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Silence de mort


Prologue.

Ça va faire une semaine de plus, soit cent soixante-huit heures de procrastination intensive. On est bien sur Luvneel, l’île où la révolution planifie. Elle planifie, seulement. L’action c’est pour les coups d’éclats, c’est pour les missions jugées « faciles ». Alors voilà le topo, on s’tourne les pouces dans un sous-sol miteux. Ne vas pas croire non plus que j’ai l’esprit bordélique prêt à se lier d’amitié avec des parias aliénés par des envies de libertad. Non, je profite tout bonnement d’un séjour gratuit chez des terroristes traqués par le gouvernement. J’pense qu’on peut faire mieux dans l’hébergement, du genre l’hôtel huit étoiles prêt à engraisser leurs clients et leur compte en banque. Mais j’ai atterri là, prêt à en découdre avec les secondes qui passent ; alors j’fais avec parce que jusqu’à maintenant, j’en suis toujours sorti presque vivant. Ici, dans ce tunnel lugubre et sans lumière, on me nomme le luminaire. Ils sont fascinés par la lumière qu’émettent mes différents câblages, subjugués par un soleil artificiel : mes néons de l'aube apportent une touche de luminescence dans cette nuit éternelle. J’fais donc mon boulot d’éclairage ambulant, j’assiste le plus souvent aux réunions en prenant la place centrale de l’assemblée ; c’est un moyen pour ces derniers de voir les documents sous des angles différents. On passe facilement d’une photo en noir et noir à une photo en noir et blanc, quelle aubaine.

Mis à part ces séminaires affligeants et intempestifs, la vie communautaire se passe plutôt bien. Je pense que ces humains apprécient GRANDEMENT d’avoir un pseudo-pacifista à leurs côtés, c’est un peu comme avoir une arme de dissuasion massive : « regardez, on possède un cyborg, ça va chier ». Mais non, parce que la seule chose que mon esprit sait faire, c’est les vannes, l’introspection et les claques sur les fesses des divers déchets métalliques. Le souci avec ces multiples qualités, c’est que j’ai volontairement omis de leur en faire part. En revanche, rabâcher le fait d’être un cyborg d’armement nucléaire et d’avoir trahis le gouvernement dans l’unique but de changer de couleur, ça, je ne m'en prive pas. En somme, des choses assez grosses pour être couvert par ce groupuscule de force armée.

Un petit bémol dans cette aventure, ce sont les morveux de ces cafards de révolutionnaires. Je suis la peluche qu’ils n’ont jamais eus, l’équivalent de l’ami imaginaire pour enfants. Certains m’appellent Teddy, d’autres Louise, ça dépend du sexe et de l’enfant en fait. Je peux passer de l’adversaire masochiste à la poupée vivante, dans la minute. En effet, ces jeunes garçons se battent avec des sabres émoussés de la marine pendant que ces jeunes filles me font une beauté avec des scalps de hauts-gradés du gouvernement. C’est un peu glauque pour l’innocence qu’ils dégagent, ce n’est pas pour rien qu’ils sont fils et filles du diable. Ces sectateurs de l’anarchie prennent les armes au nom de la liberté des autres. Mais qui te dit que l’esclave n’a pas envie de rester esclave, qu’il a envie de subir indéfiniment de puissants coups de fouets dans le dos. On n’sait pas, il y a des fous partout. Surtout ici.

La nuit dernière a été éprouvante, lorsqu'une personne désorientée s’est maladroitement trompée de prise pour charger son matériel next-gen. Il ou elle a réussi à brancher ses conneries à mon alimentation, à me drainer mes forces en moins de cinq minutes top chrono. Dans l'instant, mon cœur s’est accéléré et mes capacités d’analyse se sont retrouvées sens dessus-dessous. C’était un peu comme un viol, comme si on me faisait l’amour avec un câble à la con. On m’a bien baisé, putain. Il faut que je me révolte contre ce genre d’agissements, la machine est en marche.

Je change d’endroit, je file pour l’île flottante. J’ai besoin d’armes, de compétences en combat ; sans quoi, le monde pourrait utiliser mes atouts à tort et à travers. Et ça, c’est non.


Dernière édition par Van Borgcy le Mer 21 Mar 2018 - 13:46, édité 5 fois
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« - Tu vas où Van ? Reviens, on n’a pas encore fini…
- Ouais Van, j’ai du mal à discerner la prochaine cible, approche ton épaule. »

Ces deux gars, c’est deux énergumènes. Celui qui commence les phrases se nomme Paul, un ingénieux pâtissier. Il est du genre à te coupler la maïzena à des substances illicites pour te produire des charlottes à la coke, un gâteau de guerre qu’il appelle ça. Il écrase facilement la brillance d’esprit d’un pharmacien et la crédibilité d’un charlatan, les pilules d’allongement du pénis n’ont qu’à bien se tenir. Le deuxième mec, c’est Raoul, son frère : le borgne parmi les aveugles, l’ombre parmi les ténèbres. D’après ces attardés, son cerveau vaudrait sa prime ; il est le grand stratège de ce club démoniaque, celui qui accompli un rituel satanique avec une bible entre les doigts et un chapelet en guise de collier de pied. Toujours une mesure de retard, il s’étonne encore que ses plans n’aient pas le tracé de la comète. Un joli duo, en fin de compte.

« - Putain de bordel de merde, ramènes-moi la lumière avant que je fracasse un des murs porteurs. »

Lui, c’est Jean. Le majordome de ce trou à rat, la frêle fée du taudis. Un mètre d’anorexie, des mains de pianiste et un visage en perpétuelle déformation. Il suffit de prendre un demi-litre de hargne pour l’ajouter à un parechoc d’une Renault après un accident à cent-trente pour obtenir l’image parfaite de ce garçon de chambre. Pour son caractère, c’est l’égal d’un cafard : après un coup, il se multiplie pour revenir à la charge. Mieux ne vaut pas être dans son collimateur, sinon il te pousserait une troisième, voire quatrième jambe.

« - Même une cinquième, cyborg, ramène ton trou d’balle. »

Au tour de Viktor de rentrer dans la danse, de déballer frénétiquement sa science sous les lumières des projecteurs. Cet homme d’une quarantaine d’années n’est autre que le technicien de maintenance de l’équipe, l’équivalent d’un aspirant apprenti physicien du gouvernement. Personne ne comprend réellement l’enjeu de ses projets mais jusqu’à présent, ils ont porté leurs fruits. En effet, ses théories sur la clairvoyance ne sont pas tout à fait établies et j’ignore comment ce bipède de l’extrême s’est débrouillé pour devenir devin. Peut-être qu’il est vicelard, peut-être qu’il est complètement tordu. Une chose est sûre, il sait lire les pensées les plus déplacées ; un talent certain pour ce groupuscule à la ramasse.

Un rire granuleux et tonitruant résonne contre chacune de mes côtes, mon estomac métallique vibre sous la réverbération des décibels.

« - Allons Borgcy, tu vas pas nous faire le même coup à chaque fois. »

Gaspard, le grand chef. Un demi-géant du même registre que Quasimodo, supportant le sol du rez-de-chaussée avec ses monstrueuses épaules de titan. La peinture d’une décoration d’un autre temps : ses pieds enracinés et son buste d’Apollon forment une majestueuse statue de marbre greco-romaine. Marrant ça, qu’une force de la nature soit réduite à l’état de légume ; en revanche ce qui est moins hilare, c’est son immobilisation qui n’entrave en rien son haut-commandement. Aucune personne ici présente n’oserait le contredire et encore moins le contrarier. Ses menaces contre l’insubordination ont toutes un but final, celui de finir enseveli par un immeuble de cinq étages. Chouette, n’est-ce-pas ?

« - Je me casse de là. »

Voilà le clou du spectacle, la cerise sur le gâteau. Celui qu’on attend pour la scène finale, celui qui coupe les mots à l’assemblée nationale. Il se dresse droit comme le peu de justice, il arbore l’aura de l’impulsion. Cette mèche allumée au sol c’est, merde, c’est moi.

« - Arrête un peu tes conneries, sinon cette bâtisse deviendra notre sac mortuaire commun. »

Le rire des hyènes ronge mes tympans, j’ai comme l’étrange sensation de devenir la risée de la situation. Les regards flamboyants de moquerie s’emparent du doux visage des charognards les plus aguerris. J’en ai encore sous le capot, prêt à faire brûler la gomme.

« - Enterre-nous, tous ensemble. J’imagine déjà la tête crispée de vos progénitures sous le ramassis de décombres qui va s’abattre ici. Putain, j’en frémis d’avance. »

Les rictus s’effacent, les veines du front se gonflent ; chaque main se resserre de rancœur, les phalanges s’écrasent les unes contre les autres. Quant à mes mots, ces derniers s’enduisent de venin, ils s’aiguisent à chaque claquement de langue.

« - Suicidez-vous sur moi, allez-y. »



Silence de mort, la réalité rattrape les idées incongrues du chef de cellule. Son inexpugnable charisme essuie un joli coup de mousquet, il se met à genoux face à mes propos cinglants de vérité. Désarçonnés par la rupture d’anévrisme du manitou, les lieutenants se figent eux aussi dans l’espace-temps. Ils scrutent cette situation exceptionnelle avec émoi, la gueule grande ouverte et la langue pendue à mes voyelles. Pour les autres têtes réduites, elles ne daignent même pas ouvrir la bouche. Ces dernières ont les lèvres cousues par un fil invisible, un fil d’éloquence aussi piquant qu’une sauce au tabasco un midi d’été en plein cagnard. Les visages tuméfiés et asséchés embrassent un à un l’ombre du malaise. Je sors de cette bataille, victorieux. Le grand Van Borgcy se retourne vivement, mêlant spectacle et déroute. La minute d’après, il s’engouffre héroïquement dans la lumière du rez-de-chaussée, quittant cette prison sans barreaux.

À peine les deux pieds dehors que le bâtiment s’effondre, rompant le mutisme ambiant en un fracas de tonnerre assourdissant. C’est la fin pour eux et diantre, que ce fût intense.
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