonde, plaquée contre le mur qui faisait face à la porte d’entrée de la chambre de son hôte, qui avait inexplicablement refusé de les laisser passer pendant plusieurs bonnes minutes.

Mais dans quoi s’était-elle engagée, déjà ? Ah oui, de la piquette pour prix d’or. Non, c’était impardonnable ; l’albinos tenait à terminer sa soirée avec le vin de qualité qu’on lui avait promis. Et arnaquer son camarade de beuverie, c’était l’arnaquer elle. Elle, Elizabeth Butterfly, la grande enquêtrice. Bon sang, on n’arnaquait pas la Directrice de la CIA comme ça.

Et le problème était rapidement devenu personnel. Mais pour la route, elle avait tout de même emporté une bouteille de ce jus de raisin ignoble qui sentait le renfermé et goûtait, sans grande surprise, le fruit moisi mariné dans son jus.

« - Chutttttt pas si fort, y’a des gens qui dorment… » la raisonna son curieux mécène, qui avait trouvé le moyen d’être aussi bruyant qu’elle malgré toute sa bonne volonté. Peut-être tenait-il trop à la caution qu’il avait versée pour sa chambre. Ce n’était pas n’importe quel hôtel, après tout : c’était le Milton.

Mais Anna s’en foutait. Anna cherchait des yeux ce qui pouvait ressembler, pour elle, à un arnaqueur. Car dans son esprit, la frontière entre le mal et le bien était marquée de façon encore plus simple qu’elle ne l’était déjà dans l’étroitesse d’esprit de sa cervelle torturée. Au visage, elle était persuadée de reconnaître les bandits qui voulaient lui gâcher sa soirée.

Le temps de sortir de l’immeuble, elle avait donc eu l’occasion de s’en prendre respectivement à : un lobby boy, une cliente avec un embonpoint inconsidéré, son caniche, le réceptionniste et finalement le clochard qui gardait l’entrée, main tendue vers le ciel, contenu d’un sac en papier dans la bouche. Par chance, ce-dernier n’était pas dans un meilleur état qu’elle et fût le seul qui trouva le courage, la témérité à vrai dire, de lui répondre :

« - Eh, faudrait p’tet arrêter la picole, ma p’tite dame !

Ce fût le dénommé Roona qui eut tout le plaisir d’apprécier l’ironie de la situation. Pendant un temps, tout du moins, car même si la révélation de sa cargaison frelatée l’avait fait redescendre de quelques étages, le bonhomme conservait de bons restes de cette soirée riche en émotions liquides.

« - Non mais faut arrêter de s’en prendre à tout le monde comme ça.

- ‘Voyez pas que je vous aide, bon sang. Faites-moi confiance, je suis enquêtrice. »

Ce qu’elle disait, mais sur l’instant elle suivait plus le curieux bonhomme qui, lui, savait où il allait, plutôt que son intuition biaisée qu’elle devinait un petit peu erronée. Après, comme toute personne bourrée dotée d’un minimum de sens commun, Anna était aussi persuadée d’avoir raison.

« - C’est par ici, je crois…

- J’crois pas.

- Mais si je reconnais ce tonneau… c’est ici. Si on tourne, qu’on va à gauche, puis à droite, qu’on continue tout droit jusqu’au boulevard, qu’on passe sous le lampadaire en forme de bite et que l’on tourne à gauche, on devrait être arrivés… au casino. »

Muet l’espace d’un instant, plongé dans la philosophie nécessaire à l’imagination d’un lampadaire en forme de bite, Sunbae ne tarda pas à réagir d’un brusquement hochement négatif de la tête. Visiblement l’intrigue avait totalement échappé à l’agente, qui l’avait résumée grâce au superpouvoir de l’alcool. C’était tout le concept d’espace-temps qui était à revoir.

« - On avait pas dit qu’on allait au port ?

- Ah oui c’est vrai, Alcool’Hic à nos Hymnes c’est ça ? demanda la jeune femme tout en se retroussant les manches, prête à casser des gueules.

Elle n’eut pas de réponse, sinon le pivotement maladroit et instable des talons de l’investisseur pour changer de cap. Sauf que non, car à cet instant-là la blonde eut un éclair de génie :

« - Me semble que le port est vers là, on peut voir les voiles d’ici. A moins qu’il s’agisse de grands papillons de lumière... »

Et elle disait vrai, même s’il faisait nuit noir et qu’elle venait légèrement d’utiliser l’une de ses capacités secrètes pour identifier la présence de navires et la direction à prendre. Ce fût donc en faisant une nouvelle fois demi-tour que le duo s’engagea dans l’une des ruelles menant vers les quais, où ils devaient se rendre pour une raison qu’Anna venait à nouveau d’oublier. Mais elle était au moins sûre d’une chose : là où ils allaient, il y avait de l’alcool. Et on lui avait promis de l’alcool pour toute la soirée. Aussi cuite qu’elle était, il en fallait beaucoup plus pour la coucher.

Enfin, après vingt minutes de marche, de demi-tours, de perdition, ils étaient finalement arrivés dans les environs de port. Et le ton n’était plus à la rigolade.
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Assis sur le port, Sunbae était fatigué.

En compagnie d'Elizabeth, ils avaient finalement trouvé le commerce de l'escroc. Fermé. Le balafré était alors tombé dans une espèce de torpeur généralisée. Il avait du supporter la jeune femme durant le trajet, l'orienter dans la bonne direction et encaisser quelques coups étonnamment puissants. Elle n'aimait pas être dirigée apparemment.

Arrivé face au rideau de fer de l"Alcool'Hic à nos Hymnes", le jeune homme avait décidé de lâcher l'affaire. Il s'était emparé de la bouteille de vin dégueulasse et tété le nectar en regardant la demoiselle tambouriner à la porte du magasin. Quitte à souffrir, autant être complètement cuit.

Il en avait plein les pattes et voulait juste rentrer se coucher mais il ne pouvait décemment pas laisser une femme alcoolisée seule dans la nuit. Ca ne se faisait pas. Puis, Elizabeth semblait s'être lassée devant l'absence de réponses et s'approchait maintenant de lui. Elle s'arrêta face à lui, le regarda un instant et pouffa. Oui, pouffa. Main devant la bouche en tentative de retenir un rire franc et bruyant. Bref, elle pouffait.

_ J'peux savoir c'qui t'fait rire?
_ T'es assis sur un bite!


Le pouffement n'était plus d'actualité et laissa place à un vrai éclat de rire. Sun' baissa les yeux. Effectivement, il était assis sur une bitte d'amarrage et, s'il comprenait la "blague", il ne partageait pas l'hilarité de sa compagne. Apparemment vexée de son manque de réaction, Elizabeth lui prit le vin des mains et en avala une rasade.

Un tintement mécanique et métallique se fit alors entendre. Le duo se tourna vers la boutique et pu voir un visage apparaitre dans l'interstice qui venait de s'ouvrir sous le rideau de fer. Un visage plutôt quelconque aux joues bien dodues et à l'air inquiet.

_ Ils sont partis, demanda le visage.
_ Qui ça, lui répondit Sunbae.
_ Les tambourineurs.
_ Y'a des gens qui respectent vraiment rien
, pesta Elizabeth en ayant totalement oublié que ce n'est personne d'autre qu'elle même qui avait probablement réveillé tout le quartier.
_ Vous les avez vu?
_ Ha mais c'est ouvert! On va pouvoir picoler!


Sans se soucier de leur interlocuteur, Butterfly jeta la bouteille derrière son épaule et avança vers la boutique. Le Roona observait la scène, riant intérieurement de la situation et attendant avec impatience le moment où l'homme derrière le rideau se rendrait compte qu'il avait affaire à la "tambourineuse".
Les yeux de l'homme s'écarquillèrent, exprimant tout à la fois la surprise et la méfiance, et le rideau de fer se referma. Cependant, Elizabeth parvint à se saisir du bas du rideau, l'empêchant ainsi de tomber complètement alors que le gardien criait, lui demandant de lâcher, rappelant au passage que le magasin était ouvert tous les jours de dix heures du matin jusqu'à onze heures du soir et qu'ils étaient les bienvenus aux horaires autorisés.

Sun' se détourna de la scène un moment pour regarder ce qui semblait être un papillon de lumière.

CRAAAAAK!


Ses yeux revinrent sur la boutique.

Où Elizabeth finissait de remonter le morceau de rideau de fer qu'elle tenait dans la main jusqu'au dessus de sa tête, le déchirant comme du papier et créant ainsi une porte de fortune. Les yeux du balafré sortirent de leur orbite et le gardien resta figé. La demoiselle entra dans la boutique, sans se soucier le moins du monde des regards, mêlant surprise et admiration, des deux hommes. Elle se saisit d'une bouteille posée sur un présentoir et recommença à s'imbiber.

Sunbae, lui, profita de l'occasion pour la suivre à l'intérieur de la boutique. Le gardien s'était recroquevillé dans un coin, en position fœtale et répétant en boucle "pitiémetuezpas, pitiémetuezpas". Le jeune homme aux cheveux cendrés s'approcha de lui en essayant de se montrer rassurant.

_ Z'inquietez pas m'sieur! On va pas vous tuer, on est même pas des voleurs.
_ Alors pourquoi elle se sert
, parvint à demander l'homme en pointant Butterfly du doigt, occupée à vider une nouvelle bouteille.
_ Parce qu'elle a besoin d'une recharge? Je sais pas à vrai dire mais on a de quoi payer du coup, c'est pas vraiment du vol, non?
_ C'est...euh...je sais pas...je suppose que non.
_ Vous voyez, on est d'accord. On cherche juste Monsieur...monsieur...merde j'ai un trou...enfin bref, votre patron.
_ M. Taurchay?
_ Voilà, M. Taurchay, je l'avais sur le bout de la langue. Du coup, on le cherche.
_ M. Taurchay? Yaissouï Taurchay?
_ Ouais, M. Taurchay quoi...


Le gardien semblait toujours hébété par la situation. Il avait dépassé le stade de l'autisme et avait arrêté la position fœtale mais paraissait toujours sous le choc. Le Roona tentait de le rassurer et de lui faire reprendre ses esprits mais il ne parvenait pas à récupérer plus que le nom du propriétaire, celui pour lequel ils étaient ici ce soir.

Un ombre passa à sa droite et il put admirer, de près, le poing de sa compagne s'enfonçait dans le mur à quelques centimètres du visage du gardien effrayé.

_ Où qu'elle est la bibine!?
_ L'entrepôt de M. Taurchay se situe deux rues plus loin, le toit est vert et vous aurez aucun mal à le retrouver, y'a un graffiti sur la porte. Je peux vous montrer si vous voulez, tout ce que vous voulez. Metuezpasiouplait.


La méthode de la jeune femme semblait marcher. Il n'aurait pas cru qu'effrayer encore un peu plus le pauvre homme pouvait fonctionner mais c'était le cas. Le Roona la laissa gérer, elle devait probablement être spécialisée dans ce genre de situation, et se demanda une nouvelle fois comment un corps si petit pouvait faire autant de dégâts. Pourtant, le mur était un vrai mur, comme le prouvaient les débris rocheux de petites tailles tombant encore sur l'épaule du gardien.

_ Et il ressemble à quoi ce tag?
_ Une femme, façon pin-up, voguant sur la mer à dos de licornes marines sous un ciel rouge de flammes.
_ Putain, c'est métal
, nota Sun'.
_ Go au hangar à la peanut!

Une main se saisit du col du balafré, il tenta en vain de se défaire de sa prise mais Elizabeth avait une poigne d'acier. Il se laissa donc trainer, incapable de la moindre résistance. Courant comme une dératée, la demoiselle n'en oubliait pas de s'hydrater régulièrement le gosier et très vite le duo parvint au hangar.

Sun' se massa l'arrière-train en se relevant et le duo resta un instant admiratif devant le grafiti. C'était du bel ouvrage.

_ Allez, on entre!
_ Comment ça?


Pour la deuxième fois de la soirée, le jeune homme pu admirer Butterfly s'ouvrir une ouverture dans un rideau métallique.

_Haaaaa, comme ça du coup...

Y'a pas à dire, c'était quand même vachement impressionnant. Il se demanda si c'est l'alcool qui la rendait plus fort et essaya à son tour de traverser le rideau d'un coup de poing.

Il crut se briser le poignet et laissa échapper un petit cri de douleur.

Puis il reporta son attention sur l'intérieur du hangar où un petit homme, crâne chauve, lunettes carrés et embonpoint prononcé, était assis sur une chaise face à un bureau. Ce qui semblait être des livres de comptes trônaient devant lui. Il resta un moment estomaqué avant de se ressaisir.

_ Nan mais c'est quoi ce bordel!
_ Putain c'est lui!
Cria Sunbae!
_ Qui ça? Demanda Elizabeth.
_ M. Taurchay! L'arnaqueur!

Un éclair apparut dans les yeux de la demoiselle, un éclat annonçant du sang, des os brisés et une utilisation excessive de la violence.

Inconsciemment, la vessie de M. Taurchay venait de laisser passer quelques gouttes d'urines alors que son instinct lui criait de fuir.

Loin.

Et vite de préférence...
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De l’alcool. De l’alcool partout, à profusion. C’était plus qu’il n’en fallait pour l’enquêtrice mais c’était bien assez, psychologiquement, pour étancher sa soif de puits sans fond. Non, décidément, la soirée s’annonçait plutôt bien…

Sauf que la première bouteille qu’elle eut l’occasion d’ouvrir, en chemin vers l’arnaqueur, lui laissa un goût amer dans la bouche. Celui d’une piquette tellement mauvaise qu’elle devait probablement être frelatée. On était loin des caisses de vins qui avaient été vendues à Sunbae, mais plutôt dans du grand banditisme, de la criminalité.

Elle recracha aussi sec l’épaisse mixture qui envahissait désormais sa bouche d’un goût horrible et dangereux.

« - Ce vin est… ce vin est frelaté ! Eh toi, tu n’as pas honte de vendre ça ? Es-tu au courant que l’on pourrait t’inculper pour meurtre ? Non mieux, en fait, je vais m’occuper personnellement de te botter le cul ! »

Si les mots dépassaient les pensées de l’agente, ses actes suivaient de façon toute aussi violente. Sans s’être questionnée sur la pertinence de sa couverture, elle avait, à deux reprises, plié de la taule comme s’il s’agissait de papier. Et désormais elle tenait la chemise du pauvre homme pour le hisser dans les airs à la manière d’un porte-manteau. Roona ne pouvait qu’être témoin de la scène qui se déroulait sous ses yeux et après une dizaine de secondes, osa finalement intervenir. La blonde était énervée, éméchée et il fallait décidément calmer ses ardeurs.

« - Hé, c’peut-être pas une bonne idée. J’veux dire, questionnons-le avant de l’menacer de lui en faire baver, non ? C’vrai que c’est criminel, mais j’ai un doute.

- J-je… j’vous jure… j-je savais p-pas pour le v-vin ! J’fais que s-suivre les ordres ! » se défendit le beau diable, toujours tenu en l’air avec une facilité ridicule et déconcertante. Pour Anna ce n’était rien, mais elle oubliait que pour son compagnon il s’agissait d’une force loin d’être conventionnelle. Et par chance, elle s’était bien gardée de faire apparaître son haki.

« - Merde ! »

Elle avait enfin fini par se rendre compte de sa bourde ; peut-être que le vin frelaté avait légèrement fait descendre son alcoolémie. Le bureau au-dessus duquel le comptable était suspendu lui servit alors rapidement de chaise, tandis que la main de la jeune femme se rétractait prestement. L’homme aux cheveux gris, qui semblait avoir les idées plus claires, décida alors de prendre la parole.

« - Bon, j’te présente Elizabeth, c’est mon amie pour la soirée. Si tu ne veux pas qu’elle te suspende à nouveau comme si tu étais un gland pas encore tombé du chêne qui t’a donné naissance, tu as intérêt à coopérer. Compris ?

- T-tout ce que vous v-voudrez !

- Où est l’alcool ? L’alcool qu’on peut boire, celui qui a pas un goût de pisse et qui fait pas crever ? »

C’était à peu près tout ce qui venait à l’esprit de la jeune femme en matière d’interrogatoire. Encore déçue de sa dernière trouvaille, il lui fallait rapidement quelque chose pour se rincer la bouche.

« - P-pas d’alcool buvable. Q-que des marchandises bas de gamme. Mais je vous jure, je ne savais pas que c’était frelaté !

- Très bien, la ferme. Donc j’imagine que tout ce qui se trouve dans cet entrepôt est bon à jeter. Dommage, mais du coup on peut pas laisser ça comme ça. Tu comprends qu’on va être obligés de tout détruire ? Vois ça d’un bon côté : c’est comme si tu étais déjà viré. Rien ne t’empêche de nous dire désormais pour qui tu bosses. J’vois bien que t’es qu’un intermédiaire, moi-même j’en utilise pas mal. Qui m’a vendu cette satanée piquette ?  »

La clairvoyance du bonhomme dépassait de loin l’entendement qu’Anna pouvait concevoir. Pour elle, la réponse était négative : pas d’alcool dans tout ce fichu hangar. Mais s’il y avait bien quelque chose qu’elle avait compris dans la tirade de son partenaire, c’était le mot « détruire ». Et puis elle devait bien passer ses nerfs sur quelque chose. Alors, sous le regard apeuré du fonctionnaire, elle se décida aussitôt à passer à l’acte : appuyant du plat de la main sur une épaisse étagère contenant plusieurs tonnes de marchandises, elle parvint à renverser l’échafaudage sans démontrer le moindre signe de fatigue. Bien évidemment, le rayonnage s’écroula dans un joyeux tintamarre en venant non seulement écrouler toute sa marchandise, mais aussi répercuter sa chute sur l’étagère voisine et celle-ci sur la suivante… et ainsi de suite.

Pour le pauvre homme brusqué et intimidé par tous les bruits qui le saccadaient de spasmes incontrôlés et de vidages de vessie fréquents, il s’agissait d’une véritable torture. Pour Sunbae, c’était surtout signe que les forces de l’ordre locales n’allaient pas tarder à rappliquer et qu’il était temps de tirer les vers du nez du pauvre homme arrivé à maturité. Pour ça, il suffit simplement que la jeune femme aux cheveux blancs comme neige s’approchât du bureau et fasse reculer le pauvre homme jusque dans son siège.

« - T-très bien, je vais tout vous dire, nemefrappezpasparpitié ! Je ne voulais pas faire de mal, j’fais que vendre selon les ordres de mon supérieur. C’est lui qui tire les ficelles…

- C’est ton chef qui a la picole ?

- N-non… Ce n’est qu’un riche propriétaire qui a bâti son empire avec ce genre de fraudes. Il crée des commerces, vend des produits périmés ou de la contrefaçon et change le nom de ses enseignes avant que l’on ne puisse lui reprocher quoi que ce soit. Désolé mais votre argent est perdu, vous ne serez jamais dédommagé avec le vin que je vous ai fait goûter : il s’agissait d’une cargaison achetée chez un spécialiste, uniquement utilisée pour faire goûter les clients. Tout ce que l’on a est dans la boutique… »

Voilà qui était fâcheux pour l’investisseur qui se retrouvait désormais possesseur, sans marche arrière possible, de plusieurs tonnes d’alcool dégueulasse. Il n’y avait donc aucun moyen d’être remboursé sinon en allant chercher directement l’argent à la source. Et justement en parlant d’argent.

« - Fait chier ! Et sinon, tu fous quoi ici en pleine nuit à tenir les comptes ? demanda Roona tout en saisissant le livre sur lequel était en train de s’épancher le salarié. J’y pige rien, tu m’expliques ou il faut que ma collègue te fracasse le crâne avec l’un de ces gros classeurs ? »

La menace était posée, même si Anna avait désormais le regard braqué vers l’entrée précédemment percée dans le rideau de fer qui permettait l’entrée à l’entrepôt. Son instinct d’alcoolique lui hurlait à présent de retourner à la boutique pour faire le plein de bon vin, puisque c’était là-bas qu’on le trouvait. Mais elle se ravisa rapidement pour aider son confrère dans son rôle de gentil flic et saisir l’un des épais dossiers… qui laissa échapper son contenu sur la surface du meuble.

« - C’est… Ce ne sont pas des livres de comptes, mais le relevé d’import et export. Je faisais le récapitulatif des destinations à partir desquelles nous avions reçu les dernières cargaisons et là où nous étions censées les envoyer le mois prochain. Voyez, votre nom figure ici…

- Et là. Ce nom-ci. Il m’est familier, ne me dites pas que c’est…

- Oui, la famille royale de Luvneel est aussi l’un de nos plus prestigieux clients, nous servons au château depuis plusieurs mois déjà.

- Et ils boivent votre cochonnerie sans rechigner ?

- Ma chère… vous n’êtes probablement pas sans savoir que les Luvneelois n’ont aucun palais en matière de vin ? Ils pourraient boire du vinaigre que ça ne ferait aucune différence. »

En effet, puisque le jus consommable était très semblable au vinaigre. Toutefois si le Roi était impliqué dans l’affaire alors qu’ils venaient de détruire la prochaine cargaison, le scénario se corsait pour eux… Désormais l’enquêtrice était obligée d’aller jusqu’au bout et de retrouver le responsable pour lui faire cracher ses aveux. Mais ça n’était visiblement pas si facile.

« - Qui est le gros pourri ? Tu vas nous dire qui c’est ou bien tu préfères contempler tes dents encastrées dans de l’acajou ? »

La menace était réelle, Anna avait déjà opéré avec des tortures similaires et elle semblait ne pas vraiment avoir de filtre pour l’empêcher de l’opérer violemment. Son partenaire ne devait pas la prendre au sérieux ; elle l’espérait de tout cœur. Toutefois leur prisonnier était loin d’être assez loyal pour se risquer à ce genre de sévices.

« - N-non ! P-pas la peine, je vais tout vous dire… mais la vérité c’est que je ne connais pas son vrai nom, on l’appelle juste « le Patron » ! Je sais où vous pouvez le trouver en revanche…  Il ne reste jamais longtemps sur la même île, c’est pourquoi il réside actuellement au Milton. Probablement dans une suite royale, s’il y en a une. C’est tout ce que je sais ! »

En parallèle des aveux faits par le comptable, Anna pouvait à présent « sentir » la présence, à quelques rues du bâtiment, de plusieurs soldats de la milice alertés par le chahut qui avait eu lieu quelques minutes plus tôt. Il était temps de partir. Elle n’hésita pas à en faire part à son compagnon qui était du même avis. Celui-ci embarqua tout de même le livre de comptes du mois précédant sous son bras avant de jeter un coup d’œil aux environs et dénicher ce qui semblait être un tuyau de lance à incendie, dont il se servit pour ligoter solidement le cafardeur à son siège.

« - Désolé mon gars, mais nous on se tire et toi tu restes. J’imagine que tu auras beaucoup de choses à raconter à la milice lorsqu’elle sera arrivée, surtout lorsqu’il vont découvrir que vous stockez de l’alcool frelaté. Et aussi que certains de vos fournisseurs ne sont pas vraiment dans la légalité. »

Ce faisant, Roona avança le bouquin incomplet et tapota du doigt près d’un nom qui n’avait rien d’étranger ici, à Luvneel. C’était celui d’un contrebandier particulièrement recherché.

« - N-non ! Pitiénemelaissezpasici ! J’ai fait que suivre les ordres !!

- Allez, il faut se tirer maintenant » intima la blonde à son complice tout en le poussant légèrement vers la sortie. La police n’était plus qu’à quelques rues du hangar et elle possédait visiblement des chiens. Leurs aboiements étaient d’ailleurs audibles désormais.

Sunbae ne chercha pas à lutter et suivit prestement l’agente qui avançait déjà au pas de course vers ce qui se présenta rapidement comme une nouvelle entrée, à l’opposé du bâtiment. Elle avait enfoncé la taule de l’épaule comme si c’était du carton et ne présentait aucune séquelle du choc occasionné. De quoi se poser des questions, une fois de plus, mais la jeune femme n’était plus à cela près. Il fallait courir désormais, car les chiens étaient une véritable saloperie à distancer.

C’était quoi la suite du plan déjà ? Retour à l’hôtel pour mettre la main sur le Patron ? Mais comment pouvaient-ils le reconnaître sans savoir son nom…
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La tête dans les registres récemment récupérés, Sunbae était en train d'halluciner.

Il avait toujours cru qu'il était un peu niais. Il se savait plutôt enclin à croire ce qu'on lui disait et à être un peu "bonne poire". Il s'était légèrement amélioré dans ce domaine sur Rokade et s'être fait avoir dans cette arnaque aux alcools lui avait quelque peu sapé le moral.

Mais il le savait maintenant. Alors qu'il lisait tous les noms marquées dans le bouquin il avait l'impression de découvrir une nouvelle vérité.

Le monde était rempli de pigeons.

De cette révélation naquirent alors deux convictions dans l'esprit du Roona: globalement, les gens sont des crétins et, de toute évidence, il faisait partie du lot.

Ce fut le moment choisi par Elizabeth Butterly pour le ramener au moment présent d'une gentille, mais ferme, main posée sur son épaule. Il remarqua alors qu'ils venaient d'arriver au Milton, son hôtel et celui du "Patron".

*
***
*

Assis au bar de l'hôtel, les deux compères appréciaient un énième verre alors qu'ils cherchaient un moyen de trouver leur cible. Et l'alcool n'aidait pas à résoudre le problème.

_ On peut vraiment pas juste aller à l'essentiel et foncer dans le tas, demanda Elizabeth tout en soupirant, apparemment fatiguée de cette longue nuit.
_ Si on savait exactement où était ce fameux "Patron", j'dis pas. Z'êtes bien capable de défoncer quiconque se mettrait sur notre route. Mais même si on assume qu'il a pris une suite royale ben...y'en a trois.
_ Ben on y va et on défonce les porte jusqu'à trouver ce qui nous intéresse.
_ J'assume que ce sera bruyant, si on se trompe sur la première chambre, on risque de faire fuir les clients et rameuter la sécurité voir la milice du coin.


Le regard que lui lança la jeune femme le fit se sentir tout petit. Elle le jugeait. Et pas en bien apparemment.

_ T'es vraiment pas le plus courageux du lot, hein?
_ Je vois pas où est le mal à vouloir être discret! Ou à vouloir éviter les emmerdes d'ailleurs. Puis de toute façon, l'aube arrive, au moindre bruit...


Le visage du balafré s'illumina. C'était pourtant évident. Comment avait-il fait pour ne pas s'en rendre compte plus tôt? Il amena son verre à ses lèvres et le vida tout en trouvant une réponse à sa question. Il se tourna ensuite vers sa compagne, qui le regardait de manière suspicieuse.

_ Dites? Vous savez jouer la comédie?

Ce genre de questions n'amènent généralement que trois types de réponses: oui, non et pourquoi. Autant dire que Sun' fut surpris lorsqu'Elizabeth éclata de rire. Un rire que le jeune homme trouva, étrangement, quelque peu moqueur.

_ Je rate une blague?
_ Non, du tout.
Parvint finalement à dire Butterfly en essuyant une larme au coin de son œil valide. Mais oui, je suis...plutôt bonne actrice, finit elle en arborant un sourire mystérieux.
_ Ben du coup, j'ai peut-être une idée...


*
***
*

La première chose que fit Ernest Bouvier en ouvrant les yeux après un court sommeil fut de soupirer. Il avait passé la journée régler ses affaires en ville et avait espéré pouvoir profiter d'une bonne nuit de repos dans une chambre au luxe extravagant. Mais la vie semblait en avoir décidé autrement.

Il semblait y'avoir une grande agitation à l'extérieur de sa chambre.

"Que pouvait bien foutre Gary et Antonio?" Se demanda-t-il.

Il s'extirpa des couvertures chaudes et confortables, révéla à la pénombre son corps nu et adipeux qu'il s'empressa de recouvrir d'une robe de chambre. Il se saisit de ses lunettes, posées sur la table de chevet, les mit sur son nez d'aigle et se dirigea vers la sortie. Il hésita à mettre sa moumoute pour cacher sa calvitie avancée mais renonça. On était encore en pleine nuit, l'heure n'était pas à la fierté mal placé.

Il posa son oreille sur la porte, curieux d'avoir quelques informations avant de sortir. Il devait y'avoir plusieurs personnes et une discussion, ou plutôt une belle engueulade, était en cours. Il vérifia la présence de son pistolet dans la poche de sa robe de chambre, saisit la poignée de la porte et sortit.

La scène qu'il découvrit l'interloqua quelque peu.

*
***
*

Quelques minutes plus tôt, dans le couloir où se trouvaient les trois suites royales du Milton, Sunbae et Elizabeth faisaient face à une situation inattendue. Cachés derrière le mur menant au couloir, ils observaient celui-ci.

Long de plusieurs mètres, il était complètement vide à l'exception de quelques pots de fleurs et d'une paire de mecs en costume devant l'une des chambres.

_ Ha! Clama la jeune femme en pointant le balafré du doigt. J't'avais dis qu'on avait pas besoin de se faire chier. Des gorilles qui gardent une porte, c'est le signe qu'un criminel se cache derrière celle-ci!
_ ...mais, mon plan
, répondit, penaud, le Roona.
_ Non, mais c'est pas grave, il était pourri ton plan de toute façon.
_ Meuh non! Il était pas pourri du tout. Il était tout à fait réfléchi et adapté à la situation.
_ Parce que se faire passer pour un couple qui s'engueule pour faire sortir des mecs de leur chambre c'est "réfléchi et adapté"!?
_ C'est toujours mieux que vous, Madame "je défonce des murs et n'ait aucune conscience des éventuels coûts que nécessiterait les réparations des dégâts causés par mes actions"!
_ C'est beaucoup trop long pour être une insulte valable.
_ Ouais, j'étais pas super inspiré sur ce coup...

_ Excusez-moi?


D'une même mouvement, le duo recula et se tourna vers la source de ces paroles. Apparemment pas discrets pour un sou, ils avaient beuglé au cours de leur échange et l'un des gorilles s'était rapproché pour évaluer la situation.

_ Vous pourriez faire un peu moins de bruit s'il vous plaît?
Demanda, courtois, l'agent de protection personnelle Gary Silmann.

Le duo ne répondit pas tout de suite, surpris pas les bonnes manières de la montagne de muscles. Puis, Elizabeth se tourna vers son compère, prit son air faussement stupide le plus convaincant et prit la parole.

_ Monsieur veut-il qu'on exécute son meeeeeerveilleux plan? Demanda-t-elle en imitant une espèce de révérence instable.
_ ...ça va, j'ai compris...
_ On peut y'aller du coup?
_ Vous pourriez répondre à ma question, s'il vous plait?
_ Oui, oui, c'est bon
, dit Sun' en ignorant complètement le pauvre garde du corps. On les défonce.
_ Cool!
_ Pardon?


Le torse du pauvre Gary fit la connaissance de la paume de la main de la borgne. Cette rencontre s'étant faite à haute vélocité, sa cage thoracique fut quelque peu enfoncée, son souffle se coupa et son corps imposant décolla du sol avant de retomber quelques mètres plus loin. En plein milieu du couloir, aux pieds de son collègue.
Celui-ci avança vers lui puis tomba à genoux. Délicatement, il se saisit du corps de son ami et, du pouce, essuyant le sang qui perlait au bord de ses lèvres.

_ Gary, parvint-il à chuchoter. Reste avec moi Gary. Gary!?
_ Antonio...
Susurra Gary.

Les deux hommes échangèrent un long regard et tout deux comprirent alors que leur amitié virile et leur camaraderie n'avaient jamais étaient que de la poudre aux yeux. Leurs cœurs venaient de s'ouvrir, leurs esprits de se libérer. Antonio approcha son visage de celui de Gary qui ferma les yeux, souffrant mais attendant impatiemment le contact qui promettait d'arriver entre leurs lèvres.

Ce court, mais passionnant, moment de révélation à soi fut interrompu par l'ouverture de la porte derrière le duo d'agents. De celle-ci sortit Ernest qui, face à l'image de ses employés sur le point de partager un langoureux mais inattendu baiser, ne put s'empêcher d'exprimer sa surprise.

_ Putain...mais qu'est-ce qu'il se passe!?

Habitué à voir Antonio et Gary péter des genoux par packs de douze, cette scène avait de quoi le destabiliser...
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Une chose était certaine : il n’était désormais plus nécessaire de détruire les murs. Ceux-ci avaient déjà, de toute manière, grandement pâti du manque de conscience professionnelle de l’enquêtrice qui avait, une fois de plus, dévoilé un peu trop l’étendue de sa force.

C’était un richard en peignoir qui avait finalement déboulé dans le couloir, le visage décomposé par la scène qui se déroulait en face de lui… Mais c’était là le cadet de ses soucis, à vrai dire. Sitôt saisi au col par une main empreinte d’énervement, il avait vivement été reconduit jusqu’à sa chambre, tandis que ses valets continuaient visiblement à se rouler des pelles sous les yeux curieux de l’homme aux cheveux gris… qui ne tarda pas à refermer la porte dans son sillage.

« - Décidément, il se passe des choses bien étranges ce soir…

- A qui le dites-vous ?! Qui êtes-vous et que voulez-vous ? Si c’est de l’argent que vous cherchez, vous êtes mal tombés : il n’y a rien ici. Je ne me balade jamais qu’avec très peu de liquidités sur moi…

- Rien à foutre de la tune, où est l’alcool ?! » intervint subitement la jeune femme qui tenait toujours, d’une main de fer, le col de son prisonnier. Celui-ci semblait visiblement n’avoir aucune idée de ce dans quoi il venait d’être embarqué, mais les vapeurs d’alcool dans l’haleine de la blondinette eurent tôt fait de le mettre au courant.

« - Mais… vous êtes ivre morte ?!

- Ivre oui, morte je l’aurais bien été si j’avais dû boire le vin que vous avez vendu à ce type-là ! »

Désignant Sunbae, Anna souleva légèrement l’aristocrate qui se mit aussitôt à pendouiller dans sa robe de chambre. C’était ça ou être nu comme un ver et le pauvre homme ne pouvait se résigner, sans comprendre le danger imminent, de perdre la face devant ces deux ivrognes.

« - J-je ne vois pas de quoi vous voulez-

- La p’tite dame parle de ça, fit Roona en se joignant finalement à la discussion, l’index pointé sur le registre ouvert entre ses mains où figurait son nom. J’vous ai acheté des cargaisons mensuelles de ce délicieux vin que j’ai pu goûter dans votre boutique… or il s’avère que celui qu’j’ai reçu est  pratiquement frelaté. Oh, nous avons bien été vérifier dans votre boutique, dans votre entrepôt, nous avons interrogé votre comptable. Et tout nous ramène vers vous.

- Dans cet hôtel, dans cette suite royale. Et nous avons mis votre gardes à terre alors ne sous-estimez pas notre force. On m’a promis une soirée bien arrosée et croyez-moi : je ferai tout pour l’avoir, ponctua finalement la jeune femme en faisant craquer les doigts de sa main libre, occasionnant le dérobement de la pomme d’Adam de son captif.

- Vous l’avez compris, nous voulons un dédommagement… avec des intérêts. »

Enfin, cette terrible enquête embrumée par l’éthanol semblait toucher à sa fin. Les deux détectives avaient retrouvé le coupable, il ne leur restait plus qu’à lui faire cracher le morceau. Tout devait être plus facile arrivé à ce moment tant attendu. Pourtant, ce ne fût pas exactement ce qu’il se passa.

« - Héhé, c’est donc ça. Vous allez être tellement déçus…

- Comment ça ?

- Vous sous-entendez qu’on n’aura pas notre alcool ?! »

Raffermissant sa prise, l’enquêtrice n’eut toutefois comme réponse qu’un sourire morbide du pauvre homme, ignorant la douleur de son cou maltraité par le col de sa robe de chambre.

« - Je sous-entends que cet argent, je ne l’ai plus. Voyez-vous, tout ce que je gagne je l’investis. Que ce soit dans d’autres cargaisons de vin frelaté ou encore de la dance powder… même si je présume que vous n’avez aucune idée de ce dont il s’agit.

- De la dance powder… »

Anna n’avait jamais entendu ce terme. Quoi que… peut-être une fois lors de son voyage à Alabasta, la chose devait avoir été rapidement évoquée par un guide touristique. Mais ça n’allait pas plus loin, elle n’avait de toute façon rien écouté du baratin sorti par le vendeur de tapis.

« - Peu importe, soit j’ai ce pour quoi j’ai payé, soit mon amie retaille votre visage façon portrait de Pissaco. C’est tout à votre honneur.

- Et à quoi ça vous avancerait ? Faites ça et je porterai plainte. J’ai votre nom après tout, vous figurez dans les registres. Vous avez violé ma propriété, détruit ma marchandise, traumatisé mes employés et m’avez frappé ensuite ? J’ai de bons contacts à la Marine figurez-vous… »

Anna aussi avait de bons contacts, mais ne pouvait clairement pas se permettre de mettre sa couverture dans de beaux draps. Soudainement dégrisé, elle se rendit alors compte que tout cela commençait à aller beaucoup trop loin juste pour une lubie d’alcoolique. Sans perdre de temps, elle reposa le bonhomme et entreprit de faire demi-tour. Maussade, elle ne tarda pas à poser sa main sur l’épaule de son partenaire en tournant la poignée, devant un Ernest tout sourire, plus rayonnant que jamais.

« - Allez viens Roona, on se casse.

- C’est ça, barrez-vous avant que j’appelle la police », ricana le bourgeois tout en se rhabillant convenablement.

C’était sans compter sur Sunbae qui n’avait clairement pas dit son dernier mot, loin de là. En réalité, il avait même anticipé cette réaction et souriait à son tour, machiavélique.

« - Vous êtes prévisible, monsieur le Grand Patron. J’dois avouer qu’votre coup de poker était plutôt bien joué.

- Qu’est-ce que vous me chantez, maintenant ?

- J’vous chante, monsieur, qu’vous bluffez. Car même si vous avez des contacts haut-placés dans la Marine, sachez qu’ici ils n’ont aucune sorte d’influence. Vous avez joué avec le feu dès lors que vous avez mis les pieds à Luvneel.

- C’est… c’est vrai, le royaume est indépendant. C’est l’armée royale qui joue le rôle de police.

- Et l’armée royale est… au service du roi. Le roi qui est l’un de vos clients et qui, oh tiens, n’a pas fait exception dans vos registres. Vous avez saisi l’occasion car les Luvneelois sont connus pour leur manque de goût en matière de vin. C’était un risque à prendre, plutôt alléchant je dois l’avouer. Je crois que j’aurais fait de même si j’en avais eu l’occasion. Mais vous avez commis la grave erreur de ne pas partir aussitôt le contrat signé.

- Vous… Vous n’oseriez pas ?

- Vous balancer à l’armée ? Avant ou après vous avoir cassé la margoulette ? Quoi que ça ferait pas bien grande différence… »

Revenant à la charge vers l’otage, l’albinos se planta soudainement devant lui et lui asséna une simple claque… qui le fit valser à l’autre bout de la pièce et s’encastrer dans le mur. Le coup était violent, assez pour que le bonhomme restât conscient toutefois. Fébrilement, ce-dernier parvint à se redresser, affichant un nez et une arcade brisés par le choc.

« - L-le roi… il ne verra pas la différence… avec du bon vin… Je m’en suis assuré…

- Oh mais il verra probablement la différence au niveau des fournisseurs, c’est certain. La contrebande, ça plaît à personne quand ça s’sait. Même pas aux contrebandiers. Qui sait, peut-être qu’ils arrêteront de vous fournir ? J’ai cru comprendre qu’votre petit commerce s’étendait à bien d’autres services…

- En d’autres termes, vous êtes échec et mat. Soit vous trouvez un moyen de nous dédommager, soit votre affaire coule et vous croupissez en taule.

- L’issue m’importe peu, tant que j’ai ce pour quoi je suis venu. Alors ? »

Acculé, plus blafard à cause de la menace d’effondrement de son petit commerce qu’à cause de ses blessures, Ernest avait définitivement perdu son petit sourire. D’un pas lent, Anna commençait déjà à se rapprocher pour lui administrer encore quelques baffes, ce qui eut définitivement raison de son indécision.

« - C’est bon, je vais vous payer. Je n’ai pas tout investi, à dire vrai… j’ai placé la moitié de mes gains  en jetons au casino. Vous savez ce que c’est non ? Quand on manipule de grosses sommes… on se lasse vite.

- Je connais ça.

- Je dois être en mesure de vous faire une autorisation de prélèvement ; si je sors de ma chambre avec ce visage cela risque de nous porter préjudice à tous les trois. Combien je vous dois ?

- Combien vous avez ? demanda Roona, les yeux brillants de cupidité.

- Pratiquement dix millions. »

Affligé de sa perte, l’homme d’affaires se doutait que le prix payé par son client pour ses cargaisons de vin ne devait même pas égaler le dixième de la somme. Mais il s’était finalement résolu à payer pour le prix de leur silence.

« - Eh bien nous prendrons tout. L’autorisation de prélèvement d’abord, ensuite nous vous rendrons votre livre de comptes. »

Prenant aussitôt place devant son bureau, le visage encore barbouillé de sang, Bouvier commença à écrire. Au bout de cinq minutes, il traça finalement une grande arabesque en guise de signature et tendit la feuille à ses détrousseurs.

« - Un plaisir de faire affaires avec vous, » ne put s’empêcher d’ironiser le grisonnant avant de se diriger vers la porte, l’air ravi.

***

« - J’ai encore du mal à croire qu’ils nous aient donné autant d’argent sans sourciller.

- C’est ça le pouvoir des signatures. Prête pour finir cette soirée en beauté, ma chère Elizabeth ?

- Il commence à faire jour désormais… Je crois que c’est râpé pour ce soir. Et puis on a un rendez-vous très important qu’il s’agirait de ne pas manquer.

- Ah oui, lequel ? » s’interrogea Roona, tout en ajustant de façon plus confortable sa valise pleine de billets sur son épaule. Son expression intriguée changea progressivement en voyant la feuille que sa partenaire dépliait progressivement sous son nez.

« - En tant qu’enquêtrice, je ne peux pas me permettre de laisser un tel pourri en liberté. Par chance, il n’a pas vérifié le contenu du livre pour voir si des pages manquaient...

- Laisse-moi deviner : c’est le relevé de comptes mentionnant la transaction avec la famille royale ?

- Dans le mille. Je ne sais pas pour toi, mais moi j’ai hâte de voir leur réaction quand ils découvriront le pot aux roses. »

Ce sourire machiavélique, désormais c’était Anna qui l’avait.
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N'importe quel spécialiste du sommeil vous le dirait mais la qualité de ce dernier n'est qu'en partie lié à sa durée. Ainsi, bras autour d'une valise remplie de billets comme si elle était la plus belle femme qu'il eu jamais rencontré, Sunbae dormait du sommeil du juste tout en rêvant d'une vie de luxe, d'oisiveté et de plaisirs superflues. Même réveillé en sursaut par un tambourinage intensif de sa porte, seule la bonne humeur l'habitait, et c'est avec un grand sourire qu'il vint s'enquérir de l'identité de ces visiteurs matinaux.

Un seul en vérité, sa compagne de la veille, Elizabeth Butterfly. Forcément moins alcoolisée que la veille, c'est d'humeur plus neutre que lui qu'elle le salua et l'invita à la suivre.

Elle lui expliqua alors qu'ils avaient rendez-vous avec la milice de Luvneel et que, conformément à ses instructions, le responsable de l'hôtel devait faire au mieux pour empêcher Ernest Bouvier de quitter son établissement.

_ Qui? Lui demanda-t-il.
_ Le fameux patron, c'est son nom.
_ Aaaaah...et nous du coup on doit se bouger le cul pour rameuter la milice avant qu'il déguerpisse. Et comment on les convainc que ce que nous disons n'est pas qu'un ramassis d'inepties. Je sais que t'as un bout du livre de compte mais ça désigne des victimes, pas des coupables. Et si c'est pour raconter tout ce qu'il s'est passé hier soir alors je suis pas volontaire. On a quand même foutu un sacré boxon et pas en toute légalité.


Au lieu d'entendre une réponse il se trouva nez à nez avec ce qui semblait être une carte de visite. Il la saisit et en lu l'inscription.

_ "CIA: Cabinet des Investigateurs Associés, Elizabeth Butterfly, PDG et Enquêtrice".
_ J'ai une excellente réputation dans toutes les Blues, plusieurs années d'expérience et un historique d'enquêtes résolues parlant pour moi. On ne me croira pas forcément sur parole mais on écoutera ce que j'ai à dire.
_ Mouais...


Si la réponse du Roona manquait d'enthousiasme, c'est qu'il s'inquiétait de l'éventuelle perte de sa jolie valise remplie d'oseille. Il ne l'avait que depuis peu, mais ne pouvait s'imaginer quitter Luvneel sans elle. Il évitait cependant de trop montrer son désaccord, la borgne lui avait montré la veille ce qu'elle pouvait faire à ceux qui n'étaient pas de son avis. Et il ne souhaitait pas faire partie du nombre.

C'est donc ensemble qu'il se rendirent au QG de la milice

*
***
*
Toc! Toc!

Après quelques secondes, le crâne chauve et le visage boursouflé de colère d'Ernest Bouvier apparurent derrière la porte entrouverte. Apparemment prêt à laisser couler un flot d'insultes, celui-ci s'abstint lorsqu'il remarqua que les inopportuns qui venaient de le sortirent du sommeil étaient des miliciens arborant fièrement sur leur poitrine le symbole du Royaume de Luvneel.

Il soupira longuement.

Il le savait, il aurait du quitter la ville dès la visite des deux tarés de la veille. Quand quelqu'un vous découvre, il ne s'écoule que peu de temps avant que quelqu'un d'autre ne vous trouve. Mais, il se faisait vieux et n'avait pas eu l'énergie de partir en urgence. Ni de séparer la langoureuse embrassade de ses gardes du corps.

Il ouvrit pleinement la porte de sa chambre, remarqua ses hommes menottés derrière quelques officiers, et se rendit sans la moindre résistance.

Une escroquerie, même d'aussi grande envergure que la sienne, ne saurait le condamnait trop longtemps et, au pire, il détenait nombres d'informations qui seraient susceptibles de lui acheter sa liberté.

Il n'apprécia cependant pas qu'on le malmène au moment où il fut emmené.

*
***
*

La gueule de bois avait finalement rattrapé Sunbae lorsque lui et Elizabeth furent emmenés sous bonne escorte jusqu'au palais de Luvneelgard.

C'est donc avec un mal de crâne digne du Démon qu'il dut patienter une bonne partie de la matinée dans un corridor plus luxueux qu'il n'en avait jamais vu. Sans pouvoir pour autant profiter de la décoration des lieux.

Le duo avait été installé dans une alcôve de l'aile Est du palais, équipée de canapés de cuir et d'une table basse sur laquelle avaient été posés quelques mets et rafraichissements à leur attention. La borgne picorait quelques sucreries alors qu'à ses côtés le Roona comatait de manière pathétique, ne daignant siroter une eau citronnée qu'après nombres d'efforts, de grognements et de plaintes incompréhensibles.

C'est lors de l'une de ses relevées fantastiques, qu'il remarqua l'état absolument parfait de sa comparse. Rien de la soirée de la veille ne transparaissait chez elle.

_ Faites souvent des trucs du genre? Lui demanda-t-il, curieux de son endurance face à l'alcool.
_ Pas vraiment, mais ça peut arriver.
_ C'est quand même vachement impressionnant.
_  Ca l'est toujours au début mais on s'habitue vite.
_ Oh?
_ T'as d'ailleurs montré un certain potentiel dans le domaine, tu pourrais même en faire un métier tu sais
, le flatta-t-elle.
_ J'suis pas sur d'avoir les épaules pour faire ça de manière répétitive, lui répondit il laconiquement en pensant à son foie meurtri et ses crampes d'estomac. Puis ça lui semblait absurde, être payé à picoler des quantités absurdes d'alcools ne lui paraissait pas une branche pleine d'avenir.
_ T'aurais pas forcément à être "actif" tous les jours...se sentit obligée de rajouter Elizabeth devant le regard perplexe de Sun'. Je cherche justement des collaborateurs pour la CIA, des gens intelligents et débrouillards pouvant se montrer utiles dans divers circonstances. Tu pourrais faire un bon candidat.

Toute suite la discussion parut plus claire au jeune homme. Ainsi elle lui proposait un job, comme quoi tout pouvait menait à n'importe quoi. Curieux, il s'enquit des conditions et autres détails tel que "c'est quoi le job?" ou encore "c'est légal comme travail?".
Ils discutèrent ainsi de la CIA et des éventuels débouchés professionnels qu'elle pouvait apporter au balafré jusqu'a ce qu'on vienne les interrompre. Un assistant royal, reconnaissable au blason brodé sur sa poitrine ainsi que par son air fier et orgueilleux bien que le terme d'assistant ne désignait au final jamais qu'un serviteur comme un autre au sein du palais.

Il les invita à le suivre et les conduisit dans les divers couloirs du palais. Présentant les diverses œuvres d'art décorant les couloirs du palais, si bien que Sunbae eu l'impression d'être en visite guidée d'un musée bien hétéroclite où statues de marbre antiques côtoyaient des tableaux plus ou moins contemporains et aux origines diverses. "Cadeaux diplomatiques et anciens trésors de guerre pour la plupart" précisa leur guide.
Ce n'est qu'après plusieurs minutes  de marche, le duo supposa qu'on les avait quelque peu fait tourner en rond, que l'assistant, devant une lourde porte de bois sur laquelle diverses motifs avaient été soigneusement sculpté, qu'il s'arrêta et annonça tout en effectuant un révérence:

_ Sa Majesté, Messire Dayo Flemingo vous attend.


Sur ces mots, les deux gardes entourant la porte ouvrirent les deux lourds battants de celle-ci. Relevé, l'assistant les invita à le suivre à l'intérieur. Le bureau, puisque c'était un bureau, bénéficiait de la même aura de luxe et de solennité que le reste du bâtiment bien que sa décoration était plus sobre. Un homme était assis derrière une table, examinant divers papiers et en signant d'autres que lui tendait une femme élancée aux allures de secrétaire.

_ Le protocole demande que je vous présente, vous feraient ensuite deux pas, vous inclineraient au moins à hauteur de buste et attendrait ensuite que Sa Majesté vous autorise à relever la tête, chuchota l'assistant avant d'ajouter: Sa Majesté va vous remercier puis vous montrerait votre gratitude à votre tour. En dehors de ça, ne parlaient que si l'on vous le demande expressément.

Sur ce, il s'avança, s'inclina, comme pour montrer l'exemple avant de les indiquer et de les présenter.

_ Madame Elizabeth Butterfly et Monsieur Sunbae Roona.

Suivant les instructions du serviteur, le duo fit deux pas avant de s'incliner et attendit. Quelques instants avant que le Roi de Luvneel ne daigne reporter son attention sur eux tout en  congédiant d'un geste son assistant.

_ Relevez-vous, dit-il d'une voix forte et autoritaire.

Enfin capable de l'observer, Sunbae en profita. De haute stature, le Roi devait avoir été un homme au physique avenant avant que le temps ne le rattrape et ne l'empâte légèrement. Sur son front une calvitie galopante prenait ses aises ainsi que des tempes grisonnantes confirmaient la cinquantaine bien tassée du bonhomme alors qu'un grand sourire et des yeux rieurs lui donnaient un air sympathique.
Richement habillé de vêtements aux coloris chatoyants et portant la cape, il se dégageait de sa tenue un certain sens de la mode ainsi qu'une loufoquerie évidente. Il avait cependant un port de tête royal et la fine couronne dorée qui cernait son front achevait le portrait avec dignité.

_ Le commandant de ma milice m'a informé ce matin que je vous devais d'avoir découvert une escroquerie, que dis-je, une félonie et une traitrise à l'encontre de mon Royaume et de ma Personne.

Il laissa une pause, comme pour apprécier le son de sa propre voix avant de reprendre.

_ Je vous dois donc des remerciements sincères. Lignum verba manducat, ainsi soit-il.

Avec fluidité, il se releva de sa chaise et inclina légèrement le menton en leur direction. "Maigres remerciements", pensa le Roona. D'autant plus qu'il était un peu frustré de ne pas pouvoir prendre part à la discussion...ou plutôt au monologue? Quoiqu'il en soit, il aurait eu un paquet de questions à poser, il n'avait, après tout, jamais rencontré de têtes couronnées. Du coup, ajouté à sa gueule de bois, il voulait surtout en finir et retourner à l'hôtel pour continuer sa nuit avec sa magnifique valise pleine de pognon.

Perdu dans ses pensées, il ne remarqua pas le regard de sa compagne qui, elle, se rappelait les indications de l'assistant. Elizabeth prit donc sur elle de remercier le Roi de sa gratitude au nom du duo.

S'en suivit quelques banalités puis ils furent invités à partir non  sans qu'on ne les remercie une dernière fois pour le service rendu au Royaume de Luvneel. La secrétaire du roi les escorta ensuite et un bon royal leur fut remis, échangeable dans toutes les banques et commerces du Royaume.

Et s'en fut fini de leur interlude royal.

Enfin, le duo se sépara, offre d'emploi acceptée et salutations de mise, puis le balafré aux cheveux cendrés retrouva enfin la quiétude de sa suite luxueuse et le confort de son lit. Il était parti pour un long sommeil.

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