L'air était lourd dans le salon de la grande résidence oharienne. Un verre de thé vert dans les mains, froid, Roy observait d'un air absent les fines perles de condensation qui gouttaient du récipient. En face de lui, également assis à la grande table de séjour, les parents d'Angie Gregson le foudroyaient du regard.
Matt Gregson était un sexagénaire grisonnant de grande taille et de bonne carrure au visage doux et agréable. Sa femme Octavia devait avoir le même âge, bien que les années semblaient avoir épargnée la belle femme qui encore aujourd'hui gardait toute sa prestance. Elle arborait une longue chevelure lustrée et pleine de vie, bien que d'une couleur grise et terne. A chaque fois que Roy se retrouvait devant elle, il ne pouvait s'empêcher d'être troublé par les yeux bleus de la vieille femme, répliques exactes de ceux de sa fille défunte. Leur hostilité grandissait à mesure que le pirate cherchait ses mots, et que le silence s'éternisait.
L'arrivée à la Nouvelle Ohara s'était faite sans encombre. Le Matheson Sorrow était amarré dans un coin de l'île à l'abri des regards et jusqu'à présent l'équipage du Tyran n'avait pas été repéré par la Marine. En parlant de ces derniers, Moria, Gill et Mochi étaient partis en vadrouille en ville, qui s'amusant, qui explorant, qui achetant des provisions en vue de la prochaine traversée. Après cette île en effet, le cap était dirigé vers la Route de tous les Périls, autant partir équipé.
Cette escale à la Nouvelle Ohara avait été une surprise pour les compagnons de Roy, qui en définitive savaient peu de choses sur le passé de leur capitaine. Pensant initialement qu'en sortant de Las Camp, le navire mettrait directement les voiles sur Grand Line, ce détour les avait pris de court. Questionnant alors les motivations de Roy, ils avaient obtenu de lui qu'il révèle son passé. L'ancien bédouin leur avait alors raconté une bonne partie de son histoire, en commençant par sa rencontre avec Angie Gregson dans le désert d'Hinu Town. D'une traite et sans s'arrêter, il avait expliqué tout ce que cette femme représentait pour lui, comment elle l'avait pris sous son aile et avait fait de lui l'homme qu'il était aujourd'hui, avant de leur apprendre son par des agents du Gouvernement Mondial. Découvrant pour la première fois les raisons qui avaient poussé le jeune capitaine à se lancer dans la piraterie, le reste de l'équipage avait soudain réalisé qu'il désirait simplement faire son deuil. Respectant son souhait, ils avaient accepté ce détour sans broncher, avec joie même pour certains pas pressés de s'aventurer sur la mer la plus dangereuse du monde.
Un détail leur demeurait caché cependant : Angie Gregson menait des recherches illégales sur le siècle oublié, et c'était ce qui lui avait valu cette visite des agents du Cipher Pol. Malgré la confiance qu'il accordait à ses compagnons, Roy n'avait toujours pas partagé ce lourd secret avec eux, et il n'était certainement pas prêt à le faire avec les parents d'Angie, ce qui rendait leur rencontre d'autant plus difficile. Sans connaître la vérité, ces derniers avaient pour seul coupable à leurs yeux l'ancien garde du corps de leur fille, qui avait tragiquement failli à sa mission.
Matt et Octavia ne s'étaient pas attendu à la visite impromptue du pirate. Si Roy les connaissait depuis de nombreuses années, leur accueil avait été bien différent que lors de ses nombreuses visites précédentes, chaque fois qu'il avait accompagné leur fille pendant ses vacances sur son île natale. Aujourd'hui, avec son avis de recherche placardé un peu partout sur les îles de West Blue, les rumeurs sur la mort de Matheson et le fait qu'il n'ait pas donné de nouvelles après la mort d'Angie le regard qu'ils avaient sur lui avait bien changé. Refusant d'abord de laisser entrer le hors-la-loi et menaçant même d'appeler la Marine, le jeune homme avait littéralement dû les prendre en otage avant de pouvoir discuter avec eux. Si cette entrée en matière avait été des plus mouvementés, heureusement le vieux couple avait fini par entendre raison au terme d'une longue plaidoirie de Roy, qui en avait appelé à leur passé commun.
À présent ils buvaient dans le salon, même si le pistolet à silex posé bien en évidence sur la table démentait la relative tranquillité du tableau. Offerte par Angie à la majorité du jeune homme, cette arme s'était ironiquement retournée contre les parents de la défunte, les dissuadant de tenter quoi que ce soit.
Finalement, il s'arracha à la contemplation de son verre et releva les yeux vers ses deux "hôtes".
- Je sais que vous avez beaucoup de questions..., commença-t-il avec hésitation, récoltant immédiatement deux râles de frustration exaspérés.
Il leur avait promis de leur révéler la vérité s'ils se tenaient tranquilles, mais quand l'heure avait été venue de tout leur avouer, il n'avait pu que se réfugier dans le silence. Les deux parents fous de chagrin étaient au bord de la crise de nerfs.
- Bon sang Roy, s'écria Octavia en se dressant soudainement sur sa chaise, nous avons reçu la visite de gens du gouvernement figures-toi ! Ils nous ont expliqué que tu avais tué deux de leur agent avant d'assassiner notre fille ! Vas-tu nous donner une explication nom d'un chien ?!
Un regard noir du pirate, suivi d'une courtoise invitation à se rasseoir la rappela rapidement à l'ordre. Il comprenait leur détresse, mais il y avait une certaine limite à ne pas dépasser et il en avait plus qu'assez d'être accusé injustement.
- Angie était tout pour moi, répondit-il d'une voix chargée d'émotions, je n'aurais jamais pu lui faire le moindre mal.
- Alors quoi ? intervint Matt Gregson en soutenant son regard. Qui a tué notre fille, et pourquoi le gouvernement voudrait-il nous le cacher ?
- Parce qu'il responsable de sa mort, lâcha Roy de but en blanc. Je n'ai pas tué Angie. Ce n'était pas non plus des pirates, ou des brigands, ni même des mercenaires qui l'ont assassinée. Ce sont les deux agents des services secrets du GM les coupables, et je leur aient fait payer en les trucidant.
Contrairement à ce qu'il aurait pu imaginer, sa révélation sembla calmer le couple qui cessa enfin de s'agiter. Se redressant sur leur sièges, Matt et Octavia adoptèrent un silence contemplatif et étrangement, leur visages trahissaient peu de surprise. Le jeune homme en déduit que d'une manière ou d'une autre, ils avaient vu clair dans les mensonges du gouvernement.
- Pourquoi ? demanda néanmoins Matt au bout de quelques secondes de silence.
- Moins vous en savez, mieux vous vous porterez.
Cette réponse sèche du pirate eut le don de crisper ses deux interlocuteurs, qui échangèrent un regard sinistre avant de revenir à lui.
- Nous avons le droit de savoir, plaida doucement Octavia, soutenue par un hochement de tête de son mari.
- Peut-être, acquiesça Roy, balayant l'argument d'une main, ça m'importe peu.
Toutes les vérités n'étaient pas bonnes à dire. Comme il avait omis de préciser qu'il avait lui-même achevé Angie pour apaiser ses souffrances, il ne révélerait pas la véritable nature des recherches de l'historienne défunte à ses parents. Les agents du gouvernement leur avaient sûrement posé des questions à ce propos lors de leur passage, et voyant qu'ils n'étaient au courant de rien étaient partis sans les impliquer plus en avant dans cette affaire. Roy ne comptait certainement pas remédier à cela en les mettant dans la confidence.
Voyant à leurs regards déterminés que Matt et Octavia ne souhaitaient pas en rester là pour autant, il dut quand même se résoudre à sortir l'artillerie lourde. Il avait beau se vanter d'être doté d'un esprit Cartésien grâce à l'enseignement éclairé d'Angie, son cœur n'était pas de pierre pour autant et la détresse de Matt et Octavia raisonnaient en lui.
- Le drame d'Ohara ne se reproduira pas par ma faute, lâcha-t-il simplement en fixant son verre, une profonde tristesse dans le regard, je refuse que ce soit là le seul héritage d'Angie.
Cette petite phrase doucha immédiatement l'obstination du vieux couple. Ils s’affaissèrent simultanément sur la table et restèrent là sans bouger, à contempler le bois verni, proprement estomaqués par l'indice à peine voilé qu'avait accepté de leur fournir le pirate. Comme l'avait prévu le jeune capitaine, quand ils finirent par relever les yeux, toute velléité de creuser un peu plus la vérité avait quitté leurs regards.
Pour les habitants de la nouvelle Ohara, l'idée que l'un des leurs risque à nouveau le drame d'il y a un siècle était intolérable. Connaissant leur fille, jusque-là ils n'auraient jamais pu envisager la véritable cause de sa mort. Terrifiés par les implications de ce que suggérait le pirate, ils avaient purement et simplement abandonné leur inquisition.
- Je veux me rendre sur sa tombe, enchaîna Roy immédiatement après, impatient de passer enfin à la véritable raison de sa venue en ces lieux. Le cimetière est trop grand pour que j'inspecte toutes les stèles une à une et je ne peux pas consulter le registre sans alerter les autorités. Dites-moi où je peux la trouver.
Ni une ni deux, Matt et Octavia refusaient en crachant au pirate tous les reproches qu'ils pouvaient lui faire. S'ils avaient plus ou moins accepté le fait qu'il n'était pas le meurtrier d'Angie, ils n'oubliaient pas pour autant qu'il était la personne à qui ils avaient confié la sécurité de leur fille et qui avait échoué à sa tache ; qu'il avait disparu de la circulation sans donner de nouvelles, qu'il n'avait même pas eu la décence d'assister à l'enterrement de sa mentor... qu'il était devenu un pirate.
Patiemment, parvenant malgré lui à garder son calme, Roy attendit qu'ils aient terminé, relevant en silence leurs reproches en préparant sa réponse.
- À la mort d'Angie je me suis retrouvé perdu et seul, raconta-t-il quand le vieux couple eut fini de l'invectiver. Je venais de tuer deux agents du Gouvernement Mondial et je savais que de nombreux autres ne tarderaient pas à rappliquer. J'ai donc fait la seule chose qu'il y avait à faire : j'ai embarqué sur le premier navire disponible et je me suis éloigné d'Hinu Town.
- Ne fais pas comme si tu n'avais pas eu d'autres options, maugréa Octavia. Tu n'avais pas besoin de disparaître purement et simplement, ton clan de bédouins par exemple aurait pu assurer ta protection.
- Pas contre le gouvernement, rétorqua le pirate, Krid m'aurait sans aucun doute mis à l'abri, mais ce faisant il aurait mis en péril les relations entre El Beïda et la Marine. Jamais je n'aurais pu lui demander un tel sacrifice.
- Et pendant ce temps tu nous as laissés totalement sans nouvelles, l'accusa Matt en tapant sur la table, tu faisais partie de notre famille Roy ! Et tu as failli à tous tes devoirs envers nous !
- Les choses à Las Camp se sont compliquées..., éluda le pirate, légèrement ébranlé par sa tirade, j'avais besoin de nouveaux alliés, qui ne soient pas embarrassés d'agir en dehors du cadre la loi. J'ai donc monté un équipage de pirates, et ce faisant je me suis fait embarquer dans les magouilles des gangs qui sévissaient sur l'île. Je suis navré de ne pas avoir pu vous donner de nouvelles, s'excusa-t-il ensuite, il fallait que j'attende suffisamment de temps pour être sûr de ne pas croiser d'agent en vous contactant, et disons-le simplement, j'étais très occupé avec mon nouveau statut de capitaine pirate.
- Oui, trop occupé à trucider un colonel semble-t-il..., lâcha Octavia d'une voix chargée de venin.
L'écran de calme apparent de Roy se brisa en même temps que le verre dans sa main gauche à cette pique gratuite, provoquant un sursaut chez le vieux couple. Alors que le thé vert gouttait sur la table et que du sang commençait à perler entre les doigts du pirate, ce dernier s'agita sur sa chaise, les yeux fermés, évitant manifestement d'affronter les mines accusatrices des deux sexagénaires. Ignorant totalement la douleur cuisante qui devait lui vriller la main, il se résolut finalement à relever les yeux. Il n'y avait pas de colère dans son regard, juste de la honte, mêlée à une profonde confusion.
- C'était un accident..., gronda finalement le jeune homme entre ses dents, je ne voulais pas le tuer ! Il était devenu fou, il...
Cherchant ses mots, il ne put terminer sa phrase. En face de lui, sans qu'il puisse le voir, l'armure de réprobation dont s'était engoncé le vieux couple se craquela lentement devant sa détresse. Pour la première fois depuis de longs mois, ils revoyaient Roy tel qu'ils l'avaient toujours connu : un homme bon, honnête, suivant des principes stricts et toujours prêt à aider son prochain. La mort de Matheson le Bon pesait lourdement sur sa conscience comprirent-ils. Tandis que le pirate se perdait dans son mutisme, ils échangèrent un regard, hésitant sur la marche à suivre.
Finalement, ce fut Matt qui prit une décision. Sans mot dire, il se leva soudainement et contourna la table - évitant soigneusement le côté sur lequel trônait le pistolet. Arrivant au niveau du jeune homme, il tendit une main vers la sienne qu'il avait ensanglantée et le força doucement à desserrer ses doigts. Là, il entreprit d'enlever un à un les morceaux de verre qui s'étaient incrustés dans sa peau.
- Allez range cette arme mon garçon, murmura-t-il se faisant, on va te dire où on l'a faite enterrer.
Passant une main dans ses cheveux blonds trempés par la pluie, Moria Brittania les ramena en arrière après avoir passé la porte de la taverne. Essuyant son visage tout en examinant son nouvel environnement, le navigateur de l'équipage du Tyran s'étonna de ne pas voir grand monde. Dans son souvenir qui remontait à sa dernière escale sur l'île il y avait près de sept ans - il en avait alors quatorze - l'endroit était bondé.
Haussant les épaules, il se dirigea vers le comptoir et s'y attabla. Pour lui, moins de monde signifiait simplement moins de problèmes et plus de boisson, rien qui ne puisse lui déplaire donc. Après une longue traversée en mer depuis Las Camp jusqu'à la Nouvelle Ohara, une première pour le petit équipage pirate qui avait essuyé quelques dysfonctionnements avant de prendre ses marques, le jeune homme chargé de faire avancer la navire avait bien besoin d'un verre. Son idiot de capitaine ne buvant pas, il n'avait pas eu la présence d'esprit de charger les cales du Matheson Sorrow en alcool. Devant ce fiasco, Moria lui avait promis qu'il ne referait plus jamais les stocks sans sa supervision.
D'un signe du doigt il commanda une pinte au barman avant de tourner la tête à droite à gauche, ayant enfin la présence d'esprit de vérifier la présence de marines. Son inspection s'arrêta immédiatement cependant quand il se rendit compte qu'une remarquable créature s'était soudain assise à sa droite. Bien qu'elle ait visiblement plus d'un verre dans le nez, la femme semblait tout de même moins alerte et lui portait un intérêt non dissimulé. Une longue chevelure blanche lui tombait dans le dos et elle avait de beaux yeux bleus, actuellement occupés à le détailler.
À sa grande surprise, le regard critique de la belle dame était dirigé non pas sur lui réalisa-t-il, mais sur le fusil qu'il gardait accroché dans son dos en bandoulière.
Matt Gregson était un sexagénaire grisonnant de grande taille et de bonne carrure au visage doux et agréable. Sa femme Octavia devait avoir le même âge, bien que les années semblaient avoir épargnée la belle femme qui encore aujourd'hui gardait toute sa prestance. Elle arborait une longue chevelure lustrée et pleine de vie, bien que d'une couleur grise et terne. A chaque fois que Roy se retrouvait devant elle, il ne pouvait s'empêcher d'être troublé par les yeux bleus de la vieille femme, répliques exactes de ceux de sa fille défunte. Leur hostilité grandissait à mesure que le pirate cherchait ses mots, et que le silence s'éternisait.
L'arrivée à la Nouvelle Ohara s'était faite sans encombre. Le Matheson Sorrow était amarré dans un coin de l'île à l'abri des regards et jusqu'à présent l'équipage du Tyran n'avait pas été repéré par la Marine. En parlant de ces derniers, Moria, Gill et Mochi étaient partis en vadrouille en ville, qui s'amusant, qui explorant, qui achetant des provisions en vue de la prochaine traversée. Après cette île en effet, le cap était dirigé vers la Route de tous les Périls, autant partir équipé.
Cette escale à la Nouvelle Ohara avait été une surprise pour les compagnons de Roy, qui en définitive savaient peu de choses sur le passé de leur capitaine. Pensant initialement qu'en sortant de Las Camp, le navire mettrait directement les voiles sur Grand Line, ce détour les avait pris de court. Questionnant alors les motivations de Roy, ils avaient obtenu de lui qu'il révèle son passé. L'ancien bédouin leur avait alors raconté une bonne partie de son histoire, en commençant par sa rencontre avec Angie Gregson dans le désert d'Hinu Town. D'une traite et sans s'arrêter, il avait expliqué tout ce que cette femme représentait pour lui, comment elle l'avait pris sous son aile et avait fait de lui l'homme qu'il était aujourd'hui, avant de leur apprendre son par des agents du Gouvernement Mondial. Découvrant pour la première fois les raisons qui avaient poussé le jeune capitaine à se lancer dans la piraterie, le reste de l'équipage avait soudain réalisé qu'il désirait simplement faire son deuil. Respectant son souhait, ils avaient accepté ce détour sans broncher, avec joie même pour certains pas pressés de s'aventurer sur la mer la plus dangereuse du monde.
Un détail leur demeurait caché cependant : Angie Gregson menait des recherches illégales sur le siècle oublié, et c'était ce qui lui avait valu cette visite des agents du Cipher Pol. Malgré la confiance qu'il accordait à ses compagnons, Roy n'avait toujours pas partagé ce lourd secret avec eux, et il n'était certainement pas prêt à le faire avec les parents d'Angie, ce qui rendait leur rencontre d'autant plus difficile. Sans connaître la vérité, ces derniers avaient pour seul coupable à leurs yeux l'ancien garde du corps de leur fille, qui avait tragiquement failli à sa mission.
Matt et Octavia ne s'étaient pas attendu à la visite impromptue du pirate. Si Roy les connaissait depuis de nombreuses années, leur accueil avait été bien différent que lors de ses nombreuses visites précédentes, chaque fois qu'il avait accompagné leur fille pendant ses vacances sur son île natale. Aujourd'hui, avec son avis de recherche placardé un peu partout sur les îles de West Blue, les rumeurs sur la mort de Matheson et le fait qu'il n'ait pas donné de nouvelles après la mort d'Angie le regard qu'ils avaient sur lui avait bien changé. Refusant d'abord de laisser entrer le hors-la-loi et menaçant même d'appeler la Marine, le jeune homme avait littéralement dû les prendre en otage avant de pouvoir discuter avec eux. Si cette entrée en matière avait été des plus mouvementés, heureusement le vieux couple avait fini par entendre raison au terme d'une longue plaidoirie de Roy, qui en avait appelé à leur passé commun.
À présent ils buvaient dans le salon, même si le pistolet à silex posé bien en évidence sur la table démentait la relative tranquillité du tableau. Offerte par Angie à la majorité du jeune homme, cette arme s'était ironiquement retournée contre les parents de la défunte, les dissuadant de tenter quoi que ce soit.
Finalement, il s'arracha à la contemplation de son verre et releva les yeux vers ses deux "hôtes".
- Je sais que vous avez beaucoup de questions..., commença-t-il avec hésitation, récoltant immédiatement deux râles de frustration exaspérés.
Il leur avait promis de leur révéler la vérité s'ils se tenaient tranquilles, mais quand l'heure avait été venue de tout leur avouer, il n'avait pu que se réfugier dans le silence. Les deux parents fous de chagrin étaient au bord de la crise de nerfs.
- Bon sang Roy, s'écria Octavia en se dressant soudainement sur sa chaise, nous avons reçu la visite de gens du gouvernement figures-toi ! Ils nous ont expliqué que tu avais tué deux de leur agent avant d'assassiner notre fille ! Vas-tu nous donner une explication nom d'un chien ?!
Un regard noir du pirate, suivi d'une courtoise invitation à se rasseoir la rappela rapidement à l'ordre. Il comprenait leur détresse, mais il y avait une certaine limite à ne pas dépasser et il en avait plus qu'assez d'être accusé injustement.
- Angie était tout pour moi, répondit-il d'une voix chargée d'émotions, je n'aurais jamais pu lui faire le moindre mal.
- Alors quoi ? intervint Matt Gregson en soutenant son regard. Qui a tué notre fille, et pourquoi le gouvernement voudrait-il nous le cacher ?
- Parce qu'il responsable de sa mort, lâcha Roy de but en blanc. Je n'ai pas tué Angie. Ce n'était pas non plus des pirates, ou des brigands, ni même des mercenaires qui l'ont assassinée. Ce sont les deux agents des services secrets du GM les coupables, et je leur aient fait payer en les trucidant.
Contrairement à ce qu'il aurait pu imaginer, sa révélation sembla calmer le couple qui cessa enfin de s'agiter. Se redressant sur leur sièges, Matt et Octavia adoptèrent un silence contemplatif et étrangement, leur visages trahissaient peu de surprise. Le jeune homme en déduit que d'une manière ou d'une autre, ils avaient vu clair dans les mensonges du gouvernement.
- Pourquoi ? demanda néanmoins Matt au bout de quelques secondes de silence.
- Moins vous en savez, mieux vous vous porterez.
Cette réponse sèche du pirate eut le don de crisper ses deux interlocuteurs, qui échangèrent un regard sinistre avant de revenir à lui.
- Nous avons le droit de savoir, plaida doucement Octavia, soutenue par un hochement de tête de son mari.
- Peut-être, acquiesça Roy, balayant l'argument d'une main, ça m'importe peu.
Toutes les vérités n'étaient pas bonnes à dire. Comme il avait omis de préciser qu'il avait lui-même achevé Angie pour apaiser ses souffrances, il ne révélerait pas la véritable nature des recherches de l'historienne défunte à ses parents. Les agents du gouvernement leur avaient sûrement posé des questions à ce propos lors de leur passage, et voyant qu'ils n'étaient au courant de rien étaient partis sans les impliquer plus en avant dans cette affaire. Roy ne comptait certainement pas remédier à cela en les mettant dans la confidence.
Voyant à leurs regards déterminés que Matt et Octavia ne souhaitaient pas en rester là pour autant, il dut quand même se résoudre à sortir l'artillerie lourde. Il avait beau se vanter d'être doté d'un esprit Cartésien grâce à l'enseignement éclairé d'Angie, son cœur n'était pas de pierre pour autant et la détresse de Matt et Octavia raisonnaient en lui.
- Le drame d'Ohara ne se reproduira pas par ma faute, lâcha-t-il simplement en fixant son verre, une profonde tristesse dans le regard, je refuse que ce soit là le seul héritage d'Angie.
Cette petite phrase doucha immédiatement l'obstination du vieux couple. Ils s’affaissèrent simultanément sur la table et restèrent là sans bouger, à contempler le bois verni, proprement estomaqués par l'indice à peine voilé qu'avait accepté de leur fournir le pirate. Comme l'avait prévu le jeune capitaine, quand ils finirent par relever les yeux, toute velléité de creuser un peu plus la vérité avait quitté leurs regards.
Pour les habitants de la nouvelle Ohara, l'idée que l'un des leurs risque à nouveau le drame d'il y a un siècle était intolérable. Connaissant leur fille, jusque-là ils n'auraient jamais pu envisager la véritable cause de sa mort. Terrifiés par les implications de ce que suggérait le pirate, ils avaient purement et simplement abandonné leur inquisition.
- Je veux me rendre sur sa tombe, enchaîna Roy immédiatement après, impatient de passer enfin à la véritable raison de sa venue en ces lieux. Le cimetière est trop grand pour que j'inspecte toutes les stèles une à une et je ne peux pas consulter le registre sans alerter les autorités. Dites-moi où je peux la trouver.
Ni une ni deux, Matt et Octavia refusaient en crachant au pirate tous les reproches qu'ils pouvaient lui faire. S'ils avaient plus ou moins accepté le fait qu'il n'était pas le meurtrier d'Angie, ils n'oubliaient pas pour autant qu'il était la personne à qui ils avaient confié la sécurité de leur fille et qui avait échoué à sa tache ; qu'il avait disparu de la circulation sans donner de nouvelles, qu'il n'avait même pas eu la décence d'assister à l'enterrement de sa mentor... qu'il était devenu un pirate.
Patiemment, parvenant malgré lui à garder son calme, Roy attendit qu'ils aient terminé, relevant en silence leurs reproches en préparant sa réponse.
- À la mort d'Angie je me suis retrouvé perdu et seul, raconta-t-il quand le vieux couple eut fini de l'invectiver. Je venais de tuer deux agents du Gouvernement Mondial et je savais que de nombreux autres ne tarderaient pas à rappliquer. J'ai donc fait la seule chose qu'il y avait à faire : j'ai embarqué sur le premier navire disponible et je me suis éloigné d'Hinu Town.
- Ne fais pas comme si tu n'avais pas eu d'autres options, maugréa Octavia. Tu n'avais pas besoin de disparaître purement et simplement, ton clan de bédouins par exemple aurait pu assurer ta protection.
- Pas contre le gouvernement, rétorqua le pirate, Krid m'aurait sans aucun doute mis à l'abri, mais ce faisant il aurait mis en péril les relations entre El Beïda et la Marine. Jamais je n'aurais pu lui demander un tel sacrifice.
- Et pendant ce temps tu nous as laissés totalement sans nouvelles, l'accusa Matt en tapant sur la table, tu faisais partie de notre famille Roy ! Et tu as failli à tous tes devoirs envers nous !
- Les choses à Las Camp se sont compliquées..., éluda le pirate, légèrement ébranlé par sa tirade, j'avais besoin de nouveaux alliés, qui ne soient pas embarrassés d'agir en dehors du cadre la loi. J'ai donc monté un équipage de pirates, et ce faisant je me suis fait embarquer dans les magouilles des gangs qui sévissaient sur l'île. Je suis navré de ne pas avoir pu vous donner de nouvelles, s'excusa-t-il ensuite, il fallait que j'attende suffisamment de temps pour être sûr de ne pas croiser d'agent en vous contactant, et disons-le simplement, j'étais très occupé avec mon nouveau statut de capitaine pirate.
- Oui, trop occupé à trucider un colonel semble-t-il..., lâcha Octavia d'une voix chargée de venin.
L'écran de calme apparent de Roy se brisa en même temps que le verre dans sa main gauche à cette pique gratuite, provoquant un sursaut chez le vieux couple. Alors que le thé vert gouttait sur la table et que du sang commençait à perler entre les doigts du pirate, ce dernier s'agita sur sa chaise, les yeux fermés, évitant manifestement d'affronter les mines accusatrices des deux sexagénaires. Ignorant totalement la douleur cuisante qui devait lui vriller la main, il se résolut finalement à relever les yeux. Il n'y avait pas de colère dans son regard, juste de la honte, mêlée à une profonde confusion.
- C'était un accident..., gronda finalement le jeune homme entre ses dents, je ne voulais pas le tuer ! Il était devenu fou, il...
Cherchant ses mots, il ne put terminer sa phrase. En face de lui, sans qu'il puisse le voir, l'armure de réprobation dont s'était engoncé le vieux couple se craquela lentement devant sa détresse. Pour la première fois depuis de longs mois, ils revoyaient Roy tel qu'ils l'avaient toujours connu : un homme bon, honnête, suivant des principes stricts et toujours prêt à aider son prochain. La mort de Matheson le Bon pesait lourdement sur sa conscience comprirent-ils. Tandis que le pirate se perdait dans son mutisme, ils échangèrent un regard, hésitant sur la marche à suivre.
Finalement, ce fut Matt qui prit une décision. Sans mot dire, il se leva soudainement et contourna la table - évitant soigneusement le côté sur lequel trônait le pistolet. Arrivant au niveau du jeune homme, il tendit une main vers la sienne qu'il avait ensanglantée et le força doucement à desserrer ses doigts. Là, il entreprit d'enlever un à un les morceaux de verre qui s'étaient incrustés dans sa peau.
- Allez range cette arme mon garçon, murmura-t-il se faisant, on va te dire où on l'a faite enterrer.
Passant une main dans ses cheveux blonds trempés par la pluie, Moria Brittania les ramena en arrière après avoir passé la porte de la taverne. Essuyant son visage tout en examinant son nouvel environnement, le navigateur de l'équipage du Tyran s'étonna de ne pas voir grand monde. Dans son souvenir qui remontait à sa dernière escale sur l'île il y avait près de sept ans - il en avait alors quatorze - l'endroit était bondé.
Haussant les épaules, il se dirigea vers le comptoir et s'y attabla. Pour lui, moins de monde signifiait simplement moins de problèmes et plus de boisson, rien qui ne puisse lui déplaire donc. Après une longue traversée en mer depuis Las Camp jusqu'à la Nouvelle Ohara, une première pour le petit équipage pirate qui avait essuyé quelques dysfonctionnements avant de prendre ses marques, le jeune homme chargé de faire avancer la navire avait bien besoin d'un verre. Son idiot de capitaine ne buvant pas, il n'avait pas eu la présence d'esprit de charger les cales du Matheson Sorrow en alcool. Devant ce fiasco, Moria lui avait promis qu'il ne referait plus jamais les stocks sans sa supervision.
D'un signe du doigt il commanda une pinte au barman avant de tourner la tête à droite à gauche, ayant enfin la présence d'esprit de vérifier la présence de marines. Son inspection s'arrêta immédiatement cependant quand il se rendit compte qu'une remarquable créature s'était soudain assise à sa droite. Bien qu'elle ait visiblement plus d'un verre dans le nez, la femme semblait tout de même moins alerte et lui portait un intérêt non dissimulé. Une longue chevelure blanche lui tombait dans le dos et elle avait de beaux yeux bleus, actuellement occupés à le détailler.
À sa grande surprise, le regard critique de la belle dame était dirigé non pas sur lui réalisa-t-il, mais sur le fusil qu'il gardait accroché dans son dos en bandoulière.
Dernière édition par Roy D. Aston le Dim 19 Nov 2017 - 16:33, édité 6 fois